dimanche, 29 août 2010
Les poètes maudits
Photo Sara
Nous avons récemment cité deux portraits de Vigny, écrits par Lamartine et Dumas.
Maurice Allem, dans sa biographie d'Alfred de Vigny publié à Paris aux éditions Louis-Michaud en 1911, dresse un portrait émouvant des "poètes maudits", que Jules Vallès ou Vigny lui-même ont si bien décrit.
"Victor Hugo et Vigny semblent s'être moins vus souvent à partir de 1830 ; mais à cette date le groupe romantique commence à perdre de sa cohésion ; si de nouvelles recrues lui arrivent encore, comme Théophile Gautier, (...) d'autres, comme Alfred de Musset, s'en éloignent déjà ; certains, et c'est le cas de Vigny et de Hugo, ont a présent conquis une sûre renommée, ils sont de plus en plus absorbés par le souci de leur propre carrière. La brèche est faite. Individuellement, chacun va passer. Les poètes qui seront maintenant attirés par l'éclat romantique seront souvent de pauvres jeunes gens, dont le talent poétique égalera rarement le saint enthousiaste, et qui, loin des salons où leurs aînés se réunissaient et s'organisaient pour la guerre, mourront lentement, à la lumière d'une faible lampe, dans leur chambre sans feu. Ceux-là seront vraiment, non pas les maudits, sans doute, comme l'écrira bientôt Alfred de Vigny, comme plus tard doit le redire Baudelaire, mais les hallucinés et les faibles, ceux qui n'auront pas su voir la réalité telle qu'elle est, qui ne se seront pas vus eux-mêmes tels qu'ils sont, et dont quelques uns, - un trop grand nombre -, las d'attendre sans lutte une fin qu'ils désirent, ne trouveront que le courage de hâter l'heure de leur mort".
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samedi, 28 août 2010
Deux portraits de Vigny
Photo de Sara
Alexandre Dumas et Alphonse de Lamartine dressèrent tous deux un portrait du cher Vigny.
Je (Edith) les recopie ici.
Au tome V de ses Mémoires, voici ce qu'écrit Alexandre Dumas (Hugo, c'est bien évidemment Victor Hugo) :
"Vigny est un singulier homme : poli, affable, doux dans ses relations, mais affectant l'immatérialité la plus complète ; cette immatérialité allait, du reste, parfaitement à son charmant visage aux traits fins et spirituels, encadrés de cheveux blonds bouclés, comme un de ces chérubins dont il semblait le frère. De Vigny ne touchait jamais à la terre que par nécessité : quand il reployait ses ailes et qu'il se posait, par hasard, sur la cime d'une montagne, c'était une concession qu'il faisait à l'humanité, et parce que, au bout du compte, cela lui était plus commode pour les courts entretiens qu'il avait avec nous. Ce qui nous émerveillait surtout, Hugo et moi, c'est que Vigny ne paraissait pas soumis le moins du monde à ces grossiers besoins de notre nature, que quelques-uns de nous - et Hugo et moi étions de cela - satisfaisaient, non seulement sans honte, mais encore avec une certaine sensualité. Personne de nous n'avait jamais surpris Vigny à table."
C'est au troisième tome de ses Souvenirs et Portraits que Lamartine peint Vigny :
"Le front d'Alfred de Vigny, dégagé de ses cheveux rejetés en arrière, était moulé, comme celui d'un philosophe essénien de la Judée, pour une pensée sensible mais toujours sereine. Poli et légèrement teinté de blanc et de carmin, il était modelé pour réfléchir au dehors la pensée qui luisait au dedans ; une gracieuse dépression des tempes l'infléchissait en se rapprochant des yeux. On voyait qu'il y avait, non pas effort, mais attention continue dans les nerfs et dans les muscles qui formaient l'encadrement des regards ; bien que cette attention intérieure et tournée en dedans produisit involontairement une certaine tension des paupières qui rétrécissait le globe de l'oeil, la couleur bleu de mer, de ce liquide qu'aucune ombre ne tachait, et la franchise amicale de son coup d'oeil qui ne cherchait jamais à pénétrer dans le regard d'autrui, mais qui s'étalait jusqu'au fond de l'âme chez lui, inspirait à l'instant confiance absolue dans cet homme. C'était limpide comme un firmament. Qu'aurait-il eu à cacher ? Il n'avait jamais conçu la moindre pensée de tromper personne ; feindre lui aurait paru une demi-duplicité. Il n'y avait, grâce à ce regard en complète sécurité, ni soir, ni nuit sur cette physionomie ; tout y était plein soleil de l'âme. Il laissait regarder et il regardait lui-même sans épier quoi que ce fût dans le regard de son inerlocuteur ; ce qu'il éprouvait, il ne le soupçonnait pas. La lumière ébouit d'elle-même et ne voit pas l'ombre".
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mercredi, 25 août 2010
Soliloques de l’errance
I le van,
II la route
III la ligne

I Le van
Nous écoutons la radio dans le van
Le vent s’engouffre par les vitres baissées
Et j’ai pris le volant, je conduis vite
A droite comme à gauche le paysage est mystérieux
Magnifique
Etrangement coloré
Nous voyageons avec une femme enceinte
Elle dort dans le van
Je vais passer le volant à quelqu’un
A l’homme qui se tait
Qui rit de temps en temps
L’autre femme est âgée
C’est la plus belle
Elle a quelque chose de différent
Son pull-over tombe, on voit toujours un peu ses seins
Ses cheveux longs et doux flottent dans la lumière
D’immenses champs de blé mûr
De très grands oiseaux bleus
Telles sont les images qui nous entourent
J’ai arrêté le van
Nous sommes seuls sur la route
La route abandonnée
La belle femme différente ôte ses boucles d’oreilles
Elle s’approche de moi
Son pull-over tombe, on voit ses seins comme d’habitude
Ses cheveux longs et doux volent dans la lumière
Son souffle est effrayant
Elle veut souvent montrer qu’elle peut choquer,
Qu’à son âge elle aime encore rigoler
Elle nous emmène si loin
Elle va nous entraîner au-delà des champs de blé
Le ciel bleu-rose s’étend sans fin
Où serons-nous demain ?
Le vent détruit les pensées
La femme enceinte s’est éveillée
Lorsque je voulais être quelqu’un
Avant de quitter mon pays
Je ne savais pas que je mentais
Après ma fuite j’ai rencontré des vrais amis
Et j’ai pu contemplé des visages authentiques
Les paysages splendides
Dans lesquels nous évoluons
Ont brisé les idées, brûlé la raison
Et la vie est devenue dense
Et la vie devient une danse
Un grand soleil multicolore caresse les blés ondulants
Quelqu’un a éteint la radio
Je sors les bières du van
J’en propose à l’homme silencieux
A la belle différente
Au garçon aux yeux verts
J’aime la belle différente
La bière coule dans ma gorge
Et cela pique un peu
Et cela désaltère
On remonte dans le van
Le van va partir
Le van va repartir
Ce voyage finira-t-il un jour ?
J’attends une réponse…
II La route
La route est étroite, la saab roule lentement. La chienne est inquiète, elle ne dort plus.
Le soir se pose, arriverons-nous quelque part avant que le soleil ne disparaisse totalement ?
Peut-être avons-nous fait une erreur en partant si loin. C’est toi qui as voulu, tu te sentais bien.
Mais voilà que ton ventre te fait mal, il ne faudrait pas que le bébé arrive avant deux ou trois jours.
Les hautes montagnes s’étendent à l’horizon. La route devient vraiment dangereuse. Les derniers rayons de soleil se dissipent. Tu me demandes si nous allons mourir.
Donne à manger à la petite chienne, s’il te plait, elle semble avoir faim. Il reste de l’eau et de la bière. Je ne vois aucun village à l’horizon.
Les cimes des montagnes couvertes de soleil rose s’assombrissent et la route est presque impraticable. Nous allons dormir ici, près du gros rocher. Pourvu que ton bébé n’arrive pas cette nuit… J’arrête la voiture.
Allume ton briquet. Il y a des couvertures dans le coffre. S’il y a des dangers, ma chienne aboiera. Donne-lui à boire, et toi aussi, sers toi.
Je n’aurais pas dû te suivre depuis le début. J’aurais dû m’éloigner quand je t’ai rencontrée. Tu suis ton destin, c’est ce que tu dis. Tu devrais plutôt suivre les conseils de tes docteurs. Un voile sombre enveloppe le paysage aride ; on distingue un lac au creux des montagnes. Ne vois-tu pas des poissons sauter hors de l’eau ?
Tu dis que je dois t’aider à sortir ton bébé. Que sommes-nous venues chercher, loin de toute habitation ? Tu devras me dire un jour la vérité. Nous devons survivre pour ton bébé, et pour ma petite chienne qui respire ton ventre.
Il fait complètement noir, maintenant. Les étoiles scintillent comme s’il neigeait dans le ciel. Tu frissonnes et tu souris, tu sembles heureuse.
Sans la chienne, je n’y serais pas arrivée. La chienne est près de toi, elle souffle sur le bébé, et le bébé s’endort, je crois qu’il n’a pas froid. Entre mes mains, je l’ai tenu quelques instants. Entre mes mains, j’ai senti sa vie.
Sans la chienne, je n’y serais pas arrivée. Elle m’ordonnait avec ses yeux. Elle savait exactement les gestes qu’il fallait. Elle a tiré avec sa gueule. Elle a soufflé sur le petit corps. Elle a mordu pour faire crier. Elle a coupé l’amarre. Elle a léché pour nettoyer. Et je t’ai donné ton bébé. Tu l’as installé dans tes bras.
Le briquet ne s’allume plus. Il nous faut attendre le matin. Le vent souffle dans les montagnes et je retiens les couvertures.
Je ne crois pas à ton destin. Je ne sais pas pourquoi je t’accompagne.
Nous roulons vite sous le soleil. La route s’est élargie. La route s’est aplanie. Tu souris, tu nourris ta petite fille. La chienne vous contemple d’un œil sage. Je n’ai pas dormi cette nuit.
Que veux-tu donc trouver en haut de la montagne ? Vas-tu m’abandonner en haut de la montagne ? Je comprends vaguement que tu voulais quelqu’un pour t’emmener…
Nous serons ce soir au sommet de la montagne. Les rayons de soleil chargés de vent, le vent chargé de rayons de soleil, le lac tout en bas qui s’éloigne, tout est calme.
Je sais que ce soir, tu nous diras adieu, à ma chienne et à moi, et nous redescendrons. J’ai peur que tu me laisses ton bébé.
Que vas-tu chercher en haut de la montagne ? Tu nous diras adieu, à la chienne et à moi. J’ai peur que tu nous laisses ton bébé…
III La ligne
Il fut un temps où je vivais dans une ville.
Je travaillais et j’avais planifié ma vie.
Comme c’est drôle d’y penser aujourd’hui :
J’avais planifié ma vie.
Un certain temps que je demeure sans bouger
Sur ce transat, sur cette place ensoleillée.
C’est l’été, il a la mer au bout de la rue.
Ce pays est vraiment beau.
Je bois des verres de jus de fruits frais étranges,
Des gens traversent la place, jamais pressés.
Ici, j’ai une chambre dans le seul hôtel.
Que j’aime être de passage.
Je songe à l’enfance lointaine quelquefois,
Enfance contrainte, enfance triste, enfance malade,
J’ai abandonné tout ce qu’on voulait m’apprendre.
J’ai cessé d’être quelqu’un.
Ma vie est une étrange suite de sensations,
Des sensations douces, subtiles, corporelles.
J’aime les gens que je croise et qui m’accompagnent.
Parfois, je fais des rencontres.
Dans des motels ou sur des routes ou sur des plages,
Des rencontres, parfois de vagues amitiés,
On fait un peu de route ensemble, on fait l’amour,
On m’invite dans des familles.
Ma vie est-elle un long détour ou un destin ?
Ces longues promenades sur des plages vides.
Ces voyages dans des trains ou dans des bateaux.
Y a-t-il une ligne ésotérique ?
Ce jus de fruits frais et moelleux m’emplit de paix.
Parfois, j’envoie des lettres aux gens du temps passé.
C’est l’été, la mer m’appelle au bout de la rue.
Ici, j’ai une chambre d’hôtel.
Après mon bain, dans la mer tiède, ce matin,
Je suis allée dans une grande bibliothèque
Me renseigner sur le passé de cette ville.
Les maisons sont belles ici.
Je suis arrivée hier par le dernier train.
Je remonte le pays, je suis toujours la cote.
Je compose dans les motels pendant la nuit
Pour gagner de l’argent.
Je compose des musiques pour des films incertains.
Une très vieille femme hier soir dans le train
A tiré les cartes et lu les lignes de ma main,
Mais je n’ai pas très bien compris.
J’avais des habitudes et quelques certitudes,
Et puis un jour d’hiver, j’ai compris tout à coup.
La viande était moins cuite, l’assiette pleine de sang,
J’étais une criminelle.
J’ai hurlé, tout le monde a ri, je suis partie.
J’ai voulu oublier la pensée, les idées,
J’ai voyagé et je n’ai plus voulu rentrer.
Et puis, j’ai vendu ma musique.
Sur la plage de sable fin, au petit matin,
Au cours de la balade j’ai rencontré quelqu’un.
Nous avons bu des boissons fraîches sous le soleil,
Nous nous sommes caressées.
Elle est descendue elle aussi dans le motel.
On va rester un mois pour boire de cette ville.
Cette femme avait des secrets et des mystères.
Ai-je des secrets ?
Ai-je des secrets,
Ai-je des secrets…
Edith de CL, 1999-2003
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lundi, 23 août 2010
après-midi augustienne

(un billet d'Edith)
J'ai beau être, comme tant d'autres, un petit être rabougri, replié sur mes peurs, mes doutes et mes inconfiances, de temps en temps cette existence m'appelle à grands cris ! Je voudrais y faire quelque chose, de belles choses, avec mes mains, mes yeux, mon coeur. Je voudrais savoir donner de la force et de la confiance aux gens que je rencontre. Je voudrais allumer les vies qui m'entourent et me croisent. Je voudrais faire rire les autres au plus profond d'eux mêmes, les vivifier ; par des mots ou par des gestes, ou simplement par mon regard, leur rendre leur héritage, leurs symboles, leur parole, leur puissance. Qu'ils aient la foi que leur vie est libre, belle, intelligente.
Et vis à vis de moi ? Devenir l'hôte attentive de ma vie, non plus sa passive invitée. Tenir la chandelle au portail de mon coeur, veiller sans cesse, accueillir, protéger, vaincre.
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samedi, 21 août 2010
esclaves français à Alger

Les larmes et clameurs des Chrestiens françois de nation, captifs en la ville d’Alger en Barbarie, adressées à la reine régente, par le Père Lucien Heraut, de l’Ordre de la Trinité et Rédemption des Captifs. An 1643
"Ce n’est pas, Madame, une simple exaggeration, mais une verité trop conneue, non seulement de ceux qui ont traversé les mers, et mouillé l’ancre avec quelque bonheur dans cette terre barbare de nos cruels ennemis, mais encore beaucoup mieux de ceux, qui par malheur sont tombés dans les griffes de ces Monstres Affricains, et qui ont ressenty, comme nous, leur infernalle cruauté, pendant le long sejour d’une dure captivité, les rigueurs de laquelle nous experimentons de jour en jour par des nouveaux tourments: la faim, le soif, le froid, le fer, et les gibets, ont esté autrefois les instruments des plus cruels et dénaturés bourreaux du monde contre les premiers Chretiens, mais il est certain que les Turcs et Barbares encherissent aujourd’hui par-dessus tout cela, inventans journellement de nouveaux tourments, contre ceux qui persistent courageusement en la confession de nostre saincte Religion, ou qu’ils veulent miserablement prostituer, notamment à l’endroit de la jeunesse, captive de l’un et l’autre sexe, afin de la corrompre à porter à des pechés si horribles et infames, qu’ils n’ont point de nom, et qui ne se commettent que parmys ces monstres et furies infernales et ceux qui resistent à leurs brutales passions, sont écorchez et dechirez à coup de bastons, les pendants tous nuds à un plancher par les pieds, leur arrachant les ongles des doigts, brullant la plante des pieds avec des flambeaux ardents, en sorte que bien souvent ils meurent en ce tourment. Aux autres plus agés ils font porter des chaisne de plus de cent livres de poids, lesquelles ils traisnent miserablement partout où ils sont contrains d’aller, et ce pesant fardeau est d’ordinaire pour les riches de qui ils esperent une bonne rançon, et apres tout cela si l’on vient à manquer au moindre coup de siflet ou au moindre signal qu’ils font, pour executer leurs commandements, nous sommes pour l’ordinaire bastonnez sur la plante des pieds, qui est une peine intollerable, et si grande, qu’il y en a bien souvent qui en meurent, et lors qu’ils ont condamné une personne à six cent coups de bastons, s’il vient à mourir auparavant que ce nombre soit achevé, ils ne laissent pas de continuer ce qui reste sur le corps mort.
Les empalements son ordinaires, et le crucifiment se pratique encore parmy ces maudits barbares, en cette sorte ils attachent le pauvre patient sur une manière d’echelle, et lui clouent les deux pieds, et les deux mains à icelle, puis après ils dressent ladite Eschelle contre une muraille en quelque place publique, où aux portes et entrées des villes pour la plus grande confusion du nom Chretien, et demeurent aussi quelque fois trois ou quatre jours à languir sans qu’il soit permis à aucun de leur donner soulagement.
D’autres sont écorchez tous vifs, et quantitez de bruslez à petit feu, specialement ceux qui blasphement ou mesprisent leur faux Prophete Mahomet, et à la moindre accusation et sans autre forme de procez, sont trainez à ce rigoureux supplice, et là attachez tout nuds avec une chaine à un poteau, et un feu lent tout autour rangé en rond, de vingt cinq pieds ou environ de diametre, afin de faire rostir à loisir, et cependant leur servir de passe temps, d’autres sont accrochez aux tours ou portes des villes, à des pointes de fer, où bien souvent ils languissent fort long temps.
Nous voions souvent de nos compatriots mourir de faim entre quatre murailles, et dans des trous qu’ils font en terre, où ils les mettent tout vif, et perissent ainsi miserablement. Depuis peu s’est pratiqué un genre de tourment nouveau à l’endroit d’un jeune homme de l’Archevesché de Rouen pour le contraindre a quitter Dieu et nostre saincte Religion, pour laquelle il fut enchaisné avec un cheval dans la campagne, l’espace de vingt-cinq jours, à la merci du froid et du chaud et quantitez d’autres incommoditez, lesquelles ne pouvant plus supporter fit banqueroute à notre saincte loy".
Pour approfondir, c'est ICI.
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jeudi, 19 août 2010
Chefs de guerre et de religion

Dans la Pochothèque, on peut acheter la Saga de Charlemagne, traduction de la Karlamagnus Saga telle qu'elle fut complilée en norrois (ancienne langue scandinave) au XIIIème siècle.
Traduite et présentée par Daniel W. Lacroix, cette saga de Charlemagne est donc la version scandinave de nos chansons de geste françaises.
En voici un extrait qui ne nous paraît pas hors de propos :
"Agolant dit alors : "Il est tout à fait injustifiable que nos terres soient placées sus la tutelle de votre peuple, du fait que nous avons une loi bien plus estimable que la vôtre. Nous célébrons également le puissant Mahomet, envoyé de Dieu, et nous respectons ses commandements ; en outre, nous avons des dieux tout-puissants qui nous révèlent l'avenir par l'entremise de Mahomet. Nous les célébrons et les honorons, et nous tenons d'eux vie et puissance. Si vous les regardiez, ils vous plairaient beaucoup."
Charlemagne répond alors : "Tu te fourvoies assurément, Agolant, dans cette foi qui est la tienne, car nous respectons les commandements de Dieu, alors que vous respectez une croyance mensongère. Nous croyons en un seul Dieu, père, fils et saint esprit, et vous croyez en un démon qui habite vos idoles. Nos âmes, après la mort corporelle, vont trouver une joie éternelle, si nous respectons la vraie foi en réalisant des actions vertueuses, mais vos âmes à vous, qui croyez dans les idoles, vont supporter des tourments éternels, brûlant sans fin dans le séjour même de l'enfer ; l'on peut saisir par là que notre loi est meilleure que la vôtre. Dans ces conditions, choisis entre deux solutions : fais-toi baptiser avec toute ton armée et sauve ainsi ta vie, ou bien viens te battre avec moi, et tu trouveras alors une vilaine mort".
Agolant répond : "On ne me verra jamais me faire baptiser et renier ainsi la toute-puissance de Mahomet ; mon peuple et moi, nous allons plutôt vous affronter, tes hommes et toi, à condition que la foi de ceux qui trouveront la victoire soit jugée la meilleure, et que la victoire apporte un honneur éternel à celui qui l'emportera et une éternelle honte à celui qui perdra. Et si je suis vaincu vivant, toute mon armée et moi nous recevrons le baptême.
Charlemagne répond alors : "Je suis ravi qu'il en soit ainsi, mais afin que tu n'attribues pas votre victoire à la puissance des hommes plutôt qu'à la vertu de la vraie foi; ce combat prendra la forme d'un duel de sorte que nous nous battrons un contre un, vingt contre vingt, et ainsi de suite jusqu'à ce que l'épreuve semble concluante." Agolant est d'accord pour que les choses se déroulent ainsi".
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samedi, 14 août 2010
VERANDA

(un billet d'Edith)
Hier soir un ciel orange se vautrait sur la plage,
Et de la véranda tu parlais à l’océan
Les requins dansaient à l’horizon
Tu parlais en tahitien et je comprenais quelques mots
Les mouettes contemplaient la vie
Paresseusement
La chambre était rayée de lignes de soleil et d’ombre,
Et de la chambre,
La main au dessus des yeux,
Par les fentes de la natte qui striait la lumière,
Je te voyais à contrejour.
Comme d’habitude,
J’essayais d’écrire
Et cette fois j’ai compris
Que je n’ai définitivement rien
A dire.
E mea nehenehe teie i’a
E mea i’a teie vahine
Et de la véranda tu lançais dans le ciel
Des nuages de fumée légère
Tu fumais d’une main
Et de l’autre main tu caressais le feuillage épais des plantes
Le refrain tahitien partait dans le vent chaud
Vers l’horizon
Et dans la chaleur lascive de la chambre
La bouteille de mauna loa sur la table
Et la guitare sur les genoux,
Comme d’habitude
J’essayais de composer
Et cette fois j’ai compris
Que je n’ai définitivement rien
A dire.
Ua here ia vau i teie i’a
Teie i’a i roto i te moana nui
Hier soir est fini pour toujours
La mélodie en fa mineur
Et les accords vite égrenés
Sont oubliés.
Dans cette île de pêcheurs
Qui pêchent peu
Le temps passe et je ne bouge pas.
Le temps change et les saisons défilent
Il y a une horloge dans la cuisine
Que je ne regarde jamais.
Des choses se sont passées dans ma vie
Mais je n’en pense rien.
Les souvenirs se mélangent et se noient
Dans le rhum et le mauna loa.
Ici des sorcières tirent des cartes
Et me disent leurs avis
En fronçant les sourcils.
Hier soir après leur visite,
J’essayais de peindre,
Et cette fois j’ai senti
Que je n’ai définitivement rien
A dire.
E mea vahine i teie i’a
I roto i te moana-po
Hier soir un ciel orange se vautrait sur la plage
Et de la véranda tu parlais à l’océan
Tu parlais tahitien et je comprenais quelques mots.
Après quelques cocktails et un cigare cubain
Je suis descendue et j’ai pris
La longue barque.
Ce parfum de la vie que je ne peux décrire
Guidait mes rames sur les vagues.
J’ai toujours observé les poissons
Avec fascination
J’ai toujours observé les poissons
Avec fascination.
L’océan s’ouvre
Et je lui crie des choses
Qu’il emporte.
Quand le soir tombe j’essaie d’exister.
L’océan s’ouvre
Et j’entrevois l’apprentissage
Du silence.
Je pense que je devrais me taire ;
C’est clair, je devrais oublier
Les mots.
Avant que le rouge du ciel ne soit enfui,
Je suis rentrée, ayant compris
Que je n’ai définitivement rien
A dire.
Définitivement rien à dire,
Et j’observe les poissons avec fascination.
Définitivement rien à dire,
Et j’observe les glaçons avec fascination.

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vendredi, 13 août 2010
La mer

« Qu’elle est belle et puissante, la mer, quand la tempête élève ses flots ; plus belle encore, quand seul un léger souffle vient agiter la surface des eaux et que les vagues se brisent sur le rivage avec ce son doux, régulier et harmonieux qui ne trouble pas le silence, mais se contente de le rythmer et de le rendre audible. »
Saint Ambroise
(Méditations sur l’œuvre des six jours de la création)
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jeudi, 12 août 2010
Le bel ange du mal

(un billet d'Esther Mar)
Le bel ange du mal
Est venu dans la nuit.
Le bel ange animal
Pour endormir l’ennui.
La ténèbre soudain
S’éclaira et je vis
Tout orné de dédain
De bijoux et d’envies
Le bel ange du mal
Tout près de la fenêtre,
D’un encens de santal
Faire fuir le salpêtre
Et avec un sourire
De ceux qui font pleurer
Les pires et leurs sbires,
Et tous les mal-aimés,
Venir à pas profonds
Vers tous mes oreillers,
M’enseigner les bas-fonds
De l’amour sans collier,
Celui qu’on n’ose pas
Avant d’avoir goûté
Aux mille et un appâts
Du sexe frelaté.
Le bel ange du mal
Est venu dans ma vie
Par un soir septembral
Sans que je le convie,
La nuit en un instant
S’alluma et je sus
Que du désir latent,
Cette immonde sangsue,
Venait la délivrance,
Et aujourd’hui déchue,
En mon corps et conscience,
Je ne suis pas déçue.
Car dans ces roulements
De draps, et ces tornades
Chaudes, dans ces relents
De pluies et de saccades,
Dans ces cris sépulcraux,
Si loin de la vertu
Sous les doigts et les crocs
De l’ange dévêtu,
A la lumière orange
Des bougies et des flammes
Un peu comme on se venge,
J’ai liquidé mon âme.
Esther Mar
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lundi, 09 août 2010
Tropique triste

(un billet d'Esther Mar)
Nous irons nous baigner dans la moiteur des Tropiques.
Oh mon amour,
Laisse Montaigne, laisse Foucault, laisse les prolégomènes à toute métaphysique future,
Et laisse tes héros,
Nous irons nous dissoudre dans le clair-obscur d'une plage,
D'une île oubliée.
Oh mon amour, je ne voulais pas te tuer.
Esther Mar
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dimanche, 08 août 2010
Le cirque des idées

«Il n'y a pas moins raciste que les gens du cirque. Tout le monde est admis au cirque, à la condition toutefois d'être né dans le cirque”.
Annie Fratellini
Lire l'article source de l'Humanité
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samedi, 07 août 2010
Amour d'un homme pour son petit garçon

Georges de La Tour (Saint Joseph et son fils, Jésus)
(un billet d'Hanno Buddenbrook)
Howells a écrit un requiem pour son fils Michael, mort d'une méningite ou de quelque chose de ce genre à l'âge de 9 ans. Dans plusieurs autres oeuvres pour choeurs, surgit le mot "Michael". Et d'ailleurs, à partir de ce triste événement son inspiration auparavant plutôt orchestrale, peu religieuse devient très axée sur la musique vocale et sacrée (anglicane).
Si simple, mais d'une si rare originalité, ces chants envoûtent et nous portent loin de la vie quotidienne, vers des sphères où l'âme libérée des mesquineries de tous les jours s'élève et danse dans le cosmos, dans le mystérieux ether qui nous entoure, que nous peuplons et dont nous ne savons rien.
Howells n'a accepté de le laisser jouer qu'après une période de 45 ans.
J'écoute la version du choeur français Stella Maris, et j'entre littéralement dans un vaisseau de son. Les voix volètent alentour dans la pièce (j'oublie la chaîne hi fi), quelques fois sortent du fleuve lourd du choeur comme des poissons volants torpillent hors de la rivière quelques instants pour s'entremêler dans les airs avant de s'immerger à nouveau. Oui, cette musique vocale d'outre-intimité donne une impression surréelle.
Le requiem est court ; l'effet qu'il laisse, long. L'écouter, c'est faire une méditation émouvante sur la vie, l'amour et la mort. La douleur d'un père nous a laissé une très belle oeuvre ; mais, comme Victor Hugo l'écrivit après la mort de sa fille, il aurait sans doute préféré renoncé à tout son art et à toute gloire pour "n'être qu'un homme qui passe/ Tenant son enfant par la main".
H.B.
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vendredi, 06 août 2010
Dialogues du septième sceau

Le septième sceau, un film d'Ingmar Bergman
- Je suis pris de dégoût et d'épouvante. Mon mépris des hommes m'a rejeté de leur communauté. Je vis dans un monde fantôme prisonnier de mes rêves
- Mais tu ne veux pas mourir ?
- Si je le veux.
- Alors qu'attends-tu ? La connaissance... ou des garanties?
- Appelles ça comme tu veux. Est-ce si impossible de comprendre Dieu avec ses sens ? Pourquoi se cache-t-il derrière des promesses à demi articulées et des miracles invisibles ? Qu'advient-il de nous si nous voulons croire mais nous ne le pouvons pas ? Pourquoi ne puis-je pas tuer Dieu en moi ? Pourquoi continue-t-il de vivre de façon douloureuse et avilissante ? Je veux le chasser de mon cœur. Je veux savoir, pas croire. Pas supposer mais savoir. Je veux que dieu me tende la main, qu'Il me dévoile son visage et qu'Il me parle.
- Mais il se tait.
- Des ténèbres, je crie vers lui mais il n'y a personne
- C'est peut-être cela.
- Alors la vie est une crainte insensée. On ne peut vivre face à la mort et au néant de tout.
- La plupart ne pensent ni au néant ni à la mort.
- Et quand la fin approche, ils voient des ténèbres !
- Oui… ce jour là.
- Je comprends : à notre crainte, il nous faut une image et cette image nous l'appelons Dieu.
- Tu t'alarmes ?
- La mort m'a visité ce matin, nous jouons aux échecs. Ce délai me permet de vaquer à une affaire importante…
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jeudi, 05 août 2010
Les Basaltiques

Les Basaltiques
Opus en trois chants
Production AlmaSoror
Label Vol libre musica
Composé et réalisé en 2048, par deux musiciens-chanteurs qu’on croyait finis, les Basaltiques est une œuvre musicale d’une durée d’une heure et sept secondes. Les voix erratiques de John Peshran-Boor et Venexiana Atlantica, escaladant leurs instruments sulfureux, nous hissent aux sommets de la musique Beith.
L’année précédente, l’alliance entre John Peshran-Boor et Bob Mushran donna un alliage musical dissonant, avec le disque Lactose sidérale.
Les deux dieux de la musique Beith se sont fâchés. C’est donc vers la diva Venexiana Atlantica, native de Saint Jean en Ville -la ville blanche, encore nommée ville aux salamandres - que John Peshran-Boor s’est tourné pour continuer sa démarche de cocréation.
L’opus qui résulte de cette collaboration déçoit par son conformisme, et souffre de la comparaison avec Lactose sidérale. Il étonne, cependant, par son son épuré. Les basaltiques est une composition musicale en trois chants, dont voici l’architecture :
Intro Minérale
Chant I Marées
Chant II Latitudes
Chant III Fort Bastiani
Final de l’aurore
Nous donnerons au-dessous de cet article l’architecture complète des Basaltiques, œuvre à cheval entre le roman musical et la symphonie pour instruments et voix.
Parmi les grands moments des Basaltiques, il faut citer le long duo - qu’on pourrait appeler duel - entre la batterie et la flûte à bec, qui précède le chant citadelle, dans la partie III Fort Bastiani.
L’ouverture du chant II Latitudes constitue également un moment d’anthologie, dans la version enregistrée par Venexiana Atlantica elle-même. Elle émaille en effet son chant de notes harmoniques, qui ressemblent à des chants d’oiseaux. Ceci nous rappelle qu’au-delà des scandales que cette chanteuse a pu soulever, par exemple en exigeant que l’administration et la communauté humaines reconnaissent son adoption par le chien husky Stacyo, faisant d’elle l’enfant légitime d’un chien, ou encore en payant des tueurs à gages pour assassiner son ex-amante Sofia Sombreur-Noir, afin de se venger d’une infidélité, au-delà donc des scandales dont elle a gratifié les masses humaines ahuries par ses frasques il ne faut jamais oublier l’artiste, c’est-à-dire la compositrice de Beith et la chanteuse à la voix éblouissante qui n’a cessé de repousser les limites de la voix et du souffle, nous offrant le vibrato le plus long et tremblant du monde.
Dans le chant I Marées, le morceau Autel apparaît irréel, miracle de simplicité où piano acoustique et voix se cherchent et se trouvent en une comptine si naïve qu’on oublie le temps d’une chanson que John Peshran-Boor et la diva Venexiana sont les auteurs de l’œuvre. Les interludes sont tous très intéressants compositalement - et c’est le Finale de l’aurore qui atteint les sommets avec ses contrastes entre les envolées de flûtes à bec, flûtes traversières, chants harmoniques et violons tandis qu’en bas planent au-dessus des enfers les lourdeurs sauvages des contre-harpes, du basson et des basses électriques agrémentés de batterie et de volutes de fumée électro-pianistiques.
Venexiana Atlantica s’est retirée de la scène au mois de Ventôse, après le premier concert des Basaltiques, qui eut lieu à Buenos Aires. Personne ne peut expliquer la raison exacte de cet adieu à la gloire. On sait que, la nuit qui suivit le concert, elle ne dormit pas. Sur la terrasse de sa chambre de grand luxe, elle parcourut le quatuor de Los Angeles, c’est-à-dire ces quatre romans de James Ellroy : Le Dalhia noir, le Grand Nulle Part, L.A. Confidential et White Jazz.
Elle annonça au petit-déjeuner son intention de se cloîtrer au couvent de Santa Catalina, dans la ville d’Arequipa, au Pérou. Depuis l’édification des murailles hautes de Saint Jean en Ville, elle ne vivait qu’avec des billets d’avion toujours prêts pour se rendre en urgence à Arequipa ou à Alger-Centre, deux villes blanches qui lui rappelaient sa ville natale, et, seules, calmaient ses angoisses d’étouffement.
John Peshran-Boor s’est donc trouvé, en la personne de Lilas L.S. Snuk, une interprète pour les Basaltiques. Lilas Snuk donne un ton nouveau aux Basaltiques, avec sa voix mitigée, marmoréenne, un peu rauque. Du duo original il nous reste un enregistrement. C’est vers lui qu’il faudra se tourner pour puiser à la source inspiratrice initiale de l’œuvre, même si Lilas L.S. Snuk a su l’enrichir en l’interprétant.
Edith de Cornulier-Lucinière
Les basaltiques est une composition musicale en trois chants, dont voici l’architecture :
Intro Minérale
Chant I Marées
Chant II Latitudes
Chant III Fort Bastiani
Final de l’aurore
Chacun de ces chants contient trois chants, ainsi :
Chant I Marées
Séjour lunaire
Funboard
Autel
Chant II Latitudes
Le van
Venise
Les étoiles parachèvent
Chant III Fort Bastiani
Citadelle
L’ange du mal
L’ennemi
L’opus compte également une intro, un final et deux interludes. Voici donc le plan complet de l’œuvre :
Intro minérale
Chant I Marées
Séjour lunaire
Funboard
Autel
Interlude 23 KFL-8000 Cimetière marin
Chant II Latitudes
Le van
Venise
Les étoiles parachèvent
Interlude 20 KFL-9000 (évangile)
Chant III Fort Bastiani
Citadelle
L’ange du mal
L’ennemi
Finale de l’aurore
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mercredi, 04 août 2010
Encore un peu d'Hopper ?

"Il est difficile de peindre en même temps un extérieur et un intérieur".
Edward Hopper

"Le dessein de Hopper était de peindre la lumière ; en réalité, il a peint l'éclairage".
Ivo Kranzfelder
AlmaSoror vous invite à lire quelques extraits du sociologue Richard Sennett et quelques phrases du peintre Edward Hopper. Sans se rencontrer, ils auraient vécu dans le même atelier new-yorkais, Sennett après Hopper bien sûr puisque il est d'une génération plus tardive. L'un a-t-il peint ce que l'autre a décrit ? (Comme c'est drôle cette expression : l'idéologie de l'intimité).
"La chaleur humaine est devenue notre divinité"
"Aujourd'hui, l'idée qui domine est que la proximité est une valeur morale en soi. L'autre aspect dominant, c'est l'aspiration à épanouir son individualité par l'expérience de la chaleur humaine et la proximité des autres...
Domine aussi le mythe selon lequel l'anonymat, l'aliénation et la froideur seraient responsables de tous les maux de la société. De ces trois aspects découle l'idéologie de l'intimité : les relations sociales quelles qu'elles soient sont d'autant plus réelles, crédibles, authentiques qu'elles se rapprochent des besoins psychiques profonds de chacun. Cette idéologie de l'intimité transforme toutes les catégories politiques en catégories psychologiques. Elle définit l'humanité d'une société sans dieux : la chaleur humaine est devenue notre divinité."
"La disparition des murs augmente l'efficacité du travail"
"Le concept de "mur transparent" est utilisé par les architectes non seulement pour la structure extérieure des constructions mais aussi à l'intérieur. Le décloisonnement des bureaux entraîne la suppression de tout ce qui gêne la vue ; l'étage entier devient un espace unique et ouvert ou un espace central entouré d'une couronne de bureaux cloisonnés. La disparition des murs augmente l'efficacité du travail, nous assurent les concepteurs, car chez les gens qui travaillent toute la journée sous le contrôle visuel des autres, la tendance à entamer une conversation baisse et la concentration s'accroît. Lorsque chacun se sent surveillé par l'autre, la sociabilité diminue parce que le silence apparaît alors comme le seul moyen de se protéger".
Richard Sennett
"Les loisiristes sont emprisonnés dans l'absurdité de leur conduite".
"Le temps libre apparaît chez Hopper tout aussi désolant que le travail (...). Chez Hopper, les "loisiristes", comme les appellent Horkheimer et Adorno dans leur Dialectique de la raison (1947) sont emprisonnés dans l'absurdité de leur conduite. (...) Les hôtels représentent un domaine intermédiaire, celui du travail comme celui du loisir. La différence entre comportement dans le travail et comportement dans le loisir est une pure fiction : les personnes se comportent finalement presque toujours de la même manière, quel que soit le lieu où elles se trouvent. (...) Selon Hopper, tout changement de résidence est lui-même une fiction. La condition humaine est immuable."
Ivo Kranzfelder, in Hopper (éditions Taschen)
"Très peu de ce qui est important est créé par l'esprit conscient".
"Tant de choses dans l'art sont l'expression de l'inconscient que j'ai l'impression parfois que presque toutes les qualités importantes sont d'origine inconsciente et que très peu de ce qui est important est créé par l'esprit conscient. Mais c'est aux psychologues de débrouiller ces problèmes".
Edward Hopper
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