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lundi, 07 février 2011

Deutsche Grammophon : Concerto n°1 pour piano en ré mineur, op 15. Le texte de la pochette (I)

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Phot E.T.

 

Nous poursuivons notre entreprise de recopiage des pochettes de certains disques 33 tours, parce que ces textes étaient intéressants et bien écrits, et qu'ils risquent de tomber aux oubliettes.

 

Voici le texte de la pochette du disque Deutsche Grammophon, collection PRESTIGE, « Johannes Brahms, Concerto n°1 pour piano en ré mineur », interprété par le pianiste Émile Guilels et dirigé par Eugen Jochum (orchestre philharmonique de Berlin).

1972

 

Voici la première partie du texte, celle qui traite de Brahms. Une autre, que nous recopierons ultérieurement, traite du fabuleux pianiste Émile Guilels et du chef d'orchestre Eugen Jochum.

 

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Phot Sara

 

Les deux concertos pour Brahms occupent une place à part dans l'histoire du genre, non seulement à cause de leur valeur intrinsèque mais aussi par leur rôle dans l'évolution artistique du compositeur.

 

Avec celui en ré mineur terminé en 1857, le jeune Brahms se libérera des conflits qui l'oppressaient depuis la fin de ses années d'études à Hambourg. Il avait pris, non sans atermoiement, la résolution d'être un créateur plutôt qu'un interprète, c'est-à-dire un compositeur plutôt qu'un pianiste, pensant ainsi pouvoir réussir bien que – ou contraire parce que – s'unissent indissolublement dans l'élaboration d'une oeuvre musicale problèmes personnels et problèmes techniques. La genèse du concerto reflète clairement les tourments qui présidèrent à la domination de ces conflits. Il en résultat une oeuvre non exempte certes de scories mais dont la sincérité passionnée ne pouvait laisser personne indifférent, une oeuvre dont l'ambition était d'élever le concerto au niveau de la symphonie et apporter ainsi un ton nouveau au genre. Si cette ambition se réalisa pleinement sur le plan émotionnel, ce ne fut que partiellement sur celui technique et formel. Les réactions du monde musical furent partagées. Accueilli jusque là favorablement sans toutefois être reconnu comme le génie annoncé par Schumann en 1853 dans un article retentissant, Brahms se vit pour la première fois placé au centre de controverses artistiques passionnées. Pour la première fois aussi, il devint évident qu'on avait à faire à un compositeur dont dépendrait l'avenir de la musique.

 

À l'origine, le Concerto en ré mineur devait être une sonate pour deux pianos. Brahms commença à y travailler en avril 1854. Deux mois plus tard, il écrivait à son ami Joseph Joachim qu'il voulait l'abandonner car deux pianos ne lui suffisaient plus. En juillet 1854, il essaya d'en remanier le premier mouvement sous une forme symphonique mais dut bien vite reconnaître que ses connaissances de l'orchestre étaient encore trop limitées pour réussir un tel travail. L'oeuvre resta donc en souffrance. C'est seulement six mois plus tard qu'il trouva la solution du conflit existant entre sonate et symphonie et son manque de connaissance dans ce domaine, solution qui lui apparut en rêve : « Imaginez ce que j'ai rêvé cette nuit, écrivit-il à Clara Schumann, « j'avais fait de ma symphonie avortée un concerto pour piano ». Il était à prévoir cependant que d'autres problèmes allaient à plus forte raison s'accumuler autour d'un tel projet. C'est seulement après trois ans et demi de travail pénible entrecoupé de crises de doute et de désespoir que Brahms pouvait dire fin décembre 1857 que ce travail était « enfin terminé ».

 

La création de l'oeuvre eut lieu le 22 janvier à Hanovre et reçut un accueil favorable mais, lors de la première exécution à Leipzig, fief du conservatisme, cinq jours plus tard, elle connut un échec total : un critique anonyme la massacra de fond en comble, ne voyant en elle que des déchaînements chaotiques de sonorités nouvelles. Des critiques plus compréhensifs, qui surent ultérieurement apprécier l'oeuvre comme « symphonie avec piano obligé », ne changèrent pas grand'chose à l'attitude du parti conservateur : Brahms était catalogué « progressiste » ; c'est seulement quand il se fut nettement désolidarisé de Liszt et de Wagner et que les composantes classiques de son oeuvre se furent clairement dégagées, que les partis devaient changer de front.

 

Que le concerto en ré mineur ne puisse pas renier sa genèse n'est guère étonnant : la sonorité orchestrale souvent surchargée et les problèmes formels du premier mouvement parlent assez clairement dans ce sens et les tendances configuratives de l'ensemble, souvent contradictoires et non entièrement clarifiées, ne font pratiquement corps que par la grandiose puissance de la conception initiale, que par la subjugante et débordante profusion des thèmes. « Symphonique », l'oeuvre l'est principalement par cette grandeur d'intentions, par les ambitions externes et internes et aussi par le fait que la virtuosité pianistique y est entièrement subordonnée au travail symphonique ; d'autre part elle se désolidarise de la forme du concerto « symphonique » en quatre mouvements (avec scherzo), établie par Litolff et Liszt, en faveur des trois mouvements traditionnels.

 

Le premier mouvement constitue sur le plan formel une grandiose tentative pour résoudre d'une manière nouvelle le problème fondamental du concerto, à savoir l'union de la forme sonate et du principe concertant. Cette solution ne réside pas, comme chez Mendelssohn et Schumann, en un dialogue permanent du tutti et du soliste, mais dans l'extention de l'exposition, dans la combinaison de la reprise de l'exposition au piano avec le développement thématique, dans la variation thématique progressive et dans la superposition à l'ensemble formel d'un dialogue largement développé entre tout l'orchestre et le piano. Du fait de la multiplicité de ses thèmes et de son extension, ce premier mouvement ne laisse que difficilement reconnaître la logique musicale ; son sens ne se révèle clairement que lorsqu'on l'aborde sous l'optique du caractère des thèmes. La grandiose gestique du début domine la forme et le caractère de l'ensemble : tout ce qui y succède est une confrontation thématique avec ce motif dont la puissance fatidique, symbolisée par les points d'orgue menaçants, reste finalement victorieuse. La forme musicale, tout à fait dans le courant de la conception beethovénienne qui a marqué la musique symphonique du milieu du siècle, est une « mise en action «  dramatique des thèmes.

 

C'est ce à quoi répond l'Adagio qui, présentant comme le finale de multiples attaches thématiques avec le premier mouvement, fait succéder au drame une atmosphère de tranquillité lyrique et un sentiment de résignation dans l'épisode médian en si mineur. Dans la partition autographe, Brahms a placé sous les cinq premières mesures des cordes les mots « Benedictus qui venit in nimine Domine », allusion directe tant à la parenté du thème avec celui de la « Missa Solemnis » de Beethoven qu'au caractère expressif qu'il a voulu donner au mouvement.

 

Le Finale, rondo en forme sonate de dimensions gigantesques, conclut en résolvant les conflits dans une héroïque activité et une détente bucolique. Là encore, le parrainage de Beethoven est manifeste et ce n'est pas par hasard si la coda en ré majeur, qui célèbre la victoire remportée, est introduite par une cadence du piano à la fin de laquelle apparaît une nette allusion au passage «wo dein sanfter Flügel weilt » de la 'Neivième Symphonie ».

 

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