Mathilde et ses mitaines (mercredi, 12 janvier 2011)
Voici un extrait de Mathilde et ses mitaines, de Tristan Bernard (1921. Très agréablement illustré par J.G. Daragnès). Nous partageons le début du palpitant premier chapitre.
I
Il était un peu plus de minuit quand Firmin Remongel descendit du Métro à la station de "Couronnes", et prit la rue mal éclairée qui le menait à son domicile.
Pourquoi était-il venu habiter à Belleville, lui qui faisait son droit de l'autre côté des ponts ?
C'est que Belleville n'était pas loin du faubourg du Temple. Or, c'était dans ce faubourg que le père de Firmin, fabricant de chapeaux de paille à Vesoul, avait l'habitude de descendre, depuis vingt-cinq ans, chaque fois qu'il venait à Paris. De sorte que, pour toute la famille Remongel, le faubourg du Temple était devenu une espèce de centre exploré, et à peu près sûr au milieu de ce vaste Paris mal connu et suspect. Il n'était pas prudent du tout de s'aventurer dans les autres quartiers.
Cette conception un peu spéciale de la géographie parisienne avait trompé le jeune Firmin. Il avait cru innocemment qu'en traversant le boulevard extérieur, pour aller louer à quelques centaines de mètres, il ne s'égarerait pas trop loin de la zone tutélaire.
Décidé par la modicité du prix, bien qu'il ne fût pas avare, il avait loué une petite chambre très confortable dans une maison meublée, d'ailleurs fort convenablement habitée, mais qu'on ne pouvait atteindre qu'après avoir traversé deux ou trois rues inquiétantes où l'on voyait se glisser, passé onze heures du soir, trop d'ombres précautionneuses. Une fois la maison choisie, et son adresse envoyée à sa famille, il n'osa donner congé, car il eût fallu s'avouer à lui même qu'il n'était pas rassuré, et son courage traditionnel s'y refusait.
Il se fit la promesse tacite de ne pas rentrer trop tard le soir.
"Il vaut mieux, se dit-il avec sagesse, que je travaille à la maison plutôt que d'aller perdre mon temps dans les cafés."
Il devint donc, par peur de rentrer tard, l'étudiant austère et laborieux qui refuse systématiquement toutes les invitations.
Mais ce soir-là, il n'avait pu couper à un dîner trimestriel d'une société d'étudiants franc-comtois.
Après le dîner, qui fut suivi d'un concert d'amateurs, les étudiants de Franche-Comté se dispersèrent. Un certain nombre d'entre eux cependant restèrent agglomérés et se dirigèrent vers les lieux de plaisir.
Firmin, exceptionnellement, eût accepté de les accompagner, quitte à ne rentrer chez lui qu'au petit jour...
Mais ses camarades jugèrent qu'ils avaient déjà trop détourné de son travail ce vertueux garçon. Firmin s'en alla seul et prit le Métro qui l'amenait à dix minutes de chez lui.
Pendant son trajet dans le Métro, il s'efforçait de songer à son actuel sujet d'études. C'était les testaments... Alors il pensa à un autre chapitre du Code.
Malgré lui, il revenait toujours à un souvenir impressionnant de la nuit précédente. Dans son premier sommeil il avait été réveillé par un cri qui venait de la rue.
C'était un cri assez effrayant, un de ces cris "vrais" qui ne ressemblent pas du tout à ceux qu'on entend au théâtre, ni à des cris d'enfant qui pleure. Ce n'était pas non plus le cri d'un malade qui veut se faire plaindre et que sa painte même soulage. C'était certainement un cri arraché à la douleur, un cri d'être humain en détresse et qui n'a pas de recours.
Firmin s'était réveillé et avait couru à sa fenêtre, qui donnait sur un petit carrefour. Il avait vu fuir deux ombres qui lui semblèrent être deux hommes et qui disparurent tout de suite au tournant de la rue. Et cette fuite était aussi effrayante que le bruit entendu. Elle avait, comme lui, quelque chose d'éperdu et de soudain.
Etait-ce une attaque nocturne ? Etait-ce une bataille d'apaches ?
Tristan Bernard
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Commentaires
Mathilde est revenue. La Franche-Comté. Tout cela donne bien envie de lire. Aura-t-on la suite sur AlmaSoror ou doit-on se procurer le livre ?
Écrit par : galette comtoise | mercredi, 12 janvier 2011
On peut se procurer une édition de Mathilde et les mitaines sur Internet.
On peut contacter la rédac'chef d'AlmaSoror pour venir lire ce roman chez elle, avec un thé, par un dimanche après-midi. On peut, en insistant vraiment, obtenir d'elle qu'elle mette d'autres passages, mais pour taper le roman entier, il faudrait vraiment être très convaincant !
Merci galette comtoise de ton passage.
Édith
Écrit par : AlmaSoror | mercredi, 12 janvier 2011
N'étant pas tout à fait certaine d'être suffisamment convaincante, bien qu'une galette comtoise devrait pouvoir obtenir tout ce qu'elle désire, j'opterai sans doute pour la deuxième solution.
Merci pour cette belle invitation.
Écrit par : galette comtoise | mercredi, 12 janvier 2011