mercredi, 12 décembre 2012
Sur la monarchie de juillet
"Louis Veuillot détestait ce régime bourgeois jouisseur, pratiquement athée, qui donnait à l'ouvrier des maîtres pour lui vendre l'eau, le sel et l'air, pour lever la dîme de ses sueurs, pour lui demander le sang de ses fils".
Fernand Mourret "L'Eglise contemporaine"
Quelques extraits de La monarchie de juillet, de Thureau-Dangin
Guizot parle sur la démocratie :
"Nous avons tous, presque tous, conquis nos grades à la sueur de notre front et sur le champ de bataille. Voilà la vraie liberté, la liberté féconde, au lieu de cette démocratie envieuse, jalouse, inquiète, tracassière, qui veut tout abaisser à son niveau, qui n'est pas contente si elle voit une tête dépasser les autres têtes"
Guizot
Discours de Guizot du 6 décembre 1834 :
"Il y a des peurs viles et honteuses, et il y a des peurs sages et raisonnables... Savez-vous pourquoi l'on ferme les yeux sur les dangers ? C'est parcequ'on a peur... Savez-vous ce qu'on fait quand on a peur des passions populaires ? On dit qu'elles n'existent pas, que cela passera. Et les passions populaires passent en effet, mais comme un torrent torrent qui dévaste tout devant lui."
Molé achète les voix à coups de subventions :
"Sur 459 députés, on ne comptait pas moins de 191 fonctionnaires : ceux qui ne l'étaient pas pour eux-même avaient à caser ou à faire avancer des parents, des amis, des clients. Ce mal n'était pas né avec Molé ; il datait du jour où avait été dissous le cabinet du 11 octobre, où les partis s'étaient trouvés déclassés, morcelés, mêlés, désorientés, et où les compétitions de personnes avaient remplacé au Parlement, les luttes de principes".
Tirés de revues clandestines en août 1838 :
"Guerre à mort entre vous qui jouissez d'une insolente oisiveté et nous qui souffrons depuis longtemps"
"... Le temps approche où le peuple exigera, les armes à la mains que ses biens lui soient restitués"
Lu dans La Monarchie de juillet Thureau-Dangin
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lundi, 03 décembre 2012
Gesril
Un souvenir d'enfance de Chateaubriand, qui parle de Gesril.
Gesril, meilleur ami de l'écrivain et compagnon des jeux et des bêtises de son enfance, sera fusillé à la Révolution. La France est la gouvernante des enfants Chateaubriand.
"J"allais avec Gesril à Saint-Servan, faubourg séparé de Saint-Malo par le port marchand. Pour y arriver à basse mer, on franchit des courants d'eau sur des ponts étroits de pierres plates, que recouvre la marée montante. Les domestiques qui nous accompagnaient, étaient restés assez loin derrière nous. Nous apercevons à l'extrémité d'un de ces ponts deux mousses qui venaient à notre rencontre ; Gesril me dit : "Laisserons-nous passer ces gueux-là ," et aussitôt il leur crie : A l'eau, canards !". Ceux-ci, en qualité de mousses, n'entendant pas raillerie, avancent ; Gesril recule ; nous nous plaçons au bout du pont, et saisissant des galets, nous les jetons à la tête des mousses. Ils fondent sur nous, nous obligent à lâcher pied, s'arment eux-mêmes de cailloux, et nous mènent battant jusqu'à notre corps de réserve, c'est-à-dire jusqu'à nos domestiques. Je ne fus pas comme Horatius frappé à l’œil : une pierre m'atteignit si durement que mon oreille gauche, à moitié détachée, tombait sur mon épaule.
Je ne pensai point à mon mal, mais à mon retour. Quand mon ami rapportait de ses courses un oeil poché, un habit déchiré, il était plaint, caressé, choyé, rhabillé : en pareil cas, j'étais mis en pénitence. Le coup que j'avais reçu était dangereux, mais jamais La France ne put me persuader de rentrer, tant j'étais effrayé. Je m'allais cacher au second étage de la maison, chez Gesril qui m'entortilla la tête d'une serviette. Cette serviette le mit en train : elle lui représenta une mitre ; il me transforma en évêque, et me fit chanter la grand'messe avec lui et ses sœurs jusqu'à l'heure du souper. Le pontife fut alors obligé de descendre : le cœur me battait. Surpris de ma figure débiffée et barbouillée de sang, mon père ne dit pas un mot ; ma mère poussa un cri ; La France conta mon cas piteux, en m'excusant ; je n'en fus pas moins rabroué. On pansa mon oreille, et monsieur et madame de Chateaubriand résolurent de me séparer de Gesril le plus tôt possible."
Mémoires d'Outre-tombe - François-René de Chateaubriand
(Photo : au large des Sables d'Olonne, par Mavra V-N)
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jeudi, 22 novembre 2012
Souvenir de l'école primaire : deux poésies d'automne
« Automne malade et adoré
Tu mourras quand l'ouragan soufflera dans les roseraies
Quand il aura neigé
Dans les vergers
Pauvre automne
Meurs en blancheur et en richesse
De neige et de fruits mûrs
Au fond du ciel
Des éperviers planent
Sur les nixes nicettes aux cheveux verts et naines
Qui n'ont jamais aimé
Aux lisières lointaines
Les cerfs ont bramé
Et que j'aime ô saison que j'aime tes rumeurs
Les fruits tombant sans qu'on les cueille
Le vent et la forêt qui pleurent
Toutes leurs larmes en automne feuille à feuille
Les feuilles
Qu'on foule
Un train
Qui roule
La vie
S'écoule»
Guillaume Apollinaire
«Je vais vous dire ce que me rappellent tous les ans, le ciel agité de l’automne, les premiers dîners à la lampe et les feuilles qui jaunissent dans les arbres qui frissonnent ; je vais vous dire ce que je vois quand je traverse le Luxembourg dans les premiers jours d’octobre, alors qu’il est un peu triste et plus beau que jamais ; car c’est le temps où les feuilles tombent une à une sur les blanches épaules des statues.
Ce que je vois alors dans ce jardin, c’est un petit bonhomme qui, les mains dans les poches et sa gibecière au dos, s’en va au collège en sautillant comme un moineau.
Ma pensée seule le voit ; car ce petit bonhomme est une ombre ; c’est l’ombre du moi que j’étais il y a vingt-cinq ans ; Vraiment, il m’intéresse, ce petit : quand il existait, je ne me souciais guère de lui ; mais, maintenant qu’il n’est plus, je l’aime bien.
Il valait mieux, en somme, que les autres moi que j’ai eus après avoir perdu celui-là. Il était bien étourdi; mais il n’était pas méchant, et je dois lui rendre cette justice qu’il ne m’a pas laissé un seul mauvais souvenir ; c’est un innocent que j’ai perdu : il est bien naturel que je le regrette ; il est bien naturel que je le voie en pensée et que mon esprit s’amuse à ranimer son souvenir.
Il y a vingt-cinq ans, à pareille époque, il traversait, avant huit heures, ce beau jardin pour aller en classe. Il avait le coeur un peu serré : c’était la rentrée».
Anatole France
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mercredi, 21 novembre 2012
Fragment de Nietzsche
« Tous les peuples se couvrent de honte lorsqu'on se réfère à une société de philosophes si merveilleusement exemplaire : celle des premiers maîtres en Grèce, Thalès, Anaximandre, Héraclite, Parménide, Anaxagore, Empédocle, Démocrite et Socrate. Tous ces hommes sont taillés tout d'une pièce et dans le même roc. Une stricte nécessité régit le lien qui unit leur pensée et leur caractère. Toute convention leur est étrangère, car la classe des philosophes et des savants n'existaient pas à l'époque. Ils sont tous, dans leur grandiose solitude, les seuls qui, en ce temps-là, aient vécu pour la seule connaissance. Tous possèdent cette vigoureuse énergie des Anciens par quoi ils surpassent toute leur postérité, l'énergie de trouver leur forme propre, et d'en poursuivre, grâce à la métamorphose, l'avènement dans son plus infime détail et dans son ampleur la plus grande. Aucune mode en effet n'est venue leur prêter main-forte et leur faciliter les choses. Ils forment ainsi, à eux tous, ce que Schopenhauer, par opposition à la République des savants, a appelé une République des génies. Les géants s'interpellent à travers les intervalles désertiques de l'histoire et, sans qu'il soit troublés par les nains insouciants et bruyants qui continuent à ramper au-dessous d'eux, leur sublime dialogue entre esprits se poursuit ».
Friedrich Nietzsche
La philosophie à l'époque tragique des Grecs (vers 18701-73)
Chapitre premier
Traduction J-L Backe, M Haar & B de Launay
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lundi, 12 novembre 2012
Le journal de Léonard
"A l'âge de trois ans, l'homme atteint la moitié de sa taille (d'adulte).
A dimensions égales, une femme pèsera moins qu'un homme.
Dans l'eau, une femme morte a la face tournée vers le fond, un homme en sens contraire".
Leonard de Vinci
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mardi, 30 octobre 2012
Trois poèmes de Renée Vivien
Chanson pour mon Ombre
Mon ombre suit, à pas de louve,
Mes pas que l’aube désapprouve.
Mon ombre marche à pas de louve,
Droite et longue comme un cyprès.
Elle me suit, comme un reproche,
Dans la lumière du matin.
Je vois en elle mon destin
Qui se resserre et se rapproche.
A travers champs, par les matins,
Mon ombre suit, comme un reproche.
Mon ombre suit, comme un remords,
La trace de mes pas sur l’herbe
Lorsque je vais, portant ma gerbe,
Vers l’allée où gîtent les morts.
Mon ombre suit mes pas sur l’herbe,
Implacable comme un remords.
Ne rencontreront pas mes yeux noirs de tourment,
Puisque ma douleur t’aime harmonieusement,
O lys vierge, ô blancheur de nuage et d’écume !
Tu ne connaîtras point l’effroi qui me consume,
Car je sais épargner au corps frêle et dormant
La curiosité de mes lèvres d’amant,
Mes lèvres que l’Hier imprégna d’amertume.
Seule, lorsque l’azur de l’heure coule et fuit,
Je te respirerai dans l’odeur de la nuit
Et je te reverrai sous mes paupières closes.
Portant, comme un remords, mon orgueil étouffant,
J’irai vers le Martyre ensanglanté de roses,
Car mon cœur est trop lourd pour une main d’enfant.
à la perverse Ophélie
Les évocations de ma froide folie
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lundi, 29 octobre 2012
Gamal Abdel Nasser en 1953 : le charme et la liberté
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samedi, 27 octobre 2012
Jean-Christophe, de Romain Rolland
Le mardi soir, entre novembre 2011 et septembre 2012, fut consacré au roman-fleuve de Romain Rolland, Jean-Christophe. Des êtres venus d'ici ou de là se rassemblèrent le mardi soir pour lire à haute voix ce long roman.
Voici l'électro-page qui nous permit de suivre la lecture même si l'on ne venait pas tous les mardis. Vous y trouverez les résumés des séances de lecture et les prénoms de ceux qui vinrent lire.
Le Salon littéraire d'Edith continue. Pour en savoir plus, il faut cliquer sur le mot Mystère...
A quelques centaines de mètres de l'immeuble où Jean-Christophe a été écrit, nous lisons dans une petite pièce au fond d'une cour, entre 20h30 et 22h00.
De nombreuses personnes arrivent sur cette page en ayant tapé "résumé de Jean Christophe de Romain Rolland" dans les moteurs de recherche. Il y a donc d'autres êtres humains qui lisent en ce moment Jean-Christophe, ou bien qui doivent avoir l'air de l'avoir lu, peut-être obligés par leur professeur ! Dans ce dernier cas il doit s'agir de pays (ex-)socialistes car ce sont eux qui ont gardé la lampe rollandienne allumée tandis que nous, Français, nous l'oubliions.
Quelques liens avant de lire le résumé de nos séances :
Un article de Chantal Serrière
Un article de 1922, paru dans le cinquième numéro de la Revue Anarchiste, sur Romain Rolland.
Un article du Figaro à propos de la réédition de 2007, due à Francis Esménard
Résumés des lectures
Mardi 8 novembre 2011
Officiants
Laure ; Alexandre ; Francis ; Vincent ; Dominique ; Jean-Pierre ; Stéphanie ; Emmanuel ; Édith
Romain Rolland a inventé l'expression « roman-fleuve » ; il a inventé l'expression « sentiment océanique », qu'on trouve dans sa correspondance avec Sigmund Freud. Il a milité pour l'Europe fraternelle ; il a été l'ami de Tolstoï et de son disciple Gandhi ; il a, comme eux, défendu les animaux. Il a été un pionnier de la musicologie.
Son roman Jean-Christophe, qui lui a fait obtenir le prix Nobel, a rendu ardents et fébriles d'enthousiasme des jeunes gens du monde entier pendant toute la première partie du XXème siècle. Dans le monde communiste il est demeuré un héros. Aujourd'hui, il est davantage lu et étudié à l'étranger que dans notre bonne vieille France.
Mais son Jean-Christophe a été conçu, et les premiers jets ont été écrits, au 162 boulevard du Montparnasse, dans l'obscurité.
C'est pourquoi, aujourd'hui, dans l'obscurité, un petit groupe de têtes fêlées se rassemble au 13 boulevard du Montparnasse le mardi soir, pour lire à voix haute le premier texte qu'on a appelé "roman-fleuve", l'histoire de Jean-Christophe Krafft.
Durant cette première lecture, nous avons appris des choses sur la naissance et l'enfance de notre héros.
"Aux âmes libres de toutes les nations qui souffrent, qui luttent et qui vaincront", telle est la dédicace de ce fleuve littéraire.
Suit la description de l'enfance : jeux, vitalité, amour, haine, peurs, chocs, craintes... Magnifique portrait d'enfant, sans aucune mièvrerie. Tout l'homme à venir est contenu dans le tout petit Christophe...
"Les ombres fuient, le soleil monte. Christophe commence à retrouver son chemin dans le dédale de la journée.
Le matin... Ses parents dorment. Il est dans son petit lit, couché sur le dos. Il regarde les raies lumineuses qui dansent au plafond. C'est un amusement sans fin. A un moment, il rit tout haut, d'un de ces bons rires d'enfant qui dilatent le coeur de ceux qui les entendent. Sa mère se penche vers lui, et dit : "Qu'est-ce que tu as donc, petit fou ?" Alors il rit de plus belle, et peut-être même il se force à rire, parce qu'il a un public. Maman prend un air sévère, et met un doigt sur sa bouche, pour qu'il ne réveille pas le père ; mais ses yeux fatigués rient malgré elle. Ils chuchotent ensemble... Brusquement, un grognement furieux du père. Ils tressautent tous deux. Maman tourne précipitamment le dos, comme une petite fille coupable, elle fait semblant de dormir. Christophe s'enfonce dans son petit lit et retient son souffle..."
Mardi 15 novembre 2011
Officiants
Dominique, Jean-Pierre, Vincent, Agnès, Emmanuel, Francis, Laure, Edith
Nous avons lu les premières révoltes du petit Jean-Christophe, qui découvrait les différences sociales : sa mère Louisa est cuisinière chez des bourgeois, à qui elle parle avec déférence. Son beau costume est en fait un vieux costume du fils des bourgeois, ce que celui-ci fait remarquer en ricanant.
Jean-Christophe se révolte aussi contre l'école.
Il refuse d'être un enfant prodige du piano dont on exploite les dons.
Il découvre enfin que son père Melchior est alcoolique et en subit les effets.
Mais son grand-père Jean-Michel est une ressource vivifiante ; le monde imaginaire, la capacité d'invention, de contemplation, la vie mentale, sont également des ressources et des grandes forces de l'enfant. Le style de Romain Rolland est toujours aussi ample et beau.
Officiants :
Francis, Dominique, Vincent, Agnès, Anne, Emmanuel, Caroline, Édith
Petit musicien prodige, il ressent l'humiliation d'être utilisé, d'être montré comme un singe savant à la cour ducale : que fait-on de sa dignité ? Comment les membres de sa famille peuvent-ils se comporter volontiers en valets ?
Les exemples autour de lui sont contradictoires : les Krafft, musiciens de talent, ambitieux, volontiers valets envers les ducs mais aussi volontiers méprisants envers le peuple, s'opposent à sa famille maternelle, plus simple, sans haute culture, mais aussi plus libre. Où se situer, que choisir entre ces deux modèles ?
Jean Christophe en tout cas est décidé à devenir compositeur de musique. La vie est ambivalente : grands moments de douleur et de maltraitance, visions extatiques musicales et mystiques, magnifiques promenades nocturnes au son des grenouilles et des grillons, sous les étoiles.
Le style de Romain Rolland est toujours aussi somptueux, ample, à la fois structuré et poétique : comment se fait-il qu'on l'ait tant oublié ?
Mardi 29 novembre
Officiants
Vincent St, Dominique, Anthony, Jérémie, Alexandre, Caroline, Agnès, Laure, Edith
L'enfance est derrière nous, Jean-Christophe, après la mort de son cher grand-père Jean-Michel Krafft, est entré dans l'adolescence.
Devenu soutien de famille, il travaille sans cesse.
Un jour, dans un bateau, il rencontre un garçon, Otto. Ils font connaissance et c'est la première fois que Jean-Christophe, d'ordinaire si solitaire, si loin des enfants de son âge, a un ami.
Cette amitié entre Christophe et Otto est passionnelle, mais après quelques mois de passion suprême on sent poindre le dépit mutuel.
Mardi 6 décembre
Officiants
Vincent Pt, Laure, Agnès, Émilie, Anthony, Vincent St, Emmanuel, Édith
L'adolescence continue et avec elle son cortège d'amères amours.
L'amitié qui liait Otto et Christophe a crevé comme un ballon, disparu aussi vite qu'elle est née. D'ailleurs, Otto est parti étudier loin, à l'université.
Mais une autre histoire, non moins passionnelle, débute entre Christophe et sa nouvelle voisine Minna de Kérich. Quand la charmante madame de Kérich réalise la flamme naissante entre sa fille et le jeune professeur de piano de celle-ci, sa sympathique bienveillance envers le garçon fond comme neige au soleil. Elle emmène Minna en vacances dans la belle et grande ville de Francfort et s'applique à lui faire oublier le jeune garçon, certes doué et amoureux, mais incapable de tenir une fourchette correctement ou de mâcher bouche fermée.
Christophe se rend brutalement compte qu'il est devenu persona non grata chez les Kérich, une humiliation de plus dans sa vie qui n'en a pas manqué, entre un père alcoolique et flambeur, une mère d'un milieu social inférieur aux célèbres musiciens Krafft, ses désirs d'être un artiste libre et sa posture de valet-musicien.
13 décembre 2011
Officiants
Mavra, Dominique, Vincent St, Edith
Après l'humiliation due à la rupture forcée d'avec Minna, Christophe se morfond dans les abîmes du désespoir.
Et puis une nuit, on frappe à la porte. Il entend sa mère aller ouvrir, pousser un cri effrayant ; il se précipite ; devant la porte de la maison, Melchior est là, étendu sur une civière. Il s'est noyé.
La mort de son père éveille Christophe, le sort de sa torpeur. Mais sa mère Louisa, elle, perd le sens de sa vie. Elle devient vieille. Elle n'a plus de mari à soutenir, d'enfants en bas à âge. Elle n'a plus goût à la vie.
Christophe s'occupe d'elle, lui promet de rester avec elle.
L'argent vient à manquer... On se décide à aller emménager dans un appartement, au-dessus de chez des vieux amis.
Adieu, belle maison, adieu souvenirs de la gloire passée des musiciens Krafft !
Dans la nouvelle maison, loin du fleuve, il y a du bruit, de l'inconfort. Christophe est assailli par une crise intérieure : il ne croit plus en Dieu !
Et puis tout son être est mangé par une étrange métamorphose. C'est l'adolescence, la vraie, fracassante, qui s'immisce en lui et lui fait risquer de perdre tout ce qu'il avait construit.
Alors se pose une nouvelle question, qui terrasse toutes les autres, qui met sa vie en jeu.
Qui est-il vraiment ?
13 janvier 2012
Officiants
Mavra, Vincent St, Dominique, Vincent P, Laure, Théo, Jérémie, Edith
Stupeur totale dès le début de la lecture. Notre éthéré Jean-Christophe, ébloui par la beauté des nuages, assailli par d'étranges flux intérieurs, se jette sur une paysanne dans un champ ! La jeune fille le griffe, le rue de coup, s'en débarrasse. Christophe abattu se terre plusieurs semaines chez lui. Mais, en face de chez lui, habite Sabine. Elle est belle et libre et mystérieuse, jeune veuve avec une fillette. Ils prennent contact tout doucement, quelque chose va avoir lieu... Et nous finissons la lecture par un profond abattement. Sabine est morte en l'absence de Christophe.
Dernier paragraphe : "Chacun remonte à son tour le calvaire des siècles. Chacun retrouve l'espoir désespéré des siècles. Chacun remet ses pas dans les pas de ceux qui furent, qui luttèrent avant lui contre la mort, nièrent la mort, - sont morts."
10 janvier
Officiants
Anthony, Laure, Dominique, Mavra, Aurélie, Vincent P, Emilie, Alexandre, Francis, Emmanuel, Edith
Jean-Christophe s'enferme en lui-même après le deuil de Sabine, jusqu'à ce qu'il rencontre dans un bois une jeune femme délurée en train de manger des prunes. Avec Otto, avec Minna, avec Sabine, tout avait été si platonique que nous avons été étonnés par nos jeunes amants dont la première nuit fut si torride. Au réveil, Christophe trouve Ada laide, mais quand elle s'éveille elle semble à nouveau belle et l'histoire d'amour se poursuit. La bourgeoisie de la ville est choquée, Christophe se fâche avec ses logeurs qui le critiquent devant sa mère. Il se fâche tellement fort que Christophe et sa mère Louisa doivent trouver une autre maison.
Au moment du déménagement, réapparait Ernst, un des jeunes frères de Christophe. Criblé de dettes, sans rien, malade, il est accueilli comme le fils prodige par Louisa et Christophe, qui ne savent pas qu'il est manipulateur. Christophe présente Ada à Ernst : perfides, ils sortent ensemble pour narguer Christophe. La séance s'est terminée sur la stupeur douloureuse de Christophe qui vient de le comprendre.
17 janvier 2012
Officiants
Mavra, Laure, Dominique, Sophie, Théo, Edith
Trompé par son amante Ada et par son frère Ernst, Christophe plonge dans une vie de débauche jusqu'à la visite de l'oncle Gottfried, le frère de sa mère, humble colporteur qui lui rappelle en quelques mots que Christophe vaut mieux que cela.
Christophe s'éveille alors à nouveau à lui-même et se remet à la création musicale. Il éprouve de grandes déceptions en réalisant que l'oeuvre des plus grands maîtres allemands ne sont pas exemptes de facilités, de fadaises. Il clame bien haut son mépris et décide, lui, d'être au-dessus de tout ce qui a pu être composé avant lui. Il énerve ses collègues par son arrogance et au moment où nous avons terminé la séance, Jean-Christophe achève la répétition générale avec ses musiciens, juste avant le premier concert où il s'exposera comme compositeur devant la ville entière, pour la première fois.
24 janvier
Officiants
Mavra, Vincent St, Dominique, Emilie, Vincent P, Aleixandre, Emmanuel, Edith
Le premier concert de Christophe dans sa ville est un échec. Christophe en profite pour développer son amertume, déjà bien présente. Il rencontre dans un café un jeune homme, Franz Mannheim, fils du banquier juif Lothar Mannheim, qui l'initie à un petit groupes de snobs composés de fils de famille juifs et nobles, qui voudraient se prendre pour des anarchistes, des originaux, des révoltés.
Christophe rencontre Judith, la soeur de Franz. Ils se séduisent intellectuellement mais ne s'aiment pas. Christophe devient critique dans la revue du petit groupe de snobs.
Il éreinte les compositeurs, les musiciens, les divas, le public, ce qui effraye la ville. Il ose enfreindre le "tabou" journalistique et prend la liberté d'éreinter un confrère, de s'attaquer non plus aux musiciens, mais aux critiques musicaux. Alors, l'ostracisme commence.
8 février
Officiants
Mavra, Jérémie, Vincent P, Dominique, Laure, Emmanuel, Théo, Francis, Edith
Jean Christophe se rapproche d'un groupe de wagnériens patentés, mais se lasse vite de leur admiration servile pour un maître qu'ils estiment indépassable. Plus que jamais lassé de l'esprit allemand, il va un soir au théâtre voir une pièce jouée par une troupe française, sans espoir, les Français étant encore plus vulgaires que les Allemands. De fait, le rôle d'Hamlet est tenu par une femme traverstie. Christophe s'étrangle de rage et méprise cette époque (XIX°siècle) qui va jusqu'à confondre les sexes, quand soudain l'actrie qui joue Ophélie apparaît. Fasciné par cette femme, Christophe va lui porter son admiration le lendemain. Il découvre qu'elle a bon goût en musique. Une amitié s'établit entre eux. Christophe entre ainsi, via Corinne, en contact avec la France...
14 février
Officiants
Mavra, Vincent P, Jérémie, Aleixandre, Vincent S, Emilie, Edith
L'espiègle Corinne disparait dans ses tournées lointaines. L'autre française, une petite jeune femme timide qui a perdu son travail de gouvernante à cause de Christophe (ou plutôt d'une machination ourdie par Mannheim) rentre en France. Christophe se dispute avec ses amis de la revue dans laquelle il écrit.
On joue une de ses oeuvres de façon ridicule à seule fin de se ridiculiser. Privé de sa revue, il écrit dans un journal socialiste pour répondre à l'humiliation dont on a couvert sa musique, mais c'est un journal qui couvre de boue, chaque jour, son patron le Grand Duc. Celui-ci le vire, lui retire son statut de musicien officiel et sa protection.Il s'enfuit vers le Rhin, se retrouve là où son père s'est noyé, songe à se noyer. Mais les beaux yeux d'une vache qui pait, la fraicheur d'une fillette, la beauté humide de la terre, l'en empêchent. Il embrasse un arbre, crie son amour pour la vie. Souffrir même, c'est être vivant ! Il aime être vivant !
Christophe compose dans la solitude. Il prend sur lui de publier sa musique à ses frais, mais l'éditeur qu'il contacte est nullissime, l'arnaque et ne vend aucun exemplaire.
21 février
Officiants
Mavra, Caroline, Vincent P, Théo, Dalila, Aleixandre, Anthony, Jérémie, Vincent S, Francis, Laure, Edith
Jean-Christophe ruiné doit trouver un travail. Il devient professeur de musique (sous-payé) dans une école, où il ne se fait pas bien voir. Dans son malheur et sa solitude il rencontre le couple des Reinhart, monsieur et madame sont disgracieux (Romain Rolland insiste), d'une grande gentillesse, d'une grande ouverture d'esprit, très épris l'un de l'autre. Christophe trouve du confort et se rend chaque soir chez ses nouveaux amis. Mais cette amitié est vue d'un mauvais oeil par la bourgeoisie de la ville, qui hait Christophe et ne peut comprendre une telle amitié. Des lettres anonymes, envoyées sans relâche à M Reinhart, à son épouse et à Christophe, dénoncent une liaison entre Madame Reinhart et Christophe. Bien que ces allégations soient fausses, le harcèlement harasse nos amis, trouble leur amitié. Ils décident de ne plus se voir.
Christophe à nouveau tout seul part à la recherche de Hassler, le musicien que, petit enfant, il avait regardé avec émerveillement. Hassler avait dit au petit prodige de venir le voir quand il serait grand et qu'il aurait besoin de conseils.
Christophe entreprend un voyage pour rencontrer le Maître et trouve un Hassler vieilli, prétentieux, fatigué et vulgaire. Hassler trouve de l'intérêt aux compositions de Christophe, il montre qu'il les trouve supérieures à tout ce qui se fait, mais son enthousiasme retombe, il replonge en léthargie, nargue Christophe qui se trouve dans la rue, grosjean comme devant.
28 février
Officiants
Mavra, Anthony, Laure, Vincent S, Dalila,Théo, Vincent P, Eric, Dominique, Philippe, édith
Jean-Christophe, désespéré de sa rencontre avec Hassler, écrit à Shulz, le vieil universitaire musicien qui lui avait écrit des lettres si pleines d'admiration, et auquel il avait répondu sans générosité. Mais il a besoin d'approbation et annonce donc sa visite à son admirateur. Celui-ci est fou de joie. Il appelle ses deux meilleurs amis pour partager la joie de rencontrer leur idole. Christophe prend le train. Hassler pendant ce temps se repent d'avoir si mal reçu un musicien si doué et écrit une lettre à l'hôtel de Christophe : trop tard, celui-ci est parti de la ville.
Christophe passe deux jours en compagnie de Shulz et de ses deux amis, à faire de la musique et se promener. Pour Schulz, ce sont des moments merveilleux que cette rencontre avec un musicien tant admiré, dont les oeuvres ont bouleversé sa vie. Mais Christophe repart en train, puis, faute d'argent, compte finir à pied la route jusqu'à sa ville (60 kilomètres). En chemin, il s'arrête dans une chaumine paysanne. Là, il découvre un objet qui appartenait à son oncle maternel Gottfried, le colporteur plein d'humilité et de sagesse. Il s'exclame de surprise ; on lui explique que Gottfried était un ami de la maison et que c'est ici qu'il est mort...
6 mars
Officiants
Mavra, Vincent P, Laure, Dalila, Emilie, Edith
Jean-Christophe chez cette famille apprend des choses sur la vie de son oncle mystérieux. Puis il reprend la route et regagne sa petite ville. Là, il y retrouve cette vie devenue morne, sans amis, sans amours, sans possibilité professionnelle.
Il souhaite émigrer en France et s'attèle à son projet mais sa mère, épouvantée d'être séparée de son seul compagnon de vie, lui fait des scènes telles qu'il n'ose plus partir. Il se résout donc à vivre dans le malheur et le désespoir et sa seule joie est d'observer une jeune fille d'un village voisin, dont il se croit amoureux et qui le trouve ridicule. Un soir qu'il se rend à une fête de village pour observer la jeune fille à son aise, il salue sa mère et lui souhaite une bonne nuit. Elle est belle dans la lumière de sa chambre... Il ignore que cette image est la dernière qu'il emportera d'elle.
Lors de la fête, des militaires débarquent et malmènent les paysans. Lorsqu'un militaire s'en prend à la fille aimée, Christophe réagit et se bat. Encouragés, les paysans se redressent et s'en prennent aux militaires. Une échaffourée a lieu. Plusieurs militaires sont gravement blessés ; d'autres vont chercher du renfort. C'est alors que les paysans réalisent l'étendue du désastre : ils seront sévèrement punis. Ils décident de faire porter la faute à Christophe, mais l'amoureuse moqueuse s'est pris de respect pour lui et exige qu'on ne lui fasse pas tout payer. Christophe toutefois doit passer la frontière, pour ne pas être arrêté. Il écrit un mot à sa mère, que la jeune fille promet de porter, et fuit vers la frontière.
13 mars
Officiants
Dominique, Mavra, Vincent S, Edith
Jean-Christophe arrive... à Paris ! Paris est sale, Paris est mal-accueillant, Paris est cher, Paris est snob et arrogant... Et Christophe pleure dans son lit ultracrade de la trop chère chambre de l'Hôtel de la Civilisation, non loin de la gare du Nord.
Christophe est maladroit, gauche, il parle dans un français épouvantable et d'ailleurs les gens de son hôtel le surnomment "Choucroute" ou "Le Prussien".
Il retrouve Otto Diener, l'ami fusionnel de ses quatorze ans... Mais Otto le snobe. Il va alors chercher Sylvain Kohn, qu'il maltraitait à l'école... Et Sylvain Kohn, qui s'appelle maintenant Hamilton, l'accueille très bien et lui fait rencontrer un éditeur de musique.
à noter, entre la fin du quatrième livre (La Révolte) et le début de La Foire sur la Place, un "Dialogue de l'auteur avec son ombre", où Romain Rolland et Christophe s'entretiennent de la personnalité de Christophe, de savoir lequel est l'ombre de l'autre... "Comme tu as grandi ! Je te préférais enfant", dit Romain Rolland à Christophe...
20 mars
Officiants
Laure, Mavra, Dominique, Vincent P, Vincent S, Edith
"Tout musique expressive, descriptive, suggestive, en un mot toute musique qui voulait dire quelque chose, était taxée d'impure. - Dans chaque Français, il y a un Robespierre. Il faut toujours qu'il décapite quelqu'un ou quelque chose, afin de le rendre pur".
Passionnant lecture où la vie intellectuelle et politique parisienne de l'époque est décrite. Comme c'est d'actualité ! Christophe est supris par le nombre de Français portant des noms étrangers, levantins, slaves, etc. Le débat sur le droit d'auteur fait rage. Enfin la création de la Schola Cantorum est relatée.
Christophe se familiarise avec Paris, il dit même "tu parles !" de temps en temps. Il méprise la musique française et l'orgueil français le stupéfie... Mais un jour, ses amis Sylvain Kohn, dit Hamilton et Théophile Gougeart, critique musical incompétent, l'emmènent écouter Pelléas et Mélisandre. Alors Christophe, d'abord perplexe, comprend qu'il se passe quelque chose musicalement.
27 mars
Officiants
Jérémie, Mavra, Emmanuel, Edith
Nous avons appris l'expression sicut amori lupanar. Ce que le lupanar est à l'amour. (Exemple : Le nutella est au chocolat sicut amori lupanar, autant dire un succédané méprisable).
Nous avons accompagné Christophe dans sa révolte contre l'atroce monde littéraire et théâtral français : apologie de l'immoralité sexuelle, concurrence des auteurs pour choquer le bourgeois, incapacité du bourgeois parisien à être choqué par quoi que ce soit, théâtre subventionnés grassement ne servant que des auteurs pitoyables à la mode, critiques ménageant leurs amis ou carrément achetés par un théâtre ou un éditeur, hyperprésence des auteurs cosmopolites, venus de partout, sans réelle origine française.
Un des passages qui nous a plu se trouve ici.
3 avril
Officiants
Vincent P, Dominique, Emilie, Vincent S, Laure, Edith
Très belle description d'un Paris qui court après la libéralisation des moeurs (sexuelles), dominé par des socialistes qui cassent du bourgeois en public et en privé font d'excellentes affaires. Tous les artistes se doivent être de gauche. Très belle description enfin de la Séparation de l'Eglise et de l'Etat. Et, pour la première fois, nous savons exactement la date des événements vécus par Jean-Christophe ! Nous sommes en 1905. Une des élèves de Christophe, Colette, devient sa confidente. Mais ils se fâchent parce qu'elle veut papillonner dans un monde hypocrite, ce qui énerve Christophe. Lui-même, entrevoit la possibilité de devenir un chef de file, de se créer une cour de parasites admirateurs qui le soutiendraient... Mais il détruit cette possibilité, parce qu'il sent au fond de lui qu'il est fait pour quelque chose de réellement grand. Il se met à composer comme un fou. Toutefois, ayant refusé de jouer aux côteries, il ne trouve nulle salle où jouer ses oeuvres.
Et la dernière phrase de notre lecture fut : "Christophe travaillait donc en paix, attendant des temps meilleurs, quand lui vint un secours inattendu".
10 avril
Officiants :
Anthony, Vincent P, Mavra, Dominique, Laure, Dalila, Théo, Edith
Christophe devient le professeur de Grazia, jeune cousine italienne de Colette. Grazia, timide, âgée de 14 ans, orpheline de mère, a été amenée à Paris de force par son oncle et sa tante "pour son bien", alors qu'elle et son père auraient préféré vivre ensemble en Italie.
Grazia est une mauvaise élève de piano et Christophe ne la ménage pas. Grazia parvient à demander à son père de la reprendre en Italie et il le fait avec soulagement. Elle repart donc et d'Italie envoie une lettre à Christophe, mais la lettre se perd et il ne la reçoit pas. Romain Rolland nous annonce : "Christophe ignorait la naïve affection, qui de loin veillait sur lui, et qui devait plus tard tenir tant de sa place dans sa vie".
Christophe n'a pas de quoi se nourrir à sa faim. Il vit dans une mansarde de Montmartre, plus misérable encore que la précédente. Il vit de musique et de visions, marche dans la ville. Il s'est fâché avec beaucoup de connaissances parisiennes. Il a la nostalgie de la musique allemande.
Au concert, il se trouve souvent en même temps qu'une petite "grisette" parisienne. Ils ne se parlent presque pas, ne se voient qu'au concert mais sont heureux d'exister l'un pour l'autre.
Un jour, par désoeuvrement, Christophe entre au Louvre. Il y déambule et finit par tomber en arrêt devant Le Bon Samaritain de Rembrandt. Il défaille tant il est subjugué par cette peinture. En sortant du Louvre, il parvient à rentrer chez lui à grand peine. Il se met au lit et tombe dans un délire. A son réveil, fiévreux, une femme le veille. C'est Sidonie, une domestique qui habite dans une mansarde sur le même palier et qui l'a entendu gémir.
Sidonie lui donne une autre image de la France : "Il découvrait avec surprise l'intransigeante honnêteté de Sidonie. (...) Elle avait son orgueil aristocratique. Car c'est une sottise de croire que qui dit : peuple, dit : populaire. Le peuple a ses aristocrates, de même que la bourgeoisie a ses âmes de la plèbe. (...) Il entrevoyait, peut-être pour la première fois, ce peuple de France, qui donne l'impression d'une durée éternelle, qui fait corps avec sa terre, qui a vu passer, comme elle, tant de races conquérantes, tant de maîtres d'un jour, et qui ne passe point".
17 avril
Officiants :
Mavra, Jérémie, Vincent, Anthony, Dominique, Dalila, Edith
Grâce aux soins de Sidonie, Christophe guérit. Elle tombe amoureuse de lui et attend sans doute une geste de sa part. Il ne s'en rend pas compte. Elle démissionne de sa place de domestique et quitte l'immeuble, sans que Christophe comprenne que c'est à cause de lui.
Requinqué, il recommence ses travaux lassants pour l'éditeur de musique Hecht, dans une grande solitude. Il reçoit un jour une invitation de madame Roussin à une Soirée. Il accepte sans joie, pour sortir de son isolement.
Au cours de cette soirée, il fait la connaissance d'un jeune homme pale, sérieux, ultratimide. Ce jeune homme s'appelle Olivier Jeannin et il aime profondément la musique de Christophe.
Alors nous plongeons soudain dans l'histoire d'Olivier, Romain Rolland nous raconte toute son enfance. Nous découvrons que ce nom de Jeannin ne nous est pas inconnu : c'est le nom de l'institutrice française que Christophe avait invité inopinément un soir au théâtre en Allemagne, invitation à cause de laquelle elle avait perdu sa place et avait dû revenir en France. D'elle il n'avait su qu'une chose : qu'elle était le seul soutien de son jeune frère parisien. Le jeune frère est donc Olivier. Nous le savons, nous lecteurs, mais lui, Christophe, n'a pas encore fait le rapprochement entre l'institutrice Antoinette et le jeune parisien Olivier Jeannin.
L'enfance d'Olivier et de sa soeur Antoinette prend de nombreuses pages, parmi lesquelles ce passage descriptif :
"Au-dehors, le bruit du maréchal ferrant dans la forge d'en face, la danse boiteuse des marteaux sur l'enclume, le halètement du soufflet poussif ; l'odeur de la corne grillée, les battoirs des laveuses accroupies au bord de l'eau, les coups sourds du couperet du boucher dans la maison voisine, le pas d'un cheval sonnant sur le pavé de la rue, le grincement d'une pompe, le pont tournant sur le canal, les lourds bateaux, chargés de pile de bois, lentement défilant, halés au bout d'une corde, devant le jardin suspendu, la petite cour dallée, avec un carré de terre, où poussaient deux lilas, au milieu d'un massif de géraniums et de pétunias, les caisses de lauriers et de grenadiers en fleurs sur la terrasse au-dessus du canal ; parfois, le vacarme d'une foire sur la place voisine, les paysans en blouse bleue luisante, et les cochons braillants... Et le dimanche, à l'église, le chantre qui chantait faux, le vieux curé qui s'endormait en disant la messe, la promenade en famille sur l'avenue de la gare, où l'on passait son temps à échanger des coups de chapeau cérémonieux avec d'autres malheureux, qui se croyaient également obligés à se promener ensemble, - jusqu'à ce qu'enfin on arrivât dans les champs ensoleillés, au-dessus desquels, invisibles, se balançaient les alouettes, - ou le long du canal miroitant et mort, des deux côtés duquel les peupliers alignés frissonnaient... Et puis, c'était les grands dîners, les mangeries interminables, où l'on parlait de mangeaille, avec science et volupté : car il n'y avait là que des connaisseurs ; et la gourmandise est, en province, la grande occupation, l'Art par excellence. Et l'on parlait aussi d'affaires et de gauloiseries et, ça et là, de maladies, avec des détails sans fin... - Et le petit garçon, assis dans son coin, ne faisait pas plus de bruit qu'une petite souris, grignotait, ne mangeait guère, et écoutait de toutes ses oreilles. Rien ne lui échappait ; ce qu'il entendait mal, son imagination y suppléait."
24 avril 2012
Officiants :
Dominique, Vincent S, Mavra, Vincent P, Marc, Stéphanie, Emmanuel, Edith
C'est la première fois depuis le début du roman que nous n'avons pas entendu mentionner Jean-Christophe pendant toute la lecture.
Nous poursuivons l'enfance d'Olivier Jeannin et de sa soeur Antoinette. Le père est un riche banquier, fils de banquier, la famille est influente dans tout le voisinage.
Mais monsieur Jeannin fait de mauvaise affaires (des emprunts miteux) et se ruine. Il se tire une balle dans la tête. Son épouse et ses enfants font face à des créanciers impitoyables (les amis d'hier !) ; l'Eglise refuse d'enterrer un suicidé ; la mère et ses deux enfants vendent tout et partent à Paris.
Paris les accueille mal : arnaque des commerçants, mépris de la famille de madame Jeannin, qui ne veut pas s'encombrer de cette femme et de ses deux enfants ruinés et humiliés.
Alors madame Jeannin se met au travail. Sa fille Antoinette aussi. Le fils Olivier fréquente le lycée. Vie de privations, d'humiliation mais aussi de grand amour partagé à trois. Et puis madame Jeannin meurt, accablée par les travaux. Les deux enfants se retrouvent seuls. Antoinette pourvoit aux soins de son frère et à ses études en travaillant tant qu'elle peut. Olivier et elle vivent dans la solitude, l'affection fraternelle, l'amour de la musique et la misère. Olivier peu à peu grandit et Antoinette découvre avec tristesse que l'adolescence de son frère lui arrache un ange. Car Olivier entre dans l'âge ingrat.
La dernière entrevue entre Olivier et son père : "Ils s'assirent. Une belle nuit de septembre. Le ciel limpide et obscur. L'odeur sucrée des pétunias se mêlait à l'odeur fade et un peu corrompue du canal sombre, qui dormait au pied du mur de la terrasse. Des papillons du soir, des grands sphinx blonds, battaient des ailes autour des fleurs, avec un ronflement de petit rouet. Les voix calmes des voisins assis devant leurs portes, de l'autre côté du canal, résonnaient dans le silence. Dans la maison, Antoinette jouait sur son piano des cavatines à fioritures italiennes. M. jeannin tenait la main d'Olivier dans sa main. Il fumait. L'enfant voyait dans l'obscurité qui lui dérobaient peu à peu les traits de son père la petite lumière de la pipe, qui se rallumait, s'éteignait par bouffées, se rallumait, finit par s'éteindre tout à fait. Ils ne causaient point. Olivier demanda le nom de quelques étoiles".
Vincent P a photographié, au cours d'une balade aux Lilas, ceci :
Premier mai
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Mavra, Laure, Dominique, Vincent P, Théo, Vincent S, Jérémie, Francis, Dalila, Edith
Antoinette et Olivier poursuivent leur vie de solitude et de labeur. Olivier rate son bac une première fois, non par incapacité intellectuelle mais par une trop grande émotion face à la pression des concours, à la pression qui pèse sur lui. Pour les deux jeunes gens c'est un drame ; mais ils n'en montrent rien et l'année suivante Olivier repasse le bac. Ils craignent bien qu'il échoue à nouveau, pourtant il est admissible, puis admis. La soeur offre alors à son frère des vacances en Suisse. C'est là que la maladie d'Antoinette, qui couvait, se déclare. Antoinette s'est trop sacrifiée ces dernières années. Elle a épuisé ses forces vitales. Nous revivons les trois rencontres ayant eu lieu entre Antoinette et Christophe (au théâtre en Allemagne, dans le train allemand, au milieu des voitures parisiennes), cette fois-ci vu du point de vue d'Antoinette. Antoinette et Olivier un soir à Paris vont au concert : c'est précisément un concert de Christophe Krafft, où celui-ci se fait huer. Antoinette reconnaît le jeune homme allemand, elle achète ses partitions, et trouve celle dédiée à "ma pauvre chère petite victime", avec la date de leur rencontre au théâtre (elle avait perdu sa place d'institutrice en Allemagne pour cette soirée). C'est une sorte d'accomplissement de son amour, même si entre elle et Christophe tout n'est qu'une suite de rencontres ratées. Elle lui écrit une lettre d'amour et d'appel au secours un soir, mais range la lettre dans un livre, "Puis elle se coucha, grelottante de fièvre. Le mot de l'énigme se découvrait : elle sentait s'accomplir en elle la volonté de Dieu. Et une grande paix descendit en elle".
8 Mai
Officiants
Mavra, Laure, Vincent S, Dominique, Vincent P, Dalila, Anthony, Jérémie, Edith
Nous assistâmes au début d'une merveilleuse amitié, quasi-amoueuse, entre Olivier Jeannin et Jean-Christophe Krafft, une amitié qui pousse Christophe à dire à Olivier, le lendemain de leur rencontre : "je vous aime".
Les deux jeunes hommes aménagent ensemble, en colocation.
Romain Rolland, réputé pour être un pacifiste internationaliste, consacre de longues pages sur la beauté de la race française, et sur la douleur du peuple français, écrasé sous l'hyperprésence des métèques (extrait ici).
15 mai
Officiants
Mavra, Marie-Thérèse, Vincent S, Francis, Dominique, Vincent P, Ingrid, Edith
Romain Rolland, à travers la relation d'amitié entre les colocataires Olivier et Christophe, poursuit ses considérations sur la France décadente. Il note que des idées, telles que "La France aux Français", ne sont pas réellement françaises, puisque la France est universelle. Comment fait-elle alors pour lutter contre la décadence métèque ? Par l'universalité ! La France a un estomac énorme : elle ingère et digère l'étranger : le Nord trouble, le Midi barbare et l'Orient vénéneux.
"- Voudrais-tu que je reprisse la vieille devise de haine : Fuori Barbari ! ou : la France aux Français !
- Pourquoi pas ? dit Christophe.
- Non, ce ne sont pas là des paroles françaises. En vain les propage-t-on chez nous, sous couleur de patriotisme. Bon pour les patries barbares ! La nôtre n'est point faite pour la haine. Notre génie ne s'affirme pas en niant ou détruisant les autres, mais en les absorbant. Laissez venir à nous et le Nord trouble et le Midi bavard...
- Et l'Orient vénéneux ?
- Et l'Orient vénéneux : nous l'absorberons comme le reste ; nous en avons absorbé bien d'autres ! Je ris des airs triomphants qu'il prend et de la pusillanimité de certains de ma race. Il croit nous avoir conquis, il fait la roue sur nos boulevards, dans nos journaux, nos revues et nos scènes de théâtre, sur nos scènes politiques. Le sot ! Il est conquis. Il s'éliminera de lui-même, après nous avoir nourris. La Gaule a bon estomac ; en vingt siècles, elle a digéré plus d'une civilisation."
Mardi 22
Officiants
Agnès, Dominique, Anthony, Claudine, Mireille, Francis, Théo, Vincent S, Edith
Jean-Christophe et Olivier mènent une vie de bohème. Romain Rolland nous décrit leur voisins, leur immeuble... Ils sont soutenus par un homme nommé Mooch, pour lequel Christophe éprouve des sentiments ambivalents car il est Juif. (Il lui dit : "Quel malheur que vous soyiez Juif !", ce qui fait honte à Olivier). Mooch répond finement : "C'est un bien plus grand malheur d'être un homme".
À cause de Colette Stevens (une ancienne élève de Christophe, que nous avions vu il y a quelques chapitres), qui répète des confidences d'Olivier à la terre entière et surtout à Lucien Levy-Bruhl, ennemi de Christophe, celui-ci et Olivier sont en froid. Christophe se bat en duel contre Levy-Bruhl ; personne n'est blessé ni ne meurt car ils ne savent pas tirer. Au retour du duel, réconciliation entre Christophe et Olivier.
Mardi 29
Officiants
Laure, Dominique, Mavra, Vincent P, Emmanuel, Marie-Thérèse, Vincent S, Dalila, Francis, Edith
Long passage sur les relations de voisinage entre Christophe, Olivier et leurs voisins.
Mardi 5 juin
Officiants
Jérémie, Mavra, Sonia, Dominique, Sophie, Anthony, Théo, Aleixandre, Ingrid, Dalila, Edith
Une séance dense.
Les relations entre l'Allemagne et la France se distendent, on croit à la guerre, Christophe et Olivier sont déchirés dans leur amitié franco-allemande... Mais l'orage passe, la guerre n'est pas déclarée.
Christophe reçoit une lettre de sa mère, qui veut le revoir avant de mourir. Olivier se saigne, déposant au Mont-de-Piété des objets chers à son coeur, pour que Christophe puisse prendre le train pour l'Allemagne. Christophe arrive à temps pour voir sa mère, l'embrasser avant qu'elle ne meure, mais il doit fuir la police et c'est Olivier, arrivé à sa suite grâce à l'argent de Mooch, qui s'occupe de l'enterrerment avec les frères indifférents de Christophe.
Christophe revoit le Rhin près duquel il a grandi avant de passer la frontière...
Retour à Paris : Christophe devient enfin célèbre. Les journalistes se pressent chez lui, chacun veut le voir et produire ses opéras. Il est un "génie" officiel. Christophe se laisse un peu griser, sans être dupe ; Olivier est inquiet et se demande si le caractère entier de son ami ne va pas le pousser à dire quelque bêtise et à faire scandale.
Mardi 12 juin
Officiants
Anthony, Mavra, Emmanuel, Laure, Vincent P, Alexandre, Fabien, Marie-Thérèse, Edith
Olivier et Christophe rencontrent une jeune femme riche nommée Jacqueline Langeais, charmante, d'à peine vingt ans. Ils s'en éprennent tous deux - mais elle aime Olivier. Christophe s'en rend compte et se met au service de leur histoire d'amour. Il convainc les réticences du père de Jacqueline. Olivier et Jacqueline se marient à la mairie, refusant l'église. Christophe s'apprête à composer pour leur mariage mais l'idée d'un mariage républicain le hérisse. Olivier et Jacqueline partent en voyage de noces en Italie, Olivier très lointain envers Christophe, tout à son nouvel amour...
"Christophe s'était fait beau, presque élégant, pour la cérémonie. Il n'y avait pas de mariage religieux : ni Olivier, indifférent, ni Jacqueline, révoltée, n'en avaient voulu. Christophe avait écrit pour la mairie un morceau symphonique ; mais au dernier moment, il y renonça, après s'être rendu compte de ce qu'est un mariage civil : il trouvait cette cérémonie ridicule. Il faut, pour y croire, être bien dépourvu de foi et de liberté, tout ensemble. Quand un vrai catholique se donne la peine de devenir libre penseur, ce n'est pas pour faire d'un fonctionnaire de l'état civil un prêtre. Entre Dieu et la libre conscience, il n'est aucune place pour une religion de l'Etat. L'Etat enregistre, il ne lui appartient pas d'unir".
Mardi 19 juin
Officiants
Mavra, Dominique, Vincent, Dalila, Francis, Edith
Olivier et Jacqueline s'aiment à la folie, puis s'ennuient ensemble, puis se délitent l'un dans l'autre. Le mariage d'Olivier et Jacqueline a éloigné Christophe, qui souffre et espère qu'il retrouvera un jour l'ami cher à son coeur.
Christophe à Paris rencontre une actrice, Françoise, célèbre, et dont l'enfance fut une vallée de larmes (coups, viols). Ils se parlent, par intermittence, et un jour ils sentent le désir monter et font l'amour. Nous nous sommes arrêtés précisément à ce moment.
Extrait :
"Elle s'ennuyait, s'ennuyait... Elle s'ennuyait d'autant plus qu'elle ne pouvait se donner comme excuse qu'elle n'était pas aimée, ou qu'elle ne pouvait souffrir Olivier. Sa vie lui paraissait bloquée, murée, sans avenir, elle aspirait à un bonheur nouveau, sans cesse renouvelé, - rêve enfantin que ne légitimait point la médiocrité de son aptitude au bonheur. Elle était comme tant d'autres femmes, tant de ménages désoeuvrés, qui ont toutes les raisons d'être heureux, et qui ne cessent de se torturer. On en voit qui sont riches, qui ont de beaux enfants, une bonne santé, qui sont intelligents et capables de sentir les belles choses, qui possèdent tous les moyens d'agir, de faire du bien, d'enrichir leur vie et celle des autres. Et ils passent leur temps à gémir qu'ils ne s'aiment pas, qu'ils en aiment d'autres, ou qu'ils n'en aiment pas d'autres, - perpétuellement occupés d'eux-mêmes, de leurs rapports sentimentaux ou sexuels, de leurs prétendus droits au bonheur, de leurs égoïsmes contradictoires, et discutant, discutant, jouant la comédie du grand amour, la comédie de la grande souffrance, et finissant par y croire... Qui leur dira :
- Vous n'êtes aucunement intéressants. Il est indécent de se plaindre, quand on a tant de moyens de bonheur !
Qui leur arrachera leur fortune, leur santé, tous ces dons merveilleux, dont ils sont indignes ! Qui remettra sous le joug de la misère et de la peine véritable ces esclaves incapables d'être libres, que leur liberté affole ! S'ils avaient à gagner durement leur pain, ils seraient contents de le manger. Et s'ils voyaient en face le visage terrible de la souffrance, ils n'oseraient plus en jouer la comédie révoltante...
Mais, au bout du compte, ils souffrent. Ils sont des malades. Comment ne pas les plaindre ? - La pauvre Jacqueline était aussi innocente de se détacher d'Olivier qu'Olivier l'était de ne pas la tenir attachée. Elle était ce que la nature l'avait faite. Elle ne savait pas que le mariage est un défi à la nature, et que, quand on a jeté le gant à la nature, il faut s'attendre à ce qu'elle le relève, et s'apprêter à soutenir vaillamment le combat qu'on a provoqué".
Mardi 26 juin
Officiants
Mavra, Laure, Vincent P, Emilie, Marie-Thérèse, Vincent S, Sonia, Jean-Baptiste, Dominique O-F, Sophie, Dalila, Gabriel, Edith
Jacqueline et Olivier ont un enfant ; Jacqueline n'arrive pas à aimer cet enfant. Elle n'arrive plus à aimer Olivier. Olivier est attendri par Jacqueline et par leur enfant.
Christophe est retourné en Allemagne, grâce à un diplomate, et il a revu Mina de Kerich, qui s'est mariée, et sa mère.
Passages intéressants sur le droit d'auteur musical...
Mardi 3 juillet
Officiants
Dominique, Laure, Mavra, Fabien-Côme, Vincent P, Dalila, Théo, Xenia, Aleixandre, Edith
Jacqueline quitte Olivier et l'enfant, dont on ignore toujours le nom.
Olivier est désespéré. Cécile Fleury, amie d'Olivier et Christophe, s'occupe du bébé ; l'amitié entre les deux hommes reprend, à ceci près que la dépression d'Olivier épuise Christophe, qui a besoin de vitalité, de puissance, de joie.
Long discours sur les femmes qui plaquent mari et enfant, tenu par madame Arnault, amie de Christophe. On condamne ces femmes de façon radicale, et pourtant, y a-t-il un fond à leur malheur ? Zweig, ami de Rolland, avait sûrement lu ce passage avant d'écrire ses 24 heures de la vie d'une femme.
Olivier ne sort pas de sa dépression, quand soudain il apprend que ses voisins, un couple ouvrier et leurs cinq enfants, se sont suicidés de misère. Nous en sommes là.
Extrait de la séance :
"Calme du coeur. Les vents suspendus. L'air immobile...
Christophe était tranquille ; la paix était en lui. Il éprouvait quelque fierté de l'avoir conquise. Et secrètement, il en était contrit. Il s'étonnait du silence. Ses passions étaient endormies ; il croyait, de bonne foi, qu'elles ne se réveilleraient plus.
Sa grande force, un peu brutale, s'assoupissait, sans objet, désoeuvrée. Au fond, un vide secret, un "à quoi bon", caché ; peut-être le sentiment du bonheur qu'il n'avait pas su saisir. Il n'avait plus assez à lutter, ni contre soi, ni contre les autres. Il n'avait plus assez de peine, même à travailler. Il était arrivé au terme d'une étape ; il bénéficiait de la somme de ses efforts antérieurs ; il épuisait trop aisément la veine musicale qu'il avait ouverte ; et tandis que le public, naturellement en retard, découvrait et admirait ses oeuvres passées, lui, s'en détachait, sans savoir encore s'il irait plus avant. Il jouissait, dans la création, d'un bonheur uniforme. L'art n'était plus pour lui, à cet instant de sa vie, qu'un bel instrument dont il jouait en virtuose. Il se sentait, avec honte, devenir dilettante".
Mardi 10 juillet
Officiants
Marc, Laure, Théo, Mavra, Vincent S, Edith
Horrifiés par ce suicide de misère, d'une famille ouvrière de cinq enfants, Olivier et Christophe se lancent à corps perdus dans le mouvement social. Ils y rencontrent des bourgeois qui mettent en avant d'hypothétiques origines pauvres, des bourgeois dont l'unique but, par masochisme, est d'anéantir leur propre classe, des ouvriers qui haïssent les bourgeois par essence et quelque soit leurs idées et actions, et enfin des ouvriers qui ont compris que la Syndicalisme et la Révolution pouvaient offrir de belles carrières. Ils y découvrent l'esprit bourgeois chez la plupart des ouvriers, qui auraient fait de bons bourgeois s'ils en avaient les moyens et dont l'unique révolte était de n'être pas né du bon côté du manche social.
Extrait : [La souffrance] "remplissait le monde. Le monde, cet hôpital... Ô douleurs, agonies ! Tortures de chair blessée, pantelante, qui pourrit vivante ! Supplices silencieux des coeurs que le chagrin consume ! Enfants privés de tendresse, filles privées d'espoir, femmes séduites et trahies, hommes déçus dans leurs amitiés, leurs amours et leur foi, lamentable cortège des malheureux que la vie a meurtris ! Le plus atroce n'est pas la misère et la maladie ; c'est la cruauté des hommes les uns envers les autres. Àpeine Olivier eut-il levé la trappe qui fermait l'enfer humain que monta vers lui la clameur de tous les opprimés : prolétaires exploités, peuples persécutés, l'Arménie massacrée, la Finlande étouffée, la Pologne écartelée, la Russie martyrisée, l'Afrique livrée en curée aux loups européens, les misérables de tout le genre humain. Il en fut suffoqué ; il l'entendait partout, il ne pouvait plus concevoir qu'on pensât à autre chose. Il en parlait sans cesse à Christophe. Christophe, troublé, disait :
- Tais-toi ! Laisse-moi travailler.
Et comme il avait peine à reprendre son équilibre, il s'irritait, jurait :
- Au diable ! Ma journée est perdue ! Te voilà bien avancé.
Olivier s'excusait.
- Mon petit, disait Christophe, il ne faut pas toujours regarder dans le gouffre. On ne peut plus vivre.
- Il faut tendre la main à ceux qui sont dans le gouffre.
- Sans doute. Mais comment ? En nous y jetant aussi ? Car c'est cela que tu veux. Tu as une propension à ne plus voir dans la vie que ce qu'elle a de triste. Que le bon Dieu te bénisse ! Ce pessimisme est charitable, assurément ; mais il est déprimant. Veux-tu faire du bonheur ? D'abord, sois heureux !
- Heureux ! Comment peut-on avoir le coeur de l'être, quand on voit tant de souffrances ? Il ne peut y avoir de bonheur qu'à tâcher de les diminuer.
- Fort bien. Mais ce n'est pas en allant me battre à tort et à travers que j'aiderai les malheureux. Un mauvais soldat de pus, ce n'est guère. Mais je puis consoler par mon art, répandre la force et la joie. Sais-tu combien de misérables ont été soutenus dans leurs peines par la beauté d'une chanson ailée ? À chacun son métier ! Vous autres de France, en généreux hurluberlus, vous êtes toujours les premiers à manifester contre toutes les injustices, d'Espagne ou de Russie, sans savoir au juste de quoi il s'agit. Je vous aime pour cela. Mais croyez-vous que vous avanciez les choses ? Vous vous y jetez en brouillons, et le résultat est nul, - quand il n'est pas pire... Et vois, jamais votre art n'a été plus fade qu'en ce temps où vos artistes prétendent se mêler à l'action universelle. Étrange, que tant de petits-maîtres dilettantes et roués s'érigent en apôtres ! Ils feraient beaucoup de verser à leur peuple un vin moins frelaté. - Mon premier devoir, c'est de faire ce que je fais, et de vous fabriquer une musique saine, qui vous redonne du sang et mette en vous le soleil.
Pour répandre le soleil sur les autres, il faut l'avoir en soi. Olivier en manquait. Comme les meilleurs d'aujourd'hui, il n'était pas assez fort pour rayonner la force à lui tout seul. Il ne l'aurait pu qu'en s'unissant avec d'autres. Mais avec qui s'unir ? Libre d'esprit et religieux de coeur, il était rejeté de tous les partis politiques et religieux".
Mardi 17 juillet
Officiants
Jérémie, Mavra, Francis, Dalila, Emmanuel, Marie-Thérèse, Jean-Pierre, Sonia, Lisa, Edith
Olivier et Jean-Christophe se jettent dans la militance sociale. Ils se lient avec le milieu militant ouvrier, et font connaissance d'Emmanuel, jeune garçon d'une dizaine d'années, fils d'une prostituée décédée, élevé par son grand-père chez qui il travaille comme apprenti. Emmanuel est bossu et il a une amie, Rainette, une petite infirme qui ne peut sortir de chez elle. Rainette est très catholique, Emmanuel n'attend que la Révolution, tous deux sont des enfants qui souffrent et rêvent d'une délivrance à travers les idées et les croyances de leurs parents, qu'ils répètent avec ferveur.
Un jour de premier mai, Olivier et Jean-Christophe se mêlent à des manifestations de travailleurs et de militants. Policiers et manifestants s'affrontent. Olivier voit le petit Emmanuel écrasé par la foule, il se précipite pour le sauver, mais alors qu'Emmanuel est sauf Olivier se prend des mauvais coups et les voisins le transportent au café, blessé.
Pendant ce temps, Jean-Christophe chante un hymne révolutionnaire de son cru, debout sur une barricade, ce qui le "mouille" auprès des autorités. Pour tout arranger, dans la bataille il contribue à la mort d'un policier.
A la fin de la manif, Olivier Jeannin, meilleur ami de Christophe et second héros de notre roman, se meurt, il rend ses derniers soupirs sous les larmes du petit garçon difforme qu'il a sauvé.
Pendant ce temps, Christophe, qui ignore tout de la blessure d'Olivier, est emmené par des amis vers la frontière, pour échapper à une arrestation.
EXTRAIT :
"L'enfant, retenant son souffle, écoutait le conte de fées que lui disait son grand ami. Et Olivier, à son tour, réchauffé par l'attention de son petit auditeur, se laissait prendre à ses propres récits.
Il est, dans la vie, des secondes décisives où, de même que s'allument tout d'un coup dans la nuit d'une grande ville les lumières électriques, s'allume dans l'âme obscure la flamme éternelle. Il suffit d'une étincelle qui jaillisse d'une autre âme et transmette à celle qui attend le feu de Prométhée. Ce soir de printemps, la tranquille parole d'Olivier alluma dans l'esprit que recelait le petit corps difforme, comme une lanterne bossuée, la lumière qui ne s'éteint plus. Aux raisonnements d'Olivier, il ne comprenait rien, à peine les entendait-il. Mais ces légendes, ces images qui étaient pour Olivier de belles fables, des sortes de paraboles, en lui se faisaient chair, devenaient réalité. Le conte de fées s'animait, palpitait autour de lui. Et la vision qu'encadrait la fenêtre de la chambre, les hommes qui passaient dans la rue, les riches et les pauvres, et les hirondelles qui frôlaient les murs, et les chevaux harassés qui traînaient leur fardeau, et les pierres des maisons qui buvaient l'ombre du crépuscule, et le ciel pâlissant où mourait la lumière, - tout ce monde extérieur s'imprima brusquement en lui, comme un baiser. Ce ne fut qu'un éclair. Puis, cela s'éteignit. Il pensa à Rainette, et dit :
- Mais ceux qui vont à la messe, ceux qui croient au bon Dieu, c'est pourtant des toqués.
Olivier sourit :
- Ils croient, dit-il, comme nous. Nous croyons tous à la même chose. Seulement, ils croient moins que nous. Ce sont des gens qui, pour voir la lumière, ont besoin de fermer leurs volets et d'allumer leur lampe. Ils mettent Dieu dans un homme. Nous avons de meilleurs yeux. Mais c'est toujours la même lumière que nous aimons.
Le petit retournait chez lui, par les rues sombres où les becs de gaz n'étaient pas encore allumés. Les paroles d'Olivier bourdonnaient dans sa tête. Il se disait qu'il est tout aussi cruel de se moquer des gens parce qu'ils ont de mauvais yeux que parce qu'ils sont bossus. Et il pensait à Rainette qui avait de jolis yeux ; et il pensait qu'il les avait fait pleurer".
Mardi 24 juillet
Officiants
Dominique LB, Mavra, Fabien, Vincent P, Laure, Jean-Pierre, Anthony, Edith
Réfugié dans une ville suisse, Jean-Christophe apprend la mort de son ami Olivier et tombe dans le désespoir.
Il est accueilli par un ancien ami d'Allemagne, sa femme Anna. Celle-ci se montre d'une grande froideur, d'une incapacité totale d'éprouver des émotions, sauf lorsqu'elle chante : alors sa sensualité gronde et des torrents d'émotions vitales s'échappent de cet être mystérieux.
Nous en sommes restés au moment où Christophe réalise qu'Anna, derrière le vide apparent de sa personnalité, recèle une grande force et un charme à découvrir. Nous nous sommes quittés effrayés par la séance torride qui nous attend le mardi 31...
Mardi 31 juillet
Officiants
Anthony, Mavra, Vincent P, Dominique, Fabien, Laure, Francis, Jérémie, Edith
Anna et Christophe vivent une passion physique. Braun ne se doute de rien. Mais Bäby, la domestique, a disposé de la cendre dans le couloir pour mesyrer d'éventuelles traces de pas entre la chambre d'Anna et celle de Christophe. Anne déjoue la ruse au moyen d'un petit balai... Las ! Elle oublie de remettre le balai à sa place ! Bäby sait...
Deux punitions attendent Anna : l'opprobre de la ville, d'une part ; la damnation de Dieu, d'autre part. Anna défaille.
Quant à Christophe, il se torture de tomber l'ami Braun, le bienfaiteur Braun qui l'a recueilli et soigné...
Christophe et Anne ont une bonne idée, qui les délivreront l'une de l'opprobre de la ville et l'autre de sa culpabilité amicale : ils vont mourir ensemble. Mais Anna pensant que Christophe n'en aura pas le courage allume le gaz dans sa chambre. Christophe la délivre à temps.
Résolus à mourir ensemble, ils prennent le pistolet de Braun et se cachent de Bäby qui dort. Hélas ! Anna tire trois coup contre sa tempe, et les coups de partent pas. Elle devient presque folle. Christophe est désespéré. Braun rentre et trouve sa femme dans un état effroyable. Il la veille. Puis Anna réussit à prononcer un désir : "aller au culte".
Nous en sommes là !
Mardi 7 août
Officiants
Jean-Pierre, Anthony, Mavra, Vincent P, Alexandre, Emmanuel, Vincent S, Edith
Jean-Christophe fou de passion comprend qu'Anna devient folle à cause de lui, de leur trahison, et il fuit la ville.
Il compose, son nom s'est imposé, ses cheveux ont blanchi aux travaux musicaux et aux duretés de sa vie erratique et passionnée.
Et puis une envie tourmente Jean-Christophe : retrouver l'enfant d'Olivier. Il écrit à Cécile, qui l'avait recueilli et élevé, mais celle-ci répond que la mère indigne est un jour venue lui arracher l'enfant.
Un long et beau passage sur la souffrance animale et l'horreur du comportement humain envers les animaux.
(Rappelons que Rolland est disciple de Tolstoï et ami de Gandhi, deux grands défenseurs de la personne animale. Ce passage animaliste célèbre est lisible par ici )
Jean-Christophe découvre la Suisse italienne, puis l'Italie, et qui rencontre-t-il par hasard dans la forêt ? Grazia !!!
Elle est veuve désormais, seule avec ses deux jeunes enfants. Ils évitent l'intimité, ne sachant (ou sachant trop bien) ce qui pourrait arriver si l'isolement les laissait épancher un cœur soudain bien tendre.
Un passage sur la musique :
« Le corps et l’âme s’écoulent comme un flot. Les ans s’inscrivent sur la chair de l’arbre qui vieillit. Le monde entier des formes s’use et se renouvelle. Toi seule ne passes pas, immortelle musique. Tu es la mer intérieure. Tu es l’âme profonde. Dans tes prunelles claires, le visage morose de la vie ne se mire. Au loin de toi s’enfuient, comme le troupeau de nuées, le cortège des jours brûlants, glacés, fiévreux, que l’inquiétude chasse et qui jamais ne durent.
Toi seule tu ne passes pas. Tu es en dehors du monde. Tu es un monde, à toi seule. Tu as ton soleil, tes lois, ton flux et ton reflux. Tu as la paix des étoiles, qui tracent dans le champ des espaces nocturnes leur sillon lumineux, - charrues d’argent que mène la main sûre de l'invisible bouvier.
Musique, amie sereine, que ta lumière lunaire est douce aux yeux fatigués par le brutal éclat du soleil d’ici-bas !...L’âme qui se détourne de l’abreuvoir commun, où les hommes pour boire remuent la vase avec leurs pieds, se presse sur ton sein et suce à tes mamelles le ruisseau de lait du rêve. Musique, vierge mère, qui portes en ton corps immaculé toutes les passions, qui contiens dans le lac de tes yeux couleur de joncs, couleur de l’eau vert-pâle qui coule des glaciers, tout le bien, tout le mal, - tu es par delà le mal, tu es par delà le bien ; qui chez toi fait son nid vit en dehors des siècles ; la suite de ses jours ne sera qu’un seul jour ; et la mort qui tout mord s’y brisera les dents.
Musique qui berças mon âme endolorie, musique qui me l’as rendue calme, ferme et joyeuse, - mon amour et mon bien, - je baise ta bouche pure, je cache mon visage dans tes cheveux de miel, j’appuie mes paupières qui brûlent sur la paume douce de tes mains. Nous nous taisons, nos yeux sont clos, et je vois la lumière ineffable de tes yeux, et je bois le sourire de ta bouche muette ; et blotti sur ton coeur, j’écoute le battement de la vie éternelle ».
Un passage sur la lumière :
"Sur la mer lumineuse, dans la nuit lumineuse, il se laissait bercer, longeant les promontoires bordés de cyprès enfantins. Il s'installa dans le village, il y passa cinq jours dans une joie perpétuelle. Il était comme un homme qui sort d'un long jeûne, et qui dévore. De tous ses sens affamés, il mangeait la splendide lumière... Lumière, sang du monde, fleuve de vie, qui, par nos yeux, nos narines, nos lèvres, tous les pores de la peau, t'infiltres dans la chair, lumière plus nécessaire à la vie que le pain, - qui te voit dévêtue de tes voiles du Nord, pure, brûlante, et nue, se demande comment il a jamais pu te vivre sans te posséder, et sait qu'il ne pourra plus jamais vivre sans te désirer".
Mardi 14 août
Officiants
Anne, Francis, Agnès, Laure, Jean-Pierre, Edith
Sublimes passages sur l'Italie qui s'éveille à l'aube du XX°siècle : l'Italie visuelle et antique, mais aussi l'Italie intellectuelle, politique, sociale...
Jean-Christophe et Grazia ne succombent pas à la tentation ; leur amitié demeure platonique au grand dam de Christophe qui voudrait épouser sa grande amie.
Puis Christophe retourne à Paris, pour la première fois depuis sa fuite. Il est accueilli comme un grand artiste et la douleur de la perte d'Olivier et des anciens amis se rappelle à lui, cruelle.
Nous sommes restés au milieu d'une longue lettre que Christophe écrit à Grazia, pour lui raconter ses retrouvailles avec Paris.
Mardi 21 août
Officiants
Théo, Anne, Jérémie, Mavra, Vincent S, Edith
La vie parisienne de Christophe se poursuit. Son succès lui est agréable, mais en même temps il lui fait honte tant il trouve son propre public médiocre.
Christophe feuillette un livre dans une librairie. D'étranges sentiments montent en lui... Il connait ces mots... Il connait ces idées... Et soudain il lit une histoire que son ami Olivier lui avait racontée quelques jours avant sa mort !
Ebahi, il part à la recherche du poète... Et le retrouve en la personne d'Emmanuel, le tout jeune ouvrier bossu, "fils d'une prostituée et d'un alcoolique" et auquel Olivier s'était attaché.
Les deux hommes s'étreignent sous l'émotion du souvenir commun d'Olivier. Mais très vite, Emmanuel est vexé par la pitié de Christophe, qu'il prend pour de la commisération, pour son milieu, son corps difforme, sa vie misérable en dépit du succès littéraire.
Un jour, une tout jeune homme, de quatorze ans, sonne à la porte de Christophe. C'est Georges Jeannin, le fils d'Olivier ! Christophe bouleversé veut s'occuper de ce jeune homme malicieux, plein de charme, fuyant comme une anguille.
Grazia, sans doute après une histoire d'amour malheureuse en Italie (elle ne le dit jamais), vient à Paris accompagnée de ses enfants Aurora et Lionello. Sa tendresse platonique avec Christophe se poursuit... Lionello, que Christophe n'arrive pas à aimer, tombe gravement malade de phtisie. Grazia laisse sa fille Aurora chez sa cousine parisienne Colette (ancienne élève de Christophe comme elle) et emmène son fils dans un sanatorium. L'ambiance des sanatoriums et l'état de son fils la désespèrent. Un jour, Christophe, malgré sa défense, vient la voir. Elle ressent un immense soulagement et ils veillent ensemble cet enfant qu'elle adore et que Christophe ne parvient pas à trouver agréable. Lionello guérit.
Mardi 28 août
Officiants
Dominique LB, Mavra, Jean-Pierre, Vincent P, Emilie, Vincent S, Edith
Grazia se décide à épouser Christophe. Mais son fils Lionello le ressent et feint de rechuter dans sa maladie pour éloigner sa mère de Christophe. À force de feindre la maladie, l'enfant la contracte et en meurt.
À Paris, Christophe fait désormais partie de la vieille garde, bousculée par la jeunesse française qui veut un nouvel art, de nouvelles idées, un nouveau monde. Après le socialisme et la liberté de moeurs de la génération précédente, les nouveaux jeunes souhaitent l'ordre de l'Action française et le catholisicme, que même les plus incroyants prônent, comme une structure nécessaire à la société.
Georges Jeannin, le fils d'Olivier, vit une adolescence sulfureuse : femmes, sports. Il se bat un jour en duel contre un journaliste qui a maltraité Christophe dans un article.
Et puis Grazia meurt, là-bas en Italie, la main dans la main de sa fille Aurora.
Mardi 4 septembre
Officiants
Théo, Emilie, Jean-Baptiste, Vincent S, Laure, Vincent P, Sonia, Jean-Pierre, Ingrid, Fabien-Côme, Dalila, Francis, Marie-Thérèse, Dominique LB, Edith
Merveilleux finale ! Georges Jannin, fils d'Olivier, épouse Aurora, la fille de Grazia. Jean-Christophe meurt dans un combat joyeux et mystique, où la musique et la prière déiste, d'inspiration tolstoïenne, se mêlent. La légende de Saint Christophe est merveilleusement évoquée car Jean-Christophe meurt dans un rêve où il porte un enfant sur son dos, un enfant lourd, lourd, lourd... Et il lui demande : "Enfant, qui es-tu ?" L'enfant répond : "Je suis le jour qui va naître".
Le roman finit donc somptueusement, sur la mort mystique du musicien, comme il avait commencé autour de son berceau.
La lecture des dernières pages furent accompagnées au piano par Vincent S : un moment que nous n'oublierons jamais.
Nous lûmes dans l'édition Albin Michel de 2007
Romain Rolland, prophète d'Europe
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mardi, 16 octobre 2012
La propriété foncière dans la civilisation noire
Maurice Delafosse (1870-1926) est l'auteur d'une oeuvre africaniste de toute intelligence, écrite à l'orée du XX° siècle.
Il est également l'auteur de deux familles, une africaine et une française, qui ont gardé de chaleureuses relations intercontinentales.
Il s'opposa à Blaise Diagne, autre grand homme à cheval entre Afrique et France, sur la question de la levée de contingents africains lors de la guerre de 1914-18. Delafosse était contre ; Diagne y était favorable.
Dans son ouvrage intitulé Les Nègres, Delafosse s'efforce de nous donner une idée de la vision du monde nègre, et de la comprendre non pas d'après nos propres conceptions, mais en entrant à l'intérieur des conceptions africaines. Voici un passage sur la propriété foncière dans la civilisation nègre.
"Chaque parcelle de terre est considérée comme une divinité. L'homme ne peut en devenir propriétaire, mais il en peut user, à condition d'en avoir obtenu l'autorisation de cette parcelle elle-même, moyennant un sacrifice et selon des rites déterminés. Toutefois, la terre ne se lie pas à un individu, ou du moins ne se lie à un individu qu'en tant que celui-ci représente une collectivité. En l'espèce, c'est l'ancêtre, fondateur de la famille, qui, ayant rencontré une parcelle vierge de toute occupation et de toute prise de possession, a conclu avec elle, en quelque manière, un contrat, en vertu duquel il en a obtenu la jouissance exclusive, à perpétuité, pour la collectivité issue de lui.
Sans doute, le patriarche, qualifié du titre de « maître du sol » ou « chef de terre », peut répartir l'usufruit de la parcelle familiale entre les diverses fractions de la famille, voire même entre des individus. Il procède à cet égard à des allotissements renouvelables chaque année, de manière que le partage soit équitable, que ce ne soient pas toujours les mêmes qui aient les mauvaises terres, que la rotation des cultures ou [44] le système des jachères puissent être effectués, que des lots soient mis en réserve pour des éventualités diverses ou constitués en domaine banal. Il peut même, avec l'agrément des anciens, autoriser des étrangers à s'installer sur une portion du sol familial et à la cultiver, soit pendant un temps déterminé, soit pour une durée indéfinie. Mais il n'a pas qualité pour céder, aliéner ni même diviser le droit et le privilège acquis sur la parcelle familiale par le fondateur de la famille.
Lui-même n'a sur cette parcelle que les droits qu'a tout membre de la collectivité, et aucun de ces membres, le chef comme les autres, alors même que l'usage local lui attribue un champ individuel, n'est propriétaire de ce champ.
L'inaliénabilité des droits fonciers est un principe tellement enraciné dans l'esprit des nègres, qu'à leurs yeux la conquête d'une région n'entraîne nullement l'acquisition de droits quelconques sur le sol de cette région. Et les conquérants les moins alourdis de scrupules ont généralement respecté cette loi.
En fait, la propriété absolue, comportant la faculté d'aliénation, n'est pas plus inconnue des nègres qu'elle ne l'est des Européens. Seulement, chez eux, la terre ne peut faire l'objet d'une telle propriété. Il en est de même de tout ce qu'elle porte ou produit spontanément (cours d'eau, mines, poisson ou gibier, forêts, plantes isolées), tant que l'intervention humaine n'a point dénaturé la destination primitive de ces choses.
Le travail, ou plus exactement, peut-être, l'action productrice de l'homme, est considéré comme la seule source de la propriété, mais il ne peut conférer le droit de propriété que sur l'objet qu'il a produit. Or, si le travail de l'homme peut remuer le sol et le faire produire, on ne peut dire que le sol lui-même soit le produit de ce travail, non plus qu'on ne peut le dire d'une rivière, d'un gisement de minerai de fer ou d'or, d'un éléphant ou d'une antilope, d'un arbre qui a poussé tout seul. Mais, si des hommes ont semé du grain sur leur terre familiale, la récolte obtenue est leur propriété absolue ; s'ils ont retiré du vin de palme d'un rônier poussé sur cette terre, cette liqueur est aussi leur propriété absolue. Il en sera de même mais avec certaines réserves, du gibier tué ou capturé à la chasse, des arbres abattus par la main de l'homme, etc. Il en sera de même, à plus forte raison, des animaux domestiques que l'on a élevés, des objets que l'on a fabriqués, des captifs que l'on a faits a la guerre et des sommes obtenues en échange de tout objet dont l'on était propriétaire ou du travail que l'on a fourni Le travail, source de toute propriété, peut avoir pour auteur une collectivité ou un individu. Dans le premier cas, la propriété acquise sera naturellement collective ; elle sera individuelle dans le second cas, mais, presque toujours, se trouvera grevée de quelque droit au profit de la collectivité. Ainsi l'individu qui s'engage comme ouvrier sur un chantier ne peut disposer, en droit indigène, de la totalité du salaire qui lui est attribué : il est admis en effet que, la collectivité familiale ayant été privée du concours de ses bras pendant la durée de son engagement, cet individu doit l'indemniser en conséquence.
Aussi la coutume exige-t-elle qu'il remette son salaire entre les mains du patriarche, qui opère au profit de la famille le prélèvement jugé équitable, et restitue le reste à l'ouvrier".
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lundi, 01 octobre 2012
La fabuleuse plume de Jacques Benoist-Méchin
N'est-ce pas l'un des plus grands écrivains du XX°siècle - n'est-ce pas le plus grand styliste ?
Un extrait de son Printemps arabe, publié par Albin Michel en 1959 :
"Nous passerons donc cette dernière nuit à l' « Oriental Palace ».
Mais avant de me rendre à l'hôtel, où j'ai fait déposer mes valises, je veux profiter de cette soirée pour faire un tour en voiture et flâner un peu au bord de la mer, au-delà de Shuwaik.
Depuis mon arrivée à Damman, où je l'ai aperçu pour la première fois, le golfe Persique m'est apparu comme une des régions les plus prenantes du monde. Je l'ai revu à Dahran, à Ras-Tanura, à Mina-el-Achmadi, et chaque fois mon bonheur n'a cessé de grandir. Cette étendue de sables et d'eaux entremêlés possède un pouvoir d'envoûtement auquel il est impossible de se soustraire. Je me représentais le golfe comme un bloc d'outremer, enchâssé dans des récifs cuivrés où les vagues viendraient battre sous un soleil implacable. Il n'en est rien. La terre est si lisse qu'on n'en voit pas la fin. Elle glisse sous l'eau par une pente insensible pour renaître quelques centaines de mètres plus loin sous formes d'écharpes de moire, comme si elle ne se résignait pas à mourir.
Le paysage est d'une douceur vraiment édénique. La mer est immobile. La côte a la pâleur du verre dépoli et le ciel répand sur elle un rayonnement diffus. Ce n'est pas par hasard si l'on trouvait ici, jadis, les plus belles perles du monde. Toute la nacre du ciel, de la terre et des eaux venait se condenser au fond des coquilles. Aujourd'hui, les pêcheries ont disparu. Mais le décor n'a pas changé. Il semble toujours prêt à engendrer ces petites sphères irisées, grandies au fond d'une mer caressante et laiteuse.
Le crépuscule descend. L'auto glisse sans bruit le long de la route qui épouse la courbe de la grève. Une plage à peine inclinée, d'une couleur indéfinissable, sépare la chaussée de la mer. Au loin, les palais des princes disséminés dans la plaine allument leurs girandoles roses. On dirait des cuirassés parés pour une fête. Le chauffeur abaisse une touche de son poste de radio. Une voix s'élève comme un sanglot au milieu de toute cette douceur. C'est une chanson française retransmise par Damas.
Oh, je voudrais tant que tu te souviennes
Des jours heureux où nous étions amis
En ce temps-là, la vie était plus belle
Et le soleil plus brûlant qu'aujourd'hui...
L'auto poursuit sa course. Des formes indistinctes sont accroupies devant leurs maisons pour jouir du calme du soir. De loin en loin, des filets de pêche que l'on a mit à sécher tendent leur écran transparent, comme une offrande à la nuit.
Tu vois, je n'ai pas oublié
La chanson que tu me chantais
Oh non ! Je ne l'ai pas oubliée ! Que de fois ne l'ai-je pas entendue quand j'étais en prison ! De l'autre côté d'un mur d'enceinte qui le rendait invisible, un prisonnier la chantait à la tombée du jour et je l'écoutais, le cœur battant, à travers les barreaux de ma cellule. Ses accents nostalgiques éveillaient en moi les regrets de ma jeunesse écoulée, de visages aimés que je ne reverrais plus... Et voici que ce refrain vient me relancer jusque sur les bords du golfe Persique, au fond de ce crépuscule grandissant, pour me rappeler mes illusions enfuies et me faire monter les larmes aux yeux. Que la vie est étrange ! Qui m'eût dit qu'un jour j'entendrais s'élever au plus profond de l'Orient cet écho lointain de ma captivité !
C'est une chanson
Qui me ressemble
Toi qui m'aimais
Et je t'aimais
Et nous allions
Tous deux ensemble
Toi qui m'aimais
Moi qui t'aimais
L'un après l'autre, une couronne de feux rouges s'allume au sommet des châteaux d'eau qui dominent la ville. Leur partie haute est opaque. Mais leur base à claire-voie laisse filtrer les derniers rayons du soleil, de sorte qu'ils semblent flotter à la surface du jour.
Mais la vie sépare ceux qui s'aiment
Tout doucement, sans faire de bruit...
Tout cesse et pourtant tout continue, comme ce paysage suspendu au bord de l'évanouissement. Malgré la tristesse qui m'envahit, je veux savourer pleinement l'enchantement de cette heure. Une vieille carène de felouque dresse vers le ciel ses côtes dénudées. Nous approchons du cimetière de bateaux. Sur la plage, qui semble à présent plus lumineuse que la mer, des jeunes gens dansent en se tenant par la main. Leur ronde tourne sur elle-même, lentement, comme les étoiles. Sentent-ils la mélancolie poignante de cet instant ? Ou n'est-il triste que pour moi ? Pourquoi faut-il toujours s'en aller, s'arracher à ce qu'on aime ?
Déjà les ombres gagnent. Elles dissolvent les formes immobiles accroupies sur le seuil de leurs portes, le profil des maisons, les étraves des navires. Tout cela aussi ne sera bientôt qu'un souvenir... je dis au chauffeur de faire demi-tour.
Et la mer efface sur le sable
Les pas des amants désunis
Au loin, indifférente à l'heure qui passe, Koweit scintille de tous ses feux".
Jacques Benoist-Méchin, Un printemps arabe, fin de la troisième partie
Sur AlmaSoror nous avions déjà mentionné cet écrivain :
Epuration : l'auteur raconte sa condamnation à mort à la Libération
Trois esthètes du XX°siècle : Romain Rolland, Jacques Benoist-Méchin, Raoul Vaneigem
Le style immense et plein de pensée de Jacques Benoist-Méchin
L'invasion de l'Europe dans les années 700
Les photographies qui accompagnent ce billet sont de Mavra Nicolaïevna Novogrochneïeva
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lundi, 10 septembre 2012
Calme, calme, calme à Zurich
Un extrait de MARS, de Fritz Zorn, déchirant pamphlet datant des années 1970
"Dans ma maison de la Krongasse, à Zurich, tandis que je prends des notes pour cet essai, on crie par les fenêtres des maisons voisines : Du calme ! La Krongasse est un séjour privilégié de Zurich car la rue est si étroite que c'est à peine si les autos peuvent l'emprunter et quand par hasard il en passe une, elle glisse sans un bruit jusqu'au bas de la rue. C'est aussi un quartier convenable où il n'y a ni bistrots ni bars et où on n'entend jamais, la nuit, les braillements des ivrognes. Mais ce n'est pas encore assez calme pour les gens. Parfois en effet, à midi, de petits enfants jouent dans la rue, ce qui est commode pour eux justement parce qu'il n'y a pas de circulation. Ces enfants crient parfois en jouant et alors les vieilles femmes de la Krongasse se sentent en droit de crier par les fenêtres : « Du calme ! » Pourtat c'est déjà calme ici, mais il faut que ce soit encore plus calme et c'est pourquoi on crie par la fenêtre « Du calme ! ». Le soir, quand quelques jeunes gens chantent des chansons sur la terrasse, on appelle la police car chanter des chansons constitue un tapage nocturne. À Zurich, quand quelqu'un joue de la guitare après midi près d'une fontaine dans la vieille ville, on appelle aussi la police car c'est une violation de la sieste. Chaque heure du jour a son calme particulier et quand ce calme n'est pas respecté et que quelqu'un chante des chansons, alors la police arrive car, pour le bourgeois, le calme n'est pas seulement son premier devoir, c'est aussi son premier droit. Chacun s'abrutit dans le calme de ses quatre murs et lorsqu'il est dérangé dans son abrutissement par un bruit étranger, il se sent lésé dans son droit à s'abrutir et appelle la police".
Extrait de Mars, de Fritz Zorn
Traduit de l'allemand par Gilberte Lambrichs
1977
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lundi, 03 septembre 2012
Svanhild
Svanhild est l'un des textes du recueil La dame à la louve, de Renée Vivien, que quelqu'un a généreusement mis à la disposition de tous, par ici...
Nous la proposons à la lecture, cette pièce étrange, aérienne, d'une écrivain qui fit sienne la langue française et à qui nous devons beaucoup, car son style a tous les charmes de notre langue, sans jamais en avoir la pensanteur qui lui est propre - car chaque langue à ses sentiers battus, trop battus...
Svanhild
un acte en prose
SCÈNE PREMIÈRE
La scène représente une rive du Nord-Fjord. Dans le fond, des montagnes. Des jeunes filles, en costume de paysannes, forment un groupe mouvant. Elles foulent aux pieds les clochettes bleues, le thym et les gentianes. Immobile sur un rocher, Svanhild regarde au loin.
Thorunn
Que regardes-tu de tes yeux fixes, Svanhild ? Et que viens-tu chaque jour attendre en silence ?
Svanhild
J’attends le retour des cygnes sauvages.
Gudrid
Tu sais bien qu’ils ne sont point revenus dans la contrée depuis le jour de ta naissance. Ils s’arrêtèrent et se reposèrent longtemps sur le toit qui t’abritait. Tant que persista la clarté, ils s’attardèrent sur le toit de mousse aux fleurs bleues et dorées, et, au crépuscule, ils s’enfuirent dans un grand battement d’ailes.
Svanhild
Ils reviendront.
Bergthora
Il y a vingt ans qu’ils se sont envolés vers le Nord, et, depuis ce jour, aucune d’entre nous ne les a vus passer.
Svanhild
Je sais qu’ils reviendront.
Bergthora
Pourquoi restes-tu debout sur le rocher, immobile et contemplative pendant des journées entières ?
Svanhild
J’attends le retour des cygnes sauvages.
Des chants de fête s’élèvent. Des barques passent sur le fjord, chargées de femmes aux costumes étincelants.
Des paysannes, chantant
- Ne t’approche point du glacier,
- Car le froid brûle comme la flamme.
- Ne t’approche point de la neige,
- Car la neige aveugle comme le soleil.
- S’éloignant.
- Ne demeure point longtemps sur les sommets,
- Car l’azur entraîne comme le vertige.
- Hildigunn
Entends ces musiques lointaines. Les barques glissent sur le fjord avec un bercement tranquille. Les paysannes rament en chantant : elles sont heureuses.
Svanhild
Leur bonheur serait pour moi la pire angoisse, et mon bonheur serait pour elles le plus morne supplice.
Gudrid
N’aimes-tu donc rien sur la terre ?
Svanhild
J’aime la blancheur.
Thorunn
Quel don espères-tu de la vie dans son printemps ?
Svanhild
La blancheur.
Ermentrude
Si le destin exauce miraculeusement ton espoir, si les cygnes sauvages reviennent, que feras-tu ?
Svanhild
Je les suivrai.
Bergthora
Jusqu’où les suivras-tu ?
Svanhild
Jusqu’aux limites du couchant.
Hildigunn
Quel est le but de ton rêve ?
Svanhild
SCÈNE II
Une Passante entre, les mains pleines de fleurs, tête nue, les cheveux mêlés de thym et de brins d’herbe.
La passante
Les routes sont magnifiquement larges. Je suis ivre de la poussière du chemin. J’ai dormi sur la bruyère, et, à travers mon rêve, j’aspirais le parfum des cimes. Les baies rouges et violettes ont apaisé ma faim, et la neige fondue m’a désaltérée. J’ai cueilli les roses des montagnes. J’ai dansé, nue dans le soleil. Existe-t-il sous l’azur du printemps quelque chose de plus beau que les lézards des rochers, les chardons bleus et mauves, l’étincellement entrevu des poissons et les nuances du soir ?
Svanhild
Il est quelque chose de plus beau.
La passante
Que peut-il exister de plus beau sur la terre ?
Svanhild
Les nuages, la neige, la fumée, l’écume.
La passante
Ne veux-tu point suivre, à mes côtés, la route libre comme l’horizon et vaste comme l’aurore ?
Svanhild
Non.
La passante
Svanhild
J’attends le retour des cygnes sauvages.
La passante s’enfuit joyeusement.
SCÈNE III
Le soleil baisse. Le couchant illumine le ciel.
Le soir est gris et pâle.
Bergthora
Voici le soir. Combien les montagnes sont mystérieuses !
Gudrid
Que le silence est étrange !
Hildigunn
Svanhild, à elle-même
Attendre… comme moi.
Thorunn
La Mort guette les égarés qui s’attardent dans les montagnes.
Asgerd
Les chemins sont périlleux lorsque la brume tombe des sommets.
Svanhild, dans un grand cri
Les cygnes ! les cygnes ! les cygnes !
Toutes, les regards vers le lointain
Nous ne voyons rien.
Svanhild
Le vent du Nord souffle dans leurs ailes… Ils ont franchi la mer, car l’écume argente leur plumage. Ils vont vers le large. Leurs ailes sont déployées et frémissantes comme des voiles… Entendez-vous le battement magnanime de leurs ailes ?
Toutes
Nous ne voyons que les blancs nuages qui passent au-dessus du fjord.
Svanhild
Ils sont plus beaux que les nuages. Ils vont vers les lumières boréales. Ils sont plus beaux que la neige. Comme leur vol est puissant et sonore ! Les entendez-vous passer ?
Toutes
Nous n’entendons que la brise du soir sur les fjords.
Svanhild
Je les suivrai ! Je les suivrai jusqu’aux limites du couchant !
Asgerd
Svanhild ! Les chemins sont périlleux, lorsque la brume tombe des sommets.
Thorunn
La Mort guette les égarés qui s’attardent sur les montagnes.
Gudrid
Songe aux brouillards qui voilent les abîmes.
Svanhild
Ô blancheur !
Elle s’enfuit au fond de la brume.
Asgerd
Elle se perdra dans le crépuscule.
Gudrid
Elle périra dans la nuit. Svanhild !
Toutes, appelant
Svanhild !
L’écho
Svanhild !
On entend un grand cri répercuté par l’écho.
Gudrid, avec angoisse
L’abîme…
Renée Vivien
11 juin 1877 - 18 novembre 1909
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lundi, 20 août 2012
Je suis né dans un port (horizons chimériques)
Je suis né dans un port et depuis mon enfance
J’ai vu passer par là des pays bien divers.
Attentif à la brise et toujours en partance,
Mon cœur n’a jamais pris le chemin de la mer.
Je connais tous les noms des agrès et des mâts,
La nostalgie et les jurons des capitaines,
Le tonnage et le fret des vaisseaux qui reviennent
Et le sort des vaisseaux qui ne reviendront pas.
Je présume le temps qu’il fera dès l’aurore,
La vitesse du vent et l’orage certain,
Car mon âme est un peu celle des sémaphores,
Des balises, leurs sœurs, et des phares éteints.
Les ports ont un parfum dangereux pour les hommes
Et si mon cœur est faible et las devant l’effort,
S’il préfère dormir dans de lointains arômes,
Mon Dieu, vous le vouliez, je suis né dans un port.
Jean de La Ville de Mirmont
Horizons chimériques
Sur Jean de La Ville de Mirmont - né en 1886 à Bordeaux et mort au front comme tant de jeunes hommes de l'époque (enterré vivant par un obus) -, AlmaSoror avait déjà commis ceci :
John-Antoine Nau et Jean de La Ville de Mirmont : Ecritures dont la révélation viendra
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mercredi, 15 août 2012
Soleil noir foncé
Un poème de Patrick Biau
L’astre orange est tapi derrière un châtaignier,
et le sous-bois compose une chapelle ouverte
à ce corps démoli, gisant nu, seul, saigné,
dans un vert écarlate incitant à l’alerte :
Les pieds brûlés au fer, les orteils emmêlés,
les os rompus, la peau déchirée par des ronces,
meurtrie par le bâton, du sang caramélé
en ruisseaux sur son torse, et les yeux sans une once
d’espoir. Sapiens n’est rien si la haine fait son
terrier au creux de son génie. La peste en somme
est revenue souiller le bleu du frais cresson
à coups de godillots ; malgré tout chez cet Homme
la main gauche a montré un cran inattendu :
les doigts serrés au poing sauf le majeur… tendu !
Patrick Biau
Patrick Biau est l'auteur d'un livre et d'un site sur le chansonnier Jules Jouy
... ainsi que d'un recueil de poèmes
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Calme du coeur. Les vents suspendus. L'air immobile...
Voici un extrait de Jean-Christophe, de Romain Rolland, sur la force véritablement créatrice, qui naît de la douleur et se distingue de la simple vie artistique.
"Calme du coeur. Les vents suspendus. L'air immobile...
Christophe était tranquille ; la paix était en lui. Il éprouvait quelque fierté de l'avoir conquise. Et secrètement, il en était contrit. Il s'étonnait du silence. Ses passions étaient endormies ; il croyait, de bonne foi, qu'elles ne se réveilleraient plus.
Sa grande force, un peu brutale, s'assoupissait, sans objet, désoeuvrée. Au fond, un vide secret, un "à quoi bon", caché ; peut-être le sentiment du bonheur qu'il n'avait pas su saisir. Il n'avait plus assez à lutter, ni contre soi, ni contre les autres. Il n'avait plus assez de peine, même à travailler. Il était arrivé au terme d'une étape ; il bénéficiait de la somme de ses efforts antérieurs ; il épuisait trop aisément la veine musicale qu'il avait ouverte ; et tandis que le public, naturellement en retard, découvrait et admirait ses oeuvres passées, lui, s'en détachait, sans savoir encore s'il irait plus avant. Il jouissait, dans la création, d'un bonheur uniforme. L'art n'était plus pour lui, à cet instant de sa vie, qu'un bel instrument dont il jouait en virtuose. Il se sentait, avec honte, devenir dilettante.
« Il faut, disait Ibsen, pour persévérer dans l'art, autre chose et plus qu'un génie naturel : des passions, des douleurs qui remplissent la vie et lui donnent un sens. Sinon, l'on ne créée pas, on écrit des livres ».
Christophe écrivait des livres. Il n'y était pas habitué. Ces livres étaient beaux. Ils les eût préférés moins beaux et plus vivants. Cet athlète au repos, qui ne savait que faire de ses muscles, regardait, avec le bâillement d'un fauve qui s'ennuie, les années de tranquille travail qui l'attendaient. Et comme, avec son vieux germanique, il se persuadait volontiers que tout était pour le mieux, il pensait que c'était là sans doute le terme inévitable ; il se flattait d'être sorti de la tourmente, d'être devenu son maître. Ce n'était pas beaucoup dire... Enfin ! On règne sur ce qu'on a, on est ce qu'on peut être... Il se croyait arrivé au port".
Romain Rolland - Jean-Christophe
Un petit groupe se réunit le mardi soir pour lire Jean-Christophe...
Autres extraits de Jean-Christophe :
France profonde et élite cosmopolite
Tu es la mer intérieure. Tu es l'âme profonde
Sur l'expérience de lecture commune, lire par ici et par là
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