Calme du coeur. Les vents suspendus. L'air immobile... (mercredi, 15 août 2012)

 

Voici un extrait de Jean-Christophe, de Romain Rolland, sur la force véritablement créatrice, qui naît de la douleur et se distingue de la simple vie artistique.

Jean-Christophe, Romain Rolland

 

"Calme du coeur. Les vents suspendus. L'air immobile...

 

Christophe était tranquille ; la paix était en lui. Il éprouvait quelque fierté de l'avoir conquise. Et secrètement, il en était contrit. Il s'étonnait du silence. Ses passions étaient endormies ; il croyait, de bonne foi, qu'elles ne se réveilleraient plus.

 

Sa grande force, un peu brutale, s'assoupissait, sans objet, désoeuvrée. Au fond, un vide secret, un "à quoi bon", caché ; peut-être le sentiment du bonheur qu'il n'avait pas su saisir. Il n'avait plus assez à lutter, ni contre soi, ni contre les autres. Il n'avait plus assez de peine, même à travailler. Il était arrivé au terme d'une étape ; il bénéficiait de la somme de ses efforts antérieurs ; il épuisait trop aisément la veine musicale qu'il avait ouverte ; et tandis que le public, naturellement en retard, découvrait et admirait ses oeuvres passées, lui, s'en détachait, sans savoir encore s'il irait plus avant. Il jouissait, dans la création, d'un bonheur uniforme. L'art n'était plus pour lui, à cet instant de sa vie, qu'un bel instrument dont il jouait en virtuose. Il se sentait, avec honte, devenir dilettante.

 

« Il faut, disait Ibsen, pour persévérer dans l'art, autre chose et plus qu'un génie naturel : des passions, des douleurs qui remplissent la vie et lui donnent un sens. Sinon, l'on ne créée pas, on écrit des livres ».

 

Christophe écrivait des livres. Il n'y était pas habitué. Ces livres étaient beaux. Ils les eût préférés moins beaux et plus vivants. Cet athlète au repos, qui ne savait que faire de ses muscles, regardait, avec le bâillement d'un fauve qui s'ennuie, les années de tranquille travail qui l'attendaient. Et comme, avec son vieux germanique, il se persuadait volontiers que tout était pour le mieux, il pensait que c'était là sans doute le terme inévitable ; il se flattait d'être sorti de la tourmente, d'être devenu son maître. Ce n'était pas beaucoup dire... Enfin ! On règne sur ce qu'on a, on est ce qu'on peut être... Il se croyait arrivé au port".

 

Romain Rolland - Jean-Christophe

Romain Rolland, Jean-Christophe

Un petit groupe se réunit le mardi soir pour lire Jean-Christophe...

Autres extraits de Jean-Christophe :

Digérer les immigrés

France profonde et élite cosmopolite

Tu es la mer intérieure. Tu es l'âme profonde

 

Sur l'expérience de lecture commune, lire par ici et par là

 

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