jeudi, 19 août 2010
Chefs de guerre et de religion
Dans la Pochothèque, on peut acheter la Saga de Charlemagne, traduction de la Karlamagnus Saga telle qu'elle fut complilée en norrois (ancienne langue scandinave) au XIIIème siècle.
Traduite et présentée par Daniel W. Lacroix, cette saga de Charlemagne est donc la version scandinave de nos chansons de geste françaises.
En voici un extrait qui ne nous paraît pas hors de propos :
"Agolant dit alors : "Il est tout à fait injustifiable que nos terres soient placées sus la tutelle de votre peuple, du fait que nous avons une loi bien plus estimable que la vôtre. Nous célébrons également le puissant Mahomet, envoyé de Dieu, et nous respectons ses commandements ; en outre, nous avons des dieux tout-puissants qui nous révèlent l'avenir par l'entremise de Mahomet. Nous les célébrons et les honorons, et nous tenons d'eux vie et puissance. Si vous les regardiez, ils vous plairaient beaucoup."
Charlemagne répond alors : "Tu te fourvoies assurément, Agolant, dans cette foi qui est la tienne, car nous respectons les commandements de Dieu, alors que vous respectez une croyance mensongère. Nous croyons en un seul Dieu, père, fils et saint esprit, et vous croyez en un démon qui habite vos idoles. Nos âmes, après la mort corporelle, vont trouver une joie éternelle, si nous respectons la vraie foi en réalisant des actions vertueuses, mais vos âmes à vous, qui croyez dans les idoles, vont supporter des tourments éternels, brûlant sans fin dans le séjour même de l'enfer ; l'on peut saisir par là que notre loi est meilleure que la vôtre. Dans ces conditions, choisis entre deux solutions : fais-toi baptiser avec toute ton armée et sauve ainsi ta vie, ou bien viens te battre avec moi, et tu trouveras alors une vilaine mort".
Agolant répond : "On ne me verra jamais me faire baptiser et renier ainsi la toute-puissance de Mahomet ; mon peuple et moi, nous allons plutôt vous affronter, tes hommes et toi, à condition que la foi de ceux qui trouveront la victoire soit jugée la meilleure, et que la victoire apporte un honneur éternel à celui qui l'emportera et une éternelle honte à celui qui perdra. Et si je suis vaincu vivant, toute mon armée et moi nous recevrons le baptême.
Charlemagne répond alors : "Je suis ravi qu'il en soit ainsi, mais afin que tu n'attribues pas votre victoire à la puissance des hommes plutôt qu'à la vertu de la vraie foi; ce combat prendra la forme d'un duel de sorte que nous nous battrons un contre un, vingt contre vingt, et ainsi de suite jusqu'à ce que l'épreuve semble concluante." Agolant est d'accord pour que les choses se déroulent ainsi".
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vendredi, 13 août 2010
La mer
« Qu’elle est belle et puissante, la mer, quand la tempête élève ses flots ; plus belle encore, quand seul un léger souffle vient agiter la surface des eaux et que les vagues se brisent sur le rivage avec ce son doux, régulier et harmonieux qui ne trouble pas le silence, mais se contente de le rythmer et de le rendre audible. »
Saint Ambroise
(Méditations sur l’œuvre des six jours de la création)
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dimanche, 08 août 2010
Le cirque des idées
«Il n'y a pas moins raciste que les gens du cirque. Tout le monde est admis au cirque, à la condition toutefois d'être né dans le cirque”.
Annie Fratellini
Lire l'article source de l'Humanité
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vendredi, 06 août 2010
Dialogues du septième sceau
Le septième sceau, un film d'Ingmar Bergman
- Je suis pris de dégoût et d'épouvante. Mon mépris des hommes m'a rejeté de leur communauté. Je vis dans un monde fantôme prisonnier de mes rêves
- Mais tu ne veux pas mourir ?
- Si je le veux.
- Alors qu'attends-tu ? La connaissance... ou des garanties?
- Appelles ça comme tu veux. Est-ce si impossible de comprendre Dieu avec ses sens ? Pourquoi se cache-t-il derrière des promesses à demi articulées et des miracles invisibles ? Qu'advient-il de nous si nous voulons croire mais nous ne le pouvons pas ? Pourquoi ne puis-je pas tuer Dieu en moi ? Pourquoi continue-t-il de vivre de façon douloureuse et avilissante ? Je veux le chasser de mon cœur. Je veux savoir, pas croire. Pas supposer mais savoir. Je veux que dieu me tende la main, qu'Il me dévoile son visage et qu'Il me parle.
- Mais il se tait.
- Des ténèbres, je crie vers lui mais il n'y a personne
- C'est peut-être cela.
- Alors la vie est une crainte insensée. On ne peut vivre face à la mort et au néant de tout.
- La plupart ne pensent ni au néant ni à la mort.
- Et quand la fin approche, ils voient des ténèbres !
- Oui… ce jour là.
- Je comprends : à notre crainte, il nous faut une image et cette image nous l'appelons Dieu.
- Tu t'alarmes ?
- La mort m'a visité ce matin, nous jouons aux échecs. Ce délai me permet de vaquer à une affaire importante…
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mardi, 27 juillet 2010
puissance et décadence de la bourgeoisie
Jardin du Luxembourg, par Sara
Un des grands succès d'AlmaSoror, c'est l'article de Sara, sur les mille ans du bourgeois. C'est en 1007 en effet que le mot bourgeois apparait dans une charte.
Nous conseillons la relecture ici, avant de vous plonger dans une définition de la bourgeoisie clairement exprimée par Armand Nivelle, dans une préface au livre Les Buddenbrook de Thomas Mann.
Les Buddenbrook, sous-titré le déclin d'une famille, reflète l'idée majeure de Thomas Mann : quand la bourgeoisie a atteint les sommets de la fortune, elle tombe les armes pour ouvrir son coeur et ses sens artistiques. Cest alors que commence sa décadence et la déchéance de ses rejetons, héritiers incapables de perpétuer la prospérité implacable de leurs pères.
Voici cet extrait d'Armand Nivelle :
"Les "bourgeois" se signalent par l'énergie vitale qu'ils mettent au service de l'ambition, la capacité d'agir sans se laisser inhiber par les scrupules moraux et la faculté de faire taire les sentiments quand ils s'opposent à la réalisation d'un bénéfice. Les affaires "sentimentales" en sont précisément le meilleur témoignage : rien n'est plus éloigné de ces gens que l'idée d'un mariage d'amour. Ils leur arrive certes d'être amoureux, mais la soumission aux intérêts de l'entreprise et le renoncement à leurs amours ne provoquent pas de tragédies et ne les confrontent pas à des problèmes durables.
La seconde composante de la mentalité bourgeoise est la tradition familiale, unie à la conscience de classe. L'individu doit s'y soumettre sans conditions. Epouser une boutiquière, (...) c'est déchoir et justifier toutes les duretés et tous les mépris. Devant les revendications sociales, les marchands de Lübeck font la sourde oreille ; aucun soupçon des motifs qui animent les "insurgés" de 1848 n'effleure Jean Buddenbrook, ce qui lui donne d'ailleurs une sûreté absolue pour mater la "révolution".
Les bourgeois de Lübeck sont par nature conformistes et portent un grand intérêt aux "dehors", aux apparences. La vie intérieure tient peu de place dans leur existence, même quand elle revêt un aspect religieux. (...)
De ces traits fondamentaux découlent plus ou moins directement les autres caractères des bourgeois : le désir de richesse et d'opulence, l'aspiration aux honneurs publics, l'idéal de travail sérieux et méthodique."
Armand Nivelle, dans sa préface au livre de Thomas Mann, Les Buddenbrook (oeuvres complètes, tome I, dans la Pochothèque).
Lire l'article sur l'anniversaire des mille ans du bourgeois.
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vendredi, 23 juillet 2010
Les trois volets de la fin de l'empire romain
Extraits de l'historien Fustel de Coulanges (XIXème siècle)
"Les hommes (dans l'empire romain) étaient administrés, protégés, surveillés par une puissance très éloignée et très haut placée, dont l'action s'exerçait sur eux par une hiérarchie de fonctionnaires"
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mercredi, 21 juillet 2010
L'excommunication des insectes
Un extrait du livre de Serge Schall, publié aux éditions Plume de Carotte, De mémoire de vergers.
photo de Sara
"Les procès d'animaux sont courants depuis le Moyen Âge, mais il s'agissait surtout de condamner les animaux responsables de la mort ou de blessures graves infligées à l'homme. Nombreux furent les porcs, ayant dévoré un enfant ou l'ayant défiguré, à subir le fouet ou le bâton jusqu'à la mort, ou à être écartelés. Plus surprenant sont les procès faits aux insectes :
En 1516, l'Official des Tréguiers commande aux chenilles de sortir de son diocèse sous peine d'excommunication. En 1587, une attaque de verpillons, de petits charançons vert doré, fait des ravages dans le vignoble de Saint-Julien-Montdenis, en Savoie. Début avril, le procès est précédé d'une expertise à laquelle sont sommés d'assister les verpillons. Les insectes bénéficient d'un procureur d'office et d'un avocat qui plaide, en vain, le non-lieu. En 1690, c'est au tour des chenilles présentes dans le vignoble auvergnat. Demande est faite de nommer un curateur pour les chenilles afin de les assigner devant un juge et de procéder à "l'abjuration des chenilles". On pourrait citer de nombreux exemples, ils fleurissent jusqu'au XIXème siècle".
Serge Schall, de Mémoire de Vergers, éditions plume de Carotte.
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dimanche, 11 juillet 2010
Les bras maritimes
(un billet d'Edith)
Je suis hermétique à toute la poésie contemporaine excepté deux ou trois poèmes, dont celui que j'ai découvert sur une affiche, une affiche achetée par ma mère graphiste qui aimait le graphisme des affiches des éditions Mouvement Fix de Nancy.
Elle s'est procurée (avec difficultés) quelques unes de ces affiches, elles les a achetées par correspondance. L'une d'elle contenait un poème signé Luis Mizon et quelques mues de cigales. Les phrases de ce poème ont rejoint les quelques films, photographies, peintures, sculptures, poésies, musiques qui forment la source de mes hallucinations oniriques fréquentes.
Je le reproduis ci-dessous puisque les éditions de poster-poésie ont mis le poème en ligne il y a déjà longtemps (deux ans ?).
Là où il n’y a rien
quelque chose brille
le rêve de la lumière enfermée
réveille la pierre
à coup de dents
du plus profond de sa racine enfouie
la terre fabrique des yeux
La maison de la vie
libère son cheval de couleurs
lourde et sucrée la mort arrive
et offre des pommes confites
aux enfants morts d’insolation
à la sortie de l’école
A la fête du désordre
arrivent les anges déchaussés
les bougies se transforment en fleurs
à l’orgie du silence
arrivent les invités
ivres d’avoir bu trop de mots
Les atomes rentrent dans le rang
j’obéis en silence
et j’attends la sonnerie
pour sortir en criant
un cheval impatient
m’ emportera loin d’ici
nous chasserons le tigre
dans la vague indigo
Je pardonne
à la lumière
d’être si blanche
j’abandonne au passant
mon vieux pouvoir d’exhausser les désirs
je jette la haine au caniveau
je suis presque heureux
autrefois
j’aurais dit le contraire
Vieilli dans l’art de faire des vers
qui consiste à oublier tout chemin
j’écoute le chant de ma mère :
l’étoile
et de mon père :
le granit barbu de la côte
ils s’endorment tous les deux
bercés dans mes bras maritimes
Laisse - moi partir maintenant
au fond de mon exil
vers la terre chevauché par mon ombre
au milieu d’un fleuve
pareil à la chevelure d’un géant terrassé
notre murmure est torche
moulin et phare
là où il n’y a rien
quelque chose brille
Signé Luis Mizon et quelques mues de cigales, daté de 2007, ce poème est lisible aussi sur le blog nancéen des éditions Mouvement Fix.
Je conseille d’acheter le poster-poésie. Si les éditions le vendent encore…
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samedi, 10 juillet 2010
Soir bleu d'Hopper
Ivo Kranzfelder, dans son livre Hopper, parle du tableau d'Edward Hopper intitulé Soir bleu.
Editions Taschen, traduction française d'Annie Berthold.
Hopper prétend qu'il lui fallut dix ans pour arriver à surmonter l'influence européenne, et par "européenne", il faut entendre bien sûr "française". La meilleure preuve en est le tableau Soir bleu daté de 1914. Ce tableau occupe une place plutôt à part dans l'oeuvre de Hopper, du fait déjà que la scène est peuplée et dominée par des figures humaines. L'espace dans lequel elles se trouvent n'est que vaguement esquissé. Il s'agit sans doute de la terrasse d'un café close par une balustrade. L'arrière plan est indéfini, une ligne ondulée le partage entre une surface bleu clair et une surface bleu foncé. La balustrade de pierre accentue la division de l'espace en un extérieur et un intérieur. A gauche, un tiers du tableau est séparé du reste par une bande verticale de couleur, probablement un poteau servant de support à un toit imaginaire où sont suspendues des lanternes.
Cette mise en scène correspond parfaitement aux personnages. Sur la gauche, un proxénète est assis en solitaire à une table ; un dessin préparatoire du personnage (Un maquereau, étude préliminaire à Soir bleu) permet de l'identifier comme tel. A la table voisine se trouve un homme vu de profil et dont les yeux disparaissent sous un large béret basque ; il porte la barbe, une cigarette au coin des lèvres et une ombre très marquée sous la pommette. La cigarette est un point commun entre lui et le clown qui est assis ostensiblement au centre de l'espace à droite, le regard fixe. Entre ces deux personnages se trouve un militaire, certainement un officier en tenue de sortie, assis lui aussi à la table, le dos tourné vers le spectateur. Vu la position de la tête, il semble regarder une femme très maquillée, de toute évidence une prostituée, qui se tient debout de l'autre côté de la balustrade. Enfin, plus à droite, à la table voisine, un couple de grands bourgeois en habit, les cheveux et la barbe très soignés, observe la scène. Presque tous les personnages empiètent les uns sur les autres, ce couple, lui, se situe clairement à l'écart.
Trois figures, au caractère typologique marqué et sans individualité, sont liées par de fortes affinités : le maquereau, le barbu au béret basque et le clown. Tous trois ont une cigarette tombante au coin des lèvres mais elle ne dégage pas de fumée. La cigarette doit être vue plutôt comme un attribut, un signe d'appartenance à une couche sociale bien déterminée, qui est, en l'occurrence, cette fameuse bohème parisienne, ce demi-monde où se côtoient le génie artistique et les criminels. Lloyd Goodrich rapporte que Hopper s'est toujours tenu à l'écart de ce milieu. Au café se rencontrent aussi les membres de la bonne société, représentés par les trois autres personnages ; ils viennent ici comme la bohème mais se tiennent à l'écart d'elle.
Edouard Manet appartenait à ces deux mondes : membre de la haute société, il savait "se comporter avec l'élite aisée et cultivée mais évoluait tout aussi facilement au milieu des asociaux de la grande ville, qui lui servaient aussi souvent de modèles". C'est dans ce contexte qu'il faut comprendre le personnage assis à moitié dans l'espace réservé au proxénète. Deux figures présentent de grandes affinités, si ce n'est déjà par le maquillage : la prostituée, sûre d'elle, qui reste en dehors et domine de toute sa hauteur les autres personnages, et le clown. Difficile de savoir dans quelle direction elle regarde vraiment, elle a probablement repéré un client potentiel, le militaire.
Soir bleu évoque aussi la place de l'artiste dans la société - un thème rare chez Hopper - et plus précisément, il faut le supposer, celle de l'artiste qu'il est. Son tout dernier tableau Deux comédiens (1956) sera encore une variation sur ce thème. Hopper identifie assurément le clown avec l'artiste. La comparaison entre l'artiste et le bouffon et le saltimbanque, voire le magicien, est un thème traditionnel que l'on retrouve aussi dans les biographies d'artistes. Gail Levin raconte l'anecdote selon laquelle Hopper aurait mis des punaises peintes sur l'oreiller de son condisciple Walter Tittle. C'est un thème très prisé depuis l'Antiquité jusqu'à nos jours en passant par la Renaissance : Pline ne raconte-t-il pas que Xeuxis a peint des raisins que les moineaux auraient cherché à picorer ? Giorgio Vasari que l'élève a dessiné un insecte sur le tableau du maître et que celui-ci aurait essayé de le chasser ? Outre ce thème traditionnel, Hopper a intégré dans Soir bleu quelques références personnelles. Ainsi la prostitution est à rapprocher de son activité commerciale d'illustrateur, de même que le personnage de l'artiste accepté, reconnu, qui se rengorge comme il se doit, suggère l'insuccès de Hopper à l'époque (n'avait-il pas vendu jusque là en tout et pour tout un tableau au "Armory Show"?) On peut voir aussi dans l'expression de stupeur du personnage à droite, posant un regard peu amène sur les autres personnes du tableau, le fait de ne pas être encore reconnu et apprécié.
Hopper présente Soir bleu en 1915 à une exposition du groupe "MacDowell Club". C'est sa première oeuvre dont parlent les critiques. Leur compte rendu est une critique en règle de ce tableau présenté comme un ambitieux produit de l'imagination dénué d'intensité expressive. Il est décrit comme un portrait de buveurs d'absinthe parisiens pas particulièrement réussi. En revanche, l'autre toile de Hopper présentée à cette exposition, Coin de rues new-yorkais (1913), est bien reçu par la critique. Hopper n'exposera plus jamais Soir bleu. Gail Levin prétend que cette toile fut inspirée d'un vers d'Arthur Rimbaud, et en cite pour preuve le début : "Par les soirs bleus d'été..." La concordance fortuite (sic, note d'AlmaSoror) des mots "soir bleu" ne signifie pas forcément qu'il s'agit ici d'une connexion sciemment établie par l'artiste.
Cependant, ces considérations nous amènent à nous poser une question non négligeable : quels étaient les goûts et les connaissances de Hopper en littérature, en art, etc. ? Selon Levin, Hopper était doté d'un niveau intellectuel élevé. Il avait lu les classiques français et russes traduits, parmi lesquels Molière, Victor Hugo, Marcel Proust, Arthur Rimbaud, Paul Verlaine et Charles Baudelaire. On raconte toujours que Hopper appréciait au plus haut point le poème de Goethe "Wanderers Nachtlied" ("über allen Gipfeln ist Ruh..."), qu'il pouvait réciter en allemand. Il prétendait d'ailleurs que le poème de Goethe avait une force visuelle extraordinaire. Hopper aimait le nouveau roman réaliste américain, celui de Theodor Dreiser par exemple, ou le théâtre moderne d'Eugene O'Neill, de Maxwell Anderson, d'Elmer Rice ou de Thornton Wilder, de la même génération que Hopper, et plus tard celui de Tennessee Williams".
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jeudi, 08 juillet 2010
Les stations-service
Voulez-vous lire un extrait du Paysan de Paris, de Louis Aragon ?
Ce livre surréaliste exalte évidemment le progrès, et particulièrement le progrès du béton sur la forêt, le progrès du citadin sur l'homme de la terre, ce qui peut faire froid dans le dos, certes, aux frères des animaux, des arbres et de l'enfance va-nu-pieds. N'en admirons pas moins le style, la pensée, la poésie.
Admirons aussi la mystique presque médiévale du bâtisseur inconnu...
Enfin, admirons la naïveté d'un communiste pratiquant, c'est à dire adepte d'une religion sans dieu qui fit des millions de morts, face aux terribles moeurs des lointains peuples "primitifs".
Les stations service, donc. Voilà comme il les décrit - en 1926 :
"Ce sont de grands dieux rouges, de grands dieux jaunes, de grands dieux verts, fichés sur le bord des pistes spéculatives que l'esprit emprunte d'un sentiment à l'autre, d'une idée à sa conséquence dans sa course à l'accomplissement. Une étrange statuaire préside à la naissance de ces simulacres. Presque jamais les hommes ne s'étaient complus à un aspect aussi barbare de la destinée et de la force. Les sculpteurs sans nom qui ont élevé ces fantômes métalliques ignoraient se plier à une tradition aussi vivre que celle qui traçait les églises en croix. Ces idoles ont entre elles une parenté qui les rend redoutables. Bariolés de mots anglais et de mots de création nouvelle, avec un seul bras long et souple, une tête lumineuse sans visage, le pied unique et le ventre à la roue chiffrée, les distributeurs d'essence ont parfois l'allure des divinités de l'Egypte ou de celles des peuplades anthropophages qui n'adorent que la guerre. Ô Texaco motor oil, Eco, Shell, grandes inscriptions du potentiel humain ! bientôt nous nous signerons devant vos fontaines, et les plus jeunes d'entre nous périront d'avoir considéré leurs nymphes dans le naphte".
Louis Aragon, le Paysan de Paris, 1926
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mercredi, 07 juillet 2010
Des inconvénients qui naissent de leur inconsistance
J'ai en mains un joli livre vert des éditions Cartouche, qui publient un texte oublié depuis sa première édition de 1940.
Les chroniques de la fin d'un monde, de Pierre Mac Orlan, naviguent entre platitudes belles et passages marquants de poésie.
Voilà quelques mots du chapitre intitulé "Romantisme des mers imaginaires".
"D'autres navires fantômes tracassent la solitude des vieux retraités de la marine. Ceux qui aiment à vivre dans le commerce de ces braves gens connaissent également ce tourment. Il faut bien signaler ici ces merveilleux bateaux-fantômes en bouteilles que l'on trouve parfois et à des prix sérieux dans l'arrière-boutique des antiquaires.
Ces bateaux-fantômes en bouteilles proviennent sans doute des grands fonds océaniques, des abysses étranges où les noyés ont des loisirs. Ils sont gréés comme les plus célèbres fantômes des flottes mortes. Ils possèdent un nom, une histoire à dormir debout et des inconvénients qui naissent de leur inconsistance.
Il n'est pas facile d'en posséder un pour le placer sur une cheminée. Cependant, ils existent, quelque part, dans le fouillis séduisant d'une boutique spécialisée. Le chercheur de bateaux-fantômes en bouteille qui ne craint pas la poussière sépulcrale des siècles anciens peut également espérer découvrir, entre autres objets de même provenance, la bourse de Fortunatus, la clé des songes, la lampe d'Aladin, le coffret de Psyché et l'anneau de Gygès. En somme, on trouve tout ce que l'on veut dans les Grands Magasins de l'Aventure qui ne ferment jamais, même les dimanches et fêtes".
Pierre Mac Orlan
Chroniques de la fin d'un monde
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samedi, 03 juillet 2010
ses galops de lumière à tous les étages du ciel
Les lieux ressemblent à leurs maîtres et les maîtres à leurs lieux, les uns prêts pour les autres, cette attente réciproque engendrant leur similitude. Les pieds-d'alouette, autour du moulin, les figuiers, au début du sentier, l'oeil bleu des iris et le romarin en faction près de la porte éveillaient des libertés qu'aucune prospérité n'octroie. La pauvreté - non la misère - met des diamants partout. Car ces fleurs, devenues ici l'espace d'un poète, parlaient une autre langue et de tous les côtés, le paysage s'en allait comme un geste de bonheur, avec ses galops de lumière à tous les étages du ciel et ses houles de vent accourues du silence des plaines. Des diamants partout : la beauté donnée pour rien à celui qui n'a rien.
Si la misère n'enseigne rien que l'envie et la haine, la pauvreté, par contre, fait les princes véritables parce qu'elle ne tient pas compte du paravent des apparences.Logée dans l'essentiel, soucieuse de l'essentiel et tirant son gouvernement du dedans, elle n'aménage - et elle le sait - que les demeures intérieures. C'est-à-dire à peu près tout ce qui nous regarde et fournit à nos jours leur valeur.
Extrait d'un texte de Charles Le Brun sur Armel Guerne, à lire ICI.
et voici un texte d'Armel Guerne :
"Depuis le petit cœur impatient de mon enfance jusqu'à ce vieux cœur meurtri, pantelant, essoufflé, mais toujours plus avide de lumière, je n'ai pas eu d'autre ambition que celle d'être accueilli et reçu comme un poète, de pouvoir me compter un jour au nombre saint de ces divins voyous de l'amour. Je n'ai jamais voulu rien d'autre, et je crois bien n'avoir perdu pas un unique instant d'entre tous ceux qu'il m'a été donné de vivre, en détournant les yeux de ce seul objectif jamais atteint, sans doute, mais visé toujours mieux et avec une passion de jour en jour plus sûre d'elle."
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jeudi, 01 juillet 2010
Nuée
un extrait de La nuée sur le sanctuaire, de Karl von Eckartshausen, mystique allemand du XVIIIème siècle.
"Aucun siècle n'est plus remarquable pour l'observateur paisible que le nôtre. Partout il y a fermentation dans l'esprit comme dans le coeur de l'homme ; partout il y a combat de la lumière avec les ténèbres, des idées mortes avec les idées vivantes, de la volonté morte et sans puissance avec la force vivante et active ; partout enfin il y a guerre entre l'homme animal et l'homme spirituel naissant.
Homme naturel !... renonce à tes dernières forces, ton combat même annonce la nature supérieure qui sommeille en toi... Tu pressens ta dignité, tu la sens même ; mais tout est encore obscur autour de toi,, et la lampe de ta faible raison n'est pas suffisante pour éclairer les objets auxquels tu devrais tendre.
On dit que nous vivons dans le siècle des lumières, il serait plus juste de dire que nous vivons dans le siècle du crépuscule : çà et là, le rayon lumineux pénètre à travers la nuée des ténèbres, mais il n'éclaire pas encore, dans toute sa pureté, notre raison et notre cœur. Les hommes ne sont pas d'accord sur leurs conceptions ; les savants se disputent ; et, là où il y a dispute, il n'y a pas encore de vérité.
Les objets les plus importants pour l'humanité sont encore indéterminés. On n'est d'accord ni sur le principe de la raison ni sur le principe de la moralité ou du mobile de la volonté. Ceci est une preuve que, malgré que nous soyons dans le grand temps des lumières, nous ne savons pas encore bien ce qu'il en est de notre tête et de notre coeur.
Il serait possible que nous sussions tout ceci plus tôt, si nous ne nous imaginions pas que nous avons déjà le flambeau de la connaissance dans nos mains, ou si nous pouvions jeter un regard sur notre faiblesse et reconnaître qu'il nous manque encore une lumière plus élevée.
Nous vivons dans les temps de l'idolâtrie de la raison ; nous posons un flambeau de poix sur l'autel, et nous crions hautement que maintenant c'est l'aurore et que partout le jour apparaît réellement, en ce que le monde s'élève de plus en plus de l'obscurité à la lumière et à la perfection par les arts, les sciences, un goût cultivé, et même par une pure compréhension de la religion.
Pauvres hommes ! jusqu'où l'avez-vous poussé, le bonheur des hommes ? Y a-t-il jamais eu un siècle qui ait coûté tant de victimes à l'humanité que le siècle présent? Y a-t-il jamais eu un siècle où l'immoralité ait été plus grande et où l'égoïsme ait été plus dominant que dans celui-ci ? L'arbre se reconnaît à ses fruits.
Gens insensés !... Avec votre raison naturelle imaginaire... d'où avez-vous la lumière avec laquelle vous voulez si bien éclairer les autres? Est-ce que toutes vos idées ne sont pas empruntées des sens, qui ne vous donnent point la vérité, mais seulement des phénomènes ?"
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lundi, 28 juin 2010
Les origines de la liturgie
Un cours de Maxime KOVALEVSKY à lire sur ce site
Voici très brièvement, un rappel de la méthode appliquée à l'enseignement religieux traditionnel : dès sa tendre enfance, le Juif apprend quotidiennement par cœur et fragment par fragment, les Écritures en hébreu en même temps que leur traduction en araméen. Ainsi se gravent en lui des textes traditionnels qui, organiquement assimilés grâce à un système "formulaire" mnémotechnique, font de lui un livre vivant. Devenu adulte, il participe aux exercices hebdomadaires de remémoration en hébreu des textes sacrés, faite par un Lecteur spécialisé (le mikraïste), suivie immédiatement par sa traduction proclamée en araméen par un Intermédiaire-Interprète (le targoûmiste, ou paraclîta-metourgueman, le "paraclet"), qui ne doit jamais "lire" le texte sur lequel il lui est interdit de jeter le regard afin de garder à ce qu'il dit son caractère d'oralité, de parole "vivante". Puis intervient un Commentateur Inspiré (le midrashiste) généralement un rabbi connu et vénéré grâce auquel s'éclaire la parole de Dieu.
C'est ici qu'il nous est apparu comme une évidence frappante, que les trois étapes soudées de ce mode d'enseignement ont tout naturellement préparé le peuple juif à recevoir la Révélation Trinitaire : le Mikraïste lit le texte hébreu sacré qui remonte à l'origine des temps et que l'on vénère sans le comprendre ; c'est la première étape qui correspond à Dieu le Père, Source de Vie. Puis grâce au Targoûmiste ce texte sacré s'anime, devient "verbe", incarné en langage vivant. C'est la deuxième étape, celle qui correspond à la venue du Fils, Incarnation du Verbe. Et enfin le Midrashiste inspiré commente cette Parole de Dieu devenue vivante, et ouvre les âmes à sa compréhension. C'est ainsi que dans la Trinité apparaît le rôle du Saint-Esprit. Et quand le Christ, le Jeudi Saint, annonce : "Un autre Paraclet viendra", ce mot signifie à la fois traducteur, commentateur et consolateur, et il annonce un enseignement plus avancé.
Ce n'est donc pas dans un monde ignorant que vient le Christ, mais au contraire parmi des gens admirablement préparés à Le recevoir, aussi bien dans la classe soi-disant illettrée qui L'attend tel qu'Il vient, que dans la classe intellectuelle du Temple profondément hostile à la Révélation qu'Il apporte et qui bouleverse les situations établies.
Maxime KOVALEVSKY à lire ICI
1982
Cours 1966-67 revu et augmenté
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samedi, 26 juin 2010
Ostende
Une chanson de Gribouille... disparue dans les barbituriques et l'alcool en 1968, juste avant la gloire.
Si je savais parler d'Ostende
Moi, je lui donnerais ton nom
Je dirais à qui veut l'entendre
Que tu mérites une chanson.
Ostende, tu me l'as faite si jolie
Personne jamais ne m'a changé Paris.
Et de mémoire de vague
S'il en faut en croire les vagues
Et de mémoire d'algue
Si l'on veut croire les algues.
Il n'y a pas eu avant
D'amants plus beaux que nous
Et même que Tristan
Dormait à nos genoux.
Si je savais parler d'Ostende
Je lui en demanderais pardon
Car je jure à qui veut l'entendre
Qu'elle a toujours porté ton nom.
Ostende qui faisait taire ses navires
Je sais, c'était pour mieux t'entendre rire.
Et nous étions debout
Sans savoir qu'il pleuvait.
En buvant cet orage
Pour Dieu que je t'aimais !
Les mots que tu m'as dits
Ils ne s'écrivent pas
Les plumes et les poètes
Se taisent quelquefois.
Si je savais parler d'Ostende
Je ne dirais rien de la mer
Mais dirais à qui veut l'entendre
Que l'amour te fait les yeux verts.
Je ne sais pas parler d'Ostende
Je ne sais faire qu'une chanson
Il n'y aura que toi pour comprendre
Que tout au long j'ai dit ton nom.
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