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jeudi, 15 octobre 2009

So we’ll go no more a-roving

 

Derrière un pilier.jpg

 

So we’ll go no more a-roving
So late into the night,
Though the heart be still as loving,
And the moon be still as bright.
For the sword outwears its sheath,
And the soul outwears the breast,
And the heart must pause to breathe,
And love itself have rest.
Though the night was made for loving,
And the day returns too soon,
Yet we’ll go no more a-roving
By the light of the moon.

 

Lord Byron

 

mercredi, 14 octobre 2009

Guibert de Nogent et la dépravation des femmes

Nous sommes vers l'an 1100 (excusez mon inexactitude : à l'époque, je mangeais à la table des anges). 
 

Guibert de Nogent, désabusé, profondément inquiet, écrit sur les nouvelles manières des femmes. C'était environ 800 ans avant Hollywood.

 

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phot. "Une dépravée aux Sables d'Olonne", par Sara

 

 

"Hélas, la modestie et l'honneur virginaux ont été misérablement délaissés, et l'autorité maternelle affaiblie à la fois en apparence et en fait, si bien que toute leur conduite ne révèle qu'une gaieté indécente, qui ne fait entendre que des moqueries, accompagnées de clins d'yeux et des langues qui caquettent, une démarche sans retenue, et des façons tout à fait ridicules. La qualité de leurs vêtements les éloigne tant de la réserve d'autrefois que dans l'élargissement de leurs manches, le resserrement de leurs corsages, leurs souliers en maroquin de Cordoue à pointe retroussée - bref, toute leur personne ignore la honte. Chacune croit avoir atteint le plus bas échelon de l'infortune si elle est privée d'hommages amoureux et mesure la splendeur de sa noblesse ou de son élégance au nombre croissant de tels prétendants... C'est de cette façon que nos temps modernes se corrompent."
 

Cité ( et traduit de l'ancien français) par Joan Evans, in La civilisation en France au Moyen Âge, Payot, Paris, 1930. 80 gravures. 

lundi, 05 octobre 2009

Anne

 

 

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Anne qui se mélange au drap pale et délaisse
Des cheveux endormis sur ses yeux mal ouverts
Mire ses bras lointains tournés avec mollesse
Sur la peau sans couleur du ventre découvert.
 

Elle vide, elle enfle d'ombre sa gorge lente,
Et comme un souvenir pressant ses propres chairs,
Une bouche brisée et pleine d'eau brûlante
Roule le goût immense et le reflet des mers.
 

Enfin désemparée et libre d'être fraîche,
La dormeuse déserte aux touffes de couleur
Flotte sur son lit blême, et d'une lèvre sèche,
Tête dans la ténebre un souffle amer de fleur.
 

Et sur le linge où l'aube insensible se plisse,
Tombe, d'un bras de glace effleuré de carmin,
Toute une main défaite et perdant le délice
A travers ses doigts nus dénoués de l'humain.
 

Au hasard! A jamais, dans le sommeil sans hommes
Pur des tristes éclairs de leurs embrassements,
Elle laisse rouler les grappes et les pommes
Puissantes, qui pendaient aux treilles d'ossements,
 

Qui riaient, dans leur ambre appelant les vendanges,
Et dont le nombre d'or de riches mouvements
Invoquait la vigueur et les gestes étranges
Que pour tuer l'amour inventent les amants...
 

Paul Valery

 

vendredi, 25 septembre 2009

An Angel Runs

 

 

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Phot Sara

 

 

 

An angel runs
Thru the sudden light
Thru the room
A ghost precedes us
A shadow follows us
And each time we stop
We fall 

 

James Douglas Morrison

 

lundi, 21 septembre 2009

Contre la télévision - Pasolini

Extraits de Contre la télévision, de Pier Paolo Pasolini.

 

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Il émane de la télévision quelque chose d'épouvantable. Quelque chose de pire que la terreur que devait inspirer, en d'autres siècles, la seule idée des tribunaux spéciaux de l'Inquisition. Il y a, au tréfonds de la dite "télé", quelque chose de semblable, précisément, à l'idée de l'Inquisition : une division nette, radicale, taillée à la serpe, entre ceux qui peuvent passer et ceux qui ne peuvent pas passer : ne peut passer que celui qui est imbécile, hypocrite, capable de dire des phrases et des mots qui ne soient que du son ; ou alors celui qui sait se taire - ou se taire en chaque moment de son discours - ou bien se taire au moment opportun, comme le fait aussi Moravia, quand il est interviewé ou qu'il participe à des "tables rondes", toujours viles et pédantes, naturellement. Celui qui n'est pas capable de ces silences ne passe pas. On ne déroge pas à pareille règle. Et c'est en cela - essayez de bien y réfléchir - que la télévision accomplit la discrimination néo-capitaliste entre les bons et les méchants. Là réside la honte qu'elle doit cacher, en dressant un rideau de faux "réalismes". 

 

(...)

 

"Au sein de la terreur qui règne en amont du petit écran, comme à l'intérieur du petit écran, la terreur de prononcer certains mots, d'affirmer certains arguments, d'assumer simplement certaines tonalités de voix, tel ou tel mensonge ou mystification, préside à toute opération linguistique. (...)

Les politiques et leurs commentateurs se cachent tous derrière un masque qui ne se trahit jamais, qui ne cède jamais à un sourire, à une timidité, à quelque incertitude : à la fraternité. Tout est déjà préétabli et assuré : soyez tranquilles ! On se donne du mal, et l'on s'en donnera toujours plus. En bref, la télévision est "paternaliste" : voilà son possible slogan définitif. Les préceptes du père sont une énumération rigide de ce qui peut et ne peut pas être dit ou fait. 
IL n'y a au fond qu'une seule chose qui échappe à la surveillance - au fond filiale, obsessionnelle, désespérée, mesquine, terrorisée - du "père télévisuel" et qui ne peut pas ne pas lui échapper, parce que cette chose est en lui, elle est sa propre réalité : c'est la vulgarité. Tout ce qui apparaît dans le petit écran et en amont du petit écran, toute la préparation et l'organisation de l'emballage protecteur de l'information - est vulgaire

 

Pier Paolo Pasolini - Contre la télévision
Editions les Solitaires Intempestifs.
Traduction de Caroline Michel et Hervé Joubert-Laurencin

mardi, 15 septembre 2009

Dans l'air frais du matin ...

 

 

 

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Dans l'air frais du matin où s'effare la feuille,

Dans la jeune clarté des jours roses et bleus,

Dans la nuit solennelle et pure où se recueille

L'âme présente encor des bergers fabuleux,

 

Dans le cristal des eaux, dans le velours des mousses

Dans l'innocence en fleur des jardins radieux,

Dans le concert que font toutes les choses douces,

Je retrouve, ô ma sœur, la douceur de tes Yeux.

 

Le printemps odorant la divine féerie,

Le renouveau fêtant sa jeune volupté

S'incarne pour mon cœur dans ta robe fleurie

Et dans ton corps exquis comme un rêve sculpté.

 

Les Parfums, les Couleurs, la tendresse de vivre,

Le mois vierge baigné de souffles et d'encens,

L'enluminure d'or aux marges du Vieux Livre,

O mon âme, c'est dans ton cœur que je les sens.

 

Le désir qui palpite à travers la nature

Et s'élance en festons étoilés dans les bois,

Je le sens frissonner parmi ta chevelure

Et je le vibre entier, rien qu'à serrer tes doigts.

 

Ce qui couve d'ardeurs suaves et de fièvres

Au sein mystérieux de la création

Se ramasse en mon cœur pour jaillir vers tes lèvres

Et ruisseler dans l'ombre en adoration.

 

Voici venir les temps où tu marches déesse,

Où la rose d'amour fleurit à tes seins blancs,

Où ton nom murmuré fiance une caresse

A la suavité des narcisses tremblants.

 

Voici venir les temps où tes beaux yeux limpides

Semblent plus clairs encore et plus profonds qu'hier,

Et versent à mon cœur plein de songes viriles

L'ivresse d'un lever de lune sur la mer.

 

Et les fleurs sont tes yeux, et la lumière blonde

Ton sourire, et le ciel bleu-frêle ta douceur,

Et tout l'amour fumant de l'encensoir du monde

Ta lèvre sur mon âme appuyée, ô ma sœur.

 

Albert Samain

 

 

mercredi, 13 mai 2009

Vous n'avez faim que de bêtes innocentes et douces...

Fragments

La rubrique Fragments offre des morceaux de textes classiques, connus ou inconnus, qu'il est heureux de relire.

Vous n'avez faim que des bêtes innocentes et douces…

Plutarque,
cité dans Emile ou de l'éducation
de Jean-Jacques Rousseau

 

"Mais vous, hommes cruels, qui vous force à verser du sang ? Voyez quelle affluence de biens vous environne! combien de fruits vous produit la terre! que de richesses vous donnent les champs et les vignes! que d'animaux vous offrent leur lait pour vous nourrir et leur toison pour vous habiller! Que leur demandez-vous de plus ? et quelle rage vous porte à commettre tant de meurtres, rassasiés de biens et regorgeant de vivres ? Pourquoi mentez-vous contre votre mère en l'accusant de ne pouvoir vous nourrir ? Pourquoi péchez-vous contre Cérès, inventrice des saintes lois, et contre le gracieux Bacchus, consolateur des hommes ? comme si leurs dons prodigués ne suffisaient pas à la conservation du genre humain! Comment avez-vous le cœur de mêler avec leurs doux fruits des ossements sur vos tables, et de manger avec le lait le sang des bêtes qui vous le donnent ? Les panthères et les lions, que vous appelez bêtes féroces, suivent leur instinct par force, et tuent les autres animaux pour vivre. Mais vous, cent fois plus féroces qu'elles, vous combattez l'instinct sans nécessité, pour vous livrer à vos cruels délices. Les animaux que vous mangez ne sont pas ceux qui mangent les autres : vous ne les mangez pas, ces animaux carnassiers, vous les imitez ; vous n'avez faim que des bêtes innocentes et douces qui ne font de mal à personne, qui s'attachent à vous, qui vous servent, et que vous dévorez pour prix de leurs services.

O meurtrier contre nature! si tu t'obstines à soutenir qu'elle t'a fait pour dévorer tes semblables, des êtres de chair et d'os, sensibles et vivants comme toi, étouffe donc l'horreur qu'elle t'inspire pour ces affreux repas ; tue les animaux toi-même, je dis de tes propres mains, sans ferrements, sans coutelas ; déchire-les avec tes ongles, comme font les lions et les ours ; mords ce bœuf et le mets en pièces ; enfonce tes griffes dans sa peau ; mange cet agneau tout vif, dévore ses chairs toutes chaudes, bois son âme avec son sang. Tu frémis! tu n'oses sentir palpiter sous ta dent une chair vivante! Homme pitoyable! tu commences par tuer l'animal, et puis tu le manges, comme pour le faire mourir deux fois. Ce n'est pas assez : la chair morte te répugne encore, tes entrailles ne peuvent la supporter ; il la faut transformer par le feu, la bouillir, la rôtir, l'assaisonner de drogues qui la déguisent : il te faut des charcutiers, des cuisiniers, des rôtisseurs, des gens pour t'ôter l'horreur du meurtre et t'habiller des corps morts, afin que le sens du goût, trompé par ces déguisements, ne rejette point ce qui lui est étrange, et savoure avec plaisir des cadavres dont l'oeil même eût eu peine à souffrir l'aspect."

 

vendredi, 08 mai 2009

The Lover and the Beloved

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The Lover and the Beloved

 

The Ballad of the Sad Café

Penguin Books, 1963
First published in 1951 (USA)

Carson McCullers

 

 

“First of all, love is a joint experience between two persons – but the fact that it is a joint experience does not mean that it is a similar experience to the two people involved. There are the lover and the beloved, but these two come from different countries. Often the beloved is only a stimulus for all the stored-up love which has lain quiet within the lover for a long time hitherto. And somehow every lover knows this. He feels in his soul that is love is a solitary thing. He comes to know a new, strange loneliness and it is this knowledge which makes him suffer. So there is only one thing for the lover to do. He must house his love within himself as best he can ; he must create for himself a whole new inward world – a world intense and strange, complete in himself. Let it be added here that this lover about whom we speak need not necessarily be a young man saving for a wedding ring – this lover can be man, woman, child, or indeed any human creature on this earth.

Now, the beloved can also be of any description. The most outlandish people can be the stimulus for love. A man may be a doddering great grand-father and still love only a strange girl he saw in the streets of Cheehaw one afternoon two decades past. The preacher may love a fallen woman. The beloved may be treacherous, greasy-headed, and given to evil habits. Yes, and the lover may see it as clearly as anyone else – but that does not affect the evolution of his love one whit. A most mediocre person can be the object of a love which is wild, extravagant, and beautiful as the poison lilies of the swamp. A good man may be the stimulus for a love both violent and debased, or a jabbering madman may bring about in the soul of someone a tender and simple idyll. Therefore, the value and quality of any love is determined solely by the lover himself.

It is for this reason that most of us would rather love than be loved. Almost everyone wants to be the lover. And the curt truth is that, in a deep secret way, the state of being beloved is intolerable to many. The beloved fears and hates the lover, and with the best of reasons. For the lover is for ever trying to strip bare his beloved. The lover craves any possible relation with the beloved, even if this experience can cause him only pain”.

vendredi, 01 mai 2009

Eloge de la mémoire

Fragment

La rubrique Fragments offre des morceaux de textes classiques, connus ou inconnus, qu'il est heureux de relire.

 

Eloge de la mémoire

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François de Chateaubriand, 1768-1848
Mémoires d'outre-tombe, 1849
&
Luis Buñuel, 1900-1983
Mon dernier soupir, 1986
(co-écrit avec Jean-Claude Carrière)
Buñuel, ouvrent leurs biographies
par un éloge de la mémoire.

« Une chose m'humilie : la mémoire est souvent la qualité de la sottise ; elle appartient généralement aux esprits lourds, qu'elle rend plus pesants par le bagage dont elle les surcharge. Et néanmoins, sans la mémoire, que serions-nous ? Nous oublierions nos amitiés, nos amours, nos plaisirs, nos affaires ; le génie ne pourrait rassembler ses idées ; le coeur le plus affectueux perdrait sa tendresse, s'il ne s’en souvenait plus ; notre existence se réduirait aux moments successifs d'un présent qui s'écoule sans cesse ; il n'y aurait plus de passé. Ô misère de nous ! notre vie est si vaine qu'elle n'est qu'un reflet de notre mémoire ».


François de Chateaubriand, Mémoires d’outre-tombe



C’est aussi après avoir opposé les récitations par cœur, si méprisées, de sa vie d’écolier et l’amnésie de vieillesse de sa mère, que Luis Buñuel redonne à la mémoire son rôle sentimental et biographique.

« La mémoire est perpétuellement envahie par l'imagination et la rêverie, et comme il existe une tentation de croire à la réalité de l'imaginaire, nous finissons par faire de notre mensonge une vérité. Ce qui d'ailleurs présente une importance relative, puisqu'ils sont aussi
vécus, aussi personnellement l'un que l'autre.
Dans ce livre semi-biographique, où il m’arrivera de m’égarer comme dans un roman picaresque, de me laisser aller au charme irrésistible du récit qu’on n’attendait pas, quelques faux souvenirs subsistent peut-être encore, malgré ma vigilance. Je le répète, je n’en offre qu’une très légère importance.
Je suis composé de mes erreurs et de mes doutes, comme de mes certitudes. N’étant pas historien, je ne me suis aidé d’aucune note, d’aucun livre, et le portrait que je propose est de toute façon le mien, avec mes affirmations, mes hésitations, mes répétitions, mes lacunes, avec mes vérités et mes mensonges, pour le dire en un mot : ma mémoire ».


Luis Buñuel, Mon dernier soupir

samedi, 25 avril 2009

Discours de Dortmund

Fragment

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LE DISCOURS DE DORTMUND

Les papiers
de Stresemann, vol. 1
La bataille de la Ruhr,
la conférence de Londres, 1923-1924,
Traduction de Henri BLOCH et Paul ROQUES, Paris, Plon, 1932


21 février 1923

« Si l’existence de l’Allemagne est nécessaire à l’Europe, si l’Europe est indispensable au monde, il faut qu’une autre atmosphère règne autour de nous »

Gustav Stresemann, 23 novembre 1923

Gustav Stresemann, député allemand, se rend à Dortmund, dans la Ruhr, le 21 février 1923 pour protester contre l’occupation par les Français de ponts dans la Ruhr et la publication d’une note franco-belge du 9 février interdisant la présence de ministres allemands dans le bassin de la Ruhr.
Gustav Stresemann voulait éviter à tout prix la montée en puissance des "communistes" et des "racistes" (nazis) en Allemagne.
Ce discours nous éclaire sur la façon dont les hommes du début du siècle vivaient les drames que nous connaissons de loin.


Pendant la guerre on lançait dans nos lignes des tracts, dans lesquels on expliquait à nos soldats qu’ils combattaient pour une cause injuste. Beaucoup l’ont cru. Ils ajoutèrent foi à ce mensonge, que nos ennemis ne combattaient pas contre le peuple allemand, mais pour la démocratie, qui nous délivrerait d’une tyrannie insupportable ; ils ajoutèrent foi à l’assurance que, lorsque nous aurions changé la forme de notre gouvernement, l’ennemi nous tendrait la main et que, comme disait Wilson, il n’y aurait plus ni vainqueur ni vaincu. Les ennemis nous promettaient le droit de disposer de nous-mêmes, et une décision équitable au sujet de nos colonies ; ils affirmaient que pour le monde entier le militarisme allemand était un cauchemar, qu’une ère nouvelle de la civilisation allait commencer. Ces paroles, des milliers d’Allemands les entendirent et les crurent. Au retour de nos troupes on a pu même lire dans une ville l’inscription suivante : « Soyez les bienvenus, vaillants soldats, Dieu et Wilson se chargeront du reste. »

Or, qu’est-il advenu ? Le monde est-il délivré du cauchemar du militarisme, maintenant qu’il n’y a plus d’armée allemande ? A-t-on désarmé, lorsque l’Allemagne eut livré ses armes ? Beaucoup de gens ont déclaré qu’il n’était pas moral de construire des sous-marins pour couler des vaisseaux ennemis. Mais les autres nations ne construisent-elles pas des sous-marins, après nous les avoir interdits ? Ne se vantent-elles pas d’augmenter leur flotte aérienne et de fabriquer des explosifs dont l’effet ne peut être surpassé ? Et tout cela ne se fabrique certes pas pour le progrès de l’humanité. Tout ce que nos adversaires nous ont reproché et qu’ils disaient dirigé contre l’humanité, ils s’en servent maintenant. Tout ce qu’ils nous ont conté n’était que mensonge ; nous avons été fous de ne pas nous boucher les oreilles avec de la cire, d’avoir écouté ce chant de sirènes et d’avoir déposé les armes avant conclusion de la paix. Celui qui n’en veut ni à notre droit, ni à notre liberté, n’a pas à craindre l’Allemagne ni maintenant, ni dans l’avenir. Les puissances signataires du traité de Versailles, qui nous ont poussés à déposer les armes, sont par conséquent moralement responsables de la situation actuelle de l’Allemagne. (…)


Gustav STRESEMANN

Suite à ce discours, Gustav Stresemann est contraint de FUIR la Ruhr avec un faux passeport...

mercredi, 15 avril 2009

de la supériorité des athéniens sur les spartiates

Fragment

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Les Corinthiens reprochent aux Lacédémoniens (habitants de Sparte) de ne pas les défendre contre les Athéniens. Ils comparent la passivité de Sparte à l'esprit d'entreprise d'Athènes. C'était il y a deux mille cinq cents ans.

 

Thucydide
La Guerre du Péloponnèse
Traduction de Denis Roussel

"Entre eux et vous, quel contraste ! Vous ne vous ressemblez en rien. Ils sont novateurs, prompts à concevoir, prompts à réaliser ce qu'ils ont décidé. Vous ne songez, vous, qu'à maintenir l'état des choses existant. Jamais il ne vous vient une idée neuve et, au moment d'agir, vous manquez même à l'indispensable. Leur audace dépasse leurs moyens ; ils risquent plus que de raison et, dans les moments critiques, ils gardent bon espoir. Chez vous, les entreprises restent en deçà des moyens ; vous vous défiez même des plus sûrs avis de la raison et, aux heures de péril, vous pensez n'en jamais sortir. Ils se plaisent dans l'action comme vous dans les atermoiements. Ils partent volontiers pour les pays étrangers, tandis que vous tenez par-dessus tout à rester chez vous. Ils comptent, en partant, accroître leurs possessions. Vous craignez de compromettre par de telles expéditions jusqu'à vos biens acquis. S'ils l'emportent sur l'ennemi, le plus qu'ils peuvent, ils poussent leur avantage, et, en cas d'échec, ils cèdent le moins de terrain possible. En outre, si l'Athénien sait, plus que tout autre, faire don de sa personne à la patrie, nul ne sait aussi bien que lui conserver, en se dépensant pour elle, toutes les ressources de son jugement propre. Quand ces gens n'atteignent pas l'objectif qu'ils s'étaient fixé, ils ont l'impression qu'on les dépouille de ce qui leur appartient, et, si une expédition vient à leur rapporter quelque avantage, c'est pour eux un résultat médiocre en comparaison de ce qui leur reste à faire. S'ils viennent à échouer dans quelque tentative, c'est pour eux un manque à gagner qu'ils compensent par de nouvelles espérances. La rapidité avec laquelle ils entreprennent ce qu'ils ont décidé fait de ce peuple un cas unique : chaque fois qu'ils forment un dessein, l'espérance et la possession pour eux ne font qu'un. Pour arriver à tout cela, ils peinent leur vie durant dans les travaux et les périls. Ils profitent fort peu de leurs possessions, occupés qu'ils sont à acquérir toujours. Les jours de fête, pour eux, sont ceux où ils font ce qu'ils ont à faire et les loisirs de l'inaction leur sont plus pénibles que le tracas des affaires. Bref, on pourrait justement caractériser les Athéniens par une formule et dire qu'il est dans leur nature de ne pas rester en repos et de n'en pas laisser aux autres."

dimanche, 05 avril 2009

L'étrangère aux yeux bleus

Fragment

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Un chamane tchouktche (peuple de Sibérie), dont le fils a épousé une ethnologue, découvre avec horreur et stupéfaction ce qu'est l'écriture.

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L´Étrangère aux Yeux Bleus
traduit par Yves Gauthier
Babel, Actes Sud 2001, page 89

(photo : Marie-Claire Bordaz par Isa Ferrier)

 

 

« Quant aux livres savants qui appartenaient à sa belle-fille, ils n´avaient que de vagues rapports avec une vérité brumeuse et confuse, à en juger du moins par les explications qu´elle  donnait. En revanche, il en était de bien curieux, tel ce gros livre sur les langues des peuples de l´Arctique, publié par le Cercle d´études de l´Institut des peuples du Grand Nord. Les mots y figuraient découpés en différentes parties. Cela stupéfiait Rinto. Un mot vivant, sorti d´une bouche comme un oiseau de son nid pour prendre librement les airs, avait été abattu en plein vol et gisait écartelé sur une page blanche, taillé en quartiers comme un renne après le dépeçage. Mais une chose était de découper un animal, autre chose était de s´attaquer à un mot! Cela revenait à mettre en pièces un être humain, à le priver de son unité. Pareille pratique n´était pensable que sur un mort. Aussi à contempler tous ces mots tchouktches écartelés sur le papier, Rinto se voyait dans un cimetière. Mais un miracle se produisait! Quand Anna balayait la page blanche avec ses yeux qui courraient le long des lettres noires et qu´elle en faisait la lecture à voix haute, les mots morts ressuscitaient et s´emplissaient de sens. Fixer sur le papier des mots pour les faire revivre, c´était, bien sûr, un grand miracle. Cependant, le miracle de la résurrection ne se produisait que si les yeux appartenaient à une personne sachant lire. En son for intérieur, Rinto enviait son savoir."

 

mardi, 10 mars 2009

Les litanies de la bonne mort

Les litanies de la bonne mort, prière traditionnelle

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phot Sara

 

Seigneur Jésus, Dieu de bonté, Père de miséricorde, je me présente devant vous avec un cœur humilié, contrit et repentant. Je vous recommande ma dernière heure et ce qui doit la suivre.

Quand mes pieds immobiles m'avertiront que ma course en ce monde est près de finir,

Miséricordieux Jésus, ayez pitié de moi,

quand mes mains engourdies et tremblantes ne pourront plus presser le crucifix contre mon cœur et que, malgré moi, elles le laisseront tomber sur mon lit de souffrances,

Miséricordieux Jésus, ayez pitié de moi

quand mes yeux, voilés et troublés par l'effroi d'une mort imminente, porteront vers vous leurs regards vagues et expirants,

Miséricordieux Jésus, ayez pitié de moi

quand mes lèvres tremblantes et froides prononceront pour la dernière fois votre adorable nom,

Miséricordieux Jésus, ayez pitié de moi

quand mes joues pâles et livides inspireront aux assistants la compassion et la terreur ; que mes cheveux, baignés des sueurs de l'agonie, se dresseront sur ma tête, annonçant ma fin prochaine,

Miséricordieux Jésus, ayez pitié de moi

quand mes oreilles, près de se fermer à jamais aux discours des hommes, s'ouvriront pour entendre de votre bouche la sentence irrévocable qui fixera mon sort pour l'éternité,

Miséricordieux Jésus, ayez pitié de moi

quand mon imagination, agitée par des fantômes effrayants et terribles, sera plongée dans les tristesses mortelles et que mon esprit, troublé par le souvenir de mes iniquités et par la crainte de votre justice, luttera contre l'Ange des ténèbres qui voudra me dérober la vue consolante de vos miséricordes et me jeter dans le désespoir,

Miséricordieux Jésus, ayez pitié de moi

quand je verserai mes dernières larmes, symptômes de ma dissolution prochaine, recevez-les, ô mon Jésus, en sacrifice d'expiation, afin que je meure comme une victime de pénitence ; et, dans ce terrible moment,

Miséricordieux Jésus, ayez pitié de moi

quand j'aurai perdu l'usage de tous les sens, que le monde entier aura disparu pour moi, et que je gémirai dans les angoisses de la dernière agonie et les affres de la mort,

Miséricordieux Jésus, ayez pitié de moi

quand les derniers soupirs de mon cœur presseront mon âme de sortir de mon corps, acceptez-les comme venant d'une sainte impatience d'aller à vous; et alors,

Miséricordieux Jésus, ayez pitié de moi

quand au dernier instant mon âme se détachant de mon corps, sortira pour toujours de ce monde, et laissera mon corps pâle, glacé et sans vie, acceptez la destruction de tout mon être comme un hommage que je veux offrir dès aujourd'hui à votre Majesté divine ; et, à cette heure suprême,

Miséricordieux Jésus, ayez pitié de moi

enfin, quand mon âme paraîtra devant vous, et qu'elle verra, pour la première fois, la splendeur immortelle de votre divine Majesté, ne la rejetez pas de votre présence, mais daignez me recevoir dans le sein de vos miséricordes, afin que je chante éternellement vos louanges ; et, en ce moment solennel,

Miséricordieux Jésus, ayez pitié de moi.

 

lundi, 02 mars 2009

Les yeux, les tombeaux, l'esclave

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L'esclave

Michel Ange

(Louvre)

photo de Sara

 

Bleus ou noirs, tous aimés, tous beaux,
Des yeux sans nombre ont vu l'aurore ;
Ils dorment au fond des tombeaux,
Et le soleil se lève encore.

Les nuits, plus douces que les jours,
Ont enchanté des yeux sans nombre ;
Les étoiles brillent toujours,
Et les yeux se sont remplis d'ombre.

Oh ! qu'ils aient perdu le regard,
Non, non cela n'est pas possible !
Ils se sont tournés quelque part
Vers ce qu'on nomme l'invisible ;

Et comme les astres penchants
Nous quittent, mais au ciel demeurent,
Les prunelles ont leurs couchants,
Mais il n'est pas vrai qu'elles meurent.

Bleus ou noirs, tous aimés, tous beaux,
Ouverts à quelque immense aurore,
De l'autre côté des tombeaux,
Les yeux qu'on ferme voient encore.

 

(Sully Prudhomme 1839-1907)

 

samedi, 28 février 2009

Briefe an einen jungen Dichter

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Lernzeit aber ist immer eine lange, abgeschlossene Zeit, und so ist Lieben für lange hinaus und weit ins Leben hinein -: Einsamkeit, gesteigertes und vertieftes Alleinsein für den, der liebt.

Rainer Maria Rilke,

Briefe an einen jungen Dichter

(Rom, am 14. Mai 1904)

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Lettres à un jeune poète

(lettre du 14 mai 1904)

un extrait suivi d'une traduction

Darin aber irren die jungen Menschen so oft und so schwer: daß sie (in deren Wesen es liegt, keine Geduld zu haben) sich einander hinwerfen, wenn die Liebe über sie kommt, sich ausstreuen, so wie sie sind in all ihrer Unaufgeräumtheit, Unordnung, Wirrnis...: Was aber soll dann sein? Was soll das Leben an diesem Haufen von Halbzerschlagenem tun, den sie ihre Gemeinsamkeit heißen und den sie gerne ihr Glück nennen möchten, ginge es an, und ihre Zukunft? Da verliert jeder sich um des anderen willen und verliert den anderen und viele andere, die noch kommen wollten. Und verliert die Weiten und Möglichkeiten, tauscht das Nahen und Fliehen leiser, ahnungsvoller Dinge gegen eine unfruchtbare Ratlosigkeit, aus der nichts mehr kommen kann; nichts als ein wenig Ekel, Enttäuschung und Armut und die Rettung in eine der vielen Konventionen, die wie allgemeine Schutzhütten an diesem gefährlichsten Wege in großer Zahl angebracht sind. Kein Gebiet menschlichen Erlebens ist so mit Konventionen versehen wie dieses: Rettungsgürtel der verschiedensten Erfindung, Boote und Schwimmblasen sind da; Zuflüchte in jeder Art hat die gesellschaftliche Auffassung zu schaffen gewußt, denn da sie geneigt war, das Liebesleben als ein Vergnügen zu nehmen, mußte sie es auch leicht ausgestalten, billig, gefahrlos und sicher, wie öffentliche Vergnügungen sind.

Mais le temps de l’apprentissage est toujours une longue période, une durée à part, c’est ainsi qu’aimer est, pour longtemps et loin dans la vie, solitude, isolement accru et approfondi pour celui qui aime.

 

 

Or c’est en cela que si souvent les jeunes gens commettent cette si lourde erreur : ils se précipitent l’un vers l’autre (eux dont c’est la nature que de n’avoir aucune patience) lorsque l’amour les atteint, ils se répandent tels qu’ils sont, avec tout leur désordre, leur incohérence, leur confusion… Mais qu’en sera-t-il ?

Qu’importe à la vie cet amoncellement de demi-échecs qu’ils appellent leur union, et qu’ils voudraient bien appeler leur bonheur, si c’était possible, et leur avenir ?

Chacun se perd alors soi-même pour l’amour de l’autre, perd l’autre et bien d’autres encore qui eussent voulu se présenter. Et chacun s’aliène les grands espaces et les virtualités, échange l’approche et la fuite des choses silencieuses et riches d’intuitions pour un stérile désarroi d’où plus rien ne procédera, rien, sinon un peu de dégoût, de déception, d’indigence, ainsi que le refuge cherché dans l’une des multiples conventions qui ont été installées en grand nombre, tels des abris publics, le long de ces voies très dangereuses. Aucun domaine de l’expérience humaine n’est tant pourvu de conventions : on y trouve des gilets de sauvetage de toutes sortes, des canots et des bouées ; la structure sociale a su créer des échappatoires de tout genre puisque, inclinant à prendre la vie amoureuse pour un plaisir, il fallait bien qu’elle lui donne une forme frivole, ordinaire, dépourvue de risque et sûre, comme c’est le cas des divertissements publics.

 

 

Rainer Maria Rilke