lundi, 15 mars 2010
Trois des cinq Russes
Lire le soir avant de dormir : j'ai une maman qui le fait inlassablement. Le soir, elle lit. Ensuite elle dort. Puis, à Insomniapolis, elle lit encore. La nuit, quand une petite lumière brille au fond de la maison, on sait qu'elle lit. Elle lit Thucydide et Jules César. Elle lit Zosime et Sidoine Apollinaire. Elle lit la traduction du Tao de Marc Haven et la traduction de la Bible de Lemaistre de Sacy. Elle lit Stendhal et elle lit
Et elle relit chaque année, les trois tomes des Mémoires d'Outre Tombe de Chateaubriand.
Alors j'essaie de lire aussi le soir, mais j'y arrive moins. Parce que le rêve est trop tentant. Le rêve - ou la rêverie - correspond mieux que ma lecture à mon état intérieur quand le soir a passé et que la nuit commence.
Pourtant, il y a quelques années, j'ai dévoré des livres, soir après soir.
Très bien écrite, Une histoire de la musique, de Rebatet, publiée aux éditions Bouquins-Laffont, fut une de mes lectures au long cours. Je l'ai lu, chapitre après chapitre, soir après soir, et cela m'a pris au moins un an.
Cette histoire présente tendrement le groupe des cinq Russes... Voici un court extrait sur Moussorgski, Balakirev et Borodine.
« A lire les biographies d’au moins trois d’entre eux, on plonge dans le monde de Dostoïevski. Balakirev, qui avait du sang tartare, « avec une tête de Kalmouk, et les yeux aigus, rusés de Lénine » d’après Stravinsky, exerçait son rôle de chef de groupe à la fois en apôtre et en despote. Il régentait non seulement les goûts mais la vie privée de ses disciples. Il aurait voulu qu’ils observassent le célibat et même la chasteté. Pour chacune de ses entreprises, il consultait une sorcière qui lisait son avenir dans un miroir. Athée durant sa jeunesse, mais croyant au diable, il tourna plus tard à une bigoterie burlesque. Il se signait chaque fois qu’il bâillait. Après des périodes de folle activité, consacrées surtout à son enseignement, il tombait dans de noires dépressions où il laissait à vau-l’eau les projets qui l’avaient le plus enflammé. Son travail musical était non moins déséquilibré. Alors qu’il improvisait au piano avec une étincelante facilité, il mit près de vingt ans, après des ratures et des hésitations infinies, pour terminer son Islamey, quinze minutes de musique.
Moussorgski, noble de la meilleure maison, à dix-neuf ans galant lieutenant du régiment le plus chic de la Garde, le Preobajinski, serait un quarante ans un Marmeladov loqueteux, cruellement frappé sans doute par l’échec de ses œuvres, mais ayant consterné ses meilleurs amis par ses inconséquences et son ivrognerie, pour mourir d’alcoolisme et d’épilepsie sur le lit d’un hôpital où l’on tentait de le désintoxiquer. Selon le peintre Répine, l’auteur de son dernier et navrant portrait, il fut foudroyé par une bouteille entière de cognac que lui avait glissé un infirmier trop compatissant.
Borodine, fils naturel d’un prince géorgien, homme charmant, paisible, cultivé, spirituel, ancien médecin et professeur de chimie, sacrifia sa carrière scientifique et sa musique à un altruisme d’une douce extravagance. Son appartement était sans cesse rempli de parents pauvres, de vagues camarades dans la dèche, qui campaient dans tous les coins, y tombaient malades, y devenaient même fous. Le plus souvent, il était impossible de jouer du piano, parce qu’un hôte ronflait à côté et que Borodine ne voulait pas le réveiller. Il passait ses nuits au chevet de sa femme asthmatique. »
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samedi, 13 mars 2010
Le travail et la fin des rêves
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mardi, 09 mars 2010
Eternelle servitude volontaire
Etienne de La Boétie raconte comment celui qui ne connait la liberté ne peut même pas imaginer qu'elle existe... Ô mon Dieu, que fais-je de mon cerveau ? Que fais-je de mon temps disponible ?
Je marche le soir dans toutes les rues de France, je lève les yeux vers les fenêtres et je sais que c'est pareil presque partout dans le monde : les hommes dans leurs foyers ont les yeux rivés sur leur petit écran. Ils apprennent des mythes et des idées, le bien et le mal, le fort et le faible, le normal et l'anormal. Ils gobent, gobent, gobent. Vraiment, les hommes ne cherchent qu'une chose : l'esclavage confortable.
"Je prends plaisir à rappeler ici une anecdote concernant l’un des favoris de Xerxès, grand roi de Perse, et deux Spartiates. Lorsque Xerxès faisait ses préparatifs de guerre pour conquérir la Grèce entière, il envoya ses ambassadeurs dans plusieurs villes de ce pays pour demander de l’eau et de la terre — c’était la manière qu’avaient les Perses de sommer les villes de se rendre. Il se garda bien d’en envoyer à Sparte ni à Athènes parce que les Spartiates et les Athéniens, auxquels son père Darius en avait envoyés auparavant, les avaient jetés, les uns dans les fossés, les autres dans les puits en leur disant : « Allez-y, prenez là de l’eau et de la terre, et portez-les à votre prince. » Ces gens ne pouvaient souffrir que, même par la moindre parole, on attentât à leur liberté. Les Spartiates reconnurent qu’en agissant de la sorte, ils avaient offensé les dieux, et surtout Talthybie, le dieu des héraults. Ils résolurent donc, pour les apaiser d’envoyer à Xerxès deux de leurs concitoyens afin que, disposant d’eux à son gré, il pût se venger sur eux du meurtre des ambassadeurs de son père.
Deux Spartiates, l’un nommé Sperthiès et l’autre Bulis, s’offrirent comme victimes volontaires. Ils partirent. Arrivés au palais d’un Perse nommé Hydarnes, lieutenant du roi pour toutes les villes d’Asie qui étaient sur les côtes de la mer, celui-ci les accueillit fort honorablement, leur fit grande chère et, de fil en aiguille, leur demanda pourquoi ils rejetaient si fort l’amitié du roi. « Spartiates, dit-il, voyez par mon exemple comment le Roi sait honorer ceux qui le méritent. Croyez que si vous étiez à son service et qu’il vous eût connus, vous seriez tous les deux gouverneurs de quelque ville grecque. » Les Lacédémoniens répondirent : « En ceci, Hydarnes, tu ne pourrais nous donner un bon conseil ; car si tu as essayé le bonheur que tu nous promets, tu ignores entièrement celui dont NOUS jouissons. Tu as éprouvé la faveur du roi, mais tu ne sais pas quel goût délicieux a la liberté. Or si tu en avais seulement goûté, tu nous conseillerais de la défendre, non seulement avec la lance et le bouclier, mais avec les dents et avec les ongles ». Seuls les Spartiates disaient vrai, mais chacun parlait ici selon l’éducation qu’il avait reçue. Car il était aussi impossible au Persan de regretter la liberté dont il n’avait jamais joui qu’aux Lacédémoniens, qui l’avaient savourée, d’endurer l’esclavage".
Etienne de La Boétie, Discours de la servitude volontaire
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mardi, 02 mars 2010
Les joies du communisme
Quand Sara voyage à travers la France elle transporte des livres à lire la nuit. Je reçois alors des citations sur mon téléphone. En voici une qui me rappelle la fierté des communistes au lycée Buffon. Ils étaient fiers de ne pas être de droite. Où qu'elle trouve ses raisons, la fierté est toujours pitoyable.
"Des élections libres en Europe orientale donneraient des majorités anti-soviétiques. Nous ne pouvons pas l'accepter".
Staline
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lundi, 01 mars 2010
René Lalou : les témoignages sur la Guerre V
J'ai trouvé le tome I de ce livre dans les affaires de mon grand-père. Publiée en 1946, L'histoire de la littérature française et contemporaine (1870 à nos jours) , de René Lalou, comporte d'assez beaux passages.
En voici un, que je recopie à l'usage de ceux qui trouvent amusant de lire un critique du milieu du XXème siècle sur la littérature "contemporaine".
Le chapitre « les témoignages sur la guerre » est émouvant, guirlande des traumatisés de 14-18 (cette guerre votée par des députés qui ne la firent point, mais continuèrent leur tranquille vie tandis que la jeunesse masculine française était envoyée à la boucherie).
Des soldats revenants, beaucoup écrirent, sans espoir.
La guerre de 14-18 a brisé beaucoup d’œuvres de jeunes écrivains qui commençaient, comme Alain-Fournier et son Grand Meaulnes ; elle a ensuite donné des raisons d’écrire à ceux qui n’en auraient pas eu l’idée sans elle.
V Fin des témoignages des garçons sacrifiés
« Cette guerre a tué le romantisme de la guerre ».
Un moment arriva pourtant où il fut admis par la majorité des éditeurs que le public ne s’intéressait plus aux ouvrages sur la guerre. La riposte fut le prodigieux succès, en 1929, de la traduction du livre de Remarque, À l’Ouest rien de nouveau.
Vers le même temps Norton Cru provoquait un scandale en publiant ses Témoins : les âpres reproches qu’il adressait aux auteurs de livres de guerre étaient souvent justifiés ; mais il méconnaissait le droit qu’a l’artiste de faire des peintures, non des photographies et il refusait d’admettre que le vrai n’est pas toujours vraisemblable. Parmi les livres qui échappaient à ses critiques citons les Carnets d’un fantassin, de Charles Delvert, l’un des défenseurs du fort de Vaux.
Sous le bombardement Delvert écrivait : « cette guerre a tué le romantisme de la guerre ». La phrase pourrait servir d’épitaphe aux trois témoignages parus en 1930 : l’inexorable Ce qui fut sera d’Henri Barbusse, épilogue et synthèse du Feu ; la Peur, de Gabriel Chevallier où l’accumulation des « petits faits vrais », jugés par un disciple de Stendhal, aboutissait au plus cruel réquisitoire ; les tragiques « prises de vue » qui font ressembler le Noir et Or d’André Thérive au film de Pabst, Quatre de l’Infanterie, et laissent la même impression d’une atroce épreuve subie par les hommes mais reniée par l’esprit.
« Le Feu, c’est un beau bouquin. Il est presque vrai. Y a qu’une chose, c’est trop romantique, trop en théâtre » : ainsi parle un des personnages d’Henry Poulaille dans l’hallucinante et minutieuse reconstitution du Pain de Soldat (1937). En nous livrant, la même année, ses Souvenirs de Guerre, le philosophe Alain affirme que ces expériences renforcèrent sa conviction que la tâche la plus urgente était, selon les exemples de Socrate et Descartes, de « massacrer d’abord les lieux communs ».
Assurément tous les anciens combattants n’exprimeraient point aujourd’hui le sentiment d’une gigantesque duperie avec la verdeur rabelaisienne que déploie Jolinon dans Fesse-Mathieu et l’Anonyme (1936). Mais on ne saurait étudier la littérature des années 1920-35 sans tenir compte de ces deux faits : elle est pour la plus grande partie d’hommes qui ont connu les souffrances de la guerre ; l’immense majorité de ces hommes est arrivée tôt ou tard à la conclusion que leurs souffrances auraient pu être évitées et qu’elle n’avaient même pas assuré le triomphe des idées pour lesquelles ils avaient lutté.
René Lalou
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mercredi, 24 février 2010
René Lalou : les témoignages sur la Guerre IV
J'ai trouvé le tome I de ce livre dans les affaires de mon grand-père. Publiée en 1946, L'histoire de la littérature française et contemporaine (1870 à nos jours) , de René Lalou, comporte d'assez beaux passages.
En voici un, que je recopie à l'usage de ceux qui trouvent amusant de lire un critique du milieu du XXème siècle sur la littérature "contemporaine".
Le chapitre « les témoignages sur la guerre » est émouvant, guirlande des traumatisés de 14-18 (cette guerre votée par des députés qui ne la firent point, mais continuèrent leur tranquille vie tandis que la jeunesse masculine française était envoyée à la boucherie).
Des soldats revenants, beaucoup écrirent, sans espoir.
La guerre de 14-18 a brisé beaucoup d’œuvres de jeunes écrivains qui commençaient, comme Alain-Fournier et son Grand Meaulnes ; elle a ensuite donné des raisons d’écrire à ceux qui n’en auraient pas eu l’idée sans elle.
Les premiers fragments de ce chapitre, publiés sur ce blog :
II Georges Duhamel, la Vie des martyrs
III Roland Dorgelès, les Croix de bois
IV Voix d’hommes meurtris et panorama pêle-mêle d’après-guerre.
… "une attitude originale de l’homme façonné par la guerre".
Après ces œuvres maîtresses, le lecteur accueillant ne refusera pas d’entendre d’autres témoignages. La Flamme au poing d’Henry Malherbe lui apportera les notes d’un combattant cultivé groupées autour de trois thèmes : Souvenir, Amour et Mort.
Dans Nach Paris, Louis Dumur, auparavant connu pour d’amusantes peintures du calvinisme genevois, a dressé un réquisitoire contre les atrocités allemandes.
Jean des Vignes Rouges a voulu, dans André Rieu, officier de France, exposer le point de vue des chefs, tandis que Raymond Lefebvre et Paul Vaillant-Couturier, auteurs de la Guerre des soldats, renchérissaient sur l’antimilitarisme de Barbusse.
Adrien Bertrand, dans les récits et conversations de l’Appel du sol ainsi que dans les dialogues de l’Orage sur le jardin de Candide a livré les confidences d’un agrégé de philosophie, disciple d’Anatole France, qui se sent « une cellule de la nation », entend « l’appel de la terre française » et meurt en héros « pour que la France continue ».
Paul Reboux, dont l’inspiration versatile s’était tournée successivement vers Paris, Naples, la Bretagne et l’Espagne, composa en deux volumes les Drapeaux, œuvre de propagande antimilitariste qui tente d’annexer au roman la science des statistiques : peut-être y apporta-t-il à piper les dès un peu de cette adresse qui le fit baptiser « roman nègre » son Romulus Coucou, dont le héros est un mulâtre.
Dans Indice 33, Alexandre Arnoux a construit un récit dramatique ; sa verve de conteur s’atteste aussi bien dans les histoires militaires du Cabaret que dans La Nuit de Saint-Barnabé, alerte document sur l’imagination des gosses parisiens de 1920.
Marcel Berger, dont l’Homme enchaîné avait traité gauchement mais loyalement un problème complexe, raconta dans Jean Darboise la vie en grisaille des hommes du service auxiliaire ; avec les Dieux tremblent, il essaya de matérialiser la haine vengeresse d’un blessé pour ceux que la tourmente a épargnés mais noya cette idée intéressante sous des péripéties mélodramatiques.
Paul Géraldy avec cet art de ramener tout haut sujet à un dialogue de salon dont ses Noces d’argent font la démonstration, décrivit dans
la Guerre, Madame, une journée à Paris pendant l’automne 1915, suggérant la grandeur des événements, représentant avec une fidèle facilité le snobisme de certains milieux ; il n’épuisa point son sujet puisque Maurice Level put écrire Mado ou la Guerre à Paris, qui tient ce que promet son titre.
On aurait pu attendre de l’expédition à Salonique un renouveau d’orientalisme : À Salonique, sous l’œil des Dieux, de J.-J. Frappa ne nous leurre d’aucun mirage poétique. Quant au passage des Anglo-Saxons en France, Marcel Prévost prit soin qu’il en demeurât au moins un souvenir comique : Mon cher Tommy leur légua une image de jeune fille française à leur usage, en n’omettant point, il est vrai, de leur apprendre qu’en de certaines épreuves « on a besoin de faire appel à toute sa fermeté britannique pour se raidir contre l’arrêt de sa volonté divine ».
Benjamin Vallotton est le créateur de Potterat, commissaire de police en retraite, porte-parole du bon sens vaudois, de sa révolte contre la violation de la neutralité belge et contre la consigne de neutralité suisse. Outre À tâtons, roman sur les aveugles de guerre, il a décrit, dans Ceux de Barivier, l’histoire tragique d’un village savoyard pendant la lutte. On retrouve l’humeur narquoise de Ce qu’en pense Potterat dans son Achille et Cie, satire d’une famille de nouveaux riches installés dans un château historique avec leur singe symbolique. Les ouvrages de Vallotton sont des articles d’exportation.
Il y a dans ces derniers livres beaucoup de littérature, parfois assez inutile. On en rendra donc mieux justice au sobre réalisme du caporal Georges Gaudy dans l’Agonie du Mont-Renaud, au mélange aimable d’humour et d’esprit des Silences du Colonel Bramble, et Discours du Docteur O’Grady par André Maurois, à la verve savoureuse de Pierre Chaine, auteur des Mémoires d’un rat et des Commentaires de Ferdinand, et aux ironiques récits de la vie dans un dépôt que Jean Gaultier-Boissière, l’un des rédacteurs du Crapouillot, a réunis dans Loin de la Rifflette.
Parmi les récits de combattants, signalons encore Ma Pièce de Paul Lintier et Sous Verdun de Maurice Genevoix ; on pourra ajouter, pour les territoriaux, les Pépères la Victoire du critique Jean Valmy-Baysse et l’Héroïque pastorale de Louis Vuillemin, variations d’un musicien au grand air de la guerre.
La vie populaire pendant la guerre a été peinte dans la Maison à l’abri par Marcel Martinet qui est aussi un poète véhément et l’apôtre d’un « art prolétarien » ; les problèmes moraux de l’immédiate après-guerre ont été évoqués avec une rare loyauté par Jean Schlumberger dans le Camarade infidèle. Mais il faut tirer hors de pair cet extraordinaire manuel d’attention morale qu’est le Guerrier appliqué de Jean Paulhan : devant ce livre où le décor de la guerre apparaît renouvelé par une totale absence d’interprétation, par une exacte vision de ce qui fut, non colorée d’enthousiasme ou de découragement, plus d’un lecteur confessera que son esprit, esclave de trop de préoccupations étrangère, a véritablement manqué la guerre et sentira se réveiller en lui la faculté d’observer précise que tous possèdent et que nul n’a su exercer avec cette infaillible maîtrise.
Au surplus, pendant les années qui suivirent, les échos de la guerre n’ont pas cessé de retentir dans la sensibilité contemporaine, témoin le Sel de la terre, de Raymond Escholier, carnet de route féroce et mystique sous la morne lumière de Verdun, ou cet implacable cauchemar,
Ils étaient quatre, d’Henry Poulaille. Avant les reportages romancés et précis des Captifs et des Cœurs purs, Joseph Kessel avait prêté, dans l’Equipage, un intense relief dramatique au roman de l’aviation.
Joseph Jolinon a conduit ainsi un héros qui fut d’abord un jeune athlète à travers l’enfer, évoqué dans l’atmosphère de cauchemar sarcastique du Valet de gloire, jusqu’aux vilenies de l’après-guerre stigmatisées dans la Tête brûlée. Les nouveaux problèmes ont encore inspiré à Léon Bocquet son émouvant Fardeau des jours, reprise de la vie dans un village des Flandres, à André Lamandé la grande fresque des Enfants du siècle et Ton pays sera le mien qui peint avec une généreuse loyauté, dans une demeure familiale du haut Quercy, le poignant débat d’un cœur allemand et de l’esprit français.
Thierry Sandre a été lui aussi marqué par la tourmente : heureux traducteur ou renouveleur d’ouvrages injustement oubliés, éditeur de l’anthologie des écrivains morts à la guerre, il a conté avec une sobre sincérité ses souvenirs de prisonnier dans le Purgatoire. Surtout, il a réussi à démêler et exprimer dans Mienne, confession d’un être en qui les ressorts de la volonté sont brisés, et dans le Chèvrefeuille, douloureux monologues sur la fragilité de l’amour, une attitude originale de l’homme façonné par la guerre.
Les premiers fragments de ce chapitre, publiés sur ce blog :
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jeudi, 18 février 2010
Un père
Souvenirs d'enfance de Chateaubriand : la présence du père.
Les soirées d'automne et d'hiver étaient d'une autre nature. Le souper fini et les quatre convives revenus de la table à la cheminée, ma mère se jetait, en soupirant, sur un vieux lit de jour de siamoise flambée ; on mettait devant elle un guéridon avec une bougie. Je m'asseyais auprès du feu avec Lucile ; les domestiques enlevaient le couvert et se retiraient. Mon père commençait alors une promenade, qui ne cessait qu'à l'heure de son coucher. Il était vêtu d'une robe de ratine blanche, ou plutôt d'une espèce de manteau que je n'ai vu qu'à lui. Sa tête, demi-chauve, était couverte d'un grand bonnet blanc qui se tenait tout droit. Lorsqu'en se promenant, il s'éloignait du foyer, la vaste salle était si peu éclairée par une seule bougie qu'on ne le voyait plus ; on l'entendait seulement encore marcher dans les ténèbres : puis il revenait lentement vers la lumière et élergeait peu à peu de l'obscurité, comme un spectre, avec sa robe blanche, son bonnet blanc, sa figure longue et pâle. Lucile et moi, nous échangions quelques mots à voix basse, quand il était à l'autre bout de la salle : nous nous taisions quand il se rapprochait de nous. Il nous disait, en passant : « De quoi parliez-vous ? » Saisis de terreur, nous ne répondions rien ; il continuait sa marche. Le reste de la soirée, l'oreille n'était plus frappée que du bruit mesuré de ses pas, des soupirs de ma mère et des murmures du vent.
Dix heures sonnaient à l'horloge du château : mon père s'arrêtait ; le même ressort, qui avait soulevé le marteau de l'horloge, semblait avoir suspendu ses pas. Il tirait sa montre, la montait, prenait un grand flambeau d'argent surmonté d'une grande bougie, entrait un moment dans la petite tour de l'ouest, puis revenait, son flambeau à la main, et s'avançait vers sa chambre à coucher, dépendante de la petite tour de l'est. Lucile et moi, nous nous tenions sur son passage ; nous l'embrassions, en lui souhaitant une bonne nuit. Il penchait vers nous sa joue sèche et creuse sans nous répondre, continuait sa route et se retirait au fond de la tour, dont nous entendions les portes sse refermer sur lui.
Le talisman était brisé ; ma mère, ma soeur et moi, transformés en statues par la présence de mon père, nous recouvrions les fonctions de la vie. Le premier effet de notre désanchantement se manifestait par un débordement de paroles : si le silence nous avait opprimés, il nous le payait cher.
François-René de Chateaubriand in Les mémoires d'outre-tombe
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samedi, 13 février 2010
René Lalou : les témoignages sur la Guerre III
J'ai trouvé le tome I de ce livre dans les affaires de mon grand-père. Publiée en 1946, L'histoire de la littérature française et contemporaine (1870 à nos jours) , de René Lalou, comporte d'assez beaux passages.
En voici un, que je recopie à l'usage de ceux qui trouvent amusant de lire un critique du milieu du XXème siècle sur la littérature "contemporaine".
Le chapitre « les témoignages sur la guerre » est émouvant, guirlande des traumatisés de 14-18 (cette guerre votée par des députés qui ne la firent point, mais continuèrent leur tranquille vie tandis que la jeunesse masculine française était envoyée à la boucherie).
Des soldats revenants, beaucoup écrirent, sans espoir.
La guerre de 14-18 a brisé beaucoup d’œuvres de jeunes écrivains qui commençaient, comme Alain-Fournier et son Grand Meaulnes ; elle a ensuite donné des raisons d’écrire à ceux qui n’en auraient pas eu l’idée sans elle.
III Les Croix de bois, de Roland Dorgelès
Les Croix de bois de Roland Dorgelès apparurent comme une sorte de mise au point du roman de guerre : aucun témoignage de combattant n’avait offert pour ses héros, chefs et soldats, intellectuels et ouvriers, la large impartialité qui distingue les robustes récits de ce livre et du Cabaret de la Belle Femme.
Les chapitres qui décrivaient la vie dans les tranchées et les attaques égalaient les pages tragiques du Feu ; mais jamais l’auteur ne prétendait généraliser rien ; il n’excluait point « la blague divine qui faisait plus forts » ses camarades. Ses traits les plus vigoureux ressuscitaient le réalisme des combattants : « La Marne, c’est une combine qu’a rapporté quinze sous aux gars qui l’ont gagnée ». Courageusement il soulignait la « terrible grandeur » de cet aveu de Sulphart : « J’trouve que c’est une victoire, parce que j’en suis sorti vivant ».
On trouverait difficilement dans toute la littérature de guerre un résumé des sentiments qu’elle provoqua chez les poilus plus simple et plus complet que les 30 pages qui retracent l’assaut, la descente des tranchées, le défilé glorieux, le sursaut d’orgueil enfin qui justifie un bref commentaire : « Allons, il y aura toujours des guerres, toujours, toujours ». Ce sobre réalisme est bien la qualité maîtresse de Dorgelès : le Saint-Magloire où il raconta l’échec d’un apôtre dans la société d’après-guerre verse dans le journalisme dès que l’auteur n’y observe plus cette discipline qui a donné aux Croix de bois, livre si spontané, une manière de style.
RENÉ LALOU
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jeudi, 11 février 2010
Depuis l'aube... Chanson pour Christ
Depuis l'aube où sur la terre
Nous t'avons revu debout
Tout renaît dans la lumière
Ô Jésus, reste avec nous !
Si parfois sur notre route
Nous menace le dégoût
Dans la nuit de notre doute
Ô Jésus, marche avec nous !
Tu cherchais les misérables,
Ton amour allait partout
Viens t'asseoir à notre table
Ô Jésus, veille avec nous !
Si ta croix nous semble dure,
Si nos mains craignent les clous,
Que ta gloire nous rassure
Ô Jésus, souffre avec nous !
Au delà de ton Calvaire,
Tu nous donnes rendez-vous.
Dans la joie, près de ton Père,
Ô Jésus, accueille-nous.
(Rimaud-Geoffroy)
Photos de Sara pour VillaBar
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lundi, 08 février 2010
Un père
Souvenirs d'enfance de Chateaubriand : la présence du père.
Les soirées d'automne et d'hiver étaient d'une autre nature. Le souper fini et les quatre convives revenus de la table à la cheminée, ma mère se jetait, en soupirant, sur un vieux lit de jour de siamoise flambée ; on mettait devant elle un guéridon avec une bougie. Je m'asseyais auprès du feu avec Lucile ; les domestiques enlevaient le couvert et se retiraient. Mon père commençait alors une promenade, qui ne cessait qu'à l'heure de son coucher. Il était vêtu d'une robe de ratine blanche, ou plutôt d'une espèce de manteau que je n'ai vu qu'à lui. Sa tête, demi-chauve, était couverte d'un grand bonnet blanc qui se tenait tout droit. Lorsqu'en se promenant, il s'éloignait du foyer, la vaste salle était si peu éclairée par une seule bougie qu'on ne le voyait plus ; on l'entendait seulement encore marcher dans les ténèbres : puis il revenait lentement vers la lumière et élergeait peu à peu de l'obscurité, comme un spectre, avec sa robe blanche, son bonnet blanc, sa figure longue et pâle. Lucile et moi, nous échangions quelques mots à voix basse, quand il était à l'autre bout de la salle : nous nous taisions quand il se rapprochait de nous. Il nous disait, en passant : « De quoi parliez-vous ? » Saisis de terreur, nous ne répondions rien ; il continuait sa marche. Le reste de la soirée, l'oreille n'était plus frappée que du bruit mesuré de ses pas, des soupirs de ma mère et des murmures du vent.
Dix heures sonnaient à l'horloge du château : mon père s'arrêtait ; le même ressort, qui avait soulevé le marteau de l'horloge, semblait avoir suspendu ses pas. Il tirait sa montre, la montait, prenait un grand flambeau d'argent surmonté d'une grande bougie, entrait un moment dans la petite tour de l'ouest, puis revenait, son flambeau à la main, et s'avançait vers sa chambre à coucher, dépendante de la petite tour de l'est. Lucile et moi, nous nous tenions sur son passage ; nous l'embrassions, en lui souhaitant une bonne nuit. Il penchait vers nous sa joue sèche et creuse sans nous répondre, continuait sa route et se retirait au fond de la tour, dont nous entendions les portes sse refermer sur lui.
Le talisman était brisé ; ma mère, ma soeur et moi, transformés en statues par la présence de mon père, nous recouvrions les fonctions de la vie. Le premier effet de notre désanchantement se manifestait par un débordement de paroles : si le silence nous avait opprimés, il nous le payait cher.
François-René de Chateaubriand in Les mémoires d'outre-tombe
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vendredi, 05 février 2010
René Lalou : les témoignages sur la Guerre II
J'ai trouvé le tome I de ce livre dans les affaires de mon grand-père. Publiée en 1946,L'histoire de la littérature française et contemporaine (1870 à nos jours) , de René Lalou, comporte d'assez beaux passages.
En voici un, que je recopie à l'usage de ceux qui trouvent amusant de lire un critique du milieu du XXème siècle sur la littérature "contemporaine".
Le chapitre « les témoignages sur la guerre » est émouvant, guirlande des traumatisés de 14-18 (cette guerre votée par des députés qui ne la firent point, mais continuèrent leur tranquille vie tandis que la jeunesse masculine française était envoyée à la boucherie).
Des soldats revenants, beaucoup écrirent, sans espoir.
La guerre de 14-18 a brisé beaucoup d’œuvres de jeunes écrivains qui commençaient, comme Alain-Fournier et son Grand Meaulnes ; elle a ensuite donné des raisons d’écrire à ceux qui n’en auraient pas eu l’idée sans elle.
Pour voir les premier épisode de ce chapitre, sur le Feu d'Henri Barbusse, cliquez ICI.
II Vie des martyrs, de Georges Duhamel
«…la seule chose certaine à cet instant du siècle » : la souffrance humaine.
C’est l’absence d’esprit partisan que l’on aima d’abord chez Georges Duhamel dont la Vie des martyrs confondit tout ceux, « membres de l’Institut, actrices de café-concert, politiciens et vedettes de la prostitution » qui « ont travaillé à donner de la guerre une image littéraire congrue et définitive ».
Il leur opposait « la seule chose certaine à cet instant du siècle » : la souffrance humaine ; il montrait la mort, « intimement mêlée aux choses de la vie ». Il était à la fois le médecin (« sous leurs pansements, il y a des plaies que vous ne pouvez pas imaginer ») et le poète pour qui rien n’est sans importance : « ne perdons rien de leurs humbles propos, décrivons leurs moindres gestes ».
Sans déclamation il peignait les tragédies et les délicatesses de l’hôpital ; sans généraliser, il montrait toutes les nuances de l’émotion jusqu’au « frêle pont » tendu entre lui et un blessé allemand par un motif de l’Eroïca. Avec une puissante sobriété il réclamait seulement que la mémoire de tant de douleurs ne mourût pas ; il appelait de ses vœux « l’union des cœurs purs pour la rédemption du monde malheureux ».
Civilisation faisait plus que continuer Vie des martyrs : il le complétait. Le comique, dansUn Enterrement et l’admirable Cuirassier Cuvelier, y paraissait plus macabre ; la révolte, dans les Maquignons et Discipline, plus âpre. Duhamel y posait plus catégoriquement le problème de la civilisation : « Si elle n’est pas dans le cœur de l’homme, eh bien ! elle n’est nulle part ».
Dix ans après l’armistice, il publia les Sept Dernières Plaies, recueil formé d’éléments très divers qui vont de la brève méditation au long récit dramatique : de toutes ces pages montait la même émotion, le même rappel de la fraternité humaine devant la souffrance.
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jeudi, 28 janvier 2010
Actéon : un opéra de chasse
Actéon (1684)
Opéra de chasse par Marc-Antoine Charpentier (1643-1704)
Cet opéra de Marc-Antoine Charpentier, opéra de chasse, baroque en diable, est "mal vu", il faut trouver qu'il n'est pas de bon goût... Pourtant, quelles belles scènes amusantes ! Quelle musique entraînante ! Inspiré des métamorphoses d'Ovide, je l'ai découvert sur le site de Sara, une de nos auteurs et photographes. Sara a illustré les métamorphoses d'Ovide et elle présente sur son site l'oeuvre d'Ovide, l'opéra de Charpentier et son album en papier déchiré à elle. C'est ICI
Les images qui suivent et accompagnent le livret de l'opéra sont extraites du livre de Sara.
Scène Première
Dans la vallée de Gargaphie
Bruit de chasse
CHŒUR DES CHASSEURS
Allons, marchons, courons, hastons nos pas.
Quelle ardeur du soleil qui brusle nos campagnes;
Que le pénible accès des plus hautes montagnes
Dans un dessein si beau ne nous retarde pas.
ACTÉON
Déesse par qui je respire,
Aimable Reyne des forêts,
L'ours que nous poursuivons désole ton empire
Et c'est pour immoler à tes divins attraits
Que la chasse icy nous attire.
Conduis nos pas, guide nos traits,
Déesse par qui je respire,
Aimable Reyne des forêts.
DEUX CHASSEURS
Vos vœux sont exaucés et par le doux murmure
Qui vient de sortir de ce bois le ciel vous en assure,
Suivons ce bon augure.
Allons, marchons, courons . . .
Scène Deuxième
DIANE
Nymphes, retirons nous dans ce charmant boccage.
Le cristal de ses pures eaux,
Le doux chants des petits oyseaux,
Le frais et l'ombrage sous ce verd feuillage
Nous ferons oublier nos pénibles travaux.
Ce ruisseau loin du bruit du monde
Nous offre son onde,
Délassons nous dans ce flots argentés,
Nul mortel n'oserait entreprendre
De nous y surprendre,
Ne craignons point d'y mirer nos beautés.
CHŒUR DES NIMPHES
Charmante fontaine,
Que votre sort est doux,
Notre aymable reyne
Se confie à vous.
D'un tel avantage
L'Idaspe et le Tage
Doivent estre jaloux.
DAPHNÉ ET HYALE
Loin de ces lieux tout cœur profane;
Amants, fuyex ce beau séjour,
Vos soupirs et le nom de l'amour
Troubleraient le bain de Diane.
Nos cœurs en paix dans ces retraites
Goustent de vrais contentements.
Gardez vous, importuns amants,
D'en troubler les douceurs parfaites.
ARTHÉBUZE
Ah! Qu'on évite de langueurs
Lorsqu'on ne ressent point les flammes
Que l'amour, ce tyran des cœurs,
Allume dans les faibles ames.
Ah! Qu'on évite de langueurs
Quand on mesprise ses ardeurs.
CHŒUR DES NIMPHES
Ah! Qu'on évite de langueurs
Quand on mesprise ses ardeurs.
ARTHÉBUZE
Les biens qu'il nous promet
N'en ont que l'apparence,
Ne laissons point flatter
Par ses appas trompeurs
Notre trop crédule espérance.
Ah! Qu'on évite de langueurs
Quand on mesprise ses ardeurs.
CHŒUR DES NIMPHES
Ah! Qu'on évite de langueurs
Quand on mesprise ses ardeurs.
ARTHÉBUZE
Pour nous attirer dans ses chaines
Il couvre ses pièges de fleurs,
Nimphes, armez vous de rigueurs
Et vous rendrez ces ruzes vaines.
Ah! Qu'on évite de langueurs
Lorsqu'on ne ressent point les flammes
Que l'amour, ce tyran de nos cœurs,
Allume dans les faibles ames.
Ah! Qu'on évite de langueurs
Quand on mesprise ses ardeurs.
CHŒUR DES NIMPHES
Ah! Qu'on évite de langueurs
Quand on mesprise ses ardeurs.
Scène Troisième
ACTÉON
Amis, les ombres raccourcies
Marquant sur nos plaines fleuries
Que le soleil a fait la moitié de son tour,
Le travail m'a rendu le repos nécessaire;
Laissez moi seul resver dans ce lieu solitaire
Et ne me renvoyez que sur la fin du jour.
Agréable vallon, paisible solitude,
Qu'avec plaisir sur vos cyprès
Un amant respirant le frais
Vous feroit le récit de son inquiétude;
Mais ne craignez de moy ny plaintes ny regrets.
Je ne connois l'amour que par la renommée
Et tout ce qu'elle en dit me le rend odieux.
Ah! S'il vient m'attaquer, ce Dieu pernicieux,
Il verra ses projets se tourner en fumée.
Liberté, mon cœur, liberté.
Du plaisir de la chasse,
Quoy que l'amour fasse,
Sois toujours seulement tenté.
Liberté, mon cœur, liberté.
Mais quel objet frappe ma vue?
C'est Diane et ses sœurs, il n'en faut point douter.
Approchons nous sans bruit, cette route inconnue
M'offrira quelqu'endroit propre à les écouter.
DIANE
Nimphes, dans ce buisson quel bruit viensje d'entendre?
ACTÉON
Ciel! Je suis découvert.
CHŒUR DES NIMPHES
Oh! Perfide mortel,
Oze tu bien former le dessein criminel
De venir icy nous surprendre.
ACTÉON
Que feray-je, grands Dieux?
Quel conseil dois-je prendre?
Fuyons, fuyons!
DIANE
Tu prends à fuyr un inutile soin,
Téméraire chasseur, et pour punir ton crime
Mon bras divin poussé du courroux qui m'anime
Aussi bien que de préz te frappera de loin.
ACTÉON
Déesse des chasseurs, escoutez ma deffence.
DIANE
Parle, voyons quelle couleur,
Quelle ombre d'innocence
Tu puis donner à ta fureur.
ACTÉON
Le seul hazard et mon malheur
Font toute mon offense.
DIANE
Trop indiscret chasseur,
Quelle est ton insolence!
Crois tu de ton forfait déguiser la noirceur
Aux yeux de ma divine essence?
Que cette eau que ma main fait rejaillir sur toy
Apprenne à tes pareils à s'attaquer à moy!
CHŒUR DES NIMPHES
Vainte toy maintenant, profane,
D'avoir surpris Diane
Et sœurs dans le bain,
Va pour te satisfaire,
Si tu le peux faire,
Le conter au peuple Thébain.
Scène Quatrième
ACTÉON
Mon cœur autre fois intrépide,
Quelle peur te saisit?
Que vois-je en ce miroir liquide?
Mon visage se ride,
Un poil affreux me sert d'habit,
Je n'ay presque plus rien de me forme première,
Ma parole n'est plus qu'une confuse voix.
Ah! Dans l'estat ou je me voys,
Dieux qui m'avez formé du noble sang des Royx,
Pour espargner ma honte
Ostez moy la lumière.
Scène Cinquième
Actéon en cerf
CHŒUR DES CHASSEURS
Jamais trouppe de chasseurs
Dans le cours d'une journée
Fut-elle plus fortunée,
Jamais trouppe de chasseurs
Reçut elle un jour du ciel plus de faveurs.
Actéon, quittez la resverie,
Venez admirer la furie
De vos chiens acharner sur ce cerf aux abois.
Quoy! N'entendez vous pas nos voix?
Que vous perdez, grand prince, à resver dans un bois,
Croyez qu'à nos plaisirs vous porterez envie,
Et dans tous le cours de la vie
Un spectacle si doux ne s'offre pas deux foix.
Scène Sixième
JUNON
Chasseurs, n'appelez plus qui ne peut vous entendre.
Actéon, ce héros a Thèbes adoré,
Sous la peau de ce cerf a vos yeux déchiré et par ses chiens dévorés
Chez les morts vient de descendre.
Ainsi puissent périr les mortels odieux
Dont l'insolence extrême
Blessera désormais les Dieux,
La puissance suprême.
CHŒUR DES CHASSEURS
Hélas, déesse, hélas!
De quoy fut coupable
Ce héros aymable
Pour mériter l'horreur de si cruel trépas?
JUNON
Son infortune est mon ouvrage
Et Diane en vangeant l'outrage
Qu'il fit à ses appas
N'a que presté sa main à ma jalouse rage.
Ouy Jupiter, perfide espous,
Que ta charmante Europe au ciel prenne ma place
Sans craindre mes transports jaloux.
Mais si jusqu'à son cœur n'arrivent pas mes coups,
Actéon fut son sang et je jure à sa race
Une implacable haine, un éternel courroux.
Elle s'envole.
CHŒUR DES CHASSEURS
Hélas, est-il possible
Qu'au printemps de ses ans ce héros invincible
Ayt vu trancher le cours de ses beaux jours.
Quel cœur, à ce malheur, ne seroit pas sensible.
Faisons monter nos cris jusqu'au plus haut des airs,
Que les rochers en retentissent,
Que les flots écumans des mers,
Que les aquilons en mugissent,
Qu'ils pénètrent jusqu'aux enfers.
Actéon n'est donc plus,
Et sur les rives sombres
Le modelle des souverains,
Le soleil naissant des Thébains
Est confondu parmy les ombres.
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dimanche, 24 janvier 2010
René Lalou : les témoignages sur la Guerre
J'ai trouvé le tome I de ce livre dans les affaires de mon grand-père. Publiée en 1946, L'histoire de la littérature française et contemporaine (1870 à nos jours) , de René Lalou, comporte d'assez beaux passages.
En voici un, que je recopie à l'usage de ceux qui trouvent amusant de lire un critique du milieu du XXème siècle sur la littérature "contemporaine".
Le chapitre « les témoignages sur la guerre » est émouvant, guirlande des traumatisés de 14-18 (cette guerre votée par des députés qui ne la firent point, mais continuèrent leur tranquille vie tandis que la jeunesse masculine française était envoyée à la boucherie).
Des soldats revenants, beaucoup écrirent, sans espoir.
La guerre de 14-18 a brisé beaucoup d’œuvres de jeunes écrivains qui commençaient, comme Alain-Fournier et son Grand Meaulnes ; elle a ensuite donné des raisons d’écrire à ceux qui n’en auraient pas eu l’idée sans elle.
phot Sara
I Le Feu, d’Henri Barbusse.
(NOTE d'AlmaSoror : Comment un homme traumatisé par les millions de morts de 14-18 peut militer pour une cause qui fera des millions de morts, le Communisme ? Mystère, mystère…)
« …des choses épouvantables faites par 30 millions d’hommes qui ne les veulent pas ».
L’œuvre « militariste » de Péguy et de Psichari n’était point inhumaine mais évoquait avec gravité des problèmes urgents. De même, le roman de guerre ne fut point, dans l’ensemble, belliqueux. Il aurait fallu être aveugle à la durée et à l’immensité du carnage pour oser s’en réjouir. Les livres qui, de 1914 à 1918, connurent la faveur du public montrent assez bien les fluctuations de l’opinion durant cette période : aucun d’eux n’est coupable de sacrilège envers l’humanité.
Gaspard ne dépasse pas la facilité superficielle qui caractérise toutes les autres productions de René Benjamin : tout y est conventionnel : la guerre et ses à-côtés, les combattants et leurs infirmières. Mais le caractère de Gaspard, marchand d’escargots rue de la Gaïté, Parigot blagueur et héroïque, est de ceux auxquels, depuis Gavroche toutes les sympathies sont acquises. En 1915, on réclamait une détente : on la trouva dans ce journalisme sans prétention.
En 1916 parut le livre qui fut le plus grand succès de librairie de notre temps : le Feu, d’Henri Barbusse. Vingt ans avant, Barbusse avait débuté avec un recueil de poèmes, les Pleureuses, où se manifestait une sensibilité prompte à s’émouvoir devant les nuances les plus fugitives de la réalité moderne, mais qui ne parvenait point à les traduire sous une forme définitive. Le poème La Lettre, si proche encore d’Henry Bataille :
Je t’écris et la lampe écoute.
L’horloge attend à petits coups
Je vais fermer les yeux sans doute
Et je vais m’endormir de nous…
montre assez clairement les bornes de ce lyrisme familier. Dans L’Enfer, Barbusse se posait en successeur de Zola, et ce roman renfermait de vigoureuses descriptions. Mais l’écrivain avait en même temps cédé au désir d’y dresser une espèce de somme philosophique de son époque. C’était là de sa part un contre-sens sur son propre talent : s’il existe des esprits pour qui les idées ne comptent que selon leur valeur abstraite, Barbusse représentait l’autre extrême. Il appréhende des idées leur rayonnement sentimental ; en face d’une notion intellectuelle, il déploiera toutes les notions d’un cœur généreux, jamais il ne la peindra dans son impartiale nudité. La pensée de l’auteur de l’Enfer égalait en simplicité celle de la Couturière qu’il a chantée :
Elle croit à la beauté,
Elle croit à l’harmonie,
Elle se sent infinie,
Les lèvres dans la clarté.
Nous avons rappelé l’énorme succès du Feu : peut-être le dut-il d’abord à son extraordinaire accent de sincérité ; pour la première fois un écrivain apportait à ses lecteurs, sans aucune interposition littéraire, la vérité, une description exacte de la vie dans les tranchées. Mais cette popularité ne fut point un triomphe de surprise : le Feu réunit en effet toutes les qualités du réalisme humanitaire de Barbusse. Dans ce « journal d’une escouade », il s’est presque toujours interdit de dépasser son expérience personnelle et le point de vue du simple soldat ; de là, l’intensité des pages où, racontant une journée sans incident, une corvée ou une attaque, il évoque avec le relief de leur précision concrète la durée, la boue, les instincts élémentaires. Son émotion, assez vibrante pour dédaigner tout artifice, ressuscite, avec une sympathie virile ou un humour attendri, ses compagnons de combat qui ne furent point des héros, mais, plus glorieusement, des hommes. Même l’âpre satire qui stigmatise la division de la patrie en « deux pays étrangers, l’avant et l’arrière », n’est point une opposition factice : elle naît de cent petits faits qui gardent leur force. Surtout elle est dominée par le sentiment poignant que, si les civils oublieront vite ce qu’on souffert pour eux les combattants, ces derniers eux-mêmes n’en garderont point une mémoire intacte : « on est plein de l’émotion de la réalité au moment, et on a raison. Mais tout ça s’use dans vous. »
Le Feu représentait la guerre dans toute son horreur, plus haïssable encore d’être peinte avec cette tragique sobriété. Barbusse eût failli à l’honnêteté en ne cherchant point quel remède éviterait le retour « des choses épouvantables faites par 30 millions d’hommes qui ne les veulent pas ». Quelques pages du Feu indiquaient nettement sa volonté de pacifisme : une aube d’espoir se levait sur ce champ de bataille sinistre. Il était donc inévitable que Barbusse apparusse à beaucoup d’anciens combattants comme un guide et qu’il lui fût impossible de se soustraire à cet honneur. Persuadé par l’exemple de Zola que le roman peut devenir un instrument d’apostolat politique, il écrivit Clarté où l’affabulation romanesque voile mal son dessein de démontrer que, selon la conclusion des Paroles d’un combattant, « la seule voix humaine qui s’harmonise avec la nature elle-même, la musique pensante de l’aube et du soleil, c’est le chant de l’Internationale ». Tout jugement sur la portée d’ouvrages comme Élévation ou sa biographie de Staline dépend de l’opinion que l’on professe envers l’activité de militant à laquelle il a tout subordonné ; mais ses plus violents adversaires ont dû reconnaître la générosité avec laquelle Henri Barbusse a servi jusqu’à sa mort la cause du progrès humain qu’il prenait déjà l’engagement de défendre dans les admirables Lettres à sa femme (1914-1917).
René Lalou
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lundi, 18 janvier 2010
Un mot sur l'enfance
"Ce qui n'était pas consacré à l'étude était donné à ces jeux du commencement de la vie, pareils en tous lieux. Le petit Anglais, le petit Allemand, le petit Italien, le petit Espagnol, le petit Iroquois, le petit Bédouin roulent le cerceau et lancent la balle. Frères d'une grande famille, les enfants ne perdent leurs traits de ressemblance qu'en perdant leur innocence, la même partout. Alors les passions modifiées par les climats, les gouvernements et les moeurs font les nations diverses ; le genre humain cesse de s'entendre et de parler le même langage : c'est la société qui est la véritable tour de Babel".
Chateaubriand
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lundi, 11 janvier 2010
Fragment de Moréas et commentaire d'Esther Mar
Fragment de Moréas (commenté par Esther Mar)
Quand je viendrai m’asseoir dans le vent, dans la nuit,
Au bout du rocher solitaire,
Que je n’entendrai plus, en t’écoutant, le bruit
Que fait mon cœur sur cette terre,
Ne te contente pas, Océan, de jeter
Sur mon visage un peu d’écume :
D’un coup de lame alors il te faut m’emporter
Pour dormir dans ton amertume.
(Moréas, el Greco de la poésie française)
Commentaire d’Esther Mar
Ton visage accusait trop d’ans. L’océan s’étendait sous la nappe nocturne. Tu voulais dormir dans son amertume : tu savais que ce grand flot mouvant nous emporte dans son lit indéfinissable et que le sommeil éternel a le goûts des lendemains de fêtes ratées. Tu t’en es allé comme tu avais dit et je lis tes vers au bord de la Marne. Je songe aussi à partir. D’un coup de lame alors il faudra m’emporter, au-delà de la solitude.
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