mercredi, 06 janvier 2010
...comme il est facile de juger, et difficile de vivre...
"On frémit..... quand on sait comme il est facile de juger, et difficile de vivre,
et comme c’est rapide, un jugement, et comme c’est long, une vie".
Montherlant
À propos de la pièce La guerre civile
"Les serpents littéraires, biographiques et anecdotiques qui suivent les hommes sortant un peu de l’ordinaire n’ont pas effacé les traces de Pompée. Après deux mille ans, il vit encore, plein de bruits et d’actes, et comme soutenu par les jugements malveillants qu’on porte sur lui. On frémit (c’est une façon de parler, car personne ne frémit) en voyant exécuté en quatre lignes, dans les dictionnaires, l’effort de toute une vie, quand on sait comme il est facile de juger, et difficile de vivre, et comme c’est rapide, un jugement, et comme c’est long, une vie. Les historiens qui, les pieds dans des pantoufles, entre leur radiateur et leur frigidaire, et n’ayant d’autre adversaire à vaincre que la feuille de papier blanc sur laquelle ils écrivent n’impore quoi en toute impunité, les historiens ont beau jeu à traiter avec désinvolture les personnes qui ont remué ce que remua Pompée pendant trente-cinq ans, dans le chaos sanglant qu’était alors l’empire romain (étant réservé le problème de la vanité de l’action, sur lequel j’ai dit mon sentiment bien des fois). Pour moi, mon objet ici n’a pas été de juger cet homme : on ne juge que sur dossier, et les arrangeurs ne font pas un dossier. Je n’ai voulu que rêver un peu sur un immense retournement de fortune, et en sortir quelques circonstances dorées par la mélancolie de l’Histoire".
Henry de Montherlant, 1958
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mardi, 05 janvier 2010
L'amour, la prière, les larmes
« Je vois les chevaliers traverser les mers vers la Terre Sainte croyant la prendre par les armes, et s’exténuant sans arriver à leurs fins. Alors je pense qu’il faudrait faire cette conquête comme tu la fis, Seigneur, avec tes apôtres : par l’amour, la prière et les larmes ».
Raymond Lull
(Vers 1311)
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vendredi, 01 janvier 2010
La guerre Civile, Scène VI
Caton, Brutus.
Brutus, entrant.
Tu ne dors pas ?
Caton
Le malheur de mon pays m'empêche de dormir.
Brutus
Dans la nuit, je viens de croiser deux ombres...
Caton
Le Meurtre et le Suicide, qui se promènent sans cesse parmi nous, et quelquefois, au passage, nous serrent doucement le bout des doigts.
Brutus
Non, Pompée et Lentulus, sur le seuil du prétoire. La nuit et des baraquements les ont empêchés de me reconnaître. Pompée disait : "L'attaque de demain est une absurdité. Nos recrues sont des civils déguisés en militaires". Lentulus lui a demandé : "Alors, pourquoi cette attaque ?" Pompée a répondu, avec son à-propos habituel : "Il faut bien faire quelque chose". LE concert des grenouilles a couvert la suite.
Caton
Ne dis cela à personne, et surtout à personne du commandement.
Brutus
J'ai voulu t'avertir : il vaut mieux être prévenu.
Caton
Mais enfin, que pense-t-il de la situation ? Avec lui on ne sait jamais rien.
Brutus
C'est qu'il ne pense rien. Il fait celui qui pense, et ne pense pas. Il attend l'événement, et se décide au hasard. On parle de sa politique. Sa politique est n'importe quoi. Il nous a fallu trente-cinq ans pour découvrir cela, et pour en découvrir la cause : c'est qu'il n'est pas intelligent.
Caton
Lent, secret et perfide comme ces lagunes de Dyrrachium, où bouge un imperceptible courant, venu d'une mer immobile.
Brutus
À propos de nos lagunes, si la fièvre de Pompée est une blague, la mienne est une réalité. N'attends pas de moi que je me couvre de gloire demain.
Caton
Tout t'est permis, nous savons cela. Profites-en, mon cher Brutus. Quant à moi, je n'ai pas la fièvre.
Brutus
Tant mieux pour toi. Salut. Bon sommeil, quand même.
Caton
Et ton abrégé de l'Histoire de Polybe ?
Brutus
J'y ai travaillé toute la journée.
Caton
La veille d'une bataille.
Brutus
Délit caractérisé de liberté d'esprit !
Henry de Montherlant
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samedi, 26 décembre 2009
Citadelle
"Et je m'en fus parmi mon peuple songeant à l'échange qui n'est plus possible lorsque rien de stable ne dure à travers les générations, et au temps qui coule alors, inutile, comme un sablier. Et je songeais : cette demeure n'est point assez vaste et l'oeuvre contre laquelle il s'échange n'est point assez durable encore. Et je songeais aux pharaons qui se firent bâtir de grands mausolées indestructibles et anguleux qui avancent dans l'océan du temps qui les use lentement en poussière. Je songeais aux grands sables vierges des caravanes dont quelquefois émergent un temple d'autrefois, à demi sombré et comme démâté déjà par l'invisible tempête bleue, voguant encore à demi, mais condamné. Et je songeais : il n'est point assez durable, ce temple avec sa charge de dorures et d'objets précieux qui ont coûté de longues vies humaines, avec ce miel enfermé de tant de générations, avec ses filigranes d'or, ces dorures sacerdotales contre lesquelles de vieux artisans se sont lentement échangés et ces nappes brodées sur lesquelles des vieilles tout au long de leur vie se sont lentement brûlé les yeux, et, une fois racornies, toussotantes, ébranlées déjà par la mort, ont laissé d'elles cette traîne royale. Cette prairie qui se déroule. Et ceux qui l'aperçoivent aujourd'hui se disent : "Qu'elle est belle, cette broderie ! Qu'elle est donc belle..." Et je découvre que ces vieilles ont filé leur soie dans leur métamorphose. Ne se sachant point aussi merveilleuses.
Mais il faut bâtir le grand caisson pour recevoir ce qui restera d'eux. Et le véhicule pour l'emporter. Car, moi, je respecte d'abord ce qui dure plus que les hommes. Et sauve ainsi le sens de leurs échanges. Et constitue le grand tabernacle auquel ils confient tout d'eux-mêmes.
Ainsi je les retrouve encore, ces lents navires dans le désert"
Antoine de Saint-ÉXUPÉRY
Citadelle, sur Une bibliothèque au 13
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vendredi, 25 décembre 2009
grivoiserie
Le mot et la chose
Madame, quel est votre mot,
Et sur le mot et sur la chose ?
On vous a dit souvent le mot,
On vous a fait souvent la chose.
Ainsi, de la chose et du mot
Vous pouvez dire quelque chose.
Et je gagerais que le mot
Vous plaît beaucoup moins que la chose.
Pour moi, voici quel est mon mot,
Et sur le mot, et sur la chose :
J'avouerai que j'aime le mot,
J'avouerai que j'aime la chose.
Mais, c'est la chose avec le mot,
Mais, c'est le mot avec la chose,
Autrement, la chose et le mot
A mes yeux, seraient peu de chose.
Je crois même, en faveur du mot,
Pouvoir ajouter quelque chose ;
Une chose qui donne au mot
Tout l'avantage sur la chose :
C'est qu'on peut dire encore le mot,
Alors qu'on ne fait plus la chose.
Et pour peu que vaille le mot,
Mon Dieu, c'est toujours quelque chose !
De là, je conclus que le mot
Doit être mis avant la chose.
Qu'il ne faut ajouter au mot
Qu'autant que l'on peut quelque chose.
Et pour quelque jour où le mot
Viendra seul, hélas, sans la chose,
Il faut se réserver le mot
Pour se consoler de la chose.
Pour vous, je crois qu'avec le mot,
Vous voyez toujours autre chose.
Vous dites si gaiement le mot,
Vous méritez si bien la chose,
Que pour vous, la chose et le mot
Doivent être la même chose.
Et vous n'avez pas dit le mot
Qu'on est déjà prêt à la chose,
Mais quand je vous dis que le mot
Doit être mis avant la chose,
Vous devez me croire à ce mot,
Bien peu connaisseur en la chose.
Eh bien, voici mon dernier mot,
Et sur le mot et sur la chose :
Madame, passez-moi le mot
Et je vous passerai la chose.
Abbé de l'Attaignant (il vécut à cheval entre le XVII et le XVIIIème siècle)
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mercredi, 16 décembre 2009
La Guerre Civile
Par Henry de Montherlant
"Je n'ai voulu que rêver un peu sur un immense retournement de fortune,
et en sortir quelques circonstances dorées par la mélancolie de l'Histoire".
Le début de la pièce de théâtre "La Guerre Civile" commence par le chant d'un choeur : le choeur qui joue la guerre civile.
"Je suis la Guerre Civile. Et j'en ai marre de voir ces andouilles se regarder en vis-à-vis sur deux lignes, comme s'il s'agissait de leurs sottes guerres nationales. Je ne suis pas la guerre des fourrées et des champs. Je suis la guerre du forum farouche, la guerre des prisons et des rues, celle du voisin contre le voisin, celle du rival contre le rival, celle de l'ami contre l'ami. Je suis la Guerre Civile, je suis la bonne guerre, celle où l'on sait pourquoi l'on tue et qui l'on tue : le loup dévore l'agneau, mais il ne le hait pas ; tandis que le loup hait le loup. Je régénère et je retrempe un peuple ; il y a des peuples qui ont disparu dans une guerre nationale ; il n'y en a pas qui ait disparu dans une guerre civile. Je réveille les plus démunis des hommes de leur vie hébétée et moutonnière ; leur pensée endormie se réveille sur un point, ensuite se réveille sur tous les autres, comme un feu qui avance. Je suis le feu qui avance et qui brûle, et qui éclaire en brûlant. Je suis la Guerre Civile. Je suis la bonne guerre".
Henry de Montherlant
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mardi, 15 décembre 2009
la réponse en mariage
Vous désirez ma main ? soit je vous l'abandonne,
mais prenez-vous d'amour pour l'esprit qui l'anime,
montrez d'avance un coeur douillet et magnanime
et pardonnez au temps, qui jamais ne pardonne.
Mon corps, dont la beauté vous a été promise,
n'est-il pas tout entier promis à la poussière ?
ma secrète vertu, par vos vertus conquise,
n'est elle pas déjà par nature, éphémère ?
Cherchons dès aujourd'hui notre seul vrai visage,
Voyons ce qui s'efface et ce qui vient du coeur,
L'oeil qui nous embellit nous blesse d'avantage,
Plus tard il est aussi précis qu'il fut rêveur.
Vous désirez ma main ? soit, je vous l'abandonne,
mais prenez-vous d'amour pour l'esprit qui l'anime,
montrez d'avance un coeur douillet et magnanime
et pardonnez au temps, qui jamais ne pardonne.
Giani Esposito
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samedi, 05 décembre 2009
Notre-Dame de Paris
Notre-Dame est bien vieille : on la verra peut-être
Enterrer cependant Paris qu'elle a vu naître ;
Mais, dans quelque mille ans, le Temps fera broncher
Comme un loup fait un boeuf, cette carcasse lourde,
Tordra ses nerfs de fer, et puis d'une dent sourde
Rongera tristement ses vieux os de rocher !
Bien des hommes, de tous les pays de la terre
Viendront, pour contempler cette ruine austère,
Rêveurs, et relisant le livre de Victor :
- Alors ils croiront voir la vieille basilique,
Toute ainsi qu'elle était, puissante et magnifique,
Se lever devant eux comme l'ombre d'un mort !
Gérard de Nerval
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mercredi, 25 novembre 2009
La cuve
Il est, il est sur terre une infernale cuve,
On la nomme Paris ; c'est une large étuve,
Une fosse de pierre aux immenses contours
Qu'une eau jaune et terreuse enferme à triples tours
C'est un volcan fumeux et toujours en haleine
Qui remue à longs flots de la matière humaine ;
Un précipice ouvert à la corruption,
Où la fange descend de toute nation,
Et qui de temps en temps, plein d'une vase immonde,
Soulevant ses bouillons, déborde sur le monde.
Là, dans ce trou boueux, le timide soleil
Vient poser rarement un pied blanc et vermeil ;
Là, les bourdonnements nuit et jour dans la brume
Montent sur la cité comme une vaste écume ;
Là, personne ne dort, là, toujours le cerveau
Travaille, et, comme l'arc, tend son rude cordeau.
On y vit un sur trois, on y meurt de débauche ;
Jamais, le front huilé, la mort ne vous y fauche,
Car les saints monuments ne restent dans ce lieu
Que pour dire : Autrefois il existait un Dieu.
Là, tant d'autels debout ont roulé de leurs bases,
Tant d'astres ont pâli sans achever leurs phases,
Tant de cultes naissants sont tombés sans mûrir,
Tant de grandes vertus, là, s'en vinrent pourrir,
Tant de chars meurtriers creusèrent leur ornière,
Tant de pouvoirs honteux rougirent la poussière,
De révolutions au vol sombre et puissant
Crevèrent coup sur coup leurs nuages de sang,
Que l'homme, ne sachant où rattacher sa vie,
Au seul amour de l'or se livre avec furie.
Misère ! Après mille ans de bouleversements,
De secousses sans nombre et de vains errements,
De cultes abolis et de trônes superbes
Dans les sables perdus et couchés dans les herbes,
Le Temps, ce vieux coureur, ce vieillard sans pitié,
Qui va par toute terre écrasant sous le pié
Les immenses cités regorgeantes de vices,
Le Temps, qui balaya Rome et ses immondices,
Retrouve encore, après deux mille ans de chemin,
Un abîme aussi noir que le cuvier romain.
Toujours même fracas, toujours même délire,
Même foule de mains à partager l'empire ;
Toujours même troupeau de pâles sénateurs,
Mêmes flots d'intrigants et de vils corrupteurs,
Même dérision du prêtre et des oracles,
Même appétit des jeux, même soif des spectacles ;
Toujours même impudeur, même luxe effronté,
Dans le haut et le bas même immoralité,
Mêmes débordements, mêmes crimes énormes,
Moins l'air de l'Italie et la beauté des formes.
La race de Paris, c'est le pâle voyou
Au corps chétif, au teint jaune comme un vieux sou ;
C'est cet enfant criard que l'on voit à toute heure
Paresseux et flânant, et loin de sa demeure
Battant les maigres chiens, ou le long des grands murs
Charbonnant en sifflant mille croquis impurs ;
Cet enfant ne croit pas, il crache sur sa mère,
Le nom du ciel pour lui n'est qu'une farce amère ;
C'est le libertinage enfin en raccourci ;
Sur un front de quinze ans c'est le vice endurci.
Et pourtant il est brave, il affronte la foudre,
Comme un vieux grenadier il mange de la poudre,
Il se jette au canon en criant : Liberté !
Sous la balle et le fer il tombe avec beauté.
Mais que l'Emeute aussi passe devant sa porte,
Soudain l'instinct du mal le saisit et l'emporte,
Le voilà grossissant les bandes de vauriens,
Molestant le repos des tremblants citoyens,
Et hurlant, et le front barbouillé de poussière,
Prêt à jeter à Dieu le blasphème et la pierre.
Ô race de Paris, race au coeur dépravé,
Race ardente à mouvoir du fer ou du pavé !
Mer, dont la grande voix fait trembler sur les trônes,
Ainsi que des fiévreux, tous les porte-couronnes !
Flot hardi qui trois jours s'en va battre les cieux,
Et qui retombe après, plat et silencieux !
Race unique en ce monde ! effrayant assemblage
Des élans du jeune homme et des crimes de l'âge ;
Race qui joue avec le mal et le trépas,
Le monde entier t'admire et ne te comprend pas !
Il est, il est sur terre une infernale cuve,
On la nomme Paris ; c'est une large étuve,
Une fosse de pierre aux immenses contours
Qu'une eau jaune et terreuse enferme à triples tours
C'est un volcan fumeux et toujours en haleine
Qui remue à longs flots de la matière humaine ;
Un précipice ouvert à la corruption,
Où la fange descend de toute nation,
Et qui de temps en temps, plein d'une vase immonde,
Soulevant ses bouillons, déborde sur le monde.
Auguste Barbier
(il vécut entre l'an 1805 et l'an 1882)
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mardi, 24 novembre 2009
Rémy de Gourmont à propos du célibat II
Après les premiers regards, les aveux plus ou moins déguisés, les légers contacts, les amants cherchent invinciblement à satisfaire le désir de mutuel plaisir qui crie en eux. Et le " terme de l'amour " est atteint. La nature n'en demande pas plus, et Don Juan non plus, qui lui obéit avec scrupule. Mais Don Juan est un peu borné. Cet homme, qui a mordu à tant de femmes, n'en a peut-être savouré aucune. Au fond, c'est un sot. Il a connu beaucoup de femmes, il n'a pas connu la femme, qui ne se donne jamais toute du premier coup. Figurez-vous un amateur de livres qui passerait en se promenant dans une bibliothèque, allongerait la main çà et là, ouvrirait, remettrait en place, continuerait son chemin en répétant toujours le même geste et qui aurait la prétention d'avoir lu, d'avoir rêvé, d'avoir médité ! C'est le Don Juan, amateur de femmes. Le Don Juanisme n'est qu'une suite de viols plus ou moins consentis. Ce n'est pas ainsi que se conduit l'amant. L'être qui lui donne du plaisir est aussi celui qui lui donne du bonheur et il sait que le bonheur ne s'épuise pas comme on vide un verre de vin. La femme qu'il a conquise, il veut en dépecer longuement l'âme et le corps, apprendre à lire dans ces yeux changeants, que le rêve clôt à demi et que la volupté agrandissait. On dirait parfois qu'elles marchent au supplice. La montée est douloureuse. Elles voient le sommet et l'atteignent rarement du premier vol. Il faut un peu d'habitude et que l'amant devine les caprices physiologiques de la chair et quels mots et quelles caresses l'âme et les nerfs attendent pour s'épanouir. Car le véritable amour n'est pas égoïste ou l'est tellement qu'il ne desserre l'étau que sur une proie broyée et ruisselante. Alors l'âme des femmes s'épanche comme une fontaine. Malheureusement le moment parfois leur semble propice pour s'égarer en confidences sur leur prochain chapeau. Ce sont les charmes de l'intimité. Niais on devine parfois aussi que ce système de bavardages n'est qu'une manière d'alibi. La femme a la pudeur de sa joie, puis elle ne trouve pas, comme l'homme, des mots pour chanter sa volupté, ou elle ne trouve pas les mêmes. " Mon chapeau sera très très joli " veut souvent dire : " Mon amour, je t'adore. " Il faut savoir cela.
Il arrive nécessairement, quand on est entré dans la forêt charnelle, qu'on repasse si souvent par les mêmes sentiers que les feuilles, les fleurs et les odeurs s'effacent, pâlissent, s'atténuent. On s'habitue aux épanchements, aux gestes, aux discours. Le cri que l'on prévoyait arrive toujours dans la même modulation, et un jour vient où d'un commun accord on espace les rendez-vous en attendant le jour où on les oublie. Puis, on se sourit sans étonnement et sans embarras, quand on se rencontre. C'est qu'on a déjà recommencé une autre partie au grand jeu de l'illusion. Et la vie passe. Mais je n'ai pas parlé des cas où l'un des amants s'est lassé plus tôt que l'autre. Ce sont probablement les plus fréquents. On n'est pas arrivé à obtenir le synchronisme de deux pendules. Comment pourrait-on l'exiger de deux cœurs ? Il y a là pour l'un des amants de petites ou grandes heures difficiles à passer. C'est une des rançons de l'amour. Aussi bien, on s'y attendait un peu. Les vrais amants n'aiment pas les tragédies. " Je ne sais compter que les heures aimables ", me disait une femme de beaucoup d'esprit et qui a le sens véritable de la vie.
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dimanche, 15 novembre 2009
L'Occident
... Et l'astre qui tombait de nuage en nuage,
Suspendait sur les flots son orbe sans rayon,
Puis plongeait la moitié de sa sanglante image,
Comme un navire en feu qui sombre à l'horizon ;
Et la moitié du ciel pâlissait, et la brise
Défaillait dans la voile, immobile et sans voix,
Et les ombres couraient, et sous leur teinte grise
Tout sur le ciel et l'eau s'effaçait à la fois ;
Et dans mon âme aussi pâlissant à mesure,
Tous les bruits d'ici-bas tombaient avec le jour,
Et quelque chose en moi, comme dans la nature,
Pleurait, priait, souffrait, bénissait tour à tour ! ...
Ô lumière ! où vas-tu ? Globe épuisé de flamme,
Nuages, aquilons, vagues, où courez-vous ?
Poussière, écume, nuit ; vous, mes yeux ; toi, mon âme,
Dites, si vous savez, où donc allons-nous tous ?
À toi, grand Tout, dont l'astre est la pâle étincelle,
En qui la nuit, le jour, l'esprit vont aboutir !
Flux et reflux divin de vie universelle,
Vaste océan de l'Etre où tout va s'engloutir !
Alphonse de Lamartine
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samedi, 14 novembre 2009
Une éducation en l’an mille quelque chose
Un passage émouvant du livre de l’historienne Joan Evans, La civilisation en France au Moyen Âge (1930)
« Guibert de Nogent, né en 1053, nous a laissé un petit tableau très triste de son éducation d’enfant élevé par un gouverneur particulier.
« Quand on me mit à l’étude, j’avais déjà, en vérité, commencé les rudiments, mais je pouvais à peine assembler les éléments les plus simples, lorsque ma mère aimante, préoccupée de me voir étudier, songea à me mettre à la grammaire… L’homme, à qui ma mère projetait de me confier, avait commencé à apprendre la grammaire à un âge avancé, et il était d’autant moins versé dans cet art qu’il en avait eu très peu dans sa jeunesse. Cependant il était si modeste que son honnêteté remplaçait son absence de savoir… Donc, lorsque je fus confié à ses soins, il m’enseigna avec une telle pureté et me garda avec un tel zèle… Qu’il m’empêcha complètement de prendre part aux jeux communs, ne me permettant jamais de sortir sans être accompagné, ni de manger hors de la maison, ni d’accepter aucun présent sans sa permission… Tandis que les autres enfants de mon âge allaient partout à leur guise… Pour ma part, j’étais enchaîné par des contraintes incessantes, et je restais assis dans mon petit manteau de clerc, regardant comme un animal apprivoisé les bandes d’enfants qui jouaient. Mais tandis qu’il m’importunait tant, et que ceux qui nous connaissaient pensaient que mon esprit d’enfant s’affilait à l’extrême, grâce à ces douleurs continuelles, tous les espoirs n’en furent pas moins déçus. Car il ignorait lui-même complètement l’art de la composition, en poésie comme en prose ; si bien que j’étais en butte à une grêle pénible et presque quotidienne de reproches et de coups, lorsqu’il voulait me forcer à apprendre ce qu’il ne savait pas lui-même… La nature fatiguée devrait parfois trouver un remède dans la diversité du travail. N’oublions pas que Dieu forma le monde non pas uniforme, mais avec les changements du jour et de la nuit, du printemps et de l’été, de l’automne et de l’hiver, nous ranimant ainsi par le changement des saisons ».
AlmaSoror avait déjà cité cet homme, ici.
A propos de l’éducation des enfants à cette époque, Joan Evans ajoute : « Saint Anselme est le seul que l’on entende rappeler au maître que les enfants sont des êtres humains comme lui, et qu’ils ont besoin de « miséricorde, de douceur, de pitié, de paroles joyeuses, de patience charitable, et de beaucoup de réconfort de ce genre ».
Ainsi, l’homme qui a dit « fides quaerens intellectum » était aussi un frère des enfants…
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mardi, 10 novembre 2009
Rémy de Gourmont à propos du célibat
phot Sara
On s'est efforcé, depuis une centaine d'années, d'identifier deux états qui n'ont pourtant que peu de rapports ensemble, l'état d'amour et l'état de mariage. C'est tout à fait nouveau dans l'histoire des mœurs. Les anciens n'y avaient jamais songé ; les modernes, non plus. Il a fallu, pour permettre une telle association d'idées, la renaissance chrétienne qui a caractérisé ce siècle fameux par ses incohérences. Cela permet de parodier quelque peu le dire de Pascal sur la justice et sur la force. Les moralistes, ne pouvant vaincre l'amour ni faire qu'il devînt chrétien, l'ont mis dans le mariage où ils étaient sûrs de le déshonorer et même de l'assassiner. Certes, il serait plus commode et peut-être plus agréable même de trouver l'amour dans le mariage plutôt que d'aller le chercher au hasard des chemins de la vie, mais s'il s'y rencontre quelquefois il n'y fait que de brèves stations pour laisser ensuite fort désemparés ceux qui se sont laissé prendre à un tel piège. L'amour est passager et le mariage est permanent. Ce sentiment et cette institution sont à peu près contradictoires. D'ailleurs l'amour n'est délicieux que dans ses commencements, ou bien il faut avoir le génie d'aimer pour en renouveler constamment la ferveur. Des amants parfois prennent en eux cette volonté, ils reçoivent cette grâce, à force de la désirer, mais les époux, confiants dans leur sécurité, croient d'abord qu'elle est une des conséquences du mariage et sont fort étonnés de voir qu'elle leur échappe. Ils s'ennuient, l'un en face de l'autre, à regarder des yeux qui ne parlent plus, des bouches sans baisers. L'amour ne dure pas, il se renouvelle. Or, le mariage s'oppose à ce renouvellement. Donc l'amour et le mariage sont incompatibles. Le mariage a d'autres buts et d'autres mérites.
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jeudi, 05 novembre 2009
L’enfant au tambour
Sur la route parapapam pam
Petit tambour s’ enva parapam pam
Il sent son cœur qui bat parapam pam
Au rythme de ses pas parapapam pam rapapam pam rapapam pam
Oh petit tambour parapapam pam
Ou vas-tu
Vers mon père parapapam pam
A suivi le tambour parapapam pam
Le tambour de soldat parapqapam pam
Alors je vais au ciel parapapam pam rapapam pam rapapam pam
Car je veux donner pour son retour
Mon tambour
Tous les anges parapapam pam
Ont pris leur beau tambour parapapam pam
Et ont dit à l'enfant parapapam pam
Ton père est de retour parapapam pam rapapam pam rapapam pam
Et l’enfant s’éveille parapapam pam
Sur son tambour rapapam pam rapapam pam
Et l’enfant s’éveille parapapam pam
Sur son tambour rapapam pam rapapam pam
(chanson)
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dimanche, 25 octobre 2009
vers de Jules Laforgue
Sous le ciel pluvieux, noyé de brumes sales,
Devant l'océan blême, assis sur un îlot,
Seul, loin de tout, je songe au clapotis du flot
Dans le concert hurlant des mourantes rafales.
Crinière échevelée, ainsi que des cavales,
Les vagues en se tordant arrivent au galop
Et croulent à mes pieds avec de longs sanglots
Qu'emporte la tourmente aux haleines brutales.
Partout le grand ciel gris, le brouillard et la mer,
Rien que l'affolement des vents balayant l'air.
Plus d'heures, plus d'humains, et solitaire, morne,
Je reste là, perdu dans l'horizon lointain
Et songe que l'espace est sans borne, sans borne,
Et que le temps n'aura jamais... jamais de fin.
Jules Laforgue
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