lundi, 21 septembre 2009
Contre la télévision - Pasolini
Extraits de Contre la télévision, de Pier Paolo Pasolini.
Il émane de la télévision quelque chose d'épouvantable. Quelque chose de pire que la terreur que devait inspirer, en d'autres siècles, la seule idée des tribunaux spéciaux de l'Inquisition. Il y a, au tréfonds de la dite "télé", quelque chose de semblable, précisément, à l'idée de l'Inquisition : une division nette, radicale, taillée à la serpe, entre ceux qui peuvent passer et ceux qui ne peuvent pas passer : ne peut passer que celui qui est imbécile, hypocrite, capable de dire des phrases et des mots qui ne soient que du son ; ou alors celui qui sait se taire - ou se taire en chaque moment de son discours - ou bien se taire au moment opportun, comme le fait aussi Moravia, quand il est interviewé ou qu'il participe à des "tables rondes", toujours viles et pédantes, naturellement. Celui qui n'est pas capable de ces silences ne passe pas. On ne déroge pas à pareille règle. Et c'est en cela - essayez de bien y réfléchir - que la télévision accomplit la discrimination néo-capitaliste entre les bons et les méchants. Là réside la honte qu'elle doit cacher, en dressant un rideau de faux "réalismes".
(...)
"Au sein de la terreur qui règne en amont du petit écran, comme à l'intérieur du petit écran, la terreur de prononcer certains mots, d'affirmer certains arguments, d'assumer simplement certaines tonalités de voix, tel ou tel mensonge ou mystification, préside à toute opération linguistique. (...)
Les politiques et leurs commentateurs se cachent tous derrière un masque qui ne se trahit jamais, qui ne cède jamais à un sourire, à une timidité, à quelque incertitude : à la fraternité. Tout est déjà préétabli et assuré : soyez tranquilles ! On se donne du mal, et l'on s'en donnera toujours plus. En bref, la télévision est "paternaliste" : voilà son possible slogan définitif. Les préceptes du père sont une énumération rigide de ce qui peut et ne peut pas être dit ou fait.
IL n'y a au fond qu'une seule chose qui échappe à la surveillance - au fond filiale, obsessionnelle, désespérée, mesquine, terrorisée - du "père télévisuel" et qui ne peut pas ne pas lui échapper, parce que cette chose est en lui, elle est sa propre réalité : c'est la vulgarité. Tout ce qui apparaît dans le petit écran et en amont du petit écran, toute la préparation et l'organisation de l'emballage protecteur de l'information - est vulgaire.
Pier Paolo Pasolini - Contre la télévision
Editions les Solitaires Intempestifs.
Traduction de Caroline Michel et Hervé Joubert-Laurencin
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Commentaires
Encore besoin de venir ici prendre le pouls de l'intransigeance absolue.
Et comment ne pas se rallier à l'âme sœur quand on lit, en réponse à celui qui bougonne, «Nous aimons Internet car Internet est un espace extensible, hyperfragile, beau et incompréhensible.»
Écrit par : Tieri | lundi, 21 septembre 2009
Merci Tieri.
J'écoute "weeping song", de Nick Cave, depuis trois heures de l'après-midi. Quelle chanson !
J'aimerais bien ouvrir une porte qui change ma vie à jamais, dans un sens merveilleux. Je cherche comment faire. Une porte intérieure ? Extérieure ?
Écrit par : édith | mercredi, 23 septembre 2009
Dans le visage de Nick Cave, il y a quelque chose qui te ressemble. Complaintes et chants d'alma soror. La porte dont tu parles existe. Nietzsche encore : il faut poétiser l'existence. Les techniques de la poésie - voyances, incantations, explosions mentales - pourraient servir de chemin jusqu'à cette porte. Passe une journée formidable Edith.
Écrit par : leàn | jeudi, 24 septembre 2009
Ah, c'est vrai, dans la bouche et les joues, Edith, tu nick cave un peu.
Qu'arrive-t-il au corps lors d'une explosion mentale ? Je suis intrigué...
Écrit par : Arthur pas h | jeudi, 24 septembre 2009
Tu prends le pouls de l'intransigeance absolue et je prends le pouls de l'absolu qui transige, frère. Et nous arrivons au même résultat : il pleut sur la ville quand tout est sec inside.
Écrit par : Marraine de quelqu'un qui dort peut-être | samedi, 25 février 2012
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