dimanche, 01 avril 2012
La littérature française au XIX°siècle, décrite par Romain Rolland
Ce passage du roman Jean-Christophe, écrit au 162 boulevard du Montparnasse avant la première guerre mondiale, nous démontre que nos conservateurs crient au loup sans se lasser, croyant toujours que cette fois, la société est descendue vraiment trop bas... Tandis que nos pourfendeurs de morale ne sont que d'affligeants fonctionnaires du choquage de bourgeois.
"Ce fut par les journaux quotidiens que Christophe fit d'abord connaissance, - comme des millions de gens en France, - avec la littérature française de son temps. Comme il était désireux de se mettre le plus vite possible au diapason de la pensée parisienne, en même temps que de se perfectionner dans la langue, il s'imposa de lire avec beaucoup de conscience les feuilles qu'on lui disait les plus parisiennes. Le premier jour, il lut parmi des faits divers horrifiants, dont la narration et les instantanés remplissaient plusieurs colonnes, une nouvelle sur un père qui couchait avec sa fille, âgée de quinze ans : la chose était présentée comme toute naturelle, et même assez touchante. Le second jour, il lut dans le même journal une nouvelle sur un père et son fils, âgé de douze ans, qui couchaient avec la même fille. Le troisième jour, il lut une nouvelle sur un frère, qui couchait avec sa soeur. Le quatrième, sur deux soeurs qui couchaient ensemble. Le cinquième... Le cinquième, il jeta le journal, avec un haut-le-coeur, et dit à Sylvain Kohn :
- Ah ! ça, qu'est-ce que vous avez ? Vous êtes malades !
Sylvain Kohn se mit à rire, et dit :
- C'est de l'art.
Christophe haussa les épaules :
- Vous vous moquez de moi.
- En aucune façon. Voyez plutôt !
Il montra à Christophe une enquête récente sur l'Art et la Morale, d'où il résultait que "l'Amour sanctifiait tout", que "la Sensualité était le ferment de l'Art", que "la morale était une convention inculquée par une éducation jésuitique", et que seule comptait "l'énormité du Désir". - Une suite de certificats littéraires attestaient dans les journaux la pureté d'un roman qui peignait les moeurs des souteneurs. Certains des répondants étaient les plus grands noms de la littérature, ou d'austères critiques. Un poète des familles, bourgeois et catholique, donnait sa bénédiction d'artiste à une peinture très soignée des mauvaises moeurs grecques. Des réclames lyriques exaltaient des romans, où laborieusement s'étalait la Débauche à travers les âges : Rome, Alexandrie, Bysance, la Renaissance italienne et française, le Grand Siècle... c'était un cours complet."
Romain Rolland, in Jean-Christophe
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Commentaires
Ce qui est rassurant, c'est de voir que rien n'a changé. On se bat toujours pour de grandes causes, on a toujours des conversations de salons enflammées sur tel art ou telle politique, en croyant toujours que c'est nouveau. Mais tout a été dit et tout a été fait. Tout se répète.
En somme, rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme un peu, mais pas beaucoup.
Écrit par : L'Artiste | lundi, 02 avril 2012
L'artiste, vous avez raison. "un peu, mais pas beaucoup".
Écrit par : AlmaSoror | mardi, 03 avril 2012
Bonjour,
On a appelle ça, de l'art!
Écrit par : dictionary | vendredi, 22 juin 2012
Les commentaires sont fermés.