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vendredi, 28 mai 2021

Le serviteur muet

Le serviteur muet s'avançait vers nos nappes armoriées. Son habit noir et blanc lui donnait l'air inférieur et serait aujourd'hui du plus bel effet, avec ses étoffes fines et ses coupes élégantes, à nos tables industrielles vers lesquelles nous acheminons nos corps couverts de sapes made in China.

(Décantation ! Qui se souvient de la dernière décantation ?)

 

Le serviteur muet au bouton de porcelaine à trois plateaux d'argent demeurait sur la nappe brodée. Ses pétales de pensées et de cœur-de-Marie dégringolaient des cascades de fruits et des collines de gâteaux. Et ce fleuve de pensées et d'amour nous est mort à jamais ! Enchaînés que nous sommes à nos neuves libertés, nous avons perdu le fil du temps et le do de nos clarinettes familiales.

(Carafage ! Qui a gardé le goût du Pommard de l'an III ?)

 

Le serviteur muet reviendra au dernier soir du monde. Ce sera le dernier repas, au dernier jour du tout dernier été. Sous le geste auguste d'un Dieu réinventé, tout se figera dans la beauté majestueuse du dernier service. Penché sur le serviteur muet, le serviteur timide prononcera le dernier mot avant la fixation des rires et des poses du banquet final, sur le marbre de l'éternité.

(Incantation ! qui devine la dernière incantation ?)

vendredi, 10 juin 2016

La conscience de Victor Hugo sur la plage des Sables

Merci à Lau qui improvisa ce film ce matin et à monsieur P.......y, instituteur de CM2 à l'école publique de la rue Littré, de nous avoir fait apprendre ce poème par cœur.

vendredi, 18 juillet 2014

La robe rouge de Dana

Synopsis

 

Chili, années 70.

 

Monsieur Barka est le chef de la police du Chili. Il est père de deux enfants, un fils, fidèle, qu’il ne respecte pas, et une fille Victoria, qu’il a adorée toute son enfance et qui est désormais une opposante acharnée du gouvernement.

Il y a une dizaine d’années, il a emprisonné sa fille Victoria, enceinte, et son gendre parce qu’ils faisaient de la dissidence. Il n’a pas hésité à faire exécuter son gendre et “disparaître“ sa petite fille Isabel, née en prison.

Depuis, Victoria Barka est retournée vivre dans son village, où vit également son amie Dana, universitaire alcoolique. Elle écrit des articles pour un journal contestataire et fréquente des amis proches de la dissidence, ayant renoncé au système.

Mais un jour, Victoria Barka revient dans un article sur les assassins de sa fille et de son mari ; elle n’y cite pas expressément son père, mais personne ne peut s’y tromper.

Après la lecture de cet article, Barka décide de partir rencontrer sa fille. Il veut avoir une explication avec elle, et surtout, lui annoncer la vérité : sa fille Isabel n’est pas morte. C’est lui qui l’a adoptée et qui l’élève. Pendant ce temps, Victoria passe le temps avec Dana et Pierre, un ami de Dana. Pierre, photographe français en visite, se trouve impliqué dans une histoire politique qui ne le concerne pas, et au cours de laquelle il fait face à ses propres démons. Tandis que dans le village trois filles qui rappellent les Erinnyes de la mythologie gréco-romaine, semblent comploter, et il est difficile de savoir si c’est pour le meilleur ou pour le pire.

Lors de la rencontre fatidique entre le père et la fille, Barka est muré dans ces certitudes et Victoria dans sa souffrance. Barka ne révèle donc pas le secret d’Isabel. Déçu, de retour chez lui il organise un coup monté pour ré-emprisonner sa fille. Ce coup politique à des fins personnelles est contré par son propre gouvernement. Mais il s’en sort à temps. Et Victoria reste vivre dans son village, ignorant encore l’existence de sa fille. Jusqu’à quand ?

 

 

Note d’intention

 

A travers l’histoire d’une femme, Victoria, dont la vie est entièrement, implacablement détruite par son père dont elle est l’opposante politique, au sein de la dictature chilienne, surgit la question des choix personnels et des sentiments intimes, et du conflit que leurs oppositions éventuelles peuvent créer.

Trois thèmes sous tendent cette histoire.

J’ai voulu parler de la culpabilité. De la difficulté d’être la fille d’un assassin, d’un suppôt d’une dictature, quand l’amour et la répulsion se disputent au creux d’un cœur d’adulte qui, vis-à-vis d’un père, ne peut qu’être un cœur d’enfant. Ainsi, la culpabilité politique et la culpabilité familiale, dont la résolution est contradictoire.

Le second thème émerge de lui-même du conflit qui oppose les personnages, et concerne deux attitudes-types et antinomiques, face à la vie et à la société. Il y a le pouvoir absolu qui ne veut jamais se remettre en question, parce qu’il représente l’ordre suprême, et il y a la résistance, qui fait la révolution. Et le nécessaire lien qui unit ces deux attitudes, et qui peut se transformer en besoin réciproque et par là devenir un système tournant sur lui-même et pour lui-même.

Mais au-delà de ces rôles-types je me suis demandé quels types d’êtres humains ces attitudes cachaient ou révélaient, et quels sentiments, quelles idées, quelles émotions les dominaient et motivaient leurs choix. Sommes nous des marionnettes destinées à jouer des rôles que nous n’avons pas choisi, dont nous n’aurions pas voulu ? Où se situe notre pouvoir d’action sur notre propre vie ? Quand on est quelqu’un d’entier et qu’on a fait un choix en profondeur, que ce soit celui de la violence ou celui de la résistance, a-t-on les moyens de revenir en arrière ? Quand on a tout misé pour un idéal, revenir en arrière, n’est-ce pas se trahir soi même ? Enfin, quand on a perdu son amour (l’amour de sa fille, l’amour de son père) pour sa cause, la cause n’est elle pas le substitut essentiel et vital de cette perte ?

Je me suis demandée si l’histoire de Victoria et de son père était une déchirure liée à un hasard politique, ou la conséquence d’une trop grande compréhension, d’une fusion telle qu’elle interdit la vie, et que seule la lutte implacable peut briser.

Car au delà de leur opposition qui relève de la tragédie au sens narratologique du terme, le drame du père et de la fille réside peut-être dans leur étrange ressemblance, dans leur identification au rôle qu’ils se sont donnés à eux-mêmes, ou que les circonstances leur ont donné.

La robe rouge de Dana – Dana étant à la fois témoin et symbole, confidente de Victoria telle les deuxièmes rôles des tragédies du XVI éme siècle, dont la présence exacerbe le drame – est un drame familial et politique, à la fois profondément individuel et profondément collectif, qui met en scène la déchirure qu’implique une incohérence entre l’éthique (ici politique) et l’amour (ici paternel et filial). En toile de fond, le débat entre la recherche de l’absolu (l’ordre) et l’acceptation de l’imperfection (le désordre) se trame. Et le scénario se clôt sur la fureur de vivre et de se battre pour la liberté, que rien n’éteint.

 

La robe rouge de Dana

lundi, 02 juin 2014

Poèmes à cueillir sur AlmaSoror

poèmes à lire.jpg

Sur notre colonne de gauche se trouve l'entrée vers l'album Poésie. On y trouve des poèmes, de la barmaid de ce blog sans partage, mais aussi de poètes invités pour une page ou deux.

En voici la liste et le vers d'ouverture :

Le train rouge

Le train rouge a filé sur les brumes du ciel

Venise

A Venise qui choit dans la lagune

Miroir d'eau

Soleil brillant parmi les mille anges trop pâles

Rue Milton

Petit matin, soleil, vent tiède

L'étoile

Je poursuis une étoile aux quatre coins du monde

Grise du soir

Tes yeux gris mon amour embellissaient les lieux

Séjour lunaire

Ton char aux cent rennes lunaires

Véranda

Hier soir un ciel orange se vautrait sur la plage

The Stoned / Les défoncés

I am a light

La chanson des gisants

Gisez ! et ne parlez plus. Écoutez le vent du soir...

Atone

Ma voix coule dans le soir

L'abîme

Tes caresses ont laissé mon corps en ruines

L'horloge

L'horloge de la gare a sonné quelques coups

Brest

Donne-moi le Nord

Gange

Mais je sais que nous sommes un poisson

Zip & flip

Vodka au comptoir

Le rêve aux bulles

Comme dans la chanson d'enfant

La mer

La mer m'amène

Funboard

Sur l'océan le soir, quand le soleil se couche

Deltaplane

Ne plus jamais poser mes deux pieds sur la terre

Abattoir

C'est drôle et c'est bien de se revoir

Le van

Nous écoutons la radio dans le van

Ciao Baby

Mon bel ennemi dort

Les fressures de l'aube

J'ai besoin d'une femme qui me tende le sein

Autel

Le jour se lève et le café

Tango de nuit, chanson d'abandon

Dans la nuit opale, je t'ai rencontrée

Messe de la citadelle

Baignée dans ton rire éclatant, sous les vagues du ciel

Le malade

Les murs du cube sont bleus

Les sœurs douloureuses

Minuit dans le hangar ! et nos sœurs douloureuses

Dans un bar de nuit banal

Dans un bar de nuit banal

Lumières dans la ville morte

Lac de nuit, sur ta rive herbeuse je dansais

Jour de Sleipnir

Les oiseaux fantômes ont passé la frontière

Lau

J'ai trouvé un soir une étoile

Charade

Ballade, ballade...

lundi, 13 juin 2011

Prières pour la ville atlante, de Buddenbrook

 

Carvos Loup

Phot. Carvos Loup

Prières pour la ville atlante

Par Hanno Buddenbrook

traduction d'Edith de Cornulier-Lucinière

 

Préface de la traductrice

 

A l'heure où je traduisais ces poèmes suspendus entre ville et rêve, Hanno Buddenbrook était encore vivant.
J'enseignais alors le hawaiien et l'allemand à l'université des Pierres Emmurées de Saint Jean en Ville. Je devais participer à des colloques et à des fêtes intellectuelles organisés par le comité spirituel de la ville, qui tenait à sa réputation mondiale de Paradis intellectuel. A mes heures libres, je traduisais les poèmes de Hanno Buddenbrook. Depuis le balcon où je cherchais la correspondance des mots, j'entendais le flot monotone de la rivière, le bruissement sempiternel des feuilles au dessus d'elle, recouvert parfois par la musique du théâtre musical des Colonnes San Marco. Le rythme de ma vie d'alors effaçait les arcanes familiales qui avaient tant obscurci ma jeunesse. Tous mes amis étaient orphelins. N'ayant rien à dire d'eux mêmes, il savaient écouter le bruit des nuages et l'amour des oiseaux. N'ayant rien à sauver ils sauvaient l'art et le monde et nous échangions des idées sans penser à la mode et à l'argent. Hanno Buddenbrook se mourait à des lieues de là, sans que je puisse le rejoindre, le passage entre nos deux villes étant interdit. Je lui consacrai mon temps libre et le savais heureux de savoir son œuvre entre des mains emplies de vénération. Nous buvions des coquetels si bons et chaleureux que j'avais l'impression de flotter au dessus de la vie et supportais ainsi la triste fadeur de mes confrères universitaires et de mes étudiants. C'était ma vie d'alors, à cette époque étrange où personne n'aurait su dire qui dirigeait le pays et quelles en étaient les bornes. Comme il faisait bon ignorer la marche du monde ! Je n'avais que l'alcool noyé de fruits, la poésie et les longues marches à l'autre bout de Saint Jean en Ville, dont l'avenue bordée d'arcades rappelait le temps de l'Amérique du Sud coloniale. C'est dans cet esprit que j'ai traduit ces prières pour la ville atlante, prières païennes, certes, mais d'un paganisme post-chrétien. Je ne veux retoucher ces traductions ; un autre que moi, peut-être, dans l'incertitude d'un présent à venir, cherchera à mieux rendre dans notre langue, cette langue Buddenbrookienne qui demeure, depuis sa mort, l'unique présence de son auteur parmi nous. Une présence surannée, certes, mais vivante, et qui ressuscite, au détour d'une phrase, un monde que nous détestions autant que nous le regrettons aujourd'hui.

Édith de Cornulier-Lucinière, demi-Fructôse de l'an 2044, après la moisson

Carvos Loup

Phot. Carvos Loup

Prières pour la ville atlante

Par Hanno Buddenbrook


 

 

I Apache

 

Apache ! Tu danses au-dessus des villes. Comme Christ, tu marches sur les eaux vives et tu meurs loin des eaux dormantes. Des chiens sont tes amis, des amis te servent la soupe du soir. Personne ne t'aime assez pour cesser de te craindre. Chacun t'admire trop pour souhaiter ta mort. Tu domines sans pouvoir, ta puissance lumineuse ne touche jamais aux vies des autres. Tu es Mystique.

 

II Poussière

 

L'électrorayon du soleil orange et rouge t'attrape et t'emprisonne. La ville a froid dans cet après-midi de fin du monde. Aucun poète n'a le droit de vivre aux yeux des cités paresseuses, qui construisent, édifient, érigent, pour fuir le temps du rêve. Nos sciences fracassées par les somnifères n'éclosent plus à Insomniapolis. Nos églises sont vides de Dieu. Les rues pressées voient passer les errants, les clochards, les bêtes abandonnées, les enfants livrés à leurs jeux de bagarre. Il n'y a plus que quelques solitudes pour aller chercher la réponse au bord du fleuve. Le fleuve, qui charrie vos idées et vos déchets, n'a pas oublié les poissons de l'autre monde, les êtres des autres villes, celles que l'océan a recouvert il y a des milliers d'années.

 

III Ferraille

 

Fer et sang, feu, métal, acier, plastic aussi, qui demeurent vaillants sans rouiller au-dessus des ponts. Carcasses de voitures et de machines dont on ne sait plus l'utilité, squelettes d'immeubles et béton fondu des routes, les rats vous ont élu pour cathédrales de leurs messes sans Nom. Ils vivent de vos émanations et se repaissent en vos formes avachies. Vos lumières les bercent, vos ombres les rafraîchissent et le son que leurs pattes émettent en vous parcourant sont la musique de leurs hymnes. Où sont les êtres humains ? Partis : ils construisent ailleurs la future ville des rats.

 

IV Désert

 

Où les arbres ne poussent plus, cela s'appelle le désert, disaient les livres de géographie. Et les enfants sages marchaient dans les grands magasins peuplés de grandes personnes, persuadés qu'ils parcouraient le Sahara.

 

V Magie

 

La musique renaît. Pierres se rencontrant dans l'espace, souffle des animaux préhistoriques, amoureux au fond des lits, enfances courant dans les rues, notes de trompettes et de métalophones tombant comme la pluie sur les vitres et les dalles : la magie éclot dans la musique. C'est le début du monde. Le monde est mort. Les enfants sont venus.

 

Hanno Buddenbrook,

Editions du Soleil, 2025

vendredi, 08 octobre 2010

Les oiseaux de passage

Nuages sur la mer.jpg

Sables d'Olonne, par Sara

Un poème de Jean Richepin, sur la domesticité et la liberté.
On peut l'écouter chanté par Georges Brassens. 
On peut aussi lire
Le chien et le loup, de Jean de La Fontaine, qui évoque le même thème. 

Les oiseaux de passage

C'est une cour carrée et qui n'a rien d'étrange :
Sur les flancs, l'écurie et l'étable au toit bas ;
Ici près, la maison ; là-bas, au fond, la grange
Sous son chapeau de chaume et sa jupe en plâtras.

Le bac, où les chevaux au retour viendront boire,
Dans sa berge de bois est immobile et dort.
Tout plaqué de soleil, le purin à l'eau noire
Luit le long du fumier gras et pailleté d'or.

Loin de l'endroit humide où gît la couche grasse,
Au milieu de la cour, où le crottin plus sec
Riche de grains d'avoine en poussière s'entasse,
La poule l'éparpille à coups d'ongle et de bec.

Plus haut, entre les deux brancards d'une charrette,
Un gros coq satisfait, gavé d'aise, assoupi,
Hérissé, l'œil mi-clos recouvert par la crête,
Ainsi qu'une couveuse en boule est accroupi.

Des canards hébétés voguent, l'oeil en extase.
On dirait des rêveurs, quand, soudain s'arrêtant,
Pour chercher leur pâture au plus vert de la vase
Ils crèvent d'un plongeon les moires de l'étang.

Sur le faîte du toit, dont les grises ardoises
Montrent dans le soleil leurs écailles d'argent,
Des pigeons violets aux reflets de turquoises
De roucoulements sourds gonflent leur col changeant.

Leur ventre bien lustré, dont la plume est plus sombre,
Fait tantôt de l'ébène et tantôt de l'émail,
Et leurs pattes, qui sont rouges parmi cette ombre,
Semblent sur du velours des branches de corail.

Au bout du clos, bien loin, on voit paître les oies,
Et vaguer les dindons noirs comme des huissiers.
Oh ! qui pourra chanter vos bonheurs et vos joies,
Rentiers, faiseurs de lards, philistins, épiciers ?

Oh ! vie heureuse des bourgeois ! Qu'avril bourgeonne
Ou que décembre gèle, ils sont fiers et contents.
Ce pigeon est aimé trois jours par sa pigeonne ;
Ca lui suffit, il sait que l'amour n'a qu'un temps.

Ce dindon a toujours béni sa destinée.
Et quand vient le moment de mourir il faut voir
Cette jeune oie en pleurs : " C'est là que je suis née ;
Je meurs près de ma mère et j'ai fait mon devoir. "

Elle a fait son devoir ! C'est à dire que oncque 
Elle n'eut de souhait impossible, elle n'eut
Aucun rêve de lune, aucun désir de jonque
L'emportant sans rameurs sur un fleuve inconnu.

Elle ne sentit pas lui courir sous la plume
De ces grands souffles fous qu'on a dans le sommeil,
pour aller voir la nuit comment le ciel s'allume
Et mourir au matin sur le coeur du soleil.

Et tous sont ainsi faits ! Vivre la même vie
Toujours pour ces gens-là cela n'est point hideux
Ce canard n'a qu'un bec, et n'eut jamais envie
Ou de n'en plus avoir ou bien d'en avoir deux.

Aussi, comme leur vie est douce, bonne et grasse !
Qu'ils sont patriarcaux, béats, vermillonnés,
Cinq pour cent ! Quel bonheur de dormir dans sa crasse,
De ne pas voir plus loin que le bout de son nez !

N'avoir aucun besoin de baiser sur les lèvres,
Et, loin des songes vains, loin des soucis cuisants,
Posséder pour tout cœur un viscère sans fièvres,
Un coucou régulier et garanti dix ans !

Oh ! les gens bienheureux !... Tout à coup, dans l'espace,
Si haut qu'il semble aller lentement, un grand vol
En forme de triangle arrive, plane et passe.
Où vont-ils ? Qui sont-ils ? Comme ils sont loin du sol !

Les pigeons, le bec droit, poussent un cri de flûte
Qui brise les soupirs de leur col redressé,
Et sautent dans le vide avec une culbute.
Les dindons d'une voix tremblotante ont gloussé.

Les poules picorant ont relevé la tête.
Le coq, droit sur l'ergot, les deux ailes pendant,
Clignant de l'œil en l'air et secouant la crête,
Vers les hauts pèlerins pousse un appel strident.

Qu'est-ce que vous avez, bourgeois ? soyez donc calmes.
Pourquoi les appeler, sot ? Ils n'entendront pas.
Et d'ailleurs, eux qui vont vers le pays des palmes,
Crois-tu que ton fumier ait pour eux des appas ?

Regardez-les passer ! Eux, ce sont les sauvages.
Ils vont où leur désir le veut, par-dessus monts,
Et bois, et mers, et vents, et loin des esclavages.
L'air qu'ils boivent feraient éclater vos poumons.

Regardez-les ! Avant d'atteindre sa chimère,
Plus d'un, l'aile rompue et du sang plein les yeux,
Mourra. Ces pauvres gens ont aussi femme et mère,
Et savent les aimer aussi bien que vous, mieux.

Pour choyer cette femme et nourrir cette mère,
Ils pouvaient devenir volaille comme vous.
Mais ils sont avant tout les fils de la chimère,
Des assoiffés d'azur, des poètes, des fous.

Ils sont maigres, meurtris, las, harassés. Qu'importe !
Là-haut chante pour eux un mystère profond.
A l'haleine du vent inconnu qui les porte
Ils ont ouvert sans peur leurs deux ailes. Ils vont.

La bise contre leur poitrail siffle avec rage.
L'averse les inonde et pèse sur leur dos.
Eux, dévorent l'abîme et chevauchent l'orage.
Ils vont, loin de la terre, au dessus des badauds.

Ils vont, par l'étendue ample, rois de l'espace.
Là-bas, ils trouveront de l'amour, du nouveau.
Là-bas, un bon soleil chauffera leur carcasse
Et fera se gonfler leur cœur et leur cerveau.

Là-bas, c'est le pays de l'étrange et du rêve,
C'est l'horizon perdu par delà les sommets,
C'est le bleu paradis, c'est la lointaine grève
Où votre espoir banal n'abordera jamais.

Regardez-les, vieux coq, jeune oie édifiante !
Rien de vous ne pourra monter aussi haut qu'eux.
Et le peu qui viendra d'eux à vous, c'est leur fiente.
Les bourgeois sont troublés de voir passer les gueux.

 

Jean Richepin

samedi, 17 juillet 2010

L'album poétique

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AlmaSoror a créé un album qui contient les poésies d'Edith de CL et quelques unes de Kathrina F-B et Edith Morning.

Ces poésies sont illustrées par des photographies, qui, parfois, disent autre chose que les mots. Peu importe. Les rêves ne se télescopent jamais. Avant d'aller lire l'album en cliquant ICI (ensuite, il faudra cliquer sur les photos pour que s'affichent les poésies), vous pouvez méditer ces paroles d'Armel Guerne, poète du XXème siècle :

"Depuis le petit cœur impatient de mon enfance jusqu'à ce vieux cœur meurtri, pantelant, essoufflé, mais toujours plus avide de lumière, je n'ai pas eu d'autre ambition que celle d'être accueilli et reçu comme un poète, de pouvoir me compter un jour au nombre saint de ces divins voyous de l'amour. Je n'ai jamais voulu rien d'autre, et je crois bien n'avoir perdu pas un unique instant d'entre tous ceux qu'il m'a été donné de vivre, en détournant les yeux de ce seul objectif jamais atteint, sans doute, mais visé toujours mieux et avec une passion de jour en jour plus sûre d'elle."

Armel Guerne


L'album poétique

lundi, 01 février 2010

Le train rouge

 

 

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Le train rouge a filé sur les brumes du ciel

et l'enfant qui savait a sucé le bonbon

j'oublie tout des années de silence cruel

je maudis la raison. 


les voix coulent ce soir et les coeurs téléphonent

dans l'immense brouillard du restaurant d’hôtel

il a plu sur la ville et les motards frissonnent

en attendant le temps des duels



et nos mains ont voulu recommencer l'amour

mais les yeux trahissaient les rancoeurs du passé

et l’enfant qui savait l’indigence du jour

souriait à la nuit à quelques pas du pré


La nuit n’a jamais sauvé personne

au bout de sa route nous sommes tous demi-loups

Dans le creux de tes bras mon coeur frissonne

et mon âme est partie avec les douze coups

Mon coeur tatonne, mes doigts cherchent l’aurore

Mais l’esprit souffle où il peut.

Et dans le grand désert poussiéreux de mon corps

il n’y a plus de feu.

 

 

 

Édith de CL

lundi, 11 janvier 2010

Fragment de Moréas et commentaire d'Esther Mar

 

Fragment de Moréas (commenté par Esther Mar)

 

Luxembourg bancs.jpgLuxembourg par Sara

 

 

Quand je viendrai m’asseoir dans le vent, dans la nuit,
Au bout du rocher solitaire,
Que je n’entendrai plus, en t’écoutant, le bruit
Que fait mon cœur sur cette terre,
Ne te contente pas, Océan, de jeter
Sur mon visage un peu d’écume :
D’un coup de lame alors il te faut m’emporter
Pour dormir dans ton amertume.


(Moréas, el Greco de la poésie française)


Commentaire d’Esther Mar



Ton visage accusait trop d’ans. L’océan s’étendait sous la nappe nocturne. Tu voulais dormir dans son amertume : tu savais que ce grand flot mouvant nous emporte dans son lit indéfinissable et que le sommeil éternel a le goûts des lendemains de fêtes ratées. Tu t’en es allé comme tu avais dit et je lis tes vers au bord de la Marne. Je songe aussi à partir. D’un coup de lame alors il faudra m’emporter, au-delà de la solitude.

 

jeudi, 24 décembre 2009

La chanson des morts

 

La chanson des morts, d'Ouraphle (pseudonyme de Jules Laforgue)

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Le Louvre, par Sara

 

 

Une nuit que le vent pleurait dans les bruyères,

À l'heure où le loup maigre hurle au fond des forêts,

Où la chouette s'en va miaulant dans les gouttières,

Où le crapaud visqueux râle au fond des marais,

Disputant ma pelisse à la bise glaciale,

Par les sentiers perdus je m'en allais rêvant,

Fouetté par l'âpre neige et l'ardente rafale

Le saule échevelé se tordait en pleurant,

L'ombre sur le chemin finissait de s'étendre.

Un chien poussait au loin de plaintifs hurlements,

Derrière moi sans cesse il me semblait entendre

Un pas qui me suivait et des ricanements!...

Tandis que je suivais ces routes isolées,

La chevelure au vent et frissonnant d’effroi,

S'éparpillant au loin en lugubres volées

Minuit sonna bientôt au clocher du beffroi.

Je m'assis sur un tertre où jaunissait le lierre,

Devant moi s'étendait l'immense cimetière...

............................................................................

... Quand je vis tout à coup, légion vagabonde,

Se prendre par la main des squelettes glacés

On commence, et tandis que tournoyait leur ronde

Ils glapissent en chœur l'hymne des trépassés :

I

Tandis qu'à ton front passe
Un nuage orageux,
Lune, voile ta face
Et détourne tes yeux.
Nous allons en cadence
Et que chacun s'élance
Donnons à cette danse
Nos bonds les plus joyeux,

Ils hurlent en sifflant et l'ardente rafale

Emporte les éclats de leur voix sépulcrale.

II

Pauvre sagesse humaine

Dont le monde est si fier,

Tu te disais certaine

D'un ciel et d'un enfer.

Enfer et ciel, chimére!

On vit au cimetière

Sans Dieu ni Lucifer!

Ils hurlent en sifflant et l'ardente rafale

Emporte les éclats de leur voix sépulcrale,

III

Oui, c'est au cimetière

Qu'on vit après la mort;

Sur l’oreiller de pierre

Le trépassé s'endort.

Mais quand l’ombre s'étale

Il soulève sa dalle

Et de sa tombe il sort.

Ils hurlent en sifflant et l’ardente rafale

Emporte les éclats de leur voix sépulcrale.

IV

Nous narguons de la lune

Les regards pudibonds,

Nous dansons à La brune

Ainsi que Les démons,

Puis La danse passée,

Sur La pierre glacée,

Prés de notre fiancée,

Mieux que vous nous aimons.

Ils hurlent en sifflant et l’ardente rafale

Emporte les éclats de leur voix sépulcrale.

V

Puisqu'ils oublient si vite

Leurs plus proches parents,

Que leur regret habite

En eux si peu de temps,

Crachons-Ieur ce blasphème :

À Leur ciel anathème!

Anathème à Dieu même!

Anathème aux vivants!

Ils hurlent en sifflant et l’ardente rafale

Emporte les éclats de leur voix sépulcrale.

Et moi pétrifié de ces clameurs funèbres,
De mon gosier en feu sort un cri de terreur;
Et je Les vis soudain dans l’ombre et Les ténèbres
Qui fuyaient en tumulte harcelés par la peur,
Puis tout se tut bientôt. De nouveau le silence
Commençait à régner quand j'ouïs tout à coup
L'un d'entre eux fureter comme un spectre en démence
Et hurler en pleurant : « On m'a volé mon trou ! »

Ouraphle (Jules Laforgue)

février 1878

 

mardi, 03 novembre 2009

Occident

 

 

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Toile sombre, de Sara, d'après la chanson Can't get enough de Barry White

 

 

Tu viens d’un continent où les gens s’assoient la nuit aux rives des fleuves, et prient et attendent que les ponts s’édifient. Ils prient et attendent. 
 

Je viens d’un continent où chaque homme est armé d’un outil et d’un livre et construit, seconde après seconde, brique après brique. Ils sont debout et ils construisent. 
 

Et nous nous sommes rencontrés sur l’autoroute du soleil, à l’endroit où l’eau vive abrite des diamants. Tu disais des prières et je creusais. Tu disais des prières et je sondais. 
 

Et nous marchons ensemble sur les routes du ciel, et nous parlons nos langues l’un après l’autre. Nos regards se cherchent, nos mains se trouvent. Nos mains se trouvent, nos cœurs se perdent. 
 

Je viens d’un continent où les gens s’assoient la nuit aux rives des fleuves, et prient et attendent que les ponts s’édifient. Tu viens d’un continent où chaque homme est armé d’un outil et d’un livre et construit, seconde après seconde, brique après brique.

édith de CL