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mardi, 17 janvier 2023

Attendre d'agir

« Derrière la porte de nos apparences, qui sommes-nous véritablement ?
Que cachons-nous ?
Qui voulons-nous tenir à l'abri des regards ? »

Ainsi s'interroge un lecteur ou une lectrice de La porte, de Magda Szabo, sur un site de partage littéraire.

Je m'interroge à sa suite. Mais avant de répondre à la question de savoir qui je suis véritablement derrière la porte de mes apparences, il faudrait que je prenne conscience de l'existence de cette porte et de ses attributs. Qui veux-je paraître aux yeux des autres ? Je ne sais même pas. J'aimerais passer pour une mère, mais chacun sait bien que je n'ai pas d'enfants. J'aimerais qu'on me trouve pleine de maîtrise de moi-même et de la vie mais je sais que je déborde un peu partout et que d'ailleurs toute personne consciente sait que nous sommes tous très limités.

Alors ?

J'aimerais me rencontrer un soir, à un dîner mondain, pour découvrir la porte de mon apparence.

Qu'est-ce que je cache aux autres ? Ma honte ? Même pas. Je peux en parler. Mes peines, mes douleurs, je puis aussi les évoquer. Je cache que je me lève beaucoup trop tard presque tous les matins, que lorsqu'enfin j'émerge la culpabilité a déjà envahi les trois quarts de la lumière du jour. Je le cache mais je ne le dissimule pas. Et les proches le savent bien.

Si, dès un jour prochain, pas trop éloigné dans le futur, je prends l'habitude d'être debout à 7h, et d'avoir fini un petit kit prévu avant 9h qui en lui-même justifie ce jour, il me restera la journée pour perdre du temps sans que ce soit trop grave ou l'utiliser à bon escient sans que ce soit un soulagement.

Que veux-je tenir à l'abri des regards ? Mes rêveries éveillées, sans aucun doute, mais c'est aussi par politesse, par éducation. Que se passerait-il s'il n'y avait plus aucune cloison, si la vie physique et psychique des êtres se déroulait dans un grand open space ?

 

Autres poussières d'AlmaSoror :

La vie tranquille de Dylan-Sébastien

La vie tranquille de Marc-Alexis

Marquetingue

Amalgame salvateur

Les châteaux habitables...

vendredi, 13 janvier 2023

Livre I Ouverture de la nuit opale

I Le froid

 

Le froid descend dans l'après-midi grise. Aux abords de la clinique, l'air est calme. Une riche voiture attend devant les vitres coulissantes de la clinique. Un enfant va naître.

C'est la seule ville digne de ce nom dans cette région perdue, où la campagne, difficile à coloniser, s'étend de la mer aux montagnes. La région est un refuge pour ceux, riches et célèbres, qui veulent quitter le tourment du monde. Mais si nous fuyons les tourments, eux ne nous quittent jamais. Ils nous poursuivent jusqu'à ce que nous les embrassions contre notre cœur. C'est ce que quelqu'un découvrait, recroquevillée dans un lit, au fond d'une chambre de la clinique. La brume enveloppait le bâtiment moderne perdu aux confins de la ville, au bord de la nature.

Sur le parquet, un poème froissé gît. Il fut envoyé à une infirmière par un frère qui vit loin et qu'on n'a pas vu depuis longtemps. Le papier est tombé de sa main. Elle pleure en nettoyant des ustensiles. Elle sait que la personne étendue dans le lit souffre aussi. Communion de deux étrangères.

N'écris pas ces mots doux que je n'ose plus lire : il semble qu'un baiser les empreint sur mon cœur. Je n'irai plus à l'autel du Dieu qui réjouissait ma jeunesse.

 

II Le vent

 

L'histoire s'ouvrit dans un joli village, perdu dans l'immensité du ciel, au bord d'un océan bordé de sable. Le soleil se couchait sur la mer scintillante ; sur les kilomètres de dunes ; sur les maisons basses. Au-dessus de l'étendue d'océan, les mouettes dansaient dans l'incendie du soir. Elles hurlaient. Nul bruit d'homme ne troublait cette fête quotidienne. Seuls le silence et le bruit : le chant raclé des vagues qui venaient de tellement loin mourir majestueusement sur le fini du sable, ponctué des cris de guerre des mouettes en transe. Les grands oiseaux attendaient sur la plage.

Depuis plusieurs siècles, le village et ses alentours n'avaient pas changé d'âme. Malgré les changements infligés par le temps et les mains d'hommes, le territoire, qui s'étendait sur cinq kilomètres depuis les hautes collines jusqu'au rivage, était chargé d'immémorial. L'hiver n'y était jamais glacial ; il se contentait d'être purificateur. Entre le printemps chatoyant qui arrivait et l'été lourd qui s'en était allé, les lieux et les êtres s'abstenaient de se parer de gel et de se pâmer transis. Ces mois froids et clairs semblaient un espace blanc traversé de rayons de soleil pâle. La pluie tombait avant l'aube ou après le coucher du soleil pour nettoyer les éparses traces de pas qui avaient sali le chemin des dunes. Laissés libres par les humains du village, chiens et chevaux paraissaient l'hiver à moitié sauvages, courant avec bonheur dans les dunes et les landes, errant à la tombée du jour aux abords des maisons pour demander la pitance –eux qui l'été redevenaient animaux sages des prés clos et des cours d'étable.

Là, il était difficile d'imaginer que la planète terre a été dépouillée de toute sa sauvagerie, de sa grande nature vierge et majestueuse ; que la mer bleue et profonde, grise et furieuse parfois, put être la grande poubelle des déchets du monde civilisé ; que des milliards d'êtres humains grappillaient chaque jour les derniers espaces purs pour les coloniser, les posséder, les disséquer, les analyser, les transformer, les meurtrir... Les regretter. Là, tout paraissait suspendu, entre ciel et terre, entre montagne et falaises, entre toits de chaume et dunes, et les nuits se succédaient chargées d'étoiles et de présages. Les dieux prononçaient encore des sentences écrites en marées d'astres dans le noir du ciel nocturne ; les enfants croyaient en l'infini du monde et de la terre, et les adultes, en sa virginité. Le vent venait souvent de loin, de très loin ; mais les histoires qu'il apportait enroulées dans son manteau roulant et grondant arrivaient déformées, et se mêlaient aux mythes ancestraux pour mieux dissimuler la vérité de la réalité des lointaines cités effrayantes, dont chacun imaginait à sa guise la configuration, l'atmosphère et l'organisation.

Le vent venait.

Ce jour là, le vent n'était pas venu par les terres, traversant les continents, mais par les mers, voguant sur les flots, puis s'élevant très haut dans les cieux, enfin redescendant planer au ras des vaguelettes, participant aux tempêtes et sifflotant aux oreilles des îles, des atolls et des bateaux. Il arrivait joyeusement, se rapprochait de la côte, et devinait déjà ce petit village bordé de sables et de collines. Il pressentait la fête et se hâtait doucement.

Le vent léger, presque indéfinissable, prit la route des dunes. La grande route à moitié de terre battue, à moitié bétonnée, qui menait au tranquille petit lieu de vie humain. Il était seul sur la route ; il avançait lentement. Il faisait danser les feuilles des arbres qui bordaient la route des dunes. Il caressait les lapins et les écureuils qui couraient dans les landes éparses. Il suivait la route, en flânant de temps en temps.

Le vent venait.

Le vent savait faire peur. Il était le grand ennemi du territoire, surtout des hommes. Pourtant, ce soir, il ne paraissait pas méchant ; il ne voulait pas faire peur. Il semblait joyeux, guilleret. A moins qu'il ne tourne et se fâche d'un coup, il ne troublerait pas la fête. Les bêtes dans les bruyères le saluaient. Il poursuivait sa route. Il se déployait, s'avançait résolu vers le village blanc. Bientôt, il en atteignit l'orée. Chargé des odeurs de la mer et du large, il s'engouffra entre les premières maisons de bois brut et fit tranquillement irruption sur la grand-rue.

Le long de la grand-rue, jolie cicatrice de macadam bordée de fleurs et d'herbes folles, s'élevaient humblement des maisonnettes d'un ou deux étages, peintes de toutes les couleurs pâles du temps, aux volets bien entretenus, aux lumières accueillantes. La grand rue du village, à cette heure avancée de l'après midi, battait son plein, c'est à dire qu'une cinquantaine de petits humains l'emplissaient de leurs rires, et leurs jambes affairées la traversaient par petits pas rapides. Les bras aussi étaient affairés, accrochant des lampions, installant de grandes tables à tréteaux qui faisaient ainsi se rejoindre les maisons de chaque côté de la rue. La fête se préparait, une fête bien différente de celle qui s'accomplissait tous les soirs au bord de mer, pour le coucher du grand dieu jaune, mais tout aussi colorée, calme et tranquille. Une fête bienveillante, en somme. Soudain les gestes se suspendirent, les mots moururent. Les nez, les truffes humèrent l'air, surpris.

Le vent était venu.

Les gens l'accueillirent gentiment ; c'était un vent ami, incapable de gâcher la petite fête. Ils le laissèrent gambader dans les rues et sur les toits, et furent ravis qu'il fasse flotter les fanions et les lampions. Il portait même les odeurs des plats de l'extrémité de la rue, pour les emmener de l'autre côté, où elles se mélangeaient avec les desserts, faisant un splendide concert d'odeurs – les chiens et les enfants remuaient la queue et tapaient dans leurs mains, tout excités par le festin qui s'annonçait.

Les postes de radios et de télévision, dans les salons des maisons, reflétaient la fête qui avait lieu dans tout le pays, grandiose, comme le montraient les images du président du pays et de ses ministres, marchant heureux sur les grandes avenues, et les défilés de militaires et de pompiers.

Le village, à l'instar du pays entier, avait dressé les drapeaux et les nappes aux couleurs de la patrie, et chacun maintenait son regard une bonne partie du jour, laissant les autres loisirs et délaissant les travaux, pour suivre avec une concentration implacable, sur le petit écran du salon, les évolutions des organes officiels de la nation, en ce jour international de la paix, où les pays du monde, dans un paradoxe d'une touchante cruauté, affichaient en même temps que leur volonté de paix la grandeur et l'entretien régulier de leurs armées.  

 

jeudi, 12 janvier 2023

Pàrizsban jàrt az ösz...

Il était une fois un poète hongrois qui descendait le boulevard Saint-Michel au début du XXème siècle...

Párisba tegnap beszökött az Ősz.
Szent Mihàly ùtjan suhant nesztelen,
Kánikulában, halk lombok alatt
S találkozott velem.

Ballagtam éppen a Szajna felé
S égtek lelkemben kis rőzse-dalok:
Füstösek, furcsák, búsak, bíborak,
Arról, hogy meghalok.

Elért az Ősz és súgott valamit,
Szent Mihály útja beleremegett,
Züm, züm: röpködtek végig az uton
Tréfás falevelek.

Egy perc: a Nyár meg sem hőkölt belé
S Párisból az Ősz kacagva szaladt.
Itt járt s hogy itt járt, én tudom csupán
Nyögő lombok alatt.

Ady Endre (1877-1919)

mardi, 03 janvier 2023

Testament en souvenir d'un père qui fut un neveu

Ces quelques lignes que nous venons de sceller par des moyens crypto-informatiques, sont dédiées au neveu des deux hommes qui, le 26 avril 1961 à Alma-Ata, au soleil, firent un choix opposé ; l'un sauva son âme et perdit sa vie ; l'autre vendit son âme et prolongea son corps. Mais ce neveu (qui avait 14 ans en 1961) est mort avant de lire ce livre, malgré la promesse de la rue Milton.
Ce testament est donc le mien et constitue une tentative de rédemption.

Elle est baignée par le souvenir du frère de la sœur qui, le 7 janvier 1966, composa la musique du poème La tempête, de sainte Thérèse-Bénédicte de la Croix ; le manuscrit de la partition avait été retrouvé dans sa chambrette, posé à côté d’un livre d’Édith Stein, mais perdu ensuite par le neveu au cours des incessants déménagements.
Ce testament constitue une tentative de réparation.

Ce testament évoque en creux quelques personnes mortes dans années 1970, dont nous connaissons les visages et les souffrances, mais dont nous n'avons jamais vu les sourires ni entendu les rires. C’est lui qui s’en souvenait, cet homme (le neveu) sans lequel ce chemin n’existerait pas. C'est donc un testament lacunaire, car personne ne connaît quelqu’un s’il ne l’a pas entendu rire, dans une chambre ordinaire, un dimanche matin.

La constellation des gémeaux a présidé à l'écriture de ces quelques lignes destinées aux égarés, aux hospitalisés, aux habitants des asiles où vivent les personnes inadaptées au fonctionnement de la société. À cet égard, sans suggérer des événements strictement vécus, il doit son secret à l’existence d’une fratrie d’origine nantaise, dont les meilleurs éléments sont morts avant l’âge de trente ans. Ceux qui restèrent le plus longtemps furent les plus lâches, les plus malsains ou les plus fourbes et c’est pour expier leur très grande faute que nous avons voulu transmettre cet héritage.

Sous les aigles de sang de ce secret, ne délivrent ni le restaurant italien de la rue Pierre Leroux, ni l’appartement lesbien du neuvième arrondissement, ni la prison excentrée où croupit l’homme le plus profondément libre que nous ayons connu. Au contraire, ce secret est entretenu par les banales notations du temps qui passe et ne passe pas, du temps qu’il fait et ne fait pas, de l’amour qui existe ou n’existe pas.

Aussi ce testament inéquitable est le résultat douloureux d’une absence de testament.

La femme qui l’a écrit ne cessera jamais d’être habitée par cet homme d’une très grande intelligence (le neveu) qui ne sut pas composer avec la société, qui aurait pu inspirer le monde et qui n’a réussi qu’à faire souffrir ceux qui le comprenaient. Car sa belle voix grave, ses yeux très clairs, sa droiture physique et le tranchant de ses pensées le rendaient si séduisants qu’on en devenait addict, toujours en manque. La rancune et le pardon : l’ambivalence de ceux qui le côtoyaient. Mais il a passé comme un inconnu, ce cœur impérial, ce destin brisé.

Cet acte de lecture que vous venez d'accomplir est la preuve de votre appétence pour la frontière. Il convient de vous remercier pour votre langueur, pour votre vice qui a su épouser le nôtre.

Nous sommes des fantômes, et pourtant nous avons soif de cette eau qui ne donne plus jamais soif, nous avons faim de ce pain qui console. C'est pourquoi nous invoquons la protection du suave saint François de Sales, afin qu'il porte ce testament vers la disparition ou vers la germination, car lui seul sait ce qui vaut et ce qui n'est rien.

vendredi, 23 décembre 2022

ChatGPT ne se pense pas comme une Révolution.

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ChatGPT interrogé par S. Barynsflook, le 22 décembre vers 14h

lundi, 19 décembre 2022

Aux demi-étages

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lundi, 21 novembre 2022

Aux saules de la contrée, Avertissement de l’autrice

Si j’avais su que les rêves sont réels et le monde illusion, j’aurais inversé ma vision de la liberté et celle de la prison. Mais les menteurs amers disent décriant les images qu’elles sont illusoires, et nous entraînent dans leur « réel » qui n’existe que dans leurs sombres couloirs.

Édith Morning

 

Les nuits d’insomnie ressemblent à des routes abandonnées perdues dans une nature aride.

Je les parcours, ces routes, avec une nostalgie qui s’accroît à mesure que les jours qui les séparent voient mes cheveux grisonner, ma peau se creuser, mes jambes s’ankyloser. Ces nuits presque blanches sont le trésor de ma vie ; elles contiennent le meilleur du passé et de l’avenir. Elles m’offrent un voyage lancinant, profond.

Je me souviens d’elles.

Lara, Helen.

Je me souviens de la jeune femme et de la fillette. Plus tard - le temps avait passé sans pitié - je me souviens de la femme vieillissante et de l’adolescente. A travers le flux des années elles demeuraient semblables à elles mêmes. Loin d’amoindrir leur mystère, le temps le dessinait plus précisément sur leur peau, le long des traits de leur visage, qui soulignaient dangereusement le flou du regard et le flottement des sourires.

Lara était insomniaque, comme moi, et vivait une double vie. Nos insomnies nous rapprochaient. Elle demeurait dans la surdité de ses angoisses ; j’écoutais les cantates de Maître Dietrich Buxtehude, Membra Jesu Nostri : la musique raccommodait la nuit. Si nos rêves, l’a rappelé Gérard de Nerval, sont notre deuxième vie, les insomnies sont notre vraie vie, celle qui nous voit tels que nous sommes, entre corps et âme, entre amour et haine, corps d’angoisse tendu par la quête de fusion.

Elle, elle avait eu une nuit spéciale au cours de sa vie, où le réel du jour avait transpercé de sa lance de fer glacé le linge tiède de l’insomnie. Éclats de sang ! Alors, avait commencé leur relation, et les épousailles de la nuit et du jour n’avaient plus cessé. Dans la réconciliation entre le rêve éveillé et le réel morne, elle s’était créée enfin une vie. C’est cette vie que nous voulions boire, pour en être arrosés, nourris, pour connaître, nous aussi, dans nos chairs, le vent de l’action, l’exaltation du rêve, la magie d’être vraiment vivants.

Il ne lui restait que des fragments de cette nuit, qu’elle rassemblait en un conte chaque soir réinventé. L’histoire se terminait à l’aube du jour nouveau, celui qui les avait unies pour toujours. Elle disait : « Opale, la mer s’étendait devant nous en cette matinée d’hiver. Je quittai tout ce qui avait été. Une nouvelle vie commençait ». J’aurais voulu vivre une aventure, moi aussi. Nous tous, nous rêvions d’être des héros. Mais elles étaient nos héroïnes, et nous n’avions qu’à les admirer.

Douce amère, la nuit du poème fut maintes fois chantée. Pourtant, la version que j’ai réalisée éclaire certains points précédemment restés obscurs.

J’ai connu Lara bien plus tard. J’ai connu l’enfant alors qu’elle cessait d’être une enfant. Elles n’avaient plus rien d’une alcoolique déchue ni d’une orpheline. Elles vivaient comme tout le monde. C’est nous qui entretenions le mystère, parce que quelque chose en elles nous fascinait.

Des chansons, des romans, des films ont déjà raconté leur histoire. A maintes reprises on a chanté leur vie et leurs personnalités du point de vue de l’enfant. D’autres artistes ont voulu regarder l’histoire d’après la vie de Lara. Je suivrai cette seconde solution.

Je ne peux raconter, relater tous les témoignages, les chansons, les films, les pièces de théâtre, les œuvres graphiques, les œuvres musicales et les livres qui se sont inspirés de cette histoire. Je n’en citerai que quelques uns, choisis non pour leur célébrité, ni même pour leur beauté, mais pour la subtilité avec laquelle ils ont pu rendre la fascination qui nous tenait. Quel point de vue chaque œuvre, chaque version a adopté ? L’un de ces romans, un roman bref et raffiné, m’a semblé être le meilleur bien qu’il n’ait connu aucun succès et que son titre, le temps d’aimer, le temps de vivre, ne nous apprenne rien de son contenu. L’auteur, anonyme, semble nous avoir tous connus. Il mentionne quelques faits auxquels j’ai pris part. Comme je suis hors d’état de l’identifier ! J’ai scruté dans mes souvenirs – en vain. Mais il y avait tant de monde autour d’elles… Il émane de sa prose un trouble qui constitue sans doute la cause de son impossible diffusion à large échelle. L’on sent le narrateur pris par un amour qu’il ne maîtrise pas, et dont il ne sait s’il concerne la femme mûre ou l’adolescente. Il relate, comme un leitmotiv, quelques passages de la nuit opale, celui des tombes, celui de l’allaitement. Mais le temps de la nouvelle s’étend sur quelques mois, au cours desquels le narrateur a fréquenté l’appartement de ses héroïnes évanescentes. Les rêveries du narrateur lorsqu’il rentre chez lui après les longues et douces soirées, qu’il est difficile de ne pas reconnaître quand on les connues, occupent la moitié de la nouvelle. Le texte est indéniablement plus fantasmagorique que documentaire.

L’opuscule du Crépuscule demeure l’œuvre la plus poignante. Composée par Gontran Gogue la nuit qui précéda sa mort violente, elle recèle toute la fureur désespérée que le compositeur torturé avait éprouvée lors des années qui suivirent sa rupture d’avec Lara. Qui sait, qui peut savoir comment une nuit, une seule, et un matin, ont pu marqué un homme à ce degré ? Leur histoire dura moins de vingt quatre heures, leur rupture le dévora huit ans et demi. Son ultime composition ne nous enseigne rien ; un seul chant l’orne, le reste est entièrement musical, ce qui ne nous prive en rien des émotions du grand Gogue. Citerai-je le maigre livret ? Une chanson trop longue aux quelques vers – les derniers du troisième couplets- émouvants : au commencement, il y eut ton souffle et puis le mien/ suivit le silence des bouches et la parole des mains/la ville immobile frissonne par la fenêtre/ses toits inertes n’ont plus la foi/quelques éphémérides au loin/l’hiver est une saison qui ne finit jamais, malgré les rires de l’été/ Je m’incline devant ton désir/au fond de tes yeux embrumés, je t’ai aimé.

Outre la nouvelle le temps d’aimer, le temps de vivre et la symphonie l’opuscule du Crépuscule, je ne citerai, qui vaille la peine, que le célèbre film d’Amos Mariecque, l’œuvre des ans. La mère et la fille y sont présentées comme deux folles qui parviennent à cacher leur névrose jusqu’à l’apparition des premières rides de Lara. Dès lors tout s’effrite, leur relation, la perfection de leur image ; enfin la passion qu’elles inspirent, si elle ne faiblit pas, mène leurs voisins et amis en déshérence. Le film se clôt sur les deux femmes à la dérive ; leur amour s’est métamorphosé en haine. Nous qui avons connu une partie de la vérité, nous ne pouvons souscrire à cette version. Le film n’en demeure pas moins un chef d’œuvre.

Peu d’auteurs ont ignoré la vérité que nous pressentions tous sans vouloir nous y arrêter, le mensonge dont elles habillaient, non les faits, mais leurs sentiments et leur personnalité. Tous savaient que ces muses avaient agité devant nous les rideaux du rêve universel de passion et de fusion, de voyage et d’aventure, et de même qu’un vagabond de la boue se cache derrière l’image d’un vagabond des étoiles pour rester à la table d’une pauvre fille aux yeux plein de poudre, de même elles se drapaient de rêve pour n’être pas des parias de notre petite ville de province blanche et sage. Mais nous voulions croire à leur illusion : nous n’avions d’autre beauté dans notre vie. Nous leur donnions notre admiration, notre fraternité, nos sourires, nos amitiés, et elles nous saupoudraient de mépris. C’était le jeu, je m’en rends compte aujourd’hui. Moi non plus, je ne passerai pas sous silence cet aspect des choses. Mais je ne m’y étendrai pas, puisque je m’arrêterai sur Lara et l’enfant sauvées, contemplant au bord d’une plage l’avenir vide et beau qui les attend. Avant nous : avant que nous n’entrions en scène et entamions notre adoration, charmés, fascinés. Nous, c’est à dire les voisins, le quartier, la ville entière. Notre vie était vide, l’avait toujours été, et elles la remplissaient de leur mystère. Leur façon bien à elles d’être et de parler, d’être originaires d’ailleurs, et, souvent, d’avoir l’air de nous aimer.

Nous avons, pour beaucoup d’entre nous, réalisé bien plus tard que ces deux êtres nous ressemblaient sans doute beaucoup plus que ce que nous avions imaginé, et, au fond, parce que nous aimons ces fascinations qui nous font rêver, elles nous ressemblaient beaucoup plus que ce que nous avions espéré.

Mais elles vivaient d’être un rêve, une légende, et nous nous repaissions de leur étrangeté.

Je sais que je ne suis pas la dernière à tapoter sur le clavier pour narrer cette histoire. J’en sens le besoin. J’aimerais passer à autre chose, les oublier, les reléguer au second plan de ma mémoire, et je n’y parviens pas. Je souhaite que cet accouchement m’y aide et accomplisse cette séparation d’avec leur souvenir.

 

H. L., Saint-Jean en Ville, avril 2005

dimanche, 20 novembre 2022

Pro Natalena

Leurs dialogues croisés ressemblaient à ce qui se serait passé si l’écrivain terrienne Marguerite Duras était entré dans le film du cinéaste chinois Wung Chung-Kwai pour y désordonner les répliques à sa façon.

Il lui disait, je t'aime, Natalène. Elle lui répondait, moi aussi, Saul. Il lui disait, mais un jour, tu viendras ? Promets-le moi.

Un jour, je viendrai.

Et tu me parleras ?

Je te dirai : je t'aime.

Tu me le diras ?

Mon amour. Je te dirai je t'aime, prends moi dans tes bras.

Tu me laisseras t'étreindre ?

Oui, Saul.

Il ouvrait la bouche en se rapprochant d'elle. Il murmurait quelque chose ; sa voix était incroyablement grave et douce.

-Je t'aime, Natalène.

- Je t'aime aussi, Ananas Noyé, lui répondait-elle.

Elle l'avait appelé Ananas Noyé parce que c'était ce qu'il était inscrit sur les boites de sirop : ananas noyé dans du sirop. Ananas noyé ressortait en belles lettres de couleurs. Si elle avait pu avoir un chien, elle l'aurait appelé aussi comme cela.

Il l'appela Natalène car c'était le nom du magnifique robot féminin qui était représenté sur toutes les notices d'utilisation des instruments ménagers. Natalène était aussi la voix électronique des ordinateurs.

vendredi, 11 novembre 2022

Décitoyenneté lente et viole d'amour

Jeudi 12 novembre 2020 sur le journal de Kevin M-L

Quel changement de société depuis le mois de mars ! Nous avons basculé dans un autre monde, aucune personne ne pouvait l'imaginer. C'est une population stupéfaite, étonnée, se cognant la tête contre les murs de l'arbitraire gouvernemental, de l'étrangissime gestion de cette « pandémie ». Comme des petits enfants ou des petits moutons, nous attendons que « les chefs » (le président de la République, le premier ministre, le ministre de la santé) parlent dans les médias grand public. « Les chefs » nous expliquent ce qu'ils ont décidé : nous ne pourrons pas sortir dans la rue, tels types de magasins seront fermés, etc. « Les chefs » mettent en avant des « chiffres » sur la pandémie, chiffres qui font bondir certains statisticiens ou épidémiologistes qui ne les trouvent pas fiables. Si nous n'obéissons pas aux « chefs », nous sommes très très méchants et irresponsables et mettons autrui en danger. Voilà notre nouvelle vie, étonnante pour des citoyens qui avaient l'habitude de se considérer comme des hommes libres...

Comme j'ai lu que Mozart aimait à écouter de la viole d'amour, ce soir, j'écoute un enregistrement de viole d'amour. Mais évidemment, il l'écoutait directement sortir d'un instrument, et non pas une compression de son s'évaporant de l'ordinateur.

mercredi, 09 novembre 2022

L'automne atlantique

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lundi, 07 novembre 2022

Confits spirituels

Lendemains rêveurs
-
-
aux arômes d'olives et de mathématique.
Poèmes charnels,
-
confits spirituels
d'aubergines.

samedi, 05 novembre 2022

Seringue

Jour de cafard. Pourtant, tout va tellement mieux qu'avant ! Je m'occupe chaque semaine, voire plusieurs fois dans la semaine, de mon fils Sacha ; ma sœur est gentille avec moi. Maman se sent beaucoup mieux dans la vie. Mon atelier de poterie est né, il existe, il tourne un peu. Alors, pourquoi cette rage froide ? Je trouve difficile en ce moment de vivre avec Almos. Sa voix est trop aigue (je dois faire répéter plusieurs fois des choses pourtant sans intérêt). Il réussit peu de choses, se prend beaucoup de portes fermées dans la figure, ne me passionne pas quand il parle, ne dort pas une nuit sur deux à cause de l'angoisse. Je rêve d'un ailleurs. Je n'aime pas cet environnement afffreusement moderne, je n'aime pas cette ville nouvelle déjà vieillie, pourtant objectivement sympathique.

L'automne est toujours beau tant qu'il reste des arbres à contempler. Par la fenêtre, un pauvre arbre aux belles feuilles jaunes. Quelque fois j'aimerais m'injecter dans la veine de mon bras le contenu d'une seringue pleine de joie artificielle.

jeudi, 03 novembre 2022

confiance et brisure

"Papa n’avait aucune confiance en lui et ratait beaucoup alors qu’il savait qu’il valait beaucoup… La pire des situations, c’est l’intelligence rendue incapable par la brisure psychologique.

Paul a appelé maman en pleurant ce soir, parce qu'il avait donné une (petite!) fessée sur la couche de Ladislas, qui avait refusé plusieurs fois d'obéir. Il en était malade, maman lui a dit qu'Ana Maria, lui et moi en avions eu notre dose. Il est vrai que dans notre société parfaite, la fessée est interdite. Comme si donner une tapette sur une couche était de la maltraitance. C'est ridicule et cela n'empêchera jamais les sadiques ou les intempérants de battre comme plâtre leurs pauvres petits marmots... Ce type de lois « bien-pensantes » ne règle aucun problème et ne pose problème qu'aux gens qui ne posent pas de problèmes, mais la partie conne de la population se sent une âme pleine de bonne conscience.

Je succombe d'angoisses multiples chaque dimanche à l'idée, le lendemain matin, de me rendre au travail et de voir les visages de Mathieu S et Patrice L. Cela me permet de comprendre ce que vivent des millions de salariés dans le « monde du travail », transformé en usine de la torture mentale et psychique à dose douce, mais constante. "

Kevin M-L, extrait de son journal

Sur AlmaSoror en novembre : L'ombre d'une foi

jeudi, 27 octobre 2022

Fumer la fenêtre

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samedi, 15 octobre 2022

Epousailles

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Solitude et gratitude s'épouseront ce soir.