Je vous écris encore (vendredi, 29 septembre 2023)
Je vous écris de Champ-Goyon. Je vous écris pour vous dire que je prends goût à la substance du vide ; elle est si douce, elle se mêle au bruit des voitures qui circulent dans la grand rue des ministères. Et si je regarde la plante posée sur mon bureau, une fougère indistincte, je nous sens de plus en plus familières elle et moi. Cette fenêtre entr’ouverte nous permet de respirer, mais les barreaux qui la barrent nous protègent de l’extérieur. Si un feu se déclarait, saurais-je seulement comment quitter les lieux ? Il faudrait certainement que j’explore les étages ou que je saute de la fenêtre du couloir des huissiers. En effet, ma fenêtre comporte des barreaux, la porte du bâtiment ne s’ouvre que par la grâce numérique de mon badge personnel. Celui-ci affiche ma photo, sur laquelle je ne souris pas, mentionne mon nom, mon prénom et la direction à laquelle j’appartiens. Je m’habitue à ne servir à rien, à contempler le néant des instants, à subir quelquefois de gros moments de stress pendant lesquels mes mains doivent cliquer et copier-coller sur plusieurs claviers, les yeux rivés sur plusieurs écrans à la fois. Je respecte les règles de cette politesse qui a lieu ici, grâce au sourire perpétuel des gendarmes et à la méfiance de chacun. Bonjour, bonsoir, merci, pardon, bonjour, bonsoir. Les mois ont passé. Des années vont passer. Je m’enfonce dans le confort ouateux de ce piège qui m’assure la capacité de donner ma raison sociale lorsque je parle aux autres et de remplir mon réfrigérateur.
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