lundi, 28 février 2022
On devrait écrire davantage de livres
"On devrait écrire davantage d’ouvrages sur l’humiliation comme moteur de l’Histoire."
(... à prendre avec les pincettes qu'on doit prendre quand on lit un article partisan qui tente de ne pas avoir l'air partisan).
ADDENDUM fin d'après-midi
Puisque, non sans folie arbitraire, l'Union européenne en désaccord avec ses principes mêmes a arbitrairement ordonné la fermeture des médias russes RT France et Spoutnik dans toute l'Union européenne, je profite de leurs dernières heures en ligne pour recopier cet article dont je mettais le lien, avant qu'il ne disparaisse du web français.
Auteur : Sébastien Boussois est docteur en sciences politiques, chercheur sur le Moyen-Orient et les relations euro-arabes, le terrorisme et la radicalisation. Il est également enseignant en relations internationales.
Titre : Face à l'humiliation historique subie par la Russie, Poutine à déjà gagné la guerre des maux
DATE 20 février 2022
Texte :
Alors que Moscou est confrontée depuis 30 ans au mépris de l'Occident et à un refus pavlovien de dialogue, Vladimir Poutine a décidé de durcir le ton face à l'expansion de l'OTAN aux frontières de la Russie. Dans ce concours mondial à l’humiliation des uns et des autres qu’est la crise en Ukraine, nous sommes pétris de maux de toutes parts depuis que les tensions régionales se sont accrues de façon exponentielle ces dernières semaines. Chaque partie en présence les exprime à sa manière au cœur d’une marmite géopolitique portée à ébullition. Pour les Etats-Unis, le retrait américain traumatique d’Afghanistan et l’humiliation vécue par Joe Biden, ne le pousse pas pour autant à la prudence du côté du front de l’Est. Il a des informations en lesquelles personne ne veut croire : il y aura guerre (volontaire ou par engrenage), et il faut s’y préparer. Et les Etats-Unis ne laisseront pas faire. Car l’idée même que Moscou envahisse un des pays de sa zone d’influence, cet étranger proche, ce pivot de son glacis géostratégique que représente l’Ukraine est inconcevable et inacceptable. Pas tant uniquement par peur de perdre un de ces pays de l’Est, traditionnellement acquis depuis l’effondrement de l’URSS à la cause occidentale et atlantiste, comme le sont désormais notamment la Pologne et les Etats baltes. Mais aussi parce qu’au nom du droit divin dont Washington a hérité à l’issue de la Seconde Guerre mondiale, tel le sparadrap du capitaine Haddock, l’Europe semble toujours incapable de se débarrasser de cette tutelle politique américaine. Ce qui arrange bien la Maison Blanche et lui permet de placer ses pions et de maintenir sa présence psychologique et physique au cœur du Vieux continent.
Pour l’Europe, la crise ukrainienne est la démonstration du fait clair et net qu’elle reste un nain politique sans autonomie sécuritaire, mais qu’en plus elle dépend toujours bien trop, avec 40% de ses importations énergétiques, du gaz de l’ogre russe. Pourtant, Emmanuel Macron comme Olaf Scholz essaient de résoudre la crise sans peser en réalité face au Kremlin, qui s’est clairement exprimé sur le sujet : ils ne sont pas des interlocuteurs privilégiés pour le président russe. Une claque diplomatique malgré l’emballement médiatique qu’avait suscité la visite du président français à Moscou. Du côté ukrainien, on est toujours tiraillé entre l’influence russe et cette velléité d’émancipation vers le monde dit «libre», depuis l’humiliation vécue par Kiev après la perte du Donbass et le rattachement de la Crimée à la Russie en 2014. Le président Zelensky a, puisque son pays est indépendant, le choix de ses alliances y compris d’intégrer l’OTAN. Mais pour les Russes, une promesse est une promesse : les Américains ont toujours garanti à Moscou que Kiev n’y entrerait pas. La réalité est probablement plutôt qu’ils n’en veulent pas, plus qu’ils ne le veulent ou peuvent point !
Le dernier acteur majeur de cette histoire connaît l’humiliation depuis trente ans. C’est le lot des perdants de la grande Histoire, qui reviennent souvent par la petite porte pour se venger violemment comme la tristement démontré l’Allemagne en 1939, ou comme la Hongrie d’Orban, obsédée par l’humiliation vécue lors du traité du Trianon en 1920 qui l’avait dépossédée des trois quarts de son territoire initial. On devrait écrire davantage d’ouvrages sur l’humiliation comme moteur de l’Histoire. Vladimir Poutine a donc régurgité ce sentiment dévorant après la chute du Mur et la fin de la guerre froide pendant près de trente ans, et a savamment mis en place depuis plusieurs années, un habile plan de bataille idéologique, politique et diplomatique pour revenir sur le devant de la scène régionale et mondiale. Il y en avait des raisons et la politique a ses raisons que la raison souvent ignore. L’Occident a nourri de mépris la Russie depuis 1991. L’avancée de l’OTAN en Europe, malgré les promesses de s’arrêter bien avant d’approcher les frontières russes, n’avait pourtant pas effarouché Boris Eltsine qui avait même proposé à l’époque l’intégration de la CEI (Communauté des Etats indépendants) à l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord. Par la suite, Vladimir Poutine, lui-même, collaborera au tout début avec l’OTAN, en laissant notamment à Washington la possibilité de jouir de ses bases militaires au Kirghizistan après les attentats du 11 septembre 2001. Poutine par la suite offrira même à l’Union européenne une zone de libre échange commune avec l’Union douanière de l’Union eurasiatique.
Puis ce fut la fin des concessions. Face à ce front du refus pavlovien des Occidentaux de discuter avec Moscou, le président russe finit par tourner casaque. A force de voir son pays traité comme un pays du tiers-monde, Poutine finira par dire niet dans un discours resté célèbre lors de la conférence de sécurité de Munich du 10 février 2007. Il y a en effet quinze ans déjà, ce dernier avait développé sa vision du monde et dénonçait déjà dans les mots l’unilatéralisme américain. En ces termes, il expliquait selon lui les limites et les dangers à venir d’un tel monde sans qu’à l’époque on ne prenne cela vraiment en considération comme toujours lorsqu’il s’agit de la voix russe : «J’estime que dans le monde contemporain, le modèle unipolaire est non seulement inadmissible mais également impossible.» Puis de poursuivre à l’époque et nous ramenant désormais à l’actualité maintenant qu’il allie la parole aux actes : «Il me semble évident que l’élargissement de l’OTAN n’a rien à voir avec la modernisation de l’alliance ni avec la sécurité en Europe. Au contraire, c’est une provocation qui sape la confiance mutuelle et nous pouvons légitimement nous demander contre qui cet élargissement est dirigé.»
Et c’est depuis lors que la Russie a fini par se convaincre que l’agenda américain aurait toujours un agenda agressif sur la planète (et à son égard), et que l’Union européenne se maintiendrait dans un statut de vassalité absolue à l’égard de Washington. Vassalité reconfirmée aujourd’hui avec, dans le cadre de la crise ukrainienne, la vente massive de gaz de schiste américain hyper-polluant à l’UE, au détriment même de son engagement évangélique récent en faveur du climat et de l’environnement. Reconfirmée également maintenant que Poutine s’est mis en posture d’affaiblir l’Europe par le simple fait du prince «Gazpromier» et de jouer enfin totalement le hard power et la carte de la Chine. C’est une stratégie dynamique qui affiche déjà son succès, celui de faire paniquer la Terre entière. Mais là est peut-être la limite de son succès à s’être joué de tous nos maux avec le joker chinois sur ce dossier : la position en effet délicate de la Chine sur l’Ukraine. Pékin a en effet des intérêts énormes à Kiev qui ont sûrement ajouté dans la stratégie de Poutine un point supplémentaire dans la balance pour exclure une invasion pure et simple du pays. Pourquoi ? Car le régime ukrainien, qui reste un grand centre militaro-technologique hérité du temps de l’URSS, exporte énormément d’armes à destination de Pékin. L'Ukraine couvre, en terme de sécurité alimentaire aussi, une large partie de ses besoins en maïs. Même s’il y aura toujours une méfiance réciproque sino-russe (et peut être même un jour conflit), il y a pour le moment une profonde coopération anti-occidentale des deux pays en faveur d’une ère nouvelle. C’est aussi cela l’affaissement de l’Occident dans cette histoire par la révolte, la résistance et la collusion des parias du monde d’aujourd’hui. Et la déclaration conjointe publiée il y a deux semaines par la Russie et la Chine à la suite du sommet entre Xi Jinping et Vladimir Poutine lors de l’ouverture des Jeux olympiques d’hiver est en cela historique. Il est clair que ce texte consacre la rupture culturelle de la Russie avec la philosophie politique traditionnellement européenne et l’adaptation de son idéologie au modèle chinois. Tout cela est de la realpolitik pure et il n’y a plus de place pour les sentiments. Car dans ce dossier ukrainien, comme dans d’autres dossiers à venir, Vladimir Poutine s’est clairement joué de nos maux et perce enfin la baudruche de l’humiliation qu'il traînait comme une croix depuis trente ans.
ADDENDUM 20h50
ça y est. Impossible d'accéder aux sites subitement interdits par l'UE. J'ai donc eu raison de recopier cet article et je regrette tous ceux, intéressants, qu'on ne pourra plus lire. C'est amusant comme l'état de droit et les libertés individuelles et publiques sont foulés au pied par des gens qui s'en réclament en permanence. Le monde du droit semble avoir été relégué dans le passé, pour être remplacé par le moralisme.
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dimanche, 27 février 2022
Souvenir du poème journalier du Grand Confinement
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jeudi, 24 février 2022
Question intéressante
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mercredi, 16 février 2022
Etrange
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lundi, 14 février 2022
La bonne lettre de vœux !
Parce qu'un bonheur qui n'éclate pas comme une bombe à la gueule des autres est inutile, voici le style de lettres qu'on peut recevoir dans le courant du mois de janvier et jusqu'au 10 février.
Chers cousins, chers amis,
Pardonnez-moi d'avoir laissé filer les premiers jours de janvier ! Mieux vaut tard que jamais et je m'en voudrais de ne pas vous envoyer mes vœux pour une excellente année 2022.
Certes, la pandémie n'est pas finie, mais nous voyons le bout ! Chez nous aussi nous voyons le bout... mais d'une autre genre de pandémie, tout aussi bouleversante mais beaucoup plus sympathique : une pandémie de bébés ! Trêve de plaisanterie, les jumeaux nous ont apporté la joie supplémentaire qui nous manquait, la petite touche de désordre et d'inconfort qui nous fait sentir encore plus vivants !
Baudouin et Cyriaque sont d'adorables petits garçons et ils commencent à faire leurs nuits, ce qui soulage beaucoup les parents ! Baudouin montre déjà une personnalité forte et impérieuse tandis que son frère nous marque par son calme et sa douceur. Ces deux la se complètent déjà !
Nous sommes très fiers de Graziella qui sait se transformer en ange de douceur auprès de ses petits frères. Nous avions eu peur de sa jalousie mais nous avons découvert que cette petite fille était aux antipodes de ce sentiment. Au sortir de la crèche déjà elle demande d'aller retrouver "ses" bébés. L'arrivée des garçons l'a fait beaucoup grandir. Toujours aussi dégourdie et facétieuse, elle a acquis un petit plus de responsabilité qui nous marque et nous émeut beaucoup. Elle aime chanter (petit papa Noël !), jouer avec ses cousins rue Jean Bart chez ma mère ou s'immerger dans leur monde campagnard le temps d'un weekend vexinois, jours bénis durant lesquels elle ne quitte pas le chien Biotop. C'est tout de même une citadine et elle est toujours contente de retrouver ses amis près des poneys du Luxembourg ou s'ébattre dans l'eau chlorée de la piscine, même si, dès que le besoin d'air marin se fait sentir, nous l'emmenons vers l'eau salée de l'Atlantique, dans laquelle elle patauge sans peur et sans reproche !
Pour ma part, j'ai bien profité de mon congé maternité (Mémoires de Saint-Simon et Saga d'Harry Potter : enfin terminés !) et je frémis déjà d'excitation a l'idée de retrouver ce travail lié à l'Europe et à l'Afrique qui me passionne toujours autant. Ce sera certes un défi de gérer ma double vie de cadre dans un milieu exigeant et de mère de trois enfants, mais c'est un défi que je suis décidée à relever ! Il faut dire que je suis très aidée par mon cher Antoine, qui, non content de poursuivre sa carrière de développeur informatique dans le domaine des systèmes embarqués (le voilà encore entrain de se faire débaucher, j'en ai peur, par une boite californienne), ne ménage pas son temps pour les enfants. Serais-je tombée sur l'homme parfait ? J'avoue que je ne pensais pas rencontrer un jour un homme aussi à l'aise pour concocter des madeleines maison que pour bricoler avec sa perceuse, le tout avec cet humour qui m'a fait craquer dès le premier jour.
Cela me permet de prendre la poudre d'escampette pour des déjeuners-copines et des soirées-chorale qui me font le plus grand bien !
Avant de vous quitter en attendant je l'espère de vous recevoir dans notre terrier sympathique de la rue Mouffetard - ah, comme j'aurais été heureuse, adolescente, de savoir que je vivrais un jour dans cette rue mi-chic mi-bohème qui me paraissait le nec plus ultra !- ou, pour les plus marins d'entre vous, sur la plage de notre cher Pouliguen, je vous donne quelques rassurantes nouvelles de maman, qui peint comme une zouavesse dans son petit bijou de la rue Jean Bart où ses enfants se croisent si souvent à l'improviste, pour des discussions a bâtons rompus - mais toujours détendues - sur le vaccin, la présidentielle ou les derniers films produits par la maison de production de Bénédicte. Bénédicte et Hélène sont en pleine forme (eh oui, nous sommes une famille trop moderne pour que tous les couples soient hétéros et c'est tant mieux !) et se relaient pour cueillir Graziella à la crèche tous les mardis et mercredis.
Théotime jongle entre Paris où sa start up s’épanouit et sa jolie maison de Théméricourt si bien aménagée par Philippine. Il est loin le temps où nous nous arrachions les cheveux devant les frasques de jeunesse du petit frère ! Il est très père poule et nos neveux Roxane et Léon sont toujours aussi souriants et vifs.
Nous vous embrassons de tout notre cœur et vous souhaitons le meilleur pour 2022. Que cette année nous apporte à tous autant de joie que la précédente ! Nous pensons aussi à tous ceux qui souffrent et les assurons de notre solidarité.
Cécile et Antoine, Graziella, Baudouin et Cyriaque
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vendredi, 11 février 2022
Trois assertions communes et fausses (matérialisme, patriarcat, individualisme)
Ces affirmations constamment répétées et entendues partout sont si fausses que c'est presque merveilleux qu'elles rencontrent autant de succès.
« Nous sommes dans une société matérialiste. »
C'est faux. Une société matérialiste respecterait les matériaux, les objets, les métiers manuels. Nous sommes dans une société de consommation qui détruit le matériel. La société de consommation n'est pas matérialiste. Elle n'est pas non plus spirituelle. Elle est échangiste (la valeur d'échange a pris le pas sur les valeurs morales et sur les biens matériels eux-mêmes).
Nous avions copié un passage d'un livre de Philippe Ariès à ce sujet.
« Nous sommes dans une société patriarcale. »
C'est faux. La plupart des enfants vivent sous l'autorité de leur mère. Le père n'est plus celui que les noces démontrent. Il a au mieux la moitié de l'autorité parentale, mais les mères l'ont beaucoup plus universellement.
Cela dit, une société matriarcale n'est pas moins machiste qu'une société patriarcale.
« Nous sommes dans une société individualiste. »
C'est faux. Nous sommes dans une société très collectiviste : les enfants naissent dans des institutions médicales, l'éducation obligatoire commence désormais à 3 ans (en France), la plupart des gens meurt dans des institutions collectives (hôpitaux, maisons de séniors) et nous passons nos vies dans des organisations qui ne laissent qu'une faible place à la responsabilité individuelle et encore moins à l'autonomie. Tout ce qui concerne l'éducation, la santé, le transport, est aménagé, décidé, dicté par l'Etat. L'individu aujourd'hui n'est rien, il a quelque pouvoir sur lui-même, mais très peu sur ses enfants et sur ses biens, il n'est donc pas un pilier de notre société.
En illustration, cette photo prise en janvier 2022 d'une personne patriarcale, individualiste et matérialiste, donc forcément frustrée dans notre société liquide, collective et antimatérialiste
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mercredi, 02 février 2022
Lien
Pourquoi pas par là ? Un roman pragmatique, dirais-je.
Ou même par là.
Image de PAUL DELVAUX (1897-1994)
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samedi, 29 janvier 2022
La chambre où tu déposais tes doutes
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jeudi, 27 janvier 2022
Bruine mathématique d'hiver
Viens,
nous marcherons ensemble dans les champs de Liouville ;
-
Ami,
nous descendrons
-
l'escalier
de Cantor.
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mercredi, 26 janvier 2022
Comme un escalier de l'oubli
J'ai peur de ceux qui rient. J'ai peur de ceux qui chantent. J'envie ces gens qui passent, à qui je ne ressemblerai jamais. J'envie ces gens qui dansent. J'envie ces gens qui boivent, qui savent oublier leur esprit dans la convivialité. Moi, je prie, je prie, je prie, je ne sais que prier.
Sur AlmaSoror, en 2017, alors que Paul de Cornulier livrait son dernier combat, nous écrivions ceci : Et cum spiritu tuo
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mardi, 25 janvier 2022
zestes après épure
Il la rejoignit sur son banc.
- Tu chantes des chansons aux oiseaux ?
- Je leur récitais Venise, un chant de Venexiana Stount.
- Pourquoi ne leur disais-tu pas un poème en quechua ?
- Hélas ! Runasimitam qunqaq kani.
Katharina se lança dans de grandes explications sur la lâcheté et l’ignorance des universitaires, qui lui avaient fermé la porte au nez au moment où elle croyait enfin avoir obtenu un poste de chercheuse en linguistique. Cela ne faisait pas deux minutes qu’ils s’étaient retrouvés : ils étaient déjà plongés dans une conversation trépidante.
Ce qui m’ennuie, c’est que j’ai découvert quelque chose que je ne peux pas prouver.
Elle demeura un temps silencieuse, ses yeux perdus dans le vert des pelouses sagement tondues de Breteuil, ses boucles brunes parsemées de fils blancs voletant autour de son visage, puis sa voix murmura d’un ton inspiré :
- Peuple, homme, terre.
- Peuple, homme, terre ?
- Dans presque toutes les langues, ces trois mots ont la même origine commune.
- Veux-tu dire que toutes les langues sont issues d’une langue mère ?
- Certainement pas. Je veux dire qu’au sein de toutes les langues, si différentes soient-elles, les mots peuple, homme et terre sont des dérivés d’un mot-ancêtre commun.
Elle l’entretint des rouages pernicieux de l’université, du muselage de la liberté de penser, comme si elle n’avait eu personne pour l’écouter depuis longtemps. Joseph perdit vite le fil de ce discours alambiqué, et tandis que le regard flamboyant, que la voix animée de Katharina pétaradaient leur flamme et leur chagrin, il se laissait aller à observer les traits de son visage, les cheveux dont de nombreuses mèches étaient devenues blanches, les boucles toujours aussi nombreuses à dégouliner en cascade sur ses épaules, sa poitrine et son dos.
Au moment où elle reprit sa respiration, il lui demanda :
- Katharina, que penses-tu de l’interdiction de fumer dans les bars ?
- Ça me défrise. La fumée, c’était beau et romantique, répondit-elle.
Joseph ragaillardi par cette réponse l’étreignit.
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samedi, 22 janvier 2022
Des bœufs musicaux sur les soulanes
En ce mercredi 29 septembre 2005, vers cinq heures de l’après-midi, Joseph fermait presque les yeux en arpentant l’avenue de la Bourdonnais, tant il était plongé dans de vivants souvenirs. Il évoquait les derniers moments heureux qu’il avait passés en France avec ses amis, avant de ne plus revenir que pour y cueillir l’argent issu de leur rupture. C’était en Ariège, dans la patrie maternelle d’Hugues, lors d’une semaine de sessions musicales, entrecoupées de balades sauvages à travers les montagnes et les cours d’eaux qui tortillent le long des escarpements.
La vision matinale du massif de Tabe avait donné lieu à la découverte du silence pour cette jeunesse urbaine. Les visages s’étaient fait graves, absents aux soucis du monde, perdus dans un lointain qui prenait des saveurs différentes pour chacun. Au loin, les mouflons dévalaient une vallée fumante de brume.
Il y avait eu des bœufs musicaux sur les soulanes au coucher du soleil ; un déjeuner dans un restaurant de la ville de Foix, un déjeuner qu’on aurait voulu éternel tant fut douce la perfection de l’amitié, de la cuisine, du vin de Corbières. L’aïgo bullido ouvrit le palais ; l’azinat excellemment cuisinée prouva qu’une main experte métamorphose une recette courante en mets raffiné ; le bamalou jeta un pont entre le plat et le dessert et de tendres flocons d’Ariège closirent le repas.
L’on monta ensuite en Languedoc, là où l’Aude prend sa source. L’on en redescendit en kayak pour arriver, par le canal de la Robinne, à la scintillante Narbonne.
A Narbonne, soûlé de vin de Banyuls, Michel avait écrit un poème intitulé Loup de Foix, sur les campagnes militaires médiévales du fils bâtard de Raimond-Roger de Foix et d’Ermengarde de Narbonne. Destiné à devenir un opéra, Loup de Foix n’avait jamais vu le jour, mais dans la perfection de ces journées en pays catalan, qui aurait cru que l’ensemble musical Élouèse vivait ses dernières heures ? De Narbonne ils étaient rentrés à Paris par un vieux train qui cahotait sur les rails.
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vendredi, 21 janvier 2022
Article 225-2 (article en vigueur en théorie)
La discrimination définie aux articles 225-1 à 225-1-2, commise à l'égard d'une personne physique ou morale, est punie de trois ans d'emprisonnement et de 45 000 euros d'amende lorsqu'elle consiste :
1° A refuser la fourniture d'un bien ou d'un service ;
2° A entraver l'exercice normal d'une activité économique quelconque ;
3° A refuser d'embaucher, à sanctionner ou à licencier une personne ;
4° A subordonner la fourniture d'un bien ou d'un service à une condition fondée sur l'un des éléments visés à l'article 225-1 ou prévue aux articles 225-1-1 ou 225-1-2 ;
5° A subordonner une offre d'emploi, une demande de stage ou une période de formation en entreprise à une condition fondée sur l'un des éléments visés à l'article 225-1 ou prévue aux articles 225-1-1 ou 225-1-2 ;
6° A refuser d'accepter une personne à l'un des stages visés par le 2° de l'article L. 412-8 du code de la sécurité sociale.
Lorsque le refus discriminatoire prévu au 1° est commis dans un lieu accueillant du public ou aux fins d'en interdire l'accès, les peines sont portées à cinq ans d'emprisonnement et à 75 000 euros d'amende.
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jeudi, 20 janvier 2022
Co-patronne de l'Europe
Depuis les premiers chrétiens, qui étaient juifs, il n'y avait plus eu de saints issu du peuple natal du Christ. Mais en 1998, sœur Thérèse-Bénédicte de la Croix, née Edith Stein en 1891 en Haute-Silésie (Prusse), a été canonisée par le pape Jean-Paul II à Rome.
Sainte Thérèse Bénédicte de La Croix deviendra-t-elle la cinquième doctoresse de l'église catholique romaine - et la troisième carmélite (après sainte Thérèse d'Avila et sainte Thérèse de l'Enfant Jésus et de la Sainte Face) ? Difficile de ne pas le croire.
Profonde philosophe, disciple de Husserl, féministe convaincue, enseignante, excellente pédagogue, bonne écrivain, puis carmélite, il paraît qu'elle était très drôle et chaleureuse, mais aussi secrète et empreinte d'une certaine austérité. "Secretum meum mihi", disait-elle, inspirée par Isaïe et Jean de la Croix. Mon secret est à moi.
Mon Seigneur et mon Dieu, Tu m’as conduite sur un long chemin, obscur, pierreux et dur. Maintes fois mes forces faillirent m’abandonner, à peine j’espérais voir un jour la Lumière. Pourtant, au plus profond de la douleur où mon cœur se figeait, une étoile claire et douce se leva pour moi. Elle me conduisit fidèlement ; je la suivis d’abord hésitante, puis de plus en plus confiante, je me tenais enfin à la porte de l’Église. Elle s’ouvrit ; je demandai d’entrer.
(IN Le secret de la croix)
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mardi, 18 janvier 2022
La chambre de l'attente
« C'est du désert du Nord que devait leur venir leur chance, l'aventure, l'heure miraculeuse qui sonne une fois au moins pour chacun. À cause de cette vague éventualité, qui, avec le temps, semblait se faire toujours plus incertaine, des hommes faits consumaient ici la meilleure part de leur vie. »
(Le désert des Tartares, D. Buzzati)
Nous en parlions déjà en 2015 :
« Il faut faire des concessions », dit-on, comme s'il s'agissait d'une activité vertueuse. Je rêve d'un jour avoir le courage de ne plus concéder un iota de mes désirs et de mes rêves. Au fond de quel fort Bastiani ?
Je suis assise dans un studio du douzième arrondissement et j'attends. Quoi ? L'éternité ? Mais non. J'attends ce moment où, enfin, je serai saisie par l'instant présent.
Le mardi 18 janvier à 15h52, par texto, alors que nous venons de nous quitter après un café chez Charlette, place d'Aligre :
Moi - Tu as lu Le désert des Tartares ? Je m'éveille souvent le matin avec la sensation d'attendre mon destin au fond du Fort Bastiani depuis plus de vingt ans...
Léonor - Je te comprends je vois bien la torpeur
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