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dimanche, 01 mai 2022

Nous persévérons dans le journal d'Emile Ollivier

« Je m'engage dans une magnifique forêt de sapins qui couvre le Jura, cherchant un point d'où la vue puisse s'étendre au loin : je gravis une éminence d'où je n'aperçois que des arbres ; j'en gravis une seconde, une troisième, la même chose m'arrive. Enfin après beaucoup d'efforts, j'atteins un sommet d'où j'aperçois à travers les brouillards qui couvrent la plaine, Genève et le Mont-Blanc. Cette vue m'enflamme ; je veux la compléter en trouvant un endroit plus favorable. Je m'engage de nouveau dans la forêt. Mais je m'égare dans un inextricable dédale. Les chemins se croisent et se multiplient devant moi. À chaque instant, je crois être arrivé et à chaque instant je m'aperçois que je n'ai pas avancé. Je ne marche pas, je cours, je bondis, je vole à travers les arbres, me heurtant aux branches, aux cailloux, m'accrochant aux buissons et aux troncs. De larges gouttes de sueur tombent de mon front ; je respire à peine. Après une heure et demie d'une course pareille, je tombe haletant, inanimé sur un petit tertre, désespérant d'atteindre mon but. Lorsque tout à coup j'entends dans le lointain un bruit de voix ; je prête l'oreille, le bruit se précise. Je marche dans la direction ; et après quelques milliers de pas, je rencontre des bergers. Ils me disent que je me suis perdu. L'un d'eux m'offre d'être mon guide. Je me dirige avec lui vers une colline d'où la vue doit être magnifique. Je me félicite d'avoir été persévérant, je me prépare à admirer. J'arrive enfin. Un épais brouillard couvre tout. Je tombe accablé en pleurant. Combien éprouvent dans leur vie des déceptions pareilles à celle qui m'afflige ! Combien ont travaillé et sué sous le soleil, qui pour amasser une fortune, qui pour se créer une réputation ; celui-ci pour réaliser un idéal d'amour ; celui-là pour pénétrer les mystères les plus profonds des sciences humaines. Ils n'ont reculé devant aucun effort ; ils ont lutté courageusement contre les plus formidables difficultés ; tout a cédé devant eux. Les voilà sur la hauteur, ils touchent le but si longtemps convoité ; ils vont jouir des horizons sans bornes. Vaine espérance. Devant eux s'étend un brouillard que ni leurs yeux, ni leurs prières, ni leurs larmes, ni leurs malédictions ne peuvent soulever ! »

 

27 septembre 1852

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