samedi, 21 mai 2022
Par Teutatès
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lundi, 16 mai 2022
attendre encore un peu
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dimanche, 15 mai 2022
comme des somnambules, de Henri Guaino
Un très bon et bel article de monsieur Henri Guaino
dans le Figaro du 12 mai 2022.
Le voici :
J’emprunte cette image au titre du livre de l’historien australien Christopher Clark sur les causes de la Première Guerre mondiale : Les Somnambules, été 1914 : comment l’Europe a marché vers la guerre.
« Le déclenchement de la guerre de 14-18, écrit-il, n’est pas un roman d’Agatha Christie (…) Il n’y a pas d’arme du crime dans cette histoire, ou plutôt il y a en a une pour chaque personnage principal. Vu sous cet angle, le déclenchement de la guerre n’a pas été un crime, mais une tragédie. » En 1914, aucun dirigeant européen n’était dément, aucun ne voulait une guerre mondiale qui ferait vingt millions de morts mais, tous ensemble, ils l’ont déclenchée. Et au moment du traité de Versailles aucun ne voulait une autre guerre mondiale qui ferait soixante millions de morts mais, tous ensemble, ils ont quand même armé la machine infernale qui allait y conduire.
Dès le 7 septembre 1914, après seulement un mois de guerre, le chef du grand état-major allemand qui avait tant plaidé pour que l’Allemagne attaquât avant d’être attaquée écrivait à sa femme : « Quels torrents de sang ont coulé (…) j’ai l’impression que je suis responsable de toutes ces horreurs et pourtant je ne pouvais agir autrement. »
« Je ne pouvais agir autrement »: tout était dit sur l’engrenage qui mène à la guerre. Engrenage qui est d’abord celui par lequel chaque peuple se met à prêter à l’autre ses propres arrière-pensées, ses desseins inavoués, les sentiments que lui-même éprouve à son égard. C’est bien ce que fait aujourd’hui l’Occident vis-à-vis de la Russie et c’est bien ce que fait la Russie vis-à-vis de l’Occident. L’Occident s’est convaincu que si la Russie gagnait en Ukraine, elle n’aurait plus de limite dans sa volonté de domination. À l’inverse, la Russie s’est convaincue que si l’Occident faisait basculer l’Ukraine dans son camp, ce serait lui qui ne contiendrait plus son ambition hégémonique.
En étendant l’Otan à tous les anciens pays de l’Est jusqu’aux pays Baltes, en transformant l’Alliance atlantique en alliance anti-Russe, en repoussant les frontières de l’Union européenne jusqu’à celles de la Russie, les États-Unis et l’Union européenne ont réveillé chez les Russes le sentiment d’encerclement qui a été à l’origine de tant de guerres européennes. Le soutien occidental à la révolution de Maïdan, en 2014, contre un gouvernement ukrainien prorusse a été la preuve pour les Russes que leurs craintes étaient fondées. L’annexion de la Crimée par la Russie et son soutien aux séparatistes du Donbass ont à leur tour donné à l’Occident le sentiment que la menace russe était réelle et qu’il fallait armer l’Ukraine, ce qui persuada la Russie un peu plus que l’Occident la menaçait. L’accord de partenariat stratégique conclu entre les États-Unis et l’Ukraine le 10 novembre 2021, scellant une alliance des deux pays dirigée explicitement contre la Russie et promettant l’entrée de l’Ukraine dans l’Otan, a achevé de convaincre la Russie qu’elle devait attaquer avant que l’adversaire supposé soit en mesure de le faire. C’est l’engrenage de 1914 dans toute son effrayante pureté.
Comme toujours, c’est dans les mentalités, l’imaginaire et la psychologie des peuples, qu’il faut en chercher l’origine. Comment la Pologne, quatre fois démembrée, quatre fois partagée en trois siècles, comment la Lituanie annexée deux siècles durant à la Russie, la Finlande amputée en 1939, comment tous les pays qui ont vécu un demi-siècle sous le joug soviétique ne seraient-ils pas angoissés à la première menace qui pointe à l’Est ? Et de son côté, comment la Russie, qui a dû si souvent se battre pour contenir la poussée de l’Occident vers l’Est et qui est déchirée depuis des siècles entre sa fascination et sa répulsion pour la civilisation occidentale, pourrait-elle ne pas éprouver une angoisse existentielle face à une Ukraine en train de devenir la tête de pont de l’occidentalisation du monde russe ? « Ce ne sont pas les différences, mais leur perte qui entraîne la rivalité démente, la lutte à outrance entre les hommes », dit René Girard. Menacer ce par quoi le Russe veut rester russe, n’est-ce pas prendre le risque de cette « rivalité démente »?
L’Occident voit trop la nostalgie de l’URSS et pas assez, le slavophilisme, c’est-à-dire la Russie éternelle telle qu’elle se pense avec ses mythes. Alexandre Koyré a consacré un livre profond (1), à ce courant dont sont nées la grande littérature et la conscience nationale russes au début du XIXe siècle quand « le nationalisme instinctif aidant, un nationalisme conscient avait fini par voir entre la Russie et l’Occident une opposition d’essence ». Le slavophilisme, ce sentiment de supériorité spirituelle et morale face à l’Occident, est dans le cri du cœur de Soljenitsyne devant les étudiants de Harvard en 1978 : « Non, je ne prendrais pas votre société comme modèle pour la transformation de la mienne. » Cette Russie-là ne voit peut-être pas la guerre en Ukraine comme une guerre d’invasion mais comme une guerre de sécession. Sécession du berceau du monde russe, de la terre où s’est joué tant de fois le sort de la Russie, où elle a repoussé les Polonais et les armées de Hitler. Sécession politique, culturelle et même spirituelle depuis qu’en 2018 l’Église orthodoxe ukrainienne s’est affranchie de la tutelle du patriarcat de Moscou. Et les guerres de sécession sont les pires. Une chose en tout cas est certaine : cette guerre est, à travers l’Ukraine martyrisée, une guerre entre l’Occident et la Russie qui peut déboucher sur un affrontement direct par une escalade incontrôlée.
La guerre, c’est, depuis toujours, la libération de tout ce qu’il y a dans la nature humaine de sauvagerie et d’instinct meurtrier, une montée aux extrêmes qui finit toujours par emporter malgré eux les combattants comme les dirigeants. Ni Churchill, ni Roosevelt, n’avaient pensé qu’un jour ils ordonneraient de bombarder massivement les villes allemandes pour casser le moral de la population, ni Truman qu’il finirait en 1945 par recourir à la bombe atomique pour casser la résistance japonaise. Kennedy en envoyant quelques centaines de conseillers militaires au Vietnam en 1961 ne pensait pas que huit ans plus tard l’Amérique y engagerait plus d’un demi-million d’hommes, y effectuerait des bombardements massifs au napalm, et serait responsable du massacre de villages entiers.
Si la guerre froide n’a pas débouché sur la troisième guerre mondiale, c’est d’abord parce qu’aucun de ses protagonistes n’a jamais cherché à acculer l’autre. Dans les crises les plus graves, chacun a toujours fait en sorte que l’autre ait une porte de sortie.
Aujourd’hui, au contraire, les États-Unis, et leurs alliés, veulent acculer la Russie.
Quand on agite devant elle la perspective de l’adhésion à l’Otan de la Finlande, de la Suède, de la Moldavie et de la Géorgie en plus de celle de l’Ukraine, quand le secrétaire américain à la Défense déclare que les États-Unis « souhaitent voir la Russie affaiblie au point qu’elle ne puisse plus faire le genre de choses qu’elle a faites en envahissant l’Ukraine», quand le président des États-Unis se laisse aller à traiter le président russe de boucher, à déclarer que « pour l’amour de Dieu, cet homme ne peut pas rester au pouvoir » et demande au Congrès 20 milliards de dollars en plus des 3 milliards et demi déjà dépensés par les États-Unis pour fournir en masse des chars, des avions, des missiles, des canons, des drones aux Ukrainiens, on comprend que la stratégie qui vise à acculer la Russie n’a plus de limite. Mais elle sous-estime la résilience du peuple russe, comme les Russes ont sous estimé la résilience des Ukrainiens. Acculer la Russie, c’est la pousser à surenchérir dans la violence. Jusqu’où ? La guerre totale, chimique, nucléaire ? Jusqu’à provoquer une nouvelle guerre froide entre l’Occident et tous ceux qui, dans le monde, se souvenant du Kosovo, de l’Irak, de l’Afghanistan, de la Libye, pensent que si la Russie est acculée, ils le seront aussi parce qu’il n’y aura plus de limite à la tentation hégémonique des États-Unis : l’Inde qui ne condamne pas la Russie et qui pense au Cachemire, la Chine qui dénonce violemment « les politiques coercitives » de l’Occident parce qu’elle sait que si la Russie s’effondre elle se retrouvera en première ligne, le Brésil qui, par la voix de Lula, dit « une guerre n’a jamais un seul responsable », et tous les autres en Asie, au Moyen-Orient, en Afrique qui refusent de sanctionner la Russie.
Tout faire pour acculer la Russie, ce n’est pas sauver l’ordre mondial, c’est le dynamiter. Quand la Russie aura été chassée de toutes les instances internationales et que celles-ci se seront désintégrées comme la SDN au début des années 1930, que restera-t-il de l’ordre mondial ?
Trouver un coupable nous conforte dans le bien-fondé de notre attitude, et dans le cas présent, nous en avons un tout désigné, un autocrate impitoyable, incarnation du mal. Mais le bien contre le mal, c’est l’esprit de croisade : « Tuez-les tous et Dieu reconnaîtra les siens. » Au lieu de faire entendre sa voix pour éviter cette folie et arrêter les massacres, l’Union européenne emboîte le pas des États-Unis dans l’escalade de leur guerre par procuration. Mais que feront les Européens et les États-Unis au pied du mur de la guerre totale ? Avec les obus nucléaires et les armes nucléaires tactiques de faible puissance, la marche n’est plus si haute. Et après ? Après, tout peut arriver : l’engrenage tragique de la violence mimétique que personne n’aurait voulu mais auquel tout le monde aurait contribué et qui pourrait détruire l’Europe et peut-être l’humanité ou la capitulation munichoise des puissances occidentales qui ne voudrons peut-être pas risquer le pire pour l’Ukraine, ni même peut-être pour les pays Baltes ou la Pologne. Souvenons-nous de l’avertissement du général de Gaulle en 1966 lors de la sortie du commandement intégré de l’Otan : « La Russie soviétique s’est dotée d’un armement nucléaire capable de frapper directement les États-Unis, ce qui a naturellement rendu pour le moins indéterminées les décisions des Américains, quant à l’emploi éventuel de leur bombe. »
Où est la voix de la France, de ce « vieux pays, d’un vieux continent qui a connu les guerres, l’occupation, la barbarie », qui le 14 février 2003 à l’ONU disait non à la guerre en Irak, qui en 2008 sauvait la Géorgie et s’opposait à l’adhésion de celle-ci et de l’Ukraine à l’Otan et qui plaiderait aujourd’hui pour la neutralisation d’une Ukraine qui n’aurait vocation à n’entrer ni dans l’Otan, ni dans l’Union européenne, en écho à l’avertissement lancé en 2014 par Henry Kissinger : « Si l’Ukraine doit survivre et prospérer, elle ne doit pas être l’avant-poste de l’une des parties contre l’autre. Elle doit être un pont entre elles. L’Occident doit comprendre que pour la Russie l’Ukraine ne pourra jamais être un simple pays étranger. » C’est par sa neutralisation que la Finlande a pu demeurer libre et souveraine entre les deux blocs pendant la guerre froide. C’est par sa neutralisation que l’Autriche est redevenue en 1955 un pays libre et souverain.
Faire aujourd’hui des concessions à la Russie, c’est se plier à la loi du plus fort. N’en faire aucune, c’est se plier à la loi du plus fou. Tragique dilemme. Un dilemme comme celui-ci, vécu dans la Résistance par le poète René Char (2) :
« J’ai assisté, distant de quelque cent mètres, à l’exécution de B. Je n’avais qu’à presser la détente du fusil-mitrailleur et il pouvait être sauvé ! Nous étions sur les hauteurs de Céreste (…) au moins égaux en nombre aux SS. Eux ignorant que nous étions là. Aux yeux qui imploraient partout autour de moi le signal d’ouvrir le feu, j’ai répondu non de la tête (…) Je n’ai pas donné le signal parce que ce village devait être épargné à tout prix. Qu’est-ce qu’un village ? Un village pareil à un autre ? » Et nous, que répondrons-nous aux regards qui nous imploreront d’arrêter le malheur quand nous l’aurons fabriqué ?
Nous marchons vers la guerre comme des somnambules.
Source : Henri Guaino
dans le Figaro du 12 mai 2022.
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mardi, 10 mai 2022
Ecotones monastiques
Les cisterciennes de Boulaur (dans le Gers) essaiment. Elles vont reprendre l'abbaye ardéchoise Notre-Dame des Neiges qui s'était fermée, faute de forces vives. Mais les voilà les forces vives !
Peut-être que dans cent ans, les moines et les moniales tiendront les rênes de l'Europe et nous serons repartis pour mille ans de beauté.
Et puis, un youtoubeur fort sympathique :
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samedi, 07 mai 2022
Au fil des livres à moitié lus
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jeudi, 05 mai 2022
Aurores
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mercredi, 04 mai 2022
intelligence, indépendance, fidélité
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mardi, 03 mai 2022
Note sur un quasi-testament
Ces quelques lignes que nous venons de sceller par des moyens crypto-informatiques, sont dédiées au neveu des deux hommes qui, le 26 avril 1961 à Alma-Ata, au soleil, firent un choix opposé ; l'un sauva son âme et perdit sa vie ; l'autre vendit son âme et prolongea son corps. Mais cet homme (qui avait 14 ans en 1961) est mort avant de lire ce livre, malgré la promesse de la rue Milton.
Ce testament est donc le mien et constitue une tentative de rédemption.
Elle est baignée par le souvenir du frère de la soeur qui, le 7 janvier 1966, composa la musique du poème La tempête, de sainte Thérèse-Bénédicte de la Croix ; le manuscrit de la partition avait été retrouvé dans sa chambrette, posé à côté d’un livre d’Edith Stein, mais perdu ensuite au cours des incessents déménagements.
Ce testament est donc celui d'une inconsciente et constitue une tentative de réconciliation.
Ce testament évoque en creux quelques personnes mortes dans années 1970, dont nous connaissons les visages et les souffrances, mais dont nous n'avons jamais vu les sourires ni entendu les rires. C’est lui qui s’en souvenait, cet homme sans lequel ce chemin n’existerait pas. C'est donc un testament lacunaire, car personne ne connait quelqu’un s’il ne l’a pas entendu rire, dans une chambre ordinaire, un dimanche matin.
La constellation des gémeaux a présidé à l'écriture de ces quelques lignes destinées aux égarés, aux hospitalisés, aux habitants des asiles où vivent les personnes inadaptées au fonctionnement de la société. À cet égard, sans suggérer des événements strictement vécus, il doit son secret à l’existence d’une fratrie d’origine nantaise, dont les meilleurs éléments sont morts avant l’âge de trente ans. Ceux qui restèrent le plus longtemps furent les plus lâches, les plus malsains ou les plus fourbes et c’est pour expier leur très grande faute que nous avons voulu transmettre cet héritage.
Sous les aigles de sang de ce secret, ne délivrent ni le restaurant italien de la rue Pierre Leroux, ni l’appartement lesbien du neuvième arrondissement, ni la prison excentrée où croupit l’homme le plus profondément libre que nous ayons connu. Au contraire, ce secret est entretenu par les banales notations du temps qui passe et ne passe pas, du temps qu’il fait et ne fait pas, de l’amour qui existe ou n’existe pas.
Aussi ce testament inéquitable est le résultat douloureux d’une absence de testament.
La femme qui l’a écrit ne cessera jamais d’être habitée par cet homme d’une très grande intelligence qui ne sut pas composer avec la société, qui aurait pu inspirer le monde et qui n’a réussi qu’à faire souffrir ceux qui le comprenaient. Car sa belle voix grave, ses yeux très clairs, sa droiture physique et le tranchant de ses pensées le rendaient si séduisants qu’on en devenait addict, toujours en manque. La rancune et le pardon : l’ambivalence de ceux qui le côtoyaient. Mais il a passé comme un inconnu, ce coeur impérial, ce destin brisé.
Cet acte de lecture que vous venez d'accomplir est la preuve de votre appétence pour la frontière. Il convient de vous remercier pour votre langueur, pour votre vice qui a su épouser le nôtre.
Nous sommes des fantômes, et pourtant nous avons soif de cette eau qui ne donne plus jamais soif, nous avons faim de ce pain qui console.
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lundi, 02 mai 2022
Il tourne sans cesse sa langue dans sa bouche
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dimanche, 01 mai 2022
Nous persévérons dans le journal d'Emile Ollivier
« Je m'engage dans une magnifique forêt de sapins qui couvre le Jura, cherchant un point d'où la vue puisse s'étendre au loin : je gravis une éminence d'où je n'aperçois que des arbres ; j'en gravis une seconde, une troisième, la même chose m'arrive. Enfin après beaucoup d'efforts, j'atteins un sommet d'où j'aperçois à travers les brouillards qui couvrent la plaine, Genève et le Mont-Blanc. Cette vue m'enflamme ; je veux la compléter en trouvant un endroit plus favorable. Je m'engage de nouveau dans la forêt. Mais je m'égare dans un inextricable dédale. Les chemins se croisent et se multiplient devant moi. À chaque instant, je crois être arrivé et à chaque instant je m'aperçois que je n'ai pas avancé. Je ne marche pas, je cours, je bondis, je vole à travers les arbres, me heurtant aux branches, aux cailloux, m'accrochant aux buissons et aux troncs. De larges gouttes de sueur tombent de mon front ; je respire à peine. Après une heure et demie d'une course pareille, je tombe haletant, inanimé sur un petit tertre, désespérant d'atteindre mon but. Lorsque tout à coup j'entends dans le lointain un bruit de voix ; je prête l'oreille, le bruit se précise. Je marche dans la direction ; et après quelques milliers de pas, je rencontre des bergers. Ils me disent que je me suis perdu. L'un d'eux m'offre d'être mon guide. Je me dirige avec lui vers une colline d'où la vue doit être magnifique. Je me félicite d'avoir été persévérant, je me prépare à admirer. J'arrive enfin. Un épais brouillard couvre tout. Je tombe accablé en pleurant. Combien éprouvent dans leur vie des déceptions pareilles à celle qui m'afflige ! Combien ont travaillé et sué sous le soleil, qui pour amasser une fortune, qui pour se créer une réputation ; celui-ci pour réaliser un idéal d'amour ; celui-là pour pénétrer les mystères les plus profonds des sciences humaines. Ils n'ont reculé devant aucun effort ; ils ont lutté courageusement contre les plus formidables difficultés ; tout a cédé devant eux. Les voilà sur la hauteur, ils touchent le but si longtemps convoité ; ils vont jouir des horizons sans bornes. Vaine espérance. Devant eux s'étend un brouillard que ni leurs yeux, ni leurs prières, ni leurs larmes, ni leurs malédictions ne peuvent soulever ! »
27 septembre 1852
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vendredi, 29 avril 2022
Souvenir du poème journalier du Grand Confinement
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mercredi, 27 avril 2022
Nous entrons dans le journal d'Emile Ollivier...
5 novembre 1847
Ce soir, la lune éclaire le paysage que j'aime d'une manière plus charmante que de coutume ; la lueur tremblante des étoiles perce doucement les nuages blancs semblables à de légers flocons de fumée ; la nature recueillie dans le silence semble s'endormir avec les hommes et les animaux fatigués. A peine entend-on de temps en temps les aboiements des chiens dans une métairie, alternant avec les coups prolongés de la cloche qui rappelle par ses sons mélancoliques que le temps marche et nous emporte, alors que tout semble sans mouvement.
O bel astre ! Pourquoi n'apportes-tu que la tristesse et la mélancolie ? Pourquoi tes rayons ne font-ils naître que la rosée sur les fleurs endormies, dans nos yeux que les pleurs ? Serais-tu la messagère choisie par Dieu pour emporter nos pensées vers la patrie céleste ?
Emile Ollivier, Journal
Je crois que j'avais découvert l'existence d'Emile Ollivier dans le journal de Cosima Wagner, que je lisais en 2012. Depuis je m'étais renseignée sur lui, je l'avais retrouvé dans un article obscur sur la politique du XIXème siècle, et enfin j'ai trouvé son journal cette semaine.
Je suis à la fois déçue et charmée, ce journal entre mes mains, après tant d'attente. Je sais que bientôt la vie politique compliquée de cette monarchie de juillet, de la République et du Second Empire va défiler devant mes yeux, décrite par Ollivier, qui y tint un grand rôle. Fils d'un étrange Démosthène Ollivier, mari de Blandine Liszt, la soeur de Cosima la matriarche de Bayreuth et de Daniel, le jeune homme emporté... et fille de Marie d'Agout et de Frantz Liszt, parents inconstants, trop occupés d'eux-mêmes pour s'intéresser à leurs enfants (Cosima en gardera toute sa vie une dent contre le féminisme, dont sa mère était une égérie).
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vendredi, 22 avril 2022
La puissance
Un petit détour par la revue Conflits...
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mardi, 19 avril 2022
Les cimes
Comme je remontais des collines grimaçantes, Je ne me sentis plus suivi par les sherpas : de vieux bergers muets les avaient pris pour cibles, les ayant suspendus aux grilles rouillées. J’étais insoucieux des hordes, des cortèges, des convois de fleurs sauvages des prés, quand le silence et l'immobilité se sont levés, les chemins m'ont guidé vers les hauteurs désirées.
Dans les gargouillements lascifs des mares, lui, l’autre lune, plus fou que les sagesses des anciens, s'arrêta. Et les ascensions achevées n'ont pas connu calme plus opportun.
Le vent tranquille a maudit mes sommeils des hautes cimes. Plus lourd que l'ours d'Europe, j'ai chanté sur les pics, qu'on appelle dangers perpétuels d'alpinistes, au crépuscule, oubliant la bouche tordue des femmes.
Plus piquante que la baie sauvage des bois d'en bas, le jus vert pénétra ma langue, et des éclats de sève et de salive expulsèrent ma mémoire, ma honte et mon destin.
Et dès lors, je me suis endormi dans la bave numineuse du monde, étoilée, lactescente, nettoyant les azurs et les points d'horizon où parfois apparaît un furtif élément ; où, scintillant de verdeur, de désirs, de tempo sur les parois lisses de la nuit, plus alcoolisées que l'eau de vie, plus étroites que les Portes, pourrissent les fraîcheurs sucrées de nos rancœurs !
J'ignore les fonds marins éloignés de nos monts, et les basses terres trempées, plates, j'ignore les champs, le jour qui s'éternise dans la platitude plaine et j'échappe à ce que Dieu doit savoir.
J'ignore le soleil plein, inondant les villes planes, rampant comme un serpent parmi les endroits sales, tel un ogre passif et très lent préhistorique, écrasant tout désir et toute plainte sous sa gluance.
Je ne songe plus aux tropiques amorphes, sensualité grouillant des corps trop réchauffés, ni aux immobilismes intellectuels des révolutionnaires en mouvement.
Je déserte, définitivement, comme une déchirure sanctifiante, la foule à l'assaut des poncifs, en voyant les pattes subtiles des bouquetins tracer la voie marchée sous les cercles des aigles.
Je ne me cogne plus sur les ports agités, où les moteurs des bateaux inondent les eaux d'essence, je ne brutalise plus les chiens trop domestiques sur les marchés repus des dimanches matins. Je ne regarde plus le milliard d'images, immonde léviathan des représentations, je ne réagis plus aux stimuli hagards qui conspirent chaque instant contre la pensée pure.
Glaciers, Ô lumières froides, source rare, cieux extrêmes ! Vol concentrique au-dessus des nids de poules sauvages, où les marmottes sagaces ploient, aux prises avec les mouches répugnantes des saisons adoucies.
Je porte un peuple d'enfants dorés, des elfes d'argent, des bébés d'éther.
Des pétales de fleurs décorent mes slacklines et des souffles de vent caressent mes vêtements.
Quelquefois, fatiguée des ascensions abruptes, le hamac berce mes pleurs doux, mes murmures, les senteurs des fleurettes chatouillent mes narines et celles des petites bêtes qu'on entend, invisibles...
Roche perchée sur un rocher du mont, recouverte des fientes de pipits spioncelles, je m'assois sur ta pierre vierge encore d'humain, minérale beauté percluse d'aucun piton !
Or toi, Dieu innocent, pensée flottante, Amour, invention des cerveaux pour survivre à la chair, Toi, dont les prêtres en toge n'ont pas connu l'effluve, tu viens pécher mon âme loin des habitations. Libre, écumant, superbe, mouvant comme un fluide, toi qui déplaces les ciels et chahute l'argon, qui plane sur l'azote métissé d'oxygène, Toi, Verbe de lichen, toi morve de l'Esprit, qui fluctues, parcouru de nombres d'or, forme immense portée par les nombres premiers, quand les étés s'annoncent aux hivers méthodiques, tu descends vers les peuples intérieurs abîmés.
Oui, moi je Te reçois, sans geindre ni gémir, j'ouvre mes ouvertures à Tes ouvertures folles, et le plasma bleuté des hauteurs fatidiques, baigne l'Europe alpine aux relents primitifs.
Ici, quelques forêts qui se ferment, quelques lacs. Et la cohorte épaisse des nuages qui descendent. Et la lumière qui tombe, et la noirceur profonde, sommeil pétillant de l'impulsion du temps.
C'est vrai, j'ai trop parlé, Ô futur silence ! Toute voix paraît fausse, toute parole, superflue. L'acre arête sépare les torpeurs des douceurs et les premières m’entraînent vers les cascades finales. Si je désire une dernière joie, c'est l'avalanche ! Blanche et roide, où vers le crépuscule éternel, un peuple d'enfants triste réfugiés dans un cœur, fonce en chœur vers le gouffre comme une joyeuse luge.
Adieu, chamailleries des bassesses affectives, au revoir les amis perdus de nos pulsions, salut, traversée inassouvie des sentes, je quitte le territoire des dénivellations.
C'était une tentative du petit matin du mardi 19 avril 2022, en souvenir d'un père et de son piéton sobre.
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mercredi, 13 avril 2022
La pluie d'avril
L'exorde d'une vie s'achève en ce mois d'avril ; voici venu le temps du mitan.
L'exorde fut long (quarante-trois ans et demi), le mitan le sera aussi, une quarantaine d'années. L'épilogue nous mènera au dernier coucher de soleil, par un soir de juin.
Le mitan, qui durera presque autant que l'exorde, comprendra une brève mais profonde et clairvoyante narration, destinée à briller lentement, mais éternellement. Déjà préparée depuis longtemps, la confirmation surgira d'elle-même et teindra toutes les autres parties, s'imposant sans s'imposer. La péroraison sera prise en charge par autrui, par l'institution, par la foule, par les passeurs. Elle découlera naturellement des ombres de l'exorde et des clartés de la narration.
Les digressions parsèment agréablement ce paysage d'une vie, cette courbe d'un destin particulier et universel.
Mais oui, nous sortons aujourd'hui de l'exorde et nous savons que tout se terminera par l'épilogue. Un achèvement, qui sera aussi un parachèvement et une double transmission, privée et publique.
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