Note sur un quasi-testament (mardi, 03 mai 2022)
Ces quelques lignes que nous venons de sceller par des moyens crypto-informatiques, sont dédiées au neveu des deux hommes qui, le 26 avril 1961 à Alma-Ata, au soleil, firent un choix opposé ; l'un sauva son âme et perdit sa vie ; l'autre vendit son âme et prolongea son corps. Mais cet homme (qui avait 14 ans en 1961) est mort avant de lire ce livre, malgré la promesse de la rue Milton.
Ce testament est donc le mien et constitue une tentative de rédemption.
Elle est baignée par le souvenir du frère de la soeur qui, le 7 janvier 1966, composa la musique du poème La tempête, de sainte Thérèse-Bénédicte de la Croix ; le manuscrit de la partition avait été retrouvé dans sa chambrette, posé à côté d’un livre d’Edith Stein, mais perdu ensuite au cours des incessents déménagements.
Ce testament est donc celui d'une inconsciente et constitue une tentative de réconciliation.
Ce testament évoque en creux quelques personnes mortes dans années 1970, dont nous connaissons les visages et les souffrances, mais dont nous n'avons jamais vu les sourires ni entendu les rires. C’est lui qui s’en souvenait, cet homme sans lequel ce chemin n’existerait pas. C'est donc un testament lacunaire, car personne ne connait quelqu’un s’il ne l’a pas entendu rire, dans une chambre ordinaire, un dimanche matin.
La constellation des gémeaux a présidé à l'écriture de ces quelques lignes destinées aux égarés, aux hospitalisés, aux habitants des asiles où vivent les personnes inadaptées au fonctionnement de la société. À cet égard, sans suggérer des événements strictement vécus, il doit son secret à l’existence d’une fratrie d’origine nantaise, dont les meilleurs éléments sont morts avant l’âge de trente ans. Ceux qui restèrent le plus longtemps furent les plus lâches, les plus malsains ou les plus fourbes et c’est pour expier leur très grande faute que nous avons voulu transmettre cet héritage.
Sous les aigles de sang de ce secret, ne délivrent ni le restaurant italien de la rue Pierre Leroux, ni l’appartement lesbien du neuvième arrondissement, ni la prison excentrée où croupit l’homme le plus profondément libre que nous ayons connu. Au contraire, ce secret est entretenu par les banales notations du temps qui passe et ne passe pas, du temps qu’il fait et ne fait pas, de l’amour qui existe ou n’existe pas.
Aussi ce testament inéquitable est le résultat douloureux d’une absence de testament.
La femme qui l’a écrit ne cessera jamais d’être habitée par cet homme d’une très grande intelligence qui ne sut pas composer avec la société, qui aurait pu inspirer le monde et qui n’a réussi qu’à faire souffrir ceux qui le comprenaient. Car sa belle voix grave, ses yeux très clairs, sa droiture physique et le tranchant de ses pensées le rendaient si séduisants qu’on en devenait addict, toujours en manque. La rancune et le pardon : l’ambivalence de ceux qui le côtoyaient. Mais il a passé comme un inconnu, ce coeur impérial, ce destin brisé.
Cet acte de lecture que vous venez d'accomplir est la preuve de votre appétence pour la frontière. Il convient de vous remercier pour votre langueur, pour votre vice qui a su épouser le nôtre.
Nous sommes des fantômes, et pourtant nous avons soif de cette eau qui ne donne plus jamais soif, nous avons faim de ce pain qui console.
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