dimanche, 23 février 2014
Note sur les pigeons
Les pigeons des villes sont venus des falaises. Ils sont déracinés. Eux qu'on croirait amarrés aux cités humaines depuis toujours, c'est à partir de leur domestication, dans la haute antiquité, qu'ils sont arrivés, par centaines, par milliers, par grandes vagues de migration, peupler Lutèce. Lutèce est devenue Paris ; les pigeons se sont multipliés. L’exode maritime les a abîmés : leurs plumes sont affadies par l’air vicié des faubourgs et des usines. Vers la moitié du vingtième siècle, les pigeons, présents dans la ville depuis des siècles, ont dû faire face à de nouvelles vagues migratoires. Pigeons ramiers, tourterelles, étourneaux d’abord, et dans la foulée, mouettes et corbeaux, sont venus leur disputer la place. Aujourd’hui, le pigeon des villes peut pleurer ses lointaines falaises, assailli par les nouveaux oiseaux qui lui volent sa ville. Il n’est plus le maître chez lui : ses rivaux lui disputent les toits, la pitance et la haine amoureuse des Parisiens
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lundi, 10 février 2014
Prendre une vie sabbatique
L'idée m'est venue un jour que je discutais avec une femme qui semblait se prendre pour une éducatrice envers moi. Je la regardais, pour ma part, sans affection. J'avais des raisons pour cela. Mais enfin, il fallait être polie, elle posait des questions, je tachais de répondre pertinemment. Eh bien, elle m'interrogeait sur mon travail, mon mode de vie, mon logement, et posait toutes les questions qu'on pose quand on veut établir le profil « Insee » d'une personne, son statut social et professionnel, son intégration matérielle et relationnelle dans le monde, sa valeur sociale en somme.
Un moment, comme je lui disais que j'avais opté pour telle solution de logement partagé avec des proches avec lesquels je m'entendais bien, afin de n'être pas astreinte à un travail à plein temps pour assurer un loyer parisien, elle eut un rictus méprisant et me dit : « c'est une solution de facilité ».
J'eus d'abord la pulsion de me défendre, de prouver qu'au contraire, c'était une solution réfléchie, aboutie, même si pas forcément éternelle. Au moment d'ouvrir la bouche pour récriminer, je vis le fiel de son regard, la médiocrité de son visage et je me retins. Allai-je dépenser du souffle, de l'énergie, des mots, de la syntaxe, des expressions faciales pour meubler un quart d'heure de la vie de cette femme ? Alors je dis :
« Oui, c'est ça. J'ai vu que la vie était difficile et je me suis dit, fournir des efforts me pompe l'air, il faut que je trouve la solution de facilité ».
Elle écarquilla les yeux et la bouche, révulsée de mon absence de honte de moi. « Et tu crois que c'est bien, de se rabattre sur des solutions de facilité ? Il faut être exigent dans la vie. Tout le monde fournit des efforts, et toi tu choisis la solution de facilité ? »
En mon cœur, la haine bouillait tellement que j'ai éteint le feu. Autant de haine, c'est à dire autant de sentiment pour une femme qui ne m'intéresse pas et qui nuisait à mon bien-être ? Non, c'était inutile. J'allongeais mes jambes, appuyais mon dos sur le dos du fauteuil, reprenais une gorgée du whisky que l'homme que j'étais venue voir, ce héros (il la supporte au quotidien) m'avait généreusement servi, et je répétais, un peu lascive : « Ouais, je choisis la solution de facilité. Ça me fait chier de me faire chier ».
Son visage, cette fois, fit le chemin inverse : ses yeux se plissèrent, sa bouche se ferma, de petits plis piqués formèrent une expression revêche. Elle ressemblait à un oxymore : hautaine sans hauteur. Nous la quittâmes et sortîmes dîner dans le quartier. J'oubliais momentanément cette conversation déplaisante ; pourtant, elle revint la nuit suivante, me hanta les jours d'après.
C'est ainsi que l'idée de la solution de facilité m'est venue, sans la chercher, au cours d'un conflit de petite taille qui m'a ouvert une porte.
Car, les jours suivants, je m'interrogeais, je sondais les gens que je rencontrais, je voulais savoir : au fond, sur le plan moral, spirituel, sociétal, sur tous les plans de la vie, est-il vraiment abject d'opter pour la solution de facilité ? Que lui reproche-t-on, à la facilité ? Que reproche-t-on en outre à une solution ?
J'ai trouvé beaucoup de gens pour me dire que la difficulté était mère de toutes les vertus et la facilité mère de tous les vices, mais jamais un argument n'accompagnait leur sentence vertueuse. J'ai observé autour de moi les gens qui menaient une vie pénible et pleine d'efforts, et ceux qui se la coulaient douce, et n'ai pas trouvé de corrélation entre la première voie et la vertu, pas plus qu'entre la seconde et le vice.
Il m'a semblé alors que, réellement, la facilité peut être une solution, de même que la meilleure solution peut être la plus facile. C'est comme ça que m'est venue l'idée de prendre une vie sabbatique.
Je ne savais pas alors à quel point j'aurais à fournir d'efforts de réflexion, de formulation, de recherche, de tâtonnements, de développement personnel, de quête spirituelle, de tentatives professionnelles avant d'aboutir à l'orée d'un univers où, oui, la solution de facilité est possible.
Je ne savais pas alors à quel point la solution de facilité nécessite autant d'efforts de création, efforts qui ne ressemblent pas assez aux efforts scolaires pour être accessibles à ceux qui la méprisent autant, embourbés qu'ils sont dans leur application à l'effort sans cesse recommencé, à l'effort imposé par le monde extérieur. La route de la vie sabbatique est longue, et je n'ai pas encore atteint le rivage du paradis, mais je crois que cette quête vaut la peine.
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dimanche, 12 janvier 2014
18 juillet 1573. Véronèse comparaît devant la Sainte Inquisition
Véronèse avait livré son tableau - une commande des Dominicains vénitiens de San Giovanni - représentant La Cène ; quelque temps plus tard, l'Inquisition invita les commanditaires à exiger de Véronese une modification, qui consistait à remplacer un personnage de chien par Sainte Marie-Madeleine. Le peintre refusa.
Il fut convoqué au tribunal de l'Inquisition. En effet, il avait pris des libertés avec la vérité historique, c'est-à-dire le texte de la Bible, pour ajouter des personnages fantasques (un fou, un perroquet, des chiens, des nains), personnages qui éloignaient le tableau d'une représentation de la vérité tout en pointant les imperfections de la Création divine, soulignant mesquinement que Dieu avait aussi créé les nains et les fous. Par ailleurs, les hommes armés du tableau portaient un uniforme qui rappelait celui des hommes du Saint Empire germanique, l'ennemi allemand. Enfin, comble de l'insolence, Véronèse a représenté les visages de confrères (Dürer, le Titien, le Tintoret, Bassano, et même ses propres traits) sur les personnages du tableau.
Au terme du procès, Véronèse fut obligé de modifier le tableau et de changer son titre. Ce n'était plus la Cène, événement fondamental de l'Evangile, fondateur de la messe et cœur du catholicisme, mais Le repas chez Levi, scène non moins évangélique, mais plus triviale, dans laquelle Matthieu (alias Lévi) festoie chez lui avec des amis.
Ci-dessous, nous reproduisons un extrait de son procès.
Le juge. — Avez-vous connaissance des raisons pour lesquelles vous avez été appelé ?
Le peintre. — Non.
Le juge. — Vous imaginez-vous quelles sont ces raisons ?
Le peintre. — Je puis bien me les imaginer.
Le juge. — Dites ce que vous pensez à cet égard.
Le peintre. — Je pense que c’est au sujet de ce qui m’a été dit par les Révérends Pères, ou plutôt par le prieur du couvent des saints Jean et Paul, prieur de qui j’ignorais le nom, lequel m’a déclaré qu’il était venu ici, et que Vos Seigneuries Illustrissimes lui avaient commandé de devoir faire exécuter dans le tableau une Madeleine au lieu d’un chien, et je lui répondis que fort volontiers je ferais tout ce qu’il faudrait faire pour mon honneur et l’honneur du tableau ; mais que je ne comprenais pas que cette figure de la Madeleine pût bien faire ici, et cela pour beaucoup de raisons que je dirai aussitôt qu’il me sera donné occasion de les dire.
Le juge. — Quel est le tableau dont vous venez de parler ?
Le peintre. — C’est le tableau représentant la dernière cène que fit Jésus-Christ avec ses apôtres dans la maison de Simon.
Le juge. — Où se trouve ce tableau ?
Le peintre. — Dans le réfectoire des frères des saints Jean et Paul.
Le juge. — Est-il à fresque, sur bois ou sur toile?
Le peintre. — Il est sur toile.
Le juge. — Combien de pieds mesure-t-il en hauteur ?
Le peintre. — Il peut mesurer dix-sept pieds.
Le juge. — Et en largeur ?
Le peintre. — Trente-neuf environ.
Le juge. — Dans cette cène de Notre-Seigneur, avez-vous peint des gens ?
Le peintre. — Oui.
Le juge. — Combien en avez-vous représenté, et quel est l’office de chacun ?
Le peintre. — D’abord le maître de l’auberge, Simon; puis, au-dessous de lui, un écuyer tranchant, que j’ai supposé être venu là pour son plaisir et voir comment vont les choses de la table. Il y a beaucoup d’autres figures, que je ne me rappelle d’ailleurs point, vu qu’il y a déjà longtemps que j’ai fait ce tableau.
Le juge. — Avez-vous peint d’autres cènes que celle-là ?
Le peintre. — Oui.
Le juge. — Combien en avez-vous peint, et où sont-elles ?
Le peintre. — J’en ai fait une à Vérone pour les révérends moines de Saint-Lazare; elle est dans leur réfectoire. Une autre se trouve dans le réfectoire des Révérends Pères de Saint-Georges, ici, à Venise.
Le juge. — Mais celle-là n’est pas une cène, et ne s’appelle d’ailleurs pas la Cène de Notre-Seigneur.
Le peintre. — J’en ai fait une autre dans le réfectoire de Saint-Sébastien, à Venise, une autre à Padoue, pour les Pères de la Madeleine. Je ne me souviens pas d’en avoir fait d’autres.
Le juge. — Dans cette cène que vous avez faite pour Saints-Jean-et-Paul, que signifie la figure de celui à qui le sang sort par le nez ?
Le peintre. — C’est un serviteur qu’un accident quelconque a fait saigner du nez.
Le juge. — Que signifient ces gens armés et habillés à la mode d’Allemagne, tenant une hallebarde à la main ?
Le peintre. — Il est ici nécessaire que je dise une vingtaine de paroles.
Le juge. — Dites-les.
Le peintre. — Nous autres peintres, nous prenons de ces licences que prennent les poètes et les fous, et j’ai représenté ces hallebardiers, l’un buvant et l’autre mangeant au bas de l’escalier, tout près d’ailleurs à s’acquitter de leur service; car il me parut convenable et possible que le maître de la maison, riche et magnifique, selon ce qu’on m’a dit, dût avoir de tels serviteurs.
Le juge. — Et celui habillé en bouffon, avec un perroquet au poing, à quel effet l’avez-vous représenté dans ce tableau ?
Le peintre. — Il est là comme ornement, ainsi qu’il est d’usage que cela se fasse.
Le juge. — A la table de Notre-Seigneur, quels sont ceux qui s’y trouvent ?
Le peintre. — Les douze Apôtres.
Le juge. — Que fait saint Pierre, qui est le premier ?
Le peintre. — Il découpe l’agneau pour le faire passer à l’autre partie de la table.
Le juge. — Que fait celui qui vient après?
Le peintre. — Il tient un plat pour recevoir ce que saint Pierre lui donnera.
Le juge. — Dites ce que fait le troisième ?
Le peintre. — Il se cure les dents avec une fourchette.
Le juge. — Quelles sont vraiment les personnes que vous admettez avoir été à cette cène ?
Le peintre. — Je crois qu’il n’y eut que le Christ et ses apôtres; mais lorsque, dans un tableau, il me reste un peu d’espace, je l’orne de figures d’invention.
Le juge. — Est-ce quelque personne qui vous a commandé de peindre des Allemands, des bouffons et autres pareilles figures dans ce tableau ?
Le peintre. — Non, mais il me fut donné commission de l’orner selon que je penserais convenable ; or, il est grand et peut contenir beaucoup de figures.
Le juge. — Est-ce que les ornements que vous, peintre, avez coutume de faire dans les tableaux ne doivent pas être en convenance et en rapport direct avec le sujet, ou bien sont-ils ainsi laissés à votre fantaisie, sans discrétion aucune et sans raison?
Le peintre. — Je fais les peintures avec toutes les considérations qui sont propres à mon esprit et selon qu’il les entend.
Le juge. — Est-ce qu’il vous paraît convenable, dans la dernière cène de Notre Seigneur, de représenter des bouffons, des Allemands ivres, des nains et autres niaiseries ?
Le peintre. — Mais non…
Le juge. — Pourquoi l’avez-vous donc fait ?
Le peintre. — Je l’ai fait en supposant que ces gens sont en dehors du lieu où se passait la cène.
Le juge. — Ne savez-vous pas qu’en Allemagne et autres lieux infestés d’hérésie, ils ont coutume, avec leurs peintures pleines de niaiseries, d’avilir et de tourner en ridicule les choses de la sainte Église Catholique, pour enseigner ainsi la fausse doctrine aux gens ignorants ou dépourvus de bon sens ?
Le peintre. — Je conviens que c’est mal , mais je reviens à dire ce que j’ai dit, que c’est un devoir pour moi de suivre les exemples que m’ont donnés mes maîtres.
Le juge. — Qu’ont donc fait vos maîtres? Des choses pareilles peut-être?
Le peintre. — Michel-Ange, à Rome, dans la chapelle du Pape, a représenté Notre-Seigneur, sa mère, saint Jean, saint Pierre et la cour céleste, et il a représenté nus tous les personnages, voire la Vierge Marie, et dans des attitudes diverses que la plus grande religion n’a pas inspirées.
Le juge. — Ne savez-vous donc pas qu’en représentant le jugement dernier, pour lequel il ne faut point supposer de vêtements, il n’y avait pas lieu d’en peindre ? Mais dans ces figures, qu’y a-t-il qui ne soit pas inspiré de l’Esprit-Saint ? Il n’y a ni bouffons, ni chiens, ni armes ni autres plaisanteries. Vous paraît-il donc, d’après ceci ou cela , avoir bien fait en ayant peint de la sorte votre tableau, et voulez-vous prouver qu’il soit bien et décent ?
Le peintre. — Non, très-illustres seigneurs, je ne prétends point le prouver, mais j’avais pensé ne point mal faire; je n’avais point pris tant de choses en considération. J’avais été loin d’imaginer un si grand désordre, d’autant que j’ai mis ces bouffons en dehors du lieu où se trouve Notre-Seigneur.
Ces choses étant dites, les juges ont prononcé que le susdit Paul serait tenu de corriger et d’amender son tableau dans l’espace de trois mois à dater du jour de la réprimande, et cela selon l’arbitre et la décision du tribunal sacré , et le tout aux dépens dudit Paul.
Et ita decreverunt omni melius modo.
Pour approfondir :
La censure est de retour, d'Emmanuel Alloa (Magazine du Jeu de Paume, été 2013)
Pour un monde sans respect, d'Yves Bonnardel
Le discours de la servitude volontaire, d'Etienne de La Boétie
Comment Wang Fo fut sauvé, court métrage de René Laloux d'après Yourcenar
Main basse sur la mémoire, les pièges de la loi Gayssot
La déforestation du langage, sur Périphéries
"Lorsqu'ils sont venus chercher Dieudonné" (sur un blog intitulé Descartes)
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jeudi, 09 janvier 2014
Sous les réverbères
M'aurais-tu menti, malheureuse ? Mes textos restaient lettre morte, mes appels tombaient sur la voix métallique du paysage mental de l'opérateur.
Je voulais croire à ton histoire, alors que je hantais les bars à la recherche hasardeuse de joyaux pour tes idées noires...
(Je n'irai jamais vers ces côtés de la ville où les drogues se diffusent dans les verres des noyés. Où les garçons sont retournés, les filles emportées, où les cyniques règnent et persévèrent en souriant. Je voulais juste trouver un moyen de te garder).
Je n'ai voulu que t'embrasser, t'apprivoiser, te vénérer ; mon adorée, je t'ai lassée.
Je t'ai lassée - mais, joie ! je sais toujours danser quand la nuit ressemble à Circé...
Et dans cette aube qui frissonne, j'écoute à nouveau la Chanson du Mal-Aimé.
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mercredi, 08 janvier 2014
Les Basaltiques - critique d'un album musical
Opus en trois chants
Production AlmaSoror
Label Vol libre musica
Composé et réalisé en 2048, par deux musiciens-chanteurs qu’on croyait finis, les Basaltiques est une œuvre musicale d’une durée d’une heure et sept secondes. Les voix erratiques de John Peshran-Boor et Venexiana Atlantica, escaladant leurs instruments sulfureux, nous hissent aux sommets de la musique Beith. L’année précédente, l’alliance entre John Peshran-Boor et Bob Mushran donna un alliage musical dissonant, avec le disque Lactose sidérale. Les deux dieux de la musique Beith se sont fâchés. C’est donc vers la diva Venexiana Atlantica, native de Saint Jean en Ville -la ville blanche, encore nommée ville aux salamandres - que John Peshran-Boor s’est tourné pour continuer sa démarche de cocréation.
L’opus qui résulte de cette collaboration déçoit par son conformisme, et souffre de la comparaison avec Lactose sidérale. Il étonne, cependant, par son son épuré. Les basaltiques est une composition musicale en trois chants, dont voici l’architecture :
Intro Minérale
Chant I
Marées
Chant II
Latitudes
Chant III
Fort Bastiani
Finale de l’aurore
Nous donnerons au-dessous de cet article l’architecture complète des Basaltiques, œuvre à cheval entre le roman musical et la symphonie pour instruments et voix.
Parmi les grands moments des Basaltiques, il faut citer le long duo - qu’on pourrait appeler duel - entre la batterie et la flûte à bec, qui précède le chant citadelle, dans la partie III Fort Bastiani.
L’ouverture du chant II Latitudes constitue également un moment d’anthologie, dans la version enregistrée par Venexiana Atlantica elle-même. Elle émaille en effet son chant de notes harmoniques, qui ressemblent à des chants d’oiseaux. Ceci nous rappelle qu’au-delà des scandales que cette chanteuse a pu soulever, par exemple en exigeant que l’administration et la communauté humaines reconnaissent son adoption par le chien husky Stacyo, faisant d’elle l’enfant légitime d’un chien, ou encore en payant des tueurs à gages pour assassiner son ex-amante Sofia Sombreur-Noir, afin de se venger d’une infidélité, au-delà donc des scandales dont elle a gratifié les masses humaines ahuries par ses frasques, il ne faut jamais oublier l’artiste, c’est-à-dire la compositrice de Beith et la chanteuse à la voix éblouissante qui n’a cessé de repousser les limites de la voix et du souffle, nous offrant le vibrato le plus long et tremblant du monde.
Dans le chant I Marées, le morceau Autel apparaît irréel, miracle de simplicité où piano acoustique et voix se cherchent et se trouvent en une comptine si naïve qu’on oublie le temps d’une chanson que John Peshran-Boor et la diva Venexiana sont les auteurs de l’œuvre.
Les interludes sont tous très intéressants compositalement - et c’est le Finale de l’aurore qui atteint les sommets avec ses contrastes entre les envolées de flûtes à bec, flûtes traversières, chants harmoniques et violons tandis qu’en bas planent, au-dessus des enfers, les lourdeurs sauvages des contre-harpes, du basson et des basses électriques agrémentés de batterie et de volutes de fumée électro-pianistiques.
Venexiana Atlantica s’est retirée de la scène au mois de Ventôse, après le premier concert des Basaltiques, qui eut lieu à Buenos Aires. Personne ne peut expliquer la raison exacte de cet adieu à la gloire.
On sait que, la nuit qui suivit le concert, elle ne dormit pas. Sur la terrasse de sa chambre de grand luxe, elle parcourut le quatuor de Los Angeles, c’est-à-dire ces quatre romans de James Ellroy : Le Dalhia noir, le Grand Nulle Part, L.A. Confidential et White Jazz. Elle annonça au petit-déjeuner son intention de se cloîtrer au couvent de Santa Catalina, dans la ville d’Arequipa, au Pérou. Depuis l’édification des murailles hautes de Saint Jean en Ville, elle ne vivait qu’avec des billets d’avion toujours prêts pour se rendre en urgence à Arequipa ou à Alger-Centre, deux villes blanches qui lui rappelaient sa ville natale, et, seules, calmaient ses angoisses d’étouffement.
John Peshran-Boor s’est donc trouvé, en la personne de Lilas L.S. Snuk, une interprète pour les Basaltiques. Lilas Snuk donne un ton nouveau aux Basaltiques, avec sa voix mitigée, marmoréenne, un peu rauque.
Du duo original il nous reste un enregistrement. C’est vers lui qu’il faudra se tourner pour puiser à la source inspiratrice initiale de l’œuvre, même si Lilas L.S. Snuk a su l’enrichir en l’interprétant.
Edith de Cornulier-Lucinière, pour AlmaSoror
NOTA BENE :
Les basaltiques est une composition musicale en trois chants, dont voici l’architecture :
Intro Minérale
Chant I Marées
Chant II Latitudes
Chant III Fort Bastiani
Final de l’aurore
Chacun de ces chants contient trois chants, ainsi :
Chant I Marées
Séjour lunaire
Funboard
Autel
Chant II Latitudes
Le van
Venise
Les étoiles parachèvent
Chant III Fort Bastiani
Citadelle
L’ange du mal
L’ennemi
Attention ! L’opus compte également une intro, un final et deux interludes.
Voici donc le plan complet de l’œuvre :
Intro minérale
Chant I Marées
Séjour lunaire
Funboard
Autel
Interlude 23 KFL-8000
Cimetière marin
Chant II Latitudes
Le van
Venise
Les étoiles parachèvent
Interlude 20 KFL-9000
(évangile)
Chant III Fort Bastiani
Citadelle
L’ange du mal
L’ennemi
Finale de l’aurore
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mercredi, 11 décembre 2013
Le flot urbain
Jean Bouchenoire, frère égaré dans des zones mentales, sans ozone imaginaire, nous autorise à publier quelques extraits de son roman Baksoumat.
Année 1969. Un vieux village de l'Île de France mourait sous le déversoir des camions de béton : des maisons d'un âge désuet, qui avaient vu naître et mourir des générations familiales à travers les décennies, tombaient sous les coups, pour être remplacées par de hautes tours de béton et de fer. Les possesseurs de ces anciennes maisons recevaient un petite somme qui ne comblait pas la perte de leur histoire, de leur région, de leur village, et qui ne leur permettait même pas de s'acheter une autre maison. Aussi étaient-ils relogés dans un appartement d'une de ces tours.
Ces immeubles s’élevaient dans la satisfaction des architectes et des hommes politiques, fiers de bâtir ainsi la grande œuvre du XXème siècle : la civilisation universelle, où les flux de routes longent des champs de tours capables d’abriter des centaines d’habitations. En échange de la disparition des villages, des familles et des coutumes locales, en échange de la mort des cerfs, des sangliers, des chevreuils, des oiseaux de l’Île de France, des villes nouvelles traduiraient la Déclaration des Droits de l'Homme et du citoyen en réalité.
En dépit de la destruction du pittoresque, une croyance lumineuse interdisait toute plainte : l’espoir qu’enfin meurent les patries figées, refermées sur leur histoire locale, au profit du rassemblement de l’humanité. Comment regretter des maisons, et leurs humbles histoire, des rivières, et leurs cours discret entre des bois méconnus, des plantes, et leur charme ignoré, des allées, et leurs passants oubliés, des histoires particulières, si jolies soient elles, quand c’était le chant de l’avenir qui se dressait, certes laid comme un adolescent boutonneux aux proportions déséquilibrées par la croissance, mais chargé d'énergie nouvelle ?
Jean Bouchenoire, In BAKSOUMAT
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jeudi, 21 novembre 2013
tout change, les mœurs, les dieux, la langue, les maîtres
Il signa Khou-Mi ; on croit savoir qu'il s'appelait Jules Boissière. Il mourut à trente-quatre ans, au mois d'août de l'année 1897, à Hanoï.
Ce fragment des Propos d'un intoxiqué nous initie à son style littéraire relevant d'un Parnasse des colonies.
Il nous rappellera peut-être, à nous, AlmaSororiens, les fulgurances de la Noire idole ou encore d'autres expériences psychédéliques. A moins que nous ne préférions les substances des bars de Caracas. Mais quelle fuite ne se termine pas au confessionnal du cœur ?
«Depuis une semaine, je délaisse les bouquins longtemps étudiés : j'évoque les plus étranges souvenirs, à travers les magies de l'opium.
En amont de Hué, un matin, nous allions à travers des cours immenses : sur les murs de pierre, une haute futaie faisait déborder ses frondaisons ; des éléphants de calcaire formaient la haie, alternant avec des Titans hécatonchires et des guerriers. Nous arrivions, par de larges escaliers, à des salles que supportaient des charpentes de teck, tordues en chimères, en dragons, en guivres furieuses ; on eût juré que tout cela allait s'animer, ramper, siffler, et se tordre en d'épouvantables combats.
Mais non, tout était mort ; dans les jardins, des ponts de pierre enjambaient de vastes fossés, d'une seule arche ; et de silencieux bonzes y passaient sans daigner nous voir.
... Sous un dôme de granit se dresse une pyramide de marbre ; des caractères d'or y narrent les exploits de S. M. Minh-mang, l'organisateur génial des provinces reconquises par le demi-dieu Gia-long – Minh-mang, le dur dévot, le vieux maître rageur. Il repose près d'ici, et son orgueil se survit dans ce roc érigé pour l'éternité. Sa gloire, célébrée sur le bronze et sur le granit, s'impose à la Terre, tandis que le Roi mort a sa place, comme haut fonctionnaire, à la cour de l'Empereur céleste Ngoc-Hoang.
L'atmosphère de l'obscure pagode où nous entrons, lourde d'encens, prédispose aux hallucinations étranges ; et voici que dans la nuit profonde où scintillent des points de feu, une main inconnue soulève une tenture de soie jaune : deux formes vagues apparaissent près d'un autel. Des prêtres ? non, des femmes en suaire blanc, quelque fantomatique apparition d'outre-tombe.
Elles psalmodient à mi-voix, et j'entends des paroles, tristes comme un regret.
Oh ! ces femmes ! comme elles sont vieilles, les doigts fluets, le visage émacié ! Leur voix claire et tremblante tinte comme un bris de cristal. Et tandis que je me crois le jouet d'une vision, notre guide me souffle à l'oreille : « Regardez ce que vous ne verrez plus jamais : les dernières épouses de Minh-mang ! »
Pendant cinquante ans et plus, elles ont prié dans leur solitude pour celui qui fut le Maître et qui fut l'Époux ; Thieu-tri et Tu-duc sont passés, et après eux passa le triste défilé des rois fantômes, Duc-duc, Hiep-hoa, Kien-phuoc : immuablement fidèles, elles ont prié, devant cette procession d'ombres vaines, elles ont attesté l'immortalité de Minh-mang. Sur cette terre où depuis quelques années tout change, les mœurs, les dieux, la langue, les maîtres, seules elles n'ont pas changé ; tandis que des millions d'êtres en ce demi-siècle ont multiplié leurs génuflexions devant tant d'idoles, elles ont tout oublié, tout ignoré, pour le mort qui, pour elles, comme en elles, vit toujours.
Quand elles disparaîtront à leur tour, il survivra quelque chose de leur amour et de leur prière, qui planera comme un vague parfum d'encensoir dans la lourde atmosphère, sous la crypte sombre où lampes s'éteindront enfin».
Khou-Mi, IN Propos d'un Intoxiqué
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lundi, 18 novembre 2013
Saba
J'écoute une douce musique américaine, d'un de ces nombreux princes versatiles de la ville de New York. Dehors, la nuit est déjà tombée : l'automne s'enfonce vers l'hiver. Quelques fenêtres forment des rectangles oranges ou jaunes, à cause des lumières intérieures qui les éclairent. Le reste de la cour, de la façade, est plongé dans les ténèbres. Je suis à moitié allongée sur mon lit. J'ai une vision métaphysique que je tente de faire passer en respirant profondément. A l'autre bout de la maison, ma mère déchire du papier dans son bureau en face de la cuisine. Quand je lève la tête, je m'amuse, moi à discerner les gravures mignonnes et grossières de ma petite armoire bretonne. Je lis un livre intitulé L'art religieux du XII° siècle au XVIII° siècle, publié en 1945 par l'historien de l'art Émile Mâle. En voici un fragment, qui raconte un peu la belle et mystérieuse reine de Saba.
"Au portail de l'église Saint-Bénigne de Dijon, qui ne nous est connu que par un dessin de Dom Plancher, on retrouvait le Christ apocalyptique et les grandes statues ; près des rois bibliques on voyait une reine.
Cette mystérieuse reine va, cette fois, nous livrer son secret. En étudiant le dessin de cette figure, on remarque un détail, qui semblerait incroyable, si des témoignages anciens ne le confirmaient : la reine du portail de Saint-Bénigne avait un pied d'oie. L'artiste de Dijon avait donc représenté cette fameuse reine Pédauque, qui n'était autre que la reine de Saba.
L'imagination juive et l'imagination arabe travaillèrent longtemps sur la reine de Saba. L'Orient lui créa une légende romanesque, où les djinns ont leur rôle. Sur l'ordre de Salomon, ils apportent à Jérusalem le trône d'or de la reine, qui le reconnaît avec surprise dans le palais du roi. Salomon la reçoit dans une salle au pavé de cristal : la belle reine, se croyant au bord de l'eau, relève sa robe et laisse voir ses pieds hideux. La légende orientale parle de pieds d'âne, la légende occidentale, de pieds d'oie. Dès le XII° siècle, un texte qui s'est conservé dans un manuscrit allemand nous représente la reine de Saba avec un pied d'oie. On ne trouve pas de texte aussi ancien en France, mais la statue de Dijon prouve qu'au XII° siècle la tradition y était parfaitement connue. Il se pourrait que cette reine au pied d'oie eût été représentée pour la première fois par les ateliers toulousains, car on voyait encore, du temps de Rabelais, une image de la reine Pédauque à Toulouse ; on y montrait son palais et ses bains, et on associa longtemps sa légende à celle de la jeune princesse Austris, baptisée par Saint Sernin.
La reine au pied d'oie du portail de Dijon était donc, on n'en saurait douter, la reine de Saba. Et il devient non moins certain que la statue de roi, qui lui faisait face, représentait Salomon ; c'est David, sans doute, qui l'accompagnait. Pourquoi la reine de Saba avait-elle été figurée dans la compagnie des héros de l'Ancienne Loi et des apôtres de la Loi Nouvelle ? C'est que, suivant la doctrine du moyen âge, elle symbolisait le monde païen venant au Christ, elle préfigurait ces Mages qui, comme elle, cherchaient le vrai Dieu. Or, le Voyage et l'Adoration des Mages étaient précisément représentés au linteau de Saint-Bénigne."
Extrait de L'art religieux du XII° siècle au XVIII° siècle, d’Émile Mâle.
D'Emile Mâle, sur AlmaSoror, on avait aussi les étoffes de pierre...
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jeudi, 14 novembre 2013
Extrait II du journal de Baude Fastoul de Kevin de M-L
16 novembre 2012
Je découvre l'histoire de Lizzie van Zyl, qui me fait comprendre à quel point Anglais et Américains ont créé les horreurs dont ils accusent les autres en permanence. Faut-il plonger dans le vertige face à l'horreur des souffrances qu'on inflige aux enfants, aux animaux, aux êtres ? Ou bien fermer les écoutilles et vivre la meilleure vie possible sans se laisser abattre par l'enfer qui nous frôle ? Christ, qu'en dis-tu ? Comment interpréter tes actes ?
La morale est-elle possible ? Ou bien le monde n'est-il qu'une suite de souffrances répétées ? Faut-il « se battre » pour une amélioration du monde ? Ou bien simplement prier et purifier son propre cœur ?
Enfants qui êtes nés pour subir les sévices d'êtres pour lesquels vous n'étiez qu'amour et générosité, bêtes qui ne comprenez pas qu'on vous transforme en chairs souffrantes et affolées, êtres de toutes sortes, abattus dans leur vol, puis mourant lentement au sol, dans l'incompréhension et le mépris... Quel est votre message ? Existez-vous ? Ne sommes-nous, les uns les autres, que les images de notre propre cauchemar ? Quel pouvoir avons-nous sur notre propre vie, sur la vie de celui qui est à côté de nous ? Est-il réellement possible de sauver quelqu'un ? Et si cette question existe, alors est-il réellement possible d'assassiner quelqu'un ? Cet éternel pourquoi devant la misère la plus poignante, a-t-il un sens ?
Quel est ce bouge que nous appelons « réalité » ? Et cette phrase qu'une étrange Édith Morning écrivit un jour : "Si j’avais su que les rêves sont réels et le monde illusion, j’aurais inversé ma vision de la liberté et celle de la prison. Mais les menteurs amers disent décriant les images qu’elles sont illusoires, et nous entraînent dans leur " réel " qui n’existe que dans leurs sombres couloirs".
Vérité, as-tu une consistance quelconque, quelque part ?
Kevin de Motz-Loviet
En savoir plus sur la Confrérie de Baude Fastoul
AlmaSoror avait déjà publié un premier extrait du journal de Kevin.
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vendredi, 08 novembre 2013
SDF (Sans Domicile Fixe)
Photographie prise vers sept heures du soir, en octobre 2013, sur le boulevard Edgar Quinet.
Un passant me regarde appuyer sur mon téléphone et me dit :
- Les Français tombent comme des mouches.
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vendredi, 01 novembre 2013
Etoffes de pierre
Je l'avais retrouvée dans la rue d'Aboukir, elle m'avait emmenée manger un sandwich au chèvre, au miel et au pesto, accompagné d'un coca cola et suivi d'un fromage blanc aux marrons. Et puis nous avions erré quelques temps dans un passage des Grands Boulevards, je ne sais plus lequel. J'étais repartie en portant dans mon sac quelques livres achetés dans une librairie d'ouvrages anciens. Il faisait frais ; pas encore froid. On était au début du mois d'octobre. Paris ne me fascinait plus depuis longtemps : trop gris, trop sale, trop brutal. Pourtant, quelque chose de l'atmosphère de ce jour m'est resté - quelque chose de nostalgique.
J'ai attendu un peu avant d'ouvrir l'Art religieux du XII au XVIII°siècle, d’Émile Mâle.
En voici un extrait :
"A chaque instant les monuments romans nous émeuvent par d'étranges symboles chargés de siècles. Un tailloir du cloître de Moissac est décoré d'une suite d'aigles à deux têtes ; le même aigle à deux têtes reparaît, sur un montant, au portail de l'église de Civray (Vienne) et sur un chapiteau de l'église Saint-Maurice de Vienne. Nous voici emportés par l'imagination jusqu'au berceau du monde, jusqu'à l'antique Chaldée. C'est qu'en effet un très ancien cylindre chaldéen nous montre, pour la première fois, l'aigle à deux têtes, et on y a vu le blason d'une des villes les plus antiques de la Chaldée, Sirpoula. C'est un grand aigle, une sorte d'oiseau rok des Mille et une nuits, qui pose chacune de ses serres sur le dos d'un lion. Dans l'art du vieil Orient, l'aigle est l'oiseau noble qui accompagne le roi, qui dompte le lion, qui aide l'Hercule chaldéen dans sa lutte contre les monstres. Cette image avait pour les peuples de l'Asie une signification religieuse et une vertu, car nous la retrouvons, bien des siècles après, chez les Hittites. Ce grand peuple des Hittites, que connaît la Bible, à qui Salomon demanda plusieurs de ses femmes, occupa longtemps la Syrie et les plateaux de l'Asie Mineure. Il reçut son art de la vallée du Tigre et de l'Euphrate, et les rudes monuments qu'il a laissés en Cappadoce reportent sans cesse la pensée vers la Chaldée. C'est en Cappadoce, sur les rochers de Ptérium, que l'on voit sculpté l'aigle à deux têtes avec une proie sous chacune de ses serres. L'aigle à deux têtes ne disparut pas de ces régions, car on le voit encore aujourd'hui sur les tours musulmanes de Diarbékir, l'antique Amida. Les Turcs Seldjoucides le sculptèrent sur la porte de Konia, leur capitale, et semblent l'avoir mis de bonne heure sur leurs étendards. - Comment se vieux symbole de l'Orient est-il venu jusqu'à nous ?
Par les tissus, comme d'ordinaire. Une étoffe de Sens (qui n'est plus qu'un lambeau) est ornée d'aigles à deux têtes dessinés en jaune sur un fond de pourpre violette ; c'est une étoffe byzantine du IX° ou du X° siècle, qui reproduit sans aucun doute un ancien modèle sassanide. Un suaire célèbre de Périgueux est décoré de la même manière. La Mésopotamie gardait fidèlement la même image, car, au XIII° siècle, on voit reparaître l'aigle à deux têtes sur une étoffe de Bagdad : là, l'aigle bicéphale est enfermé dans un écusson, et l'on croirait voir le blason des empereurs d'Allemagne. C'est de l'Orient, en effet, on n'en saurait douter, qu'est venu ce blason ; il fut emprunté aux tissus orientaux et peut-être aux étendards musulmans. Chose étonnante, les Turcs purent voir à Lépante, sur les vaisseaux de don Juan d'Autriche, l'aigle à deux têtes qui avait jadis orné leurs drapeau ; mais le vieil aigle de la Chaldée, qui les avait jadis fait vaincre, se tournait maintenant contre eux. On voit quelle part a prise l'antique Chaldée non seulement à la création de l'art décoratif, mais à la création de l'art héraldique du moyen âge...
Il ne saurait être question maintenant de chercher le sens symbolique des lions affrontés, des oiseaux aux cous entrelacés, des aigles à deux têtes, qui ont tant préoccupé nos devanciers. Saint Bernard avait cent fois raison ; il est devenu évident que les monstres des chapiteaux - à quelques exceptions près -, n'ont aucun sens. Ils n'étaient pas destinés à instruire, mais à plaire. Saint Bernard jugeait ces fantaisies puériles et risibles : qu'eut-il dit, s'il eût su, comme nous le savons aujourd'hui, que ces monstres étaient le legs des vieux paganismes de l'Asie, et qu'ils mettaient sous les yeux du chrétien des génies, des démons, des idoles ? Il eût sans doute tonné, comme le prophète, contre les faux dieux.
Pour nous qui savons mieux l'histoire, nous ne jugeons pas risibles, comme le grand docteur, les monstres de nos chapiteaux. Ils nous paraissent, au contraire, merveilleusement poétiques, chargés, comme ils le sont, des rêves de quatre ou cinq peuples qui se les transmirent les uns aux autres pendant des milliers d'années. Ils introduisent dans l'église romane la Chaldée et l'Assyrie, la Perse des Achéménides et la Perse des Sassanides, l'Orient grec et l'Orient arabe. Toute l'Asie apporte ses présents au christianisme, comme jadis les Mages à l'Enfant".
Extrait de l'Art religieux du XII° au XVIII° siècle, d’Émile Mâle
Sur la lecture des arts religieux, AlmaSoror avait publié ce beau commentaire d'Albert Pomme de Mirimonde, sur une vanité...
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lundi, 28 octobre 2013
La grande cohorte des âmes qui attendent
Ce billet est dédié à la mémoire d'une dame qui s'appelait Anne et que les enfants appelaient Mamé. Lorsqu'elle descendait les escaliers de la vieille maison glacée, les soirs d'hiver, apeurée par la tempête qui faisait claquer les volets, elle entendait des voix lointaines gémir : "priez pour nous... priez pour nous". C'étaient les âmes du Purgatoire, pour lesquelles elle égrenait des chapelets jusque très tard dans la nuit, à la lueur vacillante d'une lampe à pétrole.
Dans cette maison, il reste, poussiéreux sur une bibliothèque mangée par les mulots, un livre qui donne la clef de ce fait mystérieux.
Ce livre s'appelle Le Grand Moyen de la Prière.
Un extrait de l'ouvrage Le grand moyen de la prière,
de Saint Alphonse de Liguori (XVII° siècle)
Autre sujet de controverse : Y a-t-il lieu de se recommander aux âmes du Purgatoire ?
Certains répondent qu'elles ne peuvent pas prier pour nous. Ils s' appuient sur l'autorité de saint Thomas pour qui ces âmes, se purifiant au milieu des souffrances, nous sont inférieures et, de ce fait, elles ne sont point « intercesseurs, mais bien plutôt des gens pour qui l'on prie ». Cependant beaucoup d'autres docteurs, tels que Bellarmin, Sylvius, le Cardinal Gotti, etc... affirment le contraire comme très probable : on doit pieusement croire que Dieu leur fait connaître nos prières afin que ces saintes âmes prient pour nous, en sorte qu'il se fasse entre elles et nous un bel échange de charité : nous prions pour elles et elles prient pour nous. Ce qu'a écrit le Docteur Angélique, à savoir qu'elles ne sont pas en situation de prier, n'est pas absolument contraire à cette dernière opinion, comme le font remarquer Sylvius et Gotti : autre chose, en effet, est de ne pas être à même de prier par situation et autre chose de ne pas pouvoir prier. Ces saintes âmes ne sont pas habilitées à prier de par leur situation, c'est vrai, parce que, comme dit saint Thomas, elles sont là en train de souffrir, elles sont inférieures à nous et elles ont besoin au plus vite de nos prières. Elles peuvent pourtant fort bien prier pour nous parce que ce sont des âmes amies de Dieu. Si un père qui aime tendrement son fils le tient enfermé pour le punir de quelque faute, ce fils n'est plus alors en situation de prier pour lui-même, mais pourquoi ne pourrait-il pas prier pour les autres et espérer obtenir ce qu'il demande en vertu de l'affection que lui porte son père ? De même les âmes du Purgatoire sont très aimées de Dieu et confirmées en grâce. Rien ne peut leur interdire de prier pour nous. L'Église, c'est vrai, n'a pas coutume de les invoquer et d'implorer leur intercession, parce qu'ordinairement elles ne connaissent pas nos demandes. Mais l'on peut croire pieusement (comme on l'a dit) que le Seigneur leur fait connaître nos prières. Alors, elles qui sont remplies de charité, ne manquent certainement pas de prier pour nous. Quand sainte Catherine de Bologne désirait quelque grâce, elle recourait aux âmes du Purgatoire, et elle se voyait vite exaucée. Elle certifiait que beaucoup de grâces qu'elle n'avait pas obtenues par l'intercession des saints, elle les avait ensuite reçues par l'intercession des âmes du Purgatoire. Que l'on me permette de faire une digression au bénéfice de ces saintes âmes. Si nous voulons obtenir le secours de leurs prières, il est bon que nous-mêmes nous nous efforcions de les secourir par nos prières et nos œuvres. J'ai dit : Il est bon, mais il faut ajouter que c'est là une obligation chrétienne : la charité nous demande, en effet, de secourir le prochain chaque fois qu' il a besoin d' être aidé et que nous pouvons le faire sans que cela nous pèse beaucoup.
Or, il est certain que les âmes du Purgatoire sont aussi notre prochain. Bien qu'elles ne soient plus en ce monde, elles continuent pourtant de faire partie de la communion des Saints. « Car les âmes des justes à la mort, dit saint Augustin, ne sont pas séparées de l'Église ». Saint Thomas le déclare encore plus clairement : la charité qui est due aux défunts passés à l'autre vie en état de grâce est une extension de cette charité que nous devons à notre prochain d'ici-bas : « Le lien de la charité qui unit entre eux les membres de l’Église, n'embrasse pas seulement les vivants, mais aussi les morts qui ont quitté ce monde en état de charité ». Nous devons donc secourir, dans toute la mesure du possible, ces saintes âmes : elles sont aussi notre prochain : et même leurs besoins étant encore plus grands que ceux de notre prochain d'ici-bas, il semble donc que, sous ce rapport, soit encore plus grand notre devoir de leur venir en aide. Or, en quelle nécessité se retrouvent ces saintes prisonnières ? Il est certain que leurs peines sont immenses. Le feu qui les consume, dit saint Augustin, est plus douloureux que toutes les souffrances qui nous puissent affliger en cette vie. « Plus douloureux est ce feu que tout ce que l'on peut avoir à souffrir en cette vie ». Saint Thomas est du même avis et il ajoute que ce feu est identique à celui de l' Enfer. « C' est par le même feu qu' est tourmenté le damné et purifié l'élu ».
Ceci concerne la peine du sens, mais beaucoup plus grande encore est la peine du dam, c'est-à-dire la privation de la vue de Dieu pour ses saintes épouses. Non seulement l'amour naturel mais aussi l'amour surnaturel, dont elles brûlent pour Dieu, poussent ces âmes avec une grande force à vouloir s'unir à leur souverain bien. S'en voyant empêchées par leurs fautes, elles en éprouvent une douleur très amère. Si elles pouvaient mourir, elles en mourraient à chaque instant. Selon saint Jean Chrysostome, cette privation de Dieu les fait souffrir infiniment plus que la peine du sens : « Mille feux de l'enfer réunis ne feraient pas autant souffrir que la seule peine du dam ». Ces saintes épouses préféreraient donc endurer tout autre supplice plutôt que d'être privées, un seul instant, de cette union tant désirée avec Dieu. C'est pourquoi , dit le Docteur Angélique, la souffrance du Purgatoire surpasse toutes les douleurs de cette vie : « Il faut que la peine du Purgatoire excède toute peine de cette vie ». Denis le Chartreux rapporte qu'un défunt, ressuscité par l'intercession de saint Jérôme, dit à saint Cyrille de Jérusalem que tous les tourments de cette terre ne sont que soulagement et délices à côté de la plus petite peine du Purgatoire : « Si l'on compare tous les tourments du monde à la plus petite peine du Purgatoire, ce sont des consolations ». Et il ajoute : « Si quelqu'un avait éprouvé ces souffrances, il préférerait endurer plutôt toutes les peines du monde, subies ou à subir par les hommes jusqu'au jugement dernier, que d'être soumis un seul jour à la plus petite des peines du Purgatoire. Ce qui fait dire à saint Cyrille que ces peines sont les mêmes que celles de l'Enfer quant à leur intensité, la seule différence étant qu'elles ne sont pas éternelles. Les douleurs de ces âmes sont donc très grandes. D'autre part, elles ne peuvent pas se soulager elles-mêmes. Comme le dit Job : « Il les lie avec des chaînes, ils sont pris dans les liens de l'affliction » (Jb 36, 8). Ces saintes Reines sont déjà destinées à entrer dans le Royaume mais leur prise de possession est différée jusqu'au terme de leur purification. Elles ne peuvent pas réussir par elles-mêmes (au moins pleinement, si l'on veut accorder crédit à certains docteurs, selon qui ces âmes peuvent tout de même par leurs prières obtenir quelque soulagement) à se libérer de leurs chaînes, tant qu'elles n'ont pas pleinement satisfait à la justice divine. Un moine cistercien dit un jour, depuis le Purgatoire, au sacristain de son monastère : « Aidez-moi par vos prières, je vous en supplie, parce que de moi-même je ne peux rien obtenir ». Cela est conforme au mot de saint Bonaventure : « Leur état de mendicité les empêche de se libérer », c'est-à-dire que ces âmes sont si pauvres qu'elles n'ont pas de quoi acquitter leurs dettes. Par contre, il est certain et même de foi que nous pouvons soulager ces saintes âmes par nos suffrages personnels et surtout par les prières recommandées dans l'Eglise.. Je ne sais donc pas comment on peut excuser de péché celui qui néglige de les secourir tout au moins par ses prières. Si nous ne nous y décidons pas par devoir, que ce soit au moins à cause du plaisir que nous procurons à Jésus Christ : c'est avec joie qu'il nous voit nous appliquer à libérer ces chères âmes pour qu' il les ait avec lui en Paradis. Faisons-le aussi à cause des grands mérites que nous pouvons acquérir par notre acte de charité à leur égard ; en retour, elles nous sont très reconnaissantes et apprécient le grand bienfait que nous leur accordons, en les soulageant de leurs peines et en leur obtenant d'anticiper leur entrée dans la Gloire. Lorsqu'elles y seront parvenues, elles ne manqueront pas de prier pour nous. Si le Seigneur promet sa miséricorde à ceux qui se montrent miséricordieux envers leur prochain : « Heureux les miséricordieux car ils obtiendront miséricorde » (Mt 5, 7).Ils ont bonne raison d'espérer leur salut ceux qui s'appliquent à aider ces saintes âmes si affligées et si chères à Dieu. Jonathan, après avoir sauvé les Hébreux par sa victoire sur les ennemis fut condamné à mort par son père Saül pour avoir goûté du miel malgré sa défense, le peuple se présenta devant le roi et cria : « Est-ce que Jonathan va mourir, lui qui a opéré cette grande victoire en Israël ? » (1 S 14, 45). Ainsi devons-nous justement espérer que, si l'un d'entre nous obtient par ses prières qu'une âme sorte du Purgatoire et entre au Paradis, cette âme dira à Dieu : Seigneur, ne permettez pas que se perde celui qui m'a délivrée des tourments ! Et si Saül accorda la vie à Jonathan à cause des supplications du peuple, Dieu ne refusera pas le salut éternel à ce fidèle à cause des prières d'une âme, qui est son épouse. Bien plus, selon saint Augustin : Ceux qui auront, en cette vie, le plus secouru ces saintes âmes, Dieu fera en sorte, s'ils vont au Purgatoire, qu'ils soient davantage secourus par d'autres. Observons ici qu'en pratique c'est un puissant suffrage en faveur des âmes du Purgatoire que d'entendre la messe pour elles et de les y recommander à Dieu par les mérites de la passion de Jésus Christ : « Père éternel, je vous offre ce sacrifice du Corps et du Sang de Jésus Christ, avec toutes les souffrances qu'il a endurées durant sa vie et à sa mort ; et par les mérites de sa Passion, je vous recommande les âmes du Purgatoire, particulièrement etc... » Et c'est aussi un acte de grande charité que de recommander aussi en même temps les âmes de tous les agonisants.
Saint Alphonse de Liguori, IN Le grand moyen de la prière
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lundi, 21 octobre 2013
L'absence de valeurs chrétiennes
Dans les années 1960, le Vatican a fait avec la liturgie ce que beaucoup de pays ont fait avec l'architecture et l'urbanisme : destruction d'une grande partie d'un patrimoine multiséculaire et construction hâtive de nouveautés fonctionnelles qui vieillissent mal.
Je ne parlerai pas de ces changements liturgiques : abandon d'une langue universelle, abrègement du rite de la messe, traduction de cette messe abrégée dans les langues vernaculaires. Je parlerai d'erreurs de langage que les catholiques (et autres chrétiens) font souvent, en montrant par ces erreurs inconscientes, mais pas innocentes, qu'ils commettent de grands écarts par rapport à la foi qui devrait être la leur.
En parlant de valeurs chrétiennes, les chrétiens démontrent qu'ils sont entièrement convertis à la pensée laïque. En effet, une valeur est quelque chose de fondé sur la raison et le concensus. Ainsi, les valeurs républicaines n'ont rien d'une vérité révélée par un Dieu ni d'une vérité scientifique déduite après une étude rigoureuse : c'est un consensus humain, né de la réflexion de la communauté des hommes libres qui forment la République. Contrairement à la révélation divine, aux vertus cardinales et théologales, aux commandements, les valeurs ont vocation à être discutées, remises en question, modifiées en fonction de l'avancée de la raison humaine. Or le christianisme est une religion de la transcendance, et ce que cette religion propose, n'a rien de discutable ou de modifiable. Transformer le dogme de la confession chrétienne catholique en valeurs, revient à le trahir.
En parlant de former des élites chrétiennes, les chrétiens démontrent encore qu'ils se sont éloignés du message christique pour adopter des sentiments laïcs et une vision du monde sans religion. L'élite chrétienne, selon la tradition, se compose des âmes sanctifiées, des saints et de ceux qui leur ressemblent, de ceux qui iront directement au paradis sans passer par le purgatoire. En aucun cas, une gent de hauts diplômés, de dirigeants ou de riches ne peut constituer une quelconque élite chrétienne. Tout au plus forment-ils des élites laïques pratiquant la religion chrétienne.
Des valeurs chrétiennes, portées par une élite chrétienne ? Ce serait une hérésie à l'état pur. Il n'y a pas de valeurs chrétiennes, il n'y a que des vertus inaliénables, que la raison peut comprendre, mais qu'elle n'a pas vocation à modifier. Ainsi la foi, l'espérance, la charité, ou encore la communion des saints, l'obligation de ne pas pêcher contre le saint-esprit. Personne, pas le moindre clerc, ne peut prétendre tirer d'une vertu ou d'un commandement, une valeur. Les vertus et commandements sont à pratiquer tels quels, dans leur essence sacrée et n'ont pas à être traduits en comportements laïcs.
Quant à l'élite chrétienne, elle existe certes, mais n'a strictement rien à voir avec l'élite d'une société. Nous verrons au jour du jugement si nous en avons fait partie ou non, de l'élite chrétienne, et ce, que nous soyons trisomiques ou diplômés de l'école polytechnique.
Si dans une église ou dans une revue estampillée catholique, un évêque, même sincère, vous recommande de suivre les valeurs chrétiennes qui portent l'église, vous pouvez être certain que ce pasteur n'a pas beaucoup de chances de vous entraîner vers les portes du ciel.
Edith de CL
Le catholicisme sur AlmaSoror :
Solstice d'été ou la Saint-Jean
Évangélisation et assimilation
Et moi j'écoutais, crevant d'ennui
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L'abbé Suger, maître de l'an 3000
Pleines de grâce : pietas de Rome et du Poiré-sur-Vie
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Familles, fières de vos mensonges
Cœur de pierre, Pierre qui Vire
Chefs de guerre et de religion
Amour d'un homme pour son petit garçon
Attendant la Jérusalem céleste
Je vois les chevaliers traverser les mers
Commentaire de Mirimonde sur une vanité
Ma rencontre avec Anne-Pierre Lallande, chrétien, anarchiste, antispéciste
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dimanche, 29 septembre 2013
L'âge de raison
Voici le poème amoureux, fraternel et protecteur que reçut, le 30 janvier de l'année 1897, une petite fille appelée Anne.
L'auteur de la missive était son oncle, un homme jeune, militaire, qui était parti "dans les pays chauds".
Les étés, dans les châteaux des bords de l'Erdre et de la Loire, l'oncle et la toute petite nièce s'amusaient à jouer qu'ils étaient mariés. La psychanalyse naissait ailleurs en Europe, mais elle mettrait longtemps à franchir les grands salons poussiéreux, aussi l'entourage l'Anne et son oncle, flopée de parents, de cousins, d'oncles et de tantes, de paysans, de domestiques, de voisins, d'artisans, de prêtres et de religieuses, n'y voyaient pas malice.
L'oncle envoyait, le savait-il ? sa dernière lettre à sa toute petite "femme". C'était pour la féliciter de son septième anniversaire. La caresse du soleil, peut-être celle des femmes de mauvaise vie dont il n'avait jamais parlé à Anne, les moustiques et mouches de ces pays si doux et si traitres, en plus d'une éventuelle blessure mal soignée... Il mourut peu après, à l'âge où ses camarades rentraient s'établir en France, leur jeunesse apaisée par les tropiques.
Anne, devenue grande, n'oublia jamais son premier mari.
Sept ans : l'âge de raison
On a sept ans qu'une fois dans sa vie,
Le difficile est d'en bien profiter.
Si à cet âge on vit en étourdie,
Un peu plus tard on peut le regretter.
N'imite pas, Ô petita chérie
De ton mari les écarts malheureux ;
La route hélas ! qu'il a toujours suivie
Lui fit passer des jours bien orageux :
C'est le chemin qui mène à la folie...
Il s'embarqua pour les pays Hovas
Espérant y rencontrer la sagesse ;
Aux pays chauds il ne la trouva pas...
Mais du soleil il reçut la caresse,
Et le cerveau plus troublé que jamais,
Avec toi seule il vivra désormais :
Les temps sont courts, il faut qu'on nous marie :
On a sept ans qu'une fois dans sa vie.
Oncle Georges
30 janvier 1897
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jeudi, 12 septembre 2013
Ange - de l'abandon des chiens
Les abandons de chiens ne sont pas rares et se ressemblent. Le chiot grandit parmi des êtres humains ; il apprend à aimer ces êtres bizarres qui se tiennent debout sur leurs pattes arrière. Un jour, les humains énervés par une bêtise décident d’en finir avec cet aboyeur gênant. Ils le portent à un refuge ou l’attachent à un arbre sur le bord de la route. Le cœur du chien s’emplit de tristesse.
La suite de l’histoire est incertaine. Certains chiens passent toute leur vie dans un chenil. D’autres sont tués. D’autres rencontrent de nouveaux humains qui essaient de les consoler.
Ce chien-là s’appelait Ange. Au bord d’une route, le père l’avait attaché à un poteau électrique, pendant que la mère distrayait les enfants pour qu’ils ne se s’aperçoivent de rien. La voiture était repartie en trombe, et Ange était resté attaché.
Pendant trente jours et trente nuits, les enfants demandèrent où leur ami avait disparu. On leur dit qu’il s’était enfui parce qu’il était tombé amoureux. Mais ils ne le crurent pas. On leur dit qu’il avait trouvé un copain. Mais ils ne le crurent pas. On leur dit que s’ils continuaient à demander, ils recevraient une bonne torgnole.
Ils le crurent.
Après avoir hurlé jusqu’au fond de la nuit, Ange s’écroula de fatigue au pied du poteau, dans le froid de la nuit automnale. Il s’endormit.
Au petit matin, il réussit à détacher la laisse du poteau. Il était seul, au bord de la route déserte : aucun humain, aucune bête ne passait aux alentours. Il s’élança en courant sur la route.
Il partit dans la direction qu’avait prit la voiture de sa famille bien aimée. Son corps, son cœur et son esprit s’accrochaient à cette idée : retrouver ses humains. Peu importait si leur cruauté lui donnait une douleur insupportable.
A bout de souffle, le corps meurtri, il courut sur le bord de l’autoroute depuis l’aube jusqu’au soir.
Au bout de cette course effrénée, il aperçut quelque chose de magnifique dans le ciel lointain. C’était le soleil, qui voulait se coucher, et s’installait confortablement sur l’horizon. Une tâche rouge traversa l’astre fatigué, comme un sourire, et Ange crut que le soleil l'invitait à venir dormir auprès de lui. Ému, il reprit une dernière fois son souffle, et courut vers ce grand frère jaune. L’horizon ressemblait à un lit, douillet et moelleux. Ange se dépêchait, et songeait que lorsqu’il serait au creux de ce lit, tout au bout du ciel, il pourrait boire un peu d’océan et manger des nuages. Il courut de plus en plus vite, chargé d’espoir.
Quand il vit qu’un grand chien attendait dans le soleil, et frétillait de la queue en le voyant venir, prêt à jouer, il sentit une joie chaude envahir son cœur. Cela lui donna des ailes, à lui qui courait depuis l’aube.
Heureux, dans un dernier élan, Ange plongea dans le soleil.
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