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dimanche, 08 septembre 2013

Ban public

cluny, edith de cornulier, sara, statues

Le sommeil ne vient pas.

J'arpente dans ma tête

Cette salle des Pas

Perdus où je m'entête

 

À t'attendre, Geoffroy.

Quand ont sonné cinq heures

Au clocher du beffroi

J'ai senti que mon cœur

 

Se brisait. Le gardien

A fermé après moi.

Je suis partie sans rien,

Sans souvenir de toi.

 

Maintenant c'est la nuit.

Tu ne reviendras pas.

J'écoute tous les bruits,

Le sommeil ne vient pas.

 

Anne de La Roche Saint-André

(écrit dans le laps entre 1975 et 1978)

Anne de La Roche Saint-André, salle des pas perdus

Pères et mères, amants, frères et sœurs, amis enfants, voisins, si quelqu'un alentour a été emmené, menotté dans nos camps de Fleury, de la Centrale de Châteauroux ou de Rennes, ou dans tout autre prison de France et de Navarre, visitez Ban Public et vous trouverez peut-être de l'aide, une réponse, une adresse utile. Ou bien quelqu'un qui a besoin de vous. 

samedi, 07 septembre 2013

Rue du Hasard

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« Je n'ai jamais réussi à définir le féminisme.
Tout ce que je sais, c'est que les gens me traitent de féministe à chaque fois que mon comportement ne permet plus de me confondre avec une prostituée ou un paillasson. »

Rebecca West (1892-1983)


Elle doit vraiment s'appeler la rue du Hasard, puisqu'à sept heures du soir j'y ai reconnu ton visage, sur lequel le temps avait laissé la trace de son passage.

Et ta voix peu à peu redevenait semblable à celle qui choisissait ses lunettes de soleil et ses bottines dans la rue de l'Annonciation.

Passy, années 2000 : tu marchais au bras d'un jeune homme si élégant que vous aviez l'air d'un petit couple de marquis des temps modernes. Les autres filles disaient "comme elle a de la chance !" et les garçons savaient que jamais ils n'auraient une fille comme toi, Héloïse.

Mais nous égrenions les prénoms du temps passé et je te répondais : oui, je le revois, il vit ici, oui, j'ai des nouvelles, elle fait cela. Et toi ? Toi, aux noms que je mentionnais, tu disais que tu ne sais plus rien d'eux.

Ce si beau jeune homme, que tu avais laissé un matin, seul dans son joli appartement du XVI°arrondissement où il révisait ses plaidoiries de la semaine à venir, je n'ai pas osé te le dire en apercevant la lueur inquiète valser dans ton regard : il s'est marié cet été, avec une autre belle, tout aussi belle que tu l'étais. Et dans le ventre d'Astrid un fœtus lentement se forme.

Mais je regardais dans cette rue du hasard tes mains crispées et tu me disais que non, tu ne retournais plus à Passy, chez tes parents.

Derrière toi, un homme tatoué faisait cling cling quand il bougeait, avec ses bagues, ses anneaux, ses colliers. Il portait dans ses bras sans amour un bébé endormi.

- Nous vivons rue Le Rouge et le Noir, là-bas. Et tu montrais une direction, vers le douzième et le vingtième arrondissement.

Nous nous quittâmes sans échanger de numéro. Tu marchais derrière lui, et en vous regardant disparaître au fond de la rue du Hasard dissipé, je me souvenais de tes bottines, de tes lunettes et de ton bras dans celui dont le nom t'a fait trembler.

Comment s'appelle ton destin ?

 

 

(Et si la musique de Schnittke qui accompagne ce billet vous a plu, c'est peut-être que vous ressemblez à Héloïse ou à J-F de Passy, ou à moi. Peut-être...)

 

mardi, 13 août 2013

Militants radicaux des deux extrémités du centre

 1974.LaGrostie_re.Tovaritch.jpg

AlmaSoror avait déjà présenté quelques Affiches des deux bouts de la politique, fasciné(e) par la percutance des graphismes au service de mouvements radicalement militants. Le graphisme de la rébellion, en quelque sorte, la puissance visuelle du côté gauche comme du côté droit des dits "extrêmes".

1974.Israel.Marche_1.jpg

Voici maintenant deux textes, émanant de deux groupes.

L'un, le "groupe de Tarnac", comme les médias l'ont appelé, anarchistes d'extrême-gauche inspirés du situationnisme. Accusés par un gouvernement de droite d'avoir décroché des caténaires de la SNCF et ralenti le trafic de nombreux trains durant de longues heures, ses membres ont été arrêtés par les meilleurs services de police français, gardés à vue le temps imparti aux dangereux terroristes, incarcérés pour certains. Nous présentons l'entrevue que Julien Coupat a donné aux journalistes du Monde, alors qu'il était en détention. (Les prisonniers ont été libérés et le dossier semble abandonné).

L'autre groupe, Génération identitaire, s'est illustré par deux actions pacifiques, ressemblant aux actions des Sans-papiers ou des Femen : ils sont montés sur la mosquée de Poitiers en protestation contre l'islamisation de la France et l'immigration de masse ; ils sont montés sur le toit du quartier général du parti socialiste aujourd'hui au gouvernement. Les membres ont été poursuivis par la justice et sévèrement punis par comparaison avec d'autres d'actions du même type, commises au service d'autres causes. Ce groupe "Génération identitaire" vient de publier, sur son site, un texte intitulé "Déclaration de guerre".

Nous reproduisons ces deux textes, l'entrevue avec Julien Coupat et la Déclaration de Génération identitaire, avec l'idée que, d'une part, bien souvent, on n'écoute ces gens que par le biais des médias, qui nous expliquent en même temps ce qu'il faut en penser ; d'autre part, on les oppose de façon catégorique puisqu'ils sont issus des extrêmes opposés, les uns internationalistes de gauche, les autres identitaires, alors que bien des aspects les rassemblent, notamment : une certaine clarté du langage, une absence de peur vis-à-vis de l'opprobre sociale, un conflit ouvert contre tous les pouvoirs et contre-pouvoirs en place, et la certitude tranquille qu'en dépit de leur petit nombre, ils finiront par gagner le pays à leur cause. Et, peut-être, cette petite chose à laquelle le Cyrano de Bergerac d'Edmond Rostand ne voulait pour rien au monde renoncer :

- Oui, vous m'arrachez tout, le laurier et la rose !
Arrachez ! Il y a malgré vous quelque chose
Que j'emporte, et ce soir, quand j'entrerai chez Dieu,
Mon salut balaiera largement le seuil bleu,
Quelque chose que sans un pli, sans une tache,
J'emporte malgré vous,
Et c'est...
- C'est ?...
- Mon panache.

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 Le Monde : (25 mai 2009)

"Voici les réponses aux questions que nous avons posées par écrit à Julien Coupat. Mis en examen le 15 novembre 2008 pour "terrorisme" avec huit autres personnes interpellées à Tarnac (Corrèze) et Paris, il est soupçonné d'avoir saboté des caténaires SNCF. Il est le dernier à être toujours incarcéré. (Il a demandé que certains mots soient en italique.)"

Comment vivez-vous votre détention ?

Très bien merci. Tractions, course à pied, lecture.

Pouvez-nous nous rappeler les circonstances de votre arrestation ?

Une bande de jeunes cagoulés et armés jusqu'aux dents s'est introduite chez nous par effraction. Ils nous ont menacés, menottés, et emmenés non sans avoir préalablement tout fracassé. Ils nous ont enlevés à bord de puissants bolides roulant à plus de 170 km/h en moyenne sur les autoroutes. Dans leurs conversations, revenait souvent un certain M. Marion [ancien patron de la police antiterroriste] dont les exploits virils les amusaient beaucoup comme celui consistant à gifler dans la bonne humeur un de ses collègues au beau milieu d'un pot de départ. Ils nous ont séquestrés pendant quatre jours dans une de leurs "prisons du peuple" en nous assommant de questions où l'absurde le disputait à l'obscène.

Celui qui semblait être le cerveau de l'opération s'excusait vaguement de tout ce cirque expliquant que c'était de la faute des "services", là-haut, où s'agitaient toutes sortes de gens qui nous en voulaient beaucoup. A ce jour, mes ravisseurs courent toujours. Certains faits divers récents attesteraient même qu'ils continuent de sévir en toute impunité.

Les sabotages sur les caténaires SNCF en France ont été revendiqués en Allemagne. Qu'en dites-vous?

Au moment de notre arrestation, la police française est déjà en possession du communiqué qui revendique, outre les sabotages qu'elle voudrait nous attribuer, d'autres attaques survenues simultanément en Allemagne. Ce tract présente de nombreux inconvénients : il est posté depuis Hanovre, rédigé en allemand et envoyé à des journaux d'outre-Rhin exclusivement, mais surtout il ne cadre pas avec la fable médiatique sur notre compte, celle du petit noyau de fanatiques portant l'attaque au cœur de l'Etat en accrochant trois bouts de fer sur des caténaires. On aura, dès lors, bien soin de ne pas trop mentionner ce communiqué, ni dans la procédure, ni dans le mensonge public.

Il est vrai que le sabotage des lignes de train y perd beaucoup de son aura de mystère : il s'agissait simplement de protester contre le transport vers l'Allemagne par voie ferroviaire de déchets nucléaires ultraradioactifs et de dénoncer au passage la grande arnaque de "la crise". Le communiqué se conclut par un très SNCF "nous remercions les voyageurs des trains concernés de leur compréhension". Quel tact, tout de même, chez ces "terroristes"!

Vous reconnaissez-vous dans les qualifications de "mouvance anarcho-autonome" et d'"ultragauche"?

Laissez-moi reprendre d'un peu haut. Nous vivons actuellement, en France, la fin d'une période de gel historique dont l'acte fondateur fut l'accord passé entre gaullistes et staliniens en 1945 pour désarmer le peuple sous prétexte d'"éviter une guerre civile". Les termes de ce pacte pourraient se formuler ainsi pour faire vite : tandis que la droite renonçait à ses accents ouvertement fascistes, la gauche abandonnait entre soi toute perspective sérieuse de révolution. L'avantage dont joue et jouit, depuis quatre ans, la clique sarkozyste, est d'avoir pris l'initiative, unilatéralement, de rompre ce pacte en renouant "sans complexe" avec les classiques de la réaction pure – sur les fous, la religion, l'Occident, l'Afrique, le travail, l'histoire de France, ou l'identité nationale.

Face à ce pouvoir en guerre qui ose penser stratégiquement et partager le monde en amis, ennemis et quantités négligeables, la gauche reste tétanisée. Elle est trop lâche, trop compromise, et pour tout dire, trop discréditée pour opposer la moindre résistance à un pouvoir qu'elle n'ose pas, elle, traiter en ennemi et qui lui ravit un à un les plus malins d'entre ses éléments. Quant à l'extrême gauche à-la-Besancenot, quels que soient ses scores électoraux, et même sortie de l'état groupusculaire où elle végète depuis toujours, elle n'a pas de perspective plus désirable à offrir que la grisaille soviétique à peine retouchée sur Photoshop. Son destin est de décevoir.

Dans la sphère de la représentation politique, le pouvoir en place n'a donc rien à craindre, de personne. Et ce ne sont certainement pas les bureaucraties syndicales, plus vendues que jamais, qui vont l'importuner, elles qui depuis deux ans dansent avec le gouvernement un ballet si obscène. Dans ces conditions, la seule force qui soit à même de faire pièce au gang sarkozyste, son seul ennemi réel dans ce pays, c'est la rue, la rue et ses vieux penchants révolutionnaires. Elle seule, en fait, dans les émeutes qui ont suivi le second tour du rituel plébiscitaire de mai 2007, a su se hisser un instant à la hauteur de la situation. Elle seule, aux Antilles ou dans les récentes occupations d'entreprises ou de facs, a su faire entendre une autre parole.

Cette analyse sommaire du théâtre des opérations a dû s'imposer assez tôt puisque les renseignements généraux faisaient paraître dès juin 2007, sous la plume de journalistes aux ordres (et notamment dans Le Monde) les premiers articles dévoilant le terrible péril que feraient peser sur toute vie sociale les "anarcho-autonomes". On leur prêtait, pour commencer, l'organisation des émeutes spontanées, qui ont, dans tant de villes, salué le "triomphe électoral" du nouveau président.

Avec cette fable des "anarcho-autonomes", on a dessiné le profil de la menace auquel la ministre de l'intérieur s'est docilement employée, d'arrestations ciblées en rafles médiatiques, à donner un peu de chair et quelques visages. Quand on ne parvient plus à contenir ce qui déborde, on peut encore lui assigner une case et l'y incarcérer. Or celle de "casseur" où se croisent désormais pêle-mêle les ouvriers de Clairoix, les gamins de cités, les étudiants bloqueurs et les manifestants des contre-sommets, certes toujours efficace dans la gestion courante de la pacification sociale, permet de criminaliser des actes, non des existences. Et il est bien dans l'intention du nouveau pouvoir de s'attaquer à l'ennemi, en tant que tel, sans attendre qu'il s'exprime. Telle est la vocation des nouvelles catégories de la répression.

Il importe peu, finalement, qu'il ne se trouve personne en France pour se reconnaître "anarcho-autonome" ni que l'ultra-gauche soit un courant politique qui eut son heure de gloire dans les années 1920 et qui n'a, par la suite, jamais produit autre chose que d'inoffensifs volumes de marxologie. Au reste, la récente fortune du terme "ultragauche" qui a permis à certains journalistes pressés de cataloguer sans coup férir les émeutiers grecs de décembre dernier doit beaucoup au fait que nul ne sache ce que fut l'ultragauche, ni même qu'elle ait jamais existé.

A ce point, et en prévision des débordements qui ne peuvent que se systématiser face aux provocations d'une oligarchie mondiale et française aux abois, l'utilité policière de ces catégories ne devrait bientôt plus souffrir de débats. On ne saurait prédire, cependant, lequel d'"anarcho-autonome" ou d'"ultragauche" emportera finalement les faveurs du Spectacle, afin de reléguer dans l'inexplicable une révolte que tout justifie.

La police vous considère comme le chef d'un groupe sur le point de basculer dans le terrorisme. Qu'en pensez-vous?

Une si pathétique allégation ne peut être le fait que d'un régime sur le point de basculer dans le néant.

Que signifie pour vous le mot terrorisme?

Rien ne permet d'expliquer que le département du renseignement et de la sécurité algérien suspecté d'avoir orchestré, au su de la DST, la vague d'attentats de 1995 ne soit pas classé parmi les organisations terroristes internationales. Rien ne permet d'expliquer non plus la soudaine transmutation du "terroriste" en héros à la Libération, en partenaire fréquentable pour les accords d'Evian, en policier irakien ou en "taliban modéré" de nos jours, au gré des derniers revirements de la doctrine stratégique américaine.

Rien, sinon la souveraineté. Est souverain, en ce monde, qui désigne le terroriste. Qui refuse d'avoir part à cette souveraineté se gardera bien de répondre à votre question. Qui en convoitera quelques miettes s'exécutera avec promptitude. Qui n'étouffe pas de mauvaise foi trouvera un peu instructif le cas de ces deux ex – "terroristes" devenus l'un premier ministre d'Israël, l'autre président de l'Autorité palestinienne, et ayant tous deux reçus, pour comble, le Prix Nobel de la paix.

Le flou qui entoure la qualification de "terrorisme", l'impossibilité manifeste de le définir ne tiennent pas à quelque provisoire lacune de la législation française : ils sont au principe de cette chose que l'on peut, elle, très bien définir : l'antiterrorisme dont ils forment plutôt la condition de fonctionnement. L'antiterrorisme est une technique de gouvernement qui plonge ses racines dans le vieil art de la contre-insurrection, de la guerre dite "psychologique", pour rester poli.

L'antiterrorisme, contrairement à ce que voudrait insinuer le terme, n'est pas un moyen de lutter contre le terrorisme, c'est la méthode par quoi l'on produit, positivement, l'ennemi politique en tant que terroriste. Il s'agit, par tout un luxe de provocations, d'infiltrations, de surveillance, d'intimidation et de propagande, par toute une science de la manipulation médiatique, de l'"action psychologique", de la fabrication de preuves et de crimes, par la fusion aussi du policier et du judiciaire, d'anéantir la "menace subversive" en associant, au sein de la population, l'ennemi intérieur, l'ennemi politique à l'affect de la terreur.

L'essentiel, dans la guerre moderne, est cette "bataille des cœurs et des esprits" où tous les coups sont permis. Le procédé élémentaire, ici, est invariable : individuer l'ennemi afin de le couper du peuple et de la raison commune, l'exposer sous les atours du monstre, le diffamer, l'humilier publiquement, inciter les plus vils à l'accabler de leurs crachats, les encourager à la haine. "La loi doit être utilisée comme simplement une autre arme dans l'arsenal du gouvernement et dans ce cas ne représente rien de plus qu'une couverture de propagande pour se débarrasser de membres indésirables du public. Pour la meilleure efficacité, il conviendra que les activités des services judiciaires soient liées à l'effort de guerre de la façon la plus discrète possible", conseillait déjà, en 1971, le brigadier Frank Kitson [ancien général de l'armée britannique, théoricien de la guerre contre-insurrectionelle], qui en savait quelque chose.

Une fois n'est pas coutume, dans notre cas, l'antiterrorisme a fait un four. On n'est pas prêt, en France, à se laisser terroriser par nous. La prolongation de ma détention pour une durée "raisonnable" est une petite vengeance bien compréhensible au vu des moyens mobilisés, et de la profondeur de l'échec; comme est compréhensible l'acharnement un peu mesquin des "services", depuis le 11 novembre, à nous prêter par voie de presse les méfaits les plus fantasques, ou à filocher le moindre de nos camarades. Combien cette logique de représailles a d'emprise sur l'institution policière, et sur le petit cœur des juges, voilà ce qu'auront eu le mérite de révéler, ces derniers temps, les arrestations cadencées des "proches de Julien Coupat".

Il faut dire que certains jouent, dans cette affaire, un pan entier de leur lamentable carrière, comme Alain Bauer [criminologue], d'autres le lancement de leurs nouveaux services, comme le pauvre M. Squarcini [directeur central du renseignement intérieur], d'autres encore la crédibilité qu'ils n'ont jamais eue et qu'ils n'auront jamais, comme Michèle Alliot-Marie.

Vous êtes issu d'un milieu très aisé qui aurait pu vous orienter dans une autre direction...

"Il y a de la plèbe dans toutes les classes" (Hegel).

Pourquoi Tarnac?

Allez-y, vous comprendrez. Si vous ne comprenez pas, nul ne pourra vous l'expliquer, je le crains.

Vous définissez-vous comme un intellectuel? Un philosophe ?

La philosophie naît comme deuil bavard de la sagesse originaire. Platon entend déjà la parole d'Héraclite comme échappée d'un monde révolu. A l'heure de l'intellectualité diffuse, on ne voit pas ce qui pourrait spécifier "l'intellectuel", sinon l'étendue du fossé qui sépare, chez lui, la faculté de penser de l'aptitude à vivre. Tristes titres, en vérité, que cela. Mais, pour qui, au juste, faudrait-il se définir?

Etes-vous l'auteur du livre L'insurrection qui vient ?

C'est l'aspect le plus formidable de cette procédure : un livre versé intégralement au dossier d'instruction, des interrogatoires où l'on essaie de vous faire dire que vous vivez comme il est écrit dans L'insurrection qui vient, que vous manifestez comme le préconise L'insurrection qui vient, que vous sabotez des lignes de train pour commémorer le coup d'Etat bolchevique d'octobre 1917, puisqu'il est mentionné dans L'insurrection qui vient, un éditeur convoqué par les services antiterroristes.

De mémoire française, il ne s'était pas vu depuis bien longtemps que le pouvoir prenne peur à cause d'un livre. On avait plutôt coutume de considérer que, tant que les gauchistes étaient occupés à écrire, au moins ils ne faisaient pas la révolution. Les temps changent, assurément. Le sérieux historique revient.

Ce qui fonde l'accusation de terrorisme, nous concernant, c'est le soupçon de la coïncidence d'une pensée et d'une vie; ce qui fait l'association de malfaiteurs, c'est le soupçon que cette coïncidence ne serait pas laissée à l'héroïsme individuel, mais serait l'objet d'une attention commune. Négativement, cela signifie que l'on ne suspecte aucun de ceux qui signent de leur nom tant de farouches critiques du système en place de mettre en pratique la moindre de leurs fermes résolutions; l'injure est de taille. Malheureusement, je ne suis pas l'auteur de L'insurrection qui vient – et toute cette affaire devrait plutôt achever de nous convaincre du caractère essentiellement policier de la fonction auteur.

J'en suis, en revanche, un lecteur. Le relisant, pas plus tard que la semaine dernière, j'ai mieux compris la hargne hystérique que l'on met, en haut lieu, à en pourchasser les auteurs présumés. Le scandale de ce livre, c'est que tout ce qui y figure est rigoureusement, catastrophiquement vrai, et ne cesse de s'avérer chaque jour un peu plus. Car ce qui s'avère, sous les dehors d'une "crise économique", d'un "effondrement de la confiance", d'un "rejet massif des classes dirigeantes", c'est bien la fin d'une civilisation, l'implosion d'un paradigme : celui du gouvernement, qui réglait tout en Occident – le rapport des êtres à eux-mêmes non moins que l'ordre politique, la religion ou l'organisation des entreprises. Il y a, à tous les échelons du présent, une gigantesque perte de maîtrise à quoi aucun maraboutage policier n'offrira de remède.

Ce n'est pas en nous transperçant de peines de prison, de surveillance tatillonne, de contrôles judiciaires, et d'interdictions de communiquer au motif que nous serions les auteurs de ce constat lucide, que l'on fera s'évanouir ce qui est constaté. Le propre des vérités est d'échapper, à peine énoncées, à ceux qui les formulent. Gouvernants, il ne vous aura servi de rien de nous assigner en justice, tout au contraire.

Vous lisez "Surveiller et punir" de Michel Foucault. Cette analyse vous paraît-elle encore pertinente?

La prison est bien le sale petit secret de la société française, la clé, et non la marge des rapports sociaux les plus présentables. Ce qui se concentre ici en un tout compact, ce n'est pas un tas de barbares ensauvagés comme on se plaît à le faire croire, mais bien l'ensemble des disciplines qui trament, au-dehors, l'existence dite "normale". Surveillants, cantine, parties de foot dans la cour, emploi du temps, divisions, camaraderie, baston, laideur des architectures : il faut avoir séjourné en prison pour prendre la pleine mesure de ce que l'école, l'innocente école de la République, contient, par exemple, de carcéral.

Envisagée sous cet angle imprenable, ce n'est pas la prison qui serait un repaire pour les ratés de la société, mais la société présente qui fait l'effet d'une prison ratée. La même organisation de la séparation, la même administration de la misère par le shit, la télé, le sport, et le porno règne partout ailleurs avec certes moins de méthode. Pour finir, ces hauts murs ne dérobent aux regards que cette vérité d'une banalité explosive : ce sont des vies et des âmes en tout point semblables qui se traînent de part et d'autre des barbelés et à cause d'eux.

Si l'on traque avec tant d'avidité les témoignages "de l'intérieur" qui exposeraient enfin les secrets que la prison recèle, c'est pour mieux occulter le secret qu'elle est : celui de votre servitude, à vous qui êtes réputés libres tandis que sa menace pèse invisiblement sur chacun de vos gestes.

Toute l'indignation vertueuse qui entoure la noirceur des geôles françaises et leurs suicides à répétition, toute la grossière contre-propagande de l'administration pénitentiaire qui met en scène pour les caméras des matons dévoués au bien-être du détenu et des directeurs de tôle soucieux du "sens de la peine", bref : tout ce débat sur l'horreur de l'incarcération et la nécessaire humanisation de la détention est vieux comme la prison. Il fait même partie de son efficace, permettant de combiner la terreur qu'elle doit inspirer avec son hypocrite statut de châtiment "civilisé". Le petit système d'espionnage, d'humiliation et de ravage que l'Etat français dispose plus fanatiquement qu'aucun autre en Europe autour du détenu n'est même pas scandaleux. L'Etat le paie chaque jour au centuple dans ses banlieues, et ce n'est de toute évidence qu'un début : la vengeance est l'hygiène de la plèbe.

Mais la plus remarquable imposture du système judiciaro-pénitentiaire consiste certainement à prétendre qu'il serait là pour punir les criminels quand il ne fait que gérer les illégalismes. N'importe quel patron – et pas seulement celui de Total –, n'importe quel président de conseil général – et pas seulement celui des Hauts-de-Seine–, n'importe quel flic sait ce qu'il faut d'illégalismes pour exercer correctement son métier. Le chaos des lois est tel, de nos jours, que l'on fait bien de ne pas trop chercher à les faire respecter et les stups, eux aussi, font bien de seulement réguler le trafic, et non de le réprimer, ce qui serait socialement et politiquement suicidaire.

Le partage ne passe donc pas, comme le voudrait la fiction judiciaire, entre le légal et l'illégal, entre les innocents et les criminels, mais entre les criminels que l'on juge opportun de poursuivre et ceux qu'on laisse en paix comme le requiert la police générale de la société. La race des innocents est éteinte depuis longtemps, et la peine n'est pas à ce à quoi vous condamne la justice : la peine, c'est la justice elle-même, il n'est donc pas question pour mes camarades et moi de "clamer notre innocence", ainsi que la presse s'est rituellement laissée aller à l'écrire, mais de mettre en déroute l'hasardeuse offensive politique que constitue toute cette infecte procédure. Voilà quelques-unes des conclusions auxquelles l'esprit est porté à relire Surveiller et punir depuis la Santé. On ne saurait trop suggérer, au vu de ce que les Foucaliens font, depuis vingt ans, des travaux de Foucault, de les expédier en pension, quelque temps, par ici.

Comment analysez-vous ce qui vous arrive?

Détrompez-vous : ce qui nous arrive, à mes camarades et à moi, vous arrive aussi bien. C'est d'ailleurs, ici, la première mystification du pouvoir : neuf personnes seraient poursuivies dans le cadre d'une procédure judiciaire "d'association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste", et devraient se sentir particulièrement concernées par cette grave accusation. Mais il n'y a pas d'"affaire de Tarnac" pas plus que d'"affaire Coupat", ou d'"affaire Hazan" [éditeur de L'insurrection qui vient]. Ce qu'il y a, c'est une oligarchie vacillante sous tous rapports, et qui devient féroce comme tout pouvoir devient féroce lorsqu'il se sent réellement menacé. Le Prince n'a plus d'autre soutien que la peur qu'il inspire quand sa vue n'excite plus dans le peuple que la haine et le mépris.

Ce qu'il y a, c'est, devant nous, une bifurcation, à la fois historique et métaphysique: soit nous passons d'un paradigme de gouvernement à un paradigme de l'habiter au prix d'une révolte cruelle mais bouleversante, soit nous laissons s'instaurer, à l'échelle planétaire, ce désastre climatisé où coexistent, sous la férule d'une gestion "décomplexée", une élite impériale de citoyens et des masses plébéiennes tenues en marge de tout. Il y a donc, bel et bien, une guerre, une guerre entre les bénéficiaires de la catastrophe et ceux qui se font de la vie une idée moins squelettique. Il ne s'est jamais vu qu'une classe dominante se suicide de bon cœur.

La révolte a des conditions, elle n'a pas de cause. Combien faut-il de ministères de l'Identité nationale, de licenciements à la mode Continental, de rafles de sans-papiers ou d'opposants politiques, de gamins bousillés par la police dans les banlieues, ou de ministres menaçant de priver de diplôme ceux qui osent encore occuper leur fac, pour décider qu'un tel régime, même installé par un plébiscite aux apparences démocratiques, n'a aucun titre à exister et mérite seulement d'être mis à bas ? C'est une affaire de sensibilité.

La servitude est l'intolérable qui peut être infiniment tolérée. Parce que c'est une affaire de sensibilité et que cette sensibilité-là est immédiatement politique (non en ce qu'elle se demande "pour qui vais-je voter ?", mais "mon existence est-elle compatible avec cela ?"), c'est pour le pouvoir une question d'anesthésie à quoi il répond par l'administration de doses sans cesse plus massives de divertissement, de peur et de bêtise. Et là où l'anesthésie n'opère plus, cet ordre qui a réuni contre lui toutes les raisons de se révolter tente de nous en dissuader par une petite terreur ajustée.

Nous ne sommes, mes camarades et moi, qu'une variable de cet ajustement-là. On nous suspecte comme tant d'autres, comme tant de "jeunes", comme tant de "bandes", de nous désolidariser d'un monde qui s'effondre. Sur ce seul point, on ne ment pas. Heureusement, le ramassis d'escrocs, d'imposteurs, d'industriels, de financiers et de filles, toute cette cour de Mazarin sous neuroleptiques, de Louis Napoléon en version Disney, de Fouché du dimanche qui pour l'heure tient le pays, manque du plus élémentaire sens dialectique. Chaque pas qu'ils font vers le contrôle de tout les rapproche de leur perte. Chaque nouvelle "victoire" dont ils se flattent répand un peu plus vastement le désir de les voir à leur tour vaincus. Chaque manœuvre par quoi ils se figurent conforter leur pouvoir achève de le rendre haïssable. En d'autres termes : la situation est excellente. Ce n'est pas le moment de perdre courage.

Propos recueillis par Isabelle Mandraud et Caroline Monnot

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Voici maintenant la "déclaration" du groupe Génération Identitaire :

Déclaration de guerre

(2013)

Nous sommes la GENERATION IDENTITAIRE.

 

« Nous sommes la génération de ceux qui meurent pour un regard de travers, une cigarette refusée ou un style qui dérange.

Nous sommes la génération de la fracture ethnique, de la faillite totale du vivre-ensemble, du métissage imposé.

Nous sommes la génération de la double-peine : condamnés à renflouer un système social trop généreux avec les autres pour continuer à l’être avec les nôtres.

Nous sommes la génération victime de celle de Mai 68. De celle qui prétendait vouloir nous émanciper du poids des traditions, du savoir, et de l’autorité à l’école mais qui s’est d’abord émancipée de ses propres responsabilités.

Nous avons fermé vos livres d’histoire pour retrouver notre mémoire.
Nous avons cessé de croire que Kader pouvait être notre frère, la planète notre village et l’humanité notre famille. Nous avons découvert que nous avions des racines, des ancêtres, et donc un avenir.

Notre seul héritage c’est notre terre, notre sang, notre identité. Nous sommes les héritiers de notre destin.
Nous avons éteint la télévision pour descendre à nouveau dans la rue. Nous avons peint nos slogans sur les murs, scandé « la Jeunesse au pouvoir » dans nos mégaphones, brandi bien haut nos drapeaux frappés du lambda. Ce lambda qui ornait le bouclier des glorieux Spartiates est notre symbole. Vous ne comprenez pas ce qu’il représente ? Il signifie que nous ne reculerons pas, que nous ne renoncerons pas. Lassés de toutes vos lâchetés, nous ne refuserons aucune bataille, aucun défi.

Vous êtes les Trente Glorieuses, les retraites par répartition, SOS Racisme, la « diversité », le regroupement familial, la liberté sexuelle et les sacs de riz de Bernard Kouchner. Nous sommes 25% de chômage, la dette sociale, l’explosion de la société multiculturelle, le racisme anti-blanc, les familles éclatées, et un jeune soldat français qui meurt en Afghanistan.
Vous ne nous aurez pas avec un regard condescendant, des emplois-jeunes et une tape sur l’épaule : pour nous, la vie est un combat.
Nous n’avons pas besoin de votre politique de la jeunesse. La jeunesse est notre politique.

Ne vous méprenez pas : ce texte n’est pas un simple manifeste, c’est une déclaration de guerre.

Nous sommes demain, vous êtes hier. Nous sommes la Génération Identitaire ».

Nous sommes la génération de ceux qui meurent pour un regard de travers, une cigarette refusée ou un style qui dérange.

Nous sommes la génération de la fracture ethnique, de la faillite totale du vivre-ensemble, du métissage imposé.

Nous sommes la génération de la double-peine : condamnés à renflouer un système social trop généreux avec les autres pour continuer à l’être avec les nôtres.

Nous sommes la génération victime de celle de Mai 68. De celle qui prétendait vouloir nous émanciper du poids des traditions, du savoir, et de l’autorité à l’école mais qui s’est d’abord émancipée de ses propres responsabilités.

Nous avons fermé vos livres d’histoire pour retrouver notre mémoire.
Nous avons cessé de croire que Kader pouvait être notre frère, la planète notre village et l’humanité notre famille. Nous avons découvert que nous avions des racines, des ancêtres, et donc un avenir.

- See more at: http://www.generation-identitaire.com/declaration-de-guerre/#sthash.lPDdQwzK.dpuf

Nous sommes la GÉNÉRATION IDENTITAIRE

Nous sommes la génération de ceux qui meurent pour un regard de travers, une cigarette refusée ou un style qui dérange.

Nous sommes la génération de la fracture ethnique, de la faillite totale du vivre-ensemble, du métissage imposé.

Nous sommes la génération de la double-peine : condamnés à renflouer un système social trop généreux avec les autres pour continuer à l’être avec les nôtres.

Nous sommes la génération victime de celle de Mai 68. De celle qui prétendait vouloir nous émanciper du poids des traditions, du savoir, et de l’autorité à l’école mais qui s’est d’abord émancipée de ses propres responsabilités.

Nous avons fermé vos livres d’histoire pour retrouver notre mémoire.
Nous avons cessé de croire que Kader pouvait être notre frère, la planète notre village et l’humanité notre famille. Nous avons découvert que nous avions des racines, des ancêtres, et donc un avenir.

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Revoir, sur AlmaSoror, Beauté des affiches des deux bouts de la politique

Israël, Palestine, Tarnac, groupe de Tarnac, Julien Coupat, Génération identitaire, Le monde, Caroline Monnot, affiches politiques, immigration, gauche, droite, militants extrémistes, SOS Racisme, chômage, dette sociale, cyrano de BErgerac, Edmond Rostand, racisme anti-blanc, SNCF, Isabelle Mandraud, Mazarin, neuroleptiques, affaire coupat, michel foucault, surveiller et punir, l'insurrection qui vient, mosquée de poitiers, solférino, antiterrorisme, DST, attentats, prix nobel de la paix, clairoix, cités

mardi, 30 juillet 2013

La philosophie de la Révolution, extrait de l'opuscule de Nasser

Gamal Abd El-Nasser, Philosophie de la Révolution, cap de Bonne-Espérance

Voici, Amis, ce fragment de La philosophie de la Révolution, opuscule rédigé par Gamal Abd El-Nasser en 1953.

Gamal Abd El-Nasser, Philosophie de la Révolution, cap de Bonne-Espérance

Le destin a voulu que notre pays soit situé au carrefour du monde.

Notre territoire fut maintes fois la proie des envahisseurs. Il nous est donc impossible de juger notre peuple sans prendre en considération les facteurs psychologiques découlant des conditions de vie qui ont prévalu tout au long de ces siècles de servitude.

Remontons à l'histoire des Pharaons, à la fusion de l'esprit grec avec le nôtre, à la conquête romaine, à la conquête arabe.

Ne perdons pas de vue les conditions de vie qui ont prévalu au moyen-âge.

Si les croisades furent, pour l'Europe, une aube de renaissance, elles furent, pour notre peuple, le début d'une ère ténébreuse. Car le peuple égyptien supporta, presque seul, tout le poids des croisades, qui le laissèrent appauvri et affaibli.

A cette même époque, le peuple dut subir le joug des Mongols, ces esclaves achetés à prix d'argent qui devinrent les maîtres de l'Egypte.

Ils débarquaient en mamelouks sur cette douce terre, pour prendre, quelque temps après, les rênes du gouvernement.

L'oppression, l'injustice et la ruine constituaient la règle du gouvernement de l'Egypte, au cours des longs siècles que dura leur règne.

Pendant toute cette période, le pays ressembla à la jungle où les fauves cherchaient leur proie. Cette proie, c'était nous, nos biens, nos terres.

 

Parfois, en parcourant les pages de notre histoire, je ne pouvais m'empêcher d'éprouver un sentiment de douleur en arrivant à cette période où la féodalité nous suçait le sang, piétinait nos sentiments, annihilait notre dignité, nous léguait ces tares héréditaires qui ne guérissent qu'au prix d'un effort surhumain.

Les effets moraux de l'oppression expliquent en grande partie certains aspects de notre vie politique. Ainsi, il me semble parfois qu'un grand nombre d'Egyptiens assistent en spectateurs au développement de la Révolution, attendant le résultat de la lutte sans y prendre part.

Cet état de choses me révolta un jour :

"Pourquoi, dis-je à mes camarades, ces gens, ne sortent-ils pas de leur indifférence ?"

La seule explication possible est que ceci serait un vestige du règne des Mamelouks.

A leur époque, les chefs s'entretuaient sur la place publique, pendant que les gens, autour d'eux, les regardaient faire sans broncher.

La plupart d'entre nous n'ont pas encore pu se débarrasser de ce sentiment héréditaire que leur pays ne leur appartient pas, et qu'ils n'y sont que des hôtes de passage.

Même les cris de révolte qu'il nous arrivait de proférer de temps à autre au cours de notre enfance, rappelaient, dans leur forme et dans leur accent, ce que profétaient nos aïeux au temps des Mamelouks, avec la différence que l'ennemi d'aujourd'hui est l'Angleterre.

Gamal Abd El-Nasser, Philosophie de la Révolution, cap de Bonne-Espérance

Que nous advint-il après le règne des Mamelouks ?

L'expédition française brisa les chaînes forgées par les Mongols : des idées nouvelles se firent jour, nous ouvrant de nouveaux horizons.

Mohammad Ali voulut continuer la tradition des Mamelouks tout en s'adaptant aux nécessités de l'heure et en tenant compte de l'état d'esprit créé par les Français. C'est ainsi que, sortant de notre isolement, nous reprîmes contact avec l'Europe et le monde civilisé.

C'était le début de la renaissance, en même temps que le commencement d'une nouvelle période critique.

L'Egypte ressemblait à un malade qui a passé plusieurs jours dans une chambre au point d'étouffer. Mais voilà que soudainement une tempête s'élève faisant voler en éclats portes et fenêtres, laissant pénétrer dans la chambre un flot d'air frais qui fouette son corps anémié.

Les nations d'Europe sont parvenues graduellement à l'état où nous les voyons aujourd'hui ; quant à nous, notre évolution s'est produite d'un coup.

Nous vivions dans un étau serré. Brusquement cet étau se desserre. Nous étions isolés du reste du monde, surtout après la découverte du cap de Bonne Espérance : brusquement nous sommes devenus la proie des Puissances ocidentales et leurs point de contact avec leurs colonies du Sud et de l'Est.

Des courants d'idées nouvelles nous envahirent, alors que nous n'étions pas prêts à les recevoir.

Nos âmes vivaient encore au XIIIème siècle, alors qu'en apparence nous semblions vivre au XIX°siècle, voire au XX°siècle.

Nous tâchions de rejoindre le train du progrès, alors que cinq siècles nous en séparaient... Le chemin était long et la course tragique.

Ainsi donc, si nous ne nous sommes pas unis, la cause en est dans la situation expliquée plus haut.

 

Gamal Abd El-Nasser, In Philosophie de la Révolution - Livre I - Dar Al-Maaref, Le Caire
Brochure diffusée en langue française -1953

Gamal Abd El-Nasser, Philosophie de la Révolution, cap de Bonne-Espérance

Nous avions mentionné Nasser sur AlmaSoror, dans le billet:

Gamal abd el-Nasser en 1953 : Le charme et la liberté

Plusieurs idées mentionnées par Nasser ici furent évoquées par Jacques Benoist-Méchin, voir par exemple la fin de ce billet :

Fragment d'un printemps arabe

vendredi, 19 juillet 2013

Quitter les lieux

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Au bout d'un si long temps. Laisser derrière soi les pans d'une vie effacée à jamais. La question se pose alors : errer ici et là, ou reconstruire un autre présent qui deviendra passé, dans un endroit précis ?

Amer savoir, celui qu'on tire du temps passé. Amère histoire, qui nous définit et que le vent oublie, si vite.

Quitter les lieux pour ne plus jamais revenir. Ce sera fait, bientôt.

Mais tout n'est qu'une image. Rien de ce qui nous entoure n'existe réellement. Les rides s'installent et nous transforment, pour si peu de temps. Même la mort n'est qu'anecdotique. Nos visages, nos figures passent comme des reflets. Nous y croyons quelque temps, nous nous identifions à nous-mêmes avec la naïveté de la foi primitive, des illusions enfantines. Et puis la réalité de ce que nous vivions enlève son masque, qui ne cachait que le vide.

Demande à la poussière si tu peux lui parler, qu'elle t'explique le néant qui te précède, qui te suit comme une ombre, qui t'enveloppe comme un linceul et qui te dissout comme une bulle.

- Qui es-tu ?

- Rien.

mercredi, 12 juin 2013

Traverser vers l'autre rive (faire confiance au sentier).

1977.Pont-Hus.PaulDansMarais310.jpg

Merci à Sara et Tieri.

lundi, 03 juin 2013

Lammermoor

Bourges, Marais, Sara, Lucie, Lammermoor, Walter Scott, Hélène Lammermoor, château hanté, revenants, gothique, Ecosse

Hélène,

Tu cherches Lucie à Lammermoor et ne la trouves pas. Lucie est morte il y a si longtemps. Il ne doit rien rester de ses restes précieux, au fond de la tombe que tant de neiges ont recouvertes, durant tant d'hivers.

Que voudrais-tu lui dire ? N'y a-t-il pas d'autres femmes, d'autres soeurs à aimer dans les froids soirs de novembre, quand le vent claque contre les volets des campagnes de l'Ecosse ? Tu marches en quête d'un fantôme qui n'a plus rien à te dire. Ses oreilles n'existent plus pour écouter tes plaintes et tes rêves. Seule l'écorce des arbres pluriséculaires t'entendent. Ils sont les témoins d'une époque dans laquelle tu ne te promèneras jamais.

Les grilles des châteaux délaissés sont mangées par la rouille, tu y accroches tes mains fébriles. Le feuillage des charmilles est mort depuis longtemps. Partout où tu portes tes pas, le mystère et l'absence t'attendent.

Lucie t'aurait comprise ; Lucie t'aurait aimée ; Lucie t'aurait emportée au pays des coeurs qui ne peuvent se désunir.

Lucie t'aurait peut-être sauvée. Mais la camionnette aux gyrophares roule à travers les routes serpentines du pays des revenants, et si tu ne te jettes pas dans le fleuve qui passe en bas de la vallée, les hommes en blanc t'arracheront à ton dernier voyage.

 

Lire aussi, sur AlmaSoror :

Black Agnès

Leise flehen meine Lieder 
Durch die Nacht zu dir...

dimanche, 02 juin 2013

La Dolce Vita

effraction.jpg

Tout commence dans un rayon de soleil. Une tache rouge glisse sur le macadam scintillant, s'approche, se pose juste à côté de Venexiana.

La portière s'ouvre, Venexiana pénètre dans la berline. La tache s'éloigne, seul le soleil reste au milieu du grand silence.

Les routes de France s'offrent aux roues de la berline qui file vers une ville du centre, cernée par un fleuve et une rivière. Peu d'autos fendent l'air de si bon matin, et les heures passent comme deux ou trois étoiles filantes.

L'arrivée au bout du monde a lieu calmement. Place Saint-Quelqu'un, on dépose la voiture et rejoint des amis, tout un monde marche jusqu'aux bords de la Loire où fromages, meursault, champagne et gâteaux seront dégustés dans la quiétude de cet après-midi qui n'a jamais de fin.

Mais la fin se décide ; à quelques kilomètres, le château attend ses hôtes. Il les accueille dignement, pour un apéritif dans la rosée du soir des prairies alentour, avant de s'enfermer dans la grande salle où cheminées et chandeliers illuminent de leurs flammes les visages en vacances. Certains se sont connus il y a longtemps, ils se reconnaissent et se sourient mondainement, sans dévoiler les souvenirs.

Pourquoi parler du refuge de la nuit, de la fraîcheur du lendemain ? C'est inutile, bien que la tâche rouge retournera déposer Venexiana à son point de départ.

 

jeudi, 30 mai 2013

Conseils amoureux

conseils amoureux

à Julien,
qui buvait sa bière rue de Picpus tandis que je déambulais dans la rue de l'Université, en ce soir du 30 mai 2013.

 

Avertissement

Il va de soi que je ne conseille à personne de suivre mes conseils.

Mais on m'a expressément demandé de les mettre par écrit. Les voici.

 

Refus

Refuser quoi qu'il arrive, la maltraitance, l'intrusion, le mensonge, l'impolitesse.

Assurer et exiger le minimum syndical : hygiène, autonomie personnelle, courtoisie quotidienne.

 

Dispositions

Ne rien attendre de l'autre. Autrement dit, combler ses manques soi-même :

si tu cherches de l'affection, ne l'attends pas d'un seul être mais reçois la de chacun, et surtout, génères-en, distribue ta propre affection aux gens qui t'entourent ;

si tu cherches une compagnie, multiplie tes activités sociales de façon autonome ;

si tu cherches plus d'argent, gagnes-en plus ou guéris cette obsession ;

si tu cherches plus de confiance en toi, fais une thérapie pour l'obtenir ;

si tu cherches des contacts physiques, une vie corporelle plus riche, il existe les massages ayurvédas, le catamaran, la natation, la méditation... ;

si tu cherches un projet personnel, réveille ceux que tu as enfouis depuis longtemps en toi.

Etc.

Cela ne veut pas dire que tu ne dois rien attendre d'une relation amoureuse, mais plutôt que tu n'as pas à plaquer des attentes universelles et préfabriquées sur une personne dont ces attentes ne dépendent pas (puisqu'avant même de l'avoir rencontrée tu as besoin de tout cela, c'est que ces besoins n'ont rien à voir avec cette personne particulière).

 

Renoncer à plaire à tout prix. Ça rend fou. Ça ne marche même pas.

Savoir qu'une rencontre, même bouleversante, ne te décharge pas de ta responsabilité sur ton propre destin. Aucune personne ne dépend d'une autre personne précise pour survivre ou pour connaître le bonheur. Tant qu'il y a des êtres sur cette terre, il y a des rencontres merveilleuses possibles.

Garder ses temps de solitude, ses temps familiaux, ses temps amicaux comme ils ont toujours été. Comment pourras-tu exiger la fidélité de quelqu'un si, pour lui, tu as trahi tes amis, tes proches qui t'accompagnaient depuis si longtemps, les reléguant aux arrières-gardes à cause d'une nouvelle rencontre ?

 

Cap

Connaître le cap de sa vie et s'y tenir, quitte à aménager les moyens de l'atteindre pour s'adapter à quelqu'un. Mais sans cap personnel, comment rester soi à travers les tracas et les enthousiasmes ?

 

Horizons

Une fois qu'on n'a pas voué sa propre personne, son propre destin à l'anéantissement volontaire dans le sentiment océanique amoureux, pourquoi ne pas ouvrir toutes les portes de la liberté et de la tendresse pour se laisser transformer et découvrir de nouveaux mondes ?

mercredi, 22 mai 2013

Dunkerque, des années après

Dunkerque, Laure Tesson

Moi, je me souviens de Manuel à Ostende et de longues marches sur les plages du Nord, mais c'est de Dunkerque que Laure m'a envoyé deux photos cette semaine.

Elles parlent d'une autre marche, d'une autre personne de ma jeunesse, sur une autre plage du Nord.

Comme le temps passe et comme la désespérance est fascinante, qui nous prend aux veilles des anniversaires. Les visages partis ou quittés se dressent face à vous au détour d'une impasse d'Insomniapolis.

Des visages du lycée Buffon, perdus dans la décennie de la vingtaine ; des projets morts un soir d'hiver où tout était trop lourd. Des voix aimées qui tintent parfois dans le vacarme quotidien d'un trajet de métro ; des mains qu'on avait senti contre nos hanches. Et le vent ?

Le vent du Nord souffle toujours plus tristement sur les joies passagères, mais il offre, avec la tristesse, la mélancolie qui la pare d'une teinte miraculeuse.

Edith

Dunkerque, Laure Tesson

Lire, sur AlmaSoror, Une jeunesse dunkerquoise

(photos Laure Tesson)

jeudi, 02 mai 2013

Rage

rage

 

à Sébastien Ithiopia...

 C'est le ressac infini de mes rages que vous entendez dans le soir tombant. Les bruits de la cuisine et ceux de la terrasse ne peuvent étouffer les vagues noires de l'amertume. L'alcool qui coule en rivières dans vos verres, le train là-bas qui revient et nous rapporte les deux de province, la musique qu'Elle vient de mettre sur la chaîne hifi performante et l'horloge qui chahute qu'il est 21h15 ne nous trompent pas. Plus rien ne dissimule le flot sombre, cracheur de rage.

(Quelqu'un s'enfuit pour écrire sur l'ordinateur du garage).

 C'est le retour infini de mes saccages que je maudis en veillant les fourneaux. Les paroles des voisins et les rires des enfants n'atteignent plus mon être au centre glacé comme un fjord. Vos bons mots, vos maux mal cachés, les noix et les chips qui circulent à travers les mains lavées pour le soir, la chanson qui invoque la mémoire des noyés ne nous apaisent pas. Vous savez que je suis partie trop loin pour être sage.

(Cet imbécile qui vient souvent tente d'embrasser la mystérieuse près du buffet).

 C'est le reflux infini du remord qui me ronge quand je me tourne vers vous. Mon sourire rouge artificiel ne piège plus vos croyances erronées. Nul ne brise la convenance morte. Seul, cet homme tendre à la joyeuse tristesse ment à tire larigot, et personne ne songe à le contredire. Il est des appartements où le mensonge a tous ses droits. Il est des terrasses que seule la joie criarde maquille encore. Il est des amas de naufragés déguisés en assemblée conviviale. Il est des ruines de rêve, ce soir, qui baignent la pièce et le jardin de leur odeur cendrée.

(- C'est Arnaud, là-bas ?

- Il arrose les fleurs avant la nuit complète.)

 Mon Dieu, ma Rage, pourquoi inondez-vous ainsi ma vie ? Vos vagues bientôt nous recouvriront tous. J'irai m’enfuir aux antipodes de la fête, recroquevillée sur la chaise de la salle de bains, face à la lune éclatante qui fait du naturisme de l'autre côté de la fenêtre.

(Nous n'avons pas encore repeint les persiennes du mur condamné).

 Quand reviendras-tu, mon mage ? Ta main de chaleur, ton épaule de douceur, ta voix de basse qui me prenait, me portait, m'emportait, vers le lit de mes souvenirs. Sans toi mes fêtes sont si vides, mes amis si flous, mes membres si froids, sans toi rien ne tient vraiment debout.

(Qui vient de changer la musique ?)

 Mais te voici, rhum. Te voilà, punch. Exilé de Marie-Galante, tu irrigues mes veines mieux que mon sang. Tu institues en moi le règne du Sourire Parfait. Tu m'habites, tu m'habilles et mes joues rosissent, le rouge à lèvres tombe, obsolète ; je me tourne vers autrui, je tends les mains, je lève les bras, je chante avec eux. L'océan se calme, les dernières vagues meurent dans tes gouttes ambrées. La rage évanouie, je peux commencer à danser.

 Edith

cuisine, rage

mercredi, 01 mai 2013

Mascara

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«Ils ont découvert l'enfant en suivant les traces de l'ogre».
Raoul Vaneigem

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Paul, est-ce toi qui m'a appris à porter un masque ? J'ai mille masques, qui ne sont qu'un seul masque. Ce masque avec lequel je dis des choses drôles dans des dîners en ville, ce masque avec lequel je courais dans les manifs noires et rouges à la Bastille, ce masque que je portais pour oser pénétrer dans le local des Apaches.
C'est avec ce masque que j'entrerai dans la grande salle pour siéger majestueuse parmi mes pairs ; c'est avec ce masque que j'abattrai les barrières entre deux corps transis de se mêler.

Paul, je t'ai démasqué.

Anne, est-ce toi qui m'as appris à donner mes trésors aux enfants étrangers, à cacher mes butins sous la terre du côté de l'étang, à pleurer sur la plage des Sables un premier mai, à sauter par la fenêtre en croyant qu'un filet va surgir pour me sauver ?

Anne, je t'ai surpassée.

Mascara, masacarade. Vous étiez si étranges, tout le monde le dit. L'ange blond et la brune triste perdus dans ce monde pour lequel vous n'aviez pas été dressés. Frères et soeurs morts en bandoulière contre vos coeurs, rage de passer à l'épée le décor de vos enfances détraquées.

Satan et Chiquita, que reste-t-il de votre cavale ?

Une saltimbanque, une européenne, un mousquetaire : trois adultes qui se souviennent à peine. Des photos déchirées dans un jour de colère. Des vinyles et des bouquins.

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mardi, 30 avril 2013

Sables d'Eau lonesome cowboy

Sables d'Olonne

 

Je te parlerai donc des Sables d'Olonne, une ville banale, dont la lumière est étrange, blanche, poussiéreuse, enivrante, où les serments intérieurs se prononcent au banc secret de Cayola.

Sables d'Olonne

 C'est la ville de la joie et de la douleur pour une fratrie que je connais et qui célébra, en l'église de Notre-Dame de Bon Port, la messe de requiem d'un frère de quatorze ans emporté par une leucémie, celle d'une sœur de dix-neuf ans trouvée pendue à un arbre.

 C'est la ville où j'ai couru sur le remblai qui semblait immense à quatre, cinq, six ans. Vingt ans plus tard, quand j'y suis retournée, tout m'a paru si petit. J'ai compris alors à quel point les regards d'enfants sont généreux.

Sables d'Olonne

 C'est la ville où j'ai décidé de m'exiler, quand partout où je me tournais le paradoxe me faisait face, tirant sa langue cruelle.

J'y suis partie en quête de moi-même, et je ne m'y suis pas trouvée. Je dois être (si j'existe vraiment) bien cachée. J'y ai rencontré en revanche le silence et la solitude, et je les ai apprivoisés. Désormais, ils ne me font plus peur. Ils peuvent venir s'asseoir à côté de moi, m'entourer de leurs bras, étendre leurs ailes sur mon périmètre et même pénétrer comme le vent à l'intérieur de mon corps, de mon cœur, de mon âme : ils ne me dérangent plus.

Sables d'Olonne

 Comme toute la côte vendéenne, qui était si belle antan, la ville des Sables d'Olonne achève de troquer ses murets de pierre contre des parapets de béton, ses dunes et ses landes contre des immeubles qui rivalisent de laideur, ses jolis casinos qui ressemblaient à des chalets contre des CENTRE DE CONGRES sans accent grave, dans la lumière nocturne desquels, parfois, depuis la piscine d'en face, on croit apercevoir un congre exilé qui nage, désolé, à travers les colonnes plastifiées de son palais triste.

Mais la piscine fume esthétiquement sa chaleur artificielle, figée au pied d'un bar entre la plage et la promenade, appréciant les nageurs courageux qui la parcourent et les buveurs langoureux qui la contemplent. Elle a de la chance, car aucun toit ne la sépare de la lune.

Sables d'Olonne

 Les jours d'été, tous ces bateaux blancs et ces jolis noms de rue ont émerveillé des générations de « congés payés », comme les Sablais les appelaient.

Mais les soirs d'hiver, la ville s'éteint tôt. Le vent souffle. Les bateaux n'osent plus rentrer par le chenal traitre. Au fond du studio, allongée sur son lit dans le noir, une rêveuse en apnée envoie des textos mystérieux en écoutant les hurlements des mouettes.

Sables d'Olonne

 

dimanche, 28 avril 2013

Lorenzo

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 J'avais peur, très peur en montant l'escalier de la rue du Bouloi.

J'avais traversé la ville, apparemment en sweatshirt, jean et basket ; en réalité enveloppée d'un long manteau de peur, dans une matière noire comme la mort, aux boutons rouges sang qui oppressaient ma poitrine, aux vastes pans qui enserraient mes jambes, interrogeant sans cesse ma mère qui se lassait de répondre à mes questions et m'intimait l'ordre, l'ordre étrange et impossible, de l'embrasser comme si de rien n'était.

À ma droite, ma petite sœur et ses longs cheveux blonds, son sourire désolé d'avoir quitté ses poupées, sa joie devant les scènes de rue du dimanche. Qui pouvait savoir qu'elle filerait un jour dans le Thalys, vers la Bruxelles européenne, un téléphone de femme d'affaire entre les mains ? Entre nous deux, le gros bébé aux boucles craquantes, aux joues rebondies entourant une grosse tétine que suçait sa bouche angélique, ne laissait pas deviner le lionceau facétieux qui couvait, encore moins le jeune lion impérieux et incontrôlable qui hanterait les nuits parisiennes de ses coups fourrés quelques années plus tard.

- Mais si ça se voit sur son visage ?

- Embrasse-le comme si de rien n'était.

Comme si de rien n'était. Je ne me souviens plus de l'étage auquel se trouvait l'appartement, combien de marches j'ai gravi. Mon cœur et mon pas ne faisaient qu'un. En haut, m'attendait un homme condamné à mort qui partait pour toujours.

Dans l'appartement où je suis née, et dont mon père était parti depuis déjà longtemps, je les entendais prononcer le mot effrayant, tous les amis de ma mère.

Cousins de l'Ouest, pleurant un suicide fraternel, une maison d'ancêtres vendue, cousins sous-diplômés traînant leurs noms à rallonge, leurs douceur malheureuse dans les rues du centre de Paris, les poches trop vides, des poches aux yeux.

Amis issus d'un monde ouvrier montés un peu dans l’implacable hiérarchie sociale ; trop peu habitués au ski à Mégève et aux brunchs de la rue Montorgueil, il préféraient venir frotter leurs tailleurs et costards trop récemment coupés aux vieux meubles en ruines du 13 boulevard du M., que de tenir la dragée haute chez les fringants bourgeois.

Fringants bourgeois aussi venaient jusqu'à nous, charmants, heureux, loufoques pendant les fêtes et sages au travail, trop beaux pour être honnêtes, trop honnêtes pour être beaux, trop sensibles pour être bourgeois, trop bourgeois pour dérailler, sympathiques par dessus tout et chaleureux à leurs heures, capables de vannes impitoyables et de rires merveilleux, mais toujours rattrapés par les exigences sociales au moment de franchir le Rubicon.

Cousins déchus, amis timides, idoles fringantes, toute cette faune passant et repassant à la maison, faisant des efforts pour ne pas succomber à cette panique d'avant les campagnes de sensibilisation.

J'avais entendu des gens en parler à l'école ; le journal Okapi que lisaient de jeunes voisins de mon âge, avait publié dans son courrier des lecteurs quelques lettres désespérés d'enfants hémophiles et « atteints », renvoyés de l'école ou interdits de s'asseoir à côté des autres enfants. La France d'avant les campagnes de sensibilisation se montrait parfois – souvent - sous ce jour cruel.

Le Sida, donc.

Le mystère de l'homme très brun se dévoilait. Celui qui demandait, candide, à ma mère intriguée : « Mais pourquoi, vous, femmes perdez-vous toute personnalité dès lors que vous vivez avec un homme ? » ; l'ami de l'oncle pas marié ; le peintre basané qui ne nous traitait jamais comme des enfants, mais comme de jeunes chats qu'on laisse passer entre les meubles et qu'on caresse de temps en temps. Le secret de celui dont nous mesurions l'étrange étrangeté nous était révélé. Il était homosexuel. Il avait le sida. Il retournerait mourir en Colombie.

Et nous allions le voir pour la dernière fois.

- Et si on voit vraiment qu'il est malade ?

- Embrasse-le comme si de rien n'était.

- Mais qu'est-ce qu'il va dire ?

- Il ne dira rien.

Les deux petits se disputèrent pour frapper à la porte en haut de l'escalier.

L'oncle ouvrit. Nous entrâmes.

Terne et morne à force d'être concentrée, j'embrassai quelques personnes oubliées depuis – dont une femme aux longs cheveux bouclés qui portait un bracelet afghan - et me plantai devant Lorenzo.

Il était archangélique et comme avant, il flottait dans de larges pantalons de soie beiges, bruns, tachetés de rouge carmin. Sa voix douce, dans laquelle flottait l'accent du castillan de Colombie, me salua et son regard plongea dans le mien.

- Il sait que je sais, pensai-je, les yeux plantés dans ses yeux, fixement.

En tendant mes joues et mes lèvres, j'embrassai à la fois la beauté et la mort.

Fière de ma victoire, je me tournai vers ma mère qui ne me regardait plus. Elle avait confiance en moi. Quelques minutes plus tard, dans une zone indistincte entre la cuisine et la salle à manger, je chuchotais à l'oreille de la dame au bracelet que j'avais déjà vue et dont je ne sais plus le nom : « Je l'ai embrassé comme si de rien n'était !» Elle me sourit et me pressa l'épaule.

Au moment de passer à table, Lorenzo s'asseyait là-bas, à côté du mur. Je fus prise d'un vertige. Je me précipitai pour me mettre à côté de lui avant qu'un autre prenne la place.

Je vérifiai s'il n'était pas agacé par mon audace. Ce vague sourire lointain et ses yeux d'étranger, il les inclina vers moi.

Le Christ a vaincu le monde et ceux qui ont touché sa plaie n'ont-ils pas leur part de gloire mystique ? Lorenzo le mourant planait au-dessus du monde et je siégeais à sa droite. Il me passait les plats et je frôlais sa main. Aucune parole ne fut échangée entre nous durant ce repas, juste des plats, des regards et des sourires.

Les adultes parlèrent longtemps après le déjeuner. Nous, les trois enfants, nous sombrions dans l'ennui. Je ne me souviens plus de l'au-revoir, du départ.

Il repartit dans son pays des Andes sauvages et des bidonvilles baignés de soleil, et ne revint jamais.

On nous appris sa mort lointaine, sa mort exotique, une mort impalpable. Il était devenu aveugle, un film avait été tourné sur sa vie.

Depuis ma mère et l'oncle ont cessé de se voir. Mais j'ai remonté l'escalier de la rue du Bouloi.

En entrant dans la chambre d'hôpital où l'amie (ne) pleurait (pas) son pied happé par un train, je savais que je montais l'escalier de la rue du Bouloi, et mon cœur et mon pas ne faisaient qu'un. En passant la frontière bolivienne, le dossier judiciaire d'un chef du Sentier lumineux de la région de Cuzco sous le bras, que parcoururent d'yeux soupçonneux des douaniers manifestement analphabètes, quand l'image des prisons boliviennes m'apparut à l'esprit et que je compris la folie que j'avais entreprise, je montais à nouveau l'escalier de la rue du Bouloi. À mes côtés, une compagne de voyage innocente babillait sur les produits détaxés sans savoir...

Aux côtés de C. agonisante, reconnaissant dans ses râles et au creux de ses yeux les signes de l'agonie finale que j'avais lus le matin même sur wikipédia, je tenais sa main déjà froide et je voyais l'escalier de la rue du Bouloi.

À d'autres moments encore, j'ai monté cet escalier et mon cœur et mon pas ne faisaient qu'un.

Quand j'ai rencontré sur ma route la beauté stupéfiante du monde, la profondeur abyssale de la solitude, la terreur panique de l'amour ou l'angoisse captivante de la mort, j'ai senti que ma main frôlait Lorenzo. La mort comme l'amour est un baiser. Comme la mort, l'amour est un brasier. Nous les attendons comme des enfants avides et nous les fuyons comme la peste.

La splendeur de la mort m'a été offerte par Lorenzo ; depuis, j'ai entrevu d'autres beautés vénéneuses. Il est des escaliers en haut desquels m'attendaient des initiations et que je n'ai pas gravis. Il est des caresses que j'ai fuies, de peur qu'elles laissent mon corps en ruines. Toutes les morts m'attendent, de l'autre côté desquelles les renaissances font si peur. Toutes les morts m'attendent encore.

 

28.4.13, Edith

 

Quelques requiems d'AlmaSoror :

Maryvonne, fille de la Révolution

Elle partie

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Amour d'un homme pour son petit garçon

Dialogues du septième sceau

Requiem pour la langue Bo

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26 mars 1962

Ma rencontre avec Anne-Pierre Lallande, chrétien, anarchiste, antispéciste

Les yeux, les tombeaux, l'esclave

 

vendredi, 19 avril 2013

Maryvonne, fille de la rêvolution

 , CNT, Sara, Révolution

Un jour, un peu avant l'an 2000.

J'étais chez toi, rue Boissonade, et au cours d'un dialogue que nous avons eu, en quelques phrases tu as ouvert de nombreuses portes en moi. Ces portes m'ont dévoilé des jardins luxuriants dans lesquels je flâne encore aujourd'hui, étonnée de l'étendue de ta liberté.

 Tu es partie, parait-il, en offrant un dernier sourire éblouissant aux gens qui t'aimaient. Tu as demandé à tes petites filles de vivre ta mort dans la joie et la paix. Tu es partie là-bas dans le Nord, dans cette maison que je ne connais pas.

Quelque temps après, tes amis, tes enfants t'ont fêtée une dernière fois tous ensemble.

Nous savions par ton exemple que la vie peut suivre la voie du rêve, se multiplier dans des baisers, tracer des routes pour la révolution. Tu nous as montré par ta mort que la mort peut être un rêve, un baiser, une révolution.

 Ton héritage, j'en prends ma part.

 Je vivrai de rêves, de baisers, de révolutions. Je mourrai dans un dernier rêve, dans un dernier baiser, en accomplissant mon ultime révolution.

 Merci de m'avoir appris à penser d'une certaine manière. Merci de nous avoir appris à mourir en offrant un radieux sourire à ceux qui restent encore quelque temps sur la terre.

 

Sur le site de la CNT, un salut à Maryvonne

On peut lire en ligne son Texte L'invention d'un zéro