mardi, 09 octobre 2012
Oh, zones...
Un billet d'Esther Mar sur une musique de Victor Tsoi et Kino.
Il suffit qu'on change, un quart de seconde, le point de vue qu'on a sur la vie pour sortir de l'enfer et entrer dans un monde très beau.
Et ça on refuse de le faire, parce que c'est trop facile.
Et pourtant, ce n'est que ça, la résurrection.
Et pourtant les cauchemars continuent, nuit à après nuit. Insomniapolis mange mon sommeil. La ville nocturne m'emporte dans son monde gore où nous réalisons enfin que nous ne sommes que des zombies. Nos manteaux attaqués par la vermine, nos chaussures trouées traînent dans les flaques banlieusardes. Les monstrueux lambeaux de villes nouvelles, déjà noyées de grisaille et de rouille, vidées de tout ce qui ressemble au bonheur de vivre, s'étendent au-delà des horizons. Reste-t-il des forêts, des étangs, des animaux cachés quelque part en ce monde ?
Ô mon Dieu à quoi servirent nos adolescences ? Vous qui n'existez pas, vous seul, pourrez nous sauver du Vide qui nous entoure et qui n'a pas de fond.
Que reste-t-il de ce que nous fûmes, de ce que nous fîmes, de ce que nous fumâmes ? Où sont les photographies où l'on souriait encore, de ce sourire faux qui fait croire au bonheur et qui pousse l'autre au suicide ?
Nos idoles se sont jetées dans les ravins. Leurs voix tournent encore dans des ordinateurs aux cartes sonores distordues. Nous aimâmes l'idée que nous aimerions un jour comme nous avions aimé au cœur de l'enfance, au creux de notre confiance dans un monde dont nous ne voyions que les illusions, les lumières trompeuses.
Comme j'ai mal. Comme j'ai mal à cette enfance aux grands yeux qu'on a trucidée avec des mots. Comme j'ai mal à cette adolescence aux bouches mornes où pendaient des cigarettes, et qui attendait l'aurore. L'aurore est venue : elle était plus triste encore que les prisons déjà connues.
Les amours que nous rêvions gisent, avortées au bord de l'océan des déchets. Les cargos du bout du monde coulent au large. Quelques oiseaux volent encore, et je m'accroche à la jeunesse comme une folle alors que les premières rides ont creusé leur sillon de mort sur mon visage conscient et résolu.
Vivre, c'est avoir cru et voir qu'on s'était trompé.
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jeudi, 04 octobre 2012
Algues séchées
Les algues sèchent à la frontière du jardin et de la mer, à quelques mètres du fauteuil de paille. Ti punch, tu m'infuses ta sagesse.
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lundi, 01 octobre 2012
La fabuleuse plume de Jacques Benoist-Méchin
N'est-ce pas l'un des plus grands écrivains du XX°siècle - n'est-ce pas le plus grand styliste ?
Un extrait de son Printemps arabe, publié par Albin Michel en 1959 :
"Nous passerons donc cette dernière nuit à l' « Oriental Palace ».
Mais avant de me rendre à l'hôtel, où j'ai fait déposer mes valises, je veux profiter de cette soirée pour faire un tour en voiture et flâner un peu au bord de la mer, au-delà de Shuwaik.
Depuis mon arrivée à Damman, où je l'ai aperçu pour la première fois, le golfe Persique m'est apparu comme une des régions les plus prenantes du monde. Je l'ai revu à Dahran, à Ras-Tanura, à Mina-el-Achmadi, et chaque fois mon bonheur n'a cessé de grandir. Cette étendue de sables et d'eaux entremêlés possède un pouvoir d'envoûtement auquel il est impossible de se soustraire. Je me représentais le golfe comme un bloc d'outremer, enchâssé dans des récifs cuivrés où les vagues viendraient battre sous un soleil implacable. Il n'en est rien. La terre est si lisse qu'on n'en voit pas la fin. Elle glisse sous l'eau par une pente insensible pour renaître quelques centaines de mètres plus loin sous formes d'écharpes de moire, comme si elle ne se résignait pas à mourir.
Le paysage est d'une douceur vraiment édénique. La mer est immobile. La côte a la pâleur du verre dépoli et le ciel répand sur elle un rayonnement diffus. Ce n'est pas par hasard si l'on trouvait ici, jadis, les plus belles perles du monde. Toute la nacre du ciel, de la terre et des eaux venait se condenser au fond des coquilles. Aujourd'hui, les pêcheries ont disparu. Mais le décor n'a pas changé. Il semble toujours prêt à engendrer ces petites sphères irisées, grandies au fond d'une mer caressante et laiteuse.
Le crépuscule descend. L'auto glisse sans bruit le long de la route qui épouse la courbe de la grève. Une plage à peine inclinée, d'une couleur indéfinissable, sépare la chaussée de la mer. Au loin, les palais des princes disséminés dans la plaine allument leurs girandoles roses. On dirait des cuirassés parés pour une fête. Le chauffeur abaisse une touche de son poste de radio. Une voix s'élève comme un sanglot au milieu de toute cette douceur. C'est une chanson française retransmise par Damas.
Oh, je voudrais tant que tu te souviennes
Des jours heureux où nous étions amis
En ce temps-là, la vie était plus belle
Et le soleil plus brûlant qu'aujourd'hui...
L'auto poursuit sa course. Des formes indistinctes sont accroupies devant leurs maisons pour jouir du calme du soir. De loin en loin, des filets de pêche que l'on a mit à sécher tendent leur écran transparent, comme une offrande à la nuit.
Tu vois, je n'ai pas oublié
La chanson que tu me chantais
Oh non ! Je ne l'ai pas oubliée ! Que de fois ne l'ai-je pas entendue quand j'étais en prison ! De l'autre côté d'un mur d'enceinte qui le rendait invisible, un prisonnier la chantait à la tombée du jour et je l'écoutais, le cœur battant, à travers les barreaux de ma cellule. Ses accents nostalgiques éveillaient en moi les regrets de ma jeunesse écoulée, de visages aimés que je ne reverrais plus... Et voici que ce refrain vient me relancer jusque sur les bords du golfe Persique, au fond de ce crépuscule grandissant, pour me rappeler mes illusions enfuies et me faire monter les larmes aux yeux. Que la vie est étrange ! Qui m'eût dit qu'un jour j'entendrais s'élever au plus profond de l'Orient cet écho lointain de ma captivité !
C'est une chanson
Qui me ressemble
Toi qui m'aimais
Et je t'aimais
Et nous allions
Tous deux ensemble
Toi qui m'aimais
Moi qui t'aimais
L'un après l'autre, une couronne de feux rouges s'allume au sommet des châteaux d'eau qui dominent la ville. Leur partie haute est opaque. Mais leur base à claire-voie laisse filtrer les derniers rayons du soleil, de sorte qu'ils semblent flotter à la surface du jour.
Mais la vie sépare ceux qui s'aiment
Tout doucement, sans faire de bruit...
Tout cesse et pourtant tout continue, comme ce paysage suspendu au bord de l'évanouissement. Malgré la tristesse qui m'envahit, je veux savourer pleinement l'enchantement de cette heure. Une vieille carène de felouque dresse vers le ciel ses côtes dénudées. Nous approchons du cimetière de bateaux. Sur la plage, qui semble à présent plus lumineuse que la mer, des jeunes gens dansent en se tenant par la main. Leur ronde tourne sur elle-même, lentement, comme les étoiles. Sentent-ils la mélancolie poignante de cet instant ? Ou n'est-il triste que pour moi ? Pourquoi faut-il toujours s'en aller, s'arracher à ce qu'on aime ?
Déjà les ombres gagnent. Elles dissolvent les formes immobiles accroupies sur le seuil de leurs portes, le profil des maisons, les étraves des navires. Tout cela aussi ne sera bientôt qu'un souvenir... je dis au chauffeur de faire demi-tour.
Et la mer efface sur le sable
Les pas des amants désunis
Au loin, indifférente à l'heure qui passe, Koweit scintille de tous ses feux".
Jacques Benoist-Méchin, Un printemps arabe, fin de la troisième partie
Sur AlmaSoror nous avions déjà mentionné cet écrivain :
Epuration : l'auteur raconte sa condamnation à mort à la Libération
Trois esthètes du XX°siècle : Romain Rolland, Jacques Benoist-Méchin, Raoul Vaneigem
Le style immense et plein de pensée de Jacques Benoist-Méchin
L'invasion de l'Europe dans les années 700
Les photographies qui accompagnent ce billet sont de Mavra Nicolaïevna Novogrochneïeva
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lundi, 03 septembre 2012
Svanhild
Svanhild est l'un des textes du recueil La dame à la louve, de Renée Vivien, que quelqu'un a généreusement mis à la disposition de tous, par ici...
Nous la proposons à la lecture, cette pièce étrange, aérienne, d'une écrivain qui fit sienne la langue française et à qui nous devons beaucoup, car son style a tous les charmes de notre langue, sans jamais en avoir la pensanteur qui lui est propre - car chaque langue à ses sentiers battus, trop battus...
Svanhild
un acte en prose
SCÈNE PREMIÈRE
La scène représente une rive du Nord-Fjord. Dans le fond, des montagnes. Des jeunes filles, en costume de paysannes, forment un groupe mouvant. Elles foulent aux pieds les clochettes bleues, le thym et les gentianes. Immobile sur un rocher, Svanhild regarde au loin.
Thorunn
Que regardes-tu de tes yeux fixes, Svanhild ? Et que viens-tu chaque jour attendre en silence ?
Svanhild
J’attends le retour des cygnes sauvages.
Gudrid
Tu sais bien qu’ils ne sont point revenus dans la contrée depuis le jour de ta naissance. Ils s’arrêtèrent et se reposèrent longtemps sur le toit qui t’abritait. Tant que persista la clarté, ils s’attardèrent sur le toit de mousse aux fleurs bleues et dorées, et, au crépuscule, ils s’enfuirent dans un grand battement d’ailes.
Svanhild
Ils reviendront.
Bergthora
Il y a vingt ans qu’ils se sont envolés vers le Nord, et, depuis ce jour, aucune d’entre nous ne les a vus passer.
Svanhild
Je sais qu’ils reviendront.
Bergthora
Pourquoi restes-tu debout sur le rocher, immobile et contemplative pendant des journées entières ?
Svanhild
J’attends le retour des cygnes sauvages.
Des chants de fête s’élèvent. Des barques passent sur le fjord, chargées de femmes aux costumes étincelants.
Des paysannes, chantant
- Ne t’approche point du glacier,
- Car le froid brûle comme la flamme.
- Ne t’approche point de la neige,
- Car la neige aveugle comme le soleil.
- S’éloignant.
- Ne demeure point longtemps sur les sommets,
- Car l’azur entraîne comme le vertige.
- Hildigunn
Entends ces musiques lointaines. Les barques glissent sur le fjord avec un bercement tranquille. Les paysannes rament en chantant : elles sont heureuses.
Svanhild
Leur bonheur serait pour moi la pire angoisse, et mon bonheur serait pour elles le plus morne supplice.
Gudrid
N’aimes-tu donc rien sur la terre ?
Svanhild
J’aime la blancheur.
Thorunn
Quel don espères-tu de la vie dans son printemps ?
Svanhild
La blancheur.
Ermentrude
Si le destin exauce miraculeusement ton espoir, si les cygnes sauvages reviennent, que feras-tu ?
Svanhild
Je les suivrai.
Bergthora
Jusqu’où les suivras-tu ?
Svanhild
Jusqu’aux limites du couchant.
Hildigunn
Quel est le but de ton rêve ?
Svanhild
SCÈNE II
Une Passante entre, les mains pleines de fleurs, tête nue, les cheveux mêlés de thym et de brins d’herbe.
La passante
Les routes sont magnifiquement larges. Je suis ivre de la poussière du chemin. J’ai dormi sur la bruyère, et, à travers mon rêve, j’aspirais le parfum des cimes. Les baies rouges et violettes ont apaisé ma faim, et la neige fondue m’a désaltérée. J’ai cueilli les roses des montagnes. J’ai dansé, nue dans le soleil. Existe-t-il sous l’azur du printemps quelque chose de plus beau que les lézards des rochers, les chardons bleus et mauves, l’étincellement entrevu des poissons et les nuances du soir ?
Svanhild
Il est quelque chose de plus beau.
La passante
Que peut-il exister de plus beau sur la terre ?
Svanhild
Les nuages, la neige, la fumée, l’écume.
La passante
Ne veux-tu point suivre, à mes côtés, la route libre comme l’horizon et vaste comme l’aurore ?
Svanhild
Non.
La passante
Svanhild
J’attends le retour des cygnes sauvages.
La passante s’enfuit joyeusement.
SCÈNE III
Le soleil baisse. Le couchant illumine le ciel.
Le soir est gris et pâle.
Bergthora
Voici le soir. Combien les montagnes sont mystérieuses !
Gudrid
Que le silence est étrange !
Hildigunn
Svanhild, à elle-même
Attendre… comme moi.
Thorunn
La Mort guette les égarés qui s’attardent dans les montagnes.
Asgerd
Les chemins sont périlleux lorsque la brume tombe des sommets.
Svanhild, dans un grand cri
Les cygnes ! les cygnes ! les cygnes !
Toutes, les regards vers le lointain
Nous ne voyons rien.
Svanhild
Le vent du Nord souffle dans leurs ailes… Ils ont franchi la mer, car l’écume argente leur plumage. Ils vont vers le large. Leurs ailes sont déployées et frémissantes comme des voiles… Entendez-vous le battement magnanime de leurs ailes ?
Toutes
Nous ne voyons que les blancs nuages qui passent au-dessus du fjord.
Svanhild
Ils sont plus beaux que les nuages. Ils vont vers les lumières boréales. Ils sont plus beaux que la neige. Comme leur vol est puissant et sonore ! Les entendez-vous passer ?
Toutes
Nous n’entendons que la brise du soir sur les fjords.
Svanhild
Je les suivrai ! Je les suivrai jusqu’aux limites du couchant !
Asgerd
Svanhild ! Les chemins sont périlleux, lorsque la brume tombe des sommets.
Thorunn
La Mort guette les égarés qui s’attardent sur les montagnes.
Gudrid
Songe aux brouillards qui voilent les abîmes.
Svanhild
Ô blancheur !
Elle s’enfuit au fond de la brume.
Asgerd
Elle se perdra dans le crépuscule.
Gudrid
Elle périra dans la nuit. Svanhild !
Toutes, appelant
Svanhild !
L’écho
Svanhild !
On entend un grand cri répercuté par l’écho.
Gudrid, avec angoisse
L’abîme…
Renée Vivien
11 juin 1877 - 18 novembre 1909
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lundi, 27 août 2012
Réponse à une question de Sara
Sara : Édith, quand retrouverons-nous notre patrie ? Elle est peut-être là sous nos pas, devant nos yeux... Une brume maléfique nous la cache. Qui la dissipera ?
J'ai peur que ma patrie n'existe pas. J'ai peur d'être un monstre, une larve, une erreur au milieu de ce monde. Mais si tu y crois, si nous sommes deux à y croire, peut-être trois, alors la marche nous y emmènera. La fin du voyage sera belle, mais combien de plumes aurons-nous laissées sur le chemin ? Combien de larmes aurons-nous versé dans le silence de la nuit ? Combien de gens aurons-nous blessés avec nos rires blasés, combien de trous noirs aurons-nous comblés avec du papier de verre au fond de nos corps qui se fracassent sur les rochers de la vie, jetés par des vagues trop grandes pour nos bras, pour nos dos, pour nos esprits trop sages, pas assez méchants ?
J'ai peur que ma patrie soit trop loin pour qu'on puisse y accoster un jour. Et pourtant, si tu avais raison ? Si elle était là, sous nos pieds, devant nos yeux ? S'il suffisait que la brume se dissipât pour qu'elle apparût, à portée de main, à portée de rire, prête à accueillir les sanglots du Grand Retour ? Ô brume, quel chant pourra te souffler hors de ces champs de vision, quel souffle pourra nous révéler à notre terre natale, à la terre des ancêtres, à la terre qui nous attend, la terre promise qui est aussi la terre originelle - la terre originelle qui est toujours la terre promise ?
A lire aussi, sur AlmaSoror, la réponse à une question de Tieri Briet.
Si vous avez des questions...
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samedi, 25 août 2012
Jadis, en deux-chevaux
Par Edith
Stéphanie est apparue belle et élégante dans un jean gris et un haut noir. Blondeur douce dans la grisaille tiède de ce jour d'août. Le quinzième arrondissement était toujours aussi mystérieux, si peu parisien, si animé pourtant, familial, en travaux, toujours chargé du poids de la quotidienneté, sans lieux ni espaces hors du temps, et cependant si vide ce 24 août, comme suspendu, ballant, en instance entre deux vies scolaires.
Nous avons parlé de vin et des copains de la formation viticole, des enfants à avoir ou pas, et des réflexions désagréables entendues ces derniers temps, nuages mentaux ayant embrumé l'été, l'été qui s'achève lentement sur les rives fracassantes de septembre.
Bientôt nous fûmes les seules clientes du Jadis. Même le beagle qui hantait la salle de restaurant a fini par emporter sa petite élégance anglaise et son charme canin sous d'autres plafonds.
Soudain ses yeux se sont chargés d'un mélange de malice et d'effroi à peine perceptible et sa voix s'est abaissée :
- Tu as les lèvres toutes noires, prononça-t-elle sur un ton de mystère.
C'était l'encre de seiche.
Et puis nous sortîmes du restaurant pour entrer dans la deux-chevaux de Stéphanie, qui s'improvisa bricoleuse pour réussir à décapoter la voiture. Une carte servit de tourne-vis. Traversée du quinzième arrondissement dans la deux-chevaux décapotable : surgissement de souvenirs d'une enfance lointaine, de routes de Vendée traversées à l'arrière d'une deux-chevaux qui vivait cahin-caha ses dernières heures, cahotée et cahotante.
Grande gloire de fendre la bonne ville de Paris dans cette vieille petite voiture amusante, joie des enfants et des passants plus grands.
Retrouvailles avec mon bureau sombre et pourtant beau depuis que je l'ai entièrement rangé.
Avec les années vécues qui s'accumulent, moi qui ai désormais dépassé l'âge fatidique de 33 ans, mes ambitions s'apaisent et se confondent en une seule, qui avale toutes les autres : j'essaie d'être en paix avec le temps qui s’écoule.
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vendredi, 24 août 2012
De l'humiliation
Photo de la libération de Green Hill
Nous vivons sous le signe de l'humiliation.
La voiture de police qui passe pour écarter le peuple et laisser passer la personne « importante ».
L'humiliation que l'on éprouve vis à vis de tous ceux qui possèdent un peu plus (en aura, en argent...) que nous.
L'humiliation quotidienne au travail : celle de la posture de subordonné ; celle de la posture de patron aussi, quelquefois (le patron solitaire subit l'exclusion par les autres).
L'humiliation de ce que nous devenons par rapport à ce que nous désirions.
L'humiliation dans nos amitiés, où la compétition se dissimule derrière les apparences.
L'humiliation dans notre famille, dès notre naissance et malgré les stratégies d'entente et l'amour qui circule.
L'humiliation au cœur même de notre couple, dans notre lit, au milieu de la nuit.
Pire que tout cela... Les images visibles de l'humiliation ne doivent pas nous faire oublier que les pires humiliations sont insaisissables pour qui n'est pas dans le cœur de celui qui la subit.
Dans les professions subordonnées et domestiques (= de maison), on raconte de nombreuses histoires de méchantes bourgeoises méprisantes avec leurs femmes de ménage, de cruels patrons méprisants avec les subalternes. Ces histoires sont vraies, bien réelles.
Or, ce n'est pas l'arrogance de ces bourgeoises ni la méchanceté de ces patrons qui est critiquée par leurs victimes : car l'arrogance et la méchanceté sont également répandues dans toute la société. Qui se plaint de l'arrogance et de la méchanceté d'un clochard assis à côté de sa pisse, d'une pute harassée par l'abattage du jour ? On se laisse insulter par eux en passant tranquillement, sans se sentir humilié... On peut même recevoir les tombereaux de mépris qu'ils nous versent et soupirer : "pauvre bougre !" Parce qu'on méprise leur position.
Ce qui fait mal dans la méchanceté de la bourgeoise, du patron, ce n'est donc pas la mesure de cette méchanceté, qui ne nous dérange plus ou plus beaucoup dès lors que l'arrogance qui nous vise vient d'en bas. C'est le degré d'envie et d'admiration que nous éprouvons envers cette bourgeoise et ce patron.
On pourrait croire que c'est leur pouvoir, qui leur donne la capacité de nous humilier, un pouvoir arbitraire, un pouvoir inégal, un pouvoir illégitime. Mais qu'est-ce qu'un pouvoir dont personne d'autre ne voudrait ?
Il suffirait en ce monde que dix pour cent des gens cessent d'obéir aux puissants et cessent de désirer un plus haut statut social, pour que le pouvoir lié à la puissance extérieure et au statut social s'effondre comme un château de sable.
Mais ce pouvoir ne s'effondrera jamais parce qu'il n'est pas seulement ancré dans le cœur des méchantes bourgeoises et des méchants patrons. Il est ancré dans le cœur de tout homme.
Ce n'est donc pas le pouvoir des personnes haut-situées qui nous écrase. C'est notre désir d'être à leur place qui nous lacère.
Qui plus que l'ouvrier ou le paysan se réjouit de voir un fils de riche échouer dans son intégration sociale et prendre le même métier qu'eux ? Quelle jubilation étrange ! Preuve qu'il n'ont aucun respect pour leur métier, aucun respect pour leur statut, pour leur être même, ils n'ont que respect pour ce qui les méprise. Preuve, surtout, qu'ils jouissent de l'humiliation d'autrui avec délectation. Le seule et unique élément qui les rend conscient de l'horreur du mépris, c'est d’être dans la situation de le subir. Cela reflète ce triste fait que ce n'est pas leur conscience qui les fait haïr le mépris et l'humiliation, c'est leur ego.
La conscience ne demande que la liberté ; l'ego exige la flatterie. La conscience n'a besoin que de parité ; l'ego cherche la supériorité, et c'est seulement s'il ne parvient pas l'obtenir, qu'il se refuge dans un égalitarisme de revanche.
C'est l'incapacité de choisir la parité, dans les domaines de notre vie sociale comme dans ses recoins les plus intimes, qui nous détruit.
Le mépris de celui qui nous paraît plus bas se confond avec l'admiration de celui qui nous paraît plus haut : ces deux sentiments viennent de la même source. Il peut nous arriver de transformer notre mépris en condescendance, de transformer notre admiration en haine ; nous croyons ainsi échapper à l'humiliation qui nous crucifie. Mais ni la haine, ni la condescendance ne peuvent nous sauver.
Pour vaincre l'humiliation, il faut dissoudre notre ego dans la conscience.
C'est cette humiliation que Bouddha voulut découvrir, qui le fascina, qu'il voulut expérimenter en sortant de son palais où il était le beau petit prince.
C'est cette humiliation que le Christ prit sur lui entièrement pour en décharger ses frères.
C'est cette humiliation qui nous blesse au quotidien : la vie amoureuse - ou l'absence de vie amoureuse -, sans l'humiliation qu'elle charrie, intrinsèque au couple ou issue du regard des autres, ferait beaucoup moins souffrir et ne nous inspirerait pas tant de chansons et de films languissants et répétitifs.
La dureté matérielle et financière serait allégée de la plus grande partie de son poids si elle n'était pas accompagnée de l'humiliation.
Les relations familiales, amicales perderaient beaucoup de leurs capacités de nous blesser sans le poids de l'humiliation qui les accompagne.
Le fait d'avoir ou non des enfants, et, lorsqu'ils sont nés, nos relations avec eux, leur parcours de vie, seraient cause de beaucoup moins de douleur si ces éléments n'avaient rien à voir avec l'humiliation.
Il n'y aurait pas de problème de statut social.
Si chacun de nous pouvait voir son prochain comme une étoile scintillante dans un ciel étoilé (hiérarchise-ton les étoiles ?) et se voir soi-même comme tel, le monde serait déchargé de la plus grande part de son malheur.
Nous souffririons simplement des vraies souffrances, et la principale souffrance du monde, qui se greffe à toutes les autres, l'humiliation, serait abolie.
Peut être alors que par un mouvement naturel, nos cœurs guéris n'éprouveraient plus le besoin de laver leurs douleurs dans la douleur d'autres corps. Nous deviendrions fraternels et libéraux envers les animaux, leur laissant leur place dans ce vaste monde.
Les héros en route vers la libération des chiens de labos.
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mardi, 07 août 2012
de l'autre côté d'hier
Phot. Sara
La cathédrale de Bourges effleurée, un taxi bizarre, l'ave maria remixé, c'était un jour d'été d'un autre monde, il y a mille ans, hier ou avant-hier.
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lundi, 06 août 2012
Quelle fortification de poussière et de sable sépare nos deux mondes ?
Tout le jour, surfer sur la vague de la vie, glisser sur ses ondes. Finesse, rythme, enchaînement guident ma vie. Finesse des silences, rythme de croisière, enchaînement des rires et des danses.
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mardi, 24 juillet 2012
Je crois vous reconnaître, homme bizarre qui m'évitez
Marchand, étiez-vous au bar des désespérés le soir où Nayon s'est noyé ? Y buviez-vous cette bière oblongue, vers neuf heures du soir, le 23 ventôse de l'an 2087 ? Si oui, avez-vous noté la lueur falote qui dansait au fond des yeux de la barmaid noire, quand son amie l'a caressée aux cheveux ? Et croyez-vous qu'on puisse un jour réécrire l'histoire, cette histoire du pirate blessé qui chantait le rorate caeli grégorien en levant le regard vers le ciel ? Et savez-vous ce que sont devenus ces âmes éparses qui nous lorgnaient en vidant des verres de Côtes du Mont Ventoux ? Marchand, était-ce vous qui chantonniez l'angélus de Jean-Christian Michel en dépassant d'un pas rapide les trois hommes en noir, comme pour une procession funèbre ? Marchand, je crois vous reconnaître. Je crois me souvenir de votre nom : Marchand. Et de votre sourire : triste. Et de votre profession : maçon en préretraite. Et je crois que c'était vous, et que vous le savez, et que vous ne le direz pas.
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lundi, 28 mai 2012
Consciences silencieuses
Par Esther Mar
Image : Polices parodiques du monde
Le site "Polices parodiques du monde" n'est plus, à mon humble web-connaissance. Il proposait de belles images, dont celle-ci. Nous l'avions déjà mentionné dans notre article intitulé Beauté des affiches des deux bouts de la politique.
Nous nous disions il y a quelques jours, tout bas, dans le couloir, avec quelques amis, qu'aujourd'hui, il est extrêmement courageux d'exprimer tout haut des idées non conformes au catéchisme culturel. Si nous voulons garder nos amis, notre travail, si nous voulons demeurer humains au milieu des humains - et non paria solitaire à l'écart des humains - nous devons nous taire. La souffrance morale que cause cette dictature de la pensée, je n'aurais jamais cru qu'elle soit si douloureuse. Nous ne risquons pas la prison, ni le bagne, encore moins la mort : nous risquons la haine, le mépris, les crachats verbaux et cela nous parait à la limite du supportable. Des idées qui ne nous font pas peur et qui ne contiennent aucune violence sont vouées aux gémonies, qualifiées de malodorantes ; les discuter même est suspect : il ne faut que les rejeter en bloc, pour demeurer humain parmi les humains. Nous vivons des temps d'intenses luttes morales : elles peuvent certainement mener certains à la mort, la mort par épuisement ou humiliation. Elles mènent sûrement et souvent à l'isolement et à la déréliction. Le monde entier est un grand tribunal anarchique et multiforme où, au nom d'une morale en perpétuelle édification, des foules se pensant bienséantes jugent des individus qu'elles trouvent abjects, sans qu'ils aient rien commis d'abject, ni prononcé de terrible. Où allons-nous ? Où serons-nous demain ?
Esther Mar
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jeudi, 10 mai 2012
Souffle et drogues autogénérées : le psychédélisme naturel
Le psychédélisme naturel
(un billet de Hanno Buddenbrook)
"Il faut être libre pour le devenir, car la liberté est existence, et surtout acquiescement raisonné à l’existence et désir ressenti comme un destin de la réaliser".
Ernst Jünger
Chers amis, chers non-amis,
Qu'est-ce que le psychédélisme ? Ce terme, formé des mots grecs « âme » et « clair , visible », a été inventé par le psychiatre Humphrey Osmond et l’écrivain Aldous Huxley, et signifie « révélation de l’âme ». Le mouvement psychélélique a voulu révéler cette âme humaine par l’emploi de drogues, qui émoustillent les sens et « ouvrent les portes de la perception », comme l’a dit Huxley. Ces portes, qui ont poussé Jim Morrison à appeler son groupe de musique rock the Doors, les Portes…
Les drogues utilisées par les adeptes du psychédélisme, hallucinogènes ou délirogènes, sont néfastes pour la santé mentale et physique et rendent fragile l’être humain dans une société dont le délire ne concorde absolument pas avec celui induit par les drogues.
Or, il est possible de se droguer sans se faire mal, sans s'aider de substances externes qui dégradent notre santé ou nous déconnectent de façon dangereuse du monde matériel dans lequel nous sommes plongés.
Le psychédélisme au naturel
Le psychédélisme naturel permet de vivre de façon intense, grâce à la dilatation des perceptions, en échappant à la fois à la prégnance des éléments néfastes de ce que l'on appelle vulgairement la "réalité" et aux conséquences destructrices des drogues.
La drogue extérieure et la drogue intérieure ne sont pas si différentes, dans leurs effets hallucinogènes de révélation des faces cachées de l’âme, des puissances créatrices contenues au fond de nous-mêmes. C'est leurs effets secondaires qui les différencient, tels les problèmes de santé, d'addiction, de cherté, pour ne citer que quelques-uns des problèmes liés aux drogues extérieures. Ces effets sont absents de la drogue intérieure. Quoique... l’on peut soutenir que l'addiction concerne aussi les drogues autogénérées. Mais c’est une addiction qui ne diffère pas de l’addiction à la course à pied : la privation de la drogue provoque éventuellement des crises de colère ou de dépression, que l’on peut surmonter en aménageant sa vie. Rien de grave, en somme. Le fait que la course à pied soit addictif n’enlève rien aux bénéfices qu’elle procure.
Nous comprenons Edith Morning lorsqu'elle déclare : "Si j’avais su que les rêves sont réels et le monde illusion, j’aurais inversé ma vision de la liberté et celle de la prison. Mais les menteurs amers disent décriant les images qu’elles sont illusoires, et nous entraînent dans leur " réel " qui n’existe que dans leurs sombres couloirs".
Comment fuir le réel sans qu’il nous rattrape ? Comment rester dans le réel sans dissoudre ses rêves ? En mélangeant savamment le rêve et la réalité, en célébrant au quotidien leurs épousailles mystiques.
Je souhaite partager le fruit étrange et mûr d'une expérience de quelques années.
Voici quelques moyens d'aboutir à ces états psychédéliques, sans LSD ni ingestion d’aucune autre drogue dure ou douce.
Par le souffle
D’abord on se calme, on ferme les yeux, on passe un moment à observer ce qui a lieu sur le rebord clos de nos paupières. Puis on observe notre respiration, son rythme, les effets que ce rythme, allié à une plus grande conscience des événements corporels, peut avoir (fourmillements dans une jambe, effets de ventouse sous une épaule…)
Après quelques temps, l’on peut influer sur ce rythme respiratoire en l’amplifiant. Il ne faut pas être trop directif avec soi-même. Dans tous ces exercices, le but est d’obtenir une sorte d’auto-hypnose.
Par la visualisation
Commencez par le bleu : imaginez un bleu très clair, et voyez le prendre toute la place. Imaginez que vous nagez dans ce bleu, imaginez que vous recevez des tombereaux de masse bleue, imaginez que le bleu vous enveloppe, vous remplit, emplit le monde entier.
Vous pouvez aussi imaginez que dans le monde dans lequel vous évoluez flottent des volutes bleues.
Vous pouvez vous envoyer ainsi des petits jaillissements de bleu dans la journée, par instants. J’ai arrêté de fumer en imaginant surgir un lagon bleu chaque fois que j’avais envie d’une cigarette. Je me suis soulé ainsi aux lagons bleus pendant plusieurs semaines.
Par le mouvement
La répétition inlassable d’un mouvement est une bonne entrée en matière, c’est-à-dire une bonne entrée en transe.
Par le son harmonique
L’apprentissage (doux) du chant harmonique provoque de grandes ouvertures mentales et imaginales. Il suffit de prendre une grande inspiration, choisir une syllabe d’appui (« ou » est parfaite), et laisser un filet de son se dévider le temps d’une longue expiration. Faites le sept ou huit fois et ensuite insérer, sans fermer la bouche ni couper le son, un « u » (ou toute autre syllabe). Cela donne : ou-u-ou-u-ou, sans interruption de son. Les lèvres peuvent rester rondes, sans bouger. Seule la langue bouge et c’est ce mouvement de langue qui créée l’harmonique et permet que plusieurs sont distincts sortent en même temps.
Par l’expérience intérieure
Celle-ci consiste à se concentrer, plusieurs minutes de suite, voire le plus longtemps possible, sur le cœur et ses battements, ou encore sur un organe (le foie) et tâcher d’en sentir les contours et d’être conscient des mouvements, flux, événements qui s’y passent.
Par les expériences de flottement
Le flottement, ou la flottaison, c’est ce sentiment agréable de se laisser emporter par le courant du rêve, un rêve non conscient, non mental, un rêve presque corporel. La réalité perd prise, nous perdons pied et nous laissons délicieusement glisser dans les interstices du temps. Le but est d’oublier de façon complète tous nos soucis. Accéder à cet oubli parfait, même une seconde, représente un grand bain de vide, un grand bain de paix. Il faut réussir à accéder à cet état de béatitude, ne serait-ce qu’une seconde. Une seconde de totale béatitude vaut mieux que quinze jours de vacances. Si l’on peut multiplier cette expérience de flottement béat, les effets sur la santé mentale, physique, sur la détente générale de notre vie, la perfection de nos gestes quotidiens, la qualité de nos réactions aux événements vont apparaître. Une seconde de béatitude répare plus qu’une nuit de douze heures. Mais pour l’atteindre il faut accepter de tout laisser partir, tous les soucis, toutes les angoisses, toutes les culpabilités. En fait, cela exige une renonciation qui ressemble à celle du mourant qui lâche enfin tout ce qu’il tentait de retenir pour plonger dans l’inconnu qui vient le chercher.
Note sur la musique
La musique, et particulièrement la musique planante, est un outil efficace lorsqu’il s’agit de planer. Toutefois, pour un psychédélisme naturel pur, point n’est besoin de recourir à un quelconque outil. Au contraire, l’outil nous détourne de cette pureté de la sensation, et surtout, l’outil nous empêche de discerner ce qui relève de nous-même et ce qui relève de l’influence extérieure.
La démarche psychédélique naturelle prend sa source dans l’amour de la liberté, de la simplicité. La musique nous emporte : en cela elle nous prive de notre liberté pure.
Note sur la prière
Le psychédélisme naturel peut n’avoir pas d’autre but que le bien-être. Il peut également être soutenu par une intention, par exemple une intention artistique, ou bien une quête d’efficacité ou de santé.
Le psychédélisme est une attitude orientée vers soi, alors que la prière s’élève au-dessus de l’ego. La prière est la mise à disposition de son être au profit de Dieu ou d’une matrice créatrice quelconque. La prière n’est pas un outil au service de soi, mais un outil de communication entre soi et une entité devant laquelle on s’incline.
Le psychédélisme est plutôt un outil, une voie que l’individu peut contrôler et qu’il a tout le loisir d’user pour son meilleur bénéfice. Si le psychédélisme peut se mettre au service de la prière, il peut aussi la perturber en tant qu’il procède d’un désir de développement personnel, et ne doit jamais se confondre avec elle. Il ne peut en outre la remplacer. Ceux qui veulent prier doivent prier.
Avertissements
Premier avertissement :
Tout ce que nous entreprenons et qui s’oppose au bonheur de nos enfants, de nos chiens, de tous les êtres dont nous sommes responsables, est mauvais. Nous nous devons à nos petits comme les loups se doivent aux leurs : les jeunes avant toute chose. Le psychédélisme naturel ne doit être utilisé qu’au service d’une meilleure vie, plus agréable, plus vivifiante, pour vous et les vôtres.
Second avertissement :
L’exploration de nous-mêmes est un voyage infini et bouleversant. Lorsque nous envoyons des sondes au plus profond de notre être, nous ne savons pas ce que nous allons toucher. Nous ne savons pas ce que nous allons voir surgir. Nous ne savons pas quelles ballades que nous allons ouïr. Si, en lui-même, ce voyage ne comprend aucun risque, ne présente aucun danger, nous devons rester responsables face à nos éventuelles défaillances. L’angoisse et la rage sont des réactions plausibles face à une découverte trop intense. Des personnes ayant voulu enseigner le yoga à des prisonniers se sont rendues compte que ces prisonniers devenaient extrêmement violents. Comment n’en serait-il pas autrement ? Le voyage intérieur est une traversée des passions humaines, des grands mouvements naturels. Ces prisonniers avaient accumulé tellement de drames, vivaient une vie si obstruée d’espace et de mouvement que le yoga a ouvert les vannes d’un fleuve puissamment contenu dans un canal trop petit : comment les eaux ne déborderaient-elles pas en cascades ?
Il faut donc apprendre à sentir les fluctuations de notre corps, de notre cœur et, dans la responsabilité nécessaire à toute liberté, voyager à notre rythme au fond de nos océans. Si la houle s’avère trop forte, prendre une pause, revenir à « la réalité ». Et repartir une autre fois. Celui qui brûle les étapes est comme une tribu qui pratique la culture sur brûlis : peu à peu elle assèche tout le territoire et doit toujours partir plus loin pour assécher de nouvelles terres grasses, brûler de nouveaux terreaux humides. La destruction, comme tout malheur prolongé, est un choix. La renaissance, comme toute rédemption, est offerte.
Hanno Buddenbrook
Traduction : Olympe Davidson & Edith de Cornulier-Lucinière
Photos : Mavra Nicolaïevna Novogrochneïeva
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lundi, 07 mai 2012
Bâtir en terrain non convoité
Pour ceux sur qui la compétition et la concurrence avec les autres êtres humains pèse trop lourd, pour ceux qui se sentent incapables de gagner une quelconque lutte, pour ceux qui ne veulent pas se battre dans l'arène – et qui, pourtant, souhaitent créer, mener une vie intéressante, vivre leur aventure jusqu'au bout de leurs possibilités, il existe une attitude, une solution.
Il s'agit de bâtir en terrain non convoité.
Il y a toujours des domaines qui n'intéressent personne, des métiers que personne ne choisit, des territoires que personne n'achète, des objets que personne ne collectionne, des arts que personne ne pratique, des langues que personne n'apprend, des plantes que personne ne cultive.
Il faut, pour accepter un tel destin de bâtisseur en zone délaissée, renoncer au monde en quelque sorte. Il faut renoncer à la reconnaissance, renoncer à passer pour un jeune loup brillant, renoncer une bonne fois pour toutes à faire partie des gagnants du grand jeu social.
Alors la quête peut commencer.
On peut transformer un désert en jardin ; un terrain vague pollué en ville somptueuse noyée de jardins suspendus, de parcs verdoyants, luxuriants, ondoyés de fontaines et de ruisseaux ; une maison pourrie en charmante villégiature.
Les aviateurs étaient les ratés de la Navale. Ils ont ouvert la voie du ciel.
Là où la place est laissée, je bâtis un royaume éternel.
Les avantages de l'édification en zone méprisée, sont nombreux. Le bâtisseur n'est pas exclu, comme l'est celui qui ne fait rien ; il n'est pas incapable de se réaliser à travers une œuvre, une construction : il ne renonce à rien, à rien d'autre que de faire ce que tout le monde veut faire. Il renonce à se battre pour une place en terrain surpeuplé, mais il part créer un Nouveau Monde là où personne ne veut aller.
Il se peut que vienne la reconnaissance, il se peut que les troupeaux, voyant qu'il y a là une nouvelle possibilité, viennent paître dans le champ qu'un homme avait cultivé dans l'indifférence générale, il se peut que les jeunes loups brillants viennent mettre leurs pas dans un sillon creusé dans la solitude. Qu'importe ?
Le bâtisseur a mené sa vie. Il ne s'est pas battu contre ses frères, ce qu'il était incapable de faire, et il n'en a pas été moins courageux et moins fécond. Et s'il a donné assez de valeur à son terrain pour en faire une aire convoitée, qu'il sache que les indépendants trouveront toujours d'autres zones délaissées où commencer à travailler, seuls, libres, nimbés de rêve, sous le mépris d'autrui.
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dimanche, 15 avril 2012
Amers tubes
Phot. Mavra Nicolaïevna Novogrochneïeva
Partir... A l'aube crépusculaire, au bout d'une nuit passée à pleurer dans les rues d'Insomniapolis, partir.
Mourir... Aux jours passés et aux amitiés ratées, aux familles létales, aux amours bancales, mourir à tout ce qui sembla être moi et fut tout sauf moi, mourir.
Souffrir... De quitter la vie monotone à laquelle on était attaché, d'abandonner des êtres qu'on avait l'habitude de saluer, de trahir des promesses qu'on avait contractées, souffrir.
Mentir... Au concierge qui demande où l'on va, au voisin qui souhaite une bonne journée, au cafetier planté devant son bar encore fermé, mentir.
Courir... Le long des quais le long desquels on a tant rêvé, sur les ponts qui mènent à l'autre ville, sur la route qui sort de la ville, dans la gare où attendent des trains en partance, dans le train où les places s'arrachent, courir...
Sentir... La vie qui renaît au creux d'un cœur mort, le sang qui afflue au bord de la peau, la peur de l'inconnu et du nouveau, l'angoisse d'une disparition, l'enthousiasme d'une chanson, l'expérience d'une vie qui recommence, sentir...
Partir... Un matin comme un autre, quelqu'un presque comme les autres, au bout de décennies passées à remplir un rôle défaillant de fourmi, partir.
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jeudi, 12 avril 2012
Une vie parfaite
Quelqu'un m'a demandé de décrire comment se déroulerait ma vie si elle était parfaite. Sans contrainte, j'ai décrit une journée idéale.
Le printemps et l'été, à 6h45, éveillée par le chant des oiseaux, je laisse lentement mes yeux s'ouvrir, ma conscience se dévoiler au jour. L'hiver, cela a lieu plus tard, vers sept heures et demi.
Je m'assois sur mon lit et prends un temps de gratitude pour la vie qui m'entoure ; je confie ma journée à Dieu s'il existe, je la dédie à la célébration de la beauté du monde, à la contemplation de ses mystères.
Et je me lève. En passant par la salle de bains je mets l'eau de la baignoire à couler, ensuite je vais préparer un petit-déjeuner : jus de fruits savoureux, café, croissants, confiture.
Le temps du petit-déjeuner équivaut à celui de la baignoire qui s'emplit d'eau. Je fais rapidement la vaisselle et vais prendre un bon bain chaud.
Je m'habille en sortant du bain, et vais me reposer sur mon lit ou sur un fauteuil et je lis ou je paresse.
Puis il est temps de bloguer un peu : j'allume mon ordinateur, écris des billets pour mes blogs durant une heure ou deux.
Je vais faire une promenade, quelques courses s'il y a besoin.
Quand je rentre à la maison, il est onze heures du matin : l'heure de regarder mes mails et d'y répondre, ce que je fais.
Ensuite, je vaque à toutes les occupations que je veux avant de préparer un bon repas, à moins que j'aie rendez-vous avec quelqu'un pour déjeuner dans la ville.
Après le déjeuner, conversation avec une éventuelle personne présente, ou lecture de Sidoine Apollinaire ou d'un auteur grec ou romain, pour puiser aux sources vives de la pensée de mes pères.
L'après-midi, un long temps sera consacré aux arts : à écouter ou créer de la musique, à regarder ou créer un film, à écrire.
Vers la fin d'après-midi il est temps, si je suis dans ma villégiature lovée dans la nature, d'aller faire un tour de vol libre (planeur, parapente, deltaplane) ou d'entrer dans l'océan dans ma combinaison qui me permet de rester nager et jouer dans l'eau sans trop sentir le froid.
Je rentre ensuite regarder à nouveau mes mails, préparer un dîner ou m'habiller pour sortir dîner si j'ai un rendez-vous dans la ville.
Il faut ajouter à cette vie si douce et si monotone un massage de temps en temps, chez un masseur indépendant installé dans la ville, et, de temps en temps, une coupure de ce rythme pour me plonger quelques jours dans l'étude d'une langue ou l'apprentissage des mathématiques, sans aucune idée de compétition ou de diplôme, pour la simple fête de l'esprit, pour la communion avec l'intelligence humaine qui trône dans le temps et domine tant de disputes stériles.
Presque tous les soirs, je suis couchée à dix heures ou dix heures et demi. Là, je lis une demi-heure dans mon lit, puis j'offre une prière de gratitude à la journée écoulée, à la nuit qui m'enveloppe.
Peu à peu, au fil des jours, des semaines, des saisons, une œuvre se créée. Il faut ajouter des trajets en train régulier, pour m'emmener de ma villégiature urbaine, citadine, à ma villégiature campagnarde, noyée au milieu des espaces naturels.
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