vendredi, 24 août 2012
De l'humiliation
Photo de la libération de Green Hill
Nous vivons sous le signe de l'humiliation.
La voiture de police qui passe pour écarter le peuple et laisser passer la personne « importante ».
L'humiliation que l'on éprouve vis à vis de tous ceux qui possèdent un peu plus (en aura, en argent...) que nous.
L'humiliation quotidienne au travail : celle de la posture de subordonné ; celle de la posture de patron aussi, quelquefois (le patron solitaire subit l'exclusion par les autres).
L'humiliation de ce que nous devenons par rapport à ce que nous désirions.
L'humiliation dans nos amitiés, où la compétition se dissimule derrière les apparences.
L'humiliation dans notre famille, dès notre naissance et malgré les stratégies d'entente et l'amour qui circule.
L'humiliation au cœur même de notre couple, dans notre lit, au milieu de la nuit.
Pire que tout cela... Les images visibles de l'humiliation ne doivent pas nous faire oublier que les pires humiliations sont insaisissables pour qui n'est pas dans le cœur de celui qui la subit.
Dans les professions subordonnées et domestiques (= de maison), on raconte de nombreuses histoires de méchantes bourgeoises méprisantes avec leurs femmes de ménage, de cruels patrons méprisants avec les subalternes. Ces histoires sont vraies, bien réelles.
Or, ce n'est pas l'arrogance de ces bourgeoises ni la méchanceté de ces patrons qui est critiquée par leurs victimes : car l'arrogance et la méchanceté sont également répandues dans toute la société. Qui se plaint de l'arrogance et de la méchanceté d'un clochard assis à côté de sa pisse, d'une pute harassée par l'abattage du jour ? On se laisse insulter par eux en passant tranquillement, sans se sentir humilié... On peut même recevoir les tombereaux de mépris qu'ils nous versent et soupirer : "pauvre bougre !" Parce qu'on méprise leur position.
Ce qui fait mal dans la méchanceté de la bourgeoise, du patron, ce n'est donc pas la mesure de cette méchanceté, qui ne nous dérange plus ou plus beaucoup dès lors que l'arrogance qui nous vise vient d'en bas. C'est le degré d'envie et d'admiration que nous éprouvons envers cette bourgeoise et ce patron.
On pourrait croire que c'est leur pouvoir, qui leur donne la capacité de nous humilier, un pouvoir arbitraire, un pouvoir inégal, un pouvoir illégitime. Mais qu'est-ce qu'un pouvoir dont personne d'autre ne voudrait ?
Il suffirait en ce monde que dix pour cent des gens cessent d'obéir aux puissants et cessent de désirer un plus haut statut social, pour que le pouvoir lié à la puissance extérieure et au statut social s'effondre comme un château de sable.
Mais ce pouvoir ne s'effondrera jamais parce qu'il n'est pas seulement ancré dans le cœur des méchantes bourgeoises et des méchants patrons. Il est ancré dans le cœur de tout homme.
Ce n'est donc pas le pouvoir des personnes haut-situées qui nous écrase. C'est notre désir d'être à leur place qui nous lacère.
Qui plus que l'ouvrier ou le paysan se réjouit de voir un fils de riche échouer dans son intégration sociale et prendre le même métier qu'eux ? Quelle jubilation étrange ! Preuve qu'il n'ont aucun respect pour leur métier, aucun respect pour leur statut, pour leur être même, ils n'ont que respect pour ce qui les méprise. Preuve, surtout, qu'ils jouissent de l'humiliation d'autrui avec délectation. Le seule et unique élément qui les rend conscient de l'horreur du mépris, c'est d’être dans la situation de le subir. Cela reflète ce triste fait que ce n'est pas leur conscience qui les fait haïr le mépris et l'humiliation, c'est leur ego.
La conscience ne demande que la liberté ; l'ego exige la flatterie. La conscience n'a besoin que de parité ; l'ego cherche la supériorité, et c'est seulement s'il ne parvient pas l'obtenir, qu'il se refuge dans un égalitarisme de revanche.
C'est l'incapacité de choisir la parité, dans les domaines de notre vie sociale comme dans ses recoins les plus intimes, qui nous détruit.
Le mépris de celui qui nous paraît plus bas se confond avec l'admiration de celui qui nous paraît plus haut : ces deux sentiments viennent de la même source. Il peut nous arriver de transformer notre mépris en condescendance, de transformer notre admiration en haine ; nous croyons ainsi échapper à l'humiliation qui nous crucifie. Mais ni la haine, ni la condescendance ne peuvent nous sauver.
Pour vaincre l'humiliation, il faut dissoudre notre ego dans la conscience.
C'est cette humiliation que Bouddha voulut découvrir, qui le fascina, qu'il voulut expérimenter en sortant de son palais où il était le beau petit prince.
C'est cette humiliation que le Christ prit sur lui entièrement pour en décharger ses frères.
C'est cette humiliation qui nous blesse au quotidien : la vie amoureuse - ou l'absence de vie amoureuse -, sans l'humiliation qu'elle charrie, intrinsèque au couple ou issue du regard des autres, ferait beaucoup moins souffrir et ne nous inspirerait pas tant de chansons et de films languissants et répétitifs.
La dureté matérielle et financière serait allégée de la plus grande partie de son poids si elle n'était pas accompagnée de l'humiliation.
Les relations familiales, amicales perderaient beaucoup de leurs capacités de nous blesser sans le poids de l'humiliation qui les accompagne.
Le fait d'avoir ou non des enfants, et, lorsqu'ils sont nés, nos relations avec eux, leur parcours de vie, seraient cause de beaucoup moins de douleur si ces éléments n'avaient rien à voir avec l'humiliation.
Il n'y aurait pas de problème de statut social.
Si chacun de nous pouvait voir son prochain comme une étoile scintillante dans un ciel étoilé (hiérarchise-ton les étoiles ?) et se voir soi-même comme tel, le monde serait déchargé de la plus grande part de son malheur.
Nous souffririons simplement des vraies souffrances, et la principale souffrance du monde, qui se greffe à toutes les autres, l'humiliation, serait abolie.
Peut être alors que par un mouvement naturel, nos cœurs guéris n'éprouveraient plus le besoin de laver leurs douleurs dans la douleur d'autres corps. Nous deviendrions fraternels et libéraux envers les animaux, leur laissant leur place dans ce vaste monde.
Les héros en route vers la libération des chiens de labos.
Publié dans L'oiseau, Le corps, Super flumina babylonis | Lien permanent | Commentaires (2) | | Facebook | Imprimer |
Commentaires
Il faut apprendre une chose, la plus difficile. Apprendre à considérer chaque être humain, moi compris, sans aucune considération de nom, de diplôme, de statut, de style, de beauté, mais simplement comme un être immense, enfant unique et chéri de Dieu, qui accomplit son destin hors de toute sociologie...
Écrit par : Avvakoum | vendredi, 24 août 2012
Il faut lire Etienne de La Boétie, penser par soi même, vivre pour soi et pour ceux qu'on aime, qu'on estime. "Quittez votre travail, commencez à vous battre". Permaculture, couture, fabrication de bougies et de conserves, apprentissage des premiers soins, chacun doit viser au maximum vers l'autonomie. L'autonomie ets le contraire de la servitude.
Écrit par : tectonique des plaques | samedi, 24 mai 2014
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