Le flot urbain (mercredi, 11 décembre 2013)
Jean Bouchenoire, frère égaré dans des zones mentales, sans ozone imaginaire, nous autorise à publier quelques extraits de son roman Baksoumat.
Année 1969. Un vieux village de l'Île de France mourait sous le déversoir des camions de béton : des maisons d'un âge désuet, qui avaient vu naître et mourir des générations familiales à travers les décennies, tombaient sous les coups, pour être remplacées par de hautes tours de béton et de fer. Les possesseurs de ces anciennes maisons recevaient un petite somme qui ne comblait pas la perte de leur histoire, de leur région, de leur village, et qui ne leur permettait même pas de s'acheter une autre maison. Aussi étaient-ils relogés dans un appartement d'une de ces tours.
Ces immeubles s’élevaient dans la satisfaction des architectes et des hommes politiques, fiers de bâtir ainsi la grande œuvre du XXème siècle : la civilisation universelle, où les flux de routes longent des champs de tours capables d’abriter des centaines d’habitations. En échange de la disparition des villages, des familles et des coutumes locales, en échange de la mort des cerfs, des sangliers, des chevreuils, des oiseaux de l’Île de France, des villes nouvelles traduiraient la Déclaration des Droits de l'Homme et du citoyen en réalité.
En dépit de la destruction du pittoresque, une croyance lumineuse interdisait toute plainte : l’espoir qu’enfin meurent les patries figées, refermées sur leur histoire locale, au profit du rassemblement de l’humanité. Comment regretter des maisons, et leurs humbles histoire, des rivières, et leurs cours discret entre des bois méconnus, des plantes, et leur charme ignoré, des allées, et leurs passants oubliés, des histoires particulières, si jolies soient elles, quand c’était le chant de l’avenir qui se dressait, certes laid comme un adolescent boutonneux aux proportions déséquilibrées par la croissance, mais chargé d'énergie nouvelle ?
Jean Bouchenoire, In BAKSOUMAT
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