vendredi, 14 septembre 2012
Pub montréalais
Causerie d'Esther Mar sur une photo montréalaise de Mavra Nicolaïevna Novogrochneïeva
2661, Notre-Dame ouest.
Au Sainte-Cunégonde, Daniel Mazorlet-Martin ne peut lire le livre qu'il a apporté et qui traite de l'histoire du rock'n roll. La lumière est trop tamisée, la musique trop pregnante. Alors il ferme à demi les yeux et sourit en songeant à ce prénom devenu désuet : Cunégonde.
Sainte-Cunégonde est le nom d'une municipalité montréalaise, qu'on appelle encore "Petite Bourgogne".
Cunégonde est un prénom qui place les vies sous le signe de la chasteté. Deux reines, épouses demeurées chastes, portèrent ce nom et furent canonisées par l'Eglise catholique.
Pour préserver votre chasteté, priez Sainte Cunégonde du Luxembourg, reine du X et XI°siècle, ou bien priez Sainte-Cunégonde de Pologne, fille du roi de Hongrie et épouse du roi de Pologne.
Si ces deux Cunégonde ont connu la chasteté sexuelle, n'y a-t-il pas d'autres formes de chasteté ? L'atteinte à l'intimité d'autrui, la divulgation d'informations nocives à quelqu'un, l'épandage verbal incontrôlé, la consommation invétérée de magazines (TV ou papiers) centrés sur les cancans et l'occupation de son corps, sont des atteintes à la chasteté. Ainsi que le questionnement insistant des gens sur leur vie privée, ou encore le calcul méthodique du statut social des gens que l'on rencontre...
Mais aussi ce que Saint Jean de la Croix appelait la "luxure spirituelle" : se vautrer dans une spiritualité syrupeuse pour oublier qu'on est responsable de sa vie.
Une trop grande attention donnée à la chasteté finit même par ressembler à une concupiscence déguisée...Combien de religieux sont obsédés par la virginité avec une insistance répugnante qu'il prennent pour la morale ? Que l'obessions sexuelle se traduise par l'obsession de la virginité ou par l'obsession de la sexualité, elle est toujours la même atteinte à la chasteté.
Saintes Cunégondes, aidez-nous à éviter ces écueils et à parer nos paroles, nos gestes, nos pensées et nos actes d'une chasteté vivifiante qui plane bien au-dessus des questions de moeurs.
Il est venu seul, de cette solitude fascinante que donne la présence d'un livre. Les conversations autour de lui font un brouhaha qui s'emmêle à la musique diffusée par les enceintes et aux bruits des tables, du bar, des pas. Une assiette de pains agrémentés aux légumes du marché atwater. Un verre de Château St-Jean Pinot Noir de Nouvelle-Zélande l'amène peu à peu à oublier les mots durs reçus tout le jour. à quoi Daniel rêvait-il à cinq ans, en s'ennyant à la fenêtre ? A quoi rêvait-il à quinze ans, en errant dans les rues à l'autre bout de la ville ? Il rêvait de Vancouver, de New York, de Paris. Il n'en rêve presque plus, mais il est habité d'atmopshères venues d'ailleurs. Cela ne se voit pas dans ses yeux. Entre deux morceaux de musique, un cliquetis venu de dehors se fait entendre.
Est-ce qu'il pleut dehors, sur les briques et le métal de la rue ?
Esther Mar
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jeudi, 13 septembre 2012
Les amours mortes : Alix, d'air et de feu
Alix, d'air et de feu suivi d'une Note sur l'exhibitionnisme blogal - par E de CL
Je ne t'aimais pas, Alix, car l'amour est humain et nous étions angéliques. J'avais peur de tes yeux, j'avais peur de tes mains, j'avais peur de nos lendemains. J'avais peur d'un passé qui remonte comme une mer sur la côte oubliée. J'avais peur d'un avenir vide et beau, sans sel. Intriguée par le voisin qui composait sa symphonie démesurée sur Gaspard de la nuit, je contemplais trop souvent par la fenêtre sa silhouette maigre penchée sur sa harpe.
Tu partis avant l'aube d'un jour frais de septembre et ma vie depuis passe sans que rien ne se passe.
Jeunesse, traîtresse ! Jeunesse, tu laisses passer les rêves, tu laisses partir les amours, tu ne comptes rien et au bout du compte, tu t'enfuis sans laisser de trace. Alors on compte et recompte les erreurs, les absences, les égarements, et l'on rêve la vie qu'on aurait pu mener. Si seulement...
Alix D-B, ton absence m'encercle.
Note sur l'exhibitionnisme blogal
Si je raconte ici ma vie comme une exhibitionniste de l’âme, sachez que je n'ai pas choisi cette maladie.
Qu'éxibhé-je ? Vous ne connaissez ni mes rêves, ni ma chair, ni mes idées, si j'en ai. Vous ne trouverez sur ces pages, sur ce domaine blogal en perpétuel chantier, pas l'once d'une information sur cette vie que je mène dans ce que d'aucuns osent appeler "la réalité", et qui n'est que le piège dans lequel nous sommes pris. Vous verrez cependant ce qu'on ne devrait jamais montrer, et qui révèle la substance de l'être : l'écriture en suspension.
"Si j’avais su que les rêves sont réels et le monde illusion, j’aurais inversé ma vision de la liberté et celle de la prison. Mais les menteurs amers disent décriant les images qu’elles sont illusoires, et nous entraînent dans leur " réel " qui n’existe que dans leurs sombres couloirs".
Edith Morning
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mercredi, 05 septembre 2012
Ultime surprise du jour : une taverne québecoise
Merci à Mavra pour cette photo québécoise d'un jour de prime-septembre 2012
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lundi, 03 septembre 2012
Svanhild
Svanhild est l'un des textes du recueil La dame à la louve, de Renée Vivien, que quelqu'un a généreusement mis à la disposition de tous, par ici...
Nous la proposons à la lecture, cette pièce étrange, aérienne, d'une écrivain qui fit sienne la langue française et à qui nous devons beaucoup, car son style a tous les charmes de notre langue, sans jamais en avoir la pensanteur qui lui est propre - car chaque langue à ses sentiers battus, trop battus...
Svanhild
un acte en prose
SCÈNE PREMIÈRE
La scène représente une rive du Nord-Fjord. Dans le fond, des montagnes. Des jeunes filles, en costume de paysannes, forment un groupe mouvant. Elles foulent aux pieds les clochettes bleues, le thym et les gentianes. Immobile sur un rocher, Svanhild regarde au loin.
Thorunn
Que regardes-tu de tes yeux fixes, Svanhild ? Et que viens-tu chaque jour attendre en silence ?
Svanhild
J’attends le retour des cygnes sauvages.
Gudrid
Tu sais bien qu’ils ne sont point revenus dans la contrée depuis le jour de ta naissance. Ils s’arrêtèrent et se reposèrent longtemps sur le toit qui t’abritait. Tant que persista la clarté, ils s’attardèrent sur le toit de mousse aux fleurs bleues et dorées, et, au crépuscule, ils s’enfuirent dans un grand battement d’ailes.
Svanhild
Ils reviendront.
Bergthora
Il y a vingt ans qu’ils se sont envolés vers le Nord, et, depuis ce jour, aucune d’entre nous ne les a vus passer.
Svanhild
Je sais qu’ils reviendront.
Bergthora
Pourquoi restes-tu debout sur le rocher, immobile et contemplative pendant des journées entières ?
Svanhild
J’attends le retour des cygnes sauvages.
Des chants de fête s’élèvent. Des barques passent sur le fjord, chargées de femmes aux costumes étincelants.
Des paysannes, chantant
- Ne t’approche point du glacier,
- Car le froid brûle comme la flamme.
- Ne t’approche point de la neige,
- Car la neige aveugle comme le soleil.
- S’éloignant.
- Ne demeure point longtemps sur les sommets,
- Car l’azur entraîne comme le vertige.
- Hildigunn
Entends ces musiques lointaines. Les barques glissent sur le fjord avec un bercement tranquille. Les paysannes rament en chantant : elles sont heureuses.
Svanhild
Leur bonheur serait pour moi la pire angoisse, et mon bonheur serait pour elles le plus morne supplice.
Gudrid
N’aimes-tu donc rien sur la terre ?
Svanhild
J’aime la blancheur.
Thorunn
Quel don espères-tu de la vie dans son printemps ?
Svanhild
La blancheur.
Ermentrude
Si le destin exauce miraculeusement ton espoir, si les cygnes sauvages reviennent, que feras-tu ?
Svanhild
Je les suivrai.
Bergthora
Jusqu’où les suivras-tu ?
Svanhild
Jusqu’aux limites du couchant.
Hildigunn
Quel est le but de ton rêve ?
Svanhild
SCÈNE II
Une Passante entre, les mains pleines de fleurs, tête nue, les cheveux mêlés de thym et de brins d’herbe.
La passante
Les routes sont magnifiquement larges. Je suis ivre de la poussière du chemin. J’ai dormi sur la bruyère, et, à travers mon rêve, j’aspirais le parfum des cimes. Les baies rouges et violettes ont apaisé ma faim, et la neige fondue m’a désaltérée. J’ai cueilli les roses des montagnes. J’ai dansé, nue dans le soleil. Existe-t-il sous l’azur du printemps quelque chose de plus beau que les lézards des rochers, les chardons bleus et mauves, l’étincellement entrevu des poissons et les nuances du soir ?
Svanhild
Il est quelque chose de plus beau.
La passante
Que peut-il exister de plus beau sur la terre ?
Svanhild
Les nuages, la neige, la fumée, l’écume.
La passante
Ne veux-tu point suivre, à mes côtés, la route libre comme l’horizon et vaste comme l’aurore ?
Svanhild
Non.
La passante
Svanhild
J’attends le retour des cygnes sauvages.
La passante s’enfuit joyeusement.
SCÈNE III
Le soleil baisse. Le couchant illumine le ciel.
Le soir est gris et pâle.
Bergthora
Voici le soir. Combien les montagnes sont mystérieuses !
Gudrid
Que le silence est étrange !
Hildigunn
Svanhild, à elle-même
Attendre… comme moi.
Thorunn
La Mort guette les égarés qui s’attardent dans les montagnes.
Asgerd
Les chemins sont périlleux lorsque la brume tombe des sommets.
Svanhild, dans un grand cri
Les cygnes ! les cygnes ! les cygnes !
Toutes, les regards vers le lointain
Nous ne voyons rien.
Svanhild
Le vent du Nord souffle dans leurs ailes… Ils ont franchi la mer, car l’écume argente leur plumage. Ils vont vers le large. Leurs ailes sont déployées et frémissantes comme des voiles… Entendez-vous le battement magnanime de leurs ailes ?
Toutes
Nous ne voyons que les blancs nuages qui passent au-dessus du fjord.
Svanhild
Ils sont plus beaux que les nuages. Ils vont vers les lumières boréales. Ils sont plus beaux que la neige. Comme leur vol est puissant et sonore ! Les entendez-vous passer ?
Toutes
Nous n’entendons que la brise du soir sur les fjords.
Svanhild
Je les suivrai ! Je les suivrai jusqu’aux limites du couchant !
Asgerd
Svanhild ! Les chemins sont périlleux, lorsque la brume tombe des sommets.
Thorunn
La Mort guette les égarés qui s’attardent sur les montagnes.
Gudrid
Songe aux brouillards qui voilent les abîmes.
Svanhild
Ô blancheur !
Elle s’enfuit au fond de la brume.
Asgerd
Elle se perdra dans le crépuscule.
Gudrid
Elle périra dans la nuit. Svanhild !
Toutes, appelant
Svanhild !
L’écho
Svanhild !
On entend un grand cri répercuté par l’écho.
Gudrid, avec angoisse
L’abîme…
Renée Vivien
11 juin 1877 - 18 novembre 1909
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vendredi, 31 août 2012
Un monde parfait
Les murs des villes nous dévoilent un monde parfait, un monde sans misère en Afrique et sans rides sur les visages européens, où la solidarité, la diversité et le grand métissage éliminent à tout jamais l'intolérance et l'individualisme. Un monde où les gens arrêtent de fumer et où ils marchent une demi-heure par jour, un monde où les cinq portions quotidiennes de légumes sains emplissent nos corps et où la vache qui rêve dans les champs sourit à l'idée d'être bientôt mangée par un bon citoyen.
Dans ce monde merveilleux qui nous domine, ce monde des affiches publicitaires, sanitaires et associatives, reste-t-il une place pour ton coeur ? Oui, bien sûr, à condition qu'il soit conforme.
C'est ce monde que je te dévoile, via ces affiches que j'ai vues et prises en photo au moyen de mon téléphone androïde HTC.
Pour voir ces images en grande taille, clique ci-dessous et tu rajeuniras :
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mardi, 28 août 2012
Rougevent
Souffle le vent rouge, sur la plaine ouverte comme un cœur enfantin. Dort le fils, au fond de la maison. Murmure la femme, une douce chanson. D'anciennes paroles fendent la campagne, personne ne les entend. Dans la chapelle close la Vierge pleure doucement. Elle attend. Moi j'erre dans ce monde mort, dans ma vie moderne et sans chaleur. J'ai mon casque de motarde et mes bottes de ville. Je marche sur la route qui déchire les champs d'orge. Ce soir, lune d'orge.
Le vent rougeoie. Il n'a pas d'haleine, ni de tiédeur. Il n'a pas d'odeur. Il souffle sans cesser de songer aux mauves et aux violettes qu'il faut aérer. Les boutons d'or montrent leur or et disent souriants qu'ils ont droit aussi à la chaleur caressante du vent.
Pourquoi les hommes frissonnent-ils à la porte du bar dont le rideau métallique s'ouvre ou se ferme ? Le vent n'apporte pas le froid.
Et le fils dort, et l'homme est loin, et la femme chante, et les oiseaux picorent des brindilles et des graines. Je vais partir ce soir. La plaine ne se plaint pas dans sa solitude. Aujourd'hui le vent est rouge.
Edith CL
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dimanche, 26 août 2012
Équanime au creux du jour : les toits de Paris
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jeudi, 23 août 2012
L'ultime beauté du jour : persienne
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dimanche, 19 août 2012
L'ultime beauté du jour : l'ordi crépusculaire
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samedi, 18 août 2012
Mystique littéraire
Le petit garçon à la vie de bohème a joué un jeu sur son blog, et j'ai eu envie de jouer aussi.
Il s'agit de répondre à une série de questions en utilisant des titres de livres. J'ai ajouté cinq questions à celles qui existaient.
Photo prise à l'orgue de ND d'Auteuil, par Sara
(Jack Kerouak)
La condition actuelle de ton âme ? Marin mon cœur
Qu'est-ce que la vie pour toi ? La guerre et la paix
Ta peur ? Les châtiments
(Victor Hugo)
Ton histoire d'amour ? Un ange à ma table
Tes meilleurs amis sont ? Les rois maudits
Quel est le meilleur conseil que tu aies à donner ? Demande à la poussière...
Le défaut qui t'horripile le plus ? L'homme sans qualité
Comment est le temps ? Un été indien
(Truman Capote)
Ton moment préféré de la journée ? La nuit obscure
(Saint Jean de la Croix)
Décris où tu vis actuellement: Le Purgatoire
(Dante Alighieri)
Ton moyen de transport préféré ? Vol de nuit
Si tu pouvais aller n'importe où, où irais-tu ? Le pays où l'on n'arrive jamais
Ton animal préféré ? Le loup blanc
Comment aimerais-tu mourir ? La mort à Venise
Ton rêve le plus cher ? La résurrection des villes mortes
Le métier qui te fait rêver ? Grandeur et servitude militaire
Ta passion ? La recherche du temps perdu
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jeudi, 12 juillet 2012
Le journal télévisé d'AlmaSoror
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vendredi, 06 juillet 2012
Sir Jerry, de Mad H. Giraud
Nous recopions pour vous l'ouverture des étranges vacances de Sir Jerry, et une page du milieu du livre La périlleuse mission du Capitaine Jerry.
Très bien écrits, ces romans ont traîné dans beaucoup d'étagères adolescentes des années 50, 60, 70, avant de se dissoudre dans le silence. Mais le style littéraire, beau et original, la manière scénaristique de raconter qui procède d'un ton constamment elliptique, la succession d'atmosphère peintes avec une grande finesse, les illustrations de Manon Iessel restent au fond des mémoires comme des souvenirs qui imprègnent et reviennent sans prévenir au détour d'une phrase, d'une odeur, d'un paysage.
Certains passages paraissent, idéologiquement, si vieillis et si contraires à ce que nous chérissons que la lecture en devient presque audacieuse, entre la transgression et la trahison.
Ces textes sont, justement, d'autant plus dérangeants pour notre société que l'auteur, en pleine seconde guerre mondiale, écrit des livres vantant la Résistance de Londres et qu'elle loue la haute culture indienne. Ses attaques sur les "singes" indiens, sa description infernale des juifs intelligents et cupides, son implacable sens des distinctions de classes et de castes en paraissent d'autant plus gênantes qu'on ne peut pas la jeter dans la poubelle de "ceux qui ont choisi le mauvais camp".
Ceux-là même, qui se veulent fidèles à "ceux qui ont choisi le mauvais camp" ne lui rendent pas l'hommage de la garder sur les étagères, cette mystérieuse Mad H Giraud, puisque, résistante et antisémite, colonialiste et admiratrice des civilisations asservies, attachée aux principes rigides de la vieille France (et de la vieille Angleterre) et profondément libératrice et responsabilisante à l'égard des enfants, elle trône dans les néants où l'on envoie ceux qu'aucune famille culturelle ne peut récupérer sans mettre en danger son confort intellectuel.
Allons donc ! Laisserions la littérature, et surtout la littérature enfantine, nous faire croire que les bons ont des défauts, que les méchants ont des qualités ? C'est cette pénible idée que l'on trouve dans les aventures de Sir Jerry.
Les étranges vacances de Sir Jerry
Chapitre Premier
Dans lequel on retrouve quelques amis
L'avion blanc planait dans le ciel bleu. Il se rapprochait peu à peu de la terre, dessinant en l'air d'agréables figures qui montraient assez qu'il était piloté de main de maître.
Sur le sol, à quelque distance, tout un petit monde s'agitait, courant et criant, maintenu hors du champ d'atterrissage par une simple promesse qui valait toutes les barrières.
- Le voici ! Le voici ! C'est à moi ! C'est à moi !
- C'est à nous, tu veux dire, reprit une voix.
- Ce sera : à aucun, déclara une jeune personne. On a dit que les baptêmes de l'air cesseraient à quatre heures et demie. Il est quatre heures et demie.
On entendit quelques protestations, quelques regrets, mais aucun des enfants qui étaient là ne proposa d'essayer de gagner une demi-heure.
Une heure était une heure et une promesse se tenait sans défaillir.
Le pilote et ses deux passagers avaient débarqué : on accourut devant eux.
- Ce sera pour demain ! dit le premier, prévoyant la question des enfants. Et je commencerai par les petits. Maintenant, il faut rentrer. Tante Belle nous attend pour goûter.
- Oncle Dick, ce sera d'abord Nell et moi, n'est-ce pas ? C'est nous qui sommes les plus petits.
- Oui, mais tu es un garçon, Ned. Peut-être voudras-tu, poliment, céder ton tour à Mérouji et Anicette.
Ned fit une grimage. Il n'avait pas très envie d'être si poli que cela !
Ces demoiselles ne le lui demandèrent pas.
- Ned et Nell seraient trop impatients, dit Mérouji. Nous ne voulons pas de politesse ni de tour de faveur.
- Et peut-être pourrons-nous alors rester un peu plus longtemps, conclut Anicette, pratique.
- C'est magnifique ! criaient les deux passagers. On voudrait ne jamais redescendre.
- Ce serait bien agréable de faire un grand voyage, dit pensivement Patrice, l'aîné des garçons.
- Quel dommage que le Voleur-Fidèle ne puisse pas nous prendre tous, oncle Dick !
- Il faudrait un dirigeable, mon vieux, répliqua l'oncle Dick, pour vous prendre tous.
Le goûter était préparé dans le jardin de Belle-Maison. Le vieux maître d'hôtel, Thomas, apportait la grande bouilloire d'argent au moment où l'oncle Dick - Lord Armster - apparaissaient avec ses neveux.
Tante Belle, la charmante jeune tante que tout le monde chérissait, descendait les marches du perron en courant. Elle agitait une lettre entre ses doigts, comme elle aurait brandi un étendard victorieux.
- Sir Jerry arrive ! cria-t-elle. Il sera là demain.
- Papa ! Papa ! cria Mérouji. Quel bonheur !
La petite fille, d'un bond léger, s'en vint sauter au cou de Lady Armster :
- Oh ! tante Belle, quel bonheur ! Être ici auprès de vous tous avec papa !
- ça, dit son frère Jerry, ce sera les plus belles vacances de notre vie !
Il parlait posément, mais avec tant de conviction et d'émotion contenue que l'on devinait toute la joie de ce grand garçon de quinze ans.
La périlleuse mission du capitaine Jerry
Chapitre IX La vieille Ketty
(extrait)
Ce fut un jeu pour le capitaine Jerry d'arriver jusqu'à la lucarne de façon à regarder ce qui se passait à l'intérieur de la maison. Il aperçut d'un coup d'oeil rapide la salle unique qui formait toute l'habitation de la vieille Ketty. La vieille Ketty elle-même, la véritable vieille Ketty, était là, dans un coin. Assise devant une table couverte de gâteaux les plus divers, elle prouvait au capitaine Jerry que, contrairement à ce qu'on pensait, elle était corruptible et que sa gourmandise offrait un moyen très sûr d'ouvrir une porte que l'on pouvait penser bien fermée sur une pauvre folle.
Elle mangeait avec lenteur, savourant chaque bouchée d'un air de profonde satisfaction. Son observateur invisible ne s'attarda pas à ce spectacle attristant, mais il eut le temps de constater que la vieille Ketty, par prudence, sans doute, avait été attachée à sa chaise. Ainsi, elle ne pouvait bouger ni rejoindre au dehors, son "double", révélant par sa présence la supercherie qui, jusque là, avait arrêté les prédécesseurs du capitaine Jerry.
Celui-ci, pourtant, cherchait du regard, dans la pièce, des traces du passage de ceux qui devaient avoir une raison toute spéciale pour envahir la maison de la vieille Ketty et s'assurer son involontaire complicité. Et celui qui, empruntant la personnalité de la pauvre folle, veillait à la porte, avait sans doute aussi un motif pour cela.
Et, brusquement, le capitaine Jerry aperçut raison et motif. Dans un angle de la pièce, le lit de la vieille Ketty, sordide grabat, avait été déplacé, et l'on pouvait, de la lucarne, voir que ce lit, en temps habituel, dissimulait une trappe en ce moment découverte.
Quelle quantité impressionnante de gâteaux et de bonbons avait-il fallu à la vieille Ketty pour qu'elle laissât travailler chez elle ceux que poursuivait le capitaine Jerry !
Pauvre folle qui ne savait rien de ce que l'on tramait chez elle, contre son pays, et se laissait acheter, inconsciente, cette complicité ignorante.
Légèrement, le capitaine Jerry se laissa retomber à terre et secoua sa vareuse un peu salie par le contact du mur.
Et, délibérément, il revint à la porte de la maison et entra.
La vieille Ketty poussa une sorte de grognement, mais le capitaine Jerry avait tiré de sa poche un petit flacon de whisky. Il en versa un doigt dans le verre vide qui se trouvait sur la table et le tendit à la vieille femme qui s'en empara avec avidité.
Tandis qu'elle buvait, le capitaine Jerry se dirigea vers la trappe qui avait été un peu rabattue de façon à couvrir à moitié l'ouverture par laquelle il allait poursuivre ses ennemis.
Mad H Giraud
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mardi, 29 mai 2012
John-Antoine Nau et Jean de La Ville de Mirmont : écritures dont la révélation viendra
Deux écrivains dont je n'ai pas connu les noms, ni les œuvres, moi qui passais mes errances buissonnières au fond des livres, et qui m'apparaissent aujourd'hui comme deux des grandes plumes françaises, les connaissez-vous ? John-Antoine Nau, le récipiendaire du premier prix Goncourt, et Jean de La Ville de Mirmont, ami d'un singe et mort des tranchées.
Cette fois mon cœur, c’est le grand voyage.
Nous ne savons pas quand nous reviendrons.
Serons-nous plus fiers, plus fous ou plus sages ?
Qu’importe, mon cœur, puisque nous partons !
Jean de La Ville de Mirmont
De Mirmont on peut lire Les dimanches de Jean Dezert, l'histoire sans saveur, pourtant fascinante, d'un fonctionnaire monotone, des poèmes (que Gabriel Fauré mit en musique), des contes, dont le joli City of Benares, l'histoire d'un bateau devenu maître de lui-même.
« Je prie les amis inconnus qui voudront bien me, ou plutôt nous, lire de ne pas réclamer, d'urgence, mon internement à Sainte-Anne ou dans tout autre asile ».
John-Antoine Nau
De Nau, allez respirer les phrases des Trois amours de Benigno Reyes, à moins que vous ne préfériez faire connaissance avec sa science-fiction, Force ennemie, celle-là même qui reçut le premier prix Goncourt.
Ces deux écrivains sont atmosphériques : de leur littérature s'échappe la senteur marine des voyages intérieurs, ceux qu'on ne peut raconter avec des mots, ceux qu'on évoque juste, qu'on suggère entre les phrases, et qui impriment au cœur du lecteur leur marque indélébile.
Jean de La Ville de Mirmont : l'ennui, le voyage, la fraternité faible et profonde baignent ses oeuvres.
John-Antoine Nau : l'alcool, la sensualité, la folie cimentent ses textes.
Deux stylistes, avant tout. Deux de ceux qui mettent la forme avant le fond, comme si un fond sans forme sonnait creux comme une barrique vidée. La pensée, le thème de l'histoire, sont esclaves du style, et pourtant ils ne sont pas moins absents qu'ailleurs, pas moins absents que dans les scénarios ficelés ou les romans à thèmes. Comme si l'on arrivait à la suprême pensée, à l'histoire impeccable, par la route escarpée du style.
Avaient-ils écouté les conseils stylistiques de Théophile Gautier ?
"Sculpte, lime, ciselle ;
Que ton rêve flottant
Se scelle
Dans le bloc résistant !"
Avaient-ils entendu la douloureuse philosophie de Ludwig Van Beethoven ?
"Nous, êtres limités à l'esprit infini, sommes uniquement nés pour la joie et la souffrance. Et on pourrait dire que les plus éminents s'emparent de la joie par la souffrance."
Ils se sont emparés du monde entier, de toutes ses pensées, de toutes ses élévations, de tous ses miasmes et de toutes ses édifications, par le style !
Voici, amis, des liens.
Lien vers un article sur les dimanches de Jean Dezert, de Jean de La Ville de Mirmont.
Vidéo d'un poème musicalisé par Gabriel Fauré.
Quelques textes en ligne, de La Ville de Mirmont
Lien vers le texte entier du poème Lily Dale, de John-Antoine Nau...
Puis une vidéo de ce poème adapté en chanson par Arthur H :
Lien vers Les trois amours de Benigno Reyes, de Nau
Lien vers un article sur Force ennemie, de Nau
Tombes
Un homme évoque celle de Mirmont.
Elle se trouve au cimetière protestant de Bordeaux, rue Judaïque. (Son corps a été retrouvé dans les tranchées, puis rapatrié).
Une femme évoque celle de Nau.
Elle se trouve au cimetière marin de Tréboul, en Bretagne.
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jeudi, 03 mai 2012
Qu'est-ce qu'AlmaSoror ?
AlmaSoror est un palais aux fondations de poussière.
La lumière qui le traverse risque toujours d'en faire tomber les colonnes et les piliers en une ultime illumination : tout éclate.
Tout ce que nous touchons s'effondre en cendres, pourtant nous poursuivons notre édification.
Que cherchons-nous, à tâtons sur une route incertaine ? Deux fossés entourent nos pas. Aucun corps ne nous étreint jamais. Avide d'amour et rongé de doute, nous posons les briques blogales l'une après l'autre, sans jamais percevoir le sens profond de notre oeuvre.
Visiteurs, cherchons-nous à vous plaire ? Rien n'est mois sûr. A vous déplaire ? Non plus. Nous cherchons à exister, à vivre au moins puisque notre coeur bat et palpite comme une bête.
AlmaSoror est le chantier d'un palais qui se rêve et qui se pleure, année après année. Des amis inconnus hantent ce palais, avides d'éternité, épris d'étrangeté. Les aimons-nous ?
Des amis connus méprisent ce travail informe, chronophage, ce rêve qu'il pressentent sans issue, qui ne se traduit pas en résultat mesurable, en espèces sonnantes et trébuchantes, en récompense.
Peu importe, nous n'avons pas assez de prestance pour haïr ou pour pardonner, nous courons sans y croire, sous une pluie qui ne mouille pas. Notre chair, notre âme, notre rêve, forment la trinité clandestine, et elle marche vers son Salut sans s'occuper des houles qui l'assaillent.
Le désert des carrières à creuser, la soif au milieu des solitudes, les fontaines taries déjà, tout cela, AlmaSoror l'accepte et en tisse sa toile. C'est toute la matière dont elle édifie son palais de sable mouvant et d'éclats de rire baignés de lumière.
Vous savez désormais.
Vous pouvez rester sur nos brûlures ou partir loin de nos peines.
Vous êtes le maître de votre destinée. Nous sommes l'esclave de la nôtre.
Les larmes coulèrent en rédigeant ce testament désincarné. Elles s'ajoutent à l'ouvrage imparfait.
Le palais de l'âme-soeur s'avance à l'intérieur des foules invisibles des villes mortes. Le palais d'AlmaSoror abrite un scarabée, une salamandre, le souvenir d'une chienne.
C'est tout.
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mardi, 24 avril 2012
Un rêve blogal
A quoi ressemblerait ton blog de rêve ?
Il aurait une mise en page impeccable, une typographie unie, qui rappelerait l'esthétique des journaux quotidiens des années 1980.
Les photographies qui l'illustreraient seraient toutes intéressantes, esthétiques au moins d'une certaine façon. Aucune de ces images ne serait que "fonctionnelle", purement illustrative.
Il enverrait les visiteurs vers des liens intéressants.
Ce blog constituerait un univers structuré, charpenté, mais aussi chargé d'étrangeté et d'infini : on aurait l'impression de se promener à travers une ville signifiante et ordonnée qui n'aurait pas de finitude.
Les articles y seraient écrits dans une langue belle, originale, intemporelle et puissante.
La publication de ces articles serait régulière, ce serait un blog intellectuellement et spirituellement nourrissant.
Il présenterait un côté clandestin excitant ; revêterait en même temps un apparât classique impressionnant.
Il ressemblerait, se blog, à une oeuvre d'art à laquelle on revient sans cesse puiser pour se ressourcer, une oeuvre d'art qu'on a envie de conserver, d'emporter avec soi parce qu'on en vit au fond de soi.
Un aspect anarchiste, un peu rock, le diputerait à une facette plus Renaissance, inspirée d'Antiquité grecque, tandis que le Moyen-Âge et ses éléments gothiques émergeraient par instants.
La liberté, la route, l'Amérique y seraient présents : un Road Blog qui fascine ! Mais au creux du blog on se réfugierait aussi dans la vieille France, dans ses petits villages suspendus hors du temps et dans ses traditions transmises à travers les siècles.
Une grande intelligence baignerait chaque billet.
Aucune haine ne s'y ferait voir. Beaucoup de vitalité et de profondeur lui donneraient une force, une percutance qui le dispenserait de la haine et de la polémique.
Je cherche un tel blog à visiter, pour m'en imprégner. Je cherche si un tel blog peut exister au sein même d'AlmaSoror. Je cherche à révéler la vérité d'AlmaSoror, dissimulée derrière ses imperfections.
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