dimanche, 29 janvier 2012
Le kir Cornulier : une boisson pour oublier qu'on boit pour oublier
Photo Mavra Nicolaïevna Novogrochneïeva
Le kir Cornulier est une recette de kir créée en douce dans un appartement du fond d'une cour du boulevard du Montparnasse, au tout début de l'an 2012.
C'est tout simplement un mélange, qu'on peut doser selon les goûts de chacun, de champagne et de nectar de rhubarbe.
Ingrédients : champagne & nectar de rhubarbe.
Se boit frais.
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jeudi, 26 janvier 2012
La nuit du clochard
Un clochard et son chien marchent sous un pont.
- Là, dit le clochard.
- Non, dit le chien. Plus loin.
Le clochard et le chien suivent le fil de l’eau. Ils passent devant un banc.
- Là, dit le clochard.
- Non, dit le chien. Plus loin.
Le clochard et le chien montent des escaliers. Ils arrivent sur une petite place pavée.
- Là, dit le clochard.
- Non, dit le chien. Encore plus loin.
Le clochard et le chien marchent longtemps dans la nuit. Soudain, le chien montre une bouche d’égout :
- Là ! crie le chien.
- Non, dit le clochard. Plus loin.
Ils se remettent en route. Ils marchent encore longtemps.
- Chien, dit le clochard. Pourquoi tu ne voulais pas sous le pont ?
- Je n’aimais pas l’odeur.
Ils marchent. Les voitures passent très vite autour d’eux.
- Chien, dit le clochard. Pourquoi tu ne voulais pas sur le banc ?
- Les bancs sont inconfortables pour les chiens, répond le chien.
Ils marchent. Le vent souffle. Ils ont faim. Ils ont froid.
- Chien, dit le clochard. Pourquoi tu ne voulais pas sur la jolie place pavée ?
- J’avais peur des mauvaises rencontres, dit le chien. Je ne me sentais pas en sécurité.
Ils marchent. Une grue cache la lune. Ils sont essoufflés. Ils veulent vraiment dormir.
- Clochard, demande tout d’un coup le chien. Pourquoi tu ne voulais pas sur la bouche d’égout ?
- Les bouches d’égout sont inconfortables pour les clochards, répond le clochard. Ça n’aide pas à rêver.
Ils marchent, puis leurs jambes s’arrêtent. Ils ne peuvent plus marcher.
- Je ne peux plus marcher, dit le clochard.
- Moi non plus, clochard, dit le chien.
Ils s’allongent sur le trottoir. Clochard ouvre son long manteau et Chien s’y blottit à l’intérieur.
- Pauvre chien, dit clochard. Je ne te fais pas une belle vie.
Ils écoutent le bruit des voitures. Ils écoutent le bruit des sirènes. Ils écoutent le bruit des chaussures qui passent au loin.
Chien entend que Clochard ne dort pas.
- Clochard, dit Chien. Je connais un endroit très confortable pour les chiens. On s’y sent en sécurité. L’odeur est agréable.
Clochard écoute :
- Où est-ce ? demande-t-il.
- Dans ton manteau.
Clochard rit.
- Merci, chien, lui dit-il. Moi, je connais quelque chose de très confortable pour les clochards. Quelque chose de très pur, qui aide à rêver.
- Qu’est-ce ? demande Chien.
- Ton cœur.
Clochard et Chien s’endorment. C’est toujours comme ça, la nuit, dans la ville.
Edith de CL
2009
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dimanche, 08 janvier 2012
Fille d'ouvriers ou la révolte sans fard ni loi
En ce dimanche, jour du Seigneur et de repos, nous présentons Fille d'ouvriers (Jouy-Goublier), suivi d'un extrait de Mélancholia, de Victor Hugo
A quinze ans, ça rentre à l'usine, Sans éventail,
Du matin au soir ça turbine, Chair à travail.
Fleur des fortifs, ça s'étiole, Quand c'est girond,
Dans un guet-apens, ça se viole, Chair à patron.
fille d'ouvrier par Chansondhistoire
Paroles de Jules Jouy (1855-1897) (faites connaissance avec lui sur ce site) et musique de Gustave Goublier, dont on peut lire la vie sur la page des amis du Père Lachaise
Paroles :
Pâle ou vermeille, brune ou blonde,
Bébé mignon,
Dans les larmes ça vient au monde,
Chair à guignon.
Ébouriffé, suçant son pouce,
Jamais lavé,
Comme un vrai champignon ça pousse
Chair à pavé
A quinze ans, ça rentre à l'usine,
Sans éventail,
Du matin au soir ça turbine,
Chair à travail.
Fleur des fortifs, ça s'étiole,
Quand c'est girond,
Dans un guet-apens, ça se viole,
Chair à patron.
Jusque dans la moelle pourrie,
Rien sous la dent,
Alors, ça rentre "en brasserie",
Chair à client.
Ça tombe encore: de chute en chute,
Honteuse, un soir,
Pour deux francs, ça fait la culbute,
Chair à trottoir.
Ça vieilli, et plus bas ça glisse...
Un beau matin,
Ça va s'inscrire à la police,
Chair à roussin;
Ou bien, "sans carte", ça travaille
Dans sa maison;
Alors, ça se fout sur la paille,
Chair à prison.
D'un mal lent souffrant le supplice,
Vieux et tremblant,
Ça va geindre dans un hospice,
Chair à savant.
Enfin, ayant vidé la coupe.
Bu tout le fiel,
Quand c'est crevé, ça se découpe.
Chair à scalpel.
Patrons ! Tas d'Héliogabales,
D'effroi saisis
Quand vous tomberez sous nos balles,
Chair à fusils,
Pour que chaque chien sur vos trognes
Pisse, à l'écart,
Nous les laisserons vos charognes,
Chair à Macquart !
Mélancholia, de Victor Hugo : la critique sociale versifiée :
Où vont tous ces enfants dont pas un seul ne rit ?
Ces doux êtres pensifs que la fièvre maigrit ?
Ces filles de huit ans qu'on voit cheminer seules ?
Ils s'en vont travailler quinze heures sous des meules
Ils vont, de l'aube au soir, faire éternellement
Dans la même prison le même mouvement.
Accroupis sous les dents d'une machine sombre,
Monstre hideux qui mâche on ne sait quoi dans l'ombre,
Innocents dans un bagne, anges dans un enfer,
Ils travaillent. Tout est d'airain, tout est de fer.
Jamais on ne s'arrête et jamais on ne joue.
Aussi quelle pâleur ! la cendre est sur leur joue.
Il fait à peine jour, ils sont déjà bien las.
Ils ne comprennent rien à leur destin, hélas !
Ils semblent dire à Dieu : - Petits comme nous sommes,
Notre père, voyez ce que nous font les hommes !
VH
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jeudi, 05 janvier 2012
Persona grata
"Ma bouche sera la bouche des malheurs qui n'ont point de bouche,
ma voix, la liberté de celles qui s'affaissent au cachot du désespoir".
Aimé Césaire
Visage
Tous ces individus ne se ressemblent qu'en apparence. Chacun de ces milliards de milliards d'êtres est une personne pourvue d'un visage. Les traits de ce visage le différencient des autres pour l'éternité : magie individuelle qui distingue chacun d'entre eux des autres membres de leur espèce.
Liberté
Face au drame de la vie, chacun d'eux fait des choix, avec une grande part d'instinct, et la petite part de libre-arbitre qui fait la signature d'une existence unique. Face au drame qu'est la vie, chacun d'eux réagit d'une manière différente, et la somme de ses choix s'appelle sa biographie. Mais aucun d'eux n'écrit les biographies autrement que par l'accomplissement de l'acte dans l'instant, dans l'instant qu'ils épousent de leurs forces vitales.
Désir
Beaucoup d'entre eux font preuve d'un grand amour de la vie, d'un grand amour des autres. Au creux du cœur, au creux du corps de chacun d'eux s'agrippe une volonté de vivre dans un espace déployé, aux côtés de leurs enfants et de leurs proches, dans le déroulé quotidien des luttes, des joies, des cruautés et des peines de l'existence et de leur peuple.
Angoisse
Ils connaissent l'enthousiasme des courses dans le vent, la sensualité des paresses au soleil et le découragement après trop de jours sans lueur. Ils savent attendre les bonnes nouvelles. Ils savent qu'elles ne viennent pas toujours.
Ils connaissent la douleur de l'amour, la douleur de la solitude. Ils jaugent la violence et les ennemis, la possibilité d'une amitié.
Ils savent la liberté du geste qu'on pose, l'inquiétude face à l'ennemi, l'émotion de sa propre faiblesse.
Ils vibrent au miracle de la rencontre, s'aigrissent dans la déception de l'incompréhension. Hier, le mal-être au sein du groupe ; aujourd'hui, l'arrogance de dominer.
Douleur
En vérité, chaque visage est marqué par la vie fulgurante et fragile, par la mort qui s'approche et menace. Il y a la lutte pour sa dignité au risque de la mort, ou bien, le renoncement à son honneur pour moins de coups sur l'échine, plus de bouffe dans l'écuelle.
Que de partage ! Et puis des éloignements, des retrouvailles en cris de joies... Et parfois, comme un acte ultime – de désespoir ou de raison ?- le suicide.
Qui sont ces gens ?
Les autres : les animaux des autres espèces que la nôtre.
Avec des photographies de Sara
Autres articles d'AlmaSoror pour une fraternité transanimale :
Pour Laïka
Pour un sanglier mort au combat
Pourquoi pas d'alcool de salamandre
Poules des usines, des chansons
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mercredi, 04 janvier 2012
L'enfance, la civilisation et le monde sauvage
Sommaire :
Ouverture : l'enfance est un pays frontalier...
I La guerre du feu, de JH Rosny Aîné : Retour aux sources préhistoriques
II Crin Blanc, un film d'Albert Lamorisse : Combats à la frontière du sauvage et du civilisé
III Les derniers géants, album illustré de François Place : contre l'exploitation et l'approche scientifique de la nature et des "peuples premiers"
Clôture : domestication, éducation, colonisation : Drame ou Tragédie ?"
par Edith de Cornulier-Lucinière
(Ce texte est la reproduction écrite de la huitième séance d'Une enfance littéraire française, causerie créée pour les étudiants du Cours de Civilisation française de la Sorbonne)
Ouverture : l'enfance est un pays frontalier...
L'enfance, qu'est-ce ? Un pays entre la civilisation et le monde sauvage. La nature y met des rêves et des pulsions ; la société y met son éducation...
Ce thème touche au tiraillement de l'homme entre la civilisation, qui le distingue des autres animaux, et le monde sauvage, un monde sauvage dont l'homme est issu, et pour lequel il éprouve à la fois rejet et fascination. Ce thème nous mènera vers trois œuvres, trois points de vue sur la civilisation et le sauvage, des œuvres respectivement créées au début, au milieu et à la fin du XX ème siècle.
La guerre du feu se passe aux temps préhistoriques. Les hommes luttent pour la survie du clan.
La colonisation du monde par l’homme y est vu comme positive : elle permet la survie.
C'est donc une œuvre progressiste, optimiste, un hymne à la marche de l'homme vers toujours plus de civilisation.
A l'origine pour les adultes, l'édition l'a depuis réservée aux enfants. Comme si les hommes préhistoriques, non civilisés, étaient plus proches des enfants. Ils apprennent à dompter le feu pour devenir civilisés, comme l'enfant doit dompter sa nature sauvage pour devenir adulte. Dans les années 1980 un film de Jean-jacques Annaud a remis l’œuvre au goût du jour pour les adultes. Mais l’engouement fut passager et à nouveau La guerre du feu se retrouve dans les collections « jeunesse » des éditeurs.
Crin Blanc se passe dans les années 1950.
Réalisé exprès pour les enfants, il est un des films qui marquent le plus les enfants qui l'ont vu, un de ceux qu'ils emmènent avec eux dans leur vie d'adulte. Ce film représente leur enfance.
L'enfant Folco, héros du film, est un petit pêcheur de Camargue. Il entend un propriétaire de troupeaux sauvages dire que celui qui arrive à attraper Crin Blanc en sera le maître. Mais lorsque Folco s'empare de Crin Blanc, les hommes veulent lui reprendre.
Crin Blanc refuse d'être un cheval domestique et préfère l'amitié avec Folco au dressage des hommes. Alors Folco et Crin Blanc s'enfuient dans la mer pour garder leur liberté.
Crin Blanc est une œuvre radicale, qui prône le refus de la soumission, la course vers la liberté mais qui met en valeur les rapports de force.
Les derniers géants (récit illustré datant des années 1980) se passe au XIX ème siècle.
C'est la rencontre d'un homme civilisé avec un peuple inconnu : les Géants.
À travers la découverte et la destruction du peuple des géants, ce long album élabore une critique de la civilisation, de la colonisation, de l'ethnologie, du tourisme, de la science.
Les derniers géants est une œuvre pessimiste.
I La guerre du feu, de JH Rosny Aîné : Retour aux sources préhistoriques
Au départ, La guerre du feu était un livre de littérature générale, un livre pour les adultes. Très vite, il a été uniquement édité dans des « collections jeunesse ».
Ce roman est l'origine d'un immense effort pour faire connaître la préhistoire. Durant tout le XX ème siècle, de nombreux livres sur les dinosaures et les hommes préhistoriques sont édités pour les enfants.
C'est un roman qui a beaucoup influencé la vision des paléontologues et autres spécialistes de la préhistoire. Ce n'est que récemment qu'ils ont remis en question les comportements des humains préhistoriques tels qu'ils sont décrit dans le roman.
L’auteur, JH Rosny Aîné, a vécu parmi les hommes entre 1856 et 1940. Pendant longtemps, Rosny a écrit en collaboration avec son frère, Rosny le Jeune. Mais le livre qui l'a rendu célèbre et dont nous parlons aujourd’hui, il l'a écrit seul, en 1911.
La guerre du feu se passe aux temps préhistoriques. Le clan des Oulhamrs a perdu le feu. Les gens du clan sont voués à la mort. Le chef Faouhm dit que celui qui retrouvera le feu sera son égal et prendra sa fille pour femme. Naoh relève le défi.
Les personnages essentiels sont Faouhm, le chef ; Naoh, un homme de la tribu : Gammla, la fille du chef Faouhm ; le feu.
Deux adaptations cinématographiques aux antipodes du XX°siècles mettent en valeur l’incroyable changement des mentalités en France.
En 1914, Georges Denola, en noir et blanc, sans paroles, dans la technique balbutiante du cinéma de l'époque, tourne un film beau et étrange.
En 1981, sort un film spectaculaire de Jean-jacques Annaud. Cette seconde adaptation n'est pas montrée aux enfants (sexe, grande violence de certaines scènes) et a remis la guerre du feu pour un temps en vogue chez les adultes. Mais le roman est toujours publié dans les collections pour la jeunesse.
La première adaptation, de Denola, s'intéresse à la religiosité primitive ; il s’ouvre sur une danse mystique des hommes en l’honneur du feu.
La seconde adaptation, d'Annaud, s’intéresse à la sexualité primitive ; il s’ouvre sur une scène de sodomie au bord d’une rivière : ces deux adaptations reflètent les changements des préoccupations au cours du XX°siècle... J'avoue une nette préférence pour le premier, que je conseille à mes lecteurs et étudiants.
II Crin Blanc, un film d'Albert Lamorisse : Combats à la frontière du sauvage et du civilisé
Crin Blanc fut d'abord un film, avant d'être adapté, avec les photos du film, en album illustré (il est toujours en vente, chaque année réimprimé).
L’univers de Crin Blanc compte largement autant que l’histoire et donne une épaisseur particulière à l’œuvre.
La Camargue, parc naturel protégé où se déploient chevaux, taureaux et rizières, est située en Provence, autour de trois villes : Arles, les Saintes-Maries de La Mer, et Port Saint-Louis du Rhône.
Arles est une ville traversée par le Rhône ; c'est la ville de la photographie, avec, chaque été, les Rencontres photographiques d'Arles.
Les Saintes Maries de La Mer est la ville des gitans. Les gitans et les Roms y vénèrent Sainte Sara(h) la Noire et baptisent de préférence ici leurs enfants.
Quant à Port Saint-Louis du Rhône, c’est la que le fleuve-dieu venu d’un glacier du Nord se jette dans la mer, comme un fou. Et c’est là que s’achève l’histoire de Crin Blanc : dans la folie du Rhône en noces mystiques avec la mer.
Les auteurs de Crin Blanc sont le scénariste Denys Colomb de Daunant, gendre du marquis Folco de Baroncelli, un des derniers grands seigneurs camarguais, et le cinéaste Albert Lamorisse, qui s'est spécialisé avec talent dans les films pour enfants.
Paru en 1953, Crin Blanc a obtenu le Grand Prix du festival de Cannes, le Prix Jean Vigo, le Prix de Centre International de l'Enfance et le Grand Prix de la critique polonaise.
J’ai trouvé deux points de vue américains récents sur ce film merveilleux.
En 2007, le New York Times avec un article de Terrence Rafferty le classe comme l'un des plus beaux films pour enfants de tous les temps. Mais dans le Washington Post, des auteurs ont fait valoir que Crin Blanc, film néfaste, fait croire aux enfants qu'un monde meilleur est possible, d’une manière d'autant plus fourbe que ce film a des apparences réalistes. L’histoire de Crin Blanc est un mensonge, qui fait croire aux enfants que le monde est libre et beau. Ce mensonge est une tromperie, qui mène les enfants au refus de grandir ou bien à de très grandes désillusions.
Il y a donc l'école du rêve et l'école réaliste... Face à ceux qui souhaitent configurer les cerveaux enfantins en fonction du rôle qu’on souhaite leur faire jouer plus tard, défendons la possibilité du rêve, de zones d'imaginaire où la réalité n'a pas tous les droits.
(Une autre œuvre célèbre du cinéaste Albert Lamorisse, Le Ballon rouge, est un hymne à Ménilmontant. Le ballon rouge est une merveille de poésie et d'intelligence, où l'on voit revivre le Ménilmontant des instituteurs laïcs, des lavandières, des bus d'époque... Ce film a reçu la même critique que Crin Blanc : à force de montrer aux enfants un monde où tout est possible, on leur prépare de grandes désillusions).
Pourquoi tant de peurs ? Parce que l'histoire de Crin Blanc est une invitation à la rébellion éternelle.
Crin Blanc est le plus beau des chevaux sauvages. Folco est un petit garçon de Camargue. Folco entend parler de Crin Blanc le cheval sauvage et décide de le capturer pour en faire son cheval.
Crin Blanc, qui hait les hommes se laisse peu à peu approcher par Folco. Les deux amis fuient les hommes qui veulent s'emparer de Crin Blanc, et se sauvent dans la mer, dont ils ne reviendront jamais.
Le film contient une contradiction : la vision qu’il donne des manadiers et gardians (éleveurs de chevaux) est mauvaise : ce sont les grands ennemis de l’amour et de la liberté. Mais, dans le même temps, le film est une valorisation à l’extrême de leur culture, de leur mode de vie. Les Camarguais ne s’y sont pas trompés : ils sont très fiers du film.
Quel est le thème du film ? C’est un hymne à l'amitié entre les hommes et les animaux, c’est un appel à des rapports de force, des confrontations, des violences plus belles que l’adhésion à un monde sans conflits. Folco n'est pas dénué de désir de domination : il veut posséder Crin Blanc ; il tue poissons et lapins pour se nourrir. L’amitié, la tendresse et la violence ne s’excluent pas.
Les personnages sont peu nombreux : il y a Folco, le petit garçon, Crin Blanc le cheval sauvage, il y a les manadiers (éleveurs de chevaux) et leurs employés, les gardians ; il y a le grand-père, humble pécheur sachant vivre d'éternité, et le petit frère de Folco, qui joue avec une tortue. Il y a le peuple des chevaux et la faune mystérieuse des oiseaux, des poissons, des lapins, des flamants roses.
L’univers de Crin Blanc a dépassé le cadre du film. Un album a été tiré du film et est devenus un des grands classiques de la librairie enfantine française.
Une statue de Crin Blanc orne la place de l'église des Saintes Maries de La Mer. Les vins & bières nommés Crin Blanc sont légion. J'ai trouvé cette publicité pour une bière : "La Crin blanc rend hommage au cheval de trait Comtois par sa couleur, par la blancheur de sa mousse et par son caractère à la fois doux et puissant". Inutile de préciser qu'en Camargue, de nombreux campings, élevages de chevaux, restaurants, s'appellent « Crin Blanc » !
Les noms des personnages ne manquent pas de poésie, de rêve. Folco veut dire Faucon. C'était le prénom du beau-père du scénariste. Le faucon est un oiseau de proie. Crin blanc tire son nom de sa robe entièrement blanche.
III Les derniers géants, album illustré de François Place : contre l'exploitation et l'approche scientifique de la nature et des "peuples premiers"
Le thème des Derniers géants est la survie des espaces non colonisés. Les derniers géants illustrent la beauté de l'homme-sauvage et le remords de l'homme-technique qui ne sait qu' éteindre la vie parce qu'il a perdu son cœur en développant ses talents. La science équivaut à la colonisation, elle est destructrice. Elle mesure, elle analyse, elle tue. Par sa simple manière de regarder le monde elle le détruit…
Né en 1957, François Place, écrivain et illustrateur, ou peut-être, auteur d’œuvres littéraires et visuelles, a reçu pour Les derniers géants le prix Baobab au Salon de Montreuil en 1992.
L’histoire, écrite dans un style ample, précis, raffiné, relate le voyage du scientifique Archibald Ruthmore, qui quitte l'Angleterre du XIX° siècle pour explorer les contrées sauvages. Il découvre un peuple magnifique demeuré inconnu, le peuple des géants. Les géants, êtres de taille immense, très sensibles et raffinés, l'accueillent avec amitié et bienveillance.
De retour en Angleterre après un long moment passé auprès de ces êtres d’une grande bonté, Archibald écrit un livre pour présenter le peuple des géants, leur histoire, leurs caractéristiques, leurs traditions. Aussitôt, scientifiques, militaires, religieux, administrateurs, se ruent à la rencontre des géants.
Bientôt, tous les géants sont décimés. Leur civilisation est éteinte. Leurs dépouilles sont exposées dans les musées, agrémentées d’explications scientifiques et ethnologiques.
Archibald Ruthmore ne se voile pas la face. Il abandonne tous ses biens. Il part errer de port en port. Il est désespéré d'avoir été la cause de la destruction d'un peuple profondément bon, bien meilleur que le sien.
Les derniers géants sont une œuvre rousseauiste.
Nous avons déjà mentionné Jean-Jacques Rousseau (dans une autre séance de ce cours), lorsque nous présentions Gavroche, l'enfant de Paris, personnage des Misérables, de Victor Hugo. Nous avions parlé de Rousseau comme du philosophe de l'égalité, par opposition à Voltaire, philosophe de la liberté.
Mais Rousseau était aussi le philosophe de la nature. Il a beaucoup vanté l'état de nature, l'époque reculée où l'homme n'avait pas encore domestiqué le monde et où il vivait en paix et en harmonie avec la nature. Pour Rousseau, la civilisation est liée à la perversion. On a appelé ce courant de pensée "mythe du bon sauvage".
Et Voltaire, toujours son contraire, est le philosophe de la culture ! Il se moquait de Rousseau, l'accusant de vouloir que les hommes broutent tous nus dans l'herbe, car pour lui, c'est la civilisation qui adoucit les mœurs, tandis que la nature demeure un monde sans morale, où la cruauté et l'instinct règnent en maîtres.
Rousseau, donc, philosophe de l’égalité et de la nature ; Voltaire, philosophe de la liberté et de la culture…
Clôture : domestication, éducation, colonisation : Drame ou Tragédie ?"
Si je laisse ces trois œuvres m’imprégner, La guerre du feu, Crin Blanc et Les derniers géants, peu à peu une analyse commune surgit au fond de moi et me permet d’articuler des idées autour du thème de l’enfance, pays frontalier entre la vie sauvage et la vie civilisée.
Sous-jacente au thème du monde sauvage et de la civilisation, il y a la question de l'éducation. Questions religieuses mises à part (l'idée d'une âme éventuellement placée dans certaines catégories d’êtres), c'est par l'éducation que l'enfant sort du monde animal mammifère pour devenir un être civilisé.
L'éducation rend civilisé ce qui était sauvage. L'enfance est donc à mi-chemin entre le monde sauvage et le monde civilisé.
Dans La guerre du feu, des tribus se battent pour survivre et domestiquer le feu. Ce roman était à l'origine pour les adultes, mais très vite on en a fait un livre réservé aux jeunes. Pourquoi ? Parce qu'on les sent plus concerné par le monde préhistorique que des adultes civilisés.
L'analyse connue de Crin Blanc, c'est qu'un enfant choisit le monde des chevaux sauvages plutôt que d'entrer dans la civilisation et devenir un adulte.
Pourtant, cette analyse n'est pas si profonde. C'est à cause du mensonge des hommes que l'enfant fuit dans la mer. Folco n'est pas un défenseur des chevaux contre les hommes, puisqu'il souhaite posséder Crin Blanc. Il n'a rien contre le dressage et la propriété sur les animaux. Crin Blanc et Folco sont deux être libres et dominateurs qui veulent suivre leur propre volonté et ne veulent pas se soumettre aux hommes plus forts qu’eux. En ce sens, Crin Blanc est un film Nietzschéen, qui prône liberté, responsabilité, volonté de puissance. C'est un film qui met en scène la civilisation dans toute sa puissance, cette civilisation qui a dépassé le stade de la survie mais n'a pas perdu sa force naturelle. La civilisation des chasseurs, des pécheurs, des éleveurs, qui vont voter en ville et se battre dans les forêts, qui lisent et écrivent dans leurs bureaux mais meurent au cours d’une chevauchée sauvage. Sorti du monde mammifère, l’homme n’est pas encore décharné, mangé par sa sophistication. Crin Blanc décrit un monde d’équilibre violent et beau entre la nature et la culture.
Dans Les derniers géants, la civilisation est dévoilée, son masque se déchire : ce n'est pas le monde sauvage qui est brutal ; c'est le monde civilisé qui tue, avec ses livres, ses instruments de mesure, ses villes... Et finalement, l'homme éduqué est incapable du moindre respect tandis que "les sauvages" vivent dans le haut respect des plus belles vertus : la liberté, la vérité, l'humilité. Mais l’homme civilisé n’est même pas méchant : c’est la structure de sa société qui le prive de toute relation avec le reste du monde. Et quand il se penche sur le monde, c’est en Deus ex machina, en observateur ou en transformateur. Toute solidarité avec l’altérité lui est donc fermée.
Education, domestication et colonisation sont identifiées dans ces trois œuvres.
Dans la guerre du feu, l’homme domestique le territoire et les éléments (principalement le feu). Cette domestication est positive : elle atténue la violence et favorise la paix.
Dans Crin Blanc, l’homme dresse les chevaux et méprise les enfants. La violence du monde sauvage s'oppose à la violence du monde civilisé, dans un bon équilibre. Chaque monde a ses grandeurs et ses incapacités. La vie est dure, mais belle. L'enfant travaille (il ne va pas à l'école) mais il a la beauté entière des enfants libres.
L'éducation et la domestication sont remises en question : Crin Blanc doit-il être le cheval favori du manadier, pourvu de la plus belle selle, ou un cheval anarchiste qui vit loin des hommes ? Folco doit-il aller à l’école et mettre des chaussures ou bien courir les champs au risque de mourir en tombant d’un arbre ? Crin Blanc représente une étape de la civilisation où l'homme est civilisé sans avoir perdu sa force vitale. Ce qui le rend plus violent, plus cruel, mais aussi plus vivant, plus capable d'amour et de don.
Dans Les derniers géants, l’homme colonise les peuples qui n'en ont pas besoin, qui sont meilleurs que lui, parce que l'homme civilisé ne sait pas regarder le monde sans vouloir le posséder, le transformer. La colonisation est négative, et elle rend, par déduction, la domestication et l'éducation tout aussi négative. La domestication n'est que le premier jalon d'un phénomène : elle appelle l'éducation des enfants pour leur apprendre à vivre la complexité d'un monde domestiqué. ces enfants éduqués, devenus des hommes, n'auront de cesse d'éduquer tout ce qu'ils voient, c'est le troisième jalon : la colonisation.
La colonisation des peuples, la domestication des territoires, l’éducation des enfants, sont le même processus vital, puis destructeur. Du rêve d’un monde meilleur où les corps sont moins malmenés, à la désillusion du cœur perdu qui ne sait plus ce qu’est un corps, la route est longue et triste.
La domestication des territoires et des éléments a mené à la civilisation. C'est la colonisation de notre propre environnement.
Pour survivre, la civilisation éduque les enfants, les animaux... C'est la colonisation de nous-mêmes, de nos friches intérieures.
Domestication et éducation sont des formes de colonisation.
Et enfin, quand c'est fait, quand tout est colonisé en soi et autour de soi, l’ennui dévore, la déprime se déploie, l'envie de partir naît. Alors on s'embarque pour aller découvrir l'inconnu, "trouver du nouveau" comme le dit Baudelaire. Mais... L'homme civilisé n'est plus comme l'enfant : il est incapable de regarder sans prendre possession, de vivre une amitié sans vouloir transformer l'autre. Il ne plus être fraternel et tout ce qu’il touche, même son rêve, surtout son rêve, il le détruit.
Le processus de colonisation est paradoxal : il est inéluctable pour survivre et mène à la destruction.
Même le goût de l'exotisme, même la quête du sauvage, mène à la destruction car l'homme civilisé, coupé de sa propre nature sauvage, est un perpétuel insatisfait : comme Don Juan, il veut sans cesse une nouvelle conquête, mais dès qu'il a conquis il se désintéresse d'elle et la détruit. L’homme qui s’est civilisé lui-même n’a plus d’amour à donner, plus de guerres à mener. Son regard est plus efficace qu’une kalachnikov car son corps n’est plus qu’une enveloppe vide.
Dans la Guerre du feu, les tribus sont à peines humaines : ce sont des animaux supérieurs, qui se battent sans cesse pour survivre et aspirent à vivre une vie moins matérielle, plus spirituelle.
Dans Crin Blanc, l'enfant refuse de se soumettre aux hommes et préfère la mort à la liberté. Il ne fait pas cela par survie, mais par choix, par besoin vital d'être libre. C'est la violence des manadiers et de Folco qui permet aux chevaux d'être encore libres. Si ces hommes n'aimaient pas galoper dans les marais, ils garderaient leurs troupeaux dans des écuries...
Dans Les derniers géants, le scientifique explorateur détruit un peuple magnifique parce qu'il est trop civilisé pour vivre une amitié libre : il doit écrire des livres, et ses livres tuent le peuple de géants, qui représentent les derniers hommes non colonisés de la planète. Ainsi même la littérature et la culture, instruments de paix, ne peuvent plus que participer à la désolation du monde.
Le processus de colonisation commence donc par soi-même. On se détruit soi-même pour devenir adulte. On détruit ses enfants en les éduquant. On détruit tout ce qu'on touche parce qu'on est civilisé.
La chronologie de ces trois oeuvres (1912, 1953, 1992) démontre bien l'évolution de la pensée au XX°ème siècle : il s’est ouvert avec de grands rêves ; il s’est fermé épuisé, plein de désillusions.
Ces colonisations successives (domestication, éducation, colonisation), posent la question antique : s’agit-il d’un drame ou d’une tragédie ?
La différence entre le drame et la tragédie est la possibilité du dénouement.
Dans le drame, rien n'est joué à l'avance. Les personnages tiennent leur destin en main et peuvent vaincre l'adversité. Le drame est une épopée : l'héroïsme des hommes influence positivement le monde.
Dans la tragédie, tout est joué avant même que les évènements ne commencent. Les héros ne peuvent rien faire contre leur destin, quelle que soit leur valeur. La seule chose qu'ils ont à défendre, c'est leur réputation. La tragédie est le déroulement d'un destin perdu d'avance. La fatalité est plus forte que les désirs et les essais des hommes.
L'exemple le plus célèbre est Œdipe-roi, la tragédie de Sophocle. Un oracle prédit qu'Œdipe tuera son père et épousera sa mère. Malgré toutes les précautions prises par les personnages et par lui-même, l'oracle se réalise.
L'universitaire américain George Steiner a donné un exemple de ces deux visions -drame et tragédie – en opposant deux auteurs russes du XIXème siècle. Selon lui, Tolstoï est un dramaturge, et Dostoïevski un tragédien.
La guerre du feu est un drame : le drame d'un peuple qui doit lutter comme un fou pour survivre, se reproduire et progresser dans sa conquête du territoire et des éléments. Qu’il y ait échec ou réussite, tant qu’il reste quelqu’un pour se battre l'issue est incertaine, les jeux sont ouverts.
Crin Blanc, suivant l'interprétation que fait le spectateur, est un drame ou une tragédie.
Parce qu'il est impossible de grandir sans se tuer soi-même, l'enfant Folco choisit une sorte de suicide, même si ce n'est pas dit ainsi. C'est le côté tragique de Crin Blanc : l'enfant et le cheval doivent mourir pour rester eux-mêmes, ou bien vivre mais à la condition du suicide intérieur.
Mais Folco aurait pu choisir l'entente avec les manadiers, la composition avec la société, de même que Crin Blanc, comme tant d'autres chevaux, pouvait accepter d'être domestiqué. Ils choisissent leur destin, ils décident en conscience de leur propre route à un carrefour qui leur laissait d’autres possibilités. C'est le côté dramatique de Crin Blanc.
Les derniers géants sont tragiques. Parce qu'il est impossible d'être un scientifique et de respecter la vie, Archibald va causer la perte du plus beau peuple du monde : les géants. Archibald est victime de lui-même. Parce qu'il est un homme civilisé il représente un danger pour tout ce qu'il touche, quelles que soient ses intentions. Il n'a pas de choix. Sa capacité de destruction est inscrite au creux de lui-même, de son éducation, de sa civilisation. Il est l’assassin suprême, car il a perdu sa capacité à vivre en bête dans le monde plein de dangers et de tendresses. Il a perdu son cœur il y a longtemps et il tue ce qu’il aime parce que la civilisation coupée de sa source sauvage est mortifère. Les hommes civilisés sont comme des tomates cultivées hors sol. Ils croient qu’ils vivent ; ils n’ont plus d’organe vivant.
Conclusion désespérée d'une âme qui cherche son corps :
La vie sauvage est dramatique. La vie civilisée est tragique.
Il reste le rêve, n'est-ce pas ?
Edith de CL automne 2011
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samedi, 31 décembre 2011
La naissance des ours
Veille - Nuit - Premier matin
Veille
Les pères, les mères et les amis attendent tout le jour la naissance des oursons.
Dès l'aube, ceux-ci ont fait savoir que ce serait pour aujourd'hui. Mais le jour se lève et s'écoule sans que rien d'autre n'ait lieu que l'attente. L’attente de tous et la douleur de celle qui enfante.
Alors Spiegel im Spiegel, la berceuse d'Arvo Part qui multiplie les images dans les miroirs, joue tout le jour dans la fraîcheur froide tandis que des cierges se consument dans les maisons du Sud et les églises d'Île de France.
Même dans les pages des livres d'enfants, tout se tait ; tout s’immobilise ; les personnages attendent. Animaux et humains, ils savent que quelque chose va avoir lieu.
Et dans les cuisines on ne sait pas quoi faire en attendant. Les heures s’écoulent dans l’étonnement du silence.
Nuit
Kiko, par Sara
La nuit tombe et l’ourson frappe à la porte. Tout prend un air de crèche. C’est la fête émerveillée.
L'ourson, à peine éclos, prend place dans la fratrie totémique : un frère-Dieu, deux sœurs-fleuves et un frère-fleuve, qui l'entraîneront sur les routes puissantes du rêve éveillé.
Loin du Sud, à Paris, au fond d’une cour de Montparnasse, quelqu’un songe : quel est cet enfant assez étrange pour naître lors de la trêve des confiseurs ?
Premier matin
Le soleil d’hiver s’est levé sur le premier matin d’Orso sur la terre. Il a entrevu le ciel à travers le rideau. Il a tété sa mère, sucé son pouce. Il a voulu que son premier soir d’homme soit un réveillon de nouvel an, parce que la vie qu’il commence est une révolution.
Bienvenue dans ce monde ! Et pour t'accompagner, une phrase de philosophe :
"Quel vin est aussi pétillant, savoureux, enivrant, que l'infini des possibles!"
Søren Kierkegaard
Edith de Cornulier-Lucinière, pour Orso B, né le 30 décembre 2011 au bout d'une longue journée.
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jeudi, 29 décembre 2011
Poules des usines, poules des chansons : un documentaire, une comptine
Voici une enquête intéressante de l'association L214 sur les poules en batterie :
Et voilà la comptine, qu'on peut entendre chantée ici et là sur Internet :
L’était une p’tite poule grise
Qui allait pondre dans l’Eglise
Pondait un p’tit coco
Pour l’enfant s’il dort bientôt
L’était une p’tite poule noire
Qui allait pondre dans l’armoire
Pondait un p’tit coco
Pour l’enfant s’il dort bientôt
L’était une p’tite poule blanche
Qui allait pondre dans la grange
Pondait un p’tit coco
Pour l’enfant s’il dort bientôt
L’était une p’tite poule rousse
Qui allait pondre dans la mousse
Pondait un p’tit coco
Pour l’enfant s’il dort bientôt
J'ai glané les vidéos sur le site d'L214 et sur YouTube.
L'auteur de ce billet (Edith) avait déjà écrit, en 2007, Une marche humaine, sur le sujet de la condition animale. Car de nos jours où tout est bétonné, enserré, mécanisé, qu’il soit homme ou bête, désert est le jour de l’animal concret.
AlmaSoror avait évoqué, en 2009, le désastre animal au moment de Noël.
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mercredi, 09 novembre 2011
Jean-Christophe - 8 novembre 2011
"La cruauté envers les animaux et même déjà l’indifférence envers leur souffrance est à mon avis l’un des péchés les plus lourds de l’humanité. Il est la base de la perversité humaine. Si l’homme crée tant de souffrance, quel droit a-t-il de se plaindre de ses propres souffrances ?"
Romain Rolland
Frère et Soeur Rolland
Romain Rolland a inventé l'expression « roman-fleuve » ; il a inventé l'expression « sentiment océanique », qu'on trouve dans sa correspondance avec Sigmund Freud. Il a milité pour l'Europe fraternelle ; il a été l'ami de Tolstoï et de son disciple Gandhi ; il a, comme eux, défendu les animaux. Il a été un pionnier de la musicologie.
Son roman Jean-Christophe, qui lui a fait obtenir le prix Nobel, a rendu ardents et fébriles d'enthousiasme des jeunes gens du monde entier pendant toute la première partie du XXème siècle. Dans le monde communiste il est demeuré un héros. Aujourd'hui, il est plus lu et étudié à l'étranger qu'en France.
Mais son Jean-Christophe a été conçu, et les premiers jets ont été écrits au 162 boulevard du Montparnasse, dans l'obscurité.
C'est pourquoi, aujourd'hui, dans l'obscurité, un petit groupe de têtes fêlées se rassemble au 13 boulevard du Montparnasse le mardi soir, pour lire à voix haute le premier roman-fleuve, l'histoire de Jean-Christophe Krafft.
Phot Sara
La première « lecture du mardi » a eu lieu hier. Elle était accompagnée d'un Monbazillac blanc moelleux et d'une fourme du Puy de Dôme.
A mardi prochain, frères lecteurs, pour un autre chapitre, un autre fromage, un autre vin. A mardi prochain, pour la messe de Jean-Christophe.
Les officiants d'hier : Laure ; Alexandre ; Francis ; Vincent ; Dominique ; Jean-Pierre ; Stéphanie ; Emmanuel ; Edith
Conseils de lecture :
Ce passage sur la musique, de Jean-Christophe
La nouvelle "Le prophète", de Thomas Mann
Ciel Mental, par Mavra
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lundi, 07 novembre 2011
Cinq règles de comportement relationnel
Un billet de notre sororale Nadège Steene, qui partage ses recettes de cuisine relationnelle.
1
Ne jamais laisser deviner un préjugé, un calcul, une intention basse.
2
Ne jamais chercher à m'élever aux yeux d'autrui
3
Me mettre au diapason des gens et de la situation, tout en restant moi-même
4
La politesse l'emporte sur l'égoïsme ; la fermeté l'emporte sur la faiblesse (que cette faiblesse se traduise par de la soumission ou de la pitié)
5
Je donne quelque chose, de façon anonyme et gratuite, dans chaque lieu où je passe
La belle Elisabeth Jacquet de La Guerre, grande musicienne du Grand Siècle français.
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dimanche, 04 septembre 2011
richesses et misères de nos comptes en banques et de nos coeurs
Charité unicefienne. Août 2011, septième arrondissement, Paris
Clochardise parisienne, août 2011, sixième arrondissement, Paris.
Qu'est-ce qui fait souffrir d'argent ? La comparaison, principalement. Hors survie pure (continuer à être vivant), la douleur d'argent est une douleur sociale.
Quelle comparaison nous fait souffrir ? Celle d'avec des riches ou celle d'avec des pauvres ?
On croit que c'est celle des riches. Pourtant, s'il n'y avait que des plus riches que nous, je crois que notre réaction serait différente. Voir des riches fait mal, voir des pauvres fait peur.
Voir des pauvres rend coupable à l'idée de gagner « trop » d'argent. Le pauvre habille la richesse d'indécence. Le pauvre est obsédant, il nous empêche d'aimer la richesse tranquillement. Le riche ne nous empêche pas d'aimer tranquillement la pauvreté !
Voir des riches donne envie de gagner plus d'argent. Mais en même temps la jalousie nous fait les haïr à cause de leur argent, donc nous rend haïssable le riche : voulons-nous devenir ce que nous haïssons ?
Il y a donc une différence entre les sentiments : vis à vis du pauvre, nous sommes remplis de pitié et de culpabilité. Nous éprouvons de la pitié, qui se transforme immédiatement en culpabilité. Eprouvons-nous de l'inspiration ? Non.
vis à vis du riche, nous éprouvons de l'inspiration et de la jalousie. L'inspiration donne envie d'imiter, mais la jalousie pollue ce désir.
Ainsi, pauvres et riches nous éloignent de l'argent, nous rendent hystériques face à lui. Notre pitié coupable des pauvres nous interdit d'aimer l'argent, notre jalousie haineuse des riches nous interdit de leur ressembler.
Les pauvres titillent ; les riches énervent.
Les pauvres interdisent à tout le monde d'être riche par leur incapacité à l'être ; les riches n'interdisent à personne d'être riche, sur le plan de la conscience morale, mais bien sur le plan affectif.
Le pauvre dérange tout le monde. Le riche ne dérange que celui qui veut devenir riche et qui n'est pas certain d'y arriver.
Mais quelle est la profonde raison de ces sentiments ?
Le trop-plein de richesse qui détruit son possesseur ne fait pas envie. Personne n'a envie de mourir dans son vomis, d'être harcelé par des vautours, de payer des drogues très chères, de passer sa vie à gérer de l'argent. L'indulgence des nababs se rapproche de l'indigence des parias. Ce n'est donc pas la quantité, mais la qualité de la richesse qui nous fait envie.
Si quelqu'un, même très pauvre, nous paraît heureux, alors la pitié disparaît. L'envie d'être à sa place peut même apparaître, car nous savons reconnaître que la personne possède des trésors intérieurs, ou du moins qu'elle ne manque de rien d'essentiel. Ce n'est donc pas la pauvreté, mais la misère qui nous tourmente.
Ce n'est pas la pauvreté d'un homme qui nous fait pitié et nous rend coupable : c'est son sentiment d'infériorité. Croiser un clochard heureux ne nous remplit pas le cœur de culpabilité.
Ce n'est pas la richesse d'un riche qui nous rend amer : c'est notre propre sentiment d'infériorité. Si nous n'envions pas un riche, nous n'éprouvons ni jalousie, ni haine envers lui.
Comment font les personnes qui tiennent à s'enrichir sans trahir leurs émotions ?
Pour préserver notre morale pro-pauvre, on compense notre enrichissement en bons sentiments. Plus on s'enrichit, plus on dégouline d'amour pour la souffrance déployée en ce monde.
Pour préserver notre morale anti-riche, on compense en gardant une mentalité de pauvre, c'est à dire en n'acceptant jamais de se considérer comme riche même si on devient Crésus et en mettant toujours un rideau entre le vrai riche, qui est méchant, et le pauvre devenu riche, qui, lui, a conservé sa souffrance de pauvre et sa connaissance profonde de la misère.
Le ruiné, ou d'origine ruiné, a les désavantages des deux situations : il a encore la mémoire de la fierté du riche, dont il ne peut se défaire ; il connaît la misère du pauvre, qui s'accompagne d'une haine des actuels riches. Sa situation intellectuelle est complexe.
juillet 2011, rue de Sèvres, Paris.
Pour oublier les riches et les pauvres : buvez Coca Cola !
écrit après un bon dîner achevé sur la glace au lait d'amande douce, de François Théron
23 août 2011
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dimanche, 24 juillet 2011
L'échec social et la mort
Philippe Ariès, dans L’homme devant la mort (tome I : le temps des gisants) discute la naissance de la notion d'échec social. Ses idées nous ont paru intéressantes et étranges. Voici un extrait.
"Chaque vie de pauvre a toujours été un destin imposé sur lequel il n’avait pas de prise.
Au contraire, à partir du XIIè siècle, chez les riches, les lettrés, les puissants, nous voyons monter l’idée que chacun possède une biographie personnelle".
« Pour bien comprendre le sens que la fin du Moyen Âge a donné à cette notion de désillusion et d’échec, il faut prendre du recul, laisser un moment de côté les documents du passé et la problématique des historiens et nous interroger nous-mêmes, hommes du XXè siècle.
Tous les hommes d’aujourd’hui ont éprouvé à un moment de leur vie le sentiment plus ou moins fort, plus ou moins avoué ou refoulé, d’échec : échec familial, échec professionnel. La volonté de promotion impose à chacun de ne jamais s’arrêter à l’étape, de poursuivre au-delà des buts nouveaux et plus difficiles. L’échec est d’autant plus fréquent et ressenti que la réussite est souhaitée et jamais suffisante, toujours reportée plus loin. Un jour vient cependant où l’homme ne soutient plus le rythme de ses ambitions progressives, il va moins vite que son désir, de moins en moins vite, il s’aperçoit que son modèle devient inaccessible. Alors il sent qu’il a raté sa vie.
C’est une épreuve qui est réservée aux mâles : les femmes la connaissent peut-être moins, protégées qu’elles sont encore par l’absence d’ambition, et par leur statut inférieur.
L’épreuve arrive en général autour de la quarantaine et elle tend même, de plus en plus, à se confondre avec les difficultés de l’adolescent à accéder au monde des adultes, difficultés qui peuvent mener à l’alcoolisme, à la drogue, au suicide. Toutefois, dans nos sociétés industrielles, l’âge de l’épreuve est toujours antérieur aux grandes défaillances de la vieillesse et de la mort. L’homme se découvre un jour comme un raté : il ne se voit jamais comme un mort. Il n’associe pas son amertume à la mort. L’homme du Moyen Âge, oui.
Ce sentiment d’échec est-il un trait permanent de la condition humaine ? Peut-être sous la forme d’une insuffisance métaphysique étendue à toute la vie, mais non pas sous la forme de la perception ponctuelle et subite d’un choc brutal.
Ce choc, les temps froids et lents de la mort apprivoisée ne l’ont pas connu. Chacun était promis à un destin qu’il ne pouvait ni ne souhaitait changer. Il en fut ainsi longtemps là où la richesse était rare. Chaque vie de pauvre a toujours été un destin imposé sur lequel il n’avait pas de prise.
Au contraire, à partir du XIIè siècle, chez les riches, les lettrés, les puissants, nous voyons monter l’idée que chacun possède une biographie personnelle. Cette biographie a d’abord été faite seulement d’actes, bons ou mauvais, soumis à un jugement global : de l’être. Ensuite, elle a été faite aussi de choses, d’animaux, de personnes, passionnément aimés, et aussi d’une renommée : de l’avoir. A la fin du Moyen Âge la conscience de soi et de sa biographie s’est confondue avec l’amour de la vie. La mort n’a plus été seulement une conclusion de l’être, mais une séparation de l’avoir : il faut laisser maisons et vergers et jardins.
En pleine santé, en pleine jeunesse, la jouissance des choses s’est trouvée altérée par la vue de la mort. Alors la mort a cessé d’être balance, liquidation des comptes, jugement, ou encore sommeil, pour devenir charogne et pourriture, non plus fin de la vie et dernier souffle, mais mort physique, souffrance et décomposition ».
Philippe Ariès
L’homme devant la mort
(tome I : le temps des gisants)
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dimanche, 20 mars 2011
Magie de Crin Blanc
Et une petite explication sur ce magnifique film-livre
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vendredi, 18 mars 2011
extrait d'un manifeste contre le travail II
Que le travail et l'asservissement soient identiques, voilà ce qui se laisse démontrer non seulement empiriquement, mais aussi conceptuellement. Il y a encore quelques siècles, les hommes étaient conscients du lien entre travail et contrainte sociale. Dans la plupart des langues européennes, le concept de "travail" ne se réfère à l'origine qu'à l'activité des hommes asservis, dépendants : les serfs ou les esclaves. Dans les langues germaniques, le mot désigne la corvée d'un enfant devenu serf parce qu'il est orphelin. Laboraresignifie en latin quelque chose comme "chanceler sous le poids d'un fardeau", et désigne plus communément la souffrance et le labeur harassant des esclaves. Dans les langues romanes, des mots tels que travail, trabajo,etc., viennent du latin tripalium,une sorte de joug utilisé pour torturer et punir les esclaves et les autres hommes non libres. On trouve un écho de cette signification dans l'expression "joug du travail".
Même par son étymologie, le "travail" n'est donc pas synonyme d'activité humaine autodéterminée, mais renvoie à une destinée sociale malheureuse. C'est l'activité de ceux qui ont perdu leur liberté. L'extension du travail à tous les membres de la société n'est par conséquent que la généralisation de la dépendance servile, de même que l'adoration moderne du travail ne représente que l'exaltation quasi religieuse de cette situation.
Ce lien a pu être refoulé avec succès et l'exigence sociale qu'il représente a pu être intériorisée, parce que la généralisation du travail est allée de pair avec son "objectivation" par le système de production marchande moderne : la plupart des hommes ne sont plus sous le knout d'un seigneur incarné dans un individu. La dépendance sociale est devenue une structure systémique abstraite - et justement par là totale. On la ressent partout, et c'est pour cette raison même qu'elle est à peine saisissable. Là où chacun est esclave, chacun est en même temps son propre maître — son propre négrier et son propre surveillant. Et chacun d'obéir à l'idole invisible du système, au "grand frère" de la valorisation du capital qui l'a envoyé sous le tripalium.
Le site source : http://kropot.free.fr/manifestevstrav.htm
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mardi, 15 mars 2011
extrait d'un manifeste contre le travail
Nous (Axel) présentons un extrait du manifeste contre le travail publié par le site anarchiste Kropot.
"Autrefois, les hommes travaillaient pour gagner de l'argent. Aujourd'hui, l'État ne regarde pas à la dépense pour que des centaines de milliers d'hommes et de femmes simulent le travail disparu dans d'étranges "ateliers de formation" ou "entreprises d'insertion" afin de garder la forme pour des "emplois" qu'ils n'auront jamais. On invente toujours des "mesures" nouvelles et encore plus stupides simplement pour maintenir l'illusion que la machine sociale, qui tourne à vide, peut continuer à fonctionner indéfiniment. Plus la contrainte du travail devient absurde, plus on doit nous bourrer le crâne avec l'idée que la moindre demi-baguette se paie. À cet égard, le New Labour et ses imitateurs partout dans le monde montrent qu'ils sont tout à fait en phase avec le modèle néo-libéral de sélection
sociale. En simulant "l'emploi" et en faisant miroiter un futur positif de la société de travail, on crée la légitimation morale nécessaire pour sévir encore plus durement contre les chômeurs et ceux qui refusent de travailler. En même temps, la contrainte au travail imposée par l'État, les subventions salariales et la fameuse " économie solidaire " abaissent toujours plus le coût du travail. On encourage ainsi massivement le secteur foisonnant des bas salaires et du working poor.
La "politique active de l'emploi" prônée par le New Labour n'épargne personne, ni les malades chroniques ni les mères célibataires avec enfants en bas âge. Pour ceux qui perçoivent des aides publiques, l'étau des autorités ne se desserre qu'au moment où leur cadavre repose à la morgue. Tant d'insistance n'a qu'un sens : dissuader le maximum de gens de réclamer à l'État le moindre subside et montrer aux exclus des instruments de torture tellement répugnants qu'en comparaison le boulot le plus misérable doit leur paraître désirable.
Officiellement, l'État paternaliste ne brandit jamais son fouet que par amour et pour éduquer sévèrement ses enfants, traités de "feignants", au nom de leur développement personnel. En réalité, ces mesures "pédagogiques" ont un seul et unique but : chasser de la maison le quémandeur à coups de pied aux fesses. Quel autre sens pourrait avoir le fait de forcer les chômeurs à ramasser des asperges? Là, ils doivent chasser les saisonniers polonais qui n'acceptent ces salaires de misère que parce que le taux de change leur permet de les transformer en un revenu acceptable dans leur pays. Cette mesure n'aide pas le travailleur forcé, ni ne lui ouvre aucune "perspective d'emploi". Et pour les cultivateurs, les diplômés et les ouvriers qualifiés aigris qu'on a eu la bonté de leur envoyer ne sont qu'une source de tracas. Mais quand, après douze heures de travail sur le sol de la patrie, l'idée imbécile d'ouvrir, faute de mieux, une pizzéria ambulante paraît nimbée d'une lumière plus agréable, alors l'"aide à la flexibilisation" a atteint le résultat néo-britannique escompté.
" N'importe quel travail vaut mieux que pas de travail du tout. "
Bill Clinton, 1998
" Il n'y a pas de boulot plus dur que de ne pas en avoir du tout. "
Slogan d'une affiche d'exposition de l'Office du pacte de coordination des
initiatives de chômeurs en Allemagne, 1998
" L'engagement civique doit être récompensé et non pas rémunéré. [.] Celui
qui pratique l'engagement civique perd aussi la souillure d'être chômeur et
de toucher une aide sociale.
Ulrich Beck, l'Âme de la démocratie,1997"
Ce n'était qu'un infime extrait portant sur cette ignominie de forcer les chômeurs à "travailler", c'est à dire à prouver qu'ils acceptent inconditionnellement le projet que la société a pour eux.
(note d'Axel Randers)
Le texte intégral est sur Le site Kropot
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dimanche, 06 mars 2011
L'art de boire les vins
Extrait d'une brochure intitulée Nos grands vins de Bordeaux, publiée Féret & Fils, Editeurs à la fin des années (19)40.
"Savoir boire le vin n'est donné qu'à un gourmet exercé ; savoir le faire boire à ses convives n'appartient qu'à un maître de maison doué d'un tact exquis et d'un goût éclairé.
Un tableau de maître a besoin d'une lumière et d'un entourage favorables pour faire apprécier le talent du peintre ; aucune femme, malgré sa beauté souveraine, n'ignore et ne dédaigne l'art de rehausser ses charmes par un accord harmonieux ou par un contraste savant. Il est, de même, une science et un art de boire les grands vins. Il faut d'abord connaître les caractères qui distinguent chacun des vins que l'on veut servir à ses convives. Il est nécessaire de savoir les offrir avec les mets qui seront de nature à les faire apprécier et d'observer la famme, savamment graduée, qui permettra de faire ressotir tous leurs mérites. Ils gagnent à être servis dans de grands verres en cristal fin.
Après avoir étudié le menu, on décidera quels sont les vins qu'on doit offrir et dans quel ordre ils seront dégustés. Les bouteilles choisies seront prises dans le caveau, apportées avec précaution dans l'office, dans la position verticale, après les avoir relevées délicatement et fait une marque pour savoir où se trouve le dépôt de lie. De cette façon, on évite un va-et-vient qui ne saurait manquer de se produire et troublerait le vin. En le versant soigneusement et dans la même position qu'elle avait dans le caveau, la très vieille bouteille ne sera décantée qu'au moment où elle devra être bue, pour conserver l'arôme et le bouquet du vin. Un vin dans la plénitude de ses qualités doit être décanté quelques heures avant d'être bu.
Le vin rouge doit être chambré, c'est-à-dire porté à graduellement à la température de la salle à manger.
Le flacon qui doit recevoir le vin doit être, en hiver, attiédi légèrement, mais il ne faut pas chauffer le vin. Quand on n'aura pas eu le temps de laisser prendre au vin rouge la température de l'appartement, on pourra y remédier en plongeant dans l'eau chaude les carafes qui serviront à décanter le vin.
Aucun des instruments inventés pour décanter le vin ne vaut la précaution de ne pas déplacr le dépôt et la sûreté de la main.
Dans quel ordre les vins seront-ils servis ?
La règle à observer pour la concordance des vins avec les mets est celle-ci : avec les poissons, les vins blancs ; avec les viandes, les vins rouges généreux ; à la fin du repas, les vins rouges les plus vieux ; au dessert, les vins blancs liquoreux et mousseux.
Les vins blancs seront d'autant plus fortement frappés qu'ils seront plus liquoreux.
Pour la dégustation des vins blancs liquoreux, tels que ceux de Sauternes, il y a parmi les gourmets deux écoles : l'une qui les préfère au dessert, l'autre, au commencement du repas, avec le poisson.
La règle pour la graduation des vins rouges est de commencer par les plus jeunes et les moins célèbres.
Voyons comment ces règles sont observées par les gourmets.
Quelques cuillerées de potage ont, par leur douce chaleur, préparé le palais et l'estomac à remplir leurs utiles et agréables fonctions. Avec les huitres, que suivent le saumon ou le turbot, apparaissent les grands vins blancs de Bordeaux, secs, demi-secs ou liquoreux ; mais, à notre avis, les vins blancs trop liquoreux au début d'un repas empêchent de bien goûter les bons vins rouges qui suivent. Dès que le poisson est enlevé, le sommelier cesse de verser les vins blancs.
Quand le chef sert les viandes, on offre les grands ordinaires et les bourgeois du Médoc, pleins de moelleux et de corps, à la robe purpurine, au bouquet parfumé. C'est avec les grosses viandes, le boeuf roti, le sanglier, le chevreuil, qu'on servira les excellents vins corsés et capiteux, premiers crus de Saint-Emilion ou de Pomerol.
Quand, vers le milieu du repas, les convives sont arrivés peu à peu à cet état de satisfaction où l'estomac, docile encore, ne manifeste plus d'impétueuses exigences ; où le goût, préparé par une savante graduation de sensations, est susceptible des impressions les plus délicates, les grands vins rouges du Médoc font leur entrée triomphale et le sommelier annonce avec orgueil des noms et des dates illustres.
Après ces vins, on peut encore savourer les Sauternes liquoreux et vider quelques coupes écumantes de Champagne".
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