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jeudi, 21 mai 2009

la traduction de l'humanisme

 

 

L'humanisme et les droits de l'homme au regard
des langues quechua et tahitienne

N&B1600_47.12.jpgphot Edith CL pour VillaBar

Par Edith de Cornulier-lucinière

 

L’humanisme n’est pas la seule façon que les humains ont inventée pour respecter les êtres humains dans leur ensemble, dans leur diversité, dans leurs individualités. D’autres cultures, d’autres expériences du monde existent. Remettre en cause l’humanisme comme seule idée généreuse fait peur. Certes, nous avons des raisons d’avoir peur d’un relativisme sans éthique, qui consisterait à dire que toutes les idées se valent, que le jugement qu’on porte sur elle n’est jamais que l’expression d’un point de vue ; que celui-ci ne saurait s’ériger en vérité universelle. Pourtant, la négation des réalités culturelles, sous le prétexte que certains pourraient s’en servir pour émettre des interprétations violentes, n’est pas une solution durable. L’humanisme est une notion très occidentale, et sa diffusion dans le monde s’est faite souvent par la violence. Nous voudrions montrer comment l’évangélisation constitua la première forme de diffusion de l’humanisme à travers le monde, et comment, aujourd’hui, la théorie des droits de l’homme ne se traduit et ne se comprend dans des cultures que grâce à ce précédent évangélisateur. Une telle démonstration ne veut pas s’attaquer à l’humanisme, ni le dénigrer. Il s’agit de montrer, en premier lieu, que ce qui paraît évidence dans notre pensée ne l’est pas forcément dans d’autres, tout aussi dignes d’intérêt ; il s’agit aussi d’ouvrir la porte à d’autres façons de vivre le monde et de respecter les êtres.

Notre étude porte sur la façon dont les missionnaires chrétiens, catholiques du Pérou au XVI et XVIIèmes siècles, et protestants de Tahiti au XIXème siècle, s’y sont pris pour remanier les langues indigènes afin d’y importer les concepts nécessaires à l’évangélisation qu’ils entreprenaient.

Claude Levi-Strauss, dans son livre "La Pensée sauvage", rappelle qu' "on s'est longtemps plu à citer ces langues où les termes manquent, pour exprimer des concepts tels ceux d'arbre ou d'animal, bien qu'on y trouve tous les mots nécessaires à un inventaire détaillé des espèces et des variétés. Mais, invoquant ces cas à l'appui d'une prétendue inaptitude des "primitifs" à la pensée abstraite, on omettait d'abord d'autres exemples, qui attestent que la richesse en mots abstraits n'est pas l'apanage des seules langues civilisées".

Prenons le mot humain, tel que nous l'entendons, en français, lorsque nous définissons notre espèce, dans un double sens scientifique et "identitaire"- c'est-à-dire quand nous apparaissent à la fois les caractéristiques physiques de l'espèce humaine, et le sentiment diffus de sa place particulière, l'extrayant du monde des autres espèces. Ce sens particulier que prend humain ne trouve pas de synonyme dans les langues polynésiennes et amérindiennes. Il en découle que beaucoup de traductions, bilatérales, sont imprécises ou erronées.

A travers l'étude de textes missionnaires quechuas et tahitiens, on peut mettre au jour comment des concepts issus de la tradition judéo-chrétienne européenne ont été traduits et "installés" dans les langues quechua et tahitienne en vue de prêcher le christianisme. Cette comparaison dévoile qu’en quechua comme en tahitien, les problèmes rencontrés par les missionnaires pour christianiser concernaient plus les oppositions entre les mots que le manque de mots. Ainsi, l'absence du mot animal dans ces deux langues, pour parler de tous les animaux non humains, souligne cette impossible correspondance entre le mot humain et ceux qui lui correspondent en quechua et en tahitien. Nous verrons comment, dans les Andes et en Polynésie, ces missionnaires s'y prirent pour surmonter le gouffre culturel auquel ils durent faire face pour leur entreprise de colonisation intellectuelle - en fait, le remaniement du lexique des langues de réception.

La filiation entre cette démarche et celle de la traduction de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen, texte fondamental de l'époque contemporaine, est claire : fondée sur l'humanisme, elle fait appel aux concepts que les missionnaires avaient importés dans ces langues. Cette traduction moderne doit à la précédente autant que les droits de l'homme doivent au christianisme.

 

I L’animal, une catégorie humaniste

 

Sa solitude dans la parole est l’une des grandes interrogations de l’être humain, seul animal à penser sa propre particularité avec des mots. Le lexique est un témoignage de cette expérience. A travers la façon dont elle classe les êtres animés, inanimés, connus et imaginés, la langue dévoile des interrogations sur le monde, et des tentatives de réponses.

Dans les langues scientifiques occidentales, l'homme érige une frontière entre lui et les autres animaux en les classant sous le nom générique animal. Elle nous paraît évidente, la conception extrême d'une animalité englobant une somme énorme d'êtres différents, des poissons, insectes, limaces, mammifères, primates, pour y opposer l’humain. Si la possession de catégories est commune à toutes les langues - les langues polynésiennes, qui ne connaissent pas animal, ont bien "i'a", pour poisson - la catégorie animal, qui place invertébrés et primates dans la même catégorie, ne s'explique bizarrement que par l'anthropocentrisme. Cette tentation partagée de focalisation sur sa propre espèce, sorte de protectionnisme philosophique, a été poussée à fond chez nous. D’autres cultures, en n'érigeant pas cette frontière radicale, proposent une vision de l'homme différente du questionnement "occidental". Il est d'ailleurs facile d'imaginer l'absence du mot animal dans des cultures où l'identité personnelle ne se réduit pas à l’état humain, qu'on vive sous le signe d'une espèce animale, ou qu'on ait des relations familiales avec des animaux, par exemple un frère réincarné en bison.

Comme l'explique l'anthropologue Philippe Descola : «À la différence du dualisme moderne qui distribue humains et non-humains en deux domaines ontologiques plus ou moins étanches, les cosmologies amazoniennes établissent entre les hommes, les plantes et les animaux une différence de degré et non pas de nature (…) Les Achuar établissent certes des distinctions entre les entités qui peuplent le monde. La hiérarchie des êtres animés et inanimés qui en découle n'est pourtant pas fondée sur des degrés de perfection de l'être, sur des différences d'apparence ou sur un cumul progressif de propriétés intrinsèques. Elle s'appuie sur la variation dans les modes de communication qu'autorise l'appréhension de qualités sensibles inégalement distribuées".

L'inexistence de cette dualité "humains- animaux" amène inévitablement l'absence de la dualité "culture- nature".

En tahitien, animal se dit ‘animara, un emprunt à l’anglais animal. Le quechua, a emprunté animal à l’espagnol. En hawaiien, langue très proche du tahitien, il existe un néologisme de animal forgé sur des racines hawaiiennes, englobant tous les animaux non humains. Ce mot date évidemment de la rencontre avec l'Occident. En effet, il est impossible que holoholona, forgé à partir du mot holo : courir, (holoholo : courir beaucoup, très vite) ait pu désigner autant une chauve-souris, un otarie, un oiseau ou un poisson dans la langue hawaienne pré-européenne… C’est une définition conceptuelle, chrétienne et humaniste, de l’animal.

Comme le mot « hommes » dans les langues latines, le tahitien et le quechua ont un mot qui prend le double sens "humain / humain mâle" (quechua : runa ; tahitien, ta’ata). Pour rendre son sens équivalent au sens latin, il a suffit aux missionnaires de l'opposer à un nouveau mot : "animal", dont la création a eu la même histoire dans les deux langues. On a tenté d’élargir le sens du mot quechua uywa et du mot tahitien puaa, qui signifiait bétail, animaux de la maison. Cette solution figure dans les premiers prêches écrits des missionnaires. Mais bientôt l’emprunt animal s’est imposé.

 

Nous, les êtres humains

L’idée courante que les amérindiens et Inuits s'appellent eux-mêmes les êtres humains, revêt dès lors un aspect frelaté. Elle laisse entendre que ces peuples considèrent qu'ils ont une primauté à l'humanité. En fait, les Indiens peuvent par ce mot exprimer le nom de leur ethnie (nous les Sioux), la notion d'indigène (nous les Indiens), ou, effectivement, le fait qu’il s’agit de gens humains.

Nous les êtres humains. Tel est le titre du livre des anthropologues péruviens Valderrama et Escalante, qui transcrit la parole de deux paysans andins. Etant donné le contexte de paysans quechuaphones interrogés par des universitaires citadins, la traduction fidèle de l’expression quechua Ñuqanchik runakuna eut été nosotros los campesinos, nous les paysans, ce qui signifie : nous, les paysans qui vivons dans les montagnes, loin des villes, selon les règles des communautés andines. Il arrive qu'un paysan hispanophone blanc des Andes, par exemple, soit plus runa, dans l'esprit des deux hommes interrogés dans ce livre, que deux quechuaphones d'ethnie andine vivant en citadins à Lima. Runa est souvent employé comme "Indien" ou "campesino," paysan de la montagne, et correspond plus à un mode de vie qu'à une quelconque référence ethnique, linguistique, ou spéciste. La traduction par humanos, humains, des anthropologues ordonne ainsi au lecteur une interprétation erronée, qu'une traduction sobre aurait évitée. Elle crée un "homme andin" qui aurait une définition précise de l'humanité, dont il serait la forme la plus évoluée, ou tout au moins la plus représentative, puisque les autres humains n'en feraient pas partie. En faisant comme si ces cultures s’excluaient elles-mêmes d’une pensée globale sur le monde, elle les place en outre dans une situation d'éternel objet de travail pour l’ethnologue.

La recherche de la publicité et de l’exotisme, doublée d’un désir de s’apitoyer sur des gens en situation dominée, justifie-t-elle une telle tromperie ? On retrouve ce type de traductions publicitaires pour les amérindiens des Etats-Unis et du Canada, par exemple dans l’expression "homme-médecine", qui signifie soignant ou guérisseur. Lorsqu'on traduit un texte de l'anglais, on ne dit pas "l'homme-feu" pour le pompier –fire-man.

 

 

La notion d’occident, d'usage répandu mais flou

Puisque nous comparons des langues dites occidentales et des langues comme le quechua ou le tahitien ; il est nécessaire de clarifier la notion d’Occident, et celle de langue occidentale.

Pour le Petit Robert, le sens courant d’occident donne "région située vers l'ouest, par rapport à un lieu donné ; partie de l'ancien monde située à l'ouest. L'empire romain d'Occident". Le sens politique englobe l'"Europe de l'Ouest, les Etats-Unis et, plus généralement, les membres de l'Organisation du Traité de l'atlantique Nord". Ce qui est "occidental" est "à l'Ouest", ou bien "se rapporte à l'Occident, à l'Europe de l'Ouest et aux Etats-Unis". Enfin, "occidentaliser" signifie "modifier conformément aux habitudes de l'Occident".

Comme le rappelle Joseph Earl Joseph, dans son livre sur la standardisation des langues "Eloquence and Power", la civilisation occidentale et l’Occident ne se confondent pas. La civilisation occidentale n’est pas européenne, mais s’est développée en Grèce parmi une élite, puis s’est transmise à Rome pour se disséminer dans le Proche Orient puis en Europe. Peu à peu, elle a touché un nombre de plus en plus grand de gens, de peuples, en Europe et ailleurs, souvent avec violence. Ainsi une langue occidentale ne doit pas se confondre avec une langue de civilisation occidentale. Le basque, n'ayant pas participé de la construction de ce qui fait l'organisation de notre vie contemporaine, technique et humaniste, ne serait alors pas une langue occidentale, moins en tout cas que le japonais. Lorsque nous parlons des langues de civilisation occidentale, nous devrions accoler l’épithète scientifique. Les "langues scientifiques", au sein desquelles le système de vie moderne actuel s'est créé, sont le passage obligatoire, le lieu à partir duquel on étudie et commente les autres cultures. Nul échange culturel ou linguistique direct n'a lieu entre une communauté sioux et une communauté quechuaphone, ou une communauté parlant une langue bantoue et les Tchouktches. Ce résultat d'un ordre économique et politique altère ainsi l'intensité des rencontres interculturelles.

 

 

II La langue christianisée

 

« Que Jéhovah (…) me rende capable de renoncer à toutes mes coutumes perverses pour devenir un des siens, et être sauvé par Jésus-Christ, notre seul Sauveur". Lettre du roi Pomaré du 25 décembre 1812, quinze ans après l'arrivée, sans armes, des premiers missionnaires à Tahiti

 

Deux siècles séparent l'évangélisation andine de celle des îles sous le vent. La découverte de l'Amérique latine, lors des premières grandes explorations européennes, ouvre l'ère missionnaire. Dans l'ex-empire inca, renversé facilement, la colonisation et la christianisation vont de pair ; pouvoirs colonial et religieux sont liés. L'exploration de la Polynésie commence en 1767, le partage de l'Océanie insulaire entre les puissances colonisatrices a lieu à partir de 1870. La christianisation a de loin précédé la colonisation. A Tahiti, la conversion volontaire du roi Pomaré change la nature de l'évangélisation : elle est promue "de l'intérieur". Les missionnaires ont oeuvré à la transformation radicale de la Polynésie en toute indépendance, réalisant les théocraties missionnaires du Pacifique Sud.

Le regard sur les peuples autochtones oscille entre l’image d’un peuple préservé du péché par Dieu, qui les a maintenu dans l’ignorance et la pureté, les préparant ainsi à une conversion idéale et parfaite, et celle d’un peuple perverti par le diable. Dans les deux cas on en vint à imaginer un monothéisme originel oublié chez les Tahitiens et les peuples andins, qu’il fallait raviver. Les missionnaires versaient souvent dans l’une ou l’autre des versions, entre peuples immaculés, peuples amnésiques et peuples pervertis. Tel est le paradoxe du regard sur autrui, miroir mythique reflétant l'innocence préservée ou l’incarnation du mal. Au XVIème siècle, le Père Francisco de la Cruz (mort sur un bûcher de l’Inquisition au Pérou), convaincu que les Amérindiens constituaient l’une des tribus perdues d’Israël, voyait une filiation entre les lexique hébreu et quechua. A Tahiti, nombreux furent ceux qui décelèrent des ressemblances frappantes entre le tahitien et l’hébreu.

 

De la langue à l’esprit

La « conversion des mentalités » est un terme forgé tardivement par les missionnaires pour exprimer l’idée que la conversion s’effectue en profondeur, au-delà du conscient contrôlé des gens. Il s’agit de s’attacher à l’« élimination des structures de péché » présentes dans les cultures, en remodelant les liens qui entremêlent le champ de l’intériorité de la personne et le thème de la culpabilité. L’intériorité de l’individu doit être transformée, pour n’être plus propice aux péchés favorisés par sa culture. Dans la création linguistique missionnaire, la conversion des mentalités passe par la modification des relations sémantiques qui existent au sein de la langue.

Le prosélytisme religieux fut, dans le monde entier, la plus grande motivation de standardisation des langues et de diffusion de l’écriture. La suggestivité fluide qui lie entre eux les mots et expressions d’une langue, créée par la mémoire des paroles, des textes entendus, constitue le « contexte »  linguistique commun aux locuteurs d’une langue. Cette suggestivité forme le style et la pensée du groupe humain entier qui partage cette langue. La connaissance spontanée des nuances qui entourent chaque mot et des liens qui les unissent, permet une intercompréhension intuitive entre les gens. C’est à la modification du réseau de ces appels et de ces renvois entre les mots d’une langue, que l’évangélisation linguistique s’attelle. L’évidence n’existe pas mais se construit. Il faut que ces réseaux s’ordonnent de façon à ce qu’une pensée christianisée émerge de la langue.

 

La pensée, le corps et l’expérience du monde

Dans les Andes, les missionnaires réalisèrent que les distinctions entre pensée et sentiment n’existaient pas de la même façon, non plus que le jugement sur les degrés de réalité du monde mental et du monde physique. Dans les confessionnaires quechuas, l’alternance constante entre les questions sur les actions effectuées et les actions imaginées, rêvées ou désirées vise à distinguer la pensée et l’action, qui ont une différence non pas de nature, mais de degré - la première étant moins grave, puisque moins réelle que la seconde. Le monde réel se réduit au monde mesurable ; les autres dimensions appartiennent soit au champ de l’imaginaire et du mensonge, soit au domaine de Dieu - ou à celui du diable. Le catéchumène andin, pour qui la virtualité des choses ne constituait pas une mesure de leur irréalité, doit apprendre à se lire d’après ces critères nouveaux.

Dans les Andes, le regard, comme la parole, n’étaient pas hors du monde. Les missionnaires durent traduire une pensée ex nihilo au sein d’une culture pour qui la pensée surgissait de mundo. Ils transmirent qu’être au monde ne constitue pas en soi une pensée, que la pensée se sépare du corps. Cette insistance à modifier le rapport à la pensée et à l’action crée de nouvelles frontières entre l’intériorité et l’extériorité de la personne : la christianisation a redessiné les frontières du réel. Un exemple est la création d’un mot quechua pour dire le corps.

Ukhu (dedans, intérieur), tombé en désuétude depuis, a été utilisé pour traduire le concept, inexistant en quechua, de corps. Mais cette création missionnaire corps (ukhu), signifie au départ intérieur, profond. Il n’est pas inintéressant de relever que Ukhupacha (ukhu, intérieur, pacha, monde) « monde intérieur », ou inframonde, a été créé pour signifier « enfer ». Donc Enfer, littéralement, veut aussi dire « monde du corps ». Le corps est à l’âme ce que l’animal est à l’homme : une entité matérielle inférieure et nécessaire.

 

La traduction des "oppositions" chrétiennes

Les missionnaires, pour introduire des idées nouvelles, telle un dieu unique et créateur, la place spéciale de l'homme dans la nature parce qu'il est fils de Dieu, l'âme, usent d’outils linguistiques que sont l'emprunt, le néologisme, ou l'altération d'un mot indigène. Un emprunt est l'adoption d'un mot étranger, tel quel ou en l'adaptant à la phonologie de la langue qui emprunte. Le néologisme est la création d’un nouveau mot, au moyen de racines de la langue locale, mais en copiant la formation dans la langue originale. L’altération d’un mot consiste, par un procédé rhétorique de répétition, à vider un mot indigène de son sens initial pour lui faire porter une définition chrétienne. Ainsi, le mot quechua musquy a été vidé de ses connotations religieuses et divinatoires pour signifier simplement « rêve ».

L’historien Juan Carlos Estenssoro énonce que ce n’est souvent pas le manque de mot correspondant qui gêne les missionnaires, mais la profusion de notions qui ne relèvent pas du dualisme chrétien. Dès lors, traduire, c’est installer des oppositions dans la langue. Au dela de la difficulté à traduire un mot, il est souvent impossible de traduire l'implication de ce mot, par rapport à un autre mot. On peut éventuellement trouver au sein de la langue réceptrice un mot qui conviendrait, mais comment traduire les nuances qu’il porte, et surtout la nuance d'opposition à un autre mot ? C'est la traduction de cette opposition qui constitue tout le travail intellectuel du missionnaire. Ainsi, le mot "supay", "démon", présent en quechua, pourrait traduire diable, mais il ne s'impose pas absolument et catégoriquement comme l'opposé parfait de "Dieu". Or, cette opposition est précisément ce dont la foi chrétienne témoigne, et ce qu'elle veut transmettre.

L'emprunt (ou le néologisme) systématique "animal" dans les langues christianisées ne le possédant pas relève de ce phénomène ; ce n'est pas qu'on a besoin d'un terme décrivant la catégorie animale, mais bien d'un terme s'opposant de façon radicale à celui d'humain, isolant l'humain. C'est parce que le missionnaire a besoin d'extraire l'humain du "reste" de la "nature", qu'il a besoin du mot animal. Ce n'est donc pas l'existence préalable, ou la traduction de humain et animal dont on a besoin, c'est de leur opposition. Cette opposition n'est jamais sans ambiguité ; le jeu des oppositions se complexifie par un réseau hiérarchique d’assimilations. L’âme s’oppose au corps, Dieu s’oppose à Satan, le chrétien s’oppose à l’Indien, l’homme s’oppose à l’animal, ce que l’on peut traduire par : le bien s’oppose au mal. Mais l’humain est un animal, l’Indien peut être un chrétien, et l’esprit est contenu dans la matière. La catégorie humain s'oppose à animal tout en en faisant partie. Dans animal, il y a humain, mais humain est presque le contraire de animal (grâce à âme). Dieu est plus grand que humain qui est plus grand que animal. Et au sein de humain, il y a les chrétiens, qui reconnaissent la vérité, et les autres. Chrétien, englobe indien, et s’y oppose.

Ce que les missionnaires traduisent, ce sont les relations entre les mots. Au-delà des mots, ils traduisent le silence de leur propre langue. En convertissant les indigènes à leur idée de Dieu, les missionnaires les ont finalement converti à leur idée de l'homme. Au delà de la foi chrétienne, c'est leur vision de l'homme, et la place que celui-ci doit occuper au sein du monde, que les missionnaires imposent. A cet égard, les missionnaires laïcs, traducteurs de la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme et du Citoyen héritent de cette opposition amenée par les missionnaires : tacitement, en donnant la valeur ultime à l'homme, ils l'enlevent aux animaux. L'homme n'a pas de valeur en lui-même, mais revêt toute sa dignité (son âme) dans cette opposition - l'animal étant l' « antéhomme » le plus pertinent du fait même de cette appartenance commune avec l'homme au… Monde animal.

 

La fusion des notions et des cultures

Les traducteurs de la foi chrétienne ne peuvent maîtriser toutes les interprétations auxquelles leurs textes donnent lieu. Les glissements de sens des mots locaux, l’inexistence d’oppositions dans la pensée locale pouvaient semer de grands écarts théologiques dans les esprits récemment convertis. Il fallait risquer des mésinterprétations en établissant un texte compréhensible ; ou bien réinventer une langue ; mais un pasteur protestant relate qu’à Tahiti, l’abondance de mots empruntés au grec et à l'hébreu rendait les textes tahitiens si obscurs qu’il fallait un interprète pour expliquer le sens des nouveaux mots tahitiens aux Tahitiens.

Au Pérou comme dans les îles sous le vent, en même temps que la langue était christianisée, le christianisme était indigénisé. Il y a eu rencontre des cultures et influence mutuelle. La façon de penser leur propre histoire lointaine par ces peuples a été influencée par des concepts datant du christianisme ; le passé préeuropéen est interprété en fonction d’idées chrétiennes. Il n’est pas rare que des termes « importés » ou forgés pour les causes de la christianisation soient devenus emblèmes de la langue d’accueil. Suite aux évangélisations andine et tahitienne, les gens donnent une origine étrangère à des mots locaux, croyant la notion importée par le christianisme alors qu’elle est antérieure ; inversement, ils pourront croire à une origine autochtone de mots en réalité « importés » par les missionnaires. « C’est ainsi que les mêmes idées, les mêmes images, les mêmes mots qui servaient autrefois à justifier la colonisation, alimentent aujourd’hui les luttes des autochtones contre leurs colonisateurs », explique Bruno Saura dans son ouvrage "La société tahitienne au miroir d'Israël". A Tahiti, le principal parti indépendantiste s’appelle Tavini huiraatira. Tavini, de l’anglais servant, désignait les serviteurs de Dieu, puis son sens s’est étendu aux serviteurs de la population. Dès le XIX ème siècle, le terme ture, lois (vient de l’hébreu torah), remplace presque l’usage de l’ancien mot tapu (tabous, interdits), au point que dans ses mémoires, Marau Taaroa, épouse de Pomaré V et dernière reine de Tahiti, évoque sans cesse les « lois » des arii (chefs/rois) des temps pré-européens à l’aide de ce mot. Dans le texte de la relation de Huarochiri, manuscrit quechua du XVIIème siècle relatant les coutumes et croyances andines au temps des Incas, Gérald Taylor note le même phénomène. Toute rencontre, même violente, même "colonisatrice", est faite d'interactions ; tant qu'une culture, tant qu'une langue, n'est pas morte, non seulement elle participe à sa propre vie, à sa perpétuelle reconstruction, mais elle en est même la principale actrice, puisqu'elle en est en même temps le moyen.

 

 

III La monothéisation du religieux andin et tahitien

 

Le message essentiel qu'il fallait transmettre aux peuples catéchumènes, était une nouvelle hiérarchie du monde : à un dieu unique et créateur étaient soumis l'humanité, unique, à laquelle étaient soumis les animaux et toutes les créations de la planète.

 

Vers un dieu unique, supérieur, créateur

Dans les Andes comme dans les îles sous le vent, une nouvelle idole, Dieu, est venue remplacer les idoles traditionnelles. Des chercheurs ont soutenu que les évangélisateurs des Andes ont voulu que les Indiens assimilent l'Esprit Saint au soleil, puisqu’il est plus facile de remplacer une croyance par son équivalence, plutôt que de l'effacer. A ce propos, il est curieux de noter que dans un des plus vieux pays chrétiens du monde, l'Ethiopie, c'est la trinité du Père, du Fils et du Saint-Esprit, qui trônait dans les églises, et que les révolutionnaires communistes, convertis au marxisme par des professeurs d'université anglais, ont essayé de remplacer par les portraits de Marx, Lénine et Staline.

Ce sermon quechua, qui fait partie du catéchisme établi lors du troisième Concile de Lima (1584), lutte de façon didactique mais virulente contre les idoles et pour l'instauration du vrai et unique dieu :

 

83. Intiqa manam animaqyuqchu, manam yuyayniyuqchu, manataq imaktapas riqsinchu, rimaytapas yachanchu.

Le soleil n'a pas d'âme, pas d'intelligence, il ne connaît rien, ne sait pas parler.

 

85. Diosmi hanaqpachapi runakunap illariqinchikpaq churarqan.

C'est Dieu qui l'a mis dans le ciel pour éclairer les humains.

 

86. Killari quyllurkunapas intimanta aswan pisi yupaymi.

Et la lune et les étoiles ont encore moins de valeur que le soleil.

 

98. Warmakunaraqmi ari aswan sunquyuq chay usupa machuykichikkunamanta.

Mêmes les enfants ont plus de "jugeotte" que vos ancêtres inutiles.

 

102. Diospa siminmantam munasqanmantam parapas asllapas achkapas hamun.

La pluie tombe doucement, ou beaucoup, selon la parole et la volonté de Dieu.

 

103. Puyukunari paypa simillantam yupaychanku.

Et les nuages n'obéissent qu'à lui.

 

104. Dios sapallantaqmi tukuy hinantinpa apunchik kamachikuqinchik.

Dieu seul est notre seigneur, qui nous commande.

 

105. Mayukunapas urqukanapas hatun quchapas kay tukuy hinantin pachapas pukyukunapas hachakunapas llapa kawsaqkunapas Diospa rurasqan kamam.

Les fleuves, la mer, la terre entière, les puits, les arbres, et les êtres vivants (animaux) ont tous été créés par Dieu.

 

(Pour tous les sermons quechuas : Gérald TAYLOR, El sol, la luna y las estrellas no son Dios…, La evangelizacion en quechua (siglo XVI), Lima, Instituto Francés de Estudios Andinos, 2003. Ils datent tous du XVIème siècle).

 

Notons que l'humain est le seul être de valeur parce qu'il peut parler, et raisonner. La parole est le signe extérieur de l’âme. Le soleil a été créé pour éclairer expressément l'humain, qui est le soleil de toute la création. Cet humain supérieur, auquel toutes les autres créatures sont soumises, se trouve sur terre dans la même situation que Dieu par rapport à l'humanité. Enfin, la sentence est surprenante, qui juge que la lune et les étoiles ont encore moins de valeur que le soleil. Comment, quand seul ce qui raisonne a de la valeur, le soleil, dont il est clairement indiqué qu'il n'a ni âme ni intelligence, peut-il être supérieur à la lune et aux étoiles ?

Un autre sermon, issu du même catéchisme que le sermon précédent, « invente » étrangement que certains des commandements de "Dieu" concernent précisément le cas andin ; la fin justifie les moyens :

 

22. Ama umukunaman "imap hamunqanta yachasaq" nispa minkakuq rinkichu nispam.

N'allez pas demander de l'aide aux sorciers, croyant qu'ils connaissent l'avenir.

 

23. Diosninchik qillqanpi kamachiwanchik ñakarikuspari "amam paykunaman "imanam kasaq" ? nispa tapukuq watuchikuq rinkichu" niwanchikmi.

Notre Dieu nous ordonne dans ses écritures, sans quoi il nous punit: " ne les interroge pas sur ton avenir, ne leur demande pas non plus qu'ils fassent des sortilèges".

 

24. "Kay huchakta huchallikuqtaqa rumiwan chuqachakuspa wañuchichun" ninmi.

Dieu exige que l'on lapide ceux qui commettent une telle faute. (Sermon 19)

 

La guerre des dieux

Dans les Andes comme à Tahiti, le meilleur moyen de convaincre fut de prouver l'efficacité supérieure du dieu chrétien, ce qui n'est pas sans rappeler certain passage de la Bible : le bâton changé en gros serpent (nous citons la Bible d'Osty).

 

"Yahvé dit à Moïse et à Aaron : " Lorsque Pharaon vous parlera, en disant : Opérez un prodige en votre faveur, - tu diras à Aaron : Prends ton bâton et jette-le devant Pharaon : qu'il devienne un gros serpent. " Moïse et Aaron se rendirent chez Pharaon et firent ainsi qu'avait commandé Yahvé ; Aaron jeta son bâton devant Pharaon et devant ses serviteurs : il devint un gros serpent. Pharaon aussi convoque les sages et les sorciers. Et les magiciens d'Egypte, eux aussi, en firent autant par leurs pratiques occultes. Ils jetèrent chacun leur bâton : les bâtons devinrent de gros serpents, mais le bâton d'Aaron engloutit leurs bâtons."

 

Les prêcheurs andins n'ont pas résisté à déployer cette preuve, la plus convaincante, bien qu'elle ne corresponde pas à la théologie catholique qui rend gloire aux pauvres de cœur et aux perdants :

 

131. Ma,wakaykichikkunachu nawpa pacha machuykichikkunakta yayaykichikkunakta wiraquchap makinmanta qispichirqanku, amachakurqanku ?

Voyez, vos huacas vous ont-ils protégé et sauvé vos ancêtres et vos pères de la main des Espagnols ? (Sermon 18)

 

Et à Tahiti ? Cet épisode, raconté par un missionnaire des premiers temps, a lieu cinq ans après l'arrivée des missionnaires protestants :

"En mars 1802, monsieur Nott, accompagné de monsieur Elder, effectua la première tournée missionnaire sur l'île de Tahiti. Ils furent en règle générale, bien reçus et traités comme des hôtes. (…)

Certains disaient qu'ils aimeraient prier le vrai Dieu, mais craignaient que les dieux de Tahiti ne les détruisent s'ils le faisaient (…) En rentrant chez eux, ils traversèrent le district d'Atehuru. Là, le roi Pomaré tenait conseil sur le grand marae (…) Les missionnaires virent une quantité de cochons sur l'autel et plusieurs corps humains sacrifiés.(…) Les missionnaires dirent à Pomaré que Jéhovah seul était Dieu ; qu'il n'acceptait pas de cochons en offrandes ; que Jésus Christ était le seul rachat pour les péchés ; et qu'ils offensaient Dieu en tuant les hommes. Le chef parut d'abord ne pas écouter ; mais finalement déclara qu'il suivrait leur religion. » (Cité par Ellis)

 

Après la conversion du roi Pomaré, il y a eu une sorte de guerre des dieux rappelant celle du dieu de Moïse et du dieu égyptien. En Polynésie il s'agissait du dieu 'Oro, seul capable de faire face à la toute puissance du dieu des chrétiens. Un manuscrit anonyme, rédigé par un tahitien en 1846 cinquante ans après l'arrivée des premiers missionnaires, et publié sous le titre Histoire et traditions de Huahine et Pora Pora, raconte la guerre de Fe'i Pi, qui donna raison - au sens où les armes peuvent donner raison - aux adorateurs de "Dieu," et perdit définitivement les idoles.

Furieux contre le roi Pomaré II, qui a abandonné le culte des idoles traditionnels, des Polynésiens se rebellèrent, soutenus par le guerrier 'Öpü-hara et des prêtres de l’ancienne religion. Le roi Pomaré organisa la riposte, et une véritable bataille eut lieu entre les adorateurs du dieu ‘Oro et ceux du dieu chrétien Jéovah. Pomaré gagna contre les adorateurs d’idoles. Après la bataille, qui fit beaucoup de morts du côté des adeptes de la religion ancestrale, les habitants des îles alentour adoptèrent Jéovah et laissèrent tomber ‘Oro et les autres idoles.

Comme le fait remarquer Bruno Saura dans son introduction à ce livre, l'auteur indigène tahitien emploie l'emprunt phonologiquement aménagé Itoro pour idole, preuve de l'intériorisation de la vision de la religion tahitienne par les missionnaires. Enfin, il rappelle que la christianisation ne fut pas forcée (c'est-à-dire que l'aspect autoritaire releva du choix des chefs tahitiens, et non des missionnaires), et que la conquête missionnaire ne fut pas une conquête militaire. Ce sont d’ailleurs les chefs polynésiens convertis qui réprimèrent sévèrement le mouvement mamaïa, autre rebellion ayant lieu dix ans après la guerre des idoles. Le mouvement mamaia fut une tentative de résistance à la christianisation de Tahiti. Il commença le jour où Teao déclara qu'il avait reçu une révélation de Dieu ("Il n'y a pas d'enfer. Pas de péché et pas de châtiment futur. Chaque homme peut faire ce qui lui plait, comme s'enivrer, commettre l"adultère, etc., et il n'y a pas de mal à faire toutes ces choses.")

 

La bestialisation des bêtes, l'humanisation de l'humain

Ce sermon prépare le quechua à recevoir le mot animal et à l'assimiler : l'être humain se distingue ontologiquement de tous les autres animaux.

 

12; runakunap animanchikkunaqa manam ukunchikkunawanchu wañunku llamakunahina.

Nos âmes à nous les êtres humains ne meurent pas comme notre intérieur (nos corps), comme c'est le cas pour les lamas (animaux).

 

30. Llapa runakunam ukupacha winay nakarikuypaq nisqa karqanchik huchanchikraykumanta, machunchikkunap Diosta mana yupaychasqan huchanraykumantawan.

Tous les êtres humains, nous étions condamnés à souffrir pour toujours en enfer à cause de nos fautes et à cause des fautes de nos ancêtres qui n'honoraient pas Dieu.

 

Les âmes des animaux meurent tandis que la nôtre ne meurt pas. Descartes (1596-1650), quelques décennies après ce sermon, acceptait une âme aux animaux, commune avec celle des humains, qui leur permettait de vivre, mais mourait avec leur corps. L’âme que les humains possédaient en plus était supérieure et immortelle. L'"âme fonctionnelle" des animaux servait d'"explication scientifique" au "mystère de la vie". Les animaux vivent, ils ont donc une âme, mais c'est une âme provisoire, jetable, contrairement à l'âme humaine. Mais si les autres animaux ne sont pas éternels, ils échappent ainsi à l'enfer. Par la supériorité comme par la punition l'humanité est extraite du monde animal, pour constituer l’espèce élue de Dieu.

 

Les descendants d'Adam et Eve, supérieurs et coupables

Il n'y a plus « des humains » plongés dans le monde, mais une humanité, qui englobe tous les êtres humains, et s’extrait du reste de la création. Cette façon de penser l'humanité comme un ensemble uni est une nouveauté de taille. Instaurer une humanité unique, indivisible et supérieure revient à ancrer deux fondements de la doctrine : l’établissement de la filiation commune de tous les hommes, quelle que soit leur origine ethnique ou leurs croyances, vis à vis de Dieu, et la diffusion en chacun du péché originel. Avec un seul Dieu, une seule humanité, et le péché originel généralisé, l’évangélisation est fondée idéologiquement.

L’individualisation du péché accompagne l’implémentation du monothéisme et d’une humanité unie et unique. Elle brouille les relations prééxistentes entre les gens pour établir la solitude de l’homme face à Dieu. Le seul péché collectif est le péché originel d’Adam et Eve. Depuis, il n’y a que des péchés individuels : l’humanité est un tout ou une myriade d’individus isolés. Il n’y a plus de sous groupe. Même lorsqu’on pèche à plusieurs, (adultère, crime collectif) la faute, et donc la réparation, sont considérées individuellement. Un adultère est vu comme deux fautes individuelles, non comme une faute collective. La gestion collective des relations entre les gens est brouillée, pour ne plus passer que par le truchement de Dieu. L’individualisation est le pilier de l’universalisme.

La vision anthropocentriste du monde pose que la seule valeur au monde est la conscience que seule l’espèce humaine possède. L’homme est la valeur de la création, et toutes les autres entités lui sont inférieures et destinées. La terre et les animaux sont à la disposition de l'humain.

 

81. Qam wakcha qisa runallaraqmi qullanan kanki.

Toi, bien que tu sois un indien pauvre et maltraité, tu as plus de valeur que le soleil.

 

82. Qamqa ari animayuqmi kanki, yuyayniyuqmi kanki, rimaytapas yachankim, Diostari rikunkin.

Car vous avez une âme, vous êtes intelligents, vous savez parler, et vous voyez Dieu.

 

105. Mayukunapas urqukunapas hatun quchapas kay tukuy hinantin pachapas pukyukunapas hachakunapas llapa kawsaqkunapas Diospa rurasqan kamam.

Les fleuves, les montagnes, la mer, la terre entière, les puits, les arbres, tous les (êtres) vivants ont été faits par Dieu.

 

106. Tukuy ima haykakunapas runaraqmi aswan yupayqa aswan qulla(na)nqa.

De tous ces nombreux êtres, l'humain est celui qui vaut le plus, qui est le meilleur.

 

107. Kay llapanri runap siruiqinpaq rurasqa kamam.

Tous les autres sont faits pour servir l'homme.

(Noter que "sirui", servir, est un emprunt).

 

Refuser Dieu

Face à cette intense colonisation intellectuelle fut élaborée une réponse, adaptée à la pensée missionnaire et destinée à la contrer. Elle prit une même forme dans des endroits bien différents, à Tahiti, dans les Andes, et nous en avons relevé la trace dans le livre de Youri Rythkéou intitulé La Bible tchouktche.

Dans des Andes, certains Indiens, dans une tentative ultime d'échapper au christianisme, se prévalent d'une autre création, par d'autres dieux. Ainsi, ils n'auraient pas besoin d'adorer le Dieu chrétien ; ils seraient même contraints de rendre hommage au dieu qui les a créés, de la même façon que les personnes créées par le Dieu chrétien sont dans l'obligation de lui vouer un culte. Mais cette magie du polythéisme ne convainquit nullement les missionnaires chrétiens, pour lesquels "Dieu" est unique.

En Polynésie française, le chef du soulèvement de la guerre des adorateurs d’idoles contre les adorateurs de Jéovah, avait déclaré que, ne descendant pas du Dieu chrétien, mais de l’idole principale tahitienne (un dieu qui d’ailleurs, avant ce besoin de résistance, n’était pas créateur du monde et des hommes), il serait outrageant de sa part d’embrasser la nouvelle religion.

Enfin, Youri Rythkéou, dans son roman la Bible tchouktche, met en scène un chef de famille tchouktche, discutant avec des Tchouktches d’une autre tribu, convertis au christianisme orthodoxe. Il explique qu’en tant que descendant direct des baleines, il n’a rien à voir avec le dieu créateur des russes.

Ce discours de résistance intellectuelle est créé spécialement pour les missionnaires dans les cas tahitien, tandis que la réaction des Tchouktches, dans un contexte plus spontané, ne relève pas d’une création idéologique pour les besoins de la résistance, les Tchouktches croyant réellement à leur ascendance « baleinière ». De même les populations andines, polygénistes, descendaient d’ancêtres différents ayant établi la culture et les cultes de leurs descendants. Le point de discussion concerne un fait d’autant plus intéressant que l’unicité de l’humanité, et la communauté de destins qui en découle forment la justification de l’humanisme prôné de nos jours à l’échelle planétaire.

 

 

IV La traduction des droits de l’homme

 

Référence de l'ONU, la Déclaration universelle des droits de l’homme et du citoyen, est traduite dans plus de trois cents langues. Les apports idéologiques et linguistiques des missionnaires repris pour les traductions quechua et tahitienne de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen concernent l'unicité de l'humanité ; sa valeur particulière en tant que telle ; et l'universalité de ces deux premiers points.

Ce n'est pas en tant qu'être vivant, ni en tant qu’être souffrant que l'homme est digne de respect, mais en tant que ressortissant de l'espèce supérieure : ce qui nous rassemble tous, c’est la primauté de l'humanité sur le reste. C'est l’appartenance à l'espèce humaine qui nous confère une dignité, et le devoir de se respecter soi-même et de respecter les autres humains. L'être humain est doué de conscience et de raison (article 1). C'était la raison pour laquelle les prêcheurs andins le plaçaient au dessus du soleil. On note cependant des différences entre l'humanisme chrétien et l'humanisme laïque : la notion d'âme disparaît. L'âme, support de l'humanisme chrétien, est remplacée par la dignité dans la déclaration des droits de l'homme. Car l’humain, dans le classement du monde, a pris la place suprême de Dieu.

Les exégètes de la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme et du citoyen, comme Jeanne Hersch, philosophe connue pour sa réflexion sur les droits de l'homme, cherchent à démontrer l'universalité des droits de l'homme, en extrayant dans chaque culture une envie basique et innée de bonheur humain. Cependant, quelle que soit la valeur de vérité de cette idée, ce n'est pas tant le désir, mais la façon dont il est formulé, qui ne peut parler à toutes les cultures, qui ne peut s'exprimer dans toutes les langues :

" Si on m'interroge sur 1'universalité du concept des droits de l'homme dans toutes les traditions, je dirai : non, ce concept n'a pas été universel. Mais de façon imagée, diffuse, profondément vécue, il y a eu chez tous les hommes, dans toutes les cultures, le besoin, l'attente, le sens de ces droits."

(…)

" Mais l'essentiel, c'est que partout on perçoit cette exigence fondamentale : quelque chose est dû à l'être humain parce qu'il est un être humain. Quelque chose : un respect, un égard ; quelque chose qui sauvegarde ses chances de faire de lui-même ce qu'il est capable de devenir ; une dignité qu'il revendique du seul fait qu'il vise un futur. Cette universalité me parait d'autant plus saisissante que l'extrême diversité des modes d'expression en garantit l'authenticité".

(…)

" Ainsi, on jugera que les droits de l'homme sont fondamentalement universels ou bien qu'ils n'appartiennent authentiquement qu'au seul Occident selon le niveau de langage pris en considération. Au niveau des théories explicites, des clauses juridiques, ou même de la description ethnologique objective, on sera sans doute amené à nier l'universalité des droits. Mais on ne pourra que s'émerveiller de trouver vivantes chez tous leurs racines existentielles, pour peu qu'on consente à "mimer" en profondeur ce que signifie pour chacun : vouloir être un homme, et en être empêché."

(Jeanne HERSCH, "Le concept des droits de l'homme est-il un concept universel ?", in revue Cadmos, cahier trimestriel de l'Institut d'études européennes de Genève et du centre européen de la culture, n°14, Genève, 1991).

 

Les missionnaires avaient voulu trouver l'existence d'un monothéisme universel, oublié momentanément par les cultures indigènes ; on cherche aujourd'hui les droits de l'homme archaïques et oubliés dans les cultures qui ne les ont pas crées. L'universalité semble être une nécessité morale dans la culture occidentale-scientifique.

La quête, non universelle, de l'universalité, s’accompagne d’une pirouette intellectuelle : en oeuvrant à la transformation d’une autre culture selon sa propre vision du Bien, on n'acculture pas, on "reculture", puisqu’on redonne à la culture une notion qui est à sa source – on la fait, en quelque sorte, accoucher d’elle-même. L’universalité de l’universalisme constitue le principal thème à diffuser.

La Déclaration implique, tout au long des articles, qu'on se situe dans un monde où les principaux apports idéologiques du christianisme ont cours (l'unicité de l'humanité, sa supériorité du fait de sa conscience et de sa raison sur le monde animal). Pourtant, les Déclaration quechua et tahitienne ne sont compréhensibles par un locuteur quechuaphone ou tahitianophone que dans la mesure où il connaît déjà les " christianicismes" de sa langue. Les traducteurs ont, malgré le temps écoulé, recouru au mêmes solutions linguistiques dans leur traduction. Ainsi, ce qui dans les sermons quechuas signifiait "semblable, prochain", runamasi, est repris dès l'article 1 de la Déclaration :

 

" Tukuy ima haykakta yallispa Diosta munanki, runa masiykiktari kikiykiktahina kuyanki".

Tu aimeras Dieu par dessus toutes choses et tu aimeras ton prochain comme toi-même. (Sermon)

 

" Llapa runan kay pachapi paqarin qispisqa, "libre" ñisqa, allin kausaypi, chaninchasqa kausaypi kananpaq, yuyayniyoq, yachayniyoq runa kasqanman jina. Llapa runamasinwantaqmi wauqentin jina munanakunan. "

(Article 1 de la Déclaration)

Tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits. Ils sont doués de raison et de conscience et doivent agir les uns envers les autres dans un esprit de fraternité.

 

Le terme quechua "-masi" s'emploie toujours accolé à un mot. On n'a pas de "masi" tout court, comme, en français on a un ami ; le sens de "masi" s'approche donc plus de compagnon ou camarade. Ainsi llamk'aq masi signifie compagnon de travail. Yachaq masi, camarade de classe. Ainsi runamasi a été créé pour signifier "compagnon d'humanité", "co-humain". Mais en quechua on entend plutôt : camarade humain, ce qui constitue une sorte de redondance.

Dostoïevski, Hannah Arendt, des penseurs de tout horizon ont relevé l’étrange obsession à réduire les hommes à l’Homme, cette tentation de la pensée occidentale universaliste. L'une des réalisations de cette universalisation est la modification des langues du monde pour qu'elles puissent refléter l'humanisme.

 

Edith de Cornulier-Lucinière

 

(Merci à Katharina Flunch-Barrows pour la relecture et les blagues…)

dimanche, 17 mai 2009

Smohalla

Hommage


Cet hommage à nos étoiles des temps proches et lointains veut saluer des êtres
dont le souffle, la vision, la parole nous aident à vivre et à penser.

 

Smohalla
(1815-1895)

B000878-R1-09-10A.jpgphot Sara



"My young men shall never work. Men who work can not dream, and wisdom comes to us in dreams"
Mes jeunes gens ne travailleront jamais. Les hommes qui travaillent ne peuvent pas rêver ; et la sagesse nous vient par les rêves.

Smohalla est issu de la tribu Nord-américaine Wanapum, encore nommée Sokulks. Il inventa une religion nouvelle, inspirée par la religion traditionnelle de sa culture. De cette religion nouvelle, qui connut un succès fulgurent de son vivant et dans les décennies qui suivirent, et qui trouve aujourd'hui quelques adeptes, il est le prophète.
Cette religion nouvelle est la religion des rêveurs. Les historiens américains parlent du mouvement des rêveurs.



FOI

La foi des Rêveurs est en partie une reviviscence de certains concepts de la religion traditionnelle des Indiens Wanapum et Nez-Percé. Mais Smohalla a adpaté son discours à l'état de la société indienne parquée dans les réserves et au mode de rhétorique occidental. Souvent ses principes rappellent les idées de Lafargue ou de certains anarchistes spiritualistes contre le travail et contre le progrès.

LUTTES

Non Violence
Smohalla prôna et appliqua la non violence.

Réserves
Mais il refusa d'être, ainsi que sa tribu, mis dans une réserve. Il mena une résistance intransigeante à l'Etat Fédéral sur ce plan.

Au-delà du sysème des réserves (zoos cogérés par les humains qu'ils contenaient), il s'opposait contre la propriété privée et la parcellisation de la terre, qui lui paraissait inaliénable.

MORTS,RESURRECTIONS, SUCCESSIONS

Smohalla mourut trois fois (ou cours de duels et d'accidents) et trois fois il réscussita après un coma sans espoir.

Deux successions
Il déclara que sa fille aînée serait son héritière. Elle mourut. Il en conçut un fort chagrin qui redoubla son ardeur de prêcheur politique et spiritualiste. Il vécut encore longtemps et avant sa mort nomma son fils, qui prit la suite avec moins de fougue. Les idées de Smohalla continuèrent d'inspirer des gens, principalement parmi les Nez-Percés (tribu proche) mais le mouvement était passé.

EXTRAIT (suivis d'une traduction)

«You ask me to plough the ground? Shall i take a knife and tear my mother's bosom? Then when I die she will not take me to her bosom to rest. You ask me to dig for stone! Shall I dig under her skin for her bones? Then when I die I cannot enter her body to be born again. You ask me to cut the grass and make hay and sell it, and be rich like white men, but how dare I cut off my mother's hair? It is a bad law and my people shall not obey it. I want my people to stay with me here. All the dead men will come to life again; their spirits will come to thier bodies again. We must wait here, in the homes of our fathers, and be ready to meet them in the bosom of our mother ».

Vous me demandez de labourer la terre.
Dois-je prendre un couteau et déchirer le sein de ma mère ?
Alors quand je mourrai, elle ne voudra pas me prendre dans son sein pour que j'y repose.

Vous me demandez de creuser pour trouver de la pierre.
Dois-je creuser sous sa peau pour m'emparer de ses os ?
Alors, quand je mourrai, je ne pourrai plus entrer dans son corps pour renaître.

Vous me demandez de couper l'herbe, d'en faire du foin, de la vendre pour être aussi riche que les hommes blancs.
Mais comment oserais-je couper les cheveux de ma mère ?

C'est une mauvaise loi et mon peuple ne devra pas la suivre. Je veux que mon peuple reste ici auprès de moi. Les hommes morts reviendront à la vie ; leurs esprits réinégreront leurs corps. Nous devons attendre ici, dans les maisons de nos pères, et demeurer prêtes à les retrouver dans le sein de notre mère.

mercredi, 13 mai 2009

Vous n'avez faim que de bêtes innocentes et douces...

Fragments

La rubrique Fragments offre des morceaux de textes classiques, connus ou inconnus, qu'il est heureux de relire.

Vous n'avez faim que des bêtes innocentes et douces…

Plutarque,
cité dans Emile ou de l'éducation
de Jean-Jacques Rousseau

 

"Mais vous, hommes cruels, qui vous force à verser du sang ? Voyez quelle affluence de biens vous environne! combien de fruits vous produit la terre! que de richesses vous donnent les champs et les vignes! que d'animaux vous offrent leur lait pour vous nourrir et leur toison pour vous habiller! Que leur demandez-vous de plus ? et quelle rage vous porte à commettre tant de meurtres, rassasiés de biens et regorgeant de vivres ? Pourquoi mentez-vous contre votre mère en l'accusant de ne pouvoir vous nourrir ? Pourquoi péchez-vous contre Cérès, inventrice des saintes lois, et contre le gracieux Bacchus, consolateur des hommes ? comme si leurs dons prodigués ne suffisaient pas à la conservation du genre humain! Comment avez-vous le cœur de mêler avec leurs doux fruits des ossements sur vos tables, et de manger avec le lait le sang des bêtes qui vous le donnent ? Les panthères et les lions, que vous appelez bêtes féroces, suivent leur instinct par force, et tuent les autres animaux pour vivre. Mais vous, cent fois plus féroces qu'elles, vous combattez l'instinct sans nécessité, pour vous livrer à vos cruels délices. Les animaux que vous mangez ne sont pas ceux qui mangent les autres : vous ne les mangez pas, ces animaux carnassiers, vous les imitez ; vous n'avez faim que des bêtes innocentes et douces qui ne font de mal à personne, qui s'attachent à vous, qui vous servent, et que vous dévorez pour prix de leurs services.

O meurtrier contre nature! si tu t'obstines à soutenir qu'elle t'a fait pour dévorer tes semblables, des êtres de chair et d'os, sensibles et vivants comme toi, étouffe donc l'horreur qu'elle t'inspire pour ces affreux repas ; tue les animaux toi-même, je dis de tes propres mains, sans ferrements, sans coutelas ; déchire-les avec tes ongles, comme font les lions et les ours ; mords ce bœuf et le mets en pièces ; enfonce tes griffes dans sa peau ; mange cet agneau tout vif, dévore ses chairs toutes chaudes, bois son âme avec son sang. Tu frémis! tu n'oses sentir palpiter sous ta dent une chair vivante! Homme pitoyable! tu commences par tuer l'animal, et puis tu le manges, comme pour le faire mourir deux fois. Ce n'est pas assez : la chair morte te répugne encore, tes entrailles ne peuvent la supporter ; il la faut transformer par le feu, la bouillir, la rôtir, l'assaisonner de drogues qui la déguisent : il te faut des charcutiers, des cuisiniers, des rôtisseurs, des gens pour t'ôter l'horreur du meurtre et t'habiller des corps morts, afin que le sens du goût, trompé par ces déguisements, ne rejette point ce qui lui est étrange, et savoure avec plaisir des cadavres dont l'oeil même eût eu peine à souffrir l'aspect."

 

dimanche, 10 mai 2009

L'avenir de la langue quechua, entretien avec Serafin Coronel-Molina

L'avenir du quechua... Parlons en en quechua !

Entretien en quechua avec Serafín Coronel-Molina, professeur à Princeton.

Il nous parle de sa langue maternelle, le quechua, des dangers qu'elle court et des moyens de la sauver. Il est convaincu que le quechua peut s'épanouir et tenir une place conséquente.

 

Une TRADUCTION ANGLAISE suit le texte quechua, plus bas dans la page

320T 26.jpg

Serafín Coronel-Molinawan rimanakuy, qichwa rimaq linguista Estados Unidospi Princeton Yachay Wasipi yachachiq

Tapuq: Edith de Cornulier-Lucinière

Runasimi wiñaypaqmi kawsanqa

E.C.L.: ¿Imatataq ruwanchikman runasimiqa wiñaypaq kawsakunanpaq?

S.C.M.: Ñawpataqa, qichwa rimaqkunaqa, churi-wawanchikkunatam runasimita yachachinchikman. Imatapas runasimillapim  paykunawan rimanchikman, runasimita rimastin kusi kusisqallaña wiñanankupaq. Chaykunata mana ruwaptinchikqa, qichwanchik chinkakunqachá, wañukunqachá. Hinaman, imaymana iskuylakunapipas, yachay wasikunapipas runasimipim churi-wawanchikkunaqa liyiytapas qillqaytapas yachanmanku qichwanchikta hatunyachinankupaq.

Hinaspa, kastillasimilla rimaqkunapas runasimitam yachanmanku. Chaymantaqa, tukuy rikchaq yachay wasikunapim yachachiqkuna runasimita yachachinmanku kastillasimi rimaqkunkaqa runasiminchikta yupaychanankupaq ima. Mana chay hina kaptinqa, manam allinchu kanman runasiminchikpaq.

Chaymantaqa, imaymana liwrukunata, willaykunata, periódicokunata, diccionariokunata, gramaticakunatam runasimipi qillqanchikman. Himaman, wayra wasipipas televisiónpipas qichwatam rimanchikman. Internetpipas imaymana runasimipi recursos nisqankunatam paqarichinchikman. Hinaspa, vídeokunata, grabaciónkunata, películakunata, CD-Romkunata, DVD-kunata, WebTV-nisqantapas runasimipim rikurichinchikman. Chaymantañataq, runasimillapim miskillataña qillqanakunanchik  rimayninchikkunata sinchiyachinanchikpaq ima.

Qipamanqa, llapa Andes suyukunapi kamachiqkunaqa runasiminchiktam chaninchanman tukuy runakuna mana pinqakuspalla, mana chiqninakuspalla miskillataña imay punchawkamapas runasimipi rimanankupaq.

E.C.L.: ¿Allinchu kanman runasimipaq kastillasimi hina rimasqa kaptin?  Hinaman, ¿políticapaqpas administraciónpaqpas runasimiqa allinchu kanman? ¿Runasimiqa chay dominiokunapi rimasqachu kanman utaq karu karusu urqukunap patanpi llaqtachakunallapichu kawsakunman?

 

S.C.M.: Runasimiqa kastillasimi hina rimasqa kaptin, hamuq watakunapi manamá wañunqachu. Aswanraq hatun sachakuna hinachá, sumaq waytakuna hinachá munay munaylla wiñakunqapas waytakunqapas.

Hinaspa, runasimiqa política nisqanpaqpas administración nisqanpaqpas allinmi kanman. Chaymi gobiernopi kamachiqkunaqa runasimitam rimananku, hinaman imaymana kamachikuykunatam paykunaqa rikurichinmanku runasimiqa allinllaña chaninchasqapas kusallaña amachasqapas kananpaq. Chaymantaqa, tukuy rikchaq kamachikuykunaqa runasimimanmi tikrasqa kanman. Congresopi  políticokunañataq runasimipipas kastillasimipipas llaqtanchikkunarayku, suyunchikraykumá rimanakunmanku. Kay Declaración Universal de Derechos Lingüísticos nisqanpim kusa kusa imakunapas rikurichkan. Chay hatun kamachikuyta liyiyta nunaspa, kay llika kuchuman yaykuykuyyá http://www.egt.ie/udhr-es.html

Runasimita maypipas qispillam rimanchikman. Lliw Ande llaqtakunapipas suyukunapipasmi wiña wiñaypaq takyakunman. ¿Imanasqataq urqukunap patanpi karu karusu llaqtachakunallapi kawsakunman? Astawan, llapallanchikmi qichwata mirachinanchik, kallpachananchik, hatunyachinanchik hamuq watakunapi mana usukunanpaq. Mana wañunantamá, mana chinkanantamá munanchikman. Runasiminchik chinkarquptinqa, tukuy rikchaq yachayninchikmi chinkakunqa. Chaymi achkaraq ruwananchik kachkan qichwanchik hatarichinanchikpaqpas mirachinanchikpaqpas.

E.C.L.: ¿Imaraykum runasimita awsachinchikman? ¿Imaraykum tukuy rikchaq simikunata kawsachinchikman?

S.C.M.: Runasiminchik chinkakuptinqa, tukuy yachayninchikkunapas, rimayninchikkunapas, iñiyninchikkunapas wañukunmanmi. ¿Imanasqataq chaykuna chinkakunman? Manam allinchu kanman runasiminchikpaq, chaymi sunqunchikwan, kuyayninchikwan runasimita rimanchikman. Hinaspa, llapallanchikmi qichwanchikta allinta sayachinchikman, mirachinchikman imapas. Runasiminchik chinkakuptinqa, manachá imallamantapas ayllunchikunawan rimanakuyta atipasunchikchu.

Hinaman, tukuy rikchaq simikunapas allin yupaychasqa, chaninchasqam qispilla kawsakunan. Chay simikunaqa chinkakuptinqa, imaymana yachaykunam wañukunqa. Chaymantaqa, runakayninchikmi wakchayarqunman. UNESCO nisqan hina, tukuy pachapi suqta waranqa (6,000) simimanta, pichqa chunka por ciento (50%) nisqanmi wañunayan. Sapa iskay simanam huk simi chinkan. Hamuq watakunapi, Continente Americano nisqanpi  qanchis pachak (700) simi, Africapi iskay pachak (200) simi, Asiapi pusaq chunka (80) simi, Europapiñataqmi tawa chunka (40) simi wañukunqa. Manchakuypaqmi chaykuna kachkan. Chaymi llapallanchik yanapanakuspa, rimanakuspa tiqsimuyuntinpi imaymana simikunata takyachinchikman, wañunayaqkunataqa rikchachinchikman, hatarichinchikman himanam kallpanchachinchikman. Wañusqa kaptinkupas, hebreo simita hinam kawsarichimunchikman.

E.C.L.: ¿Imaynam rimasqalla simita qillqasqa simiman kutichinchikman?

S.C.M.: Ñawpataqa, alfabeto nisqantam paqarichinchikman tiqsimuyuntinpi imaymana simikunata qillqanapaq. Hinaspa, tukuy rikchaq qillqakunatam huñuchinchikman llapa rikchaq simikunapi mana panta pantaspalla imakunamantapas qillqanapaq. Qipamanqa, ñawpapi nisqay hina, llapan rikchaq liwrukunata, diccionariokunata, gramaticakunata qillqanchikman. Hinaman, musuq rimaykunatam (vocabularies) rikurichinchikman ichaqa kuk simikunamantam chay rimaykunata mañakunchikman. Lliw simikunam musuq rimaykunata mañanakunku. Chay mañanakusqankunawanmi utqaylla musuqyakunkupas. Musuq rimaykunata  paqarichisqanchikwanñataq allillamanta munay munaylla imaymana simikunaqa hatunyakunqaku.

Puchukaypi, imaymana qillqakunatam tukuy rikchaq simikunaman tikranchikman. Chay tikrasqanchikkunawanmi chay simikunaqa sinchiyakunqaku. Kaykunata ruwaspam rimasqalla simita qillqasqa simiman kutichinanchik. Chaykunamanta wanka qichwapi qillqasqayta qawanaykipaq kay llika kuchuman yaykuyyá http://www.vjf.cnrs.fr/celia/FichExt/Am/A_24_01.htm

Sunquymanta sulpay nisqayki runasimimanta rinamakusqanchikmanta. Hu kutikama.

E.C.L: Serafín, anchatam agradisiyki kay sumaq willakuyniykikunamanta. Hamuq watakunapi sumaqllaña purikuy, sumaqllaña kawsakuy.

English Version

Interview with Serafín Coronel-Molina, a Native Quechua Speaker Linguist Teaching at Princeton University, USA

Interviewed by Edith de Cornulier-Lucinière

E.C.L.: What can be done to preserve the Quechua language?

S.C.M.: First of all, we the Quechua speakers, should teach Quechua to our children. We should speak with them in Quechua about different topics, so they can grow up happily speaking Quechua. If we do not make such an effort, it is possible that our Quechua will die. Besides, our children should learn how to read and write at any school or learning center so they can revitalize our Quechua language.

In addition to this, the Spanish speakers should also learn Quechua. After that, educators established at different learning centers should teach Quechua so the Spanish speakers learn to valorize our Quechua. If it is not that way, it will have negative consequences for our language.

On the other hand, we should write all kinds of books, stories, newspapers, dictionaries and grammars in Quechua. Then, we should use Quechua on radio and television programs. We must post on the Internet a wide variety of materials, and we must also produce in the Quechua language videos, audio recordings, films, CD-Roms, DVDs, and Web-TV programs. In addition to all this, it is necessary for us to write in Quechua to strengthen our language.

Last but not least, the authorities all over the Andes should valorize our language, so everybody can communicate in Quechua without shame and without fighting each other

E.C.L.: Would it be good for the Quechua language to be used like the Spanish language, and become a political and administrative language? Or would it better used in other functional domains or only in the rural communities themselves?

S.C.M.: If Quechua is spoken like Spanish, it will not die in the future. On the contrary, the Quechua language will grow beautifully like trees and flowers.

The Quechua language can be used in politics and administration without any problem. That is why the governmental authorities must speak Quechua. Then, different kinds of laws must be produced in Quechua, so our language will be well valorized and protected.  All legal documents should be translated into Quechua. Then, the politicians in Congress should use both Quechua and Spanish in their deliberations on behalf of our cities and country. In the Universal Declaration of Linguistic Rights I include here, information related to what I am trying to explain here can be found. If you would like to read the content of this document, please follow the following link: http://www.egt.ie/udhr-es.html

E.C.L.: Why do we have to protect the Quechua language? Why do we have to save any language?

S.C.M.: If our Quechua disappears, all our knowledge, our words and our beliefs will die. Why should they disappear? That would not be good, that is why we should speak the language with love. All of us should rouse and spread our Quechua by all means possible. If our language disappears, we will not be able to use our language to talk about anything with our family.

Every language should be well valorized and live in freedom. If those languages die, a wide variety of knowledge will disappear forever. The richness of our humanity will become impoverished. According to UNESCO, of 6,000 languages spoken around the world, 50% are in danger of extinction. Every two weeks one language dies. In the coming years, in the American Continent 700 languages will die, in Africa 200 languages, in Asia 80 languages, and in Europe 40 languages will die. These are alarming figures. For these reasons, everybody, by helping each other and through dialogue, should make efforts to preserve, awake and revitalize the wide variety of languages scattered around the world. If they are already dead, they must be revived like as was done with the Hebrew language.

E.C.L.: How can we turn a primarily oral language into a written one?

S.C.M.: First of all, alphabets should be elaborated for the different languages and dialects around the world. According to their contexts, it is essential to unify the writing system of a given language in order to avoid mistakes and misunderstanding. As I mentioned earlier, it is necessary to elaborate in Quechua a wide variety of books, dictionaries and grammars. Besides, it is crucial to coin new vocabularies or to borrow new words from other languages. All languages borrow news words from each other.  With those new loanwords languages modernize rapidly. With the coinage of new terminologies, any language develops beautifully little by little.

Finally, it is imperative to carry out translations into any language. With these translations existing languages will become vital. By making all these efforts, we turn a primarily oral language into a written one. To read what I wrote in Huanca Quechua about all these issues, please click on this link: http://www.vjf.cnrs.fr/celia/FichExt/Am/A_24_01.htm

That is all I can say.

Thank you very much for this interview. Until next time.

E.C.L.: Serafín, I am very thankful for all the information you provided me. I wish you the very best in your future endeavors.

mardi, 05 mai 2009

TIEMPO

Tiempo

Por Antonio Zamora

Un fresco murmullo efervescente cubrió la arena hasta besar su mano. El roce líquido en la soleada piel desnuda provocó un leve estremecimiento del arrodillado cuerpo infantil, cuyo brazo extendido ofrecía a la luz azul un puño cerrado que destilaba gotitas de arena y agua para acumularlas en lo más alto de una montaña fantástica alzada hacia el cielo como una torre gótica. Al fondo, más allá del cuerpo estremecido y de la torre y del puño alzado, un limpio horizonte de mar y cielo brillaba poderoso y profundo como una promesa, un misterio, una aventura.

Mira ahora esa imagen en papel del niño que fue. Le resulta ajeno. La repetición, imperceptible al principio, ha sido devastadora. Puede sentir cómo actúa ahora mismo, cómo ahoga luces y apaga contrastes, cómo crispa su puño y empequeñece montañas, cómo acelera los días y encierra horizontes. Tantos ayeres que son como hoy, tantos amores que no son ninguno, tantos esfuerzos que ahora son vanos. Atrapado en un tiovivo que gira y gira y gira, no encuentra la salida, no busca la salida, no piensa si hay salida. Y sólo el vértigo anticipa un final.

Al final... un sordo murmullo de sombras  se arrastrará por la arena y morirá deshecho a sus pies. Sus ojos cansados se elevarán muy despacio y creerán vislumbrar, más allá de su propio desgaste, del oleaje gris y de la bruma invernal, el horizonte perdido. Tratarán entonces de encontrarlo, de ser al fin capaces de reconocer, atravesando el vacío vertiginoso de la repetición, al niño eterno del luminoso puño en alto para nunca más dejar de sonreírle. Pero es probable que no encuentren más que bruma y oleaje.

Antonio Zamora

samedi, 18 avril 2009

Cas de consciences & conscience des cas

Avortement, euthanasie, vie animale

 

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Edith de Cornulier Lucinière

 

Les bases minimales universelles existent-elles ?

Comment se mettre d’accord sur ces thèmes insolubles que sont l’euthanasie (ou suicide assisté), l’avortement, et la question du respect de la vie animale ? La visite d’autres sociétés du monde ne nous aide nullement : certaines sont vastement infanticides ou pratiquent des sacrifices humains. D’autres refusent tout crime animal ou humain.

 

Souvent, ce ne sont pas les mêmes personnes qui défendent le droit à l’euthanasie, à l’avortement et à la consommation animale. C'est-à-dire que ce ne sont pas les mêmes personnes qui défendent les fœtus, les animaux et qui interdisent l’aide à la mort. Il n’y a donc pas de gens qui défendent la vie à tout prix, mais plutôt des gens en désaccord sur les frontières de la vie, de la mort et de la valeur des êtres.

Leur point commun est qu’ils disent défendre la vie tandis que les arguments d’en face font appel à la santé, à la liberté, ou à la tradition.

 

La mésentente autour de ces sujets est irréparable, parce qu’ils touchent à des choix intérieurs éthiques qui ne peuvent être prouvés universellement, par la science, par le sentiment ou par le droit. Le respect de la vie est toujours la valeur inaliénable invoquée. Mais où la vie commence-t-elle ? Quand est-elle sensible ?

Mon but n’est pas de répondre à ces questions abyssales, mais de les formuler. Juxtaposées, il me semble que les urgences et les libertés qu’elles engagent prennent sens.

 

Être au monde et être possédé

l’animal humain et les autres animaux

Comme dans le jaïnisme – une religion indoue -, pour un certain nombre de gens, être auteur de la mort d’un être quelconque est bien plus grave que n’importe quoi. Or, ni la science, pas plus que les religions ou le droit, ne peut mesurer la valeur inaliénable d’un individu, et affirmer la supériorité ou l’égalité des humains avec les autres animaux.

Les non spécistes étendent la question du respect de tout individu humain et prônent un humanisme élargi aux autres animaux. Pourquoi la valeur inaliénable de la vie serait-elle spécifiquement humaine ?

La possession de l’autre, c’est la dépossession forcée de lui-même. Les animaux s’appartiennent-ils à eux-mêmes ou nous appartiennent-ils ?

 

Avortement : Frontières et entremêlements des corps

Où commence mon corps ? Ou commence et finit celui de l’autre (de l’homme qui a fécondé, de l’enfant embryon) ?

Le corps a-t-il des limites externes ? Dans ce cas le père n’a aucun droit sur l’embryon, qui n’appartient pas à son propre corps, bien que d’une certaine façon il en soit un « prolongement ».

Le corps a-t-il des limites internes ? Dans ce cas, la mère n’a aucun droit sur le bébé qu’elle porte, et, même si elle ne le désire pas, doit cohabiter avec lui comme nous le faisons entre humains, malgré nos aversions.

Le respect du « corps élargi » du père, qui lui donnerait un droit sur le fœtus, s’oppose au respect du corps de la mère. En protégeant le choix du père on met la femme à sa merci. Mais en protégeant celui de la femme, elle devient toute puissante sur la question de l’enfant à naître.

Outre le problème du droit du (futur) père, s’opposent le droit à la vie du fœtus et le droit à disposer de son propre corps de la femme.  Surgit alors une question de santé publique et de responsabilité collective : pourquoi la femme subirait-elle seule les conséquences biologiques de comportements sociétaux répandus (manque d’éducation sexuelle, domination masculine, viol) ? Dans quelle mesure une urgence de vie (le fœtus) peut prévaloir sur une urgence de liberté (la liberté de la femme) ? La vie sans la liberté n’est-elle pas une vie mutilée ?

 

Euthanasie : droit à la mort

Possédé-je mon corps ? Mes intentions de vie et de mort doivent-elles être prises en compte au nom de ma liberté ?

Dans quelle mesure l’Etat, la société peuvent prendre des décisions concernant mon corps ? Peuvent-ils empêcher la vie (animaux, fœtus) ou la mort (euthanasie) ?

Les pratiques sexuelles à risque (SM) posent le problème du droit à disposer de son propre corps au nom de notre liberté.

L’euthanasie pose cette même question, au nom cette fois de notre souffrance.

La question de l’euthanasie est moins épineuse, car la victime et le bénéficiaire sont la même personne.

 

Le crime est-il sacré ?

Peut-on respecter et tuer ou doit-on toujours protéger

ce qu’on respecte ? Les bisons chassés et les humains sacrifiés, chez les nord-amérindiens, étaient tout aussi respectés que ceux qu’on ne tuait pas. On peut alors tuer

un être en grande souffrance, ou ôter la vie à un fœtus,

en sachant que l’on commet un crime avec respect, par ce qu’on agit au nom d’autres valeurs que le respect de la vie.

Mais la porte du crime est dès lors ouverte.

 

Débattre et se battre

Est-on condamné à rester sans réponse, et à débattre ?

Dans ce cas, le salut réside dans les conditions du débat : accepter de débattre, même si nos valeurs sont mises à mal. Et débattre, se battre pour ses idées, en essayant au mieux de comprendre et de respecter celles des autres.

 

vendredi, 10 avril 2009

Libérer l'anima

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Le cogito renversé

Pour cesser d’infliger souffrances et tueries aux animaux, pour quitter notre  propre mort-vivance, il faudrait renverser le cogito ; renoncer à croire cogito ergo sum, je pense donc je suis, et dire désormais : sum ergo cogito : je suis, donc je pense.

René Descartes avait raison à l’envers : certes la pensée et l’existence sont entremêlées. Mais les mots l’avaient tellement coupé de lui-même et de l’univers qu’il avait besoin de les entendre dans sa tête pour tenir la preuve de son existence. Il n’avait pas vu que mépriser le corps, c’est amputer l’esprit ; que l’esprit qui s’extrait du corps se suicide.

La pensée ex mundo, cérébrale, dissociée de la matière, brime une partie de l’être humain en le coupant de son nid terrien ; l’intellect en est diminué. Une pensée vivante, puissante, est une pensée qui accepte de jaillir du monde et d’être aspirée par lui.  L’esprit doit être chevillé au corps pour se déployer, refléter la vie, la comprendre de l’intérieur.

Penser, c’est être. Exister, c’est penser.



Asipirer à, tendre vers…

La contemplation des choses vivantes nous  donne l’occasion d’observer le désir d’être au monde, de s’épanouir. Un animal – ou une plante – a des aspirations (marcher ; croître…) ; cela n’est-il pas suffisant pour que les humains qui visent à une conduite respectable s’attachent à laisser vivre cette action de tendre vers… ? Être respectable, n’est-ce pas être respectueux ? Au fond de nos forces vitales gît le désir de ne pas entraver cette aspiration à vivre. Mais l’humain adulte tente d’enfermer les êtres et les évènements dans une pensée cassante pour échapper à sa propre condition animale, faite de désir et d’inquiétude, d’émotion et de nudité face au monde…  Le regard se meut dans l’espace, cherchant à construire une raison et une folie, un Nord et un Sud, une prison confortable qui briserait l’immensité de la liberté, atténuerait ses joies et ses douleurs. La certitude vertigineuse que donne à certains hommes le maniement de mots abstraits les pousse si loin dans la contemplation d’eux-mêmes qu’ils émettent une hiérarchie des êtres, au sommet de laquelle ils se situent.

 

Libérer l’anima

Pourtant, les classifications n’ont d’intérêt que si elles demeurent des moyens. Une science qui s’établit comme la vérité d’après laquelle nous devons vivre est vidée de sens et rend le monde stupide. Si nous considérions l’homme, non plus en fonction de l’idée que nous nous faisons de sa grandeur, mais selon l’expérience que nous avons de sa souffrance et de ses aspirations, nous en aurions une connaissance ancrée dans le réel. Et peut-être qu’alors, notre compassion serait tellement vraie et vaste qu’elle pourrait embrasser les autres espèces sans que notre amour de la nôtre en soit diminué. Laissons les êtres exister, laissons-les jouir du monde, et nous respecterons notre espèce, non parce qu’elle est supérieure aux autres, mais parce que, comme les autres, elle est, et souffre, et aime. Comme Descartes, le latin reconnaissait deux âmes, l’animus, souffle vital qui anime les corps animaux, et l’anima, qui représente la substance immatérielle, spirituelle – la conscience. Et si nous les unissions en un seul concept, qui désignerait le témoignage de la vie et de sa tension intense ?

Libérez les animaux ; vous libérerez votre anima.

 

Edith de Cornulier Lucinière

mercredi, 01 avril 2009

Le roman de la conversion

 

Le roman de la conversion

 

C’est la Traduction qui parle à la première personne et qui nous raconte le roman de la conversion. Car la traduction convertit sans cesse. Elle convertit des religieux en autres religieux, des cultures en autres cultures, des hommes en autres hommes.

Edith de Cornulier Lucinière

 

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Je suis la Traduction et je n’existe pas. Je flotte entre les langues.

On m’utilise sans jamais m’attraper. Je suis Trahison, mais sans moi point de fidélité. Je suis Démission, mais sans moi point de sens. Je suis incertaine, mais j’assure la certitude ultime : celle d’être compris.

 

Je suis la traduction et je n’existe pas. Chaque fois qu’on m’utilise, on se trompe. Je suis un rêve impossible, un cap qui pousse les marins de l’esprit à se dépasser. Je suis plus grande et plus fluide que toutes les langues, mais sans elles je n’aurais pas d’essence.

 

Je vais pourtant raconter ici comment j’ai modifié la pensée de millions de gens dans le monde, en me glissant dans leurs langues et en émoussant certains mots, en en aiguisant d’autres, en mariant des mots et en opposant d’autres. Oui, par moi on peut créer des divorces et des mariages inattendus entre les mots.

 

Je suis la grande mangeuse de sens.

 

Je vais raconter plusieurs choses dans la saga dont vous êtes en train de lire l’ouverture.

Je vais raconter comment j’ai aidé les missionnaires européens à convertir des catéchumènes de continents lointains, au cours des siècles de découvertes.

Je vais raconter comment je m’amuse, au sein d’une langue donnée, à modifier des sens aigus afin que tout le monde y ait accès : comment je vulgarise des sciences, comment je popularise des idées.

Je vais raconter comment je crée de la culture et des littératures écrites, en disséquant et en réinstallant les langues, là où la Parole n’avait jamais été couchée sur du papier, là où les histoires qu’on raconte aux veillées n’avaient jamais donné lieu à des développements qu’on appelle romans.

 

Je vais vous raconter et vous comprendrez que je suis le sabre qui tue puis adoube, le serpent qui séduit puis transforme ; enfin, vous comprendrez que je suis, à jamais et pour toujours, une fente dans la certitude, une fenêtre sur la poésie, une porte sur la civilisation.

 

Je suis la grande créeuse de sens.

 

 

I Qu'est-ce que la conversion ?

La conversion… C’est l’adoption d’un sens nouveau sur un terreau ancien. C’est un grand changement de sens.

La conversion dans le monde s’est fait par la traduction. Oui, je suis à l’origine de la conversion, puisque je suis moi-même conversion d’un sens dans une autre langue – ou conversion d’une langue dans un autre sens.

Je participe à convertir des gens vers une nouvelle culture ; vers une nouvelle pensée ; vers une nouvelle croyance ; vers une nouvelle interprétation de l’histoire ou de la politique…

Vous qui vous croyez libres de vos mouvements intérieurs, animaux humains, vous êtes sans cesse convertis.

Dès le mois prochain, le mois de mars, mon roman commencera par expliquer la conversion des sens. Le sens d’un mot, d’une notion, aiguille la pensée. Traduisez une notion, un sens, dans une autre langue, et vous entamerez la pensée de cette langue d’accueil. Une langue qui ignorait le sens de « Dieu », ou de « animal », ou de « travail » (comme tant de langues !) et qui le découvre, c’est une langue un peu convertie. Les hommes qu’elle habite ne sont plus innocents ; ils ne pourront plus jamais penser sans Dieu, sans animal, sans travail.

Je vous raconterai comment les missionnaires chrétiens, catholiques dans les Andes et protestants en Polynésie, ont traduit les sens chrétiens et humanistes en quechua et en tahitien. Je dévoilerai les thèmes qui les ont le plus occupés et les stratégies qu’ils ont choisies en m’utilisant (ici un emprunt, là un néologisme…)

Je raconterai ensuite comment la traduction opère la conversion des mentalités. Car de nouveaux mots et de nouveaux parcours entre les mots d’une langue modifient à jamais la pensée de ses locuteurs. La pensée ? C'est-à-dire la façon dont ils se considèrent, dont ils décrivent et ressentent leur identité, dont ils considèrent leur corps (corps : un mot qui n’existe pas dans beaucoup de langues…), dont ils posent la frontière entre leur être, et celui de l’autre, entre le rêve et le réel, entre le bien ou le bon et le mal ou le mauvais. Et vous verrez que la colonisation est d’abord intellectuelle. Et vous verrez qu’elle est irréversible.

Je continuerai en montrant comment, par la popularisation et la vulgarisation, l’on convertit des connaissances scientifiques – sciences pures et sciences sociales - en savoir populaire, en bagage commun : je montrerai comment on convertit un peuple ou un public à une nouvelle idée, une nouvelle vision du monde, une nouvelle façon de penser et de corréler les choses et les événements.

Et puis je reviendrai à la littérature. Les formes de l’art littéraire, oral et écrit, lorsqu’elles sont traduites c'est-à-dire appliquées à une autre langue, modifient cette langue. Ecrire un roman en hawaiien ou en quechua, c’est modifier à jamais la façon dont cette langue envisage la transmission et se figure le monde.

Enfin, en abordant la conversion des hommes et de leurs rêves, je montrerai comment je change les rêves les plus intimes des hommes en changeant les sens des mots qui les habitent.

Je finirai en prouvant que, cruelle ou libre, littéraire ou politique, je suis derrière tout changement, derrière toute évolution.

Je modèle l’esprit de chacun, j’orchestre les rencontres entre les êtres parlants et je ne cesse de les transformer, bien qu’ils n’y voient que du feu.

 

II La conversion des sens

 

J’ai été l’instrument de toutes les conversions du monde. Je vais vous parler de l’évangélisation chrétienne. Lorsque les missionnaires catholiques et protestants arrivèrent dans des contrées lointaines pour apporter la bonne parole, les esprits des catéchumènes étaient des forêts vierges qu’il fallait transformer en gras champs bourguignons.

 

Il leur fallait traduire une idéologie qui s'était bâtie sur plusieurs siècles, dans une langue ayant développé une tout autre culture. Comment faire pénétrer dans une langue des idées étrangères à celles qu'elle exprime habituellement ? Comment « soumettre » une langue à une configuration de l'esprit nouvelle, de façon efficace, c'est-à-dire, d'une façon telle que les locuteurs de la langue de réception soient en mesure de comprendre et d'accepter, d'adopter cette nouvelle religion ?

En m’utilisant jour après jour, avec acharnement.

 

Les missionnaires devaient introduire des concepts ou des idées nouveaux, telle l'idée d'un Dieu unique et créateur, la place spéciale de l'homme dans la nature parce qu'il est fils de Dieu, l'idée d'âme, de paradis, d'enfer, mais aussi de péché, le Saint-Esprit... Ils devaient faire des choix de traduction pour l'élaboration des textes d'évangélisation. Quand privilégier l'emprunt, le néologisme ? Ou encore la resémantisation d'un mot indigène, sous l’effet de son association systématique à un nouveau contexte ?

 

Pour que je sois efficace, ils durent modeler les langues indigènes. C’est ce qu’ils firent avec le quechua, dans les Andes.

Les missionnaires se rendirent vite compte qu’ils créaient une confusion et perdaient le contrôle sur la doctrine qu’ils entendaient apporter. Celle-ci risquait de faire l’objet d’une appropriation « sauvage » du christianisme par les Indiens. Le problème s’était déjà posé en Europe pour la confection de catéchismes et manuels de confession en langue vulgaire. Il fallait se mettre d’accord sur le message exact à transmettre, puis sur les mots à utiliser pour le transmettre. Et souvent, la normalisation de la langue est allée de pair avec l’évangélisation. Un quechua standard a ainsi émergé sous la plume des missionnaires des XVIIe et XVIIIe siècles.

 

Tous ces mots n’existaient pas : corps ; croire ; vérité ; animal ; humanité ; âme ; dignité ; création…

En quechua comme dans beaucoup de langues, ces mots n’existaient pas avant l’arrivée des missionnaires. Comment alors traduire le christianisme, et son enfant, la Déclaration des droits de l’homme ?

Il fallait donc d’abord traduire cela : corps, croire, vérité, humanité, animal, âme, dignité, création… et travail. Car il y a des mots pour bêcher, bâtir, coudre, mais pas pour « travailler ». Et d’autres mots encore.

 

Par exemple, quand les prêtres demandaient aux catéchumènes : est-ce que tu crois en Dieu ? Il leur était difficile de répondre puisque la croyance n’est pas une option intellectuelle.

Les athées parlent souvent de Dieu comme s’il existait parce qu’ils sont profondément imprégnés de l’idée de dieu. Croire ou ne pas croire en dieu sont les deux versant d’une même attitude, d’une même croyance. Quand on n’a pas de mot pour croire, ni de mot pour dieu, croire en dieu est difficile, mais ne pas croire en dieu ne l’est pas moins.

 

Il fallait faire intégrer aux locuteurs du quechua de nouvelles bases : que le monde réel se réduit au monde mesurable - les autres dimensions appartenant au champ de l’imaginaire ou au champ du mensonge. Que les idées sont dans la tête, et les sentiments dans le cœur.

Mon rôle n’est il pas plus grand que ce que vous croyiez ? Je transforme la personne qui reçoit le message que je porte : je transforme sa vision d’elle-même, sa façon de ressentir sa vie intérieure et son rapport aux autres, même sur un plan instinctif, physique.

Rappelez-vous, rappelle-toi à quel point l’idée même de « pensée » est bizarre. Qu’est-ce qu’une pensée ? Est-ce un sentiment ? Où s’arrête le physique et où commence le mental ? Comment et où le cœur se différentie-t-il de la raison ?

Les catégories de la langue témoignent de grandes différences quant à la description du « vécu », de l’expérience intérieure.

 

Les explications de Madame Anne Cheng, spécialiste de la pensée chinoise, peuvent éclaircir l’idée que le rapport au réel, à la vérité et à l’imaginaire sont très différents selon les cultures.

« Il n’est, dès lors, guère étonnant que la pensée chinoise ne se soit pas constituée en domaine comme l’épistémologie ou la logique, fondées sur la conviction que le réel peut faire l’objet d’une description théorique dans une mise en parallèle de ses structures avec celle de la raison humaine. La démarche analytique commence par une mise à distance critique, constitutive aussi bien du sujet que de l’objet. La pensée chinoise, elle, apparaît totalement immergée dans la réalité : il n’y a pas de raison hors du monde[1]. »

 

S’il n’y a pas de raison hors du monde, il n’y a pas de sens hors de moi.

 

Nous sommes nos croyances. Nos croyances sont les miroirs de nos mots, nos mots sont les miroirs de nos croyances. Si toi, comme certains amérindiens, tu as un beau frère bison, tu ne pourras jamais voir le monde comme quelqu’un qui pense en termes d’animalité et d’humanité. Changer d’idée sur ce sujet bousculerait tout le reste de ta culture, de tes croyances.

 

Grâce à moi, la pensée de la civilisation occidentale, avec le christianisme, puis la science, puis le droit et les droits de l’homme, a défriché les cerveaux pour les passer au bulldozer du vrai et du faux, du bien et du mal, du réel et de l’imaginaire. C’est une reprogrammation complète de la pensée que la traduction systématique missionnaire, politique ou scientifique opère. J’ai servi à cela dans l’Europe même, où les élites ont opéré la colonisation intellectuelle de leurs ouailles, puis dans tous les autres pays du monde, avec plus ou moins de bonheur.

 

Traduire, traduire, traduire, jusqu’à ce que l’imaginaire des gens soit transformé. C’est la traduction prosélyte, qu’elle soit politique ou religieuse.

Peut-être que la traduction littéraire n’est pas ainsi. Car contrairement aux vérités, les imaginaires peuvent se superposer et se mélanger sans s’entredévorer.

 

Mais arrêtons-nous sur cette question de l’imaginaire… Dans le prochain chapitre de ma saga, je montrerai comment, au fond, ce n’est pas le texte qu’on traduit, c’est le contexte. Ce n’est pas l’idée que l’on traduit, mais les relations sémantiques qui mènent à cette idée. Ce n’est pas une idéologie que l’on traduit, c’est une mentalité que l’on convertit.

 



[1] CHENG, Anne, Histoire de la pensée chinoise, page. 33.

 

III La conversion des mentalités

 

La conversion des mentalités est une expression utilisée par les missionnaires catholiques pour exprimer l’idée que la conversion s’effectue en profondeur, et non simplement dans le conscient contrôlé des gens. Lorsqu’on veut convertir quelqu’un à une nouvelle vision du monde, une nouvelle religion, il faut convertir les structures profondes de sa pensée. Les mots qu’on a dans la tête et avec lesquels on pense donnent lieu à des idées et des opinions. Ce sont donc ces mots, et les rapports entre ces mots, qu’il faut modifier.

« Le droit de disposer de son propre corps ». Cette phrase, par exemple, n’est a priori pas traduisible ni compréhensible dans la plupart des langues du monde. Les mots droit, disposer et corps ne sont pas des évidences universelles. Le mot corps n’existait pas en quechua avant l’arrivée des missionnaires. Le mot droit non plus. Disposer de son corps est une expression qui parait absurde si l’on ne porte pas en soi une langue, née d’une culture, qui rendent cette phrase possible. (Ici j’entends souvent : « bah, y doivent bien avoir un mot qui rende corps, ou à peu près ! ». Justement, non. La pensée quechua n’avait pas cette catégorie. Accepter la diversité humaine ne consiste pas à attribuer aux autres à peu près les mêmes pensées que nous, mais à mesurer sans horreur l’étendue et la multitude des perceptions humaines).

La conversion des mentalités s’attache, pour reprendre une autre expression théologique usitée, à l’« élimination des structures de péché » présentes dans les cultures. L’élimination des structures de péché consiste à remodeler les liens qui unissent et entremêlent le champ de l’intériorité de la personne et le thème de la culpabilité. Il s’agit pour les missionnaires de « toucher » à l’intériorité de la personne. Les structures de l’intériorité de l’individu doivent être transformées, pour ne plus être propices aux péchés de la culture originelle.

Les missionnaires sont prosélytes : ils ne cachent pas qu’ils convertissent. C’est pourquoi ils expliquent bien ce qu’ils font ; c’est pourquoi ils expliquent bien ce que nous faisons, nous tous, lorsque nous élevons des enfants ou que nous tâchons de persuader d’autres gens d’adopter notre régime politique.

Humains, vous portez une langue en vous, et avec cette langue, des possibilités de pensée. Les mots que vous connaissez et la sphère imaginative et intuitive qu’ils possèdent (c'est-à-dire leurs possibles rapports avec d’autres mots) sont déjà une pensée vieille de plusieurs siècles. Les mots que vous portez ne sont pas du matériau brut, mais une contrée déjà vastement défrichée.

Vous portez une langue en vous. Elle a été forgée durant des siècles et des siècles. Vous n’inventez jamais : quand vous parlez, quand vous créez, quand vous pensez, vous bâtissez sur des fondations dont vous n’avez pas conscience. Les choses évidentes, les choses absurdes, les choses drôles, sont évidentes, absurdes ou drôles à cause du labyrinthe de votre langue. Changez de langue et vous changerez d’évidence, d’absurdité, de drôlerie. Les choses tristes sont-elles tristes pour tout le monde ? Oui… Mais quel animal mammifère ne partage pas vos tristesses universelles ?

Changez les mots d’une langue et peu à peu ses locuteurs auront une nouvelle perception de la réalité. Voyez ce que les missionnaires ont fait au Pérou, à Tahiti et ailleurs. Ils ont individualisé le destin de l’homme. Ils ont marié, remodelé les frontières de l’être.

Ils ont individualité le destin de l’homme…

La traduction et l’évangélisation missionnaire ont tenté une individualisation forcenée des comportements, du destin, accompagnée d’une universalisation de l’humanité. Les humains ne sont plus divisés par groupes ou clans ou lignages ou ethnies. Toute personne est irréductible et unique, à l’image de l’humanité, indissociable et unique.

Tous, enfants d’une même naissance (création ex nihilo par un même « père »), ils sont regroupés ensemble pour faire naître la notion d’ « humanité ». Pour ce faire, une destruction idéologique systématique des regroupements et des sentiments collectifs a lieu. Il faut briser les liens qui lient le catéchumène à son groupe, à ces ancêtres, à ses démons, à son village, pour en faire un individu isolé au sein d’une humanité indivisible, uniformisée.

Un certain nombre de choses de la vie, qui concernaient jusqu’ici le groupe, et étaient vécues ensemble, sont donc individualisées, intériorisées, et relèvent désormais de la personne. Il en va ainsi du péché – de la faute -, mais plus généralement de la religion, au sein de laquelle chacun doit, par le truchement d’un prêtre, régler son propre chemin vis à vis de Dieu.

Ainsi, les missionnaires ont uni les hommes en un Humanité, mais ils ont fragmenté les groupes en individus isolés. Ils ont créé l’humanité et individualisé le destin de chaque homme.

Ils ont remodelé les frontières de l’être

Les formulations et la stylistique missionnaires visaient à instaurer une norme de la culpabilité par la répétition et l’accolage de concepts (comme : Mentir/mal). D’après les témoignages des missionnaires, pour les indiens eux-mêmes il était difficile de savoir lorsqu’ils mentaient ou non, puisqu’ils n’avaient pas les mêmes frontières du réel que leurs confesseurs.

Des confessionnaires (recueils de questions à poser à l’usage des catéchumènes indigènes) ont été crées et sont conservés.

Les confesseurs insistaient autant sur les actions que le pénitent avait pu faire, que sur celles qu’il avait pu penser faire. Cette insistance sur ce qui se passe dans l’intériorité de la personne, cette description minutieuse, en forme de questions, des sentiments et désirs que le pénitent peut éprouver et qu’il faut punir, est propice à l’instauration d’un sentiment de culpabilité. La récurrence des thèmes dans ces questions instaure un sentiment de culpabilité « automatique » à la pensée de ces thèmes (la rancœur, le désir de tuer, le désir sexuel, la jalousie, l’adoration d’une idole ou d’un ancêtre, la haute considération d’un animal), qui auparavant paraissaient aux Indiens anodins.

La constante alternance entre les questions des confesseurs sur les actions effectuées et les actions imaginées ou rêvées ou désirées installe certainement un nouveau rapport entre la pensée et l’action, qui sont parallèles (ou plutôt qui ont une différence non pas de nature, mais de degré), la première étant moins grave que la seconde.

Ce nouveau rapport entre la pensée et l’action crée un nouveau rapport à l’intériorité. On se projette différemment dans le monde extérieur. Avant, l’imaginaire était un monde en soi. Avec l’évangélisation et la confession, l’imaginaire est vécu comme un sous réel, peut-être un laboratoire du réel, tandis que le réel matériel et les paroles et actions projetées dans le réel ne sont que la partie immergée de l’iceberg.

Traduire, c’est changer le rapport à soi. Ainsi, l’intériorité de la personne :

Où commencé-je ? Où finis-je ? Qui pense en moi ? Eh bien ! Tout dépend des mots ! Les mots corps, idée, autrui, individu, sont des mots rares et précis, non des notions universelles !

Les missionnaires se sont cassés la tête pour traduire ces mots ! ou encore, pour traduire le mot « colère » en tahitien…

C’est le dualisme qui oppose l’esprit et la matière, qu’il a fallu traduire dans les langues dans lesquelles on évangélisait.

L’âme s’oppose au corps, Dieu (ciel) s’oppose à Satan, le chrétien s’oppose à l’Indien, l’homme s’oppose à l’animal, ce que l’on peut traduire par : le bien s’oppose au mal.

Mais ces oppositions se complexifient par un réseau d’assimilations : l’humain est un animal, l’Indien peut être un chrétien, et l’esprit est contenu dans la matière.

En fait, c’est tout le rapport entre son soi intérieur et son soi extérieur, son soi intérieur et le réel, les autres, qui est en jeu, et se trouve sans doute modifié par l’arrivée du christianisme.

Les nouveaux rapports entre les mots ont remodelé les frontières du moi

Je suis le truchement de la conversion. La traduction n’est pas la simple traduction des mots. La traduction d’un sens, c’est la traduction de son contraire, de ses proches, etc., afin que le locuteur comprenne ce mot dans le contexte original, non dans le sien propre.

La suggestivité fluide qui lie entre eux les mots et expressions d’une langue, créée par la mémoire des paroles, des textes entendus, constitue le « contexte »  linguistique commun aux locuteurs d’une langue. Il marque le style et la pensée non seulement d’un individu locuteur d’une langue, mais du groupe humain entier qui partage cette langue. La compréhension intuitive des nuances qui entourent chaque mot, des liens qui unissent les termes, permet une intercompréhension spontanée et fluide, inconsciente. Or c’est précisément à la modification du réseau de ces appels et de ces renvois que les mots d’une langue se font entre eux, que l’évangélisation linguistique s’attelle.

Il faut faire en sorte que les réseaux entre les mots s’ordonnent de façon à ce qu’une « pensée chrétienne » ou du moins christianisée émerge de la langue.

-         Ah ah ah ! me répondez-vous. Mais nous sommes athées ! Nous avons renversé dieu, à qui nous ne mettons plus de majuscule, et désormais nos traductions sont libres !

-         En êtes-vous sûr ? Personne n’est libre entre mes mains. Je transforme tout ceux qui m’utilisent. Et sachez que la traduction de la déclaration des droits de l’homme est fille des premiers sermons chrétiens dans les langues indigènes, d’Europe et d’ailleurs. L’universalité de l’humanité, la valeur de la personne humaine hors de son groupe, sont dites, dans ces langues, avec les mots inventés par les pères des missionnaires laïcs : les missionnaires chrétiens. Ils ont converti les mentalités : ils ont traduit l’humanisme.

 

IV La conversion des sciences en bon sens

 

Je suis la traduction, mais n’allez pas croire que je ne travaille qu’entre les langues. Car tout ce qui informe traduit. J’oeuvre également au sein même d’une langue, et c’est là que mon labeur est le plus mystérieux, puisqu’il est invisible.

En français, les mots popularisation et vulgarisation expriment deux choses différentes. Cependant les gens emploient les deux termes indifféremment, une confusion sans doute entretenue par la proximité de l’anglais. En « anglais international », en effet, vulgarisation et popularization sont employés l’un pour l’autre.

Ainsi parlait un homme qui s’est spécialisé dans l’étude de ce que je suis.
Antoine Berman : «Le vulgarisateur scientifique […] « traduit » […] la langue spéciale en langue commune. Comme on sait, ce type de « traduction » n’est guère heureux : la langue spéciale y perd, et la transmission de savoir ne s’opère pas. Il y a ici autant de déperdition que dans la prosification d’un poème ». (…)

Mais ce processus n’a rien de fatal. Certains physiciens s’efforcent actuellement de définir les principes de ce qu’ils appellent, contre la vulgarisation, la popularisation de la langue scientifique. »

L’homme croyait que la popularisation sauverait la connaissance du monde. Il n’en est rien.

Vulgariser, c’est traduire un langage spécialisé en langue courante. La vulgarisation suit le chemin intellectuel de la pensée scientifique, en la simplifiant.

Populariser, c’est injecter dans la tête des gens de nouveaux concepts qu’ils pourront utiliser. La popularisation balance de nouveaux mots et de nouvelles idées dans une société, sans livrer le chemin intellectuel qui les ont créés. Par le biais de discours publics, des médias, on diffuse ces nouveaux mots, ces nouvelles idées, qui sont intégrés indépendamment les uns des autres à la pensée du public. Celui-ci pourra donc adapter ces nouveaux concepts à ses visions personnelles, et les fondre dans sa propre culture, c’est à dire les acculturer.

L’action de vulgariser s’attache à rester plus proche du cheminement original : on ne traduit pas seulement des concepts, mais le fil de la pensée qui les sous-tend. La vulgarisation suppose donc une attention soutenue du lecteur/récepteur ; tandis que la popularisation est aisément reçue et assimilée, parce qu’elle diffuse des idées –politiques, philosophiques, scientifiques…- comme on distribue des bonbons acidulés.

La popularisation est un travail d’extraction des concepts fondamentaux d’une doctrine pour les diffuser dans la langue courante, et la vulgarisation, une rédaction ou recension simplificatrice de cette doctrine, dans un niveau de langue accessible au locuteur, tout en suivant pas à pas les articulations de la démonstration ou de la doctrine.

Le vieux dilemme de Humboldt : « Chaque traducteur doit immanquablement rencontrer l’un des deux écueils suivants : il s’en tiendra avec trop d’exactitude ou bien à l’original, aux dépens du goût et de la langue de son peuple, ou bien à l’originalité de son peuple, aux dépens de l’œuvre à traduire » - ce vieux dilemme existe aussi dans les traductions au sein d’une même langue.

Oui, amis, les sciences vous arrivent tronquées et amincies. Elles éveilleront en vos esprits d’autres idées que celles qu’ont voulues transmettre les vulgarisateurs et les popularisateurs, ces traducteurs des temps modernes qui expliquent à l’homme de la rue – non, l’homme de la rue n’existe plus – à l’homme de la télévision, les dernières nouveautés du monde des idées et des sciences.

Car si la vulgarisation scientifique nous garde comme des enfants à jamais incapables de cerner l’entière lumière de la science, et conscients de cette inconscience… la popularisation des notions scientifiques et intellectuelles, elle, nous fait croire que nous savons au moment où nous nous éloignons le plus du sens originel. Et votre bon sens n’est qu’illusion, il est l’habit de l’erreur.

Les limites de la vulgarisation et de la popularisation sont aussi celles de la traduction. La diffusion et l’exactitude du message délivré sont contradictoires, leur corrélation paradoxale.

Ainsi les deux lois « du processus de communication, que Pierre Guiraud a formulé de la sorte :

« Plus la diffusion s ‘étend plus le contenu du message se rétrécit (…) On dit tout à tout le monde, mais on le dit d’une manière si vague que le message se dissout dans le néant. » (…)

« La seconde loi peut se formuler de la sorte : des deux pôles (…) de la communication, la communication de quelque chose et la communication à quelqu’un, c’est le second, toujours, qui l’emporte. Cela signifie qu’il y a un déséquilibre inhérent à la communication, qui fait qu’elle est régie a priori par le récepteur, ou l’image qu’on s’en fait. »

En termes de théorie de la communication, cela donne, dit-il, le phénomène suivant : « On est donc pris entre dire tout à personne, ne rien dire à tout le monde, et les deux situations sont inversement proportionnelles. »

En quelque sorte, populariser, c’est acculturer. La popularisation, par les médias, des théories nouvelles, favorise le syncrétisme et la fusion ou le mélange des sens.

N’importe quelle société, sous l’effet d’un changement (venant d’une influence extérieure ou d’une fraction d’elle même), subit un processus de popularisation de la nouveauté, et de là, d’acculturation. Ainsi, les « révolutions techniques » appellent à une popularisation et donnent lieu à une perpétuelle acculturation.  Mais c’est le cas aussi des révolutions politiques et idéologiques. Insidieusement, les nouveaux mots créent de nouveaux réseaux dans votre esprit, et, comme l’écrira peut-être un jour l’arrogante Venexiana Atlantica dans un futur dictionnaire de nos erreurs humaines, « sans nous en apercevoir, nous nous éloignons de ce que nous nous apprêtions à penser pour nous égarer là où le vent des mots nous porte.

Et le lendemain de la veille, nous sommes autres sans le savoir ».

Par moi, vous cherchez la connaissance. Mais je vous perdrai tous.

 

mardi, 31 mars 2009

Corrida, ronda

 

Corrida, Ronda & Rwanda, Corrida

Par Bruno Echaliersalle2.JPG

Corrida, Ronda

Les portes sont de bois, un décor les enlace.
Les arcades légères entourent de pisé
Le sable de l’arène qui aime la trace
Des élégants pas de danse et du sang figé.

Arrivent alors les jeunes femmes en ombrelles
Qui entrent aux bras d’hommes fiers et distingués.
La tête inclinée elles arrangent leurs dentelles
Et s’assoient avec soin sur les bancs disposés.

La foule murmure et ronronne au soleil.
L’un chuchote savamment les mots de feria.
L’autre dit précieusement la merveille
De ceux qui donnent la mort avec maestria.

Justement ils entrent éblouissant de leurs ors.
Puis en cavalcade réglée viennent saluer.
Les premiers rangs détaillent le matamore,
Mais on entend tueur au pied des Pyrénées.

La multitude excusée par son nombre
Se lève, espérant des bêtes athlétiques.
En ce temple, brillant pour les âmes sombres,
Le taureau est prêt pour une mort esthétique.

25 septembre   2002

 

Rwanda, Corrida

L’homme est choisi, poussé dans la cour.
Un instant libre, debout, ébloui.
A la clameur la foule accourt
Les rangs s’écartent devant lui.

Vers la vie, les bras levés, il court.
Il n’a pas d’ennemis, il le crie.
Ils sont ensemble ils sont sourds.
C’est un jeu pour eux qui s’ennuient.

Dans l’air la machette luit
Et manque l’épaule qui s’esquive.
Une autre a tranché, geste exquis
Les lames le vrillent, le plaisir s’avive.

Le colonel et la foule incertains
Attendent le geste élégant.
L’infirme déchiqueté implore d’une main,
Ses larmes inutiles sont de sang.

Oh qu’elle est belle la scène
Toute de rouge sur du noir.
Elle rappelle les coutumes anciennes,
Tue la peur et redonne l’espoir.

L’agonie est amère
Pour celui qui n’a pas d’ennemis.
Sa vie aura servie, éphémère
Au plaisir de mort, dans l’oubli.

Devant lui la fosse est remplie
Des chiens grignotent des oreilles.

25 août 2002

Bruno Echalier

mercredi, 25 mars 2009

La canción del zorro y el cuervo

La canción del zorro y el cuervo

 

Antonio Zamora

 

J¨-Edith.JPGphot KPM pour VillaBar

 

 

Zorro viejo huele rosa

delicada, dulce, tierna.

Zorro viejo huele rosa

y la busca y la desea.

 

Cuervo joven tiene rosa

en su rama solitaria.

Cuervo joven tiene rosa

en su pico y en su alma.

 

“Joven cuervo, ¡eres tan bello,

tan perfecto, tan sensible...!

¿No podrías cantarme aquello

que tus dulces ojos dicen?”

 

Cuervo joven se emociona,

va a iniciar ya su graznido.

Cae la rosa de su boca,

cae la rosa en un suspiro.

 

Una espina en el hocico

del zorro viene a clavarse.

Un aullido dolorido,

¡una carrera salvaje!

 

Cuervo joven, apenado.

Zorro viejo, escaldado.

La rosa yace en el barro...

y este canto se ha acabado.

 

mardi, 17 mars 2009

SOS virtuel

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Nous présentons :

une requête de notre correspondante Sara à l'entité "Wanadoo" ;

un proverbe malgache adapté à la modernité,

et un texte de Charles de Montesquieu sur la fulgurance des communications modernes.

 

Charles de Montesquieu (1689-1755) s’effrayait de la rapidité fulgurante des communications modernes. Calmons-nous donc lorsque, fâché, fatigué, le réseau n’atteint plus notre ordinateur.

 

Cher Monsieur, chère Madame,


Je vous fais part du problème curieux que je rencontre avec ma ligne Internet, le numéro de téléphone qui va avec cette ligne Internet et mon fixe classique : les deux lignes se mélangent ; quand je reçois un appel, les deux téléphones sonnent. Or, ils sont sensés correspondrent à des lignes séparées. C'est très bizarre.
Par ailleurs - ou bien totalement liée (puisque les deux choses sont concomitantes) - la ligne Internet ne marche plus sur un des ordinateurs familiaux.
J'avoue que le problème me dépasse. Je n'arrive probablement pas bien à vous donner les bonnes informations puisque je ne réussis pas à comprendre ce qui se passe.
Un exemple : je peux théoriquement - du moins je pouvais jusqu'à une période récente - appeler un numéro de "portable"de ma ligne liée à un internet. Ce téléphone me refuse ce service, comme s'il se prenait soudain pour ma ligne fixe, depuis laquelle - effectivement - il n'est pas possible d'appeler un "portable". Pour qui se prend ma ligne fixe ?


Je vous remercie de bien vouloir dénouer cet écheveau et vous prie de croire en mes salutations les meilleures

 

Sara

 

 

Sara n’a à ce jour pas reçu de réponse de l’assistance Wanadoo. Nous lui adressons tout notre soutien.

 

Aza ketraka, fa halavoan-dehilahy manongalika.

Ne vous découragez pas, car un homme ne tombe que sur ses bras et sur ses jambes.

Proverbe malgache

 

 

« L’invention des postes fait que les nouvelles volent et arrivent de toutes parts.

Comme les grandes entreprises ne peuvent se faire sans argent, et que, depuis l’invention des lettres de change, les négociants en sont les maîtres, leurs affaires sont très souvent liées avec les secrets de l’Etat ; et ils ne négligent rien pour les pénétrer. (…)

L’invention de l’imprimerie, qui a mis les livres dans les mains de tout le monde ; celle de la gravure, qui a rendu les cartes géographiques si communes, enfin l’établissement des papiers politiques, font assez connoître à chacun les intérêts généraux pour pouvoir plus aisément être éclairci sur les faits secrets.

Les conspirations dans l’état sont devenues difficiles parce que, depuis l’invention des postes, tous les secrets particuliers sont dans le pouvoir du public."

De la grandeur des Romains et de leur décadence, Charles de Montesquieu

 

 

 

jeudi, 12 mars 2009

Entrevista con un lenguado

ENTREVISTA Con un lenguado

por Antonio Zamora

scala_pieds_d'enfant.jpgphot Sara

- ¿Cuándo y en qué circunstancias se dio usted cuenta de que era un lenguado?

Fue hace cuatro días. Yo llevaba mucho tiempo convencido de que simplemente era un delfín pequeño y perezoso. Sobre el arenal en el que vivo juegan a todas horas familias enteras de delfines y yo me paso casi todo el tiempo mirando cómo nadan arriba y abajo. A veces me sonríen desde arriba, y yo les devuelvo la sonrisa desde abajo. Hace cuatro días, desperté con un grupo de jóvenes delfines girando graciosamente una y otra vez sobre mi cabeza y por primera vez sentí el impulso de unirme a ellos. No lo pensé y, de un coletazo, me separé de la arena y comencé ascender con gran excitación. Llegué a su altura y, exultante, seguí subiendo. De repente desaparecieron, ya no podía verlos. Casi al mismo tiempo, advertí que tampoco veía la arena, mi casa. El pánico me paralizó. No sé cuánto tiempo pasé así, pero pensé que me moría. Hasta que, cuando ya lo daba todo por perdido, descubrí que los delfines volvían a estar sobre mi cabeza y, unos segundos después, sentí que mi cuerpo volvía a apoyarse en la arena. Así es cómo supe que soy un lenguado.

- ¿Qué sentimientos le atraviesan cuando usted ve a un humano pasando con botellas y aletas?


Siento una gran compasión. Y un poco de rabia, sobre todo cuando remueven la arena con sus torpes aleteos.

- ¿Podría describirme usted su vida ideal?


Lo que más me gustaría es poder jugar con los delfines. Desde hace cuatro días sé que no puede ser, así que me contento con que la temperatura del agua sea agradable, no haya corriente y el sol ilumine bien los juegos de mis amigos.

- ¿Cuáles son los momentos de su vida favoritos?


Bien lo sabe usted.

- ¿Le gustaría a usted hablar con palabras, como los humanos ?


¡Ah! ¿Ellos también hablan con palabras?

- ¿Qué ha aprendido de los humanos que a veces ve pasar ?


Que siempre hay alguien que está peor que tú.

- ¿Qué le gustaría enseñarles para poder ayudarles?

¿A conformarse con lo que tienen?

- ¿Se parecen los días y las noches en las profundidades del mar?


No se parecen en nada. La noche me da mucho miedo. Todo está oscuro y la paso enterrado en la arena tratando de dormir. Aunque los sonidos son parecidos (el eco de una ola, el golpear seco y sordo de una roca), los de la noche me dan terror. Excepto cuando hay luna llena. Entonces los sonidos y las formas difuminadas y tenuemente plateadas se vuelven un espectáculo tan mágico como el de mis delfines diurnos. Aparecen seres maravillosos que están ocultos a la luz del sol y bailan lentas y misteriosas danzas que yo contemplo inmóvil y extasiado, creyendo adivinar en el espectáculo de esas figuras extramarinas y en las presencias que intuyo más allá el verdadero y sobrecogedor sentido del universo. Y hasta ser un lenguado adquiere su grandeza.

vendredi, 20 février 2009

Les oiseaux et le désert

La rubrique Fragment offre des morceaux de textes classiques, connus ou inconnus, qu'il est heureux de relire.

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George-Louis Leclerc,
comte de Buffon
(1707-1788)

Histoire Naturelle

(Deux extraits)

I Les oiseaux

« Peu d’oiseaux sont aussi ardents et puissants en amour que les moineaux ; ils ont été vus en train de copuler jusqu’à vingt fois de suite et toujours avec la même impatience, la même trépidation, la même expression de plaisir ; et, étrange à dire, c’est la femme qui semble perdre patience la première à un jeu qui devrait la fatiguer moins que le mâle, mais il peut également lui procurer bien moins de plaisir car il n’existe ni préliminaires, ni caresses, ni variantes à l’acte ; beaucoup de pétulance sans tendresse, des mouvements toujours hâtifs, n’indiquant qu’un besoin d’être satisfait pour la propre finalité de l’acte. Comparez les amours des pigeons et celles des moineaux et vous verrez toutes les nuances qui s’étendent entre le physique et le moral. (…) [Chez les pigeons on observe de tendres caresses, des mouvements doux, des baisers timides, qui ne deviennent intimes et pressants qu’au moment du plaisir ; ce moment lui-même, retrouvé en quelques secondes, par de nouveaux désirs, de nouvelles approches également nuancées ; une ardeur toujours durable, un goût toujours constant et encore un bénéfice plus grand : le pouvoir de les satisfaire sans fin ; pas de mauvaise humeur, de dégoût, de querelle ; une vie entière consacrée au service de l’amour et au soin de ses fruits ».

 

II Le désert

« Essayez d’imaginer un pays sans verdure et sans eau, un soleil brûlant, un ciel toujours sec, des plaines sablonneuses, des montagnes plus arides encore, que l’œil balaie en vain et sur lequel le regard se perd sans fixer une seule fois un objet vivant ; une terre morte, comme dénudée par le vent chaud, n’offrant à la vue que des restes d’ossements, des pierres éparpillées, des affleurements de rochers, levés ou couchés, un désert sans secrets dans lequel jamais aucun voyageur n’a respiré dans l’ombre, ni rencontré un compagnon, ou quoi que ce soit qui lui rappelle la nature vivante : la solitude absolue, mille fois plus terrifiante que celle des forêts profondes, car les arbres sont d’autres êtres, et constituent une autre vie pour l’homme qui se voit seul, plus isolé, plus nu, plus perdu dans ces terres vides et sans limites, il fixe l’espace de tous côtés, l’espace qui ressemble à un tombeau ; la lumière du jour, plus mélancolique que les ombres de la nuit, ne renaît que pour briller sur sa nudité et son impuissance, que pour lui permettre de voir plus clairement l’horreur de la situation, repoussant les frontières du vide, étendant autour de lui l’abysse de l’immensité qui le sépare de la terre des hommes, une immensité qu’il tentera en vain de traverser, car la faim, la soif et la chaleur le harcèlent à tous les instants qui restent entre le désespoir et la mort ».

scala26_plage+_silhouettes2.jpgPhot Sara

mercredi, 04 février 2009

Die Insel der lesenden ArbeiterInnen

Epiphanie

 

 

PHOTO Lotte-500x334.jpgphot. Sara

 

Die Insel der lesenden ArbeiterInnen

 

Havanna, August 2006- es ist drückend heiß, vor der legendären Eisdiele „Coppelia“ stehen Menschentrauben in Gruppen, die unter den wenigen Bäumen den Schatten suchen und warten zum Teil mehrere Stunden bis sie von den Ordnern durchgelassen werden und einen Platz zugewiesen bekommen. Von den an den Informationstafeln an den Eingängen angeschlagenen Eissorten stehen dann zumeist nur noch ein bis zwei zur Auswahl. Nur vor den für Touristen abgetrennten Abteilungen des Eistempels, in denen die Kugeln in harter Währung, dem sog. konvertiblen kubanischen Peso, verkauft werden, stehen keine Schlangen, das Angebot ist breiter, die Sorten ausgefallener. Nicht selten gerät das Gespräch in den Warteschlangen angesichts dieser Abteilungen auf die 80er Jahre, die Zeit vor der Desintegration der wirtschaftlichen Kooperation der Ostblockstaaten, als nur eine einzige Währung zirkulierte und Konsumgüterknappheit kein Thema war. Neben dem unverändert wiederkehrenden Stöhnen über die Hitze, das fast automatisch Teil jeder Begrüßung ist, treten dann, wenn auch selten offen ausgesprochen, sondern zumeist in Form eines Witzes oder einer Anspielung verpackt, Unmutsäußerungen über die schwierigen Lebensbedingungen hinzu. Seit einigen Wochen ist die Atmosphäre an der Kreuzung 23/L jedoch gespannt. Die in dieser Gegend generell hohe Polizeipräsens wurde verstärkt, Gruppen, die aus beliebigen Gründen den Ordnungskräften missfallen, werden aufgefordert, den Ort zu verlassen, die Staatsmacht versucht informelle Menschenansammlungen weitestgehend zu unterbinden.

 

Deutschland, August 2006 – die Titelseiten der Tagespresse melden die Einlieferung Fidel Castros zu einer Notoperation ins Krankenhaus wenige Tage vor seinem 80. Geburtstag. Der kubanische Staatschef überträgt die Amtsgeschäfte wie im Artikel 94 der Verfassung des Landes vorgesehen, seinem fünf Jahre jüngeren Bruder und Vize-Präsidenten des Staatsrats Raul Castro. Während die kubanische Regierung bemüht ist, den Eindruck von Normalität zu vermitteln – die Verwendung des Begriffs in Reden von Regierungsvertretern, der Regierungspresse und den nationalen Radioprogrammen nimmt sprunghaft zu – schlagen international die Wellen hoch: Auf den Straßen von Miami feiern große Teile der exilkubanischen Community das Herannahen des Endes der Castro-Ära, US- und zahlreiche europäische Regierungen nutzen die Stunde für mahnende Forderungen an Kuba, eine demokratisch-kapitalistische Transition einzuleiten, Solidaritätsgruppen aus aller Welt senden Grußbotschaften und bekräftigen ihre Treue, die ersten Bilder des langsam genesenden Fidel Castros im Krankenbett füllen die europäischen Zeitungen und die LeitartiklerInnen überschlagen sich in biographischen Abrissen über den Maximo Líder und Spekulationen über die politische Zukunft auf der Insel. Einmal mehr wird Geschichte der großen Männer geschrieben und mit dem Leben Fidels die Bilanz der nachrevolutionären Geschichte Kubas gezogen: Aber kann die zentrale Frage sein, ob die Geschichte den Comandante en Jefe freisprechen wird, wie er es selbst in seiner Verteidigungsrede vor Gericht nach der Niederschlagung des von ihm geleiteten Angriffs auf die Moncada-Kaserne in Santiago de Cuba 1953 prophezeit hat? Oder muss sie sich, wie in eben dieser gegen die soziale Misere, Unterdrückung und Diskriminierung der Batista- Diktatur in den 1950er gerichteten Rede, nicht vielmehr auf den vielschichtigen sozialen Wandel richten, den die Insel seit den 50er Jahren durchlaufen hat?

 

Zwar kann man die politische Situation Kubas im Sommer 2006 keineswegs als normal bezeichnen: Zum ersten Mal seit 1959 hat Fidel Castro, wenn auch zunächst nur „vorübergehend“ seine offiziellen Funktionen delegiert, was für die 70% der KubanerInnen, die nach der Revolution geboren wurden, bedeutet, erstmalig formell eine andere Person an der Spitze des Staats stehend zu erleben. Das führt in einem politischen System, das hochgradig personalisiert funktioniert, in dem Fidel Castro in der Öffentlichkeit ständig präsent war und zudem große Unsicherheiten über die Entwicklungen nach seinem Tod bestehen, zu Verunsicherung. „Warum zeigt sich Raul nicht“, fragt ein Student der Universität Havanna und zeigt sich der Erklärung des Präsidenten der Volksversammlung Ricardo Alarcón gegenüber uneinsichtig. Dieser gab laut, dass Raul Castro kein Filmstar, sondern der verfassungsmäßige Vertreter seines temporär abwesenden Bruders sei und genau dieser Funktion auch gerecht würde.

Neben den Spekulationen über die ungewisse Zukunft des politischen Systems der Insel bleibt für den überwiegenden Teil der kubanischen Bevölkerung die Bewältigung des Alltags, der halb ironisch- halb sarkastisch oft la lucha, der Kampf genannt wird, weiter die primäre Aufgabe. Eine Studie des psycho-sozialen Forschungszentrums in Havanna schätzt, dass 80% der Bevölkerung von ihrem Lohn nicht leben können und auf Zusatzverdienste angewiesen sind, legale wie illegale. Da ist die 75 jährige Anna, die ihre beiden Zimmer in einem verfallenen Kolonialhaus in Alt-Havanna mit ihrem Sohn, seiner Frau und ihren drei Kindern teilt. Sie verkauft um die schmale Rente aufzubessern, geröstete Erdnüsse für einen Peso pro Tüte an PassantInnen, eine Tätigkeit, die der Staat seit der partiellen Legalisierung privatwirtschaftlicher Tätigkeiten 1993 die euphemistisch „Arbeit auf eigene Rechnung“ heißt, toleriert, jedoch durch die Vergabe von Lizenzen und Erhebung von Steuern sogar für diese KleinstunternehmerInnen in engen Schranken hält. Ihr Tag beginnt, bevor sie die Kinder für die Schule weckt, um sechs Uhr früh und ist angefüllt mit der Beschaffung der Nüsse, der Herstellung der Tüten, dem Säubern, Rösten und Verpacken und schließlich der Verkaufstätigkeit auf der Straße, bei der sie bis zu 10 Stunden draußen verbringt. Vielleicht trifft sie dabei Ernesto, der morgens in einer langen Schlange mit anderen Rentnern vor den Zeitungsbuden wartet, bis die Parteizeitungen Granma und Juventud Rebelde aus den staatlichen Druckereien geliefert werden. Diese kaufen sie für 20 Peso-Cent, um sie als fliegende Händler für einen Peso weiterzuverkaufen. Vielleicht treffen sie sich aber auch abends im Theater, dessen Besuch durch die hohe Subventionierung der Eintrittskarten für breite Bevölkerungsschichten möglich ist – auch wenn das Ballet mittlerweile überwiegend vor Pappkulissen tanzt.

Seine Zeitung verkauft Ernesto zum Beispiel an Pepito, einen knapp 70-jährigen Kettenraucher, der zu Beginn der 50er Jahre aus Spanien nach Kuba einwanderte, um als Einzelhändler sein Glück zu machen. Die Revolution machte ihm einen Strich durch die Rechnung: Kaum sechs Jahre im Land, wurde er enteignet, entschloss sich aber wegen Frau und Kindern, die er mittlerweile in Havanna hatte, zu bleiben und arbeitete 30 Jahre für eine staatliche Lebensmittelverteilungszentrale. Er gehört zu den wohlhabenderen Personen der Stadt und verfügt über ein Zimmer, das er seit 1996 an Touristen vermietet: Zunächst legal, als die Steuern von der Regierung immer weiter angehoben wurden, um die Preise in die Höhe zu treiben und so der geringen Auslastung der staatlichen Hotels entgegenzuwirken, gab er schließlich seine Lizenz zurück, vermietet unter der Hand und schmiert hie und da die staatlichen Kontrolleure, um Strafen zu entgehen. Unterdessen sitzt er auf der Treppe vor seinem Haus, raucht und flucht auf die Revolution und lässt seinem, in der kubanischen Öffentlichkeit nicht tolerierten, Rassismus freien Lauf. Für ihn stellte die Revolution das Ende seiner Karrierehoffnungen dar, die er als gewaltsamen Einbruch einer Welt des Pöbels in sein an der Lebensführung der US-amerikanischen Mittel- und Oberschicht ausgerichteten Lebensentwurfs wahrnahm. Als Migrant europäischer Herkunft gehörte er zu der vergleichsweise breiten urbanen Mittelschicht der 50er Jahre, die im Laufe der Nationalisierungswellen der Jahre 1959 und 60 einen beträchtlichen Teil ihres produktiven Eigentums, ebenso wie ihre gesellschaftlichen Privilegien weitgehend verlor. Auch wenn sie nicht wie der Großteil der US- amerikanischen AusländerInnen und mit ausländischen Großunternehmen kooperierenden nationalen Bourgeoisie das Land verließ und auch wenn diese Schicht weiterhin über mehr Eigentum verfügte, als der Durchschnitt der kubanischen Bevölkerung, endete mit 1959 die Ära ihrer formellen Privilegien. Und diese beiden Punkte gehören zu den zentralen Dreh- und Angelpunkten, die den Erfolg der Revolution ermöglichten und durch diesen hervorgebracht wurden: Die Überwindung der Abhängigkeit von den USA, den mit diesen kooperierenden Agraroligarchien und der Unterdrückung durch den Diktator Fulgencio Batista, ebenso wie die von stark equitativen Elementen gezeichnete Konsolidierung eines Staatsvolks, der Schaffung einer nationalen Identität. Wird nach dem Zusammenbruch des osteuropäischen Realsozialismus über den Fortbestand des kubanischen spekuliert, wird dabei zumeist vergessen, dass Kuba zwar im Laufe der aus der historischen Situation des Kalten Krieges geborenen Kooperation mit dem Ostblock eine Vielzahl realsozialistischer Charakteristika übernommen hat, der nationale Konsens, soweit man von diesem sprechen kann, sich aber weit mehr auf der Überwindung des neokolonialen Status der 1950er Jahre und der Konsolidierung als Nation gründen, als auf materiellen Plankennziffern. Dem entspricht die Änderung der Verfassung von 1992 in der der Nationalheld José Martí eine herausragende Position eingeräumt bekommt. Zeitgleich begann im ganzen Land sukzessive die Parole „Vaterland oder Tod“ die alte Losung „Sozialismus oder Tod“ zu ersetzen.

Nicht desto trotz hat die Einbindung in den Ostblock das Land nicht nur institutionell, sondern auch ideologisch verändert und zur Etablierung eines Wertesystems beigetragen, dass auch über die politische Orientierung an der kommunistischen Partei PCC hinaus den Alltag der Bevölkerung prägt: Es ist Sonntag, die Massenorganisation „Komitees zur Verteidigung der Revolution“ (CDR), die in den 50er Jahren gegründet wurden, um konterrevolutionären Umtriebigkeiten in den barrios zu verhindern und nun die Funktion erfüllen, die Menschen auf der Ebene der Viertel durch gegenseitige Kontrolle, aber auch die Übernahme gemeinsamer Aufgaben in das hierarchische Herrschaftssystem einzubinden, rufen auf zur Verschönerung des Wohnblocks. Der überwiegende Teil der BewohnerInnen machen sich mit Harken, Sensen und Besen daran, Gras zu schneiden, Müll zu entfernen und Farbe zu klecksen. Als Yanislaydis Söhne sich weigern, ihren freien Sonntag mit gemeinnütziger Arbeit zu verbringen, hält sie ihnen böse eine Standpauke, dass es die Aufgabe der Gemeinschaft wäre, sich um den Block zu kümmern und sie sich amoralisch verhalten würden, wenn sie daran nicht teilnehmen. Im nächsten Satz vertritt sie im Brustton der Überzeugung, dass sie mit Politik nichts zu tun haben wolle.

Zugleich aber bröckelt die soziale Kohäsion – und das nicht primär aus politischen Gründen: „Es kann nicht sein, dass ich mit meinem abgeschlossenen Medizinstudium weiter bei meiner Mutter wohnen muss und nicht über die Runden komme“, beschwert sich Oswaldo und blickt herausfordernd seinen Freund Emilio an. Beide sind Mitglieder der Jungkommunisten (UJC), beide überlegen für einen Arbeitsaufenthalt als Mediziner oder Sozialarbeiter im Rahmen einer der großen Gruppen junger Fachkräfte, die Kuba derzeit nach Venezuela entsendet, um den dort stattfindenden „bolivarianischen Prozess“ zu unterstützen, das Land für eine Weile zu verlassen. Oswaldo ist Sohn einer hohen Staatsfunktionärin und in Havanna aufgewachsen. Emilio hingegen verbrachte seine Jugend in einem winzigen Dorf in der Provinz Las Tunas, wo er mit seiner Mutter ein Bett in einer Holzhütte teilte, die bis heute keinen Stromanschluss hat. Aufgrund seines Erfolgs während seines Militärdienstes gewährte ihm der Staat ein Stipendium an der Universität Havanna, brachte ihn in einem der Achtbettzimmer des Studentenwohnheims unter und garantierte die täglichen Mahlzeiten: Reis und Bohnen, manchmal ein Stück Ei oder Huhn. Er kam mit 20 Peso und einer Hose in der Hauptstadt an, stellte fest, dass diese bei weitem nicht zum Leben reichten und begann, sich hochzuarbeiten: Nach fünf Jahren Geschichtsstudium schloss er als Bester seines Jahrgangs ab und hat durch eine Mischung aus politischem Opportunismus und dem klaren Ziel, soviel Macht wie möglich zu erhalten, die Position des Vorsitzenden der Studentenvereinigung FEU erreicht. Oswaldo spricht vier Sprachen, diskutiert ebenso eifrig über Max Weber, wie über die Frage, ob man die BushRegierung als faschistisch bezeichnen könne. Doch nach Abschluss seines Studiums muss er, wenn er in Havanna keinen legalen Wohnsitz nachweisen kann, der kaum auf anderem Weg als über Verwandte oder Geld zu erhalten ist, in sein Dorf zurückkehren und dort 13jährige SchülerInnen unterrichten.

Politik? Mayra winkt ab, wippt leicht in ihrem Schaukelstuhl und wird erst wieder lebhafter, als die Nachbarin klingelt und berichtet, nebenan verkaufe jemand Milchpulver. Warum erzählen, wie sie in den 50er Jahren als Hausmädchen für eine reiche Familie tätig war? Sicher, das musste sie danach nie wieder, lebte aber auf engem Raum in einer verkommenen Arbeiterviertel Havannas, immer noch arm, immer noch damit beschäftigt, zu überleben. Und dann, sie wendet die Augen kurz von der Strickanleitung, die sie seit der großen Alphabetisierungskampagne in den 1960er Jahren lesen kann, bezog die Familie in den 80er Jahren diese Wohnung in einem 12-stöckigen Plattenbau, den die Regierung im Osten Havannas nach realsozialistischen Vorbild hatte errichten lassen. Seit dem haben sie drei Zimmer. Dann wendet sie sich wieder ihrer Handarbeit zu.

 

„Wie werde ich leben”, heißt ein Lied des kubanischen Trovadoren Pedro Luis Ferrer und dann, aufmüpfig, „sie sollen mir nicht immer das Gleiche sagen“. So unterschiedlich die soziale Situation und die politischen Positionen der in Kuba lebenden KubanerInnen darstellen, in einem Punkt besteht zwischen fast allen Einigkeit: Die Bilder der auf den Straßen tanzenden Exil-KubanerInnen in Miami haben einen Schock hinterlassen und übereinstimmend hört man von vielen BewohnerInnen Havannas, was auch passieren werde, eines wolle man nicht: Diese Menschen dort – und mit einer vagen Handbewegung weist die junge Frau, die mit einem Mickey Mouse T-Shirt bekleidet an der Küstenpromenade Havannas steht, gen Norden, in Richtung des 90 Meilen entfernt liegenden Floridas – sollten in Kuba nie wieder das Sagen haben.

 

Lotte Arndt, La Havana-Berlin

 

'Aus: Lateinamerikanachrichten, Heft Nr. 387/388'

(Anmerkung: Der Artikel beruht auf Interviews, die die AutorIn im Sommer 2004 in Havanna führte und auf den Berichten der Havanna-Korrespondentin von RFI, Sara Roumette. Ihr sei herzlich gedankt.)

 

dimanche, 01 février 2009

Le trafic à la muette

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Carte d'Afrique de l'Ouest du XVIIIème siècle
 

Quelquefois, le silence suffit. C'est ce que montrent ces trois textes issus de l'Antiquité et du Moyen âge. Ils prouvent qu'une belle intégrité suffit pour qu'une économie se développe harmonieusement. L'or, ce beau métal, est traité avec toute la dignité qu'il mérite.

Un texte et une photo de Sara

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5° siècle avant J.C.

Hérodote, historien grec, raconte comment les Carthaginois échangeaient des marchandises contre de l'or.

"Il y a au-delà des colonnes d'Hercule un pays qu'habitent des hommes. Lorsque les Carthaginois arrivent chez ces peuplades, ils déchargent leurs marchandises, les rangent le long du rivage, puis remontent à bord et allument des feux pour faire de la fumée. Lorsque les indigènes voient la fumée, ils viennent sur le bord de la mer, placent de l'or vis-à-vis des marchandises et s'éloignent.

Les Carthaginois débarquent alors et vont se rendre compte si l'or leur semble égal au prix des marchandises, ils le prennent et s'en vont, sinon ils remontent à bord et attendent. Alors les Indigènes reviennent, ajoutent de l'or à celui qu'ils ont mis, jusqu'à ce qu'ils soient d'accord. Ni les uns, ni les autres ne sont malhonnêtes. Les Carthaginois ne touchent pas à l'or, tant qu'il ne leur paraît pas payer leurs marchandises, et les Indigènes ne touchent pas aux marchandises avant que les Carthaginois n'aient pris l'or." (Texte trouvé dans les "notes" de Joseph Bourilly, publiées par E. Laoust en 1932)

7° siècle après J.C.

Plus précis, Yacout, chroniqueur arabe, décrit les transactions des marchands maghrébins contre la poudre d'or et nomme le pays : Bambouk (c'est-à-dire le Sénégal) :

"Les marchands maugrebins arrivés à proximité du Sénégal annoncent leur arrivée par des battements de tambour. "Les Noirs des pays aurifères… dès qu'ils entendaient le son du tambour, sortaient de leurs cachettes et attendaient sans bouger à une certaine distance ; les commerçants déballaient leurs marchandises ; …puis tous s'éloignaient… Les Noirs s'approchaient alors… et disposaient une quantité déterminée de poudre d'or, puis se retiraient… Les marchands revenaient ensuite et chacun prenait ce qu'il trouvait d'or à côté de son tas de marchandises : ils s'en retournaient en battant du tambour pour annoncer leur départ, laissant les marchandises." (Selon E. F. Gautier, "Le passé de l'Afrique du Nord, les siècles obscurs", chez Payot en 1937)

Ce commerce muet devait se pratiquer aussi à l'est, vers l'Ethiopie, selon l'historien Joseph Ki-Zerbo qui le raconte dans son "Histoire de l'Afrique noire" (Hatier, 1978)

6° Siècle après J.C.

Un marchand grec, Cosme "qui avait beaucoup bourlingué" écrivit un livre intitulé "La cosmographie chrétienne pour réfuter les théories sacrilèges et païennes sur la rotondité de la terre" Il décrit, rapporte Joseph Ki-Zerbo, "des caravanes armées jusqu'aux dents qui, tous les deux ans, conduisaient des centaines de marchands chez les Sasou du Sud-Ethiopien, avec du bétail, des barres de sel ou du fer, etc Arrivés sur place, ils disposaient par lots, sel, fer, morceaux de viande, et pratiquaient le commerce muet qui leur permettait de ramener des produits du sud consistant surtout en pépites d'or."

Ce commerce est donc attesté par des auteurs d'époques et d'origines diverses qui n'ont pu, disent les historiens, connaîtrent les écrits des uns et des autres. Ces textes m'ont donné l'envie de proposer une nouvelle rubrique à ma rédactrice en chef sur le thème de l'économie, moi qui n'y connais rien.

Sara