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dimanche, 21 octobre 2012

Ces bêtes qu’on abat : Une petite vache dans le box rotatif

 C'est une saga qu'aucun scénariste n'aurait le courage d'écrire. Les films les plus gores ne sont que des comédies Walt Disney en comparaison. Les plus courageux d'entre vous auront sans doute du mal à la suivre jusqu'au bout...

C'est la saga interdite aux profanes.

AlmaSoror est fière de proposer sur son site l'extraordinaire saga de la viande. Celle qu'on ne lit jamais, celle dont on entend jamais parler, celle qui a lieu dans des endroits où l’œil citoyen ne peut pénétrer.

Si vous ne vous sentez pas capable de la lire, sachez que l'enquêteur l'a écrite. Sachez que des milliards d'individus la vivent aux portes de nos villes. Si vous n'êtes pas capable de la lire et que vous êtes capable de consommer le résultat, alors vous êtes un merveilleux citoyen du Meilleur des Mondes.

Voici donc le journal de Jean-Luc Daub, enquêteur dans les abattoirs français.

 Ces bêtes qu'on abat peut s'acheter en version imprimée :

Ou bien se lire sur cette page qui lui est dédié.


Une petite vache dans le box rotatif

 

Je me souviens tout particulièrement d’un abattoir qui était classé « lanterne rouge » parmi les abattoirs, et juste en face duquel se trouvait le siège de la Direction des Services Vétérinaires. Arrivé vers 5 heures du matin, je me suis présenté à un responsable. Cette personne n’avait pas de temps à me consacrer et m’a laissé visiter les lieux seul. Je me suis équipé de ma blouse, mes bottes et mon casque et me je suis dirigé vers la porcherie. Il faisait un froid glacial ce jour-là. Des cris d’animaux s’échappaient des postes d’abattage. Une intense activité régnait.

 

Dans la porcherie, les porcs se comptaient par centaines. Ils attendaient leur tour avant la mise à mort. Le mélange des lots ne provenant pas du même élevage faisait que les porcs, déjà stressés par le changement d’environnement et par le transport, s’agressaient mutuellement en se mordant les uns les autres.

 

Un employé est venu chercher un groupe de cochons. Ces derniers ne voulaient pas avancer dans l’étroit couloir qui menait au poste d’abattage. L’employé les frappait sans ménagement à l’aide d’un bâton. Il les faisait entrer un par un dans un Restrainer où ils étaient étourdis en recevant un choc électrique entre les oreilles. Les cochons étaient ensuite expulsés sur une table, un employé les suspendait par une patte arrière et effectuait une saignée sous la gorge, en principe avant que l’animal ne se réveille.

 

Les cochons qui ne voulaient pas entrer dans le tunnel étaient poussés au moyen d’un fil électrique qui leur envoyait des décharges. Les animaux hurlants entraient de force dans le tunnel. Certains étaient mal étourdis et c’est en pleine conscience qu’ils étaient suspendus et saignés.

 

L’abattage rituel musulman était pratiqué dans le local d’abattage des bovins. L’employé avait fait rentrer une vache de petite taille dans le box rotatif. Il a fait basculer le box, mais la vache, petite, se plaça mal à l’intérieur. Il fit alors plusieurs mouvements de rotation. L’animal étant toujours mal positionné, l’employé laissa le box en position tête en bas. La tête était de travers. L’employé, alors, prit un bâton qu’il enfonça dans la gueule de la vache pour tenter par des mouvements de mettre la tête en position droite. N’y parvenant pas, il décida alors, d’enfoncer ses doigts dans les cavités orbitales des yeux de l’animal. C’est ainsi qu’il parvint à tourner la tête. Étant sacrificateur, il égorgea ensuite la vache en pleine conscience. Des employés m’ont dit que ce n’était pas la première fois qu’il s’y prenait de la sorte vu que le box rotatif était inadapté, et que personne ne lui disait rien.

 

Ce même jour, une vache était couchée, attachée dans un passage à l’extérieur. Avec un petit tractopelle, les employés voulurent la traîner sur le sol jusqu’au local d’abattage d’urgence. Ils avaient déjà attaché une patte arrière de l’animal avec une chaîne et étaient prêts à la tirer avec leur petit tracteur. Je me suis interposé. J’ai pu obtenir son abattage sur place, là où elle se trouvait immobile. Il a fallu que je négocie avec le vétérinaire pour empêcher la manœuvre qui allait être exécutée.

 

Avant de quitter l’abattoir, je m’assurai de l’état des porcs qui se trouvaient dans la porcherie pour y être abattus le lendemain. Je fis l’étrange découverte de voir deux animaux dans une caisse. Un petit cochon au regard triste, qui était blessé, avait été déposé dans un chariot roulant. Une truie avait été mise dans une caisse roulante assez étroite puisqu’elle n’avait que la place de s’asseoir. C’est dans cette position qu’elle se trouvait. Les abattages sur la chaîne des porcs étaient terminés, et les locaux, le Restrainer, le matériel avaient été nettoyés. Autant vous dire que j’ai vu rouge ! Je suis allé trouver le vétérinaire inspecteur pour lui montrer les deux animaux qui n’avaient pas été pris en charge et qui devaient vivre une nuit supplémentaire, péniblement, dans l’abattoir. Le vétérinaire, dont les compétences étaient larges, mais qui se limitait à l’inspection des carcasses de viande avait bien compris mon mécontentement. Il est alors parti rechercher les employés dans les vestiaires. Il les a obligés à remettre toute la chaîne d’abattage des porcs en route pour mettre fin à la vie de ces deux animaux. Les employés n’étaient pas très contents et me jetaient des regards haineux. Ils rétorquèrent au vétérinaire, qui ne semblait pas être au courant : « Mais, on fait toujours comme cela… ». L’inspecteur vétérinaire mandaté par les services vétérinaires répliqua : « Ah, je comprends maintenant pourquoi je retrouve tant de cadavres de porcs le matin lorsque j’arrive ! ».

 

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Vache n’en pouvant plus d’être prisonnière dans un camion au plafond très bas.
Phot Jean-Luc Daub

 

 

 

mardi, 16 octobre 2012

La propriété foncière dans la civilisation noire

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Maurice Delafosse (1870-1926) est l'auteur d'une oeuvre africaniste de toute intelligence, écrite à l'orée du XX° siècle.

Il est également l'auteur de deux familles, une africaine et une française, qui ont gardé de chaleureuses relations intercontinentales.

Il s'opposa à Blaise Diagne, autre grand homme à cheval entre Afrique et France, sur la question de la levée de contingents africains lors de la guerre de 1914-18. Delafosse était contre ; Diagne y était favorable.

Dans son ouvrage intitulé Les Nègres, Delafosse s'efforce de nous donner une idée de la vision du monde nègre, et de la comprendre non pas d'après nos propres conceptions, mais en entrant à l'intérieur des conceptions africaines. Voici un passage sur la propriété foncière dans la civilisation nègre.

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"Chaque parcelle de terre est considérée comme une divinité. L'homme ne peut en devenir propriétaire, mais il en peut user, à condition d'en avoir obtenu l'autorisation de cette parcelle elle-même, moyennant un sacrifice et selon des rites déterminés. Toutefois, la terre ne se lie pas à un individu, ou du moins ne se lie à un individu qu'en tant que celui-ci représente une collectivité. En l'espèce, c'est l'ancêtre, fondateur de la famille, qui, ayant rencontré une parcelle vierge de toute occupation et de toute prise de possession, a conclu avec elle, en quelque manière, un contrat, en vertu duquel il en a obtenu la jouissance exclusive, à perpétuité, pour la collectivité issue de lui.

 

Sans doute, le patriarche, qualifié du titre de « maître du sol » ou « chef de terre », peut répartir l'usufruit de la parcelle familiale entre les diverses fractions de la famille, voire même entre des individus. Il procède à cet égard à des allotissements renouvelables chaque année, de manière que le partage soit équitable, que ce ne soient pas toujours les mêmes qui aient les mauvaises terres, que la rotation des cultures ou [44] le système des jachères puissent être effectués, que des lots soient mis en réserve pour des éventualités diverses ou constitués en domaine banal. Il peut même, avec l'agrément des anciens, autoriser des étrangers à s'installer sur une portion du sol familial et à la cultiver, soit pendant un temps déterminé, soit pour une durée indéfinie. Mais il n'a pas qualité pour céder, aliéner ni même diviser le droit et le privilège acquis sur la parcelle familiale par le fondateur de la famille.

Lui-même n'a sur cette parcelle que les droits qu'a tout membre de la collectivité, et aucun de ces membres, le chef comme les autres, alors même que l'usage local lui attribue un champ individuel, n'est propriétaire de ce champ.

L'inaliénabilité des droits fonciers est un principe tellement enraciné dans l'esprit des nègres, qu'à leurs yeux la conquête d'une région n'entraîne nullement l'acquisition de droits quelconques sur le sol de cette région. Et les conquérants les moins alourdis de scrupules ont généralement respecté cette loi.

En fait, la propriété absolue, comportant la faculté d'aliénation, n'est pas plus inconnue des nègres qu'elle ne l'est des Européens. Seulement, chez eux, la terre ne peut faire l'objet d'une telle propriété. Il en est de même de tout ce qu'elle porte ou produit spontanément (cours d'eau, mines, poisson ou gibier, forêts, plantes isolées), tant que l'intervention humaine n'a point dénaturé la destination primitive de ces choses.

Le travail, ou plus exactement, peut-être, l'action productrice de l'homme, est considéré comme la seule source de la propriété, mais il ne peut conférer le droit de propriété que sur l'objet qu'il a produit. Or, si le travail de l'homme peut remuer le sol et le faire produire, on ne peut dire que le sol lui-même soit le produit de ce travail, non plus qu'on ne peut le dire d'une rivière, d'un gisement de minerai de fer ou d'or, d'un éléphant ou d'une antilope, d'un arbre qui a poussé tout seul. Mais, si des hommes ont semé du grain sur leur terre familiale, la récolte obtenue est leur propriété absolue ; s'ils ont retiré du vin de palme d'un rônier poussé sur cette terre, cette liqueur est aussi leur propriété absolue. Il en sera de même mais avec certaines réserves, du gibier tué ou capturé à la chasse, des arbres abattus par la main de l'homme, etc. Il en sera de même, à plus forte raison, des animaux domestiques que l'on a élevés, des objets que l'on a fabriqués, des captifs que l'on a faits a la guerre et des sommes obtenues en échange de tout objet dont l'on était propriétaire ou du travail que l'on a fourni Le travail, source de toute propriété, peut avoir pour auteur une collectivité ou un individu. Dans le premier cas, la propriété acquise sera naturellement collective ; elle sera individuelle dans le second cas, mais, presque toujours, se trouvera grevée de quelque droit au profit de la collectivité. Ainsi l'individu qui s'engage comme ouvrier sur un chantier ne peut disposer, en droit indigène, de la totalité du salaire qui lui est attribué : il est admis en effet que, la collectivité familiale ayant été privée du concours de ses bras pendant la durée de son engagement, cet individu doit l'indemniser en conséquence.

Aussi la coutume exige-t-elle qu'il remette son salaire entre les mains du patriarche, qui opère au profit de la famille le prélèvement jugé équitable, et restitue le reste à l'ouvrier".

 

maurice delafosse,civilisation nègre,Florian Guy, Edith de Cornulier Lucinière, Blaise Diagnepropriété foncière,libéralisme,collectivisme

dimanche, 14 octobre 2012

Ces bêtes qu’on abat : Marie

 

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Bovins qui cherchent de l’air à travers la lucarne d’un camion.
Phot Jean-Luc Daub

 

 C'est une saga qu'aucun scénariste n'aurait le courage d'écrire. Les films les plus gores ne sont que des comédies Walt Disney en comparaison. Les plus courageux d'entre vous auront sans doute du mal à la suivre jusqu'au bout...

C'est la saga interdite aux profanes.

AlmaSoror est fière de proposer sur son site l'extraordinaire saga de la viande. Celle qu'on ne lit jamais, celle dont on entend jamais parler, celle qui a lieu dans des endroits où l’œil citoyen ne peut pénétrer.

Si vous ne vous sentez pas capable de la lire, sachez que l'enquêteur l'a écrite. Sachez que des milliards d'individus la vivent aux portes de nos villes. Si vous n'êtes pas capable de la lire et que vous êtes capable de consommer le résultat, alors vous êtes un merveilleux citoyen du Meilleur des Mondes.

Voici donc le journal de Jean-Luc Daub, enquêteur dans les abattoirs français.

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Ou bien se lire sur cette page qui lui est dédié.


Marie

 

 Marie était une vieille femme de bonne santé, à la chevelure grise et longue. Elle portait les cheveux lâchés. Son visage buriné par le temps et ses mains trahissaient un intense travail de la terre.

Marie a toujours été agricultrice. Dès sa plus tendre enfance, elle travailla avec ses parents, et poursuivit cette activité jusqu’à aujourd’hui, à l’âge d’une retraite bien méritée. Marie ne savait pas s’arrêter, c’était le temps qui tentait de l’arrêter, en dressant devant elle maints obstacles, toujours plus difficiles à surmonter. Mais cette dame, âgée aujourd’hui de 94 années, ne se démontait pas et survivait malgré ses vieux os en continuant à travailler la terre et à s’occuper de ses bêtes. Au moment où je l’ai connue, elle possédait six vaches, quelques chiens et de nombreux chats qui se reproduisaient sauvagement. Elle vivait entourée d’animaux, de chiens affectueux, et de chats à moitié sauvages qui la considéraient comme la chef de meute. Marie était veuve. Elle habitait seule en centre Bretagne, dans un lieu-dit où il y a peu d’habitants. Elle ne faisait plus ses courses elle-même. Une jeune femme dévouée et possédant un véhicule les faisait pour elle. Marie habitait à cinq kilomètres du bourg, elle ne possédait pas de voiture, elle n’avait d’ailleurs pas le permis et, à son âge, elle ne pouvait plus s’y rendre à pied. Son mari agriculteur n’avait pas connu la mutation moderne de l’agriculture. Il est mort il y a maintenant trente ans. Cependant elle pensait le voir encore, et notamment lorsqu’il revenait accompagné des gendarmes qui le recueillaient parfois sur la route en état d’ébriété. Marie me disait que les « gens d’arme » le ramenaient souvent à la maison, car il avait la fâcheuse habitude d’aller au bourg pour se livrer à la consommation d’alcool dans un bar fréquenté. Marie se soignait avec des remèdes à elle, des plantes. Elle n’avait pas la télévision, mais elle n’avait pas non plus l’électricité. Pourtant, elle possédait un frigidaire pour y ranger sa nourriture, et après tout, un frigidaire même sans électricité, cela sert à ça !

Marie cuisinait, elle préparait des pommes de terre de son jardin, de la soupe et des omelettes grâce aux œufs pondus par les quelques poules qui vivaient comme elle, dans un lieu dégradé par l’œuvre du temps et les éléments du ciel. Notre gentille dame ne se servait pas d’une cuisinière ou d’un four pour la cuisson de sa nourriture. Lorsqu’elle m’invita dans une sorte de pièce à vivre, je fus surpris de voir une marmite bouillonnante léchée par les flammes d’un feu de cheminée. Du bois de chauffage était éparpillé sur le sol. Il ne faut pas s’imaginer de belles bûches bien rangées, il s’agissait de morceaux de troncs d’arbres pourris, de branchages. Le sol de cette pièce, qui était la cuisine, était composé de terre battue, comme dans l’ancien temps. Le sol était creusé par le va-et-vient incessant de toute une longue vie. Un tas de détritus s’amoncelait sur une table, (des assiettes, des bols, de la nourriture avariée, des journaux pourris…). Sa cuisine était un peu insalubre, pour nous autres qui vivons en appartement ou possédons une maison bien ordonnée. Des monticules de vêtements déchirés, salis par les animaux traînaient dans la boue, laissés çà et là. Tant d’objets encombrants occupaient la pièce qu’il n’y avait plus de place, juste une chaise pour s’asseoir devant… la télévision j’allais dire, non, la cheminée ouverte. Sur les murs, il n’y avait plus de fenêtres, et il n’y avait pas de porte non plus. La cuisine donnait directement sur l’extérieur et la pluie se donnait un malin plaisir à s’y engouffrer. Par mauvais temps, l’eau s’écoulait du plafond dans les parties habitables. C’était pareil pour sa chambre, qui se trouvait de l’autre côté du bâti avec l’étable des vaches, l’eau s’y infiltrait sans complexe. Des tas d’objets encombrants et des vêtements usagés traînaient partout, tout était livré à l’abandon.

Sa maison, faite de plain-pied, était devenue vétuste. Le toit n’était plus étanche, des murs s’écroulaient. Oh… Marie a bien voulu faire refaire sa cuisine avec l’aide d’un homme bricoleur de confiance, qu’elle paya malheureusement d’avance. Profitant de la vulnérabilité de Marie, cet homme qui s’avéra sans scrupule disparut sans faire les travaux.

Marie était gentille et accueillante. Pourtant, j’étais venu pour un problème de protection animale. Lorsque j’arrivai sur la propriété, je dus me glisser sous les fils barbelés qui clôturaient l’espace des animaux, qui était aussi le sien, pour tenter de la trouver. Après avoir fait le tour des lieux, je compris vite que j’avais affaire à une situation sociale critique. Au loin, dans un champ labouré, je vis une silhouette qui déambulait entre de vastes et profonds sillons de terre. C’était Marie. On m’avait parlé d’une femme de 80 ans, je ne pensais pas la voir traverser un champ retourné, suivie d’une meute de chiens. Elle avait une chevelure longue et décoiffée, une démarche chaotique, des jambes arquées, un pantalon dans les bottes et un gros pull.

Tout cela ne me permettait pas de porter mon regard sur l’apparence d’une personne classique, ni même sur une dame d’un certain âge. Bien des personnes âgées se déplacent difficilement, alors que Marie marchait sans peine dans les crevasses. Elle vint vers moi. On m’avait dit qu’elle avait un fusil, mais je n’ai rien vu de cela. Je me suis présenté, elle était ravie de ma présence, je pense qu’elle n’avait pas compris que je venais pour voir l’état de ses animaux. Je suis allé voir avec elle les animaux. Aucun ne semblait souffrir. Par contre une génisse me suivait et se collait à moi. Marie me dit alors qu’elle se comportait comme cela parce qu’elle était amoureuse de moi.

Marie me proposa un café que j’acceptai. Nous allâmes dans sa cuisine. Elle prépara le café dans une casserole noire de crasse, puis elle nettoya devant moi les tasses avec l’eau de la gamelle des chiens. Que pouvais-je faire ? Me sauver en courant ? Non, j’avais décidé de lui tenir compagnie en buvant le café de l’amitié. Nous nous sommes installés dehors sur deux chaises devant la maison, les tasses étaient posées sur une cuisinière toute rouillée qui ne servait à rien, sinon à remplacer une vraie table. J’ai quitté cette dame avant la tombée de la nuit en lui promettant de revenir. Ce que je fis. Un été, je suis revenu avec un ami. Nous lui avons coupé du bois pour sa cheminée, et nous avons un peu rangé. Mon ami refusa de boire un café, trop sale à son goût. Il faut dire que lorsqu’elle sortit du pain, un asticot y faisait sa vie. Mon ami, un vaillant jeune homme, osait à peine s’asseoir sur la chaise proposée par Marie. Il s’y tenait en équilibre en y posant le bout de ses fesses, prenant appui sur ses jambes. Quant à moi, je n’avais de telles réserves. Marie ne semblait pas malade, pourquoi l’aurait-elle été ?

Marie était généreuse, elle voulut nous récompenser. Avec sa bêche, elle sortit du sol des pommes de terre qu’elle nous donna. Puis, elle me dit : « Un homme, il faut que ça mange, je vais vous faire des œufs », et là j’ai dit non, en prétextant que ce serait pour une autre fois. Nous ne savions pas trop si les œufs étaient frais. Mais Marie ne voulait pas nous laisser partir, elle ne recevait pas beaucoup de visite.

J’ai connu Marie parce qu’une plainte avait été déposée à l’association, concernant ses vaches qui auraient été victimes de maltraitance. Je n’ai rien vu d’anormal. J’ai rencontré Marie parce que quelqu’un lui voulait du mal, quelqu’un qui avait entendu quelqu’un, qui avait dit à quelqu’un d’autre que les vaches étaient maltraitées ! Je lui avais pourtant dit, à Marie, que je venais pour ça, mais je crois qu’elle ne comprit pas bien, car elle m’accueillit à bras ouverts. Elle était une voisine dérangeante parce qu’atypique. C’est vrai, ses vaches divaguaient parfois, ses chiens aussi, de plus ils aboyaient, elle avait aussi une multitude de chats. Des gens convoitaient son terrain. Une voisine n’était pas contente parce qu’une génisse s’était retrouvée sur sa belle pelouse. Les chiens qui posaient des problèmes allaient être euthanasiés. Un marchand de bestiaux lui faisait du chantage en tentant de la voler. Il voulait acheter son taureau pour une bouchée de pain, et il menaçait de venir le lui prendre de force. Les gendarmes s’étaient déplacés plusieurs fois. Un agriculteur lui avait vendu du foin, mais il était de très mauvaise qualité. Que de gens malhonnêtes gravitaient autour d’elle !

Par la suite, j’ai pris contact avec l’assistante sociale de la MSA (Mutuelle Sociale Agricole) pour voir ce qui pouvait être fait pour ne pas laisser à l’abandon cette vieille dame, qui vivait hors du temps et de tout lien social. J’ai également contacté la mairie du bourg. Marie aurait refusé les services d’une aide ménagère, ainsi que la vente au marché à bestiaux de ses bovins, car elle avait peur de ne pas recevoir le « bon prix ». Marie était devenue méfiante à l’égard de tout le monde.

Quelques années ont passé sans que j’aie eu le temps de la revoir ou de m’occuper d’elle. Habitant en Alsace, et ayant d’autres occupations, j’ai laissé les voisins et les professionnels de son secteur s’occuper d’elle. J’ai repris contact avec une dame qui se consacrait un peu à elle. J’ai donc pu avoir des nouvelles et connaître l’évolution de sa situation. Aujourd’hui Marie est dans une maison de retraite, elle ne peut plus marcher, elle vit en fauteuil roulant. Elle a 94 ans. Sa situation s’était dégradée dans la propriété où elle vivait. Le maire de la commune et l’assistante sociale de la MSA n’auraient rien fait pour l’aider. Un homme, dont je ne connais pas l’identité, appela un jour le médecin du bourg. Il se préoccupait de l’état de santé de Marie. Elle ne s’alimentait plus, et ne pesait plus que trente kilos. Elle était mourante selon le médecin.

De plus, elle avait perdu la tête, et c’est en psychiatrie qu’elle fut orientée de force pour y être soignée. Avant de s’en sortir, et bien qu’étant d’une certaine manière placée dans un cadre sécurisant, Marie a connu l’enfer car sa prise en charge psychiatrique dura trois ans : trois années d’enfermement, pour elle qui a toujours vécu en toute liberté, et constamment à l’extérieur. Il a fallu la maintenir en service fermé, car elle n’avait qu’une idée en tête : quitter l’hôpital et retourner chez elle. Souvent, avec ses affaires sous le bras, elle prenait la direction de la sortie. Mais les portes étaient closes. Lors de son hospitalisation, il lui restait quatre vaches qui ont été vendues. Une dame de la SPA la plus proche, Loudéac, réussit à placer seize chiens. D’autres sont partis vers la SPA de Saint-Brieuc, deux se seraient échappés de cette SPA et trois ont dû être « piqués », parce qu’ils n’étaient pas « adoptables » m’a-t-on dit. Il y avait une trentaine de chats, dont la plupart ont été tués à coup de fusil. Un voisin excédé aurait même crevé l’œil d’une vache à coup de fourche. Sa maison et sa propriété ont été vendues à des Anglais.

La dame qui m’a gentiment renseigné lui rend visite régulièrement en lui apportant du chocolat et des gâteaux. Il semblerait que Marie évoque les visites que je lui faisais, elle se souviendrait de moi. Cette dame m’a prié de venir voir Marie à la maison de retraite, lors de mon prochain séjour en Bretagne. Sur son lit de chambre, là-bas, elle a un chien en peluche comme animal de compagnie.

 

 

 

lundi, 08 octobre 2012

souvenir d'un 17 août et d'un dîner qui le précéda vaguement

 Oh, comme ce texte revient sans prévenir, chargé d'oubli... Le voici :

soul kitchen

"Peut-on entièrement transformer sa vie en une heure ?

En un jour ou une nuit ?

En un été ?

Quelle décision faut-il prendre ? Quel gouffre faut-il sauter ? Quel fantôme faut-il tuer ?

 

En attendant de répondre à ces questions qui fendent l'après-midi du 17 août comme des flèches assassines, je vous raconte ce que nous dînâmes hier ou bien un autre jour, en compagnie de celle qui vit dans le hameau d'en haut de la ville et qui écrit en faveur des animaux.

Tout le repas fut accompagné d'un Pommard (domaine Loubet-Dewailly).

Quatre petits ramequins contenaient de petites entrées : une tranche de pain sur laquelle était déposé un morceau de mozarelle et un filet d'huile d'olive ;

des radis et leur mottette de beurre ;

des petits canapés chargés d'olives et de piment ;

un bouillon de légumes au thym.

Outre ces quatre ramequins, une assiette de petite taille contenait une salade de chèvre, de noix et de cresson et leur filet quasi imperceptible de miel.

Un plat qu'on se passa présentait des asperges froides (vertes) accompagnés d'oeufs durs écrasés, le tout agrémenté d'une vinaigrette. Sur ce plat, étaient dispersés des champignons froids et leur filet d'huile.

Puis vint le plat, simple et végétarien : un sandwich ciabatta aux légumes grillés, disposé sur une grande assiette. (Les légumes : aubergines, courgettes, poivrons, tomates fraîches).

De nouveaux ramequins furent amenés, avec leurs trois marrons tièdes revenus au beurre.

Enfin, un trio de dessert clôtura cette agape : un ramequin de fruits rouges au mascarpone, deux tranches d'une mangue, deux grosses dattes moelleuses et fraîches.

Le Pommard convint parfaitement et fut fini à la fin du repas, avec le dessert.

Il ne nous restait plus qu'à nous rendre dans la pièce de la cheminée, où une tisane procurée dans une pharmacie à Boulogne-Sur-Mer, appelée « Nuit tranquille », distilla ses saveurs séchées.

 

E CL

 

dimanche, 07 octobre 2012

Ces bêtes qu’on abat : La fin des coches à l’abattoir

 C'est une saga qu'aucun scénariste n'aurait le courage d'écrire. Les films les plus gores ne sont que des comédies Walt Disney en comparaison. Les plus courageux d'entre vous auront sans doute du mal à la suivre jusqu'au bout...

C'est la saga interdite aux profanes.

AlmaSoror est fière de proposer sur son site l'extraordinaire saga de la viande. Celle qu'on ne lit jamais, celle dont on entend jamais parler, celle qui a lieu dans des endroits où l’œil citoyen ne peut pénétrer.

Si vous ne vous sentez pas capable de la lire, sachez que l'enquêteur l'a écrite. Sachez que des milliards d'individus la vivent aux portes de nos villes. Si vous n'êtes pas capable de la lire et que vous êtes capable de consommer le résultat, alors vous êtes un merveilleux citoyen du Meilleur des Mondes.

Voici donc le journal de Jean-Luc Daub, enquêteur dans les abattoirs français.

 Ces bêtes qu'on abat peut s'acheter en version imprimée :

Ou bien se lire sur cette page qui lui est dédié.


La fin des coches à l’abattoir

 

Dans les abattoirs, je pouvais voir des coches regroupées dans des cases d’accueil, présentant des abcès, des escarres, des cachexies, des tétraplégies, des boiteries, des prolapsus1, retournement de matrice… Bref, des animaux en souffrance qui auraient dû faire l’objet de soins vétérinaires, voire d’une euthanasie en élevage. Mais selon les dires d’un éleveur, les soins vétérinaires reviennent plus chers que le prix de l’animal lui-même. Le calcul est donc vite fait. Il arrivait souvent qu’un éleveur envoie à l’abattoir une coche douteuse, tout en sachant qu’elle ferait l’objet d’une saisie, mais cela permet de s’en débarrasser : l’abattoir s’occupe de la mise à l’équarrissage si une euthanasie est faite.

 

Traces de blessures sur tout le corps de cette pauvre truie qui ne peut pas marcher.
Phot Jean-Luc Daub

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En 1997, j’avais déjà soulevé le problème de la prise en charge des coches blessées. Dans un abattoir des Pays de la Loire, un vétérinaire souhaitait mener des actions conjointes avec l’association pour laquelle je travaillais. Mais les dirigeants de l’association n’ont jamais donné suite à la demande du vétérinaire soucieux d’enrayer la maltraitance que subissaient les coches. Le dossier était trop lourd, et puis nous aurions dérangé le Ministère de l’Agriculture, les services vétérinaires et les professionnels de la filière porcine. Le Ministère de l’agriculture, la Direction Générale de l’Alimentation plus précisément, qui avait été informée de ce dossier à la suite de mes enquêtes, n’avait pas donné suite, ni en 1997, ni en 1998, ni en 2001, ni en 2002 et ni en 2003. Pourtant, c’était un gros problème que bien des responsables d’abattoir auraient aimé voir résolu par une action radicale de la part du ministère.

 

L'origine du problème, outre les conditions d’élevage, vient du fait que rien n'est prévu en élevage industriel quand une coche se démarque du lot en ne pouvant plus se tenir debout ou en étant blessée. On ne fait toujours pas venir un vétérinaire. Une inertie de la part des éleveurs est constatée. « On ne fait pas appel au vétérinaire. Trop cher ! On tente parfois de soigner soi-même, et il pouvait y avoir trente à soixante injections sur le même animal », me disait le vétérinaire inspecteur, écœuré des pratiques et du laxisme. La pratique voulait que l’éleveur tente de soigner lui-même la truie malade ou blessée en jouant aux apprentis sorciers. En cas d’échec, il laissait l’état de l’animal se dégrader jusqu’à l’agonie lente pour le faire partir avec un lot. Il faut également savoir qu'aucun contrôle des services vétérinaires n'est prévu dans les élevages intensifs en matière de protection animale. Seules des visites sur les installations classées sont effectuées. « On nous demande de ne pas intervenir, il y a des pressions », m'indiquait le vétérinaire.

 

Les responsables d’abattoirs se seraient bien passés de ces animaux qui souillent les chaînes d’abattage, me confia l’un d’entre eux. Les transporteurs ont beaucoup de mal à charger ces coches qu’ils vont chercher dans les élevages durant la nuit. Elles peuvent peser jusqu’à 250 kilos, voire 300 kilos. Il faut s’imaginer que si l’une d’entre d’elles s’écroule sur le lieu d’élevage dans sa misérable cage métallique, c’est parce qu’elle est arrivée au bout de ce qu’elle pouvait supporter, parce qu’elle n’en peut plus d’être sans cesse inséminée artificiellement et sans cesse, qu’elle devient encombrante et ne répond plus à une prise en charge classique. Tout est mis en œuvre pour, coûte que coûte, charger dans le camion cette coche incapable de marcher. Un chauffeur se plaignait d'être seul pour charger les bêtes. Il commençait sa tournée à une heure du matin. Lorsque des coches blessées étaient mises en évidence afin d’être chargées, il faisait face à d'énormes difficultés pour les emmener. Soit elles étaient chargées à l'aide d'un treuil, soit elles étaient tirées par les oreilles ou par les pattes. Son patron lui demandait de ne pas les emmener, mais les éleveurs insistaient. Cette pression est toujours d’actualité, puisque dans le dernier abattoir de coches que j’ai visité, le directeur m’a dit que les éleveurs obligent les transporteurs à prendre celles qui sont pourtant déclarées inaptes au transport en raison de leur état de santé. De même, le directeur d’un abattoir de coches que j’ai visité récemment m’avoua qu’il était bien obligé de prendre des bêtes qui ne devraient pas arriver en abattoir, sans quoi, ses clients (éleveurs ou groupements d’éleveurs) allaient voir la concurrence, souvent vers des abattoirs plus complaisants. De plus, une baisse des approvisionnements en coches est actuellement importante, car de nouveaux acheteurs comme l’Espagne, l’Allemagne, la Belgique sont plus offrants, et moins regardant dans leurs abattoirs sur la législation européenne à appliquer. C’est encore ces pauvres coches qui en font les frais. Imaginez ces bêtes qu’on a enfermées dans des cages en fer, qui n’ont jamais marché, ni fait d’exercice fortifiant leurs muscles, et qui doivent se tenir en équilibre dans les camions qui partent de Bretagne vers les pays que j’ai énumérés ! Là encore, bien qu’il soit humain de comprendre le souci financier des éleveurs, pensent-ils seulement à ce qu’ils font subir à leurs animaux ?

 

L’arrêté du 5 novembre 1996, modifié par l’arrêté du 24 novembre 1999 relatif à la protection des animaux en cours de transport précise : Art 2 – sont considérés comme inaptes au voyage : les animaux malades ou blessés. Cette disposition ne s’applique ni aux animaux légèrement malades ou blessés dont le transport ne serait pas cause de souffrances…

 

Le décret n° 99-961 du 24 novembre 1999 modifiant le décret n° 95-1285 du 13 décembre 1995 relatif à la protection des animaux en cours de transport stipule qu’il est interdit à tout transporteur ainsi qu’à tout propriétaire, expéditeur, commissionnaire, mandataire, destinataire ou tout autre donneur d’ordre d’effectuer ou de faire effectuer un transport d’animaux vivants si les animaux sont malades ou blessés, ou sont inaptes au déplacement envisagé ou s’il s’agit de femelles sur le point de mettre bas, sauf dans le cas de transports à des sanitaires ou d’abattage d’urgence.

 

La réglementation européenne (n°1/2005 CE) protégeant les animaux lors des transports renforce ces dispositions en précisant la notion d'aptitude au transport. Sont notamment considérés inaptes au transport : « les animaux incapables de bouger par eux-mêmes sans souffrir ou de se déplacer sans assistance et les animaux présentant une blessure ouverte grave ou un prolapsus ». Avec ces réglementations, il ne devrait pas y avoir de problème. Mais tel n’est pas le cas.

 

Dans l’abattoir où travaillait le vétérinaire dont j’ai rapporté les propos, les abattages des porcs et des coches n'avaient lieu que le matin. Or, les camions déchargeaient toute la journée des animaux. Ce qui faisait que toutes les coches en mauvais état, à partir de midi, devaient attendre le lendemain matin avant d'être abattues. Elles étaient déchargées dans une case à part et sans possibilité d’être abreuvées. Certaines agonisaient avant leur abattage, d’autres mouraient tout simplement des suites de leurs blessures. Le vétérinaire n’osait pas euthanasier celles qui étaient mourantes, parce qu’il fallait faire ensuite face au mécontentement de l’éleveur à qui il devait justifier son acte. Sa compétence était souvent remise en cause par certains éleveurs qui voulaient tirer quelque argent des bêtes accidentées ou malades.

 

Dans cet abattoir de Mayenne, j’avais pu assister au déchargement de plusieurs camions. Dès le matin, le chauffeur d’un groupement avait déchargé une coche blessée qui présentait des hématomes, des escarres et un abcès volumineux survenu à la suite d’une fracture ancienne à la patte arrière. Elle était dans un état de maigreur extrême : elle avait été laissée sans soins et sans nourriture plusieurs semaines, selon le vétérinaire. On la descendit du camion en la traînant sur le sol, tirée par une patte au bout d’un câble métallique. Le sol agissait comme une râpe qui lui arrachait la peau. La pratique était courante et ne choquait personne. La coche fut euthanasiée sur place à l’initiative du vétérinaire qui avait effectué une saisie de l’animal, mais sans dresser de procès-verbal pour avoir laissé une truie dans un tel état, pour avoir transporté un animal déclaré inapte au transport et pour l’avoir déchargé au treuil. L’ensemble des faits était pourtant sujets à sanction par procès-verbaux, mais la pression et les menaces étant une chose réelle, le risque de faire perdre le client à l’abattoir aussi, ces paramètres n’étaient pas négligés par les services vétérinaires. Il m’a été dit par un vétérinaire inspecteur : « Si je dressais des procès-verbaux, je ne ferais plus que cela ! ». S’ensuivit le déchargement d’une autre coche présentant un renversement de rectum qui avait été réduit, coupé et pincé. Une autre avait une paralysie arrière. Un petit cochon avait une queue nécrosée qui était tombée (blessure ancienne). Une autre coche boitait de façon prononcée. Une autre présentait des abcès multiples, des traces profondes de la ceinture d'attache qui la fixait au sol sur son lieu d'élevage et des traces d'injection importantes. Trois coches furent amenées ensemble par un transporteur, aucune ne pouvait marcher, elles étaient dans un état critique. Elles furent déchargées à l'aide du treuil. Le chauffeur attacha les coches par une patte arrière et les tira en dehors du camion en les suspendant l’une après l'autre de façon à ce qu’elles ne touchent plus le sol en les poussant, comme si elles n’étaient déjà plus que des carcasses de viande, vers la case de stockage. Par deux fois, le chauffeur déposa les coches sur un petit cochon noir souffrant et couché. Celui-ci, ne pouvant se dégager, hurlait de toutes ses forces et faillit mourir étouffé. J’ai dit au vétérinaire : « Faites quelque chose ! », et ce n’est que sur mon intervention que le petit cochon noir fut libéré. Le cochon agonisait, il resta ainsi jusqu'au lendemain matin, parce que les abattages étaient terminés ce jour-là. Malgré son état, il ne fut pas immédiatement abattu, ni aucune des coches blessées et souffrantes.

 

Les services vétérinaires avaient été informés par courrier des constatations effectuées sur des coches, dont certaines étaient accompagnées d’un relevé d'identité. Mais le vétérinaire m’indiqua que la Direction des Services Vétérinaires concernée suivrait, ou non, l’affaire. Ici, elle ne donna pas suite.

 

Des courriers ont été envoyés aux éleveurs, producteurs de porcs et groupements, à la suite des constatations et des saisies sur patte, rappelant la législation en matière de protection animale. Mais aucun changement réel ne survint. L’abattoir n’a pas intérêt à être trop strict, sans quoi les clients vont ailleurs, vers d’autres abattoirs qui ferment les yeux, m’indiqua-t-il.

 

Le vétérinaire de l’abattoir avait également constaté un manque de soins dû à une malnutrition volontaire sur les lots de porcelets réformés pour raison de surproduction. Il avait noté que certains étaient en très mauvais état. Il n’était pas question pour un éleveur de nourrir convenablement des porcelets, victimes de surproduction, qui finissaient à l’abattoir accompagnés d’une prime à l’abattage volontaire pour réguler le marché. Les éleveurs industriels et intensifs ne sont pas seuls coupables ; nous, les consommateurs, le sommes aussi, car pour l’équilibre de l’économie de la production porcine, il faudrait que l’on mange du porc matin, midi, et soir ! Le vétérinaire me disait que sur certains lots, les trois quarts étaient parfois saisis. Sur un des lots concernés, trente-six porcelets avaient été saisis le même jour.

 

L'absence de contrôle en amont dans les élevages, en matière de protection animale, et le devenir des coches malades ou blessées étaient déjà préoccupants il y a plusieurs années, mais rien n’a été fait par les instances responsables. Le vétérinaire inspecteur chargé de cet abattoir a fini par démissionner tant il lui était difficile de supporter d’être seul à agir. Il souhaitait établir une ligne d'action commune avec les Directions des Services Vétérinaires et l’association, au niveau des groupements, des élevages et des collectes afin qu'on ne retrouve plus de coches en état de misère physiologique dans les abattoirs. Le vétérinaire resta seul à se préoccuper du sort des coches de réforme. « Il y a trop de pression », me disait-il, son entourage et sa hiérarchie ne le suivaient pas. Il était même considéré comme la « bête noire », car il décelait aussi des problèmes sanitaires au niveau des viandes.

 

Concernant les coches réformées et blessées, le directeur de l’abattoir m’avait dit « qu'elles étaient bien mieux agonisantes à l’abattoir à attendre d'être abattues le lendemain, qu'agonisantes dans les élevages sans soins », prétextant qu'elles étaient ici au calme et au repos ! (…et sans une goutte d’eau à boire !).

 

Bien que les abattoirs reçoivent encore des coches blessées et que les conditions de chargement en élevage et de déchargement en abattoir soient à revoir, la situation s’est un peu améliorée pour les coches gravement malades. En effet, depuis la crise de la vache folle, les professionnels ont dû faire attention à l’état des animaux entrant dans les abattoirs. Si cette vigilance partielle des autorités compétentes (puisqu’il y encore des problèmes et des difficultés à dresser des procès-verbaux) a été mise en place, ce n’est pas par pitié pour ces pauvres bêtes ou à cause d’une prise de conscience des éleveurs porcins en intensif, mais parce que la crise de la vache folle a montré, et j’avais pu le constater dans les abattoirs, que des bêtes douteuses ou dites « à risque » passaient sur les chaînes d’abattage et se retrouvaient dans le circuit alimentaire. Toutefois, cela permit de faire baisser le nombre de coches « douteuses » arrivant en piteux état. Du moins, les services vétérinaires sont dorénavant contraints (pour des raisons liées à des risques d’hygiène alimentaire) de saisir les coches en trop mauvais état. Ils sont alors passés à des contrôles plus vigilants, qu’ils auraient pu faire auparavant pour des raisons de protection animale. De plus, les animaux malades sont maintenant théoriquement interdits d’abattoir. Ils doivent en principe être euthanasiés sur le lieu de l’élevage. C’est la crise de l’Encéphalite Spongiforme Bovine qui a impulsé ce changement de comportement. Mais le problème des coches ne pouvant se déplacer par elles-mêmes reste entier étant donné que les conditions d’élevage n’ont pas changé. Une inspectrice vétérinaire travaillant en abattoir m’a récemment confié qu’il y avait moins de coches en piteux état et que, dans le cas échéant, elles faisaient l’objet d’une saisie. En revanche, elle ajouta que celles qui étaient blessées n’arrivaient pas avec un certificat vétérinaire, alors que c’est obligatoire. Les coches « abîmées » peuvent être acceptées, mais l’éleveur doit justifier l’état de l’animal. Elle avoue qu’il n’est pas aisé de faire la différence entre « blessé et abîmé » et que, de ce fait, la situation n’était pas encore parfaite. On peut se demander ce que deviennent les coches malades si elles n’ont plus accès aux abattoirs. D’après la vétérinaire, il faut qu’elles soient soignées ou euthanasiées sur le lieu de l’élevage. Mais qui vérifie l’état de ces animaux, si les éleveurs ne font pas appel aux vétérinaires ? Il m’a été rapporté qu’une des pratiques à laquelle les éleveurs recourent pour tuer une coche qui ne sera pas admise à l’abattoir, au risque d’un procès-verbal, consiste à injecter du vermifuge dans les poumons et de la laisser mourir.

 

Pour nuancer un peu ce tableau très sombre, il y avait des abattoirs où l’on se préoccupait du bien-être animal. Ils ont en effet anticipé la demande actuelle du consommateur qui souhaite que le bien-être animal soit respecté tout au long du parcours, ce qui ne sera jamais effectif, tant que des cochons seront élevés dans des élevages intensifs qui pullulent, en Bretagne par exemple. Un abattoir m’avait particulièrement surpris, puisque des installations avaient été aménagées pour améliorer le confort des coches qui ne pouvaient plus se mouvoir. Il s’agissait, d'une berce, sorte de plateau suspendu sur un rail, qui permettait de faire basculer du camion des animaux blessés et de les transporter dans le box d’attente. On pouvait les déplacer sans les faire souffrir. Cependant, je n’en avais pas vu l’utilisation. Seules des pinces électriques avaient été installées dans le box afin d’étourdir les coches sur place, au lieu de les tirer coûte que coûte vers le poste d’abattage pour les faire passer sur la chaîne. Ainsi, les manipulations semblaient largement limitées. De plus, un service de ramassage spécial avait été mis en place par la coopérative de l’abattoir. Il fonctionnait sur simple appel téléphonique, ce qui permettait de ne plus laisser les coches blessées attendre dans les élevages. De tels aménagements sont à encourager, mais le mieux serait que les éleveurs fassent intervenir un vétérinaire sur le lieu d’élevage (comme l’exige la loi), afin qu’il effectue des soins ou qu’il euthanasie l’animal malade ou blessé. Il serait également préférable, en abattoir, de tuer dans le camion les coches qui ne peuvent se déplacer. Il faut espérer une réaction ferme pour responsabiliser les différents acteurs de cette filière afin que ce problème soit réglé une fois pour toutes.

 

Entre la fin de 2007 et le début de 2008, lors d’enquêtes faites par une association de protection animale auxquelles j’ai participé, nous avons encore constaté des problèmes concernant la prise en charge des « mal à pied » et des coches en question. Nous avons pu obtenir des résultats au cas par cas, les responsables étant soucieux d’apporter une action corrective, et peut-être de ne pas passer au journal de 20h, connaissant le pouvoir médiatique mais aussi toute la compétence et le sérieux de cette association.

 

Pour l’un des abattoirs visités en 2008, nous avons rendu compte le déchargement critique d’un porc charcutier qui ne pouvait pas marcher. Il a été soulevé par une patte avant, au bout d’un treuil, à plusieurs mètres de hauteur. Il a été sorti d’une case pour être mis dans un chariot et dirigé vers le poste d’abattage. Façon de faire assez courante, mais interdite malgré la présence des services vétérinaires. Nous avons par la suite contacté l’abattoir par courrier ce qui a permis d’obtenir un rendez-vous, puis une action corrective.

 

Dans d’autres abattoirs, nous avons vu des coches en piteux état qui n’auraient même pas, selon la réglementation, dû être transportées jusqu’à l’abattoir. Lors de deux contrôles effectués de nuit, nous avons pu voir que des coches incapables de marcher, couchées sur le flanc sur le bord du quai, étaient laissées toute la nuit en situation de souffrance. Elles avaient été déchargées au treuil, l’une d’entre elles avait encore la chaîne autour de la patte. Elles auraient pu arriver pour un abattage d’urgence, avec un certificat vétérinaire d’information, mais ce n’était pas le cas (selon les informations que nous avons obtenues). L’inspecteur vétérinaire ne dresse que six à sept procès-verbaux par an ! Là encore nous avons obtenu un rendez-vous avec la direction, qui nous a pris très au sérieux. Des mesures concrètes ont été prises comme l’interdiction de décharger la nuit, l’interdiction d’utiliser le treuil, alors même qu’un panneau était déjà en place de longue date pour rappeler au chauffeur l’obligation de faire appel à un employé spécialisé au cas où une truie serait couchée dans le camion sans pouvoir se relever. Elle serait alors euthanasiée dans le camion. Cependant, l’animal est euthanasié avec la pince électrique qui sert normalement à étourdir les animaux par un choc électrique. Mais beaucoup d’abattoirs, avec l’aval des services vétérinaires, utilisent la pince électrique pour tuer les coches ou les porcs en mauvais état. Pour moi ce n’est pas vraiment bien, car cela équivaut à une mise à mort par électrocution. Une injection intraveineuse pourrait être faite avec le produit T61, mais il est vrai qu’il est difficile de trouver une veine sur les pattes des porcs.

 

Dans tous les cas, lorsqu’une coche en mauvais état, déclarée inapte au transport, arrive à l’abattoir, elle devrait systématiquement faire l’objet d’un procès-verbal que sont habilités à dresser les services vétérinaires de l’abattoir, et cela contre le transporteur et l’éleveur. Mais, ce n’est que très rarement fait. On prend en considération les difficultés économiques que subissent les éleveurs de porcs intensifs, c’est humain. Mais prend-on en considération la souffrance des animaux provenant de ce genre d’élevage ? Cependant, dans un des abattoirs que j’ai visités, j’ai pu constater un renforcement des actions des services vétérinaires. De nombreuses coches étaient systématiquement saisies et euthanasiées. Des courriers étaient envoyés aux éleveurs, mais hélas, la réticence à dresser les procès-verbaux demeure. En ma présence, alors que le vétérinaire ne savait pas encore que nous étions là, il a effectué une saisie totale (sur pied) d’un verrat paralysé de l’arrière-train. Mais l’animal ne fit l’objet d’aucun procès-verbal alors qu’il était inapte au transport : il ne pouvait pas se déplacer par lui-même. Dans un autre abattoir, une coche blessée qui gisait sur le sol a été étourdie dans la case de stockage, puis dirigée vers le poste de saignée. Elle n’a pas fait l’objet d’un PV, alors que son état de détresse physiologique le justifiait.

 

L’amélioration, pour certains abattoirs, porte sur le fait que les animaux sont maintenant étourdis ou tués dans les camions ou dans les cases de stockage, au lieu d’être tirés coûte que coûte vers le poste d’abattage comme cela se faisait auparavant (en les traînant par les oreilles, au bout d’un câble métallique actionné par un treuil, ou à l’aide d’une barre à mine, comme je l’ai vu faire dans un abattoir de Mayenne).

 

Le problème reste entier, car si certains abattoirs ont fait des efforts en n’acceptant plus les animaux malades ou trop blessés, que deviennent-ils sur le lieu d’élevage ? Il n’est pas fait appel à un vétérinaire et l’éleveur n’a pas le droit de les tuer lui-même. Dans ce cas, que deviennent les coches en mauvais état ? Sont-elles vouées à une mort lente ? Il reste que si certains abattoirs étourdissent dans le camion ou pratiquent l’euthanasie avant le déchargement, cela doit se faire en présence des vétérinaires. Or ces derniers ne sont pas tout le temps présents, notamment la nuit. Les chauffeurs déchargent donc quand même les coches ne pouvant se déplacer. Ce n’est que le lendemain que le vétérinaire inspecte les animaux déchargés en son absence, et qu’il prend une décision. Le sort des coches blessées et malades n’est pas encore satisfaisant, bien que les services vétérinaires en abattoirs soient plus sévères, et il était temps. Le règlement européen (CE n°1/2005) qui a vu le jour en 2005, et qui est applicable au 1er janvier 2007, concernant la protection animale en cours de transport, est un nouvel outil juridique qui devrait permettre de donner plus de poids à l’action des services vétérinaires. Mais le problème des coches mal à pied ne sera réglé que lorsque le mode d’élevage intensif et concentrationnaire sera banni.

 

Pour clore ce chapitre, je voudrais vous dire combien les coches ne sont prises par les éleveurs en intensif que pour des machines à produire des porcelets qui alimentent les centres d’engraissement en porcs charcutiers. Dans un abattoir de la région Rhône-Alpes, un lot de coches se trouvait dans des cases d’attente avant abattage. J’effectuais en dernier la visite de la porcherie et de la bouverie, car il faut circuler pour des raisons d’hygiène, de la partie propre (post abattage) vers la partie sale (ante abattage). J’ai assisté à l’une des choses les plus marquantes qui soient : c’est la mise bas en abattoir, j’en ai déjà parlé précédemment. Une des coches a mis bas des porcelets dans la case, alors qu’elle se trouvait coincée par le peu de place qu’il y avait et que pouvait lui laisser les autres. La pauvre bête n’a pu faire autrement que de faire naître ces petits au milieu des autres coches, sans pouvoir s’isoler.

 

Le vétérinaire inspecteur m’indiqua qu’il allait euthanasier les petits, nés pour mourir ! Sur mon insistance, il m’assura qu’il allait envoyer un courrier à l’éleveur en me laissant croire que ce dernier n’y était pour rien. Ce n’est pas si sûr. Savez-vous qu’il est fréquent que des coches qui sont éventrées pour en sortir les viscères laissent parfois découvrir qu’elles sont porteuses de porcelets. Pourquoi ? Parce que les éleveurs inséminent plus de coches qu’ils n’auront ensuite de place pour les mettre en maternité (dans des stalles en fer). Ils font cela pour être certains de ne pas avoir un problème de rotation et un manque à gagner lié aux places vacantes. Tant pis, de ce fait, si elles portent toutes des petits. Celles qui sont gravides et en trop partiront à l’abattoir lorsqu’un lot de coches réformées y sera envoyé.

 

Une coche est réformée au bout de trois années de mise bas. La gestation dure trois mois, trois semaines et trois jours. La portée est en moyenne de 28 porcelets en intensif, contre 13 à 18 en bio. Le sevrage est de 21 à 28 jours, mais plus souvent 21 jours contre 6 semaines en bio. La fréquence des portées est de 2,5 par an. En bâtiment intensif, il y a au moins 20 % de perte, et très peu en plein air ou bio. En plein air, si une truie écrase un porcelet en se couchant, elle l’entend hurler et se relève aussitôt. En bâtiment intensif, la cage est si étroite, et les truies si faibles qu’elles ne peuvent pas se relever. En intensif, on mélange directement à l’aliment des facteurs de croissance. On leur donnait aussi de la farine animale jusqu’à l’interdiction de cet aliment. En bio, la farine animale était naturellement interdite, l’apport en protéine de soja étant un aliment riche. La castration des porcelets ne peut se faire après 8 jours, c’est une obligation légale. Mais en Bretagne, j’ai surpris un éleveur qui le faisait sur des porcelets de plus de trois semaines, bien entendu il avait un casque sur les oreilles pour ne pas s’abîmer ses tympans à cause des cris de douleur des porcelets. J’avais pu l’observer avant de me présenter à lui. Pas de « mal à pied » en plein air ou en bio, on ne retrouve pas non plus de coches en piteux état ne pouvant plus se mouvoir. En une année, un éleveur bio me disait qu’il n’avait pas vu un seul cas d’abcès à une patte parmi toutes ses truies. Les inséminations se faisaient naturellement par un verrat.

 

Et comme si le sort s’acharnait contre ces animaux de reproduction, un directeur d’abattoir me disait qu’actuellement les éleveurs économisent l’aliment. Vu l’augmentation des denrées destinées aux animaux, les coches sont sous-alimentées. Avant, lorsqu’elles faisaient l’objet d’une orientation vers l’abattoir, en passe d’être réformées, les éleveurs respectaient une période de « retape » en les alimentant davantage pour leur faire prendre du poids. Le directeur reconnaît qu’elles sont plus maigres qu’avant, j’ai pu le constater : les os de la colonne vertébrale étaient saillants sur certaines d’entre elles. La restriction sur l’aliment semble se généraliser.

 

Sachez enfin que les coches sont destinées à faire de la saucisse, du salami, du pâté…

 

 

 

 

 

1 Prolapsus : glissement pathologique d’un organe vers le bas.

 

dimanche, 30 septembre 2012

Ces bêtes qu’on abat : La vie misérable des coches en élevage intensif

 C'est une saga qu'aucun scénariste n'aurait le courage d'écrire. Les films les plus gores ne sont que des comédies Walt Disney en comparaison. Les plus courageux d'entre vous auront sans doute du mal à la suivre jusqu'au bout...

C'est la saga interdite aux profanes.

AlmaSoror est fière de proposer sur son site l'extraordinaire saga de la viande. Celle qu'on ne lit jamais, celle dont on entend jamais parler, celle qui a lieu dans des endroits où l’œil citoyen ne peut pénétrer.

Si vous ne vous sentez pas capable de la lire, sachez que l'enquêteur l'a écrite. Sachez que des milliards d'individus la vivent aux portes de nos villes. Si vous n'êtes pas capable de la lire et que vous êtes capable de consommer le résultat, alors vous êtes un merveilleux citoyen du Meilleur des Mondes.

Voici donc le journal de Jean-Luc Daub, enquêteur dans les abattoirs français.

 Ces bêtes qu'on abat peut s'acheter en version imprimée :

Ou bien se lire sur cette page qui lui est dédié.


La vie misérable des coches en élevage intensif

 

On appelle « coche » la femelle du cochon, plus connue sous le terme de truie. Ces animaux arrivent à l’abattoir par lots entiers lorsqu’elles sont réformées, c’est-à-dire lorsqu’elles ne sont plus rentables. Certains abattoirs sont spécialisés dans l’abattage de ces dernières, ainsi que dans le commerce de leurs carcasses ou quartiers de viande. Ces coches sont élevées dans des systèmes d’exploitation industriels et intensifs : dans des bâtiments clos où la lumière du jour ne pénètre jamais. Ne vous imaginez pas une petite porcherie bien paillée, avec une mangeoire pour l’eau, une autre pour la nourriture, qu’un gentil éleveur viendrait régulièrement remplir en accompagnant ses gestes de mots tendres et affectueux. Non, les coches passent la plupart de leur vie dans des stalles, sorte de cages métalliques où elles ne peuvent bouger : seule la position couchée ou debout leur est possible. La nourriture est automatiquement déversée dans la mangeoire. Dans l’Union Européenne, près de 6 millions de truies sont enfermées par an dans des stalles métalliques de 60 cm à 70 cm de large et de 2 m de long !

 

Truies en salle de maternité, enfermées dans des cages.
Phot Jean-Luc Daub

 

 

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D’ailleurs, dans ce cadre concentrationnaire, métallique et hermétique, l’éleveur à été remplacé par un technicien en production porcine dont la spécialisation peut être la verraterie, la maternité ou le centre d’engraissement. La verraterie est le lieu où l’on détecte les chaleurs des truies ; on tente parfois de les provoquer en utilisant un robot qui pousse un verrat dans les couloirs étroits entre les cages des truies. Le technicien ne se donne même pas la peine de déplacer lui-même le porc mâle, car il faut laisser un certain temps l’animal devant les femelles, et les couloirs de ce genre d’élevage sont longs. Il existe aussi un robot qui remplace le verrat. Il passe entre les truies en dégageant l’odeur du mâle. Le mélange chimique d’une solution aqueuse est vaporisé et, comme dans la nature, la phéromone parvient au groin des truies pour engendrer la

réponse attendue. La verraterie est aussi le lieu où l’on insémine artificiellement les coches, à la chaîne et sans ménagement, en leur enfonçant une longue tige dans le vagin, avant de répandre le sperme prélevé dans des lieux tout aussi sordides sur des verrats qui ne sont considérés que comme des machines à produire du sperme.

 

La maternité est le lieu où sont enfermées les coches avant la mise bas. Elles sont encore et toujours prisonnières des stalles, avec un aménagement industriel et aseptisé pour l’accueil des nouveau-nés. Ces derniers naissent sur un revêtement en plastique, ajouré, pour laisser passer les excréments et les urines. Dès la sortie du ventre de leur mère, les porcelets voient l’enfer du milieu industriel de la production porcine. Leurs petits onglons se prennent dans les fentes du sol en caillebotis, sol inadapté pour eux, mais utilisé pour des raisons pratiques et d’économie de main d’œuvre. Ils ne connaîtront pas la paille, ni la sciure ni même la terre à gratter dans laquelle ils fouinent et dont leurs cousins en élevage biologique ont la chance de bénéficier. Les porcelets, dès leur naissance, ont une mère cloisonnée dans une cage métallique qui ne pourra pas se retourner pour les disperser, s’amuser avec eux ou leur inculquer quelques rudiments naturels. Ils connaîtront, dès les premiers jours, une vie non conforme à leurs besoins physiologiques. Pourtant la réglementation relative à l'élevage, la garde et la détention des animaux issue de l'arrêté du 25 octobre 1982, modifié par les arrêtés des 17 juin 1996 et 30 mars 2000, stipule bien que « l'élevage, la garde ou la détention d'un animal ne doit entraîner, en fonction de ses caractéristiques génotypes ou phénotypes, aucune souffrance évitable, ni aucun effet néfaste sur sa santé (article 2 de l'arrêté du 25 octobre 1982). » Cette exigence figure également à l'article L. 214-1 du Code rural, aux termes duquel tout animal doit être placé par son propriétaire dans des conditions compatibles avec les impératifs biologiques de son espèce. On est donc loin d’une préoccupation du bien-être animal, en raison d’une préoccupation de production à moindre coût, sous couvert des institutions scientifiques et des services de contrôles.

Dans cet univers, et en présence de leur mère impuissante, les porcelets subissent le meulage des dents (soi-disant pour éviter qu’ils ne blessent la mère lors d’une tétée trop prononcée). Mais dans un milieu naturel, ou en élevage biologique, la mère, si elle est gênée par ce genre de problème, a la capacité de se lever et d’interrompre la tétée. Ce qu’une truie dans sa cage ne peut pas faire. L’éleveur — pardon : le technicien ou l’ouvrier porcher — sectionne la queue à vif. Là encore, on nous dira que c’est pour leur bien : parce qu’ils risquent de se manger mutuellement la queue. Ah, bon, avez-vous vu des sangliers qui se mangent la queue en milieu naturel ? Non. Ni même en élevage de plein air. Mais en élevage intensif, il y a des risques, car le confinement concentrationnaire, l’obscurité dans laquelle les porcs à l’engraissement sont plongés, l’impossibilité de pouvoir satisfaire leurs besoins physiologiques (fouiner, gratter), l’impossibilité de s’isoler, l’ennui… font que les porcs subissent un stress (avant d’atteindre un état dépressif). Il arrive alors qu’ils attrapent la queue de leurs congénères, seule activité possible. Les blessures qui en résultent peuvent être graves et provoquer des nécroses. La vérité n’est pas que l’on coupe la queue des cochons pour leur bien, mais que l’on cherche ainsi à éviter une perte financière aux éleveurs.

 

Sachez que les éleveurs qui pratiquent le plein air et l’élevage biologique ne rencontrent pas ce genre de problème. J’allais oublier de parler de la castration à vif des jeunes porcs. La mère, toujours prisonnière dans sa cage, est impuissante devant ce qui se passe et ne peut défendre ses petits qui hurlent de douleur. Lors d’un stage que j’ai effectué chez un éleveur de porcs sur paille, avec des bâtiments ouverts sur la lumière du jour, j’ai effectué moi-même des castrations de porcelets. Les mâles sont castrés en raison de l’odeur que peut avoir la viande à l’âge adulte ou, du moins, au poids atteint pour l’abattage qui est supérieur à 85 kilogrammes. Dans cet élevage, nous prenions le temps de faire une anesthésie locale, sans avoir besoin de mettre un casque sur les oreilles pour nous protéger des hurlements, car les porcelets ne criaient pas. Les dents

n’étaient pas limées, les queues n’étaient pas non plus coupées. De plus, cette opération n’était pas effectuée devant la mère, mais dans un local approprié. Dans un élevage intensif de 1200 truies, les mutilations sont pratiquées devant la mère impuissante. Les cris des porcelets assaillent ses oreilles, et la panique s’empare des autres mères et petits. L’opérateur, lui, a un casque sur les oreilles. Il coince un petit entre ses jambes, la tête en bas, il effectue une incision sur chaque testicule, puis il les compresse l’un après l’autre de façon à faire sortir le gland. Ensuite, il coupe le canal spermatozoïque, tout cela à vif, sans aucune anesthésie, alors que cela relève d’un acte chirurgical. Selon eux, les porcelets ressentent autant la douleur de la castration qu’une piqûre de seringue !

 

Les porcs à l’engraissement sont appelés « porcs charcutiers ». J’ai visité un petit établissement d’élevage intensif de cette sorte dans la Somme en 2008. En entrant, je vis que trois porcs morts avaient été mis à l’écart, au dehors. Deux autres, mal en point, avaient été mis à part dans une case. Un peu plus loin, un autre était également mort et gisait sur le sol. Dans les autres cases, se trouvaient, dans le noir le plus complet, des cochons hagards, apeurés par une présence soudaine. J’ai actionné l’interrupteur qui répandit la lumière blême de quelques néons. De misérables cochons étaient parqués, nombreux, dans des cases de béton au sol en caillebotis. La saleté était répugnante. Le plafond était bas et une forte odeur d’ammoniaque brûlait les poumons. Que peuvent bien faire de leur journée ces pauvres bêtes ? Rien, sinon développer des troubles de comportements, sombrer dans un état dépressif et se laisser mourir. Les queues étaient coupées, et je me disais que, dans ces conditions, la seule activité possible pour les cochons est de mordre la queue du congénère voisin.

 

Je rappellerai toutefois que la réglementation de l’arrêté du 25 octobre 1982 relative à l’élevage, la garde et la détention des animaux stipule que les animaux gardés dans des bâtiments ne doivent pas être maintenus en permanence dans l'obscurité, ni être exposés sans interruption à la lumière artificielle.

Lorsque la lumière naturelle est insuffisante, un éclairage artificiel approprié doit être prévu pour répondre aux besoins physiologiques et éthologiques des animaux. Il est certain qu’il n’y a pas beaucoup de contrôles dans ces élevages. Pour en revenir aux stalles, elles seront interdites à partir de 2013, mais au-delà, les coches (truies) pourront malgré tout être gardées en cage les quatre premières semaines de gestation, ainsi que pendant la période de maternité dans une cage de mise bas. Les truies sont parfois sanglées au sol, d’où elles ne peuvent bouger. Cette pratique devrait disparaître, car elle est interdite depuis le 1er janvier 2007. Mais qui va contrôler cela ?

 

Il est facile de constater le mauvais état de santé des coches à leur arrivée dans les abattoirs : certaines ne peuvent pas marcher et se retrouvent mélangées dans les lots. Elles sont appelées « mal à pied ». Les « mal à pied » concernent tous les porcs boiteux, paralysés de l’arrière-train… Les coches développent, à cause du mode d’élevage qu’on vient de décrire, des problèmes d’aplomb, d’articulation ou des faiblesses musculaires. Ces problèmes sont exclusivement dus à l’élevage intensif, on en retrouve peu ou pas dans les élevages de plein air, biologiques ou dans les élevages extensifs sur de la paille et avec de l’espace. Il y a quelques années, j’avais fait plusieurs visites d’abattoirs spécialisés dans l’abattage des coches. J’avais relevé de gros problèmes concernant la prise en charge de celles qui ne pouvaient pas marcher. Souvent jetées au bas des camions, ou tirées par un treuil électrique, accrochées au bout d’un câble métallique, parfois suspendues et poussées jusque dans la porcherie, les coches malades, blessées ou accidentées étaient malmenées et donc en situation de souffrance. Comme elles étaient dans l’impossibilité de se mouvoir, les employés avaient toutes les peines du monde à les déplacer, elles constituaient un poids pour les exploitants d’abattoirs. Peu prises en considération, elles étaient souvent maltraitées, et elles le restent. Des images filmées par une association française et allemande, dans des abattoirs de porcs français et diffusées au journal télévisé en novembre 2006 le montrent. La législation précise qu’un animal inapte au transport, blessé ou malade, doit faire l’objet d’un contrôle vétérinaire ; celui-ci décide ou non d’euthanasier l’animal sur le lieu d’élevage. Or cela ne se fait pas. Si elles sont blessées et qu’un vétérinaire décide de les envoyer à l’abattoir, elles doivent faire l’objet d’un abattage d’urgence. Mais ce n’est jamais le cas, elles arrivent sans avoir été vues par un vétérinaire, sans le certificat vétérinaire d’information. Lorsque je demandai qu’on me présente le CVI1 pour des coches en piteux état, l’abattoir ou le vétérinaire inspecteur étaient incapables de me montrer le moindre document. Et aucun procès-verbal n’était dressé pour cette infraction. Pourtant le CVI est obligatoire pour tout animal qui arrive blessé à l’abattoir selon l’arrêté du 9 juin 2000, modifié par arrêté du 20 décembre 2000. L’animal malade ou blessé doit faire l’objet d’un diagnostic sur le lieu d’élevage par un vétérinaire qui décide ou non de son envoi à l’abattoir.

 

Les coches qui ne tiennent plus debout sont chargées dans les camions à l’aide de barres en fer, de treuils, tirées au bout d’un câble métallique, ce qui aggrave leurs blessures. C’est interdit, mais c’est encore pratiqué. À l’abattoir aussi, elles sont sorties des camions à l’aide d’un treuil, parfois suspendues jusqu’au poste d’abattage ou tirées par les oreilles. C’est interdit, elles doivent être tuées ou euthanasiées là où elles se trouvent, dans le camion, sur le quai ou dans la case de parcage. Je cite le passage de la Directive Européenne 93/119 : « Les animaux incapables de se mouvoir ne doivent pas être traînés jusqu'au lieu de l'abattage mais être mis à mort là où ils sont couchés ou, lorsque c'est possible et que cela n'entraîne aucune souffrance inutile, transportés sur un chariot ou plaque roulante jusqu'au local d'abattage d'urgence. » (I, 6, annexe A).Lorsque l’une d’entre elles présente des caractéristiques de blessure ou de maladie, la pratique de l’éleveur en intensif consiste à attendre qu’il y ait d’autres animaux dans le même état, pour qu’un lot entier parte pour l’abattoir. Cela sans appeler de vétérinaire et pour faire l’économie d’un transport spécial. Lors du chargement d’un camion, ces coches sont souvent placées avec les autres, si bien qu’elles sont souvent piétinées pendant le trajet par les animaux sains. Certains établissements d’abattage étaient équipés d’un petit camion qui effectuait des navettes en allant chercher les truies qui posaient problème. Cela réduisait considérablement les souffrances de ces truies, en abrégeant leur séjour en élevage.
Mais cela ne se fait plus vraiment, à cause du coût, la carcasse d’une coche ne valant environ que deux cents euros ; sans parler du risque d’une saisie par les services vétérinaires.

 

 

1 CVI : Certificat Vétérinaire d’Information.

 

 

 

 

 

dimanche, 23 septembre 2012

Ces bêtes qu’on abat : Un abattoir qui fonctionne « bien »

 C'est une saga qu'aucun scénariste n'aurait le courage d'écrire. Les films les plus gores ne sont que des comédies Walt Disney en comparaison. Les plus courageux d'entre vous auront sans doute du mal à la suivre jusqu'au bout...

C'est la saga interdite aux profanes.

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Si vous ne vous sentez pas capable de la lire, sachez que l'enquêteur l'a écrite. Sachez que des milliards d'individus la vivent aux portes de nos villes. Si vous n'êtes pas capable de la lire et que vous êtes capable de consommer le résultat, alors vous êtes un merveilleux citoyen du Meilleur des Mondes.

Voici donc le journal de Jean-Luc Daub, enquêteur dans les abattoirs français.

 Ces bêtes qu'on abat peut s'acheter en version imprimée :

Ou bien se lire sur cette page qui lui est dédié.


Un abattoir qui fonctionne « bien »

 

 J’ai visité récemment un abattoir flambant neuf qui fonctionnait bien. D’un point de vue éthique, je n’approuve pas le fait qu’on tue des animaux, mais si l’on doit classer les abattoirs sur une échelle, celui-ci était moins mauvais que d’autres et même mieux que la plupart.

 

J’ai été surpris par le calme des activités et une absence de stress de la part des employés. Cela s’explique peut-être par le fait que cet abattoir neuf offrait de nouveaux outils de travail, comptait des postes bien aménagés. Tout cela contribuait à de meilleures conditions de travail que dans les autres abattoirs. Peut-être la faible production, c’est-à-dire la faible capacité des tueries, faisait-elle que les activités se déroulaient dans un calme apparent, le personnel ne subissant pas le stress des grands abattoirs où les cadences sont infernales. Ces conditions apportent un mieux-être animal certain, si l’on peut parler de bien-être animal dans un abattoir. Néanmoins, un plus existait en comparaison d’autresabattoirs et, dans ce cas, c’est cela qu’il faut prendre en compte puisque, pour l’instant, il n’est pas possible de faire disparaître les abattoirs.

 

Lors des abattages classiques, les bovins étaient conduits avec ménagement de la stabulation vers le poste d’abattage. Les employés, qui n’étaient pas poussés par des cadences à respecter, prenaient tout leur temps pour conduire les animaux. Ces derniers, dont je ne pouvais dire s’ils ressentaient ou non le stress, se laissaient mener calmement. Ils étaient conduits dans un box rotatif qui servait également pour l’abattage rituel. Une fois le piège refermé sur l’animal, un employé étourdissait les animaux en l’appliquant un pistolet à tige perforante sur la partie frontale. Les bovins tombaient aussitôt dans un état d’inconscience, une porte latérale était alors ouverte, permettant d’attacher les bovins par une patte arrière et de les suspendre avant de les saigner à la gorge. Ces opérations étaient effectuées rapidement, ce qui est important pour laisser le moins longtemps possible les animaux dans un état comateux après l’étourdissement.

 

Quant aux porcs, ils arrivaient par un couloir étroit qui finissait dans un piège : un box rectangulaire ouvert sur le dessus. La porte se refermait derrière chaque porc. Un employé les étourdissait à l’aide d’une pince électrique en l’appliquant pendant un bref instant derrière les oreilles. Les cochons tombaient instantanément dans un état d’inconscience, une porte latérale était ouverte et les cochons tombaient sur une table qui permettait à l’employé d’effectuer aussitôt la saignée. Ils étaient ensuite suspendus par une patte arrière. Par nature plus criards et plus sensibles, les cochons étaient un peu plus apeurés que les bovins ou, du moins, cela se constatait plus facilement. Mais les employés faisaient le maximum pour les ménager. On pourrait me dire que le mieux qu’un employé aurait pu faire pour ces cochons aurait été de ne pas les tuer. C’est vrai, mais tant que persistera la demande en produits carnés, il y aura des abattoirs. C’est donc aux consommateurs qu’il faut s’adresser, afin que, s’ils ne veulent pas arrêter de manger de la viande, ils en réduisent au moins la consommation.

 

Chaque poste d’abattage était bien équipé, doté du matériel prévu pour un abattage dans de bonnes conditions de sécurité pour le personnel et de « bien-être » pour les animaux. Ainsi, le poste d’abattage des ovins était pourvu d’un piège mécanique qui permettait de coincer l’animal pour qu’il ne coure pas dans tous les sens dans le local, permettant à l’employé de ne pas rater son abattage. Ce piège servait également à l’abattage rituel pour éviter, comme cela se pratique encore, de suspendre l’animal par les pattes arrière alors qu’il est encore vivant.

 

Le box rotatif des bovins permettait d’effectuer l’abattage rituel dans de bonnes conditions, car à l’intérieur, des volets pouvaient se rabattre pour pratiquer au mieux leur contention, quelle que soit la taille des bêtes. Le sacrificateur musulman était muni de l’autorisation lui permettant de pratiquer un abattage rituel. La stabulation était également bien conçue avec quelques box libres et des logettes à une entrée, et une sortie. L’ensemble était pourvu d’abreuvoirs. La stabulation était accolée aux postes d’abattage, évitant ainsi aux animaux de parcourir des distances trop longues, et aux employés un grand nombre de manipulations.

 

En somme chaque poste avait été bien pensé, dans le respect scrupuleux des directives réglementaires en vigueur. L’absence de stress chez les employés permet, c’est certain, de ne pas en communiquer aux animaux. Il serait préférable d’avoir plusieurs petits abattoirs à proximité des élevages où l’animal est pris en compte, plutôt que les grosses structures actuelles où l’animal vivant n’est qu’un produit qui sert à alimenter les chaînes d’abattage afin d’éviter des trous dans les cadences.

 

dimanche, 16 septembre 2012

Ces bêtes qu’on abat : Mon premier marché aux bestiaux

 C'est une saga qu'aucun scénariste n'aurait le courage d'écrire. Les films les plus gores ne sont que des comédies Walt Disney en comparaison. Les plus courageux d'entre vous auront sans doute du mal à la suivre jusqu'au bout...

C'est la saga interdite aux profanes.

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Voici donc le journal de Jean-Luc Daub, enquêteur dans les abattoirs français.

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Mon premier marché aux bestiaux

 

Mon premier contrôle de marché aux bestiaux date de 1995. Certes, les événementsse sont déroulés il y a quelques années, et des progrès ont été accomplis sous la contrainte des enquêtes de protection animale diligentées par des associations non gouvernementales ; mais aussi à la suite de la crise de la vache folle. En effet, les bovins blessés, malades et douteux qui transitaient par les marchés, pour être vendus et finalement abattus pour la consommation, ont fini par faire l’objet d’une attention particulière des services sanitaires, parce que ces animaux risquaient de se révélerporteurs de l’Encéphalite Spongiforme Bovine ou de toute autre maladie rendant la viande impropre à la consommation.

 

Il était 7 heures 45 lorsque je me rendis sur un marché aux bestiaux de Bretagne. Si certains animaux étaient traités convenablement, il y avait par contre beaucoup de brutalité et de coups violents distribués tous azimuts. Aux environs de 9 heures 30, et à plusieurs reprises, j'ai fait appeler la Direction des Services Vétérinaires pour qu’elle intervienne, puis j'ai téléphoné à l’abattoir le plus proche, mais personne n'a répondu. Sur place, on m'a dit que la DSV était déjà passée. J'ai parlé concrètement des problèmes rencontrés au responsable du marché, mais son amabilité n'a pas pu cacher son hostilité. Il souhaitait me voir partir très vite.

 

Aucun animal ne fut abreuvé en ma présence, il n’y avait pas d'installations prévues à proximité des bêtes. Certains animaux étaient là depuis la veille, sans rien à boire ni à manger, alors même qu’ils avaient pu faire de longs transports avant d’arriver sur le marché. Beaucoup de bovins attendaient plusieurs heures, sous le soleil de l’été, dehors et dans les camions. Bien en retrait du hall où se négociait le prix des bêtes, j’ai vu l’échange d’un veau se faire entre deux camionnettes qui se trouvaient côte à côte. L’animal, qui devait avoir deux ou trois mois, semblait en bonne santé ; il ne portait

apparemment pas de boucle d’identification. Les deux hommes l'ont fait descendre de la camionnette immatriculée en Mayenne en le portant par la tête et la queue, et l'ont fait remonter dans l'autre camionnette immatriculée en Ille-et-Vilaine.

 

Dans les allées, les marchands en bestiaux faisaient courir les bovins. On a fait courir une vache qui avait vécu à l'attache (dont on apercevait les traces sur sa nuque) et qui avait les mamelles pleines. Une pauvre bête qui n’avait jamais couru de sa vie. Les autres animaux étaient frappés à coups de bâtons quand ils passaient devant les négociants. Deux personnes ont fait courir un veau pas très gros qui, sans rencontrer pourtant aucun obstacle, est tombé par terre. Il fut violemment frappé et reçut des coups de piles électriques sur la partie anale. L'animal se releva et les deux hommes le firent de nouveau courir.

 

D'autres personnes faisaient entrer un trop grand nombre de bovins dans des enclos sur un quai de déchargement qui ne pouvait tous les contenir. Les animaux restés dans l'allée étaient frappés, alors qu'ils ne savaient où aller et ne pouvaient pas avancer.

 

Certains camions étaient hauts et très mal équipés pour faire monter les bovins. La plupart des bœufs, sous le hall de présentation, étaient très serrés les uns contre les autres et attachés la tête en bas. Ils ne pouvaient pas se coucher. Une vache avait beaucoup saigné, elle avait certainement mis bas peu de temps avant. Plusieurs bovins d'un même groupe boitaient et gardaient une patte en l'air. Une vache isolée avait un œil crevé, une autre une tumeur. Un veau avait l'oreille entaillée jusqu'à la boucle d’identification.

 

Un veau en mauvais état était couché dans une camionnette dont deux hommes essayaient de le sortir. Je suis intervenu. Ils m'ont dit qu'il avait de l'arthrite et que tout le monde pouvait en avoir. Ils ont réussi à le sortir, mais le veau se déplaçait très difficilement. Camionnette immatriculée en Ille-et-Vilaine. Un autre jeune veau d'environ trois mois souffrait aussi. Il ne pouvait pas se déplacer et ne se tenait pas sur ses pattes arrière. Un autre avait la peau sur les os.

 

Les animaux malades ou en piteux état étaient

regroupés au même endroit. On m'a dit qu’il s’agissait de négociants qui les achetaient pour les revendre aux boucheries musulmanes. J'ai vu à plusieurs reprises des négociants faire avancer les animaux à coups de ciseaux. Un négociant avec qui j'ai discuté m'a montré comment il faisait avancer les bêtes avec son couteau pointu. Trois taureaux étaient attachés la tête très près du sol ; l'un saignait de la gueule et un autre présentait des coupures régulières et fraîches sur le dos et sur le côté droit. Il était courant de donner des coups d’aiguillon (sorte de clou dépassant de l’extrémité du bâton) pour déplacer les animaux.

 

Trois hommes frappaient une vache pour la faire monter dans un camion. Elle avait une plaie ouverte sur la croupe à force de recevoir des coups. J'ai relevé le numéro du camion, mais un des trois hommes, de forte corpulence, m'a demandé ce que j'avais noté. Je lui ai répondu que cela ne le regardait pas, il m'a alors saisi et m’a menacé pour que je lui donne mes notes. Il a crié aux autres que j'avais noté quelque chose. Lorsque j'ai voulu partir, il a été encore plus violent et m'a menacé avec son bâton. Les autres négociants m'ont alors entouré. Je lui ai donné le papier, pour le calmer. Il devint furieux quand il vit le numéro du camion, les autres l'ont retenu et m'ont dit de partir. J'ai été bousculé et l'individu en question m'a porté un coup dans le bas du dos avec son bâton. Cette personne, bien connue des autres négociants, m’a, depuis, de nouveau agressé sur un autre marché de Bretagne.

 

Lorsque des images de maltraitance d’animaux sur les marchés étaient diffusées à la télévision, les acteurs de la filière viande se défendaient en disant que les images provenaient de l’étranger. Mais si j’avais pu filmer moi-même tout ce dont j’ai été témoin sur les marchés de France, le scandale n’en aurait été que plus grand. Je pense à cette vache, sur un marché de la Manche, si maigre et si incapable de marcher que lorsqu’elle tombait, les négociants la frappaient violemment pour la faire se relever. Ils appelaient ce genre de vaches des tréteaux. Sur un autre marché aux bestiaux, pas moins de cinq cadavres de bovins ce jour-là étaient étendus sur le sol. J’ai fait euthanasier par un vétérinaire une vache qui souffrait, un autre bovin d’une

maigreur extrême agonisait en contrebas d’un quai, et trois autres bovins étaient morts (sur le tas de fumier ou au bord d’un quai). Pour leur défense, les négociants en bestiaux disaient que ce n’étaient pas leur faute si les bêtes avaient atteint cet état, qu’il fallait voir cela avec l’éleveur. Mais, rien ne les obligeait à faire le commerce de bêtes en état de souffrance, sinon l’attrait de quelques billets de plus, que rapportait la transformation des vaches malades et blessées en steak haché.

 

Le ménage sur ces marchés aux bestiaux a été fait grâce à la crise de la vache folle, mais pas par les autorités compétentes qui avaient peur de mener des opérations de contrôle en raison de tentatives d’intimidation, de pneus crevés sur le parking, etc. Deux techniciens vétérinaires se sont fait boucler dans un bureau, et une vétérinaire fut volontairement enfermée avec un taureau dans un enclos, tout cela sur le même marché… Moi-même, sur un marché où se trouvaient ce jour-là cinq cadavres de bovins, je me suis fait mettre à la porte manu militari par le responsable du marché, qui était également éleveur.

 

 

 

 

 

 

dimanche, 09 septembre 2012

Ces bêtes qu’on abat : Un abattoir de porcs

 C'est une saga qu'aucun scénariste n'aurait le courage d'écrire. Les films les plus gores ne sont que des comédies Walt Disney en comparaison. Les plus courageux d'entre vous auront sans doute du mal à la suivre jusqu'au bout...

C'est la saga interdite aux profanes.

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Voici donc le journal de Jean-Luc Daub, enquêteur dans les abattoirs français.

 Ces bêtes qu'on abat peut s'acheter en version imprimée :

Ou bien se lire sur cette page qui lui est dédié.


 

Blessure ancienne à la patte d’une truie ne pouvant pas marcher emmenée coûte que coûte à l’abattoir.
Phot Jean-Luc Daub

abattoirs, condition animale, transports animaux, végétarisme, protection animale, droits des animaux, Jean-Luc Daub, Ces bêtes qu'on abat, maltraitance, législation animale, viande ; animaux, animal ; bêtes, fraternité, abattage rituel, halal, hallal, casher

 

Un abattoir de porcs

 

Alors que je visitais, en Bretagne, un abattoir de porcs encadré par une vétérinaire, par une responsable qualité, par le directeur et par un technicien vétérinaire, j’assistai impuissant à un déchargement de cochons ne pouvant pas marcher. Le chauffeur utilisait un fil de fer qu’il sanglait autour d’une patte, puis tirait les cochons en les faisant glisser sur le sol. Cette pratique est interdite. Le technicien vétérinaire m’indiqua qu’il aimerait voir disparaître cette façon de faire, et qu’il allait s’en occuper. Il me confia à l’oreille, alors que les autres personnes étaient devant nous, qu’avant son arrivée la façon de déplacer les cochons ne pouvant pas marcher était encore pire. En effet, pour ceux restés couchés dans les camions, immobilisés par une blessure ou un handicap, les employés et les chauffeurs utilisaient tout simplement un crochet qu’ils passaient par l’anus, déchirant la chair des animaux, et les tiraient ainsi sur le sol. Peut-on imaginer les souffrances endurées par les porcs ? Le jeune technicien vétérinaire avait pu s’opposer à cette pratique et la faire disparaître. Je salue le courage de cette personne, car il n’est pas facile de faire cesser des méthodes anciennes, surtout lorsque l’on agit au nom de la protection animale. D’autant plus qu’à l’époque, on ne bénéficiait pas de la pression des consommateurs concernant les conditions de manipulations et d’abattages des animaux. Se préoccuper de protéger les animaux n’était vu que comme une perturbation de la production et du bon déroulement économique, qui avance tel un rouleau compresseur.

 

Dans cet abattoir, un porcher s’occupait en permanence des arrivages de cochons. Les camions étaient déchargés sur un quai en passant par de longues cases en béton (2300 places) et étaient répartis en fonction d’un système informatisé que les chauffeurs consultaient. Au déchargement, les porcs étaient douchés, se reposaient pendant deux heures, puis étaient de nouveau douchés avant d’être abattus. Cinq personnes, à l’aide de planches en plastique vert et de Movets (sortes de petites plaquettes montées les unes sur les autres qui font du bruit lorsqu’un employé frappe les porcs), allaient chercher les cochons et chargeaient le Restrainer en flux continu (830 cochons à l’heure). À la sortie, les porcs étourdis automatiquement (700 V) étaient saignés au trocart sur un tapis par cinq personnes en même temps en raison de la cadence élevée des abattages.

 

Les cochons et les truies estropiés, blessés ou douteux (c’est-à-dire peut-être porteurs d’une maladie), étaient laissés sur le quai. À l’aide d’une brouette (appelée ambulance), ces animaux étaient répartis dans deux endroits différents. La brouette peut être déplacée avec un petit tracteur vers des cases (pourvues d’une pince électrique de modèle Étime mobile) destinées à ceux qui ne peuvent marcher et qui sont susceptibles d’être euthanasiés. L’autre case était proche du poste d’abattage, les porcs et les coches ne pouvant passer dans le Restrainer y étaient rassemblés. Ces animaux ne sont abattus qu’en fin de chaîne. Quelques coches et porcs se trouvaient en attente, certains gisaient sur le flanc, et agonisaient. Au centre du local, un treuil permettait de tirer par une patte les coches pour les sortir des camions. Une pancarte indiquait pourtant qu’il est interdit de les suspendre. Deux pinces Etime mobiles permettent l’étourdissement dans le local avant de les saigner sur la chaîne. Deux contrôles ante mortem, répartis dans la journée, sont effectués par l’inspecteur vétérinaire. L’euthanasie des porcs et des coches saisis sur pied est effectuée par le vétérinaire. Cependant, ils sont mis à mort par électrocution (sans être saignés), en appliquant la pince derrière les oreilles pendant une minute, puis sur le cœur. (La saignée sur le quai n’est pas approuvée par les services vétérinaires.)

 

En notre présence, le porcher emmena un porc dans la nacelle du tracteur, l’animal se retrouva ensuite coincé sous la brouette, la tête en bas et les pattes de derrière en l’air. On m’a dit qu’il était tombé de la brouette lors de son transfert.

 

 

mercredi, 05 septembre 2012

Ultime surprise du jour : une taverne québecoise

taverne du Saint-Sacrement, boire et manger, Québec, Mavra Nicolaïevna Novogrochneïeva

Merci à Mavra pour cette photo québécoise d'un jour de prime-septembre 2012

dimanche, 02 septembre 2012

Ces bêtes qu’on abat : Étourdissement de bovins

 C'est une saga qu'aucun scénariste n'aurait le courage d'écrire. Les films les plus gores ne sont que des comédies Walt Disney en comparaison. Les plus courageux d'entre vous auront sans doute du mal à la suivre jusqu'au bout...

C'est la saga interdite aux profanes.

AlmaSoror est fière de proposer sur son site l'extraordinaire saga de la viande. Celle qu'on ne lit jamais, celle dont on entend jamais parler, celle qui a lieu dans des endroits où l’œil citoyen ne peut pénétrer.

Si vous ne vous sentez pas capable de la lire, sachez que l'enquêteur l'a écrite. Sachez que des milliards d'individus la vivent aux portes de nos villes. Si vous n'êtes pas capable de la lire et que vous êtes capable de consommer le résultat, alors vous êtes un merveilleux citoyen du Meilleur des Mondes.

Voici donc le journal de Jean-Luc Daub, enquêteur dans les abattoirs français.

 Ces bêtes qu'on abat peut s'acheter en version imprimée :

Ou bien se lire sur cette page qui lui est dédié.


Étourdissement de bovins

 

Dans un abattoir de la région parisienne, l’abattage classique des bovins était critiquable. Les animaux empruntaient un chemin d’amenée qui montait progressivement vers un box rotatif à usage mixte. C’était un box agréé pour gros bovins, mais modifié pour les veaux. Je n’ai pas assisté aux abattages rituels car je suis arrivé le jour où ils n’avaient pas lieu, mais 80 % du temps est réservé à cette pratique. Pour ce qui concernait l’abattage classique, les bovins étaient assommés à l’aide d’un Matador A22 GBEV dans le box rotatif, par l’ouverture du dessus. L’animal était ensuite évacué par une porte latérale vers le local de saignée. Les étourdissements sur les gros bovins n’étaient pas entièrement satisfaisants. En effet, certains semblaient conscients, mal étourdis, les bovins n’étaient pas, comme on peut le constater d’habitude, complètement assommés après l’utilisation du Matador. En ma présence, deux se sont relevés conscients alors même qu’une perforation du crâne après l’utilisation du pistolet à étourdissement avait été effectuée. L’employé a réutilisé le Matador en l’appliquant une deuxième fois dans l’orifice créé par la première utilisation.

 

Saignée du bovin après son étourdissement au pistolet à tige perforante.
Phot Jean-Luc Daub

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Pour d’autres bovins, on pouvait voir qu’ils n’étaient pas complètement étourdis, l’employé ayant beaucoup de mal à passer la chaîne autour de la patte arrière. Certains animaux clignaient des yeux, ce n’étaient pas des réflexes nerveux. Faisant état de mes constatations sur l’étourdissement des bovins à l’employé, je lui demandai si le Matador était assez puissant. Il me répondit qu’effectivement d’habitude cela marchait mieux, mais que le joint intérieur du Matador avait été changé et que par conséquent il fallait du temps pour qu’il s’assouplisse. Il semblait en effet que la tige du Matador ne rentrait pas assez profondément dans le crâne des bovins. Le joint empêchait ou freinait la détente de la tige. J’en ai parlé au

directeur et au président de l’abattoir.

 

En outre, il n’était pas toujours possible d’effectuer la suspension rapidement. Les animaux se plaçaient mal à la sortie du box rotatif. Parfois, les bovins restaient accrochés dans le box rotatif par une patte arrière, ce qui les empêchait d’avoir le dos contre le box et les pattes vers le local. Or, cette position est requise pour que l’employé puisse convenablement et en toute sécurité passer la chaîne de suspension autour d’une patte arrière. Le problème vient de l’inadéquation entre le piège et le système de suspension. D’après moi, il s’écoule trop de temps entre cette manipulation et la saignée, même lorsque celle-ci intervient rapidement. Le plus rapide serait de saigner les bovins à la sortie du piège sur le sol, après étourdissement. La suspension pourrait venir ensuite, alors que le sang s’écoulerait. Cela serait beaucoup mieux mais, pour des questions d’hygiène, les services vétérinaires ne veulent pas.

 

Il est pourtant possible de mieux faire, puisque dans un abattoir de bovins se trouvant dans le Morbihan, la suspension intervenait très rapidement. L’employé baissait le palan et la chaîne, qui se trouvent au-dessus du box rotatif, de sorte qu’il était prêt à suspendre les bovins avant même d’avoir procédé à l’étourdissement. C’est de fort bon sens, mais ce n’est pas toujours une évidence dans d’autres abattoirs. J’ai même déjà assisté à une aberration. En effet, des employés qui venaient d’étourdir un bovin, au lieu de procéder tout de suite à l’évacuation, à la suspension et à la saignée, prenaient le temps de recharger le pistolet à tige perforante avec une cartouche. Manœuvre qui devrait être faite après la prise en charge finale de l’animal. Dans l’abattoir du Morbihan, ce n’était pas le cas, le pistolet était rechargé après, et les bovins étaient évacués du box rotatif sans perte de temps grâce au palan qui fut descendu avant l’étourdissement, ce qui permettait une saignée rapidement exécutée. De plus, une plaque en inox posée à plat sur le sol devant la sortie du box rotatif, avec un bord relevé au bout, permettait de stopper la chute des bovins, et de les bloquer sur le dos. Les pattes arrière étaient alors très accessibles pour effectuer la suspension. Je n’ai pu voir dans aucun autre abattoir

des manipulations aussi rapides, mais cela prouve qu’il est possible de mieux faire.

 

Dans cet abattoir de la région parisienne, en comparaison d’autres abattoirs munis du même matériel, j’ai trouvé l’étourdissement des bovins insuffisant et la suspension jusqu’à la saignée beaucoup trop longue. En plus, les employés n’attendaient pas la fin de la saignée pour intervenir. Alors que le sang s’écoulait encore et à plein débit, ils découpaient les antérieurs, puis la tête. À ce moment-là, les bovins n’étaient pas toujours morts. On pouvait voir un employé qui avait du mal à couper les antérieurs, le bovin les retirait systématiquement et s’agitait. De lui-même, l’employé comprenait qu’il fallait encore attendre. Le directeur et le président de l’abattoir m’ont dit qu’ils étaient obligés d’aller vite après l’étourdissement. Cela parce qu’ils n’avaient que vingt minutes pour dépouiller les animaux selon les normes des services vétérinaires et que par conséquent, ils ne pouvaient pas attendre la fin de la saignée. Si les opérations d’assommage et de suspension étaient plus rapides, il n’y aurait pas de problème de délai lors de la saignée ; car les employés doivent attendre la fin totale de l’écoulement du sang avant de procéder à toute découpe.

 

 

 

 

 

vendredi, 31 août 2012

Un monde parfait

Les murs des villes nous dévoilent un monde parfait, un monde sans misère en Afrique et sans rides sur les visages européens, où la solidarité, la diversité et le grand métissage éliminent à tout jamais l'intolérance et l'individualisme. Un monde où les gens arrêtent de fumer et où ils marchent une demi-heure par jour, un monde où les cinq portions quotidiennes de légumes sains emplissent nos corps et où la vache qui rêve dans les champs sourit à l'idée d'être bientôt mangée par un bon citoyen.

Dans ce monde merveilleux qui nous domine, ce monde des affiches publicitaires, sanitaires et associatives, reste-t-il une place pour ton coeur ? Oui, bien sûr, à condition qu'il soit conforme.

C'est ce monde que je te dévoile, via ces affiches que j'ai vues et prises en photo au moyen de mon téléphone androïde HTC.

ECL

 

Pour voir ces images en grande taille, clique ci-dessous et tu rajeuniras :

dimanche, 26 août 2012

Ces bêtes qu’on abat : Suspension des veaux en pleine conscience

 C'est une saga qu'aucun scénariste n'aurait le courage d'écrire. Les films les plus gores ne sont que des comédies Walt Disney en comparaison. Les plus courageux d'entre vous auront sans doute du mal à la suivre jusqu'au bout...

C'est la saga interdite aux profanes.

AlmaSoror est fière de proposer sur son site l'extraordinaire saga de la viande. Celle qu'on ne lit jamais, celle dont on entend jamais parler, celle qui a lieu dans des endroits où l’œil citoyen ne peut pénétrer.

Si vous ne vous sentez pas capable de la lire, sachez que l'enquêteur l'a écrite. Sachez que des milliards d'individus la vivent aux portes de nos villes. Si vous n'êtes pas capable de la lire et que vous êtes capable de consommer le résultat, alors vous êtes un merveilleux citoyen du Meilleur des Mondes.

Voici donc le journal de Jean-Luc Daub, enquêteur dans les abattoirs français.

 Ces bêtes qu'on abat peut s'acheter en version imprimée :

Ou bien se lire sur cette page qui lui est dédié.


Suspension des veaux en pleine conscience

 

Dans un abattoir d’Alsace pratiquant massivement l’abattage rituel, je m’étais directement rendu sur le quai de déchargement où un transporteur, aidé de deux employés, déchargeait un camion de veaux d'engraissement (provenant d'élevages en batterie), âgés de 5 à 6 mois. Le numéro sanitaire sur les boucles des veaux indiquait, tout comme l’immatriculation du camion, que les bêtes provenaient du Cantal. Les animaux demeuraient dans une bonne épaisseur d'excréments. Le chauffeur m'a d'abord dit qu'il les avait chargés la veille, dans l'après-midi ; puis il se rétracta et me dit les avoir chargés dans le courant de la nuit. Les veaux étaient assoiffés ; dans les enclos de stabulation dépourvus d’abreuvoirs, ils léchaient les barrières métalliques humides. Ils attendirent deux heures avant d'être abattus, sans être abreuvés pendant cette attente.

 

Le déchargement des veaux fut effectué dans des conditions lamentables. Le conducteur plaça l'arrière du camion face aux stabulations, fit descendre la passerelle (très abrupte) et déchargea les animaux au sol. À l'intérieur de la remorque, un employé muni d'un bâton électrique, poussait vers l'extérieur les veaux qui sautaient et trébuchaient les uns par-dessus les autres, et tombaient dans la pente de la passerelle. Dans le couloir des stabulations, les veaux coincés refusaient d'avancer. L'employé muni du bâton électrique leur envoyait des décharges sur le mufle, dans la gueule, dans les oreilles ou même dans les yeux, pour les faire avancer. On pouvait les entendre meugler sous les coups de pile électrique.

 

Je me suis présenté à la directrice qui s'est immédiatement mise en colère. Elle était très mécontente que je sois revenu (encore une fois visiter son établissement). Elle m'a demandé si je n'avais rien d'autre à faire que de venir l'embêter pour des animaux, juste avant les fêtes ! Selon elle, il y avait des choses plus importantes à faire.

 

L'abattage rituel des ovins était terminé. J'ai donc assisté, accompagné de la directrice, à l'abattage rituel des veaux. Celle-ci était quelque peu contrariée car l'abattage allait être effectué dans le box rotatif qui, apparemment, n’était pas utilisé d’habitude. Je le compris en voyant que ma présence désorganisait un déroulement habituel, car le personnel semblait perturbé à l’idée d’utiliser le box. Quatre employés, en plus du sacrificateur, avaient préparé le box. Quatre employés au seul poste d’abattage, cela ressemble, de toute évidence, à une mise en scène. Les premiers sacrifices de veaux ont eu des allures d'essai et les regards que l'on me portait étaient pesants. Un premier homme a fait entrer un veau dans le box à l'aide d'un bâton électrique tout en guidant son équipier qui actionnait les boutons pressoirs. Deux volets, à l'intérieur du box, se sont alors rabattus sur le derrière du veau, poussant l'animal vers l'avant dont la tête sortait par l'ouverture. Une partie latérale à droite s'est avancée verticalement, comprimant ainsi le veau. La plaque avant du box fut actionnée jusqu'à ce que l'ouverture soit obstruée et que, seule, la tête dépasse. La mentonnière a alors soulevé la tête du veau et un employé a effectué la rotation du box, le sacrificateur l'a ensuite saigné. Puis, on remit le box en position normale. Un volet qui éjecta l'animal fut actionné. Les opérations étaient lourdes et longues à effectuer. La directrice décida alors de ne pas faire passer le veau suivant par le box, de le suspendre avant la saignée, bien que cela soit interdit, mais pour me faire apprécier la facilité d’exécution lorsque l’on procède de manière illicite.

 

Dans ce cas de figure, le veau n'a pas à emprunter le chemin d'amenée du box, ce qui réduit la distance à parcourir et les manœuvres à effectuer par le personnel. On a fait entrer le veau dans la salle d'abattage, juste à côté du box. On lui a ensuite enroulé une chaîne autour de la patte arrière et on l'a suspendu par un crochet qui le soulevait du sol de manière mécanique. Le sacrificateur ne se pressait pas pour le saigner. Après l’accomplissement de l’égorgement en pleine conscience, la directrice, satisfaite, m'a expliqué que c'était plus rapide, plus simple et moins dangereux pour le personnel. Le veau ainsi abattu serait aussi moins stressé. C’est certain, les boxes rotatifs sont stressant et source de souffrances pour les veaux, surtout lorsqu’ils ne sont pas adaptés à leur petite taille. Le mieux, si l’abattoir est mal équipé, c’est de ne pas procéder à l’abattage rituel. La vraie solution n’est pas d’enfreindre la loi pour satisfaire une demande.

 

L'abattage s'est poursuivi dans le box rotatif, jusqu'à ce qu'un cylindre hydraulique tombe en panne. Le reste des veaux a donc été abattu en étant suspendu en pleine conscience. Et la directrice d'ajouter: « Vous voyez, c'est quand même beaucoup mieux comme ça ! ». J’ai pu savoir, par la suite, que d’habitude les veaux étaient suspendus conscients dans le local d'abattage des ovins où se trouvaient de grosses chaînes et de gros crochets qui leur étaient réservés, à côté de crochets plus petits pour les moutons.

 

Bovin épuisé et apeuré dans un camion.
Phot Jean-Luc Daub

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samedi, 25 août 2012

Jadis, en deux-chevaux

IMAG5075.jpg

Par Edith

Stéphanie est apparue belle et élégante dans un jean gris et un haut noir. Blondeur douce dans la grisaille tiède de ce jour d'août. Le quinzième arrondissement était toujours aussi mystérieux, si peu parisien, si animé pourtant, familial, en travaux, toujours chargé du poids de la quotidienneté, sans lieux ni espaces hors du temps, et cependant si vide ce 24 août, comme suspendu, ballant, en instance entre deux vies scolaires. 

Nous avons parlé de vin et des copains de la formation viticole, des enfants à avoir ou pas, et des réflexions désagréables entendues ces derniers temps, nuages mentaux ayant embrumé l'été, l'été qui s'achève lentement sur les rives fracassantes de septembre.

Bientôt nous fûmes les seules clientes du Jadis. Même le beagle qui hantait la salle de restaurant a fini par emporter sa petite élégance anglaise et son charme canin sous d'autres plafonds.

Soudain ses yeux se sont chargés d'un mélange de malice et d'effroi à peine perceptible et sa voix s'est abaissée :

- Tu as les lèvres toutes noires, prononça-t-elle sur un ton de mystère.

C'était l'encre de seiche.

Et puis nous sortîmes du restaurant pour entrer dans la deux-chevaux de Stéphanie, qui s'improvisa bricoleuse pour réussir à décapoter la voiture. Une carte servit de tourne-vis. Traversée du quinzième arrondissement dans la deux-chevaux décapotable : surgissement de souvenirs d'une enfance lointaine, de routes de Vendée traversées à l'arrière d'une deux-chevaux qui vivait cahin-caha ses dernières heures, cahotée et cahotante.

Grande gloire de fendre la bonne ville de Paris dans cette vieille petite voiture amusante, joie des enfants et des passants plus grands.

Retrouvailles avec mon bureau sombre et pourtant beau depuis que je l'ai entièrement rangé.

Avec les années vécues qui s'accumulent, moi qui ai désormais dépassé l'âge fatidique de 33 ans, mes ambitions s'apaisent et se confondent en une seule, qui avale toutes les autres : j'essaie d'être en paix avec le temps qui s’écoule.

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vendredi, 24 août 2012

De l'humiliation

 

Green Hill, Beagles
Photo de la libération de Green Hill

Nous vivons sous le signe de l'humiliation.

La voiture de police qui passe pour écarter le peuple et laisser passer la personne « importante ».

L'humiliation que l'on éprouve vis à vis de tous ceux qui possèdent un peu plus (en aura, en argent...) que nous.

L'humiliation quotidienne au travail : celle de la posture de subordonné ; celle de la posture de patron aussi, quelquefois (le patron solitaire subit l'exclusion par les autres).

L'humiliation de ce que nous devenons par rapport à ce que nous désirions.

L'humiliation dans nos amitiés, où la compétition se dissimule derrière les apparences.

L'humiliation dans notre famille, dès notre naissance et malgré les stratégies d'entente et l'amour qui circule.

L'humiliation au cœur même de notre couple, dans notre lit, au milieu de la nuit.

Pire que tout cela... Les images visibles de l'humiliation ne doivent pas nous faire oublier que les pires humiliations sont insaisissables pour qui n'est pas dans le cœur de celui qui la subit.

Dans les professions subordonnées et domestiques (= de maison), on raconte de nombreuses histoires de méchantes bourgeoises méprisantes avec leurs femmes de ménage, de cruels patrons méprisants avec les subalternes. Ces histoires sont vraies, bien réelles.

Or, ce n'est pas l'arrogance de ces bourgeoises ni la méchanceté de ces patrons qui est critiquée par leurs victimes : car l'arrogance et la méchanceté sont également répandues dans toute la société. Qui se plaint de l'arrogance et de la méchanceté d'un clochard assis à côté de sa pisse, d'une pute harassée par l'abattage du jour ? On se laisse insulter par eux en passant tranquillement, sans se sentir humilié... On peut même recevoir les tombereaux de mépris qu'ils nous versent et soupirer : "pauvre bougre !" Parce qu'on méprise leur position.

Ce qui fait mal dans la méchanceté de la bourgeoise, du patron, ce n'est donc pas la mesure de cette méchanceté, qui ne nous dérange plus ou plus beaucoup dès lors que l'arrogance qui nous vise vient d'en bas. C'est le degré d'envie et d'admiration que nous éprouvons envers cette bourgeoise et ce patron.

On pourrait croire que c'est leur pouvoir, qui leur donne la capacité de nous humilier, un pouvoir arbitraire, un pouvoir inégal, un pouvoir illégitime. Mais qu'est-ce qu'un pouvoir dont personne d'autre ne voudrait ?

Il suffirait en ce monde que dix pour cent des gens cessent d'obéir aux puissants et cessent de désirer un plus haut statut social, pour que le pouvoir lié à la puissance extérieure et au statut social s'effondre comme un château de sable.

Mais ce pouvoir ne s'effondrera jamais parce qu'il n'est pas seulement ancré dans le cœur des méchantes bourgeoises et des méchants patrons. Il est ancré dans le cœur de tout homme.

Ce n'est donc pas le pouvoir des personnes haut-situées qui nous écrase. C'est notre désir d'être à leur place qui nous lacère.

Qui plus que l'ouvrier ou le paysan se réjouit de voir un fils de riche échouer dans son intégration sociale et prendre le même métier qu'eux ? Quelle jubilation étrange ! Preuve qu'il n'ont aucun respect pour leur métier, aucun respect pour leur statut, pour leur être même, ils n'ont que respect pour ce qui les méprise. Preuve, surtout, qu'ils jouissent de l'humiliation d'autrui avec délectation. Le seule et unique élément qui les rend conscient de l'horreur du mépris, c'est d’être dans la situation de le subir. Cela reflète ce triste fait que ce n'est pas leur conscience qui les fait haïr le mépris et l'humiliation, c'est leur ego.

La conscience ne demande que la liberté ; l'ego exige la flatterie. La conscience n'a besoin que de parité ; l'ego cherche la supériorité, et c'est seulement s'il ne parvient pas l'obtenir, qu'il se refuge dans un égalitarisme de revanche.

C'est l'incapacité de choisir la parité, dans les domaines de notre vie sociale comme dans ses recoins les plus intimes, qui nous détruit.

Le mépris de celui qui nous paraît plus bas se confond avec l'admiration de celui qui nous paraît plus haut : ces deux sentiments viennent de la même source. Il peut nous arriver de transformer notre mépris en condescendance, de transformer notre admiration en haine ; nous croyons ainsi échapper à l'humiliation qui nous crucifie. Mais ni la haine, ni la condescendance ne peuvent nous sauver. 

Pour vaincre l'humiliation, il faut dissoudre notre ego dans la conscience.

C'est cette humiliation que Bouddha voulut découvrir, qui le fascina, qu'il voulut expérimenter en sortant de son palais où il était le beau petit prince.

C'est cette humiliation que le Christ prit sur lui entièrement pour en décharger ses frères.

C'est cette humiliation qui nous blesse au quotidien : la vie amoureuse - ou l'absence de vie amoureuse -, sans l'humiliation qu'elle charrie, intrinsèque au couple ou issue du regard des autres, ferait beaucoup moins souffrir et ne nous inspirerait pas tant de chansons et de films languissants et répétitifs.

La dureté matérielle et financière serait allégée de la plus grande partie de son poids si elle n'était pas accompagnée de l'humiliation.

Les relations familiales, amicales perderaient beaucoup de leurs capacités de nous blesser sans le poids de l'humiliation qui les accompagne.

Le fait d'avoir ou non des enfants, et, lorsqu'ils sont nés, nos relations avec eux, leur parcours de vie, seraient cause de beaucoup moins de douleur si ces éléments n'avaient rien à voir avec l'humiliation.

Il n'y aurait pas de problème de statut social.

Si chacun de nous pouvait voir son prochain comme une étoile scintillante dans un ciel étoilé (hiérarchise-ton les étoiles ?) et se voir soi-même comme tel, le monde serait déchargé de la plus grande part de son malheur.

Nous souffririons simplement des vraies souffrances, et la principale souffrance du monde, qui se greffe à toutes les autres, l'humiliation, serait abolie.

Peut être alors que par un mouvement naturel, nos cœurs guéris n'éprouveraient plus le besoin de laver leurs douleurs dans la douleur d'autres corps. Nous deviendrions fraternels et libéraux envers les animaux, leur laissant leur place dans ce vaste monde.

 

Green Hill, air souffrance

Les héros en route vers la libération des chiens de labos.