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mardi, 12 juillet 2011

Vu qu'il est pas méchant Frédo


les frères jacques fredo par susacacon

 

J'ai glané sur Internet cette vidéo et ces paroles, pour égayer notre mois de juillet avec une triste histoire.

Edith

On l' connait d'puis la communale
Le gars qu'est là sur la photo
A la premièr' pag' du journal
Mais on l' reverra pas d' sitôt
Il a saigné deux vieill's mémères
Et buté trois flics,des costauds
Certain'ment sur un coup d' colère
Vu qu'il est pas méchant Frédo
Il a pillé la Banqu' de France
Pour rendr' service à des copains
Pour améliorer leurs finances
Faut bien qu' tout l' mond' y gagn' son pain
Y'a deux trois employés d' la banque
Qu'ont pris d' la mitraill' plein la peau
Bon dieu dans ces cas là on s' planque
Mais c'est pas sa faute à Frédo

Il a liquidé sa frangin'
Un' salop' une rien du tout
Parc' qu'il voulait plus qu'ell' tapine
Elle a calanché sur le coup
Ca c'est des histoir's de famille
Ca regarde pas l' populo
Et puis c'était jamais qu'un' fille
A part ça l'est gentil Frédo
Il a vagu'ment fait du chantage
C'était plutôt pour rigoler
Pour avoir l'air d'être à la page
Mais les môm's qu'il a chouravés
Cétait des p'tits morveux d' la haute
Qui bouff'nt du caviar au kilo
Tout pour les uns rien pour les autres
"C'est pas just"' y disait Frédo

Il a fait l' radam chez les Corses
Un soir qu'il avait picolé
Et comm' i' connait pas sa forc'
Les autr's ils ont pas rigolé
Raphael a sorti son lingue
Bref tout l' mond' s'est troué la peau
C'est vraiment une histoir' de dingues
Vu qu' c'est tous des pôt' à Frédo
L'histoir' des deux voyous d' Pigalle
Qu'il a flingué d'un coeur léger
Moitié camés moitié pédales
Il fallait bien les corriger
Sinon peu à peu qu'est c' qui s' passe
Un jour ça s'allonge aux perdreaux
Total qui c'est qui paie la casse
"C'est nos zigues "y disait Frédo

Un coup d' piqu' feu dans l' péritoine
Et Frédo s'est r'trouvé comm' ça
Le cul sur l'Faubourg saint Antoine
Qu'est c' qu'il foutait dans c' quartier là
Bien sûr il s'est r'trouvé tout d' suite
Avec les poulets sur le dos
Maint'nant vous connaissez la suite
Vous l'avez lue dans les journaux
Un garçon qu'avait tout pour faire
Impeccable mentalité
Délicat , correc' en affaires
Bref il avait qu' des qualités
Ca fait mal quand on l'imagine
En train d' basculer sous l' couteau
De leur salop'rie d' guillotine
Un mec aussi gentil qu' Frédo.

Et la dernière strophe, zappée par les frères Jacques :

A côté des r'quins d'la finance

Et des crabes du gouvernement

Tous ces tarés qui règnent en France

A grand coup d'gueule d'enterrement

A côté d'toutes ces riches natures

Qui nous égorgent à coup d'grands mots

A côté d'toute cette pourriture

Il était pas méchant Frédo !

paroles de Bernard Dimey

dimanche, 03 juillet 2011

Dans un bar de nuit banal

Paul de Cornulier

Dans un bar de nuit banal,
Tu cherchais la solitude
Parmi les nymphes vénales
Dont tu sais les turpitudes.

De ce côté-là du monde,
Où l’alcool règne en démiurge,
Les misères se confondent :
C’est l’absinthe qui les purge.

A l’aube où les yeux décillent
Tes bras lâchent dans le vide
La fantomatique fille
Aux étreintes apatrides.

(Des morceaux de Telemann
Caméléons, purifiants,
Celui qui te fait trop mal
Evoque les jeux d’enfants).


Dans un bar de nuit banal,
Tu cherchais la turpitude
Parmi les nymphes brutales
Dont tu sais la solitude.

Ce soir-là, tu méprisas
La belle Marie Brizzard.
Tu déchus dans le sauna
De Johnnie Walker blafard

A l’aube où les yeux s’éclosent,
Dans la ville qui s’étrique,
Tu fuis le garçon morose
Aux étreintes sidaïques.

(Des tableaux d’Edward Hopper,
Surréels et survivants,
Celui qui te ferait peur
Emplit la chambre de vent).

Edith de CL
23 août 2010 (commencé quelques jours avant)

mardi, 21 juin 2011

Un petit bout de liberté

Équihen-Plage

 

par Calélira

 

 

Calélira raconte son pays : Équihen-Plage.

Nous la remercions pour cette belle déclaration d'amour à une terre qu'elle connaît par coeur - par coeur, dans les deux sens du terme. 

Équihen-Plage, carnaval

Équihen-Plage, Équihen ne va pas sans plage, car lorsque l’on prend la rue principale, on arrive à la descente à bateaux, là où les anciens remontaient les flobards, type d’embarcations qui servaient par la suite d’habitations aux plus  pauvres, qui s’appelaient les quilles en l’air.

 

Équihen-Plage, quille

Équihen, c’était un village de pêcheurs, les hommes partaient à la mer, tandis que les femmes pêchaient les crevettes et allaient ramasser les moules. La plupart des familles vivaient dans des quilles en l’air, coques de bateaux retournées, car Équihen n’était pas riche.  Mais les gens d’Équihen ont du tempérament, j’ai toujours vu mon arrière grand-mère faire son jardin et ses lapins, même à 80 ans passés, avec ces cotron (grande jupe) et son foulard à carreaux noué autour de son cou, et parfois elle prisait (elle prenait du tabac qu’elle mettait sur sa main et aspirer avec le nez ) et parfois elle chiquait (mâchouiller le tabac ) et de longs cheveux blancs mis en chignon, c’était typique chez nous de voir, les grands mères vêtues ainsi, maintenant on n’en voit plus, les traditions se perdent de plus en plus. 

Équihen-Plage

Une tradition perpétue, c’est le carnaval, cette coutume est la plus importante à Équihen. Il est habituel que les marins passent une marée à terre et que les ouvriers posent trois jours de congés afin de ne pas manquer le carnaval. Le carnaval est le signe d’une grande vitalité . Pendant trois jours on fête. Le dimanche on éponge (éponger signifier faire honneur en déambulant). Les habits sont de toutes sortes. Les «droules» partent en quête d’argent en vendant toutes sortes d’objets. 

Le lundi c’est PEC-PEC. Les marins revêtent leur ciré jaune, un masque et brandissent un bâton au bout duquel pend un fil auquel est accroché un bonbon, que les enfants devront attraper avec la bouche. 

Le mardi, c’est le défilé, chacun revêt des  habits multicolores dont la préférence va aux superbes mousquetaires (costume fait par une couturière, un mousquetaire, c’est une richesse, chez moi, on a tous eu un ou plusieurs mousquetaires, que mes enfants revêtent à présent, et un jour je leur en payerai un, c’est ainsi, c’est une partie de notre histoire) C’est le grand défilé, au son des musiques traditionnelles, le soir, il y a le bal qui durera jusqu’à l’aube. 

Et le mercredi des cendres, vers 8 heures tout le monde se rassemble, bien fatigué. Chacun a ramené du bois, des brindilles, de vieilles choses susceptibles de brûler. Le mannequin fabriqué et habillé, prénommé est placé en tête du cortège. On se dirige alors vers le bûcher, les masques tombent, exténués par une nuit de danse, certains s’étendent sur le sol,  après les derniers chants et dernières rondes autour du grand feu, chacun s’en retourne chez soi pour un repos bien mérité. 

Cette tradition, n’est pas prête à disparaître, elle est restée chez les jeunes de ma génération, certains reviennent juste à Équihen pour le carnaval. 

 

Équihen-Plage, carnaval

On y vit bien à Équihen, lorsque j’ouvre la fenêtre de ma chambre, je vois cette superbe étendue de sable, j’entends le clapotis des vagues sur les rochers, et j’hume les embruns, c’est le bonheur, que demander de plus, j’ai une petite maison bien remplie avec ma petite famille, mais mon plus grand  bonheur, c’est de vivre dans cette petite maison au bord de la mer, de découvrir les différents tons de la mer, d’avoir une vue superbe, des nuages qui jouent avec la mer, le soleil qui se couche, ce sont de superbes tableaux. 

 

Équihen-Plage

Je pense que c’est pour cela qu’Équihen attirait les peintres, les poètes, les chansonniers, les acteurs de cinéma. Dénommé « le coin des artistes » Équihen-Plage a toujours été fréquenté par des artistes illustres, séduits par la beauté de ce petit village de pêcheurs. Voici quelques noms, Jean-charles CAZIN , peintre, Edmond de PALEZIEUX, peintre, DROBECQ, peintre et architecte, Gil FRANCO, peintre, André GALOPET dit GABRIEL …

La maison de Gabriello demeure solidement amarrée à un rocher, il l’a baptisée FA-ZOU (diminutif du prénom de ses deux filles, France et Suzanne ), elle est toujours là, habitée par un couple depuis plus de trente ans, c’est une maison qui tient à la falaise.  C’est la « principauté d’Équihen ».

 

Équihen, c’est un village de caractère, on pourrait parler des heures, c’est des histoires de sobriquets encore maintenant quand je discute avec des anciens, je me présente avec le sobriquet de ma famille, et les gens savent ainsi que je suis la petite fille d’un tel, je suis fière de mon village, du moins de son histoire, de ce courage que possèdent les gens d’Équihen, cette façon de ne jamais baisser les bras, de cette force de caractère, et aussi de cette croyance, il n’y a plus de marins, sauf des pêcheurs à pieds, mais les Équihennois sont assez pratiquants, la bénédiction de la mer regroupe beaucoup d’habitants, certains s’habillent avec le costume traditionnel, pour les femmes mariées, une jupe noire avec un tablier, un caraco, et un châle crème, et en coiffe, le soleil, bonnet fait en dentelle à la main. Pour les demoiselles, jupe rouge, chemisier blanc et châle de couleur, et le soleil, qui sert souvent les oreilles. 

 

Calélira

Équihen-Plage


 

 

 

 

 

 

lundi, 13 juin 2011

Prières pour la ville atlante, de Buddenbrook

 

Carvos Loup

Phot. Carvos Loup

Prières pour la ville atlante

Par Hanno Buddenbrook

traduction d'Edith de Cornulier-Lucinière

 

Préface de la traductrice

 

A l'heure où je traduisais ces poèmes suspendus entre ville et rêve, Hanno Buddenbrook était encore vivant.
J'enseignais alors le hawaiien et l'allemand à l'université des Pierres Emmurées de Saint Jean en Ville. Je devais participer à des colloques et à des fêtes intellectuelles organisés par le comité spirituel de la ville, qui tenait à sa réputation mondiale de Paradis intellectuel. A mes heures libres, je traduisais les poèmes de Hanno Buddenbrook. Depuis le balcon où je cherchais la correspondance des mots, j'entendais le flot monotone de la rivière, le bruissement sempiternel des feuilles au dessus d'elle, recouvert parfois par la musique du théâtre musical des Colonnes San Marco. Le rythme de ma vie d'alors effaçait les arcanes familiales qui avaient tant obscurci ma jeunesse. Tous mes amis étaient orphelins. N'ayant rien à dire d'eux mêmes, il savaient écouter le bruit des nuages et l'amour des oiseaux. N'ayant rien à sauver ils sauvaient l'art et le monde et nous échangions des idées sans penser à la mode et à l'argent. Hanno Buddenbrook se mourait à des lieues de là, sans que je puisse le rejoindre, le passage entre nos deux villes étant interdit. Je lui consacrai mon temps libre et le savais heureux de savoir son œuvre entre des mains emplies de vénération. Nous buvions des coquetels si bons et chaleureux que j'avais l'impression de flotter au dessus de la vie et supportais ainsi la triste fadeur de mes confrères universitaires et de mes étudiants. C'était ma vie d'alors, à cette époque étrange où personne n'aurait su dire qui dirigeait le pays et quelles en étaient les bornes. Comme il faisait bon ignorer la marche du monde ! Je n'avais que l'alcool noyé de fruits, la poésie et les longues marches à l'autre bout de Saint Jean en Ville, dont l'avenue bordée d'arcades rappelait le temps de l'Amérique du Sud coloniale. C'est dans cet esprit que j'ai traduit ces prières pour la ville atlante, prières païennes, certes, mais d'un paganisme post-chrétien. Je ne veux retoucher ces traductions ; un autre que moi, peut-être, dans l'incertitude d'un présent à venir, cherchera à mieux rendre dans notre langue, cette langue Buddenbrookienne qui demeure, depuis sa mort, l'unique présence de son auteur parmi nous. Une présence surannée, certes, mais vivante, et qui ressuscite, au détour d'une phrase, un monde que nous détestions autant que nous le regrettons aujourd'hui.

Édith de Cornulier-Lucinière, demi-Fructôse de l'an 2044, après la moisson

Carvos Loup

Phot. Carvos Loup

Prières pour la ville atlante

Par Hanno Buddenbrook


 

 

I Apache

 

Apache ! Tu danses au-dessus des villes. Comme Christ, tu marches sur les eaux vives et tu meurs loin des eaux dormantes. Des chiens sont tes amis, des amis te servent la soupe du soir. Personne ne t'aime assez pour cesser de te craindre. Chacun t'admire trop pour souhaiter ta mort. Tu domines sans pouvoir, ta puissance lumineuse ne touche jamais aux vies des autres. Tu es Mystique.

 

II Poussière

 

L'électrorayon du soleil orange et rouge t'attrape et t'emprisonne. La ville a froid dans cet après-midi de fin du monde. Aucun poète n'a le droit de vivre aux yeux des cités paresseuses, qui construisent, édifient, érigent, pour fuir le temps du rêve. Nos sciences fracassées par les somnifères n'éclosent plus à Insomniapolis. Nos églises sont vides de Dieu. Les rues pressées voient passer les errants, les clochards, les bêtes abandonnées, les enfants livrés à leurs jeux de bagarre. Il n'y a plus que quelques solitudes pour aller chercher la réponse au bord du fleuve. Le fleuve, qui charrie vos idées et vos déchets, n'a pas oublié les poissons de l'autre monde, les êtres des autres villes, celles que l'océan a recouvert il y a des milliers d'années.

 

III Ferraille

 

Fer et sang, feu, métal, acier, plastic aussi, qui demeurent vaillants sans rouiller au-dessus des ponts. Carcasses de voitures et de machines dont on ne sait plus l'utilité, squelettes d'immeubles et béton fondu des routes, les rats vous ont élu pour cathédrales de leurs messes sans Nom. Ils vivent de vos émanations et se repaissent en vos formes avachies. Vos lumières les bercent, vos ombres les rafraîchissent et le son que leurs pattes émettent en vous parcourant sont la musique de leurs hymnes. Où sont les êtres humains ? Partis : ils construisent ailleurs la future ville des rats.

 

IV Désert

 

Où les arbres ne poussent plus, cela s'appelle le désert, disaient les livres de géographie. Et les enfants sages marchaient dans les grands magasins peuplés de grandes personnes, persuadés qu'ils parcouraient le Sahara.

 

V Magie

 

La musique renaît. Pierres se rencontrant dans l'espace, souffle des animaux préhistoriques, amoureux au fond des lits, enfances courant dans les rues, notes de trompettes et de métalophones tombant comme la pluie sur les vitres et les dalles : la magie éclot dans la musique. C'est le début du monde. Le monde est mort. Les enfants sont venus.

 

Hanno Buddenbrook,

Editions du Soleil, 2025

samedi, 04 juin 2011

2011, rue de la Propagande (Par D.N. Steene le viking)

votation citoyenne, droit de vote des étrangers

 

Tous les jours, Miles-Thierry s'arrêtait rue de la Propagande, au 2011, pour voir ce qu'on proposait à son cerveau.

Il savait qu'il lui fallait se rééduquer chaque matin, pour effacer la trace des rêves.

Il savait qu'il lui fallait chaque matin nettoyer ses idées, expurger son vocabulaire des mots venus dans la nuit, mots venus des livres lus dans la chambre solitaire, mots venus d'une enfance que le temps n'avait pas vaincu.

Il savait qu'il lui fallait chaque matin oublier sa volonté de puissance et ses désirs de liberté pour enfiler l'habit du monde, l'habit qui donne l'air qu'il faut sans en avoir l'air et qui ne laisse transparaître aucune sueur divine, aucune sueur animale, aucune sueur qui ne remplisse pas la condition d'humanité citoyenne.

Il sentait que vivre ainsi à contretemps, la peau dans ses rêves nocturnes, les phrases du jour passées au crible de l'air du temps, minait ses fondations pirates. Car son esprit s'était déployé aux lectures de romans maritimes et le quadrillage urbain ne ressemblait pas aux mers chaudes des aventures romanesques.

publicité, cancer
Est-ce que le réel morne avait gagné ? Est-ce que le rêve était à jamais confiné aux espaces nocturnes ? Est-ce que la liberté mentale n'existerait jamais qu'à Insomniapolis ?

Licra, antiracisme

 

C'était la question que l'enfant pirate, devenu l'homme sans qualité, se posait l'esprit à cheval entre deux morves d'azur perdues au ciel du jour sans fin de la vie sociétale. C'était la question que l'homme sans qualité se posait, un enfant pirate assis au creux des souvenirs.

Dans la ville les pancartes appelaient les soldats citoyens à marcher en zigzag et à penser au pas.

inviter Cancer

On aurait pu croire qu'un jour, une femme viendrait nous sauver.

On aurait pu croire qu'elle s'appelerait "Elle" et qu'elle aurait un coeur, un esprit, un corps pour marcher à côté de soi.

On aurait pu croire qu'au carrefour des folies une sihouette inconnue se pourrait transformer en autrui consentant, en libre-arbitre amoureux, en main tendue.

On aurait pu croire qu'au milieu du grand nulle-part de la ville placardée, pas loin du 2011, rue de la Propagande, une idylle sans fard et sans mièvreries naîtrait du hasard et d'une rencontre.

On aurait pu croire toutes ces choses là.

lipomodelage

 

Mais les affiches narguaient le pirate mort-vivant.

"Lipomodelage, lipomodelage, lipomodelage", disaient-elles de leurs voix publicitaires.

Il n'y avait plus de femmes libres. Il n'y avait plus que des femmes épilées, rouge-à-lèvrées, talonnées, lipomodelées, qui se rendaient en souriant gravement aux votations citoyennes.

Et les pirates étaient loin, très loin dans la nuit du monde.

Et les livres mentaient, qui parlaient des mers chaudes et des amitiés de croisière.

Et l'homme sans qualité enterrait l'enfant pirate avant d'aller boire un tout petit peu de bière. Car l'abus d'alcool nuit à la santé ! Il faut consommer avec modération.

 

 

 

 

David Nathanaël Steene

vendredi, 27 mai 2011

Soror Dolorosa

Soror Dolorosa, Catulle Mendès, AlmaSoror, Edith de Cornulier-Lucinière

Phot. La belle aux rues vivantes, d'Edith Morning

Mon enfant chéri, lis d'abord un sublime texte de Catulle Mendès, qui vécut au XIXème siècle et mourut à peine le XXème s'était levé.

Reste. N'allume pas la lampe. Que nos yeux
S'emplissent pour longtemps de ténèbres, et laisse
Tes bruns cheveux verser la pesante mollesse
De leurs ondes sur nos baisers silencieux.

Nous sommes las autant l'un que l'autre. Les cieux
Pleins de soleil nous ont trompés. Le jour nous blesse.
Voluptueusement berçons notre faiblesse
Dans l'océan du soir morne et délicieux.

Lente extase, houleux sommeil exempt de songe,
Le flux funèbre roule et déroule et prolonge
Tes cheveux où mon front se pâme enseveli...

Ô calme soir, qui hais la vie et lui résistes,
Quel long fleuve de paix léthargique et d'oubli
Coule dans les cheveux profonds des brunes tristes.

Catulle Mendès

 

Ecoute, avec le bruit du vent par cette nuit d'orage aux rousses blessures d'automne, la musique de Soror Dolorosa "Autumn wounds" et la chanson de Charlélie Couture, "Comme un avion sans aile".

 

Et vois ce que les méchants hommes et les femmes de la Publicité font de tes soeurs :

déréliction féminine

(Phot. Déréliction féminine, par Edith Morning)

 

Sache aussi, enfant bien-aimé, petit coeur pur, amour infant, sache qu'il y a des frères pour toi dans le monde. Tu les trouveras parmi les hommes, tu les trouveras parmi les chiens, ces anges blessés dont la force peut encore sauver le monde, l'esprit et l'amour.

Edith Morning

Phot : Kitchen, de la série Anges de l'aurore, d'Edith Morning

(Mon chéri, le monde est un rêve à l'aurore, une enfance qui ne finit jamais. Mon amour, tu verras comme les chants t'envelopperont. Ne laisse pas la publicité, l'argent et les jeux de scène t'arracher à la chair fragile du poème).

 

Deux chansons : Autumn Wounds, de Soror Dolorosa et Comme un avion sans ailes, de Charlélie Couture


Charlélie couture comme un avion sans aile par indemtencoise

 

C'était un billet des deux Edith : Morning & de CL

samedi, 30 avril 2011

Voyageurs, sédentaires, nous partirons tous un jour

 

 

chauvesouris sara.jpg

photo de Sara

 

La véritable musique est le silence et toutes les notes ne font qu'encadrer ce silence.

Miles Davis


« Nous ne croyons pas que réussir sa vie c’est se marier, avoir des enfants, gagner de l’argent, être député, écrire des livres célèbres ; nous savons que réussir sa vie c’est quelquefois être jugé comme un inutile parce qu’on ne sait pas arriver à ces choses ; réussir sa vie c’est souvent mourir dépouillé de tout, être jugé comme un échec vivant, ...tel le Christ à l’heure de sa mort. »

Philippe Ariès

 

Nous n'avions peur de rien, ni des loups, ni du vide, pas même des chauves-souris gantées et casquées, qui chaviraient leurs coeurs suspendus dans l'aube naissante des sagas hivernales.

Hanno Buddenbrook

vendredi, 08 avril 2011

parfois j'ai prié

Sara

Phot Anglet, par Sara

 

"j'ai toujours accepté de combattre, dans la solitude et dans l'échec, dans le rêve et la douleur, dans la joie et la réussite. J'ai toujours choisi de combattre et vivre libre. Il s'agissait de sauver ma tête, sauver mon coeur, sauver mon corps, sauver mon âme. J'ai fui le salariat au risque de devenir la lèpre de la société. Car, comme le servage et l'esclavage, le salariat n'est point digne de l'homme. J'ai repoussé avec violence les médias qui prostituaient leurs espaces à la publicité ; je me suis tenue éloignée de tout supermarché, de toute multinationale, de toute usure. J'ai chômé le dimanche, et parfois j'ai prié. J'ai combattu. Je ne dirai plus rien. J'ai tout dit".

 

Venexiana Atlantica

dimanche, 27 mars 2011

Feu

samedi, 12 mars 2011

Coeur de pierre, Pierre qui vire...

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Le fondateur du monastère de la Pierre-qui-vire, le prêtre bourguignon M-J-B Muard, entretenait, comme beaucoup de mystiques catholiques, un commerce avec Dieu. En voici quelques extraits qu’il consigna et que l’on retrouva à sa mort.

Il s’agit d’un dialogue entre Dieu, qui l’appelle et lui reproche ses refus, et lui, qui décide une énième fois de se donner corps et âme et craint de chuter à nouveau dans l’amour du « monde ».

 

Dieu qui m’appelle

 

« Mon fils, mon cher fils, depuis longtemps ma grâce te poursuit sans relâche, ma voix se fait entendre à ton cœur, elle t’invite, elle te presse, elle te conjure même de te donner à moi. Quoi donc, ne voudras-tu jamais te rendre ! Ah ! par pitié pour moi, pour ce Cœur qui a été percé et qui brûle d’amour pour toi, reviens, ô mon fils, songe que ta pauvre âme m’a coûté tout mon sang, que j’ai enduré pour elle tous les tourments de ma passion ; donne-la-moi, mon fils, je veux la rendre heureuse, je veux la combler de biens, je veux me donner à elle : je lui prépare mon cœur pour être sa demeure, ma chair pour nourriture, mon sang pour breuvage, mon sein pour lieu de repos. Je lui donnerai mes anges et mes saints pour compagnons, pour amis ; je prendrai plaisir à converser avec elle, à lui révéler les ineffables trésors de mon cœur ; je l’ornerai des plus belles vertus ; je lui ferai voir ce jardin fermé où les hommes n’entrent point, ce jardin où croissent des fleurs dont les couleurs admirables et variées à l’infini charment et ravissent les yeux, et qui exhalent des parfums si suaves et si délicieux, que l’air en est embaumé ; je lui montrerai des arbres toujours couverts des fruits les plus beaux, les plus exquis… Quand elle sera dans la peine, je la consolerai moi-même, je lui ferai boire, pour la fortifier, de cette divine liqueur qui coule de mon côté, comme je fis autrefois à l’une de mes plus fidèles amantes : enfin je ne m’occuperai qu’à faire son bonheur.

Il y a bien longtemps que je te fais ces promesses, je t’ai même fait goûter quelquefois les chastes plaisirs que je réserve à mes amis, et néanmoins tu t’obstines à me fuir. Le monde, si vain et si trompeur, a pour toi je ne sais quels charmes ; vainement il t’a fait sentir sa misère et le malheureux état de ses partisans, tu veux toujours l’aimer ; et moi qui t’aime, qui te chéris, qui veux te sauver, tu me rejettes, tu repousses mes mains qui veulent t’embrasser, tu détournes ton visage pour ne pas recevoir de ma bouche le baiser de paix, tu t’impatientes, tu t’indignes de ce que je ne veux pas te laisser suivre tes penchants déréglés : oh ! que ma patience est grande de te souffrir malgré tant d’ingratitude de ta part ! et pourtant je t’aime, et je t’aimerai et je te poursuivrai jusqu’à ce que tu m’aimes et que tu m’aies donné ton cœur, et je te sauverai, et je montrerai que mon amour est plus fort que tous les obstacles et que la mort même. J’en ferai tant qu’il faudra bien que tu m’aimes enfin.

 

Ô mon Dieu ! votre amour me confond, je n’y tiens plus ! Quoi, Seigneur, tant de bonté de votre part et tant de malice de la mienne ! Tant de pressantes sollicitations et tant de résistances ! Tant de promesses si touchantes et tant de refus outrageants ! Que je peux bien m’écrier : Que mon Dieu est bon ! qu’il est bon le Dieu d’Israël : Quàm bonus Israel Deus ! C’en est fait, ô mon Dieu ! je reviens, je me rends ; vous aimer, vous servir, fera désormais mon bonheur ; je ne veux plus d’autres plaisir que de pleurer mes fautes passées. O mon Sauveur, donnez-moi donc, s’il vous plait, ces larmes délicieuses de la pénitence, je les estime plus que tous les trésors du monde ; donnez-moi aussi, mon très-aimable Jésus, la sainte humilité qui me persuade que je suis le dernier de tous les hommes et le plus abominable des pécheurs, comme je le suis en effet, et, par-dessus tout, donnez-moi votre amour ; que je brûle, que je me consume, que je meure d’amour pour un Dieu qui m’aime, qui m’a tant aimé. Vous m’aimez, ô mon Dieu, et je ne vous aimerais pas ! vous mourez d’amour pour moi, et je ne mourrais pas d’amour pour vous ! Ah ! Dès aujourd’hui mourons au monde et à nous-même par la pénitence, afin de vivre à jamais en Dieu et pour Dieu ! »

 

Extrait de la Vie du R.P. Muard, Marie-Jean-Baptiste du Cœur de Jésus, par M. l’Abbé Brullée

 

En cherchant sur la Toile, nous trouvâmes cette petite présentation de la Pierre-qui-vire :

 


Pierre qui vire
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mercredi, 09 mars 2011

Concierto de Aranjuez

« Pour moi, un instrument est un rêve vivant qui croît et évolue selon les nécessités de la musique ».

 

 

Continuons, continuons, continuons ce long, lent et étrange travail de recopiage des pochettes de disques vinyles, ces pochettes dont on relisait sans cesse les textes bien pensés et bien écrits. Voici deux textes issus de la pochette du disque Concierto de Aranjuez, publié par Deutsche Grammophon nous ne savons quand, puisque comme souvent sur les pochettes de microsillons, celle-ci n’indique pas de titre.

 

Les deux textes sont de l’interprète, le guitariste Narciso Yepes. L’un concerne les œuvres qu’il interprète dans ce disque ; l’autre est une note explicative à propos de sa particularité de jouer sur un guitare à dix cordes.

 

 

Deutsche Grammophon

Joaquin Rodrigo

Concierto de Aranjuez

Fantasia para un gentilhombre

Narciso Yepes, guitare

Orchestre symphonique de la R.T.V. espagnole

Direction Odon Alonso

139 440 Gravure universelle

 

Pas de date !

 

Le Concerto d’Aranjuez a été écrit pour Regino Sainz de la Maza. La Fantaisie pour un Gentilhomme a été dédiée à Andrés Segovia. Je les ai faits miens parce que, pendant de longues années, j’ai appris à les comprendre et à les aimer. Les deux concertos ont des traits communs : la verve de Rodrigo et sa tendresse à exprimer des mélodies pures. Ils divergent par leur esprit.

 

Le Concerto d’Aranjuez est le premier concerto pour guitare et orchestre écrit par un compositeur contemporain. Rodrigo lui a donné le nom de la ville d’Aranjuez, parce que la petite ville verdoyante au bord du Tage, avec ses Palais et ses jardins tracés à la française, est caractéristique du XVIIIème siècle espagnol. Pour moi, le Concerto d’Aranjuez est un jeu de lumières et de sentiments.

 

Le premier mouvement est la pointe du jour en Castille. La terre est recouverte de lumière en quelques instants. Tout est frais, tout est jeune, avec cette pointe de piquant qui fait le cachet de la musique de Rodrigo. C’est pourquoi je joue le premier mouvement avec une intention de joie et de jeunesse.

 

Le deuxième mouvement est l’après-midi sans hâte, qui se prête aux confidences. La lumière est plus douce, le temps ne compte pas : ce sont des moments de paix qui tiennent de l’éternel. Les contrebasses et les cordes marquent, avec persistance, le rythme d’un cœur géant. Je laisse chanter la guitare en toute liberté, mais toujours à l’intérieur de ce battement du cœur, égal à lui-même. Ma version est différente de celle qui se trouve dans la partition : Rodrigo et moi avons fait des modifications alors que la partition était déjà publiée. J’enchaîne aussitôt le troisième mouvement pour ne pas briser la tension créée au second. Rodrigo le pensait ainsi puisqu’il a commencé le troisième mouvement dans la tonalité du second. La jonction se fait sans coupure, puisque dans le « tutti » de l’orchestre, il revient au ré majeur, tronc tonal du concerto.

 

Le troisième mouvement est le soleil de midi, quand la lumière est cinglante et que les ombres n’existent pas. Rodrigo fait une pirouette pour ne pas s’attacher au dramatisme du second mouvement. C’est pourquoi j’essaie de lui donner un ton enjoué et dynamique.

 

La Fantaisie pour un Gentilhomme évoque le XVIIème siècle espagnol. C’est le Siècle d’Or, l’Espagne prestigieuse. Très souvent on m’a posé la question : « Quel est le Gentilhomme pour qui est écrite la « Fantaisie » ? » Le Gentilhomme est Gaspar Sanz, guitariste, organiste, compositeur, musicologue et licencié en théologie. Rodrigo emprunte à ce parfait gentilhomme du XVIIème siècle espagnol, les thèmes qui constituent la Fantaisie.

 

Villano est une danse d’origine villageoise. Ricercare est le nom italien du « Tiento » espagnol, ou improvisation à plusieurs voix.

 

Españoletas est une danse majestueuse toujours en mode mineur.

 

Fanfare de la Caballeria de Nàpoles est une danse guerrière d’une armée en marche.

 

Danza de las Hachas est une danse très ancienne, la danse espagnole des flambeaux.

 

Canarios est écrit sur les rythmes caractéristiques de la musique espagnole : le ¾ alternant avec le 6/8, que l’on trouve déjà dans les Cantigas d’Alphonse le Sage. Rodrigo a dit à propos de sa Fantaisie pour un Gentilhomme : « J’aimerais que Gaspar Sanz, s’il pouvait l’entendre, dise : ce n’est pas moi, mais je m’y reconnais ». J’ajouterais volontiers que j’aimerais qu’à travers Gaspar Sanz, à travers Rodrigo et aussi à travers moi-même, on reconnaisse le sceau de la musique espagnole et qu’on l’aime.

 

Narciso Yepes

 

 

La guitare à dix cordes

 

J’ai beaucoup réfléchi avant d’ajouter quatre cordes à ma guitare. Depuis bientôt dix ans que je donne des concerts dans le monde entier avec mon instrument ainsi transformé, je me félicite sans cesse d’avantage de ma décision.

 

En premier lieu, les quatre cordes supplémentaires lui confèrent un équilibre sonore que la guitare à six cordes est loin de posséder. En effet, au moment où l’on joue une note sur une corde, une autre se met à vibrer par résonance sympathique. Sur une guitare à six cordes, ce phénomène se produit seulement sur quatre notes tandis que, sur la mienne, les douze notes de la gamme ont chacune leur résonance par sympathie. Ainsi la sonorité boiteuse de la guitare à six cordes se transforme-t-elle en une sonorité plus ample et égale sur une guitare à dix cordes.

 

En second lieu, je ne me contente pas de laisser vibrer passivement par sympathie les cordes ajoutées, je les utilise, je les joue selon les exigences de la musique à interpréter. Je peux régler le volume des résonances, je peux aussi les supprimer. Je peux en éteindre une si celle-ci me gêne dans un passage donné mais, si je puis le faire, c’est précisément parce que je dispose des résonances. Cela me permet de modifier à mon gré non seulement le volume, mais aussi les couleurs sonores.

 

En troisième lieu, la guitare à dix cordes m’ouvre des possibilités très vastes dans le domaine de la musique ancienne, surtout celle écrite originellement pour le luth. J’accorde les quatre cordes supplémentaires de différentes manières : je dispose de basses dont la guitare à six cordes est dépourvue et il m’est ainsi possible de jouer sans transcription grand nombre de manuscrits. La quatrième qualité est l’intérêt que la guitare à dix cordes a suscité parmi les compositeurs contemporains. Elle offre des ressources nouvelles et la musique écrite pour ma guitare à dix cordes en est le vivant témoignage.

 

Quelques personnes m’ont accusé de dénaturer la guitare traditionnelle. Je ne l’ai ni changée, ni appauvrie ; je l’ai agrandie. Pour moi, un instrument est un rêve vivant qui croît et évolue selon les nécessités de la musique. Tous les instruments suivent une évolution. La guitare, elle aussi, a connu à travers les siècles des formes diverses et un nombre de cordes différent. Je possède des manuscrits fort intéressants de Antonio Jimenez Manjon, compositeur et guitariste espagnol du XIXème siècle, qui a écrit pour une guitare à onze cordes !

 

A ceux qui m’objectent la difficulté du jeu, je répondrai ceci : la guitare a dix cordes m’a posé des problèmes et me les pose encore. Elle m’a forcé à une recherche plus profonde, plus créatrice. Jamais je n’ai reculé devant l’effort quand cet effort a un sens. J’ajouterai encore que le domaine de l’art ne s’ouvre qu’à ceux qui ne reculent pas devant un travail honnête de concentration et d’approfondissement.

 

N. Yepes

Un site dédié à la mémoire de Narciso Yepes

mardi, 01 mars 2011

Ciel ! mes nuages

Film aérien de Sara

 

samedi, 26 février 2011

Microsillon... Vivaldi : Les Concertos pour mandolines

 

Assemblée Nationale

 

Recopier les textes des pochettes de disques vinyles des années 60 et 70... C'est une des activités de Jean Bouchenoire, Nadège Steene, David Nathanaël Steene, Édith de Cornulier-Lucinière depuis quelques mois.

Ces textes de qualité, nous les relisions en réécoutant ces disques passés de mode ; nous nous sommes dit qu'il faudrait pouvoir les conserver, y revenir à souhait car ils structurent et éclairent l'histoire discographique.

 

Voici le texte de la pochette des Concertos pour mandolines dirigés par Claudio Scimone. On y apprend que les musicologues ont longtemps bêtement confondu la trompette marine (long violon utilisé dans les couvents féminins allemands et a eu les faveurs de quelques compositeurs français) et la trompette tout court, instrument à vent n'ayant rien à voir avec le premier. Vivaldi était ainsi bien mécompris, méconnu, maljoué et il est bien heureux que l'on soit revenu à une compréhension plus fidèle de son œuvre.

 

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Vivaldi, les concertos pour mandolines

Concerto pour violon discordato i solisti veneti

Direction Claudio Simone

Stereo Erato. Éditions Costallat. Paris.

Prise de son : Peter Willemoes.

Pas de date sur le disque...

 

Guitare, luth, mandoline, théorbe... ces instruments à cordes pincées évoquent pour le mélomane moderne des images bien lointaines, sans vie réelle, liées tout au plus au monde de la musique dite « légère ». Au sein du grand orchestre d'aujourd'hui, le seul élément qui subsiste encore de cette pittoresque famille est la harpe. Il en était bien autrement au dix-huitième siècle, et, notamment à Venise au temps d'Antonio Vivaldi : toute formation instrumentale d'une certaine classe comprenait alors – en plus d'un ou de deux clavecins – au moins un théorbe destiné à compléter la « basse continue », accompagnement que les compositeurs négligeaient d'écrire note par note, se fiant selon les circonstances, à un nombre variable de musiciens qui improvisaient d'après les chiffres servant de base harmonique. Peu à peu l'un ou plusieurs de ces instruments se joignirent à l'ensemble en qualité de soliste et l'importance de cette famille instrumentale sans cesse croissante donnait à l'orchestre du dix-huitième siècle une sonorité particulière, claire, délicate et extrêmement limpide qu'il est fort difficile d'imaginer de nos jours.

 

La mandoline, traditionnellement liée, dans l'imagination populaire, à la chanson napolitaine, fut bien négligée par les compositeurs de toutes les époques, peut-être à cause de sa sonorité métallique et un peu sèche, et son rôle dans le domaine de la musique classique se limite à quelques apparitions épisodiques dans le répertoire lyrique, comme accompagnement d'une sérénade ou d'une romance. Parmi les grands génies de musique instrumentale, seuls Beethoven et Mahler ont fait place dans leur production à cet instrument qui apparaît aussi – toutefois en tant qu'allusion folklorique – dans quelques oeuvres de Respighi. Dans la tradition théâtrale vénitienne, la mandoline avait fait son apparition, avant Vivaldi, comme instrument «obligé » au sein de l'orchestre : Marc Pincherle cite l'emploi de cet instrument entre 1704 et 1707 dans ces compositions de Bononcini, Ariosti et Conti.

 

Au cours des longues années de son infatigable activité de compositeur lyrique, de pédagogue et de « Maître de concerts », des orphelines adoptées par l'Hôpital de la Piété, à Venise, le « Prêtre Roux », Antonio Vivaldi (1678-1741) n'a cessé d'explorer avec une imagination inépuisable, les ressources nouvelles de timbres et de coloris instrumentaux, obtenant des résultats d'une richesse et d'une variété qui ont laissé une trace unique pour toutes les époques suivantes. Certes, il a créé à l'infini des combinaisons et des fusions instrumentales entièrement nouvelles, révélant ainsi des possibilités insoupçonnées au sein de la formation la pus simple, celle de l'orchestre à cordes ; mais il n'a cessé, d'autre part, de « travailler » sur les timbres de chaque instrument en particulier, mettant en valeur certains d'entre eux qui, avant lui, étaient condamnés à un simple rôle de toile de fond, leur rendant toute leur dignité d'instruments soliste grâce à une littérature aussi riche qu'admirable (citons seulement, en exemples, le basson et le violoncelle). Les trois concerti qui composent la présente « intégrale » forment un répertoire pour mandoline solo unique dans l'histoire de la musique, car seul Vivaldi a eu le mérite d'avoir deviné les possibilités de cet instrument et d'avoir su l'utiliser pour composer des œuvres admirables.

 

Il est presque certain que Vivaldi composait pour la mandoline dite « napolitaine », munie de huit cordes couplées deux par deux et accordées comme les quatre cordes d'un violon ; et c'est ce qui explique comment Vivaldi, violoniste remarquable, a pu traiter la mandoline avec une maîtrise si extraordinaire.

 

Cette maîtrise s'affirme déjà totalement dans le concerto en ut majeur pour mandoline dans laquelle, selon une concession de l'auteur, la partie des instruments à cordes peut être exécutée en « pizzicato » - nous avons toutefois suivi, pour cet enregistrement, la première des deux indications originales, mettant ainsi davantage en évidence l'opposition des timbres entre le soliste et les cordes qui l'accompagnent. Ce Concerto fut probablement composé pour le marquis Guido Bentivoglio di Ferrara, ami et protecteur de Vivaldi et qui, comme le mentionne une lettre de 1736, jouait de la mandoline pour son plaisir. La partie de mandoline, dans le premier mouvement, s'oppose nettement aux Tutti, sugérant des motifs d'une grâce et d'une élégance rares, s'isole dans une broderie en arpège au cours du second mouvement dont la symétrie géométrique évoquerait certaines œuvres de Jean-Sébastien Bach s'il n'y avait là toute la légèreté et la luminosité typiquement vénitienne – puis se fond, en revanche avec les cordes dans le dernier mouvement, reprenant le motif des Tutti et le développant pour son propre compte jusqu'à la soyeuse et brillante conclusion.

 

Le Concerto en sol majeur pour deux mandolines, œuvre bien plus complexe et importante, est également beaucoup plus populaire. Le thème du premier mouvement est infiniment plus riche, opposant ombres et lumières dans les divers dessins mélodiques. Le second mouvement constitue l'une de ces pages typiquement vivaldiennes, construites sur une mélodie si caractéristique et pleine de charme, qui se dessine, en couleurs doucement automnales, dans une atmosphère de mélancolie qui, jamais, ne devient de la tristesse. Le chant des deux solistes se développe dans une liberté totale, soutenu par les seuls « pizzicati » des violons : cette fois encore, nous demeurons émerveillés de la richesse poétique que le Prêtre Roux réussit à obtenir de ces instruments rigides et insolites. Le Finale, riche en traits de virtuosité, est très brillant.

 

Mais le Concerto le plus intéressant, le plus beau de cette « intégrale », l'exemple le plus spectaculaire des possibilités sonores qu'offrait aux compositeurs du XVIIIème siècle cette formation orchestrale – aujourd'hui inusitée – est le concerto p.16, composé par Vivaldi à l'occasion d'un concert donné en 1740 par les « Filles du Pieux Hôpital de la Piété » à Frédéric Christian, Prince de Pologne et Électeur de Saxe, et dont une copie manuscrite se trouve à la Landesbibliotek de Dreste. Ce Concerto, l'une des pierres angulaires de l'histoire de la musique, l'un des documents les plus expressifs de la sensibilité musicale de tous les temps, apparaît ici pour la première fois dans ses habits d'origine, c'est-à-dire que les effets de timbres voulus par l'auteur ont été respectés.

 

L'instrumentation de ce concerto est d'une variété rare non seulement pour l'époque mais également en regard de l'ensemble de l'œuvre de Vivaldi lui-même, comprenant, selon le titre du manuscrit original : « 2 flauti, 2 teorbi, 2 mandolini, 2 salmoe, 2 violini in tromba marina e un violoncello » en plus, bien entendu, de l'orchestre à cordes et du « continuo » de rigueur.

 

Les théorbes étaient des instruments à cordes pincées de la famille du luth qui, au temps de Vivaldi, avaient, tout comme la mandoline des cordes couplées deux par deux, avec cette différence, très caractéristique, que les cordes du théorbe, fort nombreuses, étaient fixées sur deux manches. Celles qui partaient du manche le plus long (les plus graves) étaient accordées suivant la tonalité du morceau à jouer et étaient toujours pincées « à vide », c'est-à-dire sans la moindre intervention de la main gauche (il n'était donc possible de jouer qu'une seule note par corde). Ceci contribuait à donner à cet instrument une couleur ronde et riche, très séduisante, particulièrement adaptée à son rôle habituel dans la basse continue.

 

Le Salmoe est un instrument à vent, n'existant plus de nos jours, dont les caractéristique font l'objet de nombreuses discussions. Pour nous, nous partageons pleinement l'opinion des musicologues – dont Marc Pincherle – qui le considèrent comme un instrument « à anche simple », c'est-à-dire un ancêtre de la clarinette. À notre avis, cette hypothèse se trouve corroborée par le fait que Vivaldi n'utilisait cet instrument que lorsqu'il désirait une sonorité exceptionnellement délicate : dans le « Concerto funèbre », par exemple, où le salmoé sert de basse aux « soli » du hautbois en sourdine (alors que le salmoé ne porte pas de sourdine), où dans le présent Concerto qui se caractérise par la sonorité ténue de tous les instruments solistes. Pour cette raison, et pour d'autres motifs qu'il serait trop long d'énumérer, nous avons réalisé les parties de salmoé, instrument aujourd'hui disparu, avec des clarinettes à l'octave supérieure.

 

Autre curiosité dans cette œuvre insolite : les « violini in tromba marina », littéralement violons imitant la trompette marine, instrument très rare à effet de roulis caractéristique, au timbre ténu, légèrement nasal. Il est évident que cet effet de roulis sur la table d'harmonie et cette modification de la couleur étaient obtenus par l'adjonction d'une sourdine spéciale. Toutefois nous sommes en plein mystère quant à la réalisation de cette sourdine et nous avons dû nous livrer à de longues recherches pour mettre au point un accessoire analogue, non sans d'ailleurs mettre à profit certaines expériences sonores de quelques compositeurs d'avant-garde qui ont pu ainsi constater qu'il n'est rien de nouveau sous le soleil...

 

Flûtes, salmoé, mandolines, théorbes, violons à sourdine spéciale : nous avons là un ensemble de timbres légers, lumineux, brillants, aux possibilités sonores d'une richesse infinie, dont l'agilité et la virtuosité sont mises constamment en valeur. Soutenus par le « continuo », ce sont les quatre instruments à cordes pincées qui dominent dans les Tutti, conférant ainsi à l'ouvrage une sonorité unique dans l'histoire de la musique. Dans les « soli » ressortent plus particulièrement les couples d'instruments : en allusions spirituelles bien caractéristiques de son style, Vivaldi se plaît à mettre en lumière, aux points-clés du discours musical (les soli au début des deux mouvements rapides et le dernier et étincelant solo du Finale) les deux instruments à cordes unissant la solennité des trompettes à la virtuosité typiquement violonistique qui se déploie en arpèges brillants et en doubles-cordes. Mais, même dans les vigoureux tutti, chaque instrument garde sa propre individualité : ce que ce Concerto apporte de plus nouveau, c'est bien le fait qu'au sein de la masse sonore ne se crée plus un amalgame de timbres, mais que chaque couleur particulière demeure distinctement perceptible dans une trame délicate et transparente.

 

Dans l'admirable mouvement médian, les violons, avec un phrasé typiquement vivaldien, chantent une ample mélodie de barcarolle, que doublent seules, à l'unisson, les deux mandolines. C'est là une des pages les plus « vénitiennes » de Vivaldi, où, dans une simplicité extrême et avec une tendresse infinie et extatique, la mélodie se déploie librement et sans interruption aucune, atteignant les régions les plus élevées de l'émotion artistique.

 

Nous avons déjà dit que, dans le présent enregistrement le Concerto a été réalisé, autant que posible avec les timbres originaux voulus par le compositeur. C'est également ce qu'on peut lire en tête de la transcription faite par deux éminents musiciens italiens – sur laquelle se sont basés, tant pour le concert que pour le disque, des exécutants très célèbres – et qui comprend, entre autres, pour la réalisation des parties de « violon en trompette marine » deux véritables trompette ! Cette énorme... et assourdissante erreur, qui a fait loi jusqu'à présent, est désormais condamnée sans rémission par le respect du texte vivaldien, sur le plan technique comme sur celui du bon goût. Sur le plan technique, les parties de violon « en trompette marine » sont sans le moindre doute possible une partie violinistique, avec intervalles, traits, doubles cordes, insistances caractéristiques sur les corde à vide et en particulier sur la corde de sol qui constitue la limite grave du registre de cet instrument. En fait, les compositeurs dont nous parlons ont dû se livrer à d'incroyables acrobaties pour transformer cet authentique violon en fausse trompette, effaçant les doubles notes, répartissant et divisant les traits d'une façon plutôt fantaisiste (ce sont les violons de l'orchestre qui sont obligés, par exemple, de jouer des « cordes à vide » seules au milieu de longs silences), pour finalement obtenir deux parties de trompettes horriblement difficiles, anti-naturelles et parfaitement injouables.

 

Du point de vue du bon goût artistique, l'édition comportant ces deux trompettes est une négation totale de la géniale intuition vivaldienne quant à la combinaison des timbres, qui est à la base de ce chef-d'œuvre. La sonorité éclatante et écrasante des trompettes « tue » l'ensemble des autres instruments, détruisant le délicat, l'aérien, l'admirable équilibre : les fragiles cordes pincées disparaissent totalement tandis que les autres instruments passent au second plan – bien que les exécutions inspirées de telles « révisions » prévoient des instruments aux sonorités moins fines, plus lourdes tels que la petite harpe (à la place du téorbe!) le basson, le cor anglais etc.

 

L'origine de cette absurdité est la suivante : le copiste de Dresde, interprétant sans doute une abréviation de Vivaldi (peut-être le compositeur avait-il simplement inscrit les lettres « Tr. » pour distinguer les violons « in tromba marina » des autres violons de l'orchestre à cordes) a écrit le mot « Tromba » au début de la partition. Les musicologues que nous mentionnons ont pris cette indication à la lettre, oubliant que le titre de la partition porte l'indication exacte de « violoni in tromba marina » et qu'il n'y est pas question de la moindre trompette ! Assez comiquement, l'un d'eux, partant de cette énorme confusion, observe dans une note éditée que « les violons en trompette marine ne figurent pas parmi les instruments mentionnés dans la partition ». Il aurait d'ailleurs dû lui suffire de lire attentivement cette partition car un musicien peut se tromper devant des mots, mais pas en face de notes ! La modestie et l'amour auraient dû lui rappeler que Vivaldi était peut-être le plus grand connaisseur de timbres et d'instruments de toute l'histoire de la musique, qu'il savait, mieux que ses « réviseurs » que la trompette, elle, ne donne qu'une seule note à la fois et qu'il en connaissait parfaitement l'étendue et les caractéristiques !

 

Écoutons-le donc, ce Concerto, tel qu'il fut autrefois. Cette audition fera revivre à nos oreilles un joyau sans pareil qui, jusqu'à ce jour, avait été entièrement défiguré. Nous goûterons ainsi l'une des plus splendides créations de l'esprit humain, où la clarté, la simplicité, la luminosité et la grâce aérienne de l'art vénitien atteignent les dimensions d'un message universel.

 

Ce disque est complété par le Concerto en si bémol « a due cori von violano discordato », l'une des œuvres où souffle le plus largement l'esprit du Prêtre Roux : l'usage de l'écriture « à deux chœurs » remonte aux origines de l'école musicale vénitienne, tradition dûe à la disposition de la Basilique Saint-Marc, dont les deux orgues se faisaient face : les compositeurs réunissaient voix et instruments autour de chacun de ces orgues dans une alternance et un dialogue constant des deux masses sonores. Pour employer un terme moderne, c'était là déjà la musique « stéréophonique ». Nombreuses sont les œuvres du Prêtre Roux écrites selon cette tradition et où se répondent et s'unissent deux orchestres à cordes. Le violon solo est « désaccordé » ou plutôt accordé de façon inhabituelle : pratique cependant fréquente dans l'école vénitienne qui, tout en modifiant les possibilités techniques de l'instrument en variait également le timbre, selon les différentes façons d'accorder. Dans le Concerto qui nous intéresse, la note quatrième est montée d'une tierce mineure, donnant ainsi un si bémol. La couleur de l'instrument acquiert plus de douceur. Sur le plan technique, ce système augmente les possibilités de garder le si bémol comme pédale pour les traits et les arpèges.

 

Parmi les plus beaux passages de ce Concerto, citons la passacaille du second mouvement où les instruments de l'orchestre répètent constamment les sept mêmes battues tandis que le soliste donne libre cours à une invention toujours nouvelle dans la variété et la richesse de la fantaisie. Il est à remarquer que la Cadence, à la fin du dernier mouvement, est l'une des rares pages de ce genre écrite entièrement de la main même de Vivaldi.

 

Claudio Scimone

Traduction : F . Knaeps

 

dimanche, 20 février 2011

Schubert vu par Halbreich sur une pochette de vinyle.

 

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Phot : Mavra Nicolaievna Vonogrochneïeva

 

Et nous continuons ! sans savoir vraiment d'où vient cette motivation qui nous pousse à recopier les textes des pochettes de disques microsillon des années 60 et 70...

 

Ecce Schubert :

 

"Les sonates de Schubert sont probablement l'ensemble d'oeuvres le moins connu et le plus injustement négligé du répertoire pianistique. Plus encore que le reste de sa production instrumentale dans les grandes formes, elles souffrent d'un discrédit né d'une méconnaissance foncière de leur signification exacte. Hypnotisées par les prodigieuses conquêtes formelles de la Sonate beethovénienne, de longues générations n'ont eu que dédain pour Schubert qui n'a pas cherché à renouveler l'architecture externe du genre. L'époque actuelle, qui semble accorder à nouveau son importance véritable aux questions de langage et de matière sonore, réunit les données favorables à une réévaluation totale de l'oeuvre schubertienne.

 

Sur le plan du cadre formel, Schubert s'en tient aux données acquises : sonate, rondo, lied, scherzo et trio, variations. Il fait se succéder, à de rarissimes exceptions près, trois ou quatre mouvements dans l'ordre traditionnel. Mais le langage qui vient s'inscrire sur ces infrastructures classiques est d'une exceptionnelle nouveauté. L'harmonie schubertienne explore jusqu'en ses ultimes limites le domaine d'une tonalité déjà singulièrement élargie, définissant les frontières de l'atonalité. D'essence à la fois audacieusement fonctionnelle, subtilement impressionniste et profondément psychologique, cette harmonie constitue à elle seule un apport capital, dont il est inconcevable qu'on ait pu le sous-estimer à ce point. Mais la nature originale du melos schubertien, le caractère essentiellement épique et contemplatif de son lyrisme, renouvellent la notion de thème et de développement. La dialectique dramatique et affective du dualisme thématique beethovenien cède la place à d'amples périodes qui trouvent leur fin en elles mêmes. Il est donc faux de prétendre que Schubert développait mal car ses critères étaient diamétralement opposés à ceux de Beethoven. Moins mouvementé, moins actif, le développement schubertien procède essentiellement par oppositions d'éclairage, de timbre et d'harmonie, exprimant autant de fluctuations subtiles de la vie intérieure. Il est extraordinaire qu'après Debussy on n'ait pas compris cela !

 

C'est pourquoi les Sonates de Schubert seront nécessairement longues et leur richesse affective précisément fonction de cette longueur. Schubert a remis en cause la notion même de temps musical. Contemplatif, éternel voyageur étranger sur cette terre, il a le temps, même l'éternité pour lui. Sa musique épouse le temps complice et adopte le rythme des éléments bien plus que celui de l'homme. Ainsi s'éclaire le panthéisme profond du musicien qui aspira toujours à la réunion de son être temporel avec les éléments telluriques dont il le sentait issu. Dépassement de la dimension temporelle humaine, essai d'identification avec celle de l'univers, tel nous semble le mobile fondamental de la longueur schubertienne.

 

SONATE EN LA MINEUR, D 784 (publication en 1839 par Diabelli, sous le numéro d'opus fantaisiste 143, avec dédicace à Mendelssohn).

 

Oeuvre isolée et énigmatique, la Sonate en la mineur, seconde de cette tonalité, est le premier fruit de la grande maturité schubertienne et se rattache, par son inspiration, à la symphonie Inachevée et au Quatuor en la mineur, op 29. Chronologiquement, elle se situe du reste à mi chemin entre ces deux grandes pages. Malgré le titre de Grande Sonate dont l'affubla Diabelli pour des raisons commerciales, c'est une oeuvre intime, concentrée, introspective, la dernière que Schubert écrira en trois mouvements.

 

L'Allegro giusto initial est aussi développé que les deux autres mouvements réunis. L'atmosphère en est épique, comme une ballade ancienne et douloureuse, tout à tour chevaleresque et nostalgique, d'une écriture pianistique quasi-orchestrale. Le bref et tout simple Andante en fa majeur, d'une ineffable magie poétique, présente une lente procession de pèlerins égrenant un cantique dans la nuit limpide et solitaire. Son mysticisme retiré est troublé passagèrement par une explosion dramatique à laquelle il sera fait fugitivement allusion au cours de la conclusion qui frappe par la beauté de ses harmonies. La reprise de l'hymne des pèlerins aura été ornée de triolets cristallins, souvenir transfiguré de l'épisode médian. Que de nostalgie ici encore !

 

L'Allegro vivace convulsif ne cherche plus à donner le change. Ses triolets initiaux sont une évocation déjà impressionniste du vent dans les feuillages, vent qui s'enfle rapidement en tempête. Au milieu de cette agitation passionnée, que souligne une grande instabilité tonale, le contraste d'un second thème à la fois suppliant et paradisiaque semble plus fort encore que dans le premier mouvement. L'orageuse et farouche conclusion, d'une puissance beethovénienne, l'emporte à tout jamais : cette oeuvre de crise, écrite à un des moments les plus douloureux de la brève existence de Schubert, s'achève ainsi en désolation sans remède.

 

SONATE EN LA MAJEUR, D 959

La dernière année de sa vie, passé le cul-de-sac de la folie guettante incarnée par le ménétrier du voyage d'hiver, Schubert devait atteindre à cette sérénité seconde qui est également celle du Mozart de 1791, à cette zone de paix surhumaine que plus rien ne saurait ébranler désormais, et où la joie résulte de la surmultiplication du désespoir, où le majeur est un mineur à la seconde puissance. De ces rivages élyséens, il n'est point de plus beau message que la grande Sonate en la majeur, seconde des trois que Schubert composa en succession rapide en septembre 1828, moins de deux mois avant sa mort. Il la prépara par des ébauches fort poussées que nous avons conservées. Il voulait dédier à Hummel cette trilogie, avec laquelle il était conscient de prendre la succession des dernières Sonates de Beethoven, mort l'année précédente, mais Diabelli la fit paraître en 1839 avec une dédicace à Robert Schumann, Hummel étant décédé dans l'intervalle. Dans ces trois chefs d'oeuvre le compositeur parvient à la parfaite synthèse de l'influence bééthovénienne et du lyrisme intime de ses propres Sonates de jeunesse. Malgré ses vastes dimensions, la Sonate en la, la plus développée de Schubert, convainc par l'harmonieuse perfection de ses proportions, qui ne laissent place à aucune longueur.

 

L'Allegro initial commence par l'affirmation, énergiquement rythmée, de la note la, éclairée par des harmonies changeantes. À la sixième mesure se dégage un trait mélodique, introduisant les triolets de croches qui domineront tout le déroulement du morceau. Un pont aux marches harmoniques extraordinaires, avec leurs âpres frottements de seconde, conduit au second thème, chant imprégné de noble sérénité. Les progressions reprennent alors sous une forme hardiment chromatique à partir de l'extrême-grave du clavier, sur quoi une reprise du second thème conclut l'exposition par une zone de calme et de contemplation. Le développement travaillera exclusivement un thème neuf, splendide, dans une atmosphère de ballade fantastique, dont la limpidité ne fait que souligner l'étrangeté. Après avoir atteint à une sorte de désincarnation dans les tessitures les plus élevées, un crescendo dynamique, en accords massifs, introduit la rentrée. Dans la coda, la vigoureuse assertion initiale se voit transfigurée en réminiscence de rêve, terminant dans la douceur cette magique évocation d'un printemps – ou mieux, d'une résurrection.

 

L'Andantino (fa dièse mineur, 3/8), d'une concision insolite, a été comparé à une barcarolle vénitienne, voire à une romance. Dans l'envoûtement lancinant de son balancement initial, nous verrions bien plutôt une « berceuse de la douleur », pour citer Brahms. Einstein a souligné la parenté de ce morceau avec le Lied Pilgerweise (Chant du Pèlerin, d'après Schober, D.789), de mai 1823 : « je suis sur la terre un pèlerin, toujours marchant de porte en porte...» Un fantastique inquiétant, hoffmanesque, s'exprime dans l'épisode du milieu, d'une étonnante liberté en son agitation. Aussi, que de résignation dans la sérénité retrouvée de la fin, qui se fond en d'ultimes ténèbres. L'espace de quelques instants, ce morceau nous a révélé l'abîme sous-jacent qui sert d'assise à cette Sonate joyeuse et printanière...

 

C'est un morceau d'essence purement viennoise que le bref Scherzo (Allegro vivace), avec ses échos de valse et son staccato capricieux. Si sa brillante écriture pianistique peut évoquer Weber, quelques brusques contrastes d'ombre n'en sont pas moins absents.

 

L'Allegretto final, d'une étendue peu commune, est bien l'apothéose de la « divine longueur » schubertienne que célébrait Schumann. Son plan formel est d'une déroutante simplicité : rondo de sonate, ou, forme-sonate avec retour du premier thème en conclusion de l'exposition et de la reprise. Deux thèmes suffisent à alimenter cette lumineuse vision d'Arcadie, cette corne d'abondance de divine simplicité, livrée à la joie de chanter et de moduler. Einstein encore nous en livre la clé : le Lied Im Frühling (Au printemps, d'après Schulze, D.882), de 1826 : « Je suis assis en paix au flanc de la colline ; le ciel est si limpide... ». Le thème enjoué du refrain semble se pencher une fois encore sur une jeunesse heureuse et révolue, et son expression tendre et paisible évoque Mozart. Au cours du second couplet il acquerra un visage dramatique, inattendu, grâce à un véritable développement thématique, puissamment tendu. À la reprise fort variée succède une grande coda sur la thème principal, d'abord hésitante, coupée de silences et de modulations subites, puis se précipitant joyeusement en une strette rapide, que vient couronner, en un coup de maître, une vigoureuse allusion aux premières mesures de la Sonate".

 

Harry Halbreich

Bruxelles, novembre 1966

 

(L'Einstein mentionné ici est Alfred, le musicologue : http://musiqueclassique.forumpro.fr/t5568-alfred-einstein-musicologue).

 

dimanche, 13 février 2011

Deutsche Grammophon : Concerto n°1 pour piano en ré mineur, op 15. Le texte de la pochette (III)

 

(phots Sara)

 

Jardin du Luxembourg, Sara

 

Nous poursuivons notre entreprise de recopiage des pochettes de certains disques 33 tours, parce que ces textes étaient intéressants et bien écrits, et qu'ils risquent de tomber aux oubliettes.

 

Voici le texte de la pochette du disque Deutsche Grammophon, collection PRESTIGE, « Johannes Brahms, Concerto n°1 pour piano en ré mineur », interprété par le pianiste Émile Guilels et dirigé par Eugen Jochum (orchestre philharmonique de Berlin).

1972

 

Voici la troisième partie du texte, qui parle du chef d'orchestre, Eugen Jochum. La première présentait l'oeuvre ; fut ensuite annoncé le pianiste, le grand Emil Guilels.

 

 

Saint-Eustache, Colbert, Sara

 

Eugen Jochum a une conception métaphysique de la musique. Son extérieur – mince silhouette élancée, profil de savant, chevelure argentée – trahit à ne pas s'y méprendre l'artiste centré sur l'univers spirituel, le descendant du type de musicien intellectuel tel que l'a fixé Furtwängler. En s'entretenant avec Eugen Jochum, on a l'impression d'avoir affaire à un esprit universel ; il parle avec la même compétence des problèmes formels chez Bruckner que des questions de style chez Hölderlin, de l'histoire de l'art et de la civilisation de Rome que de la philosophie contemporaine. Trois courants de formation l'ont profondément marqué : le foyer d'enseignants, musicien et ouvert dont il provient, la sévère éducation classique qu'il reçut au lycée des bénédictins de Saint-Étienne à Augsbourg et le catholicisme empreint de joie et de largesse d'esprit tel que le lui enseigna son ami Romano Guardini, théologue et philosophe.

On a, de manière un peu inconsidérée, catalogué Jochum comme l'interprète Brucknérien par excellence. Certes, son enregistrement de l'intégrale des symphonies de Bruckner a-t-il fait date dans l'histoire de l'édition phonographique et largement contribué à augmenter l'audience du compositeur, mais nombre de ses autres enregistrements sont tout aussi remarquables, qu'il s'agisse des symphonies de Beethoven, de Brahms et, tout récemment, de Haydn. Il a signé un merveilleux « Cosi fan tutte » et on ne peut dissocier son nom de celui de Carl Orff. C'est en grande partie grâce à lui si « Carmina Burana » est devenue une oeuvre populaire.

 

La compréhension qu'Eugen Jochum a de l'oeuvre de Brahms – il tient Brahms pour le plus parfait maître de composition du siècle dernier – fut reconnue dès 1936 et distinguée par l'attribution de la médaille Brahms de Hambourg. Ce qui importe avant tout à Jochum, c'est le contenu spirituel de la musique, des grands enchaînements, c'est ce qu'il y a derrière les notes – attitude qui le prédestine tout particulièrement à être l'interprète de Brahms ainsi que le prouve, s'il en était encore besoin, le présent disque.