lundi, 07 juin 2010
Mourir au bout du chemin
N’est-il pas étonnant de lire que Théophane Vénard, Charles de Foucauld, Christian de Chergé avaient choisi leur mort ? Ils l’avaient prévue, ils l’avaient envisagée.
Théophane Vénard jouait au martyre avec sa sœur. Il souhaitait mourir en martyre en Asie. Il fut décapité au Tonkin.
Charles de Foucauld voulait être assassiné. Il le fut. Christian de Chergé, de par son amitié tragique avec Mohamed, avait aussi eu l’intuition d’une mort violente, offerte à l’Algérie.
Et moi, quelle mort je voudrais ? Une mort silencieuse sous un soleil d’or, dans une nature oubliée.
Sur un mont d’oliviers, peut-être. En tout cas sur un monts où les arbres fruitiers vivent librement, espacés les uns des autres. Au soleil, dans la lumière du soir, vers sept heures, comme je suis née. Dans un nature isolée, comme une bête éloignée du troupeau. Marcher et savoir que j’ai tout accompli, que l’œuvre se continuera sur la terre. Sentir que je défaille, m’agenouiller en prière et mourir ainsi, en paix avec ce qui fut. Il fait très chaud. Là bas, les cloches de la petite église sonnent l’angélus. On me retrouvera à l’aube, la croix de mes trente ans autour du cou, le passage d’évangile pour ma messe d’enterrement dans ma poche, morte en prière et en paix.
Et ceux que je laisserai derrière moi verseront de douces larmes et sentiront que monte en eux la Joie. Et ils accepteront de rire dans leur cœur. Et ils diront adieu comme on dit au revoir.
E CL
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samedi, 05 juin 2010
Dangereuse beauté
poule rousse par Sara
Tu vois que le soleil a cessé de briller
Et que je ne suis pas prêt de l’oublier
Dangereuse beauté
De ton étoile j’entends le râle des humains apeurés
Et alors que tous s’effondrent dans leurs pensées
Alors que tous s’efforcent d’oublier leur passé
Toi tu les regardes et recrées cette image lacérée
Dont tous tentent de se débarrasser
De leur âme a jamais offusquée par ta magie d’obscurité.
Que cherches-tu, pourquoi me prendre a tes cotés
Que puis je faire devant ta majesté
L’horreur est ta beauté
Tu me dégoûte je t’aime j’aime les entendre crier
Toutes les senteurs du monde sont à jamais exorcisées
Regarde-les s’entretuer, ils n’arrivent plus à pleurer
Par ton toucher ils sont glacés.
Ce spectacle terrible, long et majestueux
Que nous regardons tous deux du haut des cieux
Merci, merci ignoble amour
D’avoir plongé ces peuples dans la damnation
Au point qu’instinctivement libres comme des pions
Ils mènent doucement leur lente éradication.
Merci profondément toi qui n’as pas de nom
Garde-moi près de toi quelle belle illustration
Nous les regarderons jusqu'à la fin des temps
Lutter et s’affirmer, crétinisme patent.
Leur naïveté palpable sera distraction
Et leur aveuglement sera notre passion
Et puis nous attendrons dans la délectation
La fin de l’age des hommes, d’une ère la scission.
S.Barynsflook
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mardi, 25 mai 2010
DE L INCOMPREHENSION NOTOIRE DE L'HOMME
DE L INCOMPREHENSION NOTOIRE DE L'HOMME QUANT A L'EVOLUTION DE LA HIERARCHIE DES ESPRITS DU MONDE
Par S.Barynsflook
Pas de questions sur l'évolution de tout un chacun, l'histoire des peuples, l'histoire des communautés, l'histoire des individus... Toutes les erreurs notables sont déjà notées quelque part. Et pourtant ils s'obstinent, ça les excite de revivre ces passes palpitantes de l'histoire, de la vie, de l'histoire de la vie. Incalculables vertus causant d'incalculables torts, indénombrables vices pour le plaisir de tous. L'arbre se courbe devant celui qui voudra bien chercher à lui faire courber l'échine, et bien peu malins mais nombreux ceux qui en sont capables.
Accalmie des bons jours, dangereuses bourrasques de ceux pendant lesquels tu règnes... Du sentir au toucher, le dictat de toujours, tu t'es toujours trompé, rien jamais ne te perdra et pourtant tu as déjà perdu.
J'ai créé l'armée du désespoir afin de te détrôner immonde parasite du monde des gentils. Seuls les grands ont pu observer la vérité, car cette dernière ne se sait jamais, elle s'observe... Tu aurais du comprendre, tu aurais du m'entendre. Tu verras la lumière quand tes fautes expiées tu auras renoncé à rejoindre ce gué. Le gué de l'astre mort le gué du mirador noir à cent lieues des humains, moi je t y attendrai, et tu pourras crier, forcer ou attaquer mais le soleil jamais ne te laissera passer. Ainsi, tu vois, sans même lever d'armée, sans trop de vies renier, sans les faire soupirer, j'ai ressaisi ma chance d'être de ces grands esprits, qui, dans l'histoire des Mondes ont su harmoniser les émotions, les vies, celles la même que tu t'évertuais à annihiler, aigri par la longueur des ères.
Barynsflook
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dimanche, 23 mai 2010
Sérénade triste
photo Sara
Comme des larmes d'or qui de mon coeur s'égouttent,
Feuilles de mes bonheurs, vous tombez toutes, toutes.
Où je vais, les cheveux au vent des jours mauvais.
Vous tombez de l'intime arbre blanc, abattues
Ça et là, n'importe où, dans l'allée aux statues.
Couleurs des jours anciens, de mes robes d'enfant,
Quand les grands vents d'automne ont sonné l'olifant.
Et vous tombez toujours, mêlant vos agonies,
Vous tombez, mariant pâles, vos harmonies.
Vous avez chu dans l'aube au sillon des chemins;
Vous pleurez de mes yeux, vous tombez de mes mains.
Comme des larmes d'or qui de mon coeur s'égouttent,
Dans mes vingt ans déserts vous tombez toutes, toutes.
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samedi, 15 mai 2010
Passages volés sur le musicien Verdi
Pont-Hus
Voici deux jolis passages sur Verdi, tirés d'Une histoire de la musique, de Rebatet, publiée par Bouquins-Robert Laffont.
À propos du bal masqué :
"Des fontaines mélodiques jaillissent vers le ciel, se mêlent ou bien se répandent en nappes surabondantes. Et sans jamais cesser d’être voluptueuse, séduisante, cette musique sait exprimer le sarcasme, l’effroi, la douleur, le désespoir".
À propos d'Aïda :
"Et c’est une des idées les plus exquises et les plus poétiques, en même temps qu’un beau dédain pour les effets réputés obligatoires, que la mort amoureuse de Radamès et d’Aïda, ce duo decrescendo jusqu’au pianissimo qui ferme l’œuvre et pose comme une auréole tendrement funèbre au-dessus de ses fastes et de ses fracas.
« Le triomphe mondial d’Aïda porte au pinacle la célébrité de Verdi. Aucun musicien, depuis la Renaissance, n’aura accumulé autant d’honneurs, en les ayant moins recherché. Bien qu’il soit resté de goût simple, sa vie devient seigneuriale.
« Tutto nel mondo è burla ! », tout en ce monde est une blague, phrase du dernier acte de Falstaff, de Verdi".
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mercredi, 12 mai 2010
Un coup de poing
Soutien aux êtres qui pleurent ce soir, seuls dans l'abandon ou ensemble autour d'une misère commune.
Quand la vie bascule, mon amour, mon frère, mes amis, mes pères, un soir un coup de téléphone, un coup au coeur, un coup de poing, un coup de batte de fer, un coup sur la tête,
quand les certitudes et les sécurités se brisent et laissent l'être seul devant le vide du néant, à quoi faut-il se raccrocher pour continuer à être un individu qui se lève au petit matin et sait son nom et marche dans la ville et va vers la mer ? Quand la vie bascule, quelles sont les choses de l'enfance qui peuvent nous garder vivants et capables encore de bonheur ?
C'est la question qui se pose face à un mur, face à une mort, face à un pronostic médical, face à une lettre d'huissier, face à un mandat d'arrêt, face à madame l'horreur.
Il faudrait avoir appris à prier, peut-être ? Tout à une fin, même la souffrance. Amen.
Édith de CL, pendant qu'elles parlent au téléphone
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lundi, 03 mai 2010
Fin d'un amour, rue de Bourgogne à Paris
Tu lisais trop Vigny et je n'existais plus quand le livre ouvert tu habitais Chatterton. Je te demandais l'heure qu'il était, te proposais de sortir faire une promenade sur le boulevard des Invalides. Tu répondais quelques vers de La mort du loup. Aujourd'hui, notre fils me reproche mon divorce. Il a sans doute raison. J'aurais dû rester et trouver un auteur, un auteur à moi, qui m'aurait fait oublier ton absente présence. Mais, cette égalité dans l'indifférence, l'aurais-tu supportée ?
Hélène Lammermoor
photo volée
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lundi, 26 avril 2010
Solstices
"Que nul à la fête de saint Jean ne célèbre les solstices par des danses et des chants diaboliques".
Saint Eloi
VIIème siècle
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mercredi, 21 avril 2010
Extrait d'Esther
Il y a des gens qui se plaignent, montrent leurs plaies, quémandent et empochent. Il y en a d’autres qui se sacrifient, offrent, se tiennent hauts et droit et ne demandent rien pour leur peine. J’éprouve pitié et mépris pour les premiers ; compassion et respect pour les seconds.
Esther Mar, in Chant de Poussière
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jeudi, 15 avril 2010
Sur Schütz
Très bien écrite, Une histoire de la musique, de Rebatet, publiée aux éditions Bouquins-Laffont, comporte de vrais passages littéraires. En voici un sur Schütz, adoré par notre deltaplaniste Siobhan H (qui écrit dans la catégorie "vol libre" de ce romanblog).
« On est surpris de la faible part des italianismes chez ce disciple attentif, cet admirateur de Gabrieli et de Monteverdi. C’est que Schütz demandait aux Vénitiens de l’instruire dans des formes nouvelles, des agencements sonores, dans les secrets d’une dramaturgie musicale dont ils étaient les généreux initiateurs. Mais en même temps que sa lucide modestie de provincial n’ignorait ni ses lacunes ni son retard, il possédait une personnalité à chaux et à sable, la première personnalité de cette force qui se révélât dans la musique allemande, et qui se fondait sur le germanisme et le protestantisme ».
« Les trois Passions que Schütz composa à l’âge de 80 ans, nous paraissent moins attachantes, sans doute parce qu’elles relèvent davantage de la liturgie universelle du christianisme. Mais on y respecte le désir d’ascèse du vieil artiste qui s’interdit tout ornement, tout recours aux instruments. On y admire tout ce qu’il sait faire exprimer à la seule ligne monodique. Et, une fois encore, un an avant de mourir, le vieillard allait célébrer dans un monumental Magnificat Allemand, l’union de l’opulente polyphonie et de la loyale simplicité du chant luthérien ».
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mercredi, 14 avril 2010
du désert
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dimanche, 11 avril 2010
Cher Hanno
J’ai rencontré Hanno Buddenbrook : ma vie est entrain de changer. Il marche à mes côtés depuis quelques jours et j’ai confiance que cette fois, c’est quelqu’un qui ne me quittera pas. Il est plus jeune que moi : qu’importe. Nous nous sommes trouvés outre-monde, là où ni l’âge, ni rien de mesquin ne se manifeste. Il a peur de son père, qu’il aime, en dépit de son indifférence apparente. Je publie ci-dessous quelques phrases de son père, et pendant que vous lisez je rejoins Hanno, mon ami, mon frère.
"J’ai l’impression qu’autrefois rien de semblable n’aurait pu m’arriver. J’ai l’impression d’une chose qui m’échappe et que je ne peux pas retenir aussi fermement que jadis… Qu’est-ce que le succès ? Une force secrète, indéfinissable, faite de prudence, de la certitude d’être toujours d’attaque… la conscience de diriger, par le seul fait d’exister, les mouvements de la vie ambiante ; la foi en sa docilité à nous servir… Fortune et succès sont en nous. A nous de les retenir solidement, par leur racine. Dès qu’en nous quelque chose commence à céder, à se détendre, à trahir la fatigue, aussitôt tout s’affranchit autour de nous, tout résiste, se rebelle, se dérobe à notre influence… Puis une chose en appelle une autre, les défaillances se succèdent, et vous voilà fini. J’ai souvent pensé, ces derniers temps, à un proverbe turc qu’il me souvient d’avoir lu : « Une fois la maison finie, la mort s’approche ». Oh ! pour l’instant, la mort, c’est beaucoup dire. Mais le recul, la descente… le commencement de la fin… Vois-tu, Tony, poursuivit-il, passant son bras sous celui de sa sœur et assourdissant encore sa voix, lorsque nous avons baptisé Hanno, te rappelles-tu, tu m’as dit : « Il me semble qu’une ère toute nouvelle va s’ouvrir ! » C’est comme si je t’entendais encore, et les événements ont paru te donner raison, car aux élections au Sénat la fortune m’a souri, et, ici, la maison s’élevait à vue d’œil. Mais la dignité de sénateur et la maison ne sont qu’apparences, et je sais, moi, une chose laquelle tu n’as pas encore songé ; je la tiens de la vie et de l’histoire. Je sais que, souvent, au moment même où éclatent les signes extérieurs, visibles et tangibles, les symptômes du bonheur et de l’essor, tout déjà s’achemine en réalité vers son déclin. L’apparition de ces signes extérieurs demande du temps, comme la clarté d’une de ces étoiles dont nous ne savons pas si elle n’est pas déjà sur le point de s’éteindre, si elle n’est pas déjà éteinte, alors qu’elle rayonne avec le plus de splendeur. »
Ils se tut et ils marchèrent un moment sans mot dire, tandis que le jet d’eau clapotait dans le silence et qu’un chuchotement passait dans la ramure du noyer.
Thomas Mann, Les Buddenbrook, trad Geneviève Bianquis
Pauvre Hanno, dont le père, dans un reniement intérieur, rêve d'un autre enfant que toi :
« Quelque part grandit un enfant bien doué, accompli, capable de développer toutes ses facultés, un enfant qui a poussé droit, sans tristesse, pur, cruel et gai, un de ces humains dont le seul aspect augmente le bonheur des heureux et pousse au désespoir les malheureux”.
Photos de Sara
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lundi, 29 mars 2010
Lettre d'amour de gauche
Un amour de gauche, par un homme qui fut de gauche avant de se disloquer dans l'alcool et le dédoublement de personnalité.
Merci Axel Randers, pour ce que tu fus.
Et merci pour cette lettre d'amour de gauche que tu nous avais offerte, il y a longtemps, alors qu'Esther Mar nous avait proposé une lettre d'amour de droite.
Chansons, luttes et baisers d’extrême gauche. Une lettre-requiem
Zurich, Octobre 2007
Mon amour,
Cela fait dix ans que je ne t’ai écrit.
Je viens de tomber malade, et cette idée sans cesse ressassée, puis reportée à plus tard, écrire à Julie, écrire à Julie – s’impose désormais comme une urgence.
Ecrire à Julie. Lui redire des choses… Lui raconter quelques uns des événements importants de ces dix dernières années.
Depuis notre rupture, vois-tu, j’ai continué à vivre comme je vivais, mais le rire intérieur qui rendait belle la lumière sur la Terre est mort.
J’ai su par Marc N que ton frère est devenu aveugle. Une rixe à la fin d’une manifestation, c’est bien cela ? Pourquoi voulait-il toujours se castagner ? Nous nous disputions souvent à ce sujet. J’espère qu’il va bien aujourd’hui. Je pense que ton père est mort et que cela a dû être difficile. J’aurais aimé être là, près de toi, pour toi.
Savais-tu Julie que la plupart des lettres écrites marquent leurs destinataires plus qu’aucune forme de communication ? Quand elles sont lues… Je voudrais que la mienne trouve le chemin de Julie et que sa lecture fasse rejaillir le souvenir des étreintes dans la chambre sale. Ce matin je fredonnais la chanson que nous apprenions aux enfants quand nous animions les dimanches du peuple.
Que tu as de belles filles, Giroflé, Girofla. Savais-tu que c’est un air traditionnel ? Rosa Holt écrivit les paroles en 1935, au moment de l’arrivée de Hitler au pouvoir.
Je te les reproduis. La mélodie résonnera à tes oreilles et un pan entier de ton existence ressurgira du passé.
Que tu as la maison douce
Giroflée Girofla
L'herbe y croît, les fleurs y poussent
Le printemps est là.
Dans la nuit qui devient rousse
Giroflée Girofla
L'avion la brûlera.
Que tu as de beaux champs d'orge
Giroflée Girofla
Ton grenier de fruits regorge
L'abondance est là.
Entends-tu souffler la forge
Giroflée Girofla
L' canon les fauchera.
Que tu as de belles filles
Giroflée Girofla
Dans leurs yeux où la joie brille
L'amour descendra.
Dans la plaine on se fusille
Giroflée Girofla
L' soldat les violera.
Que tes fils sont forts et tendres
Giroflée Girofla
Ca fait plaisir d' les entendre
A qui chantera.
Dans huit jours on va t' les prendre
Giroflée Girofla
L' corbeau les mangera.
Tant qu'y aura des militaires
Soit ton fils soit le mien
Y n' pourra y avoir sur terre
Pas grand-chose de bien.
On te tuera pour te faire taire
Par derrière comme un chien
Et tout ça pour rien.
Et je pense à une autre chanson, une italienne, celle que nous entonnions lors des manifestations pour les prisonniers de GFKL et de SINERTA. Bella ciao… Une chanson populaire, elle aussi. Je n’ai jamais pu l’entendre depuis sans sentir à nouveau tes boucles rousses sous mes lèvres et sans voir tes yeux verts noyés de larmes, de belles larmes de la révolte et de la jeunesse. Je sais que ni la révolte, ni la vraie jeunesse ne t’ont abandonée.
E questo é il fiore del partigiano
O bella ciao, o bella ciao, o bella ciao ciao ciao
E questo é il fiore del partigiano
Morto per la libertà
Qu’es tu devenue ? Question abyssale. Je voudrais être certain que quelqu’un te réchauffe et te protège.
Moi, j’ai combattu pour mes frères humains, et depuis que j’ai compris que les animaux n’étaient pas moins conscients que nous de leur vie propre, j’ai combattu pour eux aussi. Au sein de plusieurs groupuscules anarchistes et antispécistes j’ai pu réaliser à quel point aucune lutte humaniste n’atteindra ses buts si elle ne s’étend pas à toute la conscience du monde, c'est-à-dire à l’animalité. L’animalisme est un humanisme.
J’ai tenté la liberté et la fraternité. Depuis mon lit d’hôpital, je souffre et je ne regrette rien. J’ai vécu une vie d’homme.
Nos amitiés sont mortes. Elles ont rejoint la prison, la mort ou la bourgeoisie. J’ai revu Jean-Scholastique l’année dernière. Que faisait-il à Zurich ? Je l’ignore. Nous parlâmes dans la rue, quelque quart d’heure. Il ne citait plus Malcolm X (tu aimais cette phrase, Julie : «Vous ne pouvez pas parler de paix à quelqu’un qui ne comprend pas la paix. Vous ne pouvez pas parler d’amour à quelqu’un qui ne comprend pas l’amour. Et vous ne pouvez pas parler de non-violence à quelqu’un qui ne comprend pas la non-violence. Vous perdez votre temps ».) ; il ne citait plus Frantz Fanon ("Je n'ai pas le droit, moi homme de couleur, de souhaiter la cristallisation chez le Blanc d'une culpabilité envers le passé de ma race. Vais-je demander à l'homme blanc d'aujourd'hui d'être responsable des négriers du XVIIe siècle ? Je ne suis pas esclave de l'esclavage qui déshumanisa mes pères.")– il était fier d’être député de Guyane et me parla de sa lutte pour la discrimination positive. Les temps changent et les hommes en vieillissant ne ressemblent plus à leur rêve.
Homme sans courage, homme sans douceur, homme sans souplesse, je suis pourtant l’homme d’un seul amour, Julie. Je t’aime, comme je t’aimais il y a vingt ans lors de notre rencontre, comme je t’aimais il y a dix ans lors de notre déchirure. Personne n’a remplacé ma Julie et dans quelques mois quand je mourrai – les médecins me prédisent cela – c’est l’image de ton visage qui m’accompagnera. Tu as été la lumière de ma vie, je retournerai au Néant dont nous venons tous guidé encore par ces yeux verts et ce sourire si vivant.
Je t’ai fait mal, quelquefois. J’en ai eu honte. J’ai compris mes coups de sang dans un bistrot de gare - la radio du bar passait « like a bird » de Leonard Cohen – et je me suis pardonné.
Like a bird on a wire… Comme un oiseau sur un fil
Like a drunk in a midnight choir... Comme un homme ivre dans un choeur de minuit
I have tries in my way to be free... J’ai tenté à ma façon d’être libre
Like a baby still born Comme un bébé mort né
Like a beast with his horn Comme une bête encornée
I have torn everyone who reached out for me... J’ai déchiré toute personne qui m’a tendu la main
Sois heureuse. Continue d’être belle, belle de révoltes, d’enfances et de rires.
Je ne te dis pas Adieu, je n’y crois pas. Je te dis à nous, mon amour. A nous et à ce que nous avons partagé.
Ton Axel.
Nota Bene : nous avons décidé (Axel et Edith) de reproduire la conversation que nous eûmes au moyen de divers outils de communication, principalement les messages écrits envoyés par téléphone portable et les mails.
- Puisque l’amour n’existe pas mais que tout le monde y pense, je propose une nouvelle série au sein d’AlmaSoror. Veux-tu faire partie des auteurs qui écriront une lettre d’amour allégorique, une lettre d’amour cliché qui relatera l’expérience d’une vie à travers le prisme de ce que tout le monde semble vouloir et qui n’existe pas : l’amour amoureux.
- Comment peux-tu dire que l’amour n’existe pas ?
- L’amour entre les êtres existe, bien sûr. Le sentiment amoureux est une illusion, un leurre, c’est ce que je voulais dire.
- Je ne suis pas d’accord avec toi.
- C’est une sorte de fanatisme plus ou moins agréable, plus ou moins partagé, qui puise à la fois dans notre besoin de nous fondre avec autrui et dans la publicité de la société.
- Je ne conçois pas comment tu peux dire une chose pareille. N’as-tu jamais aimé ?
- J’aime des êtres. J’ai aimé – et j’aime toujours, au-delà de sa mort - ma chienne. J’aime des gens, mais cet amour est une fraternité déclinée.
- Tu n’as jamais été amoureuse de quelqu’un ? A part ces fanatismes dont tu parles, très adolescents.
- Je ne crois pas.
Elle m’assura que non et me donna des exemples qu’elle ne veut pas que je reproduise ici.
- Permets-moi de te dire que j’accepte d’écrire une lettre d’amour pour AlmaSoror, mais ce sera une lettre dans laquelle je croirai profondément. Pas une allégorie.
- Bon.
- Cela ne te dérange pas ?
- Non, pas du tout. Tu crois à ton expérience amoureuse ?
- Oui, j’y crois ! Sache que ma seule vraie histoire d’amour – je t’en ai déjà parlé – est intimement liée à mes luttes politiques. En cela je te rejoins, l’amour amoureux rejoint l’amour fraternel que l’on ressent pour d’autres êtres.
- Julie ?
- Oui, ce sera une lettre à Julie.
Cette fois c’est moi qui censure et coupe un passage de notre conversation qui ne concerne personne. Nous échangeâmes quelques mots sur Julie, dont je ne parle plus beaucoup bien que son visage flotte constamment autour de moi, où que j’aille, quoi que je fasse, depuis notre séparation.
- Ce sera donc, repris-je, une lettre à Julie, une lettre profondément amoureuse et profondément de gauche.
Elle ne répondait pas. Je sais dans ce cas qu’elle est en train de réfléchir.
Elle eut ainsi l’idée de demander à des auteurs ayant eu une vie politique engagée de leur écrire une lettre d’amour ayant trait à leur engagement.
Elle appela Esther ensuite. Esther est mon amie de cœur et d’esprit, et mon ennemie en idées. Je la respecte, l’admire et suis catastrophé par tout ce qu’elle pense. Jamais je n’aurais cru que je pourrais un jour avoir une amie qui pense des choses pareilles. Elle écrira donc la seconde lettre d’amour engagé d’AlmaSoror : une lettre d’amour de droite. La droite d’Esther est encore plus épouvantable que toutes les droites que je connais. La droite d’Esther est latiniste et catholique, contre-révolutionnaire, infiniment conservatrice et antiprogressiste. Mais j’aime profondément Esther. C’est en grande partie grâce à elle qu’en plus de croire à l’amour, je crois à l’amitié.
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lundi, 15 mars 2010
Trois des cinq Russes
Lire le soir avant de dormir : j'ai une maman qui le fait inlassablement. Le soir, elle lit. Ensuite elle dort. Puis, à Insomniapolis, elle lit encore. La nuit, quand une petite lumière brille au fond de la maison, on sait qu'elle lit. Elle lit Thucydide et Jules César. Elle lit Zosime et Sidoine Apollinaire. Elle lit la traduction du Tao de Marc Haven et la traduction de la Bible de Lemaistre de Sacy. Elle lit Stendhal et elle lit
Et elle relit chaque année, les trois tomes des Mémoires d'Outre Tombe de Chateaubriand.
Alors j'essaie de lire aussi le soir, mais j'y arrive moins. Parce que le rêve est trop tentant. Le rêve - ou la rêverie - correspond mieux que ma lecture à mon état intérieur quand le soir a passé et que la nuit commence.
Pourtant, il y a quelques années, j'ai dévoré des livres, soir après soir.
Très bien écrite, Une histoire de la musique, de Rebatet, publiée aux éditions Bouquins-Laffont, fut une de mes lectures au long cours. Je l'ai lu, chapitre après chapitre, soir après soir, et cela m'a pris au moins un an.
Cette histoire présente tendrement le groupe des cinq Russes... Voici un court extrait sur Moussorgski, Balakirev et Borodine.
« A lire les biographies d’au moins trois d’entre eux, on plonge dans le monde de Dostoïevski. Balakirev, qui avait du sang tartare, « avec une tête de Kalmouk, et les yeux aigus, rusés de Lénine » d’après Stravinsky, exerçait son rôle de chef de groupe à la fois en apôtre et en despote. Il régentait non seulement les goûts mais la vie privée de ses disciples. Il aurait voulu qu’ils observassent le célibat et même la chasteté. Pour chacune de ses entreprises, il consultait une sorcière qui lisait son avenir dans un miroir. Athée durant sa jeunesse, mais croyant au diable, il tourna plus tard à une bigoterie burlesque. Il se signait chaque fois qu’il bâillait. Après des périodes de folle activité, consacrées surtout à son enseignement, il tombait dans de noires dépressions où il laissait à vau-l’eau les projets qui l’avaient le plus enflammé. Son travail musical était non moins déséquilibré. Alors qu’il improvisait au piano avec une étincelante facilité, il mit près de vingt ans, après des ratures et des hésitations infinies, pour terminer son Islamey, quinze minutes de musique.
Moussorgski, noble de la meilleure maison, à dix-neuf ans galant lieutenant du régiment le plus chic de la Garde, le Preobajinski, serait un quarante ans un Marmeladov loqueteux, cruellement frappé sans doute par l’échec de ses œuvres, mais ayant consterné ses meilleurs amis par ses inconséquences et son ivrognerie, pour mourir d’alcoolisme et d’épilepsie sur le lit d’un hôpital où l’on tentait de le désintoxiquer. Selon le peintre Répine, l’auteur de son dernier et navrant portrait, il fut foudroyé par une bouteille entière de cognac que lui avait glissé un infirmier trop compatissant.
Borodine, fils naturel d’un prince géorgien, homme charmant, paisible, cultivé, spirituel, ancien médecin et professeur de chimie, sacrifia sa carrière scientifique et sa musique à un altruisme d’une douce extravagance. Son appartement était sans cesse rempli de parents pauvres, de vagues camarades dans la dèche, qui campaient dans tous les coins, y tombaient malades, y devenaient même fous. Le plus souvent, il était impossible de jouer du piano, parce qu’un hôte ronflait à côté et que Borodine ne voulait pas le réveiller. Il passait ses nuits au chevet de sa femme asthmatique. »
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dimanche, 14 mars 2010
malgré l'hiver des sentiments
"Alma soror est un blues d'aventures jusqu'aux villes où on survit malgré l'hiver des sentiments".
C'est Tieri qui a écrit cela sous un billet d'AlmaSoror, il y a quelques jours.
Et cela me rappelle la phrase que Dominique de Roux écrivit à Jean-Edern Hallier :
"je suis chargé de te protéger, toi l'homme des marches forcées vers les villes à prendre".
Ce sont des phrases qui donnent envie d'écrire un livre. Ecrire un livre ! Mais les livres existent-ils toujours ?
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