Rechercher : lumière
Au fond de quel Fort Bastiani ?
Comme il est dur de se souvenir de nos rêves adolescents et de contempler la vie que nous avons construite.
Comme si elle était le résultat d'un ensemble d'efforts, de concessions et de renoncements, au lieu de l'accomplissement d'un rêve.
Que concédons-nous dans la vie quotidienne ? Et pour quelle raison ? Pourquoi ne vivons-nous pas un quart de ce que nous voudrions vivre ? Que nous manque-t-il, le courage ou la capacité ?
Je parcours Les conquérants de l'inutile, de Lionel Terray, et je ne sais plus où sont passés tous mes rêves et les innombrables tentatives s'en approcher.
D'ailleurs, il y a quelques années, je cherchais avec ferveur sur Internet des opinions à propos du Désert des Tartares, le roman de Buzzati que je venais de lire et dont j'étais encore enveloppée. Et sous le billet d'un blog que je ne retrouve pas, un inconnu avait écrit ce très beau commentaire :
« Je me suis longtemps demandé pourquoi le désert des Tartares nous fascinait tant. Je crois que plus d'un lecteur se reconnaît dans le lieutenant Drogo. Combien de nos existences, combien de nos destins restent enfermés dans autant de Fort Bastiani. Ce roman nous conduit à cet examen de conscience: qu'avons nous fait de nos rêves, et dans quelle impasse nous nous sommes fourvoyés ? »
Merci à cette belle interrogation dont je ne connais pas l'auteur, disparu dans les méandres des mondes virtuels.
C'est une interrogation devant laquelle je me pose tous les jours avec terreur ou avec fougue, ou encore pétrifiée dans mes couvertures sous la glauque lumière d'hiver d'un dimanche matin. Faut-il mettre des explosifs au fond des impasses dans lesquelles nous crevons de frustration, ou bien, renoncer au combat, lever les yeux et s'envoler loin des murs pleins de tags, de pisse et de crachats ?
« Il faut faire des concessions », dit-on, comme s'il s'agissait d'une activité vertueuse. Je rêve d'un jour avoir le courage de ne plus concéder un iota de mes désirs et de mes rêves.
Il reste tant de monts inutiles à conquérir...
Je rêve d'éclater ma coquille et d'être moi-même.
Je rêve de vivre.
vendredi, 06 février 2015 | Lien permanent
Poèmes à cueillir sur AlmaSoror
Sur notre colonne de gauche se trouve l'entrée vers l'album Poésie. On y trouve des poèmes, de la barmaid de ce blog sans partage, mais aussi de poètes invités pour une page ou deux.
En voici la liste et le vers d'ouverture :
Le train rouge
Le train rouge a filé sur les brumes du ciel
Venise
A Venise qui choit dans la lagune
Miroir d'eau
Soleil brillant parmi les mille anges trop pâles
Rue Milton
Petit matin, soleil, vent tiède
L'étoile
Je poursuis une étoile aux quatre coins du monde
Grise du soir
Tes yeux gris mon amour embellissaient les lieux
Séjour lunaire
Ton char aux cent rennes lunaires
Véranda
Hier soir un ciel orange se vautrait sur la plage
The Stoned / Les défoncés
La chanson des gisants
Gisez ! et ne parlez plus. Écoutez le vent du soir...
Atone
L'abîme
Tes caresses ont laissé mon corps en ruines
L'horloge
L'horloge de la gare a sonné quelques coups
Brest
Gange
Mais je sais que nous sommes un poisson
Zip & flip
Le rêve aux bulles
Comme dans la chanson d'enfant
La mer
Funboard
Sur l'océan le soir, quand le soleil se couche
Deltaplane
Ne plus jamais poser mes deux pieds sur la terre
Abattoir
C'est drôle et c'est bien de se revoir
Le van
Nous écoutons la radio dans le van
Ciao Baby
Les fressures de l'aube
J'ai besoin d'une femme qui me tende le sein
Autel
Tango de nuit, chanson d'abandon
Dans la nuit opale, je t'ai rencontrée
Messe de la citadelle
Baignée dans ton rire éclatant, sous les vagues du ciel
Le malade
Les sœurs douloureuses
Minuit dans le hangar ! et nos sœurs douloureuses
Dans un bar de nuit banal
Lumières dans la ville morte
Lac de nuit, sur ta rive herbeuse je dansais
Jour de Sleipnir
Les oiseaux fantômes ont passé la frontière
Lau
J'ai trouvé un soir une étoile
Charade
lundi, 02 juin 2014 | Lien permanent
La métamorphée
Partir à la rencontre de soi-même ? Oh, comme c'est loin ! En voilà un voyage qui ne finira pas. La chute du moral est comme une attaque interne par un affreux mollusque qui mange toute énergie, toute joie pour ne laisser que l'horreur inesthétique de la dévastation. Cette attaque commence doucement, au fond de l'être, aussi s'en rend-on compte trop tard - toujours trop tard. Irritabilité, sensation de vide laid, reflet affreux de soi dans les vitres et les objets en métal (on ne s'approche pas des miroirs !), se conjuguent pour faire d'un moment pourtant banal - une matinée comme une autre - une descente aux enfers du mental. Bientôt le corps suit le mental sur sa pente sombre et plus rien ne subsiste de la joie de vivre.
Comment lutter contre le terrain glissant qui mène à ces zones sans lumière ? Cesser le sucre raffiné, le blé, l'alcool, les huiles grasses, les produits industriels ? Lutter corps à corps contre son ego, cet ennemi qui nous veut le bien qui nous perdra ? Prier sans y croire ? Que peut une volonté presque morte contre l'invasion de la tristesse morne et glauque ?
Les bonnes résolutions d'hier se sont dissoutes en mon absence, pendant que je dormais. La transfiguration du monde pour laquelle j'oeuvrais s'est fracassée sur le mur invisible des miasmes de l'aigreur - et je ne l'avais pas vu. Je suis prisonnière d'une cage qui s'est construite en moi sans que je m'en rende compte.
Est-on vraiment seul en soi ? Serait-ce moi qui ai bâti l'oubliette gluante où mon âme se noie, ou bien le démon existe-t-il, qui attaque ses ennemis après avoir pénétré en eux par la petite porte, lors d'un moment d'inattention ?
Pourtant je voulais édifier, avec les mains de mon coeur, la profondeur inaltérable du calme. Je voulais descendre les marches veloutées de la décontraction la plus ample. Je marchais habitée d'espérance vers le lagon de paix infinie.
Pourtant, je construisais, jour après jour, la personnalité du légionnaire de l'existence : âme d'acier et sang froid. Renoncement après renoncement, renonciation après renonciation, j'abandonnais le goût de l'image de moi pour n'apparaître plus que dans ma vérité pure et nue, brute comme un fruit sauvage.
Et je connaissais chaque jour un peu plus la certitude intérieure.
Je croyais tenir le fil de la stabilité émotionnelle, sérénité conquise, sérénité acquise.
Connectée à cette immensité qu'on nomme Dieu ou l'éternité, connectée aux infimes et multiples vibrations du monde et de l'instant, je croyais que j'étais guérie ; délivrée ; c'était l'ouverture de ma vie nouvelle.
Mais ce matin le mollusque avait accompli les trois quarts de son travail quand j'ai ouvert les yeux sur l'angoisse de demain.
(Lire : Oh, zones...)
samedi, 17 mai 2014 | Lien permanent
La préservation des dunes intérieures
La solitude ne doit pas être le lieu du ressac des ressassements ni celui de la consommation intime de rêveries psychotropes, mais un manoir consacré à la recherche constante sur le plan intellectuel, artistique, spirituel. La solitude - ou semi-solitude - est aussi ce qui permet d'être soi, loin du répandu égotique et de la compétition qui vous rendent méchant et amer.
Les écrivains français ne sont pas assez seuls. Germano-pratins ou embastillés, ils parcourent la ville en tous sens, stationnent dans de grands appartements, et boivent du champagne au milieu de trop de journalistes.
La façon dont les écrivains doivent être en représentation permanente est destructrice. Comment font-ils pour parler, parler sans cesse, devant des vidéos, des télévisions, dans des cafés, dans des bibliothèques, dans des facultés... ?
Dans la grande foire de la consommation artistique, on dissèque les écrivains comme des écrevisses dans les restaurants. On les fait cracher leur jus jusqu'au trognon.
La foule des consommateurs les aspire.
On leur demande qui ils sont, où ils ont grandi, comment ils s'appellent en vrai, pourquoi ils pensent ceci, quelle est l'injustice qui les révolte le plus, quel âge ils ont, que signifie leur tatouage...
La foule du public est un aspirateur sans pitié.
Mais sans ce public, l'écrivain n'est plus qu'un individu sans intérêt, simple membre anonyme du public.
Il accepte sa propre dissection en échange d'un éclairage somptueux sur son visage soudainement mis en évidence... Souvent, il se laisse prendre par ce jeu de lumière et se met à croire qu'il émane de lui quelque chose d'intéressant.
Durant les premiers mois, les premières années, voire, s'il est très profond et rempli, les premières décennies, il crache un beau jus. Et puis au bout d'un moment, vidé, il sert sa bile aux gens qui continuent de l'entourer.
Pour éviter de sombrer dans ce piège, les ésotérismes choisissent l'anonymat depuis la nuit des temps.
L'anonymat est une belle idée ; pourtant, un auteur n'est-il pas justement un bel équilibre entre l'effacement derrière l’œuvre et la signature qui unit toutes les facettes de l’œuvre ?
L'anonymat est une démarche spirituelle dont il faut à tout le moins se souvenir, une démarche qui rappelle que ce n'est pas moi qui parle quand j'exprime quelque chose, et que c'est précisément parce que quelque chose de plus grand que moi parle à travers moi que ma voix paraît intéressante.
Vampire, le journaliste ou le public qui regardent le doigt qui montre la lune, et non la lune (qui s'intéresse à la personne, non à l’œuvre).
Quand on interroge un écrivain sur sa vie, c'est qu'on n'a pas encore contemplé son œuvre.
vendredi, 13 juin 2014 | Lien permanent
Vous, les loups
Lorsque les enfants des écoles vont rencontrer leurs grands frères et grandes sœurs des maisons de retraites, et que l'un d'eux commence à raconter une histoire du temps où il avait leur âge, le dernier loup breton remonte à la surface des mémoires et nous rappelle la cruauté et la beauté, des loups comme des hommes.
Ainsi, voici le début d'une histoire trouvée sur Arbannour. Mais celui qui trouvera la suite pourra prévenir AlmaSoror, et recevoir ainsi le plus beau baiser virtuel du monde.
« L'hiver 1865 avait été terrible et toute la région avait souffert d'un froid précoce et épouvantable, au point que nous ramassions les poissons morts le long des berges gelées de l'Odet. Nous n'allions pas à l'école tant le vent d'est sifflait et étouffait le pays sous un un épais manteau de gelée et de brumes.
Le matin, toute la famille restait bien au chaud dans la pièce commune de la grande maison où Jakez et ses cinq frères et quatre sœurs vivaient.
Seul Youenn le père se levait de bon matin pour nourrir les bêtes et il allait avec sa brouette jusqu'au village livrer le lait frais.
Ce matin-là, le silence était différent et même le coq restait muet. Seul un petit bruit d'étincel- les qui crépitaient dans la cheminée et une bonne odeur de soupe nous avertissaient que notre mère préparait le petit déjeuner.
Mes sœurs remuaient doucement dans leur grand lit au fond de la pièce et je les voyais à peine.
A gauche, le grand lit clos des parents semblait bailler d'une nuit trop courte.
Par les carreaux givrés, je distinguais le gros brouillard qui montait de la rivière avec la marée, et la fumée, qui descendait de la cheminée, paraissait s'ajouter à cette lumière opaque.
Soudain au loin, on entendit le bruit caractéristique des gros sabots ferrés de mon père et la roue cerclée de la brouette sur le petit pont à une centaine de mètres de la ferme. Les bruits nous arrivaient déformés par le brouillard et nous semblaient à la fois proches et loins, forts et doux.
A l'ordinaire, l'arrivée de mon père accélérait le lever de toute la famille qui attendait ce moment avec beaucoup d'impatience : le pain frais du matin était notre seule joie de la journée et quoique notre famille n'était pas la plus pauvre, nous mangions presque toujours les mêmes repas : soupe, pain, des oeufs et un peu de viande le dimanche.
Les enfants appréciaient la miche chaude du matin et nous dégustions notre unique tranche comme un gâteau de choix.
Mais aujourd'hui, mes frères et mes sœurs ne se réveillaient pas. Étant l'aîné, je me levais souvent un peu avant eux pour aider ma mère à préparer la tablée et à nourrir les poules et les lapins.
Aujourd'hui, j'avais dix ans et je me sentais plus responsable et presque un homme ».
Le texte est publié (non intégralement, sacrebleu), sur le site d'Arbannour, à cette place exactement...
samedi, 12 juillet 2014 | Lien permanent
Pub montréalais
Causerie d'Esther Mar sur une photo montréalaise de Mavra Nicolaïevna Novogrochneïeva
2661, Notre-Dame ouest.
Au Sainte-Cunégonde, Daniel Mazorlet-Martin ne peut lire le livre qu'il a apporté et qui traite de l'histoire du rock'n roll. La lumière est trop tamisée, la musique trop pregnante. Alors il ferme à demi les yeux et sourit en songeant à ce prénom devenu désuet : Cunégonde.
Sainte-Cunégonde est le nom d'une municipalité montréalaise, qu'on appelle encore "Petite Bourgogne".
Cunégonde est un prénom qui place les vies sous le signe de la chasteté. Deux reines, épouses demeurées chastes, portèrent ce nom et furent canonisées par l'Eglise catholique.
Pour préserver votre chasteté, priez Sainte Cunégonde du Luxembourg, reine du X et XI°siècle, ou bien priez Sainte-Cunégonde de Pologne, fille du roi de Hongrie et épouse du roi de Pologne.
Si ces deux Cunégonde ont connu la chasteté sexuelle, n'y a-t-il pas d'autres formes de chasteté ? L'atteinte à l'intimité d'autrui, la divulgation d'informations nocives à quelqu'un, l'épandage verbal incontrôlé, la consommation invétérée de magazines (TV ou papiers) centrés sur les cancans et l'occupation de son corps, sont des atteintes à la chasteté. Ainsi que le questionnement insistant des gens sur leur vie privée, ou encore le calcul méthodique du statut social des gens que l'on rencontre...
Mais aussi ce que Saint Jean de la Croix appelait la "luxure spirituelle" : se vautrer dans une spiritualité syrupeuse pour oublier qu'on est responsable de sa vie.
Une trop grande attention donnée à la chasteté finit même par ressembler à une concupiscence déguisée...Combien de religieux sont obsédés par la virginité avec une insistance répugnante qu'il prennent pour la morale ? Que l'obessions sexuelle se traduise par l'obsession de la virginité ou par l'obsession de la sexualité, elle est toujours la même atteinte à la chasteté.
Saintes Cunégondes, aidez-nous à éviter ces écueils et à parer nos paroles, nos gestes, nos pensées et nos actes d'une chasteté vivifiante qui plane bien au-dessus des questions de moeurs.
Il est venu seul, de cette solitude fascinante que donne la présence d'un livre. Les conversations autour de lui font un brouhaha qui s'emmêle à la musique diffusée par les enceintes et aux bruits des tables, du bar, des pas. Une assiette de pains agrémentés aux légumes du marché atwater. Un verre de Château St-Jean Pinot Noir de Nouvelle-Zélande l'amène peu à peu à oublier les mots durs reçus tout le jour. à quoi Daniel rêvait-il à cinq ans, en s'ennyant à la fenêtre ? A quoi rêvait-il à quinze ans, en errant dans les rues à l'autre bout de la ville ? Il rêvait de Vancouver, de New York, de Paris. Il n'en rêve presque plus, mais il est habité d'atmopshères venues d'ailleurs. Cela ne se voit pas dans ses yeux. Entre deux morceaux de musique, un cliquetis venu de dehors se fait entendre.
Est-ce qu'il pleut dehors, sur les briques et le métal de la rue ?
Esther Mar
vendredi, 14 septembre 2012 | Lien permanent
Trois poèmes de Renée Vivien
Chanson pour mon Ombre
Mon ombre suit, à pas de louve,
Mes pas que l’aube désapprouve.
Mon ombre marche à pas de louve,
Droite et longue comme un cyprès.
Elle me suit, comme un reproche,
Dans la lumière du matin.
Je vois en elle mon destin
Qui se resserre et se rapproche.
A travers champs, par les matins,
Mon ombre suit, comme un reproche.
Mon ombre suit, comme un remords,
La trace de mes pas sur l’herbe
Lorsque je vais, portant ma gerbe,
Vers l’allée où gîtent les morts.
Mon ombre suit mes pas sur l’herbe,
Implacable comme un remords.
Ne rencontreront pas mes yeux noirs de tourment,
Puisque ma douleur t’aime harmonieusement,
O lys vierge, ô blancheur de nuage et d’écume !
Tu ne connaîtras point l’effroi qui me consume,
Car je sais épargner au corps frêle et dormant
La curiosité de mes lèvres d’amant,
Mes lèvres que l’Hier imprégna d’amertume.
Seule, lorsque l’azur de l’heure coule et fuit,
Je te respirerai dans l’odeur de la nuit
Et je te reverrai sous mes paupières closes.
Portant, comme un remords, mon orgueil étouffant,
J’irai vers le Martyre ensanglanté de roses,
Car mon cœur est trop lourd pour une main d’enfant.
à la perverse Ophélie
Les évocations de ma froide folie
mardi, 30 octobre 2012 | Lien permanent | Commentaires (4)
Méditation contrebaroque
2 photos de Mavra Nicolaïevna Novogrochneïeva
On sait qu'Hélène Lammermoor écrivait toujours assise, couchée vers la Croix du Sud. Elle se souvenait de la lumière poussiéreuse de l'Atlantique d'Olonne, une voix intérieure lui dictait des textes dont elle avouait ne pas saisir le sens d'ensemble.
J'ai entrepris la traduction de cette méditation contrebaroque à une époque de ma vie où les réminiscences de rêve dont ce texte est chargé faisaient écho à des émois en moi profonds. Je l'offre ici tel que je l'ai traduit à cette époque, nu, sans correction, sans addendum, sans explication. L'oeuvre d'Hélène Lammermoor se goûte quand on n'a plus goût à rien. Alors la magie vitale de la littérature allume à nouveau le creux du ventre, et le lecteur se redresse et marche ressuscité sur la route du monde.
Édith de CL, 2010
Méditation contrebaroque
I
J'ai retrouvé des traces.
La poussière du temps, des pierres, des volets. Les ruines vivantes. Les pins, la lande, leurs odeurs ; au fond du sentier, l'ouverture sur la mer salée. La bague transmise, les poèmes naissants, la longue après-midi qui s'écoule sans souci.
Au loin, dans une bâtisse qui résonne, des frères disent la messe. La grosse cloche lancine.
II
Ferme les yeux. Écoute la voix d'un rêve qui vient de loin.
Dans la ville où tu marches, les pierres pensent. Les femmes sont silencieuses et les hommes te sourient. De grandes bêtes sauvages se baladent parmi les hommes. Et tous, tous respectent le pouvoir immense des salamandres. Elles sont cachées dans les feuillages, vivant une vie de mystère, à côté de ton cœur.
Tu vois des vignes pousser sur les places et sur les murs des maisons, tu vois les enfants jouer, leurs cris nettoient ton sang. Et soudain tu comprends que tu es un être merveilleux, toi aussi tu hantes la ville et tu fascines ceux qui écoutent les sens du dimanche après-midi.
III
Dans la nuit de ton corps, d'un coup tout devient bleu. Les cris des dauphins surgissent de nulle part. Ils jouent dans les vagues, ils nagent, sautent, plongent, leurs éclats de rire résonnent dans ta peau.
Au-dessus de la mer, les mouettes fascinées hurlent, glissent entre les vagues – les dauphins leur disent Venez ! Venez ! Venez voler au sein de nos éclats de rire ! Et les mouettes s'en vont danser dans l'horizon, s'en vont montrer qu'elles sont belles. Les dauphins les contemplent, les oublient, reprennent leurs jeux.
IV
Un homme, il ressemble à un ange, s'approche de toi. Il te veut donner la main, cela te fait rire, tu lui prends la main. Vous marchez vers la haute porte de la ville, pour rejoindre la forêt. Vous parlez une nouvelle langue, que tu comprends très bien. C'est la langue hawaienne, peut-être, d'où naîtra la dernière vague du monde. Des bulles flottent autour de vous et dans le ciel. Des enfants venus d'Islande voyagent en montgolfières. Les bruits des insectes prennent toute la place et tes jambes sont contentes de marcher sur des touffes d'herbe. Tu te retournes ; derrière toi, la ville s'efface.
Hélène Lammermoor
vendredi, 09 mars 2012 | Lien permanent
La ville des écrivains
"Sur la littérature universelle plane un nuage d'alcool".
Michael Krüger
"L'abus d'alcool est dangereux ; consommez avec modération".
Loi Evin
Voici un billet d'Edith, qui a répondu à son tour aux questions d'une interview du journaliste de pop/rock/punk/techno musiques Jon Savage
What was your favourite childhood book?
Les maisons de Dame Souris, de Smith & Mendoza
Which book has made you laugh?
Les palmes de monsieur Schütz, de J-N Fenwick
Which book has made you cry?
Lova, la BD de Servais
Which book would you never have on your bookshelf?
Aucun. Tous les livres, les bons et les méchants, sont les bienvenus sur mes étagères.
Which book are you reading at the moment?
Machine Soul, de Jon Savage
Which book would you give to a friend as a present?
Propaganda, de Bernays, préfacé par Baillargeon, ou Les derniers géants de François Place
Which other writers do you admire?
Truman Capote, Carson McCullers, Thomas Mann, Tolstoï, Paul d'Ivoi, Paul Féval, Jean de La Ville de Mirmonts.
Which classic have you always meant to read and never got round to it?
Dostoïevski et Gogol
What are your top five books of all time, in order or otherwise?
Guerre et Paix, de Tolstoï
Les 7 piliers de la sagesse, de T.E. Lawrence
Le pays où l'on n'arrive jamais, d'André Dhôtel
La balade de la mer salée, de Hugo Pratt
Nolimé Tangéré, de Béja et Nataël
What is the worst book you have ever read?
Le journal d'Anne Frank
Is there a particular book or author that inspired you to be a writer?
La comtesse de Ségur ; Sans Famille, d'Hector Malo ; Bandini, de John Fante
What is your favourite time of day to write?
A l'heure où l'heure s'efface et qu'il ne reste que la flottaison dans l'espace.
And favourite place?
Dans le halo de lumière du jour qui a pénétré dans la pièce
Longhand or word processor?
N'importe
Which fictional character would you most like to have met?
J'hésite entre Arsène Lupin et Sir Jerry. Auraient-ils été gentils avec moi ?
Who, in your opinion, is the greatest writer of all time?
Saint Jean, l'Aigle ? Ruteboeuf ?
Which book have you found yourself unable to finish?
La guerre du Pélopponèse, ce que je regrette.
What is your favourite word?
Aurore
Other than writing, what other jobs or professions have you undertaken or considered?
Aviatrice, tenancière de bar.
What was the first piece you ever had in print?
Un conte de Noël, quand j'avais 13 ans, dans un journal des enfants du groupe où travaillait ma mère.
Adulte, un documentaire sur les langues pour les 9/13 ans
What are you working on at the moment?
Un roman qui ressemble à ce qu'on écrira quand la littérature aura changé de forme
lundi, 16 mai 2011 | Lien permanent
Encore un peu d'Hopper ?
"Il est difficile de peindre en même temps un extérieur et un intérieur".
Edward Hopper
"Le dessein de Hopper était de peindre la lumière ; en réalité, il a peint l'éclairage".
Ivo Kranzfelder
AlmaSoror vous invite à lire quelques extraits du sociologue Richard Sennett et quelques phrases du peintre Edward Hopper. Sans se rencontrer, ils auraient vécu dans le même atelier new-yorkais, Sennett après Hopper bien sûr puisque il est d'une génération plus tardive. L'un a-t-il peint ce que l'autre a décrit ? (Comme c'est drôle cette expression : l'idéologie de l'intimité).
"La chaleur humaine est devenue notre divinité"
"Aujourd'hui, l'idée qui domine est que la proximité est une valeur morale en soi. L'autre aspect dominant, c'est l'aspiration à épanouir son individualité par l'expérience de la chaleur humaine et la proximité des autres...
Domine aussi le mythe selon lequel l'anonymat, l'aliénation et la froideur seraient responsables de tous les maux de la société. De ces trois aspects découle l'idéologie de l'intimité : les relations sociales quelles qu'elles soient sont d'autant plus réelles, crédibles, authentiques qu'elles se rapprochent des besoins psychiques profonds de chacun. Cette idéologie de l'intimité transforme toutes les catégories politiques en catégories psychologiques. Elle définit l'humanité d'une société sans dieux : la chaleur humaine est devenue notre divinité."
"La disparition des murs augmente l'efficacité du travail"
"Le concept de "mur transparent" est utilisé par les architectes non seulement pour la structure extérieure des constructions mais aussi à l'intérieur. Le décloisonnement des bureaux entraîne la suppression de tout ce qui gêne la vue ; l'étage entier devient un espace unique et ouvert ou un espace central entouré d'une couronne de bureaux cloisonnés. La disparition des murs augmente l'efficacité du travail, nous assurent les concepteurs, car chez les gens qui travaillent toute la journée sous le contrôle visuel des autres, la tendance à entamer une conversation baisse et la concentration s'accroît. Lorsque chacun se sent surveillé par l'autre, la sociabilité diminue parce que le silence apparaît alors comme le seul moyen de se protéger".
Richard Sennett
"Les loisiristes sont emprisonnés dans l'absurdité de leur conduite".
"Le temps libre apparaît chez Hopper tout aussi désolant que le travail (...). Chez Hopper, les "loisiristes", comme les appellent Horkheimer et Adorno dans leur Dialectique de la raison (1947) sont emprisonnés dans l'absurdité de leur conduite. (...) Les hôtels représentent un domaine intermédiaire, celui du travail comme celui du loisir. La différence entre comportement dans le travail et comportement dans le loisir est une pure fiction : les personnes se comportent finalement presque toujours de la même manière, quel que soit le lieu où elles se trouvent. (...) Selon Hopper, tout changement de résidence est lui-même une fiction. La condition humaine est immuable."
Ivo Kranzfelder, in Hopper (éditions Taschen)
"Très peu de ce qui est important est créé par l'esprit conscient".
"Tant de choses dans l'art sont l'expression de l'inconscient que j'ai l'impression parfois que presque toutes les qualités importantes sont d'origine inconsciente et que très peu de ce qui est important est créé par l'esprit conscient. Mais c'est aux psychologues de débrouiller ces problèmes".
Edward Hopper
mercredi, 04 août 2010 | Lien permanent