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jeudi, 22 février 2024

Le 7 mars, chez Malo Quirvane : un texte d'Emmanuelle Favier.

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mercredi, 21 février 2024

Le poème centenaire

La définition du poème centenaire est la suivante : 

Un poème centenaire est un poème que l'on écrit en l'honneur d'une personne atteignant l'âge de cent ans. On lui en offre une impression ou une calligraphie et on lui récite lors de sa fête anniversaire. 

Le poème centenaire est composé de cent mots répartis en dix vers de dix mots. 

Il peut être biographique ou situationnel. 

Le poème centenaire biographique consacre chaque vers à une décennie. Le premier vers évoque la naissance ou les dix premières années, le second vers évoque l'adolescence, etc. 

Le poème centenaire situationnel quant à lui part de la situation du jour (le jour d'anniversaire des cent ans, qui correspond au premier vers) et brode, le long des autres vers, sur la vie de la personne ou bien les choses qu'on souhaite lui dire en ce jour. 

Il existe aussi une troisième forme de poème centenaire, le poème centenaire autobiographique, écrit par la personne centenaire elle-même dans les jours qui entourent son passage des cent ans. 

Bons poèmes centenaires ! 

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Arbre hivernal du bord de l'Eure, février 2024

dimanche, 11 février 2024

L'archiviste des vilenies

Ce petit chapitre du livre Danube, de Claudio Magris, a enchanté ma nuit de vendredi à samedi, aussi le partagé-je ici.

Traduit de l’italien par Jean et Marie-Noëlle Pastureau

Il parait toutefois – on le lit ici et là, que cette grande église d’Ulm n’est pas une cathédrale, même si son allure prête à confusion.

L’archiviste des vilenies

Sur la grand-place d’Ulm s’élève la cathédrale, dont le clocher est le plus haut du monde, et dont la construction – hétérogène – s’est étendue sur plusieurs siècles, puisqu’elle a commencé en 1377 et s’est terminée (si l’on ne tient pas compte de restaurations postérieures) en 1890. Cette cathédrale a quelque chose de déplacé, cette pointe de mauvaise grâce qui apparaît presque toujours dans les exploits, dans les records. Le nez de Madeleine, qui regarde en l’air, perplexe, ledit clocher, en cherchant à se convaincre du bien-fondé des choses, trace dans l’air une courbe intrépide et inquiète, à laquelle l’édifice sacré oppose toute son opacité de pierre.

Parmi les nombreux guides de la cathédrale se détache celui dû aux soins méticuleux de Ferdinand Thrän, qui décrit et raconte chaque détail, depuis les frises des colonnes jusqu’au produit de la vente d’une paire de pantalons offerte par un pieux fidèle, le meunier Wammes, pour les travaux de l’église (6 schillings et 2 centimes). En plus d’être l’auteur de ce guide, Thrän était un architecte gothicisant, et il avait failli provoquer la ruine de la cathédrale par suite de sa conviction obstinée concernant une « loi » des voûtes, qu’il était persuadé d’avoir découverte. Sur la couverture de son savant opuscule (La cathédrale d’Ulm, description fidèle, 1857), l’imprimeur, par une distraction qui semble être dans la droite ligne du destin de Ferdinand Thrän, a oublié de transcrire son nom, que le conservateur de la Bibliothèque Nationale de Vienne a rajouté çà la main, du moins sur l’exemplaire conservé à l’Albertine.

Cet oubli n’est qu’un des innombrables torts subis par Thrän, architecte et restaurateur de la cathédrale au siècle passé et hypocondriaque spécialiste des vexations, comme l’atteste son scrupuleux Fascicule des vilénies endurées, qu’il tint à jour pendant des années et qui repose, ignoré autant qu’inédit, dans une caisse entreposée dans un débarras de la cathédrale. Malchanceux opiniâtre et cible à toute épreuve de continuelles vexations, Thrän semble souligner, non sans délectation morose, que la vie n’est que dépit et contrariété, et que du coup il ne reste plus qu’à tenir un inventaire rigoureux des rebuffades. Si l’authentique acte d’écrire naît du désir de se rendre raison de la prolixe corvée de vivre, alors Thrän est un véritable écrivain. La littérature, c’est de la comptabilité, c’est le grand livre du débit et du crédit, l’inévitable bilan d’un déficit. Mais l’ordre du registre, la précision et la richesse du formulaire peuvent procurer un plaisir qui compense le caractère désagréable de ce qu’on y note. Quand Sartre dit qu’il faut voir de la médiocrité dans l’accomplissement de l’acte sexuel par rapport aux jeux qui le précèdent et le diffèrent, on se rend compte de la satisfaction avec laquelle il enregistre l’insatisfaction finale du plaisir.

Ce comptable en injures met de l’ordre parmi ces dernières, il les tient sous son contrôle, il devient le maître de ce monde infréquentable et des humiliations subies. Quand il parle de son diplôme d’architecte, soutenu en privé à Stockholm en 1835, Thrän mentionne à peine au passage la bonne note obtenue, mais il s’étend sur son réveil à une heure indue à l’aube, sur les désagréments du voyage et la grossièreté des douaniers, sur la très mauvaise qualité de la bière, qui le fit vomir, sur les dépenses engagées, à savoir 77 florins et 47 kreutzers. Devenu inspecteur des ponts et chaussées, il est obligé de rendre, en signe de soumission, des visites protocolaires à des personnages haut placés, conseillers financiers ou directeurs de circonscriptions, mais un de ses oncles s’obstine à l’accompagner, parce qu’il le sait trop bavard et trop niais pour ce genre de visites.

Quand il travaille à la restauration de la cathédrale, il entre en conflit avec ses supérieurs et avec les autorités de la ville, qui l’accusent d’engager des dépenses excessives, et il consigne minutieusement les altercations, les critiques, les polémiques dans les journaux avec ses adversaires, les tracasseries légales relatives à certaines clauses de ses engagements professionnels, les amendes, les pourvois en justice, les calomnies circulant sur son compte, le mépris et les vexations des notables, les procès au sujet de l’introduction de l’éclairage au gaz, les intrigues de ses rivaux, lesquels ne parviennent pas à empêcher que le roi de Wurtemberg lui décerne une médaille d’or pour ses mérites artistiques et scientifiques, mais retardent la publication officielle de cette distinction.

Thrän se sent comme une « bête aux abois », mais sa rancœur ne se limite pas aux ennemis qui le persécutent, car il se place bien au-dessus de petites raisons personnelles. Ce n’est pas un simple individu envieux et mal intentionné, mais la vie toute entière qui porte tort et fait injure, qui est un abus généralisé. Thrän enregistre avec impartialité les méchancetés mesquines des hommes et des choses, les sourdes menées de l’inspecteur des travaux Rupp-Reutlingen et la malignité d’un orage qui met à mal sa nef centrale et comble sa cathédrale de gravats, l’arrêt qui lui attribue un traitement sans pension et les fièvres nerveuses qui l’assaillent, ses onze chutes de cheval – imputées à la mauvaise qualité du roussin, le seul par ailleurs qu’il pouvait se permettre de posséder, vu ses moyens – et la mort de quatre de ses enfants, les accidents répétés qui le font tomber d’un échafaudage au risque de s’embrocher, ou se précipiter dans le Danube, avec la difficulté que comporte un repêchage à la gaffe. Les tragédies et les enquiquinements sont mis sur le même plan, puisque la vraie tragédie de la vie, c’est qu’elle n’est qu’un vaste enquiquinement.

La littérature de la Mitteleuropa offre aussi des exemples, plus prestigieux, de ce type d’automutilation, qui permet de triompher de l’injustice et de la stupidité de l’existence grâce à la rigueur imperturbable avec laquelle on tient le registre de ses malheurs. Thrän est le petit frère de Grillparzer et de Kafka, un de ces arpenteurs de ses propres échecs – sur le cadastre desquels la vie étale toute sa mesquinerie, toute sa méchanceté ; qui les subit et en prend note peut brandir devant elle ce dossier de ses insolences, et par là même la dominer, en la regardant de haut en bas comme le proviseur quand il remet son bulletin au dernier de la classe.

Thrän est fier d’établir la liste des vexations subies de la part des autorités publiques et des personnes privées, de ses supérieurs ou de ses voisins, parce que dans le mépris qu’on lui a manifesté il lit la preuve de sa propre dignité, et dans l’inaptitude qui lui vaut d’être roulé dans la boue, cette inadaptation à la vie qui est le signe d’une véritable droiture de caractère. Dans l’article qu’il écrivit à l’occasion du centenaire de sa naissance, le professeur Dieferlen évoque Thrän, avec ses longs cheveux et sa barbe hirsute, affairé à la restauration de la cathédrale en ruine envahie par les mauvaises herbes, infestée de hiboux et de chauves-souris faisant leurs nids dans les ornements gothiques, avec le gel et le vent pénétrant par les vitraux crevés et les cris des passereaux qui couvraient les sermons faits en chair. Il est probable que Thrän aimait cet abandon et ce délabrement ; ce n’est pas sans complaisance qu’il note, par exemple, que la statue du moineau – emblème d’Ulm – est partie en petits morceaux, incapable de résister « à la caducité de toutes choses », et qu’il ajoute que le nouveau moineau d’argile, rangé à la cave dans l’attente que les autorités se mettent d’accord pour décider s’il faut ou non l’installer à la place de l’ancien, pendant ce temps-là se fendille, s’abîme imperceptiblement, mais par bonheur plus lentement que ne dépérissent et ne tombent en décrépitude les conseillers qui discutent à son sujet.

L’archiviste des vilénies prend acte, non sans satisfaction, de la corruption de l’existence, qui effacera tout de ce monde, même lui, mais aussi et surtout lesdites vilenies. L’universalité de la mort corrige celle de la stupidité et de la méchanceté. Mais chaque livre écrit contre la vie, a dit Thomas Mann, constitue une tentation de la vivre ; derrière la dénégation opiniâtre opposée par Thrän à la malignité des choses, il y a aussi un amour pudique pour la réalité, pour ces cours d’eau et ces rues qu’il mesurait avec une précision tenace. Peut-être l’ami sincère de la vie n’est-il pas le prétendant qui la courtise à grand renfort de fadaises sentimentales, mais bien le pauvre amoureux éconduit qui se sent rejeté par elle, écrivait Thrän, comme un vieux meuble au rebut.

EXTRAIT de Danube, de Claudio Magris,

Traduit de l’italien par Jean et Marie-Noëlle Pastureau

vendredi, 02 février 2024

Stances de l'instant

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On ne l'attrape jamais, il nous traverse, c'est un cliché mais c'est si vrai. C'est l'instant présent. Le voilà déjà enfui. Tu le regardes s'éloigner, alors tu ne vois pas ceux qui le suivent, tu les laisses glisser sur toi sans les sentir.

J'aimerais vraiment connaître l'éternel présent.