Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

jeudi, 02 juillet 2020

Verbatim des temps morts

floédith.jpg

La parole, le sexe et la mort sont trois grandes zones de liberté et de censure.

Quand le sexe est licite, la mort devient obscène. Quand la mort est assumée, le sexe devient illicite.

Le Verbe s’est fait chair et Il a habité parmi nous.

Il vivra parmi nous jusqu’à ce que la chair devienne enfin le Verbe.

 

samedi, 02 juin 2018

Des désirs secrets

Une purification, malgré la lourdeur des mots, la banalité des intentions. Un voyage qui se créée malgré l'absence d'harmonie. Des halages, des pauses, la chanson de Johnny Guitar qui rappelle des étés, des bières dans des bars, des attentes trop chaudes. Des halages, des pauses, des désirs secrets. Des non-dits, des impensés, des tentatives de voir clair. J'entends quelquefois mon autre voix surgir du temps passé, revenir un instant, au creux du temps présent.

Et les nuages, par le vasistas, dans les ciel très haut. Des halages, des pauses, des éphémérides. Une femme rousse à qui je n'ai jamais, jamais osé dire la vérité. Une guitare et un garçon qui ne s'appelle pas Johnny. Plutôt Kévin. Je le trouve beau. Nous nous regardons à peine. Comme une rencontre manquée.

C'était avant mes premiers cheveux blancs. C'était quand il restait encore le temps. Le temps de choisir d'autres voies. Le temps d'aimer par d'autres moyens. C'était encore le temps du processus biologique, c'était le temps des insouciances (courses, nuits blanches à la montagne Sainte-Victoire puis grasses matinées jusqu'au zénith, bouteilles du Var et de la Catalogne, nectars ensoleillés). Je regarde cette femme qui a cinquante-quatre ans je crois et qui semble sûre d'elle, mais l'est-elle ? Je ne sais si je l'aime ou la crains, je ne m'en détache pas encore. Elle ressemble un peu à ce que je voudrais être et pense tout ce que je déteste. Et des halages, des pauses, des plaisirs discrets. Avant d'ouvrir le portail à la Mort, cette beauté fatale qui exige un baiser rouge pour vous prendre avec elle pour toujours.

mercredi, 22 avril 2015

Norbert

 jeux abandonnés.jpg

A 60 ans il dansait seul devant la glace, se jetait en sanglots sur son lit où il restait prostré pendant des heures, se regardait longuement dans la glace avant de sortir et buvait des petits verres de vin sur la place plantée avec ses copains et copines. Son visage avait toujours le sourire de la saison, sa parole s'adaptait à l'atmosphère et à la circonstance. Je le voyais de ma fenêtre – j'avais vue sur la moitié de son petit appartement - et puis dans les rues de la ville. Dommage qu'il soit parti par un jour de temps frais, sans doute sans s'en apercevoir. J'aurais aimé converser avec lui, connaître plus que son prénom. Il travaillait dans une annexe de la mairie. Il écoutait Simon & Garfunkel le dimanche après-midi.

mardi, 18 novembre 2014

Encore un adieu

 

Affreuses visions de l'hôpital, des parkings, des aides-soignantes qui se traînent dans les couloirs glauquissimes, tragique transformation de Carmina pourvue d'une perruque blonde, maigre comme un clou, décharnée, la peau du visage et du corps jaune, allongée sur son lit, la voix un peu changée, pâteuse. Il y avait ses deux filles Gudule et Cléo, gentilles avec leur mère, ayant laissé leur dureté habituelle aux portes de la chambre, conscientes sans doute qu'il n'y a plus le moindre espoir. Je suis rentrée avec elles en voiture et nous n'avons touché mot du drame qu'elles vivent, que vit leur mère, nous riions de rien et de tout dans les embouteillages de Vertou. Oh mon Dieu notre siècle est celui des camps de concentration, hôpitaux, prisons, barres HLM, notre siècle est celui de la déshumanisation du monde et des fous rires dans des voitures payées à crédit.

Lorsque nous nous levâmes pour partir, Carmina se mit à sangloter. Puis, devant nos consolations fades, devant l'inanité de ses larmes, devant l'absurde fatalité de la situation elle a cessé de pleurer. Nous l'avons laissée seule face au plateau repas médiocre apporté par l'hôpital. Nous ne parlons pas en vérité de la mort, nous n'en parlons jamais alors que chacun y pense. Cette omission grande comme le néant empêche un vrai contact.

Là voilà, cette manière de mourir que chacun veut éviter et vers laquelle tant d'entre nous se dirigent. Une mort non choisie, (mal) administrée.

J'en suis hébétée.

Voir de suite la mort en face permettrait d'éviter cette lente déchéance sans paroles. Accepter l'arrivée de la mort la rendrait plus douce, plus vraie, plus tangible. Un adieu paisible serait possible.

Mais nous allons voir Carmina, nous savons qu'elle va mourir et ne lui disons pas Adieu parce que ce serait mentionner la mort, avouer qu'il n'y aura pas d'autre issue, et cette vérité là n'a pas sa place dans cette triste histoire...

Nous retournons dans la ville de Nantes, la laissant seule et jaune, dans sa chambre isolée et jaune, au milieu d'aides-soignantes, la plupart immigrées, qui lui parlent sans intérêt, sans gentillesse, qui ne sont là ni par dévotion, ni par morale, mais pour toucher leur salaire, sauf certaines qui sont un peu plus gentilles, un peu plus conscientes.

Ses filles retrouvent leurs maris et leurs enfants et j'hésite entre une soirée politique ou un bar lesbien pour oublier les détails techniques de la chambre 413. Elle s'éloigne de nous tandis que nous nous éloignons d'elle, si vivants, pour manger, boire, marcher sous le ciel de la ville, et ripailler loin des mourants. Et je pense à Paul-Jean Toulet, au poème qu'il écrivit le dernier jour et que la mort interrompit :

Ce n'est pas drôle de mourir

Et d'aimer tant de choses

La nuit bleue et les matins roses

Le verger plein de glaïeuls roses

L'amour prompt

Les fruits lents à mûrir...

Enfance, cœur léger.

 

Carmina, tu étais pétillante. Tu étais violente et méprisante, et drôle quand même quand tu laissais tout aller et que tu faisais la fête. Tu étais belle et pimpante le dimanche, et soudain glaciale comme une bourgeoise plus riche que nous, et à nouveau charmante, le verre à la main, entonnant une chanson, t'agitant dans un débat politique. « Je suis l'homme de la rue, je pose une question comme ça ! » crias-tu un jour à un amiral qui sourit, désarmé par ta faconde baroque, et nous rîmes tous. Ce soir, je suis chez moi devant mon ordinateur, la musique tourne, j'ai bien bu et mangé et je t'ai laissée seule, douloureuse, souffrant, pleurant, t'enfermant dans une bulle parce que ta prison t'a ensevelie, qu'il n'y a plus d'espoir pour toi, seulement de temps en temps des baisers de tes filles. Tout s'est effondré dans ta vie, ton mariage et ta santé. Nous avons vécu les uns à côté des autres, et tu t'en vas ?

Oui, tu t'en vas, et nous nous en irons tous à notre tour.

Hier soir à l'hôpital il y avait tout de même la beauté de la nuit sur le béton des villes de l'Ouest, la beauté des lumières des réverbères sur le toit des bâtiments, l'étrangeté nocturne qui dissipe la cruelle criardise du jour. L'allée le long de l'hôpital fut cinématographique.

 

 

("Une âme ne peut donner aux autres que du trop-plein d'elle-même, que le surplus qui lui est donné.    On ne peut faire aimer l'Amour que dans la mesure où on le possède, comme on ne peut rayonner que si on porte en soi la Vérité, qui est la Lumière". Marthe Robin)

 

 

Sur AlmaSoror

L'échec social par Philippe Ariès

La ville de perdition par Axel Randers

dimanche, 20 juillet 2014

Index nominum : C

C

Cagliostro (Joseph Balsamo)

Il est cité dans Comme l'éclatante lumière du midi

Les Calcinés

Ils sont auteurs de Je n'abats jamais

Calélira

Elle est l'auteur de Equihen plage : un petit bout de liberté

Truman Capote

Il est mentionné dans La ville de perdition

Il est mentionné dans Un dimanche à Avila

Il est mentionné dans Mystique littéraire

Il est mentionné dans Moineville : la ville des écrivains

Il est mentionné dans La tourelle du hibou

Celeblog (blogueur)

Il est cité dans Auto(?)censure

Chiquita

Elle est mentionnée dans Mascara

Ceppi

Il est mentionné dans Des thèmes, quelques œuvres (sans être expressément nommé)

Jules César

Il est mentionné dans Intemporalité

François René de Chateaubriand

Il est mentionné dans Dialogue entre deux hommes qui ne se sont jamais rencontrés

Il est mentionné dans la Soirée Rouge Célibat de Maître Ravenswood

Il est cité dans Mélange de paternités

Il est cité dans Éloge de la Mémoire

Il est mentionné dans Auto(?)censure

Il est cité en exergue de L'homme des mégalopoles

Malcolm de Chazal

Il est cité dans Délirium très mince

Olivia Chevalier-Chandeigne

Elle est citée dans Horreo

Frédéric Chopin

Il est mentionné dans la Maternité

Joan Clark

Elle est mentionnée dans Dans l'avenue Desbordes-Valmore

Estelle Claris

Elle est l'héroïne d'Estelle au mois d'avril

Robert S. Close

Il est mentionné dans Aime-moi (baise-moi ?) matelot : le seul roman de gare entièrement lu devant une Cour suprême très sérieuse

Jean Cocteau

Il est mentionné dans Une enfance littéraire française I

André Collinet

Il est cité dans L'après-midi aux Sables d'Olonne

Il est cité dans Il n'arrive point de barrique de sucre en Europe qui ne soit teintée de sang humain

Il est mentionné dans La confrérie de Baude Fastoul

Ry Cooder

Il est mentionné dans La vie tranquille de Dylan-Sébastien M-T

Julien Coupat

Il est cité dans Militants radicaux des deux extrémités du centre

Crin Blanc

Il est mentionné dans L'enfance, la civilisation et le monde sauvage

Il est mentionné dans L'âme-soeur et la sœur nourricière

Il est mentionné dans Une chansons, trois films

Il est mentionné dans Alcool, liberté, littérature

Astolphe de Custine

Il est cité dans Le despotisme des bons

 

L'index des noms propres d'AlmaSoror se constitue au fil des heures perdues, des insomnies et des paresses.

Il permet à la barmaid de ce zinc blogal, sur lequel vous venez d'échouer pour la première ou la millième fois, de se ressouvenir des huit années d'existence d'AlmaSoror, d'abord en tant que revue mensuelle en ligne, entre septembre 2006 et septembre 2008, et puis ici même, en blog à chronoposologie libre et variable.

Le temps passe, je vieillis, AlmaSoror vogue et ne sombre pas. Si nous ne servons plus d'alcool de salamandre sur ces terres virtuelles (pour des raisons antispécistes), nous ne manquons jamais d'inventer de nouvelles recettes de cocktails inédits et épicés, frais et alcoolisés, pour nos visiteurs de l'aube à la nuit.

Qui êtes-vous ? Qui suis-je ? Des êtres de passage, assurément. Il n'y aura aucun survivant dans les décombres de notre époque, un jour nous serons poussière et des enfants du futur, peut-être, viendront deviner comment et pourquoi nous avons existé.

Blancheur ! Blancheur ! Blancheur ! La grande blancheur éclate autour de moi. J'ai nagé hier soir dans l'océan brumeux à l'heure où les lampadaires de la ville océane s'allumaient. L'eau était froide.

J'ai rêvé dans la rue qui monte, des corbeaux sur la neige, des arbres à perte de vue, des enfants roux enveloppés dans des manteaux de plume. Une fille d'environ quarante ans me tenait par la main, silencieusement nous contemplions ce paysage.

Immobile et silencieuse, je me suis endormie au bout du tunnel de l'insomnie. AlmaSoror, tu ressembles à mon destin.

vendredi, 02 mai 2014

L'amour, le guide et la mort

 

Aimer

Aimer, n'est-ce pas vivifier, faire vivre (comme on donne la vie), prendre soin, faire en sorte que l'autre puisse vivre mieux ?

En ce sens, l'amour tel que le voient les romantiques peut mener au contraire de l'amour. Être atteint par l'amour comme par une flèche, ressentir des joies et douleurs violentes qui nous arrachent notre maîtrise de nous-même et enchaînent notre volonté, lorsque nous appelons ces phénomènes « amour », nous ressemblons à un alcoolique invétéré qui nommerait son vice : « oenophilie ». Ainsi, planter sa famille car on « aime » quelqu'un d'autre, autrement dit parce que quelqu'un d'autre a accaparé notre attention, n'est pas faire preuve d'amour envers cet autre qui nous « capte », mais plutôt faire preuve de désamour et de destruction envers les gens que l'on se devait d'aimer. Il est aisé d'aimer ce qui vient séduire notre cœur, puisque le cœur n'a plus qu'à se laisser emporter ; mais la puissance de l'amour consiste à assurer une constance envers notre prochain.

Authentique, l'amour ne provoque pas de destruction personnelle. Le sacrifice est un leurre, car peu de personnes en sont capables, et souvent c'est le manque d'estime de soi qui mène à se vouer aux autres en acceptant sa propre destruction. Le sacrifice alors devient moyen de se faire accepter par d'autres, de traîner une vie qu'on se sent incapable de mener dignement, pour des raisons biographiques.  Aimer autrui est plus facile lorsqu'on s'aime soi-même, c'est pourquoi « aime-ton prochain comme toi-même ». Ton prochain, même s'il est pénible. Qui ne voudrait pas aimer l'humanité entière à l'exception de la personne qui vit à côté de lui ? Pourtant, désirer sa survie autant que la sienne et oeuvrer à faire son bonheur, c'est peut-être cela, l'amour.

 

Guider

Il existe, dans la ville portuaire des Sables d'Olonne, une chapelle Notre-Dame de Bonne-Espérance, dont la statue de la madone est la proue d'un navire scandinave qui s"échoua sur la côte, sans faire de morts, il y a quelques siècles de cela. Sur un pupitre, un cahier somnole en attendant les visiteurs. Et si la chapelle paraît souvent vide, force est de constater la trace de passages : car toujours de nouvelles prières sont inscrites sur les pages de ce cahier. De mystérieux, d'invisibles prieurs se succèdent furtivement.

Moi, un jour, je priais dans une église vide, comme abandonnée au milieu de la ville grouillante. C'était une de ces églises qui se bondent le dimanche matin et que presque personne ne hante le reste de la semaine. Je priais le Christ de m'indiquer comment concilier ma vie avec l'Eglise, et où trouver mon troupeau et notre pasteur, lorsqu'une voix emplit mon crâne : « Toi, tu peuples mes églises vides ». Depuis, j'accomplis mon destin d'arpenteuse des églises délaissées.

Si les églises sont vides, c'est sans doute parce que, comme le dit l'évangile, le troupeau se détache des mauvais pasteurs et cherche à se regrouper autour des bons. Bergers, bergers ! Nous voudrions tant être guidés vers la colline verdoyante...

 

Mourir

Je ne vois pas de meilleure préparation à la mort que de s'entraîner tous les jours à mourir, c'est à dire à tirer sa révérence et dire adieu au monde, à accepter que le monde tourne sans soi, à laisser les commandes aux successeurs. S'exercer à mourir, quand on y pense, se confond avec s'exercer à vivre ou à aimer. Il s'agit, trois fois, de renoncer à considérer les fluctuations affectives de notre moi pour accepter d'entrer de plain-pied dans l'inconnu du monde, de l'autre, de la mort.

J'observe que beaucoup critiquent la vie et haïssent la mort, ce qui paraît contradictoire. Telle femme qui se languit de vivre encore après la mort de son époux, et qui, lorsque le cœur menace de lâcher, s'affole à l'idée d'être arrachée à une vie qu'elle abhorre. Tel homme découvrant les résultats d'une analyse médicale et pleurant une condamnation qui le délivrera pourtant d'une vie dont il se plaint sans relâche. Moi-même, je me suis vue veule et ridicule, lorsque, au milieu d'une dépression où je ressassais des idées de suicide, on m'a proposé de prendre l'avion. La peur de ce moyen de transport et l'idée d'un crash m'ont fait évoquer quelques minutes des possibilités alambiquées de bateau et de train, jusqu'à ce que je me souvienne que j'avais la veille encore grinché au téléphone en laissant entendre à ma Consolatrice mon envie d'en finir. Pouvais-je être assez idiote pour proférer une lassitude extrême de la vie et craindre un crash ? Je décidai sur le champ de ne plus évoquer mes états morbides et de prendre l'avion chaque fois que j'en aurais l'occasion.

Aimer, vivre et mourir ne sont qu'une seule et même action, qui puise sa source dans l'élan vital, le désir de transformation et l'horreur salvatrice du don. Chercher à retenir, à conserver, c'est patienter dans les limbes d'un purgatoire où l'on ne vit ni ne meurt, et s'engager dans cette vie, c'est accepter de la perdre. Dès lors qu'on ne cherche plus sa survie personnelle, il devient si facile d'aimer.

jeudi, 24 avril 2014

Eh, l'oisillon

2009.Paris.LaGrostière.Jacques2.jpg

 

Affirme tranquillement ta personnalité et ton œuvre ;

chasse de ta vie les personnes qui te nient, te rabaissent, t'ignorent, t'humilient, te combattent, te détestent, t'en veulent.

Soutiens ce qui t'aide à être toi-même, aime ceux qui t'aident à devenir mieux.

Si le monde extérieur présente des normes mesurables auxquelles tu fais attention à t'adapter pour y survivre, ces normes n'influent pas sur l'appréciation que tu as de toi et de ta réussite, des autres et de leur trajectoire.

Car tu dois déterminer les accomplissements intérieurs et extérieurs qui te rendent fier de toi et en paix avec ton âge et la vie, selon les critères de ton propre cœur, le jugement de ton propre esprit.

Désormais, que ton cœur se tourne vers les personnes capables de juger d'après leur cœur et leur liberté : ce sont eux que tu choisis comme amis, et dont tu veux être l'ami digne.

Fidèle à ta propre vision du monde, tu acceptes sans broncher, comme un aléa normal et supportable de la vie, les solitudes, difficultés, fragilités, incompréhensions qui résultent des choix libres et fermes.

Celui qui ne rajeunit pas vieillit. Exerce-toi à supporter, et même aimer la jeunesse des autres ; cela consiste à accepter et même vouloir une certaine insécurité, sœur de l'aventure, et une certaine insouciance, sœur de l'exaltation. Accepte de mourir comme un jeune généreux et donne ta fougue et tes biens au monde, car on n'arrive pas au paradis avec les poches pleines.

Ne t'interroge pas sur la validité de la liberté, sur l'utilité de ton destin. Un combat mené n'est jamais perdu. Et, parfois, combattre, c'est déjà gagner.

mardi, 11 février 2014

Hypervieux

 surf,sables d'olonne,piscis stellam manducat sed stella in piscem luceat,naveborde lienucorr,dylan,guildou,gaël,françois,baptiste,jetée des sables,mort,noyade,secours,samu,police,pour que la nuit me pardonne,daron,rat en cage,crever à l'hôpital,latin,guidance,hypervieux,surf,surfeurs,adolescence

à L.B., qui sait le sens des devises latines et comment la nuit pardonne.

 

Sur le parking au bout du remblai des Sables, d'où part la jetée qui mène au phare vert, cinq jeunes garçons de quatorze à dix-neuf ans, vêtus de combinaisons noires de plongeurs, se concertaient passionnément au bord d'une camionnette dans laquelle cinq planches de surf semblaient dormir après l'effort. Je n'osai m'approcher d'eux ; pourtant, je les sentais fébriles, presque angoissés, comme en demande de quelque chose. Je ralentis l'allure et leur lançai des regards que j'espérais sympathiques ; ils me les rendirent avec insistance. Je les saluai d'un : « bonjour ! Vous êtes courageux de surfer un premier janvier ! »

- Merci ! Répondirent-ils en chœur.

Je sentais qu'ils désiraient aller plus loin. Je ralentis fortement mon pas, m'arrêtai presque, les yeux perdus à l'horizon. La pluie tombait doucement. La mer n'était ni calme, ni agitée.

- Un homme est mort, entendis-je.

C'était le plus jeune d'entre eux qui venait de parler. Il était un peu gros et d'un visage à la fois triste et jovial. Sa voix n'avait pas fini de muer.

- Qui est mort, demandai-je ? Et comme pour accompagner ma funèbre question, les cloches de l'église Notre-Dame de Bon Port se mirent à sonner, non le glas, mais neuf coups qui annonçaient l'heure en ce début de jour froid et pluvieux.

- Nous ne savons pas qui il est.

- Il s'appelle Naveborde Liénucorr, dit le plus âgé. Connaissez-vous ce nom ?

- Je ne l'ai jamais entendu prononcer, répondis-je.

- Nous surfions depuis avant l'aube, depuis sept-heures et demie, quand nous avons aperçu un homme qui marchait en titubant sur la plage, dit un troisième garçon, qui portait les cheveux longs ; sa barbe de deux jours se terminait en petit bouc sur le menton. C'est Gaël qui l'a vu le premier, il nous a avertis.

Gaël, garçon métis de dix-sept ans dont l'oreille gauche était percée par un anneau en forme de tête de mort, hocha la tête en signe d'approbation :

- Au début, on a cru qu'il était ivre, dit-il.

- Qu'il avait trop fait la fête, ajouta un autre, faisant allusion à la nuit du Nouvel An.

- Et puis, même ivre, ça n'empêche pas d'avoir besoin d'aide. Il tombait tous les trois mètres alors on est revenus sur la plage.

- Il y a longtemps ? Demandai-je.

Ils restèrent évasifs.

- Il faisait déjà bien jour, dit le garçon au petit bouc, qui s'appelait Baptiste. Le plus jeune à la bouille ronde, joviale et triste s'appelait Dylan. Le plus âgé, qui était aussi le plus posé et le conducteur de la camionnette, répondait au surnom de Guilfou. Le cinquième de la bande, charpenté, souriant et boutonneux, s'appelait François.

Lorsque Gaël, François, Guilfou, Baptiste et Dylan s'étaient approchés de l'homme titubant, la thèse de l'alcool s'était évaporée : d'un âge très avancé, l'homme se tenait le ventre par lequel sortaient des flots de sang.

- Il nous a dit son nom, dit Dylan, et nous a dit de retenir une phrase. Je ne me souviens d'aucun des deux.

- Naveborde Liénucorr, dit Guilfou. Et la phrase... Baptiste ?

- Piscis manducat...

- Stellam ! Interrompit François.

- Piscis stellam manducat... manducat stella...

- Sed ! Interrompit François.

Alors pleins d'énergie, Baptiste et Gaël prononcèrent en chœur la phrase qu'ils venaient de recomposer mentalement :

- Piscis stellam manducat sed stella in piscem luceat.

- Il nous l'a fait répété au moins vingt fois, dit Guilfou.

- Mais on n'y comprend rien, ajouta Dylan. On pense que c'est de l'italien.

- C'est du latin, leur dis-je. Répétez...

Ils répétèrent. Je sortis mon téléphone de ma poche ; mes doigts glacés cherchaient sur Internet tandis que la bruine recouvrait l'écran. Peu à peu, je pus proposer une traduction qui demeurait énigmatique et ne nous apprit rien sur le sens du message de cet homme.

- La police est arrivée, finalement ? Demandai-je.

- La police ? Non, dit Dylan.

- Comment, vous n'avez pas appelé la police ou le Samu ?

- Il ne voulait pas, dit Dylan.

- Il nous l'a interdit, dit François. On sentait qu'il fallait lui obéir. Il ne voulait pas qu'on appelle de l'aide, il ne voulait pas nous dire pourquoi son ventre était troué. Il voulait que l'on retienne cette phrase et qu'on l'emporte, lui, très loin dans la mer.

Le jeune garçon éclata en sanglots en prononçant cette phrase.

- Mais qu'avez-vous fait ? Vous n'avez pas appelé les secours ? Insistai-je.

Aux sanglots de François se mêlèrent ceux de Gaël.

- Guilfou l'a emporté, dit Dylan.

Je levai les yeux vers l'aîné de la bande. Ses yeux embués de larmes se tournèrent vers le large.

- J'aurais aimé que mon daron meurt comme ça, plutôt que de crever comme un rat en cage dans un hôpital, murmura-t-il.

Un troisième garçon joignit ses pleurs maladroits à ceux de Gaël et de François. C'était Baptiste. Guilfou restait droit, le regard fixé vers l'horizon où il avait laissé le vieil homme.

- Moi, j'ai suivi Guilfou, dit Dylan. Le vieux lui a demandé de le déposer le plus loin possible et de le laisser là. Laisse-moi me noyer tout seul, mon garçon, il a dit à Guilfou. Pour que la nuit... Pour que la nuit sonne ?

- « Pour que la nuit me pardonne », dit Guilfou. Il voulait se noyer seul au large pour que la nuit lui pardonne.

- Quel âge avait-il ? Demandai-je.

- Il était hyper vieux ! Dit Dylan. Au moins cinquante ans !

Je me pinçais les lèvres. À peine une petite douzaine d'années avant qu'à mon tour je rejoigne le clan des hypervieux.

- Allez-vous nous dénoncer, madame ? Demandait Gaël.

- Vous dénoncer ?

- De l'avoir aidé à se noyer ?

En ce premier matin de l'an 2014, sur le parking qui surplombait la mer, cinq garçons adolescents me regardaient sans haine et sans reproche. Leurs yeux chargés d'inquiétude et de supplication semblaient, non pas me demander de ne pas les trahir, mais quémander une guidance. Ils voulaient que je les extirpe de leur propre stupéfaction. Ils voulaient que je les emmène quelque part.

-N'oubliez jamais cette phrase qu'il a dite, commençai-je d'une voix autoritaire.

Ils buvaient mes paroles.

- Et, de temps en temps, écrivez là sur le sable, afin que des gens puissent la lire. Peut-être qu'elle était destinée à quelqu'un. Et puisque vous n'avez pas appelé les secours, ne racontez plus jamais cette histoire à personne, avant d'être hypervieux.

- Quel âge, demanda Guilfou, plus conscient peut-être que ses copains que le monde hypervieux ne lui serait pas éternellement hermétique.

- Que chacun d'entre vous ne raconte rien de cette histoire avant d'avoir un enfant de l'âge qu'il a aujourd'hui. D'ici là, vous n'avez rien vu, rien entendu. Vous avez surfé tranquillement le matin du premier janvier 2014, et vous êtes ensuite rentrés chez vous pour vous réchauffer.

- Merci madame.

- Bonne journée.

Ils entrèrent dans la camionnette. Ils parlaient ensemble tout bas, mais déjà je sentais qu'ils m'avaient oubliée. J'avais joué mon rôle et je n'avais plus qu'à disparaître de leur vie. Ils ne se souviendraient que de l'hypervieux, de la phrase latine et de la nuit qui pardonne aux noyés.

Fabrice K m'attendait au Flash, pour y boire un café en croquant dans un croissant. À lui non plus je ne dirais rien : trop rationnel, trop administratif, trop sérieux. Je lui dirais juste que la mer était belle bien que froide, et qu'il aurait du traverser la plage avec moi au lieu de conduire sa sempiternelle voiture. Avant de tourner vers le port, je jetai un dernier regard vers le large, où, sans doute, l'hypervieux avait rendu l'âme. Quel que soit son fait ou son méfait, je souhaite que la nuit lui pardonne.

 

Edith de CL

 

dimanche, 15 décembre 2013

Songe d'une brume gothique

 songe d'une nuit gothique.jpg

 Ils se sont pendus dans la maison où dormaient tranquillement leurs enfants. Ils ont sauté par la fenêtre un jour d'été (au déjeuner il y avait eu une crise de fou rire, puis de la musique pendant un bon café). Ils se sont jetés sous un train une semaine après l'annonce d'une bonne nouvelle. Ils ont avalé cent pilules dans une salle de bains éclairée aux néons. Ils ont décroché le fusil de chasse du vieux mur et l'ont tournés sur eux par une nuit étoilée. Il ont sauté du Pont-Neuf ou du pont du Gard, ils ont roulé à 280  kilomètres heures vers un platane.

Des gens les aimaient. Des enfants les attendaient. Des chiens les veillaient. Des parents les pleurent encore.

Ne cherche pas d'indices dans leur vie, dans leurs rapports avec les gens qui les entourent, dans leurs hauts et bas ; c'est leur âme qui appartient à la mort. Nul culpabilité ; mais un engrenage, un cercle infernal au sein duquel ils sont prisonniers, comme dans des sables mouvants.

Ne te fouette pas, ne t'ensevelis pas sous des seaux de culpabilité inadéquats. C'est leur âme qui appartient à la mort, comme la tienne appartient à la vie. Vos chemins se sont croisés sans que tu n'aies rien pu faire. Tu les as aimés tous les jours de ta vie sans que cela les retienne.

Ils étaient détestés, charmants, enviés, adorés, tolérés, beaux, laids, forts, fragiles, intelligents, médiocres, tendres, violents, fidèles, instables, rigides, détendus, amoureux, solitaires, fêtards, religieux, bon vivants, végétaliens, chasseurs, surfeurs, poètes, comptables, souriants, boudeurs. Vous vous ressembliez comme deux gouttes d'eau peut-être. Tu te demandes pourquoi tu te lèves encore lorsqu'ils ont quitté cette vie par effraction. C'est leur âme qui appartenait à la mort et qu'aucun contre-sortilège n'a su charmer.

 Edith

(Sur AlmaSoror : les yeux, les tombeaux, l'esclave)

 

samedi, 12 octobre 2013

L’intersigne du berceau, vieille histoire bretonne

anatole le braz, légende bretonne, mort, islande, grande pêche

Cette "histoire vraie" a été recueillie vers la fin du XIX°siècle par Anatole Le Braz, à Paimpol, auprès d'un cantonnier nommé Goanvic.

Anatole Le Braz l'a publiée avec d'autres histoires dans son ouvrage intitulé La légende de la mort en Basse-Bretagne (1893).

(Un banc-tossel est un banc adossé au lit : le premier chasseur est le navire qui va chercher les premiers résultats de la pêche des marins qui passent plusieurs mois dans le Nord.
Les marins du Premier Chasseur rapportent une partie de la pêche, ainsi que des nouvelles fraîches pour la famille qui attend son marin.

 

Marie Gouriou demeurait au village de Min-Guenn (la Pierre-Blanche), près de Paimpol. Son homme était à Islande, où il faisait la pêche.

Ce soir-là, Marie Gouriou s’était couchée, après avoir placé sur le banc-tossel tout contre son lit, le berceau où dormait son petit enfant.

Elle était assoupie depuis quelque temps, lorsque dans son sommeil elle crut entendre l’enfant pleurer. Elle ouvrit les yeux, regarda.

Jésus-ma-Doué ! (Jésus mon Dieu !), la chambre était pleine de lumière, et un homme, penché sur le berceau, berçait doucement le petit, en lui chantant à mi-voix un refrain de matelot. L’homme avait rabattu sur son visage le capuchon de son ciré, en sorte qu’on ne pouvait distinguer ses traits.

— Qui êtes-vous ? s’écria Marie Gouriou, épouvantée.

L’homme leva la tête. La femme Gouriou reconnut son mari.

— Comment ! tu es déjà de retour ?...

Il n’y avait guère plus d’un mois qu’il était parti.

Elle remarqua que ses habits ruisselaient, et cela sentait très fort l’eau de mer.

— Prends donc garde, dit-elle, tu vas mouiller l’enfant... Attends, je vais allumer du feu.

Elle avait déjà les deux jambes hors de son lit et s’apprêtait à passer son jupon. Mais la lumière étrange qui emplissait la maison s’évanouit aussitôt. Marie chercha à tâtons les allumettes, en frotta une, et constata que son mari n’était plus là

Elle ne devait plus le revoir. Le premier chasseur qui revint d’Islande lui apprit que le navire où s’était embarqué son homme s’était perdu corps et biens, la nuit même où Gouriou lui était apparu penché sur le berceau de son fils.

 

vendredi, 26 juillet 2013

Le dernier rêve

 Roll1_Christ R1-00-0.jpg

Quand je mourrai, ce sera par une splendide journée d'automne, un grand jour de soleil estival perdu au milieu de la saison rousse.

Je partirai loin d'une maison rangée déjà depuis quelques jours, un chapelet peut-être à la main, en hommage aux ancêtres inconnus. Je suivrai la route serpentant d'une colline, et, malgré mon âge avancé, j'avancerai d'un pas lent, mais sûr, une certaine fierté enveloppera mon allure d'aura. Ainsi je n'aurai pas honte devant mes témoins les bêtes de la terre, du fleuve et du ciel, qui apercevront ma silhouette traverser leur monde pur.

Je saurai dans la conscience paisible que ces pas sont mes derniers. La dernière balade d'une trouvère presque fatiguée.

En haut de la colline, m'attendront la mort et le Christ. Côte à côte, l'une sororale, comme le fut sa jumelle, la vie ; l'autre assez fraternel pour me tendre son auguste main dans le soir naissant.

Mon dernier sourire sera pour eux. Ma dernière pensée sera pour le fils dilectif qui m'enterrera le jour suivant.

Je rejoindrai le monde des vivants comme on entre dans la maison retrouvée de l'enfance : avec gratitude.

 

Edith

 

à voir sur AlmaSoror : le dernier rêve du dernier jour.

 

mardi, 04 juin 2013

Le Temps, l'Ennui, la Mort

Alfred de Vigny, Blaise Pascal, Jean-jacques Rousseau

3 extraits sur le Passage du Temps, une photo de Sara, une musique de Biosphere

 

Ainsi s'écoule toute la vie ; on cherche le repos en combattant quelques obstacles et si on les a surmontés le repos devient insupportable par l'ennui qu'il engendre. Il en faut sortir et mendier le tumulte ; car ou l'on pense aux misères qu'on a ou à celles qui nous menacent. Et quand on se verrait même à l'abri de toutes parts, l'ennui de son autorité privée ne laisserait pas de sortir du fond du coeur où il a ses racines naturelles, et de remplir l'esprit de son venin.

Ainsi l'homme est si malheureux qu'il s'ennuierait même sans cause d'ennui par l'état propre de sa complexion. Et il est si vain qu'étant plein de mille choses essentielles d'ennui, la moindre chose comme un billard et une balle qu'il pousse suffisent pour le divertir.

Blaise Pascal - Pensées (Divertissement, IX, 168)

 

Plus je vais, plus je m'aperçois que la seule chose essentielle pour les hommes, c'est de tuer le temps. Dans cette vie dont nous chantons la brièveté sur tous les tons, notre plus grand ennemi, c'est le temps, dont nous avons toujours trop. A peine avons-nous un bonheur, ou l'amour, ou la gloire, ou la science, ou l'émotion d'un spectacle, ou celle d'une lecture, qu'il nous faut passer à un autre. Car que faire ? C'est là le grand mot.

Alfred de Vigny - Journal d'un poète

 

L'étude d'un vieillard, s'il lui en reste encore à faire, est uniquement d'apprendre à mourir, et c'est précisément cela qu'on fait le moins à mon âge ; on y pense à tout, hormis à cela. Tous les vieillards tiennent plus à la vie que les enfants, et en sortent de plus mauvaise grâce que les jeunes gens. C'est que, tous leurs travaux ayant été pour cette même vie, ils voient à sa fin qu'ils ont perdu leurs peines. Tous leurs soins, tous leurs biens, tous les fruits de leurs laborieuses veilles, ils quittent tout quand ils s'en vont. Ils n'ont songé à rien acquérir durant leur vie qu'ils pussent emporter à leur mort.

Jean Jacques Rousseau - Rêveries du promeneur solitaire (Troisième Promenade)

 

Lire sur AlmaSoror,

A propos d'ennui et de la quête lascive d'un bonheur inaccessible :

Le désillusionné (sur Abderramane III)

 

à propos de Vigny :

Deux portraits de Vigny

Vigny aux temps électros

Loges d'antan

Le dédain sur la bouche

Les poètes maudits

Le temps de Vigny : Chatterton

dimanche, 28 avril 2013

Lorenzo

 Bouloi.jpg

 J'avais peur, très peur en montant l'escalier de la rue du Bouloi.

J'avais traversé la ville, apparemment en sweatshirt, jean et basket ; en réalité enveloppée d'un long manteau de peur, dans une matière noire comme la mort, aux boutons rouges sang qui oppressaient ma poitrine, aux vastes pans qui enserraient mes jambes, interrogeant sans cesse ma mère qui se lassait de répondre à mes questions et m'intimait l'ordre, l'ordre étrange et impossible, de l'embrasser comme si de rien n'était.

À ma droite, ma petite sœur et ses longs cheveux blonds, son sourire désolé d'avoir quitté ses poupées, sa joie devant les scènes de rue du dimanche. Qui pouvait savoir qu'elle filerait un jour dans le Thalys, vers la Bruxelles européenne, un téléphone de femme d'affaire entre les mains ? Entre nous deux, le gros bébé aux boucles craquantes, aux joues rebondies entourant une grosse tétine que suçait sa bouche angélique, ne laissait pas deviner le lionceau facétieux qui couvait, encore moins le jeune lion impérieux et incontrôlable qui hanterait les nuits parisiennes de ses coups fourrés quelques années plus tard.

- Mais si ça se voit sur son visage ?

- Embrasse-le comme si de rien n'était.

Comme si de rien n'était. Je ne me souviens plus de l'étage auquel se trouvait l'appartement, combien de marches j'ai gravi. Mon cœur et mon pas ne faisaient qu'un. En haut, m'attendait un homme condamné à mort qui partait pour toujours.

Dans l'appartement où je suis née, et dont mon père était parti depuis déjà longtemps, je les entendais prononcer le mot effrayant, tous les amis de ma mère.

Cousins de l'Ouest, pleurant un suicide fraternel, une maison d'ancêtres vendue, cousins sous-diplômés traînant leurs noms à rallonge, leurs douceur malheureuse dans les rues du centre de Paris, les poches trop vides, des poches aux yeux.

Amis issus d'un monde ouvrier montés un peu dans l’implacable hiérarchie sociale ; trop peu habitués au ski à Mégève et aux brunchs de la rue Montorgueil, il préféraient venir frotter leurs tailleurs et costards trop récemment coupés aux vieux meubles en ruines du 13 boulevard du M., que de tenir la dragée haute chez les fringants bourgeois.

Fringants bourgeois aussi venaient jusqu'à nous, charmants, heureux, loufoques pendant les fêtes et sages au travail, trop beaux pour être honnêtes, trop honnêtes pour être beaux, trop sensibles pour être bourgeois, trop bourgeois pour dérailler, sympathiques par dessus tout et chaleureux à leurs heures, capables de vannes impitoyables et de rires merveilleux, mais toujours rattrapés par les exigences sociales au moment de franchir le Rubicon.

Cousins déchus, amis timides, idoles fringantes, toute cette faune passant et repassant à la maison, faisant des efforts pour ne pas succomber à cette panique d'avant les campagnes de sensibilisation.

J'avais entendu des gens en parler à l'école ; le journal Okapi que lisaient de jeunes voisins de mon âge, avait publié dans son courrier des lecteurs quelques lettres désespérés d'enfants hémophiles et « atteints », renvoyés de l'école ou interdits de s'asseoir à côté des autres enfants. La France d'avant les campagnes de sensibilisation se montrait parfois – souvent - sous ce jour cruel.

Le Sida, donc.

Le mystère de l'homme très brun se dévoilait. Celui qui demandait, candide, à ma mère intriguée : « Mais pourquoi, vous, femmes perdez-vous toute personnalité dès lors que vous vivez avec un homme ? » ; l'ami de l'oncle pas marié ; le peintre basané qui ne nous traitait jamais comme des enfants, mais comme de jeunes chats qu'on laisse passer entre les meubles et qu'on caresse de temps en temps. Le secret de celui dont nous mesurions l'étrange étrangeté nous était révélé. Il était homosexuel. Il avait le sida. Il retournerait mourir en Colombie.

Et nous allions le voir pour la dernière fois.

- Et si on voit vraiment qu'il est malade ?

- Embrasse-le comme si de rien n'était.

- Mais qu'est-ce qu'il va dire ?

- Il ne dira rien.

Les deux petits se disputèrent pour frapper à la porte en haut de l'escalier.

L'oncle ouvrit. Nous entrâmes.

Terne et morne à force d'être concentrée, j'embrassai quelques personnes oubliées depuis – dont une femme aux longs cheveux bouclés qui portait un bracelet afghan - et me plantai devant Lorenzo.

Il était archangélique et comme avant, il flottait dans de larges pantalons de soie beiges, bruns, tachetés de rouge carmin. Sa voix douce, dans laquelle flottait l'accent du castillan de Colombie, me salua et son regard plongea dans le mien.

- Il sait que je sais, pensai-je, les yeux plantés dans ses yeux, fixement.

En tendant mes joues et mes lèvres, j'embrassai à la fois la beauté et la mort.

Fière de ma victoire, je me tournai vers ma mère qui ne me regardait plus. Elle avait confiance en moi. Quelques minutes plus tard, dans une zone indistincte entre la cuisine et la salle à manger, je chuchotais à l'oreille de la dame au bracelet que j'avais déjà vue et dont je ne sais plus le nom : « Je l'ai embrassé comme si de rien n'était !» Elle me sourit et me pressa l'épaule.

Au moment de passer à table, Lorenzo s'asseyait là-bas, à côté du mur. Je fus prise d'un vertige. Je me précipitai pour me mettre à côté de lui avant qu'un autre prenne la place.

Je vérifiai s'il n'était pas agacé par mon audace. Ce vague sourire lointain et ses yeux d'étranger, il les inclina vers moi.

Le Christ a vaincu le monde et ceux qui ont touché sa plaie n'ont-ils pas leur part de gloire mystique ? Lorenzo le mourant planait au-dessus du monde et je siégeais à sa droite. Il me passait les plats et je frôlais sa main. Aucune parole ne fut échangée entre nous durant ce repas, juste des plats, des regards et des sourires.

Les adultes parlèrent longtemps après le déjeuner. Nous, les trois enfants, nous sombrions dans l'ennui. Je ne me souviens plus de l'au-revoir, du départ.

Il repartit dans son pays des Andes sauvages et des bidonvilles baignés de soleil, et ne revint jamais.

On nous appris sa mort lointaine, sa mort exotique, une mort impalpable. Il était devenu aveugle, un film avait été tourné sur sa vie.

Depuis ma mère et l'oncle ont cessé de se voir. Mais j'ai remonté l'escalier de la rue du Bouloi.

En entrant dans la chambre d'hôpital où l'amie (ne) pleurait (pas) son pied happé par un train, je savais que je montais l'escalier de la rue du Bouloi, et mon cœur et mon pas ne faisaient qu'un. En passant la frontière bolivienne, le dossier judiciaire d'un chef du Sentier lumineux de la région de Cuzco sous le bras, que parcoururent d'yeux soupçonneux des douaniers manifestement analphabètes, quand l'image des prisons boliviennes m'apparut à l'esprit et que je compris la folie que j'avais entreprise, je montais à nouveau l'escalier de la rue du Bouloi. À mes côtés, une compagne de voyage innocente babillait sur les produits détaxés sans savoir...

Aux côtés de C. agonisante, reconnaissant dans ses râles et au creux de ses yeux les signes de l'agonie finale que j'avais lus le matin même sur wikipédia, je tenais sa main déjà froide et je voyais l'escalier de la rue du Bouloi.

À d'autres moments encore, j'ai monté cet escalier et mon cœur et mon pas ne faisaient qu'un.

Quand j'ai rencontré sur ma route la beauté stupéfiante du monde, la profondeur abyssale de la solitude, la terreur panique de l'amour ou l'angoisse captivante de la mort, j'ai senti que ma main frôlait Lorenzo. La mort comme l'amour est un baiser. Comme la mort, l'amour est un brasier. Nous les attendons comme des enfants avides et nous les fuyons comme la peste.

La splendeur de la mort m'a été offerte par Lorenzo ; depuis, j'ai entrevu d'autres beautés vénéneuses. Il est des escaliers en haut desquels m'attendaient des initiations et que je n'ai pas gravis. Il est des caresses que j'ai fuies, de peur qu'elles laissent mon corps en ruines. Toutes les morts m'attendent, de l'autre côté desquelles les renaissances font si peur. Toutes les morts m'attendent encore.

 

28.4.13, Edith

 

Quelques requiems d'AlmaSoror :

Maryvonne, fille de la Révolution

Elle partie

Honneur à Caroline

Dans un bar de nuit banal

Amour d'un homme pour son petit garçon

Dialogues du septième sceau

Requiem pour la langue Bo

Il fallait...

26 mars 1962

Ma rencontre avec Anne-Pierre Lallande, chrétien, anarchiste, antispéciste

Les yeux, les tombeaux, l'esclave

 

vendredi, 25 janvier 2013

Crachats du temps

Une oeuvre de Hanno Buddenbrook, traduite par le comte Mölln aidé d'Edith de Cornulier-Lucinière

artemiev,edith de cornulier-lucinière,comte mölln,hanno buddenbrook,andreï tarkovski,tabous blancs,entrailles futuristes,cendres au bord des lèvres,mort,inceste,fantôme,manipulation mentale,torture physique,psychédélisme,technologicide,rêve,concept,logiciels libres,cerveau disponible,cerveau,configuration du cerveau,bars,enfance,fraternité universelle,littérature,traduction,musique de film

I

Cendres aux bords des lèvres

 

Je ne sais si je pourrai survivre à la lutte effroyable que je mène contre mon fantôme intérieur. Il veut danser avec moi. Il dit : même les morts dansent, viens avec nous. Je tente de fuir. Je cours dans la rue, je fend la foule, mais partout où je m'arrête pour souffler, pour reprendre haleine, il est là. Il apparaît. Il sourit. Je me réfugie dans mon lit, mais il est là, entouré autour des draps, et il me prend dans ses bras.

Qui est-il ? J'interroge de mon regard angoissé, mais rien ne me répond. Sa voix est livide, son corps flasque. Les autres, que vivent-ils ? Eux, ils sont chacun dans leur cauchemar, comme moi ? Ou suis-je la seule hors du monde, dans un réel à part, où rien ne coule de source, rien n'est beau ni facile ni tendre ? J'interroge les regards qui m'entourent mais aussitôt, les paires d'yeux les portent ailleurs.

Il faut veiller ; il faut prier. Espérer, attendre, et continuer de garder une lumière, ou une lueur, si petite soit-elle, au fond de soi. Car on en aura besoin pour mourir. Veiller et prier, car nous ne savons l'heure ni le jour de notre adieu au monde.

Dans la ville, je marche, et je rêve d'un jour différent, dans un espace libre : une promenade heureuse sous un ciel gris et long comme mon enfance, mais vide de ces mots et de ces machines, de ces fils et de ces idées qui m'ont vieillie. Un ciel gris, bas et long sur des champs boueux. J'aurais des bottes et du vent dans les cheveux, les joues fraiches. Et je pourrais sentir le mouvement en moi, ce mouvement de la vie qui va vers la mort, avec élan.

Ici, dans la ville, nous sommes des restes de vie qui attendons la mort, sans élan.


II

Tabous blancs

 

La manipulation mentale et la torture physique sont si semblables. Je bois ma bière au fond du café, un véritable plaisir. Je sirote,je fumote, je pensote. Les gens passent et m'observent ; je les observe en contrepartie.

On m’a interdit d’avoir des relations incestueuses avec la mort. Je ne sais plus où aller.

Oui, il y a le soleil du ciel

Et il y a le soleil mystique

L’un se pare parfois d’arc en ciel

L’autre est toujours psychédélique

Non mon amour tu n’auras pas

Le regard noir que tu voulais

Depuis que tu es partie, mon amour, la mort ne me fait plus peur. Elle est devenue mon amie. Et de temps en temps, quand la ville tourbillonne et que je m’en éloigne mentalement, j’ai l’impression, au fond d’un bar fatigué, de lui payer un verre.

 

III

Entrailles futuristes

 

Mon rêve est technologicide. Je crée un logiciel libre pour le cerveau et je l'offre au monde. Mes frères lointains, chacun d'entre vous pourra l'utiliser rapidement. Il faut juste vous reconfigurer. Ensuite, cela marche tout seul. Ça permet de rêver et ça permet d'oublier, sans substances interdites. Il faut juste laisser tomber les vieux concepts, ceux qui gèrent votre cerveau depuis l'enfance.

 

Hanno Buddenbrook

artemiev,edith de cornulier-lucinière,comte mölln,hanno buddenbrook,andreï tarkovski,tabous blancs,entrailles futuristes,cendres au bord des lèvres,mort,inceste,fantôme,manipulation mentale,torture physique,psychédélisme,technologicide,rêve,concept,logiciels libres,cerveau disponible,cerveau,configuration du cerveau,bars,enfance,fraternité universelle,littérature,traduction,musique de film

mercredi, 17 mars 2010

Mort : l'accepter

Esther va mieux. Elle a un nouvel objectif : déchiffrer le linéaire A. Je lui souhaite bon courage. Ce serait effectivement un grand pas pour l'humanité.

En attendant et avec son autorisation - je me fie à son "oui, tu publieras  ce que tu veux de moi et tu ne m'en feras pas part" du mémorable 8 juin 2007, après la messe pour la mémoire du petit Louis XVII et des enfants maltraités, en attendant donc, je recopie quelques phrases d'une lettre reçue à Paris quand j'étais à Biarritz, la semaine dernière.

Edith bizarre_NC.jpg
Edith par Esther, Sucy en Brie

"Mort : il faut l'accepter.

L'accepter sans regret.

Et pouvoir se dire :

qu'on a amélioré la vie des gens.

qu'on a vibré, chanté, créé de la beauté.

qu'on a cru en Christ.

Qu'on a eu confiance dans la vie et dans la mort".

 

Voilà. Esther, tu as amélioré ma vie. Merci.