lundi, 18 juin 2012
Pleines de grâce
Lux et Nox
(ou les pietas de Saint-Pierre de Rome et du Poiré-sur-Vie)
Phot Aline de LA RSA
1499 : Michel Ange, jeune sculpteur, fait surgir de la pierre la modernité la plus folle, à l'aube du XVI°siècle : la pieta de la basilique Saint-Pierre de Rome.
1655 : 56 ans plus tard, l'antique horreur de la mort baigne la sculpture de pierre polychromée que l'on trouve aujourd'hui dans l'église du Poiré-sur-Vie et qui était auparavant à l'entrée du cimetière.
Et pourtant, il ne faut pas les juger par une comparaison chronologique. Elles sont chacune de toute beauté.
La pieta de Michel-Ange représente la face vivifiante de la Mort par la Croix. Celle du Poiré sur vie en représente la face mortelle.
Michel-Ange en sculptant la mort a filmé la résurrection. La douleur, la douleur sans cesse recommencée est captée par le sculpteur de Vendée (ou de passage) avec une parfaite vérité.
Devenue sœur en Christ de son propre fils Jésus, Marie de Michel-Ange, douce comme les câlins de grande sœur des après-midi de l'enfance, se penche sur l'enfant qui sourit presque dans son envol, elle se penche sur l'homme parfait, si proche d'elle dans sa chair, si lointain dans son âme.
Ainsi, Michel-Ange, dans le feu de la Renaissance pécheresse, honore la Vie qui vainc toutes les morts. Mais le sculpteur (dont le nom m'est inconnu) du Poiré-sur-Vie rappelle que cette Vie exultante coûte cher, très cher.
La lumière a besoin de l'obscurité. Pour illuminer les nations, la Renaissance devait sortir du Moyen-Âge. Et pour renaître à notre propre génie, nous devrons puiser aux deux sources de l'art : Lux et Nox. Le Moyen-Âge et la Renaissance. Tous, les celtes, les latins et les grecs, fécondent infiniment cette lumière et cette nuit.
Ah, la pieta du Poiré sur Vie : elle est belle comme elle est triste.
Et ce n'est pas l'horreur de la mort de l'aimé qu'elle regarde, c'est le gouffre insondable du deuil personnel.
Mère privée de son seul bien, Marie du Poiré sur Vie contemple le vide horrifiant de la vie qui lui reste à vivre, privée de tout ce qui faisait sa valeur, sa motivation, sa raison d'être. Elle a la mort sur ses genoux, lourde et laide, et la souffrance indicible s'étend tout au fond de son horizon.
Endeuillée, Marie du Poiré-sur-Vie a besoin de vos prières. Si son âme de reine connaît le destin glorieux de son fils, son cœur de mère saigne de longs sanglots rouges et noirs.
Pour danser, corps déliés, coeurs légers, sur les résurrections, combien a-t-il fallu d'engoncements et de douleurs lourdes ?
Ne jugez pas que ces pietas s'opposent, ne condamnez pas l'une au nom de la piété ou l'autre au nom de la joie, car elles sont soeurs et se comprennent au-delà de toutes les certitudes.
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lundi, 11 juin 2012
Ciel d'interné
Nos cerveaux ne sont pas à vos ordre. Alors vous nous donnez des médicaments. Voici le ciel mental d'un interné à l'asile d'Apsyaï. N'ayez pas peur. Le ciel est infini.
Edith CL
Ceux qui ne connaissent pas l'asile d'Apsyaï, merveilleux paradis intellectuel, peuvent se renseigner en se plongeant dans la Saga des voix lactées.
Si le temps leur manque, le docteur Julie-Gilles Grivette parle de l'expérience d'Apsyaï ici.
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jeudi, 07 juin 2012
Le retour de Siobhan Hollow
Siobhan, tu as beaucoup manqué à AlmaSoror et à ses visiteurs. Tu nous reviens après de longues semaines d'hospitalisation, qui ne t'ont pas guérie de ta manie de t'envoler !
Nous te lisons... (Bien entendu, je n'ai pas corrigé tes feauttes).
Photos : Mavra Nicolaïevna Novogrochneïeva
Cela fait longtemps Edith que je ne t'ai rien écrit pour AlmaSoror mais c'est parce que suite aux deux accidents qui m'ont laissée alité trop lontemps j'ai eu besoin de tellement voler que je n'ai plus penser aux amis, aux amis qui pourtant étaient beaucoup venus me voir à l'hôpital. Maintenant que j'ai quitté le Nord je mesure tout ce que cette région froide m'apportait, même si je vole plus souvent aujourd'hui, le ciel du Nord me manque beaucoup. J'ai essayé comme je t'ai dit le planeur mais ce n'est pas le deltapane chère Edith. C'est l'avion qui plane dans le planeur, ce n'est pas le corps et le manque physique de planaison est très grand chez moi. Planaison, planance, il me faut planer ou mourir, planer et tomber mais planer encore.
Enfin, puisque tu me demandes avec instamitude un article le voilà, qui suit. Excuse les fautes et corrige-les si tu veux, moi je m'en fiche, tant qu'on comprend. C'est sur le vent (Eole est le Dieu du vent).
Un vol au dessus d'un nid de souvenirs vaut mieux que mille médicaments.
Le rêve des deltaplaneurs de l'extrême est de ne jamais redescendre. Le rêve des deltapanistes qualifiés, brevetés et modérés est de redescendre pour pouvoir repartir. Cette deuxième catégorie ne déteste pas la technique, s'occupe de son aile et de son delta, aime son matériel dont l'entretien est un plaisir et une passion. En revanche, les extrémistes ne voient dans le delta et dans la voile que l'outil pour accéder à la drogue, c'est à dire aux sensations qu'on éprouve dans le ciel, cette sensation de ne plus être possédé par cette maudite planète où nos yeux ont trop pleuré. Ceux-ci ont la rage qui les reprend dès qu'il reposent le pied à terre et leur matériel n'est plus qu'un objet inanimé.
Pour les deltamodérés, la compétition et le club sont des possibilités envisageables, une façon conviviale de pratiquer leur passion. Pour les extrémistes (dont je suis vous l'aurez compris, mais vous l'avez déjà compris depuis lontemps), ces formalités ne sont que des freins, des empêchements, voire des emmerdements qui mettent une distance haïssable entre le vol et eux.
Il ne s'agit pas de dénigrer les modérés, qui ne seraient que des faibles, des demi-passionnés, car leur passion est tout aussi grande que la nôtre, ce qui fait la différence ce n'est pas la passion pour le vol mais l'exclusivité. Un modéré est quelqu'un qui peut parfaitement être heureux à terre plusieurs semaines de suite. Il souhaite voler, il attend une opportunité mais il a une vie à vivre qui le comble en dehors du deltaplane. Un deltaplaneur de l'extrême a besoin de voler pour vivre et à terre il est comme en cage. Cette transition me permet de dire deux mots à propos des gens qui se permettent de mettre des oiseaux en cage (mais on pourrait faire un parallèle avec les enfermements de tous les animaux) : vous ne méritez pas une liberté que vous ôtez aux autres.
Sur cette évidence malheureusement oubliée par beaucoup, je vous souhaite de belles soirées de printemps et vous laisse avec un poème.
Mon enfant, jeune enfant,
tu t'appelleras Éole comme le vent
et tu seras fils de moi et du vent.
Tu joueras dans la cour de l'école
avec Dylan, le fils de la vague,
dont le père surfe sur les vagues loin des plages et des gens.
Tu t'appelleras Éole et tu seras fils du vent.
Et tu feras planer ta mère comme le vent.
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mardi, 29 mai 2012
John-Antoine Nau et Jean de La Ville de Mirmont : écritures dont la révélation viendra
Deux écrivains dont je n'ai pas connu les noms, ni les œuvres, moi qui passais mes errances buissonnières au fond des livres, et qui m'apparaissent aujourd'hui comme deux des grandes plumes françaises, les connaissez-vous ? John-Antoine Nau, le récipiendaire du premier prix Goncourt, et Jean de La Ville de Mirmont, ami d'un singe et mort des tranchées.
Cette fois mon cœur, c’est le grand voyage.
Nous ne savons pas quand nous reviendrons.
Serons-nous plus fiers, plus fous ou plus sages ?
Qu’importe, mon cœur, puisque nous partons !
Jean de La Ville de Mirmont
De Mirmont on peut lire Les dimanches de Jean Dezert, l'histoire sans saveur, pourtant fascinante, d'un fonctionnaire monotone, des poèmes (que Gabriel Fauré mit en musique), des contes, dont le joli City of Benares, l'histoire d'un bateau devenu maître de lui-même.
« Je prie les amis inconnus qui voudront bien me, ou plutôt nous, lire de ne pas réclamer, d'urgence, mon internement à Sainte-Anne ou dans tout autre asile ».
John-Antoine Nau
De Nau, allez respirer les phrases des Trois amours de Benigno Reyes, à moins que vous ne préfériez faire connaissance avec sa science-fiction, Force ennemie, celle-là même qui reçut le premier prix Goncourt.
Ces deux écrivains sont atmosphériques : de leur littérature s'échappe la senteur marine des voyages intérieurs, ceux qu'on ne peut raconter avec des mots, ceux qu'on évoque juste, qu'on suggère entre les phrases, et qui impriment au cœur du lecteur leur marque indélébile.
Jean de La Ville de Mirmont : l'ennui, le voyage, la fraternité faible et profonde baignent ses oeuvres.
John-Antoine Nau : l'alcool, la sensualité, la folie cimentent ses textes.
Deux stylistes, avant tout. Deux de ceux qui mettent la forme avant le fond, comme si un fond sans forme sonnait creux comme une barrique vidée. La pensée, le thème de l'histoire, sont esclaves du style, et pourtant ils ne sont pas moins absents qu'ailleurs, pas moins absents que dans les scénarios ficelés ou les romans à thèmes. Comme si l'on arrivait à la suprême pensée, à l'histoire impeccable, par la route escarpée du style.
Avaient-ils écouté les conseils stylistiques de Théophile Gautier ?
"Sculpte, lime, ciselle ;
Que ton rêve flottant
Se scelle
Dans le bloc résistant !"
Avaient-ils entendu la douloureuse philosophie de Ludwig Van Beethoven ?
"Nous, êtres limités à l'esprit infini, sommes uniquement nés pour la joie et la souffrance. Et on pourrait dire que les plus éminents s'emparent de la joie par la souffrance."
Ils se sont emparés du monde entier, de toutes ses pensées, de toutes ses élévations, de tous ses miasmes et de toutes ses édifications, par le style !
Voici, amis, des liens.
Lien vers un article sur les dimanches de Jean Dezert, de Jean de La Ville de Mirmont.
Vidéo d'un poème musicalisé par Gabriel Fauré.
Quelques textes en ligne, de La Ville de Mirmont
Lien vers le texte entier du poème Lily Dale, de John-Antoine Nau...
Puis une vidéo de ce poème adapté en chanson par Arthur H :
Lien vers Les trois amours de Benigno Reyes, de Nau
Lien vers un article sur Force ennemie, de Nau
Tombes
Un homme évoque celle de Mirmont.
Elle se trouve au cimetière protestant de Bordeaux, rue Judaïque. (Son corps a été retrouvé dans les tranchées, puis rapatrié).
Une femme évoque celle de Nau.
Elle se trouve au cimetière marin de Tréboul, en Bretagne.
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jeudi, 10 mai 2012
Souffle et drogues autogénérées : le psychédélisme naturel
Le psychédélisme naturel
(un billet de Hanno Buddenbrook)
"Il faut être libre pour le devenir, car la liberté est existence, et surtout acquiescement raisonné à l’existence et désir ressenti comme un destin de la réaliser".
Ernst Jünger
Chers amis, chers non-amis,
Qu'est-ce que le psychédélisme ? Ce terme, formé des mots grecs « âme » et « clair , visible », a été inventé par le psychiatre Humphrey Osmond et l’écrivain Aldous Huxley, et signifie « révélation de l’âme ». Le mouvement psychélélique a voulu révéler cette âme humaine par l’emploi de drogues, qui émoustillent les sens et « ouvrent les portes de la perception », comme l’a dit Huxley. Ces portes, qui ont poussé Jim Morrison à appeler son groupe de musique rock the Doors, les Portes…
Les drogues utilisées par les adeptes du psychédélisme, hallucinogènes ou délirogènes, sont néfastes pour la santé mentale et physique et rendent fragile l’être humain dans une société dont le délire ne concorde absolument pas avec celui induit par les drogues.
Or, il est possible de se droguer sans se faire mal, sans s'aider de substances externes qui dégradent notre santé ou nous déconnectent de façon dangereuse du monde matériel dans lequel nous sommes plongés.
Le psychédélisme au naturel
Le psychédélisme naturel permet de vivre de façon intense, grâce à la dilatation des perceptions, en échappant à la fois à la prégnance des éléments néfastes de ce que l'on appelle vulgairement la "réalité" et aux conséquences destructrices des drogues.
La drogue extérieure et la drogue intérieure ne sont pas si différentes, dans leurs effets hallucinogènes de révélation des faces cachées de l’âme, des puissances créatrices contenues au fond de nous-mêmes. C'est leurs effets secondaires qui les différencient, tels les problèmes de santé, d'addiction, de cherté, pour ne citer que quelques-uns des problèmes liés aux drogues extérieures. Ces effets sont absents de la drogue intérieure. Quoique... l’on peut soutenir que l'addiction concerne aussi les drogues autogénérées. Mais c’est une addiction qui ne diffère pas de l’addiction à la course à pied : la privation de la drogue provoque éventuellement des crises de colère ou de dépression, que l’on peut surmonter en aménageant sa vie. Rien de grave, en somme. Le fait que la course à pied soit addictif n’enlève rien aux bénéfices qu’elle procure.
Nous comprenons Edith Morning lorsqu'elle déclare : "Si j’avais su que les rêves sont réels et le monde illusion, j’aurais inversé ma vision de la liberté et celle de la prison. Mais les menteurs amers disent décriant les images qu’elles sont illusoires, et nous entraînent dans leur " réel " qui n’existe que dans leurs sombres couloirs".
Comment fuir le réel sans qu’il nous rattrape ? Comment rester dans le réel sans dissoudre ses rêves ? En mélangeant savamment le rêve et la réalité, en célébrant au quotidien leurs épousailles mystiques.
Je souhaite partager le fruit étrange et mûr d'une expérience de quelques années.
Voici quelques moyens d'aboutir à ces états psychédéliques, sans LSD ni ingestion d’aucune autre drogue dure ou douce.
Par le souffle
D’abord on se calme, on ferme les yeux, on passe un moment à observer ce qui a lieu sur le rebord clos de nos paupières. Puis on observe notre respiration, son rythme, les effets que ce rythme, allié à une plus grande conscience des événements corporels, peut avoir (fourmillements dans une jambe, effets de ventouse sous une épaule…)
Après quelques temps, l’on peut influer sur ce rythme respiratoire en l’amplifiant. Il ne faut pas être trop directif avec soi-même. Dans tous ces exercices, le but est d’obtenir une sorte d’auto-hypnose.
Par la visualisation
Commencez par le bleu : imaginez un bleu très clair, et voyez le prendre toute la place. Imaginez que vous nagez dans ce bleu, imaginez que vous recevez des tombereaux de masse bleue, imaginez que le bleu vous enveloppe, vous remplit, emplit le monde entier.
Vous pouvez aussi imaginez que dans le monde dans lequel vous évoluez flottent des volutes bleues.
Vous pouvez vous envoyer ainsi des petits jaillissements de bleu dans la journée, par instants. J’ai arrêté de fumer en imaginant surgir un lagon bleu chaque fois que j’avais envie d’une cigarette. Je me suis soulé ainsi aux lagons bleus pendant plusieurs semaines.
Par le mouvement
La répétition inlassable d’un mouvement est une bonne entrée en matière, c’est-à-dire une bonne entrée en transe.
Par le son harmonique
L’apprentissage (doux) du chant harmonique provoque de grandes ouvertures mentales et imaginales. Il suffit de prendre une grande inspiration, choisir une syllabe d’appui (« ou » est parfaite), et laisser un filet de son se dévider le temps d’une longue expiration. Faites le sept ou huit fois et ensuite insérer, sans fermer la bouche ni couper le son, un « u » (ou toute autre syllabe). Cela donne : ou-u-ou-u-ou, sans interruption de son. Les lèvres peuvent rester rondes, sans bouger. Seule la langue bouge et c’est ce mouvement de langue qui créée l’harmonique et permet que plusieurs sont distincts sortent en même temps.
Par l’expérience intérieure
Celle-ci consiste à se concentrer, plusieurs minutes de suite, voire le plus longtemps possible, sur le cœur et ses battements, ou encore sur un organe (le foie) et tâcher d’en sentir les contours et d’être conscient des mouvements, flux, événements qui s’y passent.
Par les expériences de flottement
Le flottement, ou la flottaison, c’est ce sentiment agréable de se laisser emporter par le courant du rêve, un rêve non conscient, non mental, un rêve presque corporel. La réalité perd prise, nous perdons pied et nous laissons délicieusement glisser dans les interstices du temps. Le but est d’oublier de façon complète tous nos soucis. Accéder à cet oubli parfait, même une seconde, représente un grand bain de vide, un grand bain de paix. Il faut réussir à accéder à cet état de béatitude, ne serait-ce qu’une seconde. Une seconde de totale béatitude vaut mieux que quinze jours de vacances. Si l’on peut multiplier cette expérience de flottement béat, les effets sur la santé mentale, physique, sur la détente générale de notre vie, la perfection de nos gestes quotidiens, la qualité de nos réactions aux événements vont apparaître. Une seconde de béatitude répare plus qu’une nuit de douze heures. Mais pour l’atteindre il faut accepter de tout laisser partir, tous les soucis, toutes les angoisses, toutes les culpabilités. En fait, cela exige une renonciation qui ressemble à celle du mourant qui lâche enfin tout ce qu’il tentait de retenir pour plonger dans l’inconnu qui vient le chercher.
Note sur la musique
La musique, et particulièrement la musique planante, est un outil efficace lorsqu’il s’agit de planer. Toutefois, pour un psychédélisme naturel pur, point n’est besoin de recourir à un quelconque outil. Au contraire, l’outil nous détourne de cette pureté de la sensation, et surtout, l’outil nous empêche de discerner ce qui relève de nous-même et ce qui relève de l’influence extérieure.
La démarche psychédélique naturelle prend sa source dans l’amour de la liberté, de la simplicité. La musique nous emporte : en cela elle nous prive de notre liberté pure.
Note sur la prière
Le psychédélisme naturel peut n’avoir pas d’autre but que le bien-être. Il peut également être soutenu par une intention, par exemple une intention artistique, ou bien une quête d’efficacité ou de santé.
Le psychédélisme est une attitude orientée vers soi, alors que la prière s’élève au-dessus de l’ego. La prière est la mise à disposition de son être au profit de Dieu ou d’une matrice créatrice quelconque. La prière n’est pas un outil au service de soi, mais un outil de communication entre soi et une entité devant laquelle on s’incline.
Le psychédélisme est plutôt un outil, une voie que l’individu peut contrôler et qu’il a tout le loisir d’user pour son meilleur bénéfice. Si le psychédélisme peut se mettre au service de la prière, il peut aussi la perturber en tant qu’il procède d’un désir de développement personnel, et ne doit jamais se confondre avec elle. Il ne peut en outre la remplacer. Ceux qui veulent prier doivent prier.
Avertissements
Premier avertissement :
Tout ce que nous entreprenons et qui s’oppose au bonheur de nos enfants, de nos chiens, de tous les êtres dont nous sommes responsables, est mauvais. Nous nous devons à nos petits comme les loups se doivent aux leurs : les jeunes avant toute chose. Le psychédélisme naturel ne doit être utilisé qu’au service d’une meilleure vie, plus agréable, plus vivifiante, pour vous et les vôtres.
Second avertissement :
L’exploration de nous-mêmes est un voyage infini et bouleversant. Lorsque nous envoyons des sondes au plus profond de notre être, nous ne savons pas ce que nous allons toucher. Nous ne savons pas ce que nous allons voir surgir. Nous ne savons pas quelles ballades que nous allons ouïr. Si, en lui-même, ce voyage ne comprend aucun risque, ne présente aucun danger, nous devons rester responsables face à nos éventuelles défaillances. L’angoisse et la rage sont des réactions plausibles face à une découverte trop intense. Des personnes ayant voulu enseigner le yoga à des prisonniers se sont rendues compte que ces prisonniers devenaient extrêmement violents. Comment n’en serait-il pas autrement ? Le voyage intérieur est une traversée des passions humaines, des grands mouvements naturels. Ces prisonniers avaient accumulé tellement de drames, vivaient une vie si obstruée d’espace et de mouvement que le yoga a ouvert les vannes d’un fleuve puissamment contenu dans un canal trop petit : comment les eaux ne déborderaient-elles pas en cascades ?
Il faut donc apprendre à sentir les fluctuations de notre corps, de notre cœur et, dans la responsabilité nécessaire à toute liberté, voyager à notre rythme au fond de nos océans. Si la houle s’avère trop forte, prendre une pause, revenir à « la réalité ». Et repartir une autre fois. Celui qui brûle les étapes est comme une tribu qui pratique la culture sur brûlis : peu à peu elle assèche tout le territoire et doit toujours partir plus loin pour assécher de nouvelles terres grasses, brûler de nouveaux terreaux humides. La destruction, comme tout malheur prolongé, est un choix. La renaissance, comme toute rédemption, est offerte.
Hanno Buddenbrook
Traduction : Olympe Davidson & Edith de Cornulier-Lucinière
Photos : Mavra Nicolaïevna Novogrochneïeva
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mardi, 24 avril 2012
Un rêve blogal
A quoi ressemblerait ton blog de rêve ?
Il aurait une mise en page impeccable, une typographie unie, qui rappelerait l'esthétique des journaux quotidiens des années 1980.
Les photographies qui l'illustreraient seraient toutes intéressantes, esthétiques au moins d'une certaine façon. Aucune de ces images ne serait que "fonctionnelle", purement illustrative.
Il enverrait les visiteurs vers des liens intéressants.
Ce blog constituerait un univers structuré, charpenté, mais aussi chargé d'étrangeté et d'infini : on aurait l'impression de se promener à travers une ville signifiante et ordonnée qui n'aurait pas de finitude.
Les articles y seraient écrits dans une langue belle, originale, intemporelle et puissante.
La publication de ces articles serait régulière, ce serait un blog intellectuellement et spirituellement nourrissant.
Il présenterait un côté clandestin excitant ; revêterait en même temps un apparât classique impressionnant.
Il ressemblerait, se blog, à une oeuvre d'art à laquelle on revient sans cesse puiser pour se ressourcer, une oeuvre d'art qu'on a envie de conserver, d'emporter avec soi parce qu'on en vit au fond de soi.
Un aspect anarchiste, un peu rock, le diputerait à une facette plus Renaissance, inspirée d'Antiquité grecque, tandis que le Moyen-Âge et ses éléments gothiques émergeraient par instants.
La liberté, la route, l'Amérique y seraient présents : un Road Blog qui fascine ! Mais au creux du blog on se réfugierait aussi dans la vieille France, dans ses petits villages suspendus hors du temps et dans ses traditions transmises à travers les siècles.
Une grande intelligence baignerait chaque billet.
Aucune haine ne s'y ferait voir. Beaucoup de vitalité et de profondeur lui donneraient une force, une percutance qui le dispenserait de la haine et de la polémique.
Je cherche un tel blog à visiter, pour m'en imprégner. Je cherche si un tel blog peut exister au sein même d'AlmaSoror. Je cherche à révéler la vérité d'AlmaSoror, dissimulée derrière ses imperfections.
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dimanche, 22 avril 2012
L’exode urbain et l’art
AlmaSoror est fier de publier cette recension d'un grand livre d'histoire de l'art de 2071.
Recension d'Hélène Lammermoor
L’exode urbain et l’art
Glavenn le Bahut
Éditions intempestives
2071
320 000 signes, 70 illustrations (sonores, filmiques, et autres visuels)
A-t-on réellement mesuré le rôle de l’exode urbain des années 2020-2035 dans l’histoire de l’art ?
Non, répond illico Glavenn le Bahut dans son opuscule L’exode urbain et l’art, véritable brûlot, qui s’attache à détruire toutes les analyses artistiques de la décennie 2030 qui se fondent sur un art né du besoin autogène d’exister et non sur un art né des conditions socio-urbaines.
La thèse de Glavenn le Bahut s’attaque en particulier à l’historienne de l’art Édith de Cornulier-Lucinière, qui “a cru trouver la cause de la Renaissance artistique européenne dans le besoin d’art et les vagues de l’histoire de l’art elle même alors que ce sont évidemment les événements extérieurs à l’art, et tout particulièrement la crise de l’alimentation et l’exode urbain, qui ont donné une impulsion nouvelle aux forces créatrices des artistes”.
Comment ne pas croire, poursuit ensuite Glavenn le Bahut, qu’un mouvement d’une ampleur aussi phénoménale que l’exode urbain n’ait pas eu un rôle primordial dans l’évolution de l’art ?
Cette manière de poser la question ne manque pas de bon sens. Glavenn le Bahut est convaincant lorsqu’il retrace la crise de l’alimentation, imprévue puisque les autorités européennes et occidentales s’étaient surtout attachées à parer à une crise de l’eau qui n’eut pas lieu grâce aux inondations de 2923, 2037 et 2034. Les grandes villes se dépeuplèrent en quelques mois, les troupeaux d’humains transhumant vers des terres longtemps délaissées qui devinrent vite des camps de regroupements humains au lieu des eldorados que ceux qui venaient avaient imaginé.
Page 36. Les étendues d’immeubles abandonnées et de routes vides
Des villes abandonnées on ne fit pas grand chose, les autorités et gouvernances ayant tant à faire dans les zones rurales. Cette désaffection profita aux artistes, et surtout d’abord aux pionniers fantomatiques, ceux qui décidèrent de rester dans les mégapoles et les villes alors même que leurs congénères les fuyaient. Véritable peuple de l’absence, solitaires perdus dans les étendues d’immeubles abandonnées et de routes vides, ils occupèrent l’espace avec gaucherie, d’abord, puis firent peu à peu de ces grands cercueils de la civilisation humaine des édens d’une beauté auparavant inégalée.
Tout l’art des années 2030 éclôt dans ces cités perdues, aux canaux noyés, aux formes fonctionnelles devenues gratuites et inutiles de par l’absence des gens. Et c’est là que la thèse de Glavenn le Bahut prend un intérêt certain. Pour lui, la Renaissance est née de cette transformation des choses fonctionnelles (l’ensemble de l’organisation des villes) en choses inutiles. L’inutilité peu à peu engendra la beauté, le symbolisme et ce fut la possibilité de la vie mystique. Le monde était à nouveau réenchanté. L’ère du Verseau pouvait éclore vraiment et la civilisation celticohéllénochrétienne était revivifiée pour longtemps.
Nous recommandons la lecture de L’exode urbain et l’art à tous ceux qui considèrent que l’historiographie, devenue officielle, mise en oeuvre par Édith de CL ne saurait, en dépit de ses qualités indéniables et notamment de son aspect pionnier, constituer la seule et définitive vision de l’art des années 2030-40.
Hélène Lammermoor
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jeudi, 12 avril 2012
Une vie parfaite
Quelqu'un m'a demandé de décrire comment se déroulerait ma vie si elle était parfaite. Sans contrainte, j'ai décrit une journée idéale.
Le printemps et l'été, à 6h45, éveillée par le chant des oiseaux, je laisse lentement mes yeux s'ouvrir, ma conscience se dévoiler au jour. L'hiver, cela a lieu plus tard, vers sept heures et demi.
Je m'assois sur mon lit et prends un temps de gratitude pour la vie qui m'entoure ; je confie ma journée à Dieu s'il existe, je la dédie à la célébration de la beauté du monde, à la contemplation de ses mystères.
Et je me lève. En passant par la salle de bains je mets l'eau de la baignoire à couler, ensuite je vais préparer un petit-déjeuner : jus de fruits savoureux, café, croissants, confiture.
Le temps du petit-déjeuner équivaut à celui de la baignoire qui s'emplit d'eau. Je fais rapidement la vaisselle et vais prendre un bon bain chaud.
Je m'habille en sortant du bain, et vais me reposer sur mon lit ou sur un fauteuil et je lis ou je paresse.
Puis il est temps de bloguer un peu : j'allume mon ordinateur, écris des billets pour mes blogs durant une heure ou deux.
Je vais faire une promenade, quelques courses s'il y a besoin.
Quand je rentre à la maison, il est onze heures du matin : l'heure de regarder mes mails et d'y répondre, ce que je fais.
Ensuite, je vaque à toutes les occupations que je veux avant de préparer un bon repas, à moins que j'aie rendez-vous avec quelqu'un pour déjeuner dans la ville.
Après le déjeuner, conversation avec une éventuelle personne présente, ou lecture de Sidoine Apollinaire ou d'un auteur grec ou romain, pour puiser aux sources vives de la pensée de mes pères.
L'après-midi, un long temps sera consacré aux arts : à écouter ou créer de la musique, à regarder ou créer un film, à écrire.
Vers la fin d'après-midi il est temps, si je suis dans ma villégiature lovée dans la nature, d'aller faire un tour de vol libre (planeur, parapente, deltaplane) ou d'entrer dans l'océan dans ma combinaison qui me permet de rester nager et jouer dans l'eau sans trop sentir le froid.
Je rentre ensuite regarder à nouveau mes mails, préparer un dîner ou m'habiller pour sortir dîner si j'ai un rendez-vous dans la ville.
Il faut ajouter à cette vie si douce et si monotone un massage de temps en temps, chez un masseur indépendant installé dans la ville, et, de temps en temps, une coupure de ce rythme pour me plonger quelques jours dans l'étude d'une langue ou l'apprentissage des mathématiques, sans aucune idée de compétition ou de diplôme, pour la simple fête de l'esprit, pour la communion avec l'intelligence humaine qui trône dans le temps et domine tant de disputes stériles.
Presque tous les soirs, je suis couchée à dix heures ou dix heures et demi. Là, je lis une demi-heure dans mon lit, puis j'offre une prière de gratitude à la journée écoulée, à la nuit qui m'enveloppe.
Peu à peu, au fil des jours, des semaines, des saisons, une œuvre se créée. Il faut ajouter des trajets en train régulier, pour m'emmener de ma villégiature urbaine, citadine, à ma villégiature campagnarde, noyée au milieu des espaces naturels.
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dimanche, 01 avril 2012
La littérature française au XIX°siècle, décrite par Romain Rolland
Ce passage du roman Jean-Christophe, écrit au 162 boulevard du Montparnasse avant la première guerre mondiale, nous démontre que nos conservateurs crient au loup sans se lasser, croyant toujours que cette fois, la société est descendue vraiment trop bas... Tandis que nos pourfendeurs de morale ne sont que d'affligeants fonctionnaires du choquage de bourgeois.
"Ce fut par les journaux quotidiens que Christophe fit d'abord connaissance, - comme des millions de gens en France, - avec la littérature française de son temps. Comme il était désireux de se mettre le plus vite possible au diapason de la pensée parisienne, en même temps que de se perfectionner dans la langue, il s'imposa de lire avec beaucoup de conscience les feuilles qu'on lui disait les plus parisiennes. Le premier jour, il lut parmi des faits divers horrifiants, dont la narration et les instantanés remplissaient plusieurs colonnes, une nouvelle sur un père qui couchait avec sa fille, âgée de quinze ans : la chose était présentée comme toute naturelle, et même assez touchante. Le second jour, il lut dans le même journal une nouvelle sur un père et son fils, âgé de douze ans, qui couchaient avec la même fille. Le troisième jour, il lut une nouvelle sur un frère, qui couchait avec sa soeur. Le quatrième, sur deux soeurs qui couchaient ensemble. Le cinquième... Le cinquième, il jeta le journal, avec un haut-le-coeur, et dit à Sylvain Kohn :
- Ah ! ça, qu'est-ce que vous avez ? Vous êtes malades !
Sylvain Kohn se mit à rire, et dit :
- C'est de l'art.
Christophe haussa les épaules :
- Vous vous moquez de moi.
- En aucune façon. Voyez plutôt !
Il montra à Christophe une enquête récente sur l'Art et la Morale, d'où il résultait que "l'Amour sanctifiait tout", que "la Sensualité était le ferment de l'Art", que "la morale était une convention inculquée par une éducation jésuitique", et que seule comptait "l'énormité du Désir". - Une suite de certificats littéraires attestaient dans les journaux la pureté d'un roman qui peignait les moeurs des souteneurs. Certains des répondants étaient les plus grands noms de la littérature, ou d'austères critiques. Un poète des familles, bourgeois et catholique, donnait sa bénédiction d'artiste à une peinture très soignée des mauvaises moeurs grecques. Des réclames lyriques exaltaient des romans, où laborieusement s'étalait la Débauche à travers les âges : Rome, Alexandrie, Bysance, la Renaissance italienne et française, le Grand Siècle... c'était un cours complet."
Romain Rolland, in Jean-Christophe
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mercredi, 07 mars 2012
Reconstitution
Ceci est une exclusivité !
phot. Carvos Loup. Edith de CL apprenant la mort de Jürgen Chêne
AlmaSoror vous livre l'extrait de Reconstitution, le second film, demeuré inachevé, du cinéaste prodige Jürgen Chêne, dont l'unique oeuvre, Dying Cinema, a radicalement bouleversé notre vie esthétique.
Les exégètes de l'oeuvre et de la personnalité de Chêne savaient qu'il existait un deuxième film que, par déception, le jeune cinéaste écorché avait détruit. Cet extrait de Reconstitution donne une idée de l'évolution qu'aurait suivie l'oeuvre de Jürgen Chêne, s'il avait pu la poursuivre jusqu'au bout.
Nous livrons la notice biographique de Chêne qu'on trouve dans Sens et Mystique des sens, l'encyclopédie de l'art euro-américain des années 2030-2070 :
"Jürgen Chêne
Cinéaste maudit, Jûrgen Chêne réalisa à l’âge de 19 ans le film chef d’oeuvresque, Dying Cinema. Il ne parvint plus jamais à réaliser un film entier et de désespoir se retira de la vie artistique. On ne sait pas ce qu’il est devenu."
Cette encyclopédie avait d'abord été publiée sous la forme d'un feuilleton estival dans le Newropeans Magazine.
Elle est aujourd'hui consultable dans son intégralité à cette adresse d'AlmaSoror.
Enfin, pour ceux qui veulent aller plus loin dans la réflexion et la connaissance sur les mouvances artistiques de ces années sublimes, nous proposons de revoir cette conférence privée d'Edith de CL, organisée et produite par Stella Mar, petite fille de notre bien-aimée correspondante Esther Mar.
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mardi, 10 janvier 2012
Dauphins
AlmaSoror accepte de publier cet appel, cette adresse inutile d'Esther Mar
à un ami emmuré dans son ciel infini
La chambre d'Hamilcar à Apsyaï
L'esprit d'Hamilcar ressemble à cette mer entre deux eaux.
"Oublie tes symptômes recommence à vivre. Oublie tes symptômes. Va voir où les dauphins crient, dans la mère-mer. Oublie tes symptômes à l'oreille droite ; oublie tes symptômes à la jambe gauche ; oublie tes symptômes du coeur et tes symptômes du scandale. Oublie tes symptômes, va voir les dauphins, là-bas dans la liberté de la mer, loin du sanatorium. Va voir les dauphins au fond de la mer, loin du sanatorium".
Ce furent les dernières paroles d'Hamilcar Merri avant d'entrer dans le monde nacré de son imaginaire, d'où aucune porte ne permet de sortir. Son imaginaire est un univers couvert de portes d'entrées par lesquelles on ne peut passer dans l'autre sens. Aussi est-ce avec curiosité que je l'écoute quand il parle encore, dans sa nouvelle langue à double sens, dans la blancheur des sas, derrière les murs d'Apsyaï.
Ami parti, au corps inchangé, aux gestes ralentis, je ne te demande même pas de revenir ou de redevenir. Je contemple notre amitié sans pierre d'attache. Je t'aime encore.
Esther Mar
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samedi, 31 décembre 2011
La naissance des ours
Veille - Nuit - Premier matin
Veille
Les pères, les mères et les amis attendent tout le jour la naissance des oursons.
Dès l'aube, ceux-ci ont fait savoir que ce serait pour aujourd'hui. Mais le jour se lève et s'écoule sans que rien d'autre n'ait lieu que l'attente. L’attente de tous et la douleur de celle qui enfante.
Alors Spiegel im Spiegel, la berceuse d'Arvo Part qui multiplie les images dans les miroirs, joue tout le jour dans la fraîcheur froide tandis que des cierges se consument dans les maisons du Sud et les églises d'Île de France.
Même dans les pages des livres d'enfants, tout se tait ; tout s’immobilise ; les personnages attendent. Animaux et humains, ils savent que quelque chose va avoir lieu.
Et dans les cuisines on ne sait pas quoi faire en attendant. Les heures s’écoulent dans l’étonnement du silence.
Nuit
Kiko, par Sara
La nuit tombe et l’ourson frappe à la porte. Tout prend un air de crèche. C’est la fête émerveillée.
L'ourson, à peine éclos, prend place dans la fratrie totémique : un frère-Dieu, deux sœurs-fleuves et un frère-fleuve, qui l'entraîneront sur les routes puissantes du rêve éveillé.
Loin du Sud, à Paris, au fond d’une cour de Montparnasse, quelqu’un songe : quel est cet enfant assez étrange pour naître lors de la trêve des confiseurs ?
Premier matin
Le soleil d’hiver s’est levé sur le premier matin d’Orso sur la terre. Il a entrevu le ciel à travers le rideau. Il a tété sa mère, sucé son pouce. Il a voulu que son premier soir d’homme soit un réveillon de nouvel an, parce que la vie qu’il commence est une révolution.
Bienvenue dans ce monde ! Et pour t'accompagner, une phrase de philosophe :
"Quel vin est aussi pétillant, savoureux, enivrant, que l'infini des possibles!"
Søren Kierkegaard
Edith de Cornulier-Lucinière, pour Orso B, né le 30 décembre 2011 au bout d'une longue journée.
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mardi, 29 novembre 2011
Un billet sur Mongo Beti ?
Jean Bouchenoire, que nos lecteurs n'apprécient pas tous, mais qi'ils lisent souvent avec fébrilité, nous livre ses réflexions alors qu'il est plongé dans la lecture de l'écrivain franco-camerounais Mongo Béti.
Pour donner un contrepoint passionnant à son nationalisme identitaire militant, nous mettons après son article quelques extraits d'une entrevue d'Edouard Glissant à la fin de sa vie, empruntée au journal Télérama, ainsi qu'une vidéo de l'INA le montrant en 1957.
Un billet sur Mongo Beti ?
Pourquoi ? Parce que j'ai lu, ces dernières semaines, la passion au coeur, un violent enthousiasme au ventre, une exaltation profonde du cerveau, L'histoire de l'Afrique de Joseph KI-Zerbo, et ensuite une bonne partie de l'oeuvre protéïforme mais unifiée sous le drapeau de l'intelligence combattante et de la liberté bien-comprise, de Mongo Béti le bien-nommé.
Un extrait de l'hommage de Bernadette Ngono, sur le site d'Aircrige:
"En 1939, alors qu'il a 7 ans, son père est assassiné à Mbalmayo, son corps jeté dans le fleuve. Qui a commis ce meurtre? On ne l'a jamais su. Sûrement un homme décidé à briser l'élan de ce nègre entreprenant. C'est donc en orphelin qui s'attache à respecter les voeux de son père qu'Alexandre entre en 6ème au petit séminaire d'Akono, dans la lointaine banlieue de Yaoundé. Il y est pensionnaire, apprécie l'enseignement général qu'il y reçoit des pères blancs, mais manifeste déjà une insoumission aux obligations religieuses. Car l'adolescent est conscient de ce que son peuple est entrain de perdre bien plus qu'il ne reçoit: les valeurs culturelles sont déniées, les rites ancestraux sont interdits, les foyers à destination des jeunes fiancées, appelés "sixas", sont plutôt des pourvoyeurs en main d'oeuvre gratuite pour les missions. On connaît ce conflit qui a déchiré des générations d'Africains: "ce qu'on apprend vaut-il ce qu'on oublie?", or ici, on est forcé à l'oubli tout en souhaitant apprendre. Les pères blancs géreront ce conflit à sa place en l'excluant de leur établissement dès la fin de la classe de 5ème".
De Mongo Beti on peut lire la Ville cruelle (publié sous le nom d'Eza Boto) et le Pauvre Christ de Bomba.
Sans haine et sans amour : Mongo Béti donne le coup d'envoi à son oeuvre aux titres qui éblouissent, aux personnages qui savent être à la fois charnels et emblématiques.
Ville cruelle est un premier roman, c'est à la naissance d'un écrivain qu'on assiste.
Le pauvre Christ de Bomba c'est la prolongation d'un style qui s'éveille, d'une langue qui s'approfondit, d'une pensée qui se cache derrière les belles histoires pour mieux illuminer de sa clarté tranchante les cerveaux endormis des lecteurs télévissés. Le pauvre Christ de Bomba fait scandale. Et nous, si nous disions ce que nous vivions au quotidien, sans ambages, nos haines recuites, nos humiliations, notre stupéfaction d'être vendus par nos gouvernants, notre ahurissement devant l'arrogance de ceux qui viennent manger dans notre assiette et nous cracher ensuite à la figure, nous ferions bien scandale, nous aussi.
Quant à son livre Main basse sur le Cameroun, il lui a valu de nombreuses persécutions par les élites camerounaises et françaises.
Ce qui m'amuse aujourd'hui, mes amis, c'est que les Français nationalistes, qui veulent défendre leur pays et rester fidèles à leur propre histoire, faite d'errances et de lumières, subissent l'acharnement qu'ont subi les écrivains et militants africains au cours du XX° siècle, un acharnement de la part de leurs propres élites, et un mépris haineux de la part de ceux qui veulent les remplacer, les convertir, les coloniser en prenant leur place sur leur terre.
Les identitaires français d'aujourd'hui n'ont plus qu'à lire avidement les grandes oeuvres des écrivains d'Afrique noire qui, avec des idées différentes, des théories contradictoires, des visions opposées les unes aux autres, ont posé leur pierre littéraire, souvent accompagnée d'un paiement en nature, via de minutieuses et incessantes persécutions, à la libération de leur peuple.
Etrange ironie de l'histoire, que ceux pour qui ils écrivaient, pour les libérer de l'Europe, s'agglutinent en Europe quand leur pays est libéré politiquement. Etrange ironie de l'histoire que les identitaires français d'aujourd'hui s'insurgent contre les impérialistes et immigrationnistes de tous les temps pour mieux affirmer le droit à se sentir en France en pleine Île de France.
Car ce que l'élite française a fait dans ses colonies, elle le fait aujourd'hui sur le sol hexagonal. Détruire les maisons pour fourguer tout le monde dans des barres d'immeubles d'une laideur auparavant inégalée, dresser les uns contre les autres, favoriser l'explosion des familles, détruire les liens qui tiennent les gens entre eux, casser toute tradition, toute idée susceptible de constituer un barrage contre la grande soupe qu'ils veulent faire de la France, interdire via le Centre National du Cinéma, qui autorise et sanctionne toute la production cinématographique du pays, toute expression populaire digne, et surtout, culpabiliser à outrance ceux qui s'opposent à la nouvelle France multiculturelle, en les présentant comme l'incarnation du Mal Absolu : le fascisme. (En quoi donc, mes dieux ! la lutte pour rester soi-même face aux bulldozers financiers et aux mammouths politiques se rapprocherait du "fascisme"?)
Et je sais que vous ne serez pas d'accord avec moi, million d'amis, milliard de frères, nuage déployé d'humains. Mais je chante sur le blog d'AlmaSoror tant que sa tenancière m'y autorise, et je vous ai dit ce que je pense en profondeur des invasions barbares, qu'il s'agisse de celle des légions romaines en Gaule, de celle des administrations européennes en Afrique et de celle des hordes d'immigrés en France.
Jean Bouchenoire, qui vous salue.
Photos de Jean Bouchenoire par Mavra Nicolaievna Vonogrochneïeva
En guise de réponse à Jean Bouchenoire, des extraits d'une entrevue donnée par Edouard Glissant avant sa mort (2011), et une vidéo de lui datant de 1957
Extrait de l'interview téléramesque qu'on peut lire ICI
Dans ces moments-là, on devient un homme révolté ?
Quand on est militant, on n’est pas révolté. Le révolté est impuissant. Le militant, lui, sait quoi faire, ou du moins il le croit. En tout cas, il a de quoi faire.
(...)
Votre engagement militant, vécu très librement, hors des partis, n’a jamais éteint votre création. Vous avez toujours lié poétique et politique, certain que la première précédait en général la seconde. Mais avez-vous craint, un moment, que le combattant anticolonialiste prenne le pas sur le poète ?
Le militant peut devenir féroce, cruel. Il peut devenir aveugle et se briser intérieurement. J’ai fait attention à cela. De telles déformations proviennent de l’obligation pour un militant d’adopter sans réserves son dogme, de bâtir son idéologie. Les nécessités de sa lutte ne lui laissent pas le temps d’envisager des problématiques. J’ai connu des militants qui souffraient de cet état.
(...)
Poétique et politique ont parfois du mal à s’accorder. Votre ami Patrick Chamoiseau, prix Goncourt 1992 pour Texaco, a dit combien il pouvait être dur d' « écrire en pays dominé » : « Comment écrire alors que ton imaginaire s’abreuve, du matin jusqu’aux rêves, à des images, des pensées, des valeurs qui ne sont pas les tiennes ? » (Ecrire en pays dominé, éd. Gallimard, 1997.) Avez-vous eu le sentiment – l’avez-vous encore ? – d’« écrire en pays dominé » ?
Je ne suis pas d’accord avec Chamoiseau. Comme l’a remarqué Frantz Fanon, on peut être dominé de plusieurs manières. Si on est dominé par une détérioration intérieure, c’est-à-dire si l’être lui-même est déconstruit en profondeur, et s’il accepte ou subit passivement cette déconstruction, alors, effectivement, on ne peut pas écrire. Ecrire, c’est souffrir sa liberté. Un être dominé, assimilé, ne produira qu'une longue plainte aliénée.
Si on est dominé dans la vie sociale et quotidienne, mais en gardant toute sa puissance d’imaginaire, c’est autre chose. Quand le Martiniquais ne peut s’imaginer autrement que comme français, c’est son imagination qui est détruite ou déroutée. Mais même dans cet état d’aliénation, son imaginaire persiste, s’embusque, et peut à tout moment lui faire voir le monde à nouveau. Et moi, je lui dis: « Agis dans ton lieu, pense avec le monde. »
Ce que vous reprochez à la France, c’est sa propension à faire la morale à la terre entière ?
Je ne reproche rien à la France. Mais voyez l’expression « la-France-patrie-des-droits-de-l’homme ». Cela n’enlève rien à la grandeur de ce pays, mais cette expression, à mes yeux, n’a pas de sens. Les droits de l’homme, de la femme, de l’enfant, ont des variantes tellement relatives sur la surface de la Terre. Dans certaines tribus précolombiennes, on organisait le suicide rituel des vieilles personnes qui ne pouvaient plus suivre le groupe dans son nomadisme. Le vieux qui ne pouvait plus ni bouger ni travailler et qui menaçait l’équilibre et la vie de la communauté finissait sa vie dans un suicide rituel, au cours d’une grande cérémonie festive. C’était le dernier service qu’il rendait et c’était la dernière joie qu’il partageait. Au nom des droits de l’homme, un Occidental dira que cette pratique était profondément inhumaine, et de son point de vue, il aura raison, sans voir cependant que, chez lui, dans les rues des grandes villes, des centaines de gens meurent sur les trottoirs dans des conditions infiniment plus inhumaines et dégradantes, parce qu’ils ne peuvent plus ni bouger ni travailler.
Comment définir les droits de l’homme de manière réellement « universelle » ? Mettre en apposition les diverses conceptions des humanités – ce que j’appelle une « poétique de la relation » – serait beaucoup plus profitable à tous. En France, la colonisation a été justifiée, au départ, au nom de telles idées « universelles ». Au nom d’une mission civilisatrice à laquelle Jules Ferry et beaucoup d’hommes de gauche ont sincèrement cru. Il s’agissait de répandre sur le monde les idées des philosophes des Lumières du XVIIIe siècle, mais l’exploitation des matières premières et des produits manufacturés restait la seule nécessité.
Edouard Glissant
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mercredi, 09 novembre 2011
Jean-Christophe - 8 novembre 2011
"La cruauté envers les animaux et même déjà l’indifférence envers leur souffrance est à mon avis l’un des péchés les plus lourds de l’humanité. Il est la base de la perversité humaine. Si l’homme crée tant de souffrance, quel droit a-t-il de se plaindre de ses propres souffrances ?"
Romain Rolland
Frère et Soeur Rolland
Romain Rolland a inventé l'expression « roman-fleuve » ; il a inventé l'expression « sentiment océanique », qu'on trouve dans sa correspondance avec Sigmund Freud. Il a milité pour l'Europe fraternelle ; il a été l'ami de Tolstoï et de son disciple Gandhi ; il a, comme eux, défendu les animaux. Il a été un pionnier de la musicologie.
Son roman Jean-Christophe, qui lui a fait obtenir le prix Nobel, a rendu ardents et fébriles d'enthousiasme des jeunes gens du monde entier pendant toute la première partie du XXème siècle. Dans le monde communiste il est demeuré un héros. Aujourd'hui, il est plus lu et étudié à l'étranger qu'en France.
Mais son Jean-Christophe a été conçu, et les premiers jets ont été écrits au 162 boulevard du Montparnasse, dans l'obscurité.
C'est pourquoi, aujourd'hui, dans l'obscurité, un petit groupe de têtes fêlées se rassemble au 13 boulevard du Montparnasse le mardi soir, pour lire à voix haute le premier roman-fleuve, l'histoire de Jean-Christophe Krafft.
Phot Sara
La première « lecture du mardi » a eu lieu hier. Elle était accompagnée d'un Monbazillac blanc moelleux et d'une fourme du Puy de Dôme.
A mardi prochain, frères lecteurs, pour un autre chapitre, un autre fromage, un autre vin. A mardi prochain, pour la messe de Jean-Christophe.
Les officiants d'hier : Laure ; Alexandre ; Francis ; Vincent ; Dominique ; Jean-Pierre ; Stéphanie ; Emmanuel ; Edith
Conseils de lecture :
Ce passage sur la musique, de Jean-Christophe
La nouvelle "Le prophète", de Thomas Mann
Ciel Mental, par Mavra
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dimanche, 30 octobre 2011
Miles Davis, as-tu retrouvé Franz Schubert et l'as-tu consolé ?
C'est sur un blog qui ressemble de près à un songe italien que j'ai soudain senti qu'il y avait une fraternité entre la musique de Franz Schubert et celle de Miles Davis.
Nostalgie, balancement tout en retenue, ballades en suspension qui n'effleurent jamais la moindre médiocrité.
"La vraie musique est le silence et toutes les notes ne font qu'encadrer ce silence".
Miles Davis
Et il a dit cette phrase encore, qui parle autant de Schubert que de lui : "Pourquoi jouer tant de notes quand il suffit de jouer les plus belles ?"
Fascination : regarder ses yeux regarder le film pendant qu'il improvise et en compose la bande sonore.
Honoré de Balzac et Franz Schubert, mariés à Eylau par le cinéaste Yves Angelo :
Merci aux inconnus youtubiens dont j'emprunte les vidéos.
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