Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

mardi, 01 octobre 2013

L’Olonnois

L'olonnois, Sables d'Olonne, polar enfantin, Barbier, ragondin, police, gendarmerie, capitainerie, baroudeur, vengeance, goût de cendre, Sables d'Olonne, piraterie, tank, sous-marins, DDASS, prison, palais de justice, école maternelle, humiliation, carrière, apothéosePhoto de Lau

Le capitaine Barbier se rappela le jour d’anniversaire de ses quatre ans : en trois coups de poing, Joe Ragondin, qui n’avait alors que trois ans et demi, l’avait étalé sur les pavés de la cour de récréation. Il avait saigné et la maîtresse avait grondé Joe. Mais cela ne l’avait pas consolé. Il était rentré chez lui avec une grande tristesse au fond du cœur.

Aujourd’hui, le capitaine Barbier avait cinquante-quatre ans. Il regardait la mer scintiller sous un ciel bleu étincelant. Il ne lui restait plus qu’une seule année pour attraper le vieux filou. Après, il serait mis dans les bureaux. A cinquante cinq ans, l’administration estime que vous êtes trop vieux pour faire le zouave avec un flingue et des bottes. Le capitaine Barbier, il est vrai, se sentait fatigué. Mais il ne voulait pas partir à la retraite sans avoir capturé le hors la loi, que les polices du monde entier surnommaient « l’Olonnois ». Le baroudeur qu’aucune police du monde n’avait pu attraper, lui, il l’aurait. Il le fallait. Ce serait sa vengeance. Cinquante ans plus tard, les trois coups de poing qui le faisaient toujours souffrir lui seraient enfin payés.

La mer des Sables d’Olonne était d’huile. Calme et sage, elle roucoulait doucement sous le scintillement bleu qui la traversait. Seules quelques vaguelettes crachouillaient sur le sable. Le Capitaine Barbier s’avança sur la jetée. Ses gars étaient postés un peu partout autour de lui.

La lutte avait été rude. Mais aujourd’hui, il n’y avait plus aucune chance pour que l’ennemi de toutes les polices du monde échappe au piège. Jugez plutôt : quatre sous marins planqués de chaque côté de la rade.

- Capitaine, vous croyez qu’on va vraiment l’avoir, ce Ragondin ?

- Aussi vrai que je m’appelle Barbier et que je suis capitaine de la gendarmerie maritime des Sables d’Olonne, on l’aura.

- Vous êtes un as, capitaine. Vous n’aimez pas les pirates, vous.

- Tu ne crois pas si bien dire.

Si Joe Ragondin avait trois ans et demi quand il avait dégommé le capitaine Barbier dans la cour de l’école, aujourd’hui, il avait donc cinquante-trois ans et demi. Après avoir terrifié les gendarmeries maritimes de toute l’Europe, il allait finir sa carrière au port où il avait grandi. Le capitaine Barbier tourna le regard vers le Nord ; le Palais de Justice faisait face à la mer. Il se demandait dans quelle prison les juges enverraient son pire ennemi. Il y avait des prisons partout en France, et Barbier au fond s’en fichait. Ce qui lui importait, c’était d’être enfin vengé de la plus grande humiliation de sa vie. « La vengeance est un plat qui se mange froid », se répétait-il. Quelle patience il avait fallu pour en arriver là !

Son second s’approcha de lui.

- Où en est-on ? demanda Barbier.

- Capitaine, le voilier de Ragondin est en vue. Les quatre sous marins sont prêts à ouvrir le feu.

Soudain, le voilier du bandit s'offrit à tous les regards. Il s'approchait à bonne vitesse, ses jolies voiles vertes dansaient dans le vent. Aussitôt, surgirent du fond de l'océan quatre énormes cheminées d'acier : c'étaient les sous-marins qui remontaient lentement à la surface, les armes braqués vers le petit bateau du grand braqueur des mers.

Il n'y eut pas de combat. Face aux tanks marins, Joe Ragondin avait hissé le drapeau blanc pour annoncer qu'il se rendait.

- Je ne vais quand même pas vous suicider, les gars, dit-il à ses deux acolytes, deux jeunes garçons de la DDASS que le hors-la-loi avait pris sous son aile. Vous direz que je vous ai menacé de mort et je ne vous contredirai pas. Ainsi, vous ne ferez pas trop de prison et vous aurez une seconde chance.

Les deux gars n'eurent pas le temps de le remercier. Une centaine de gendarmes prenait le voilier d'abordage. Ils faillirent couler tant ils étaient nombreux sur ce léger bateau.

Lorsque Joe Ragondin mit le pied sur la terre, il était entouré d'une volée de gendarmes qui l'avaient menotté aux poignets et aux chevilles et qui devaient maintenant le soutenir pour le faire avancer.

Le capitaine Barbier souriait de bonheur et de fierté. Sa poitrine se gonflait d'orgueil. Il avait atteint l'apothéose de sa carrière de justicier. Il s'avança lentement vers son ennemi.

- Tu as fini de rire, Ragondin ! S'écria-t-il afin que les journalistes puissent l'entendre.

Mais Joe Ragondin, qui l'avait regardé s'approcher, lui répondit à voix basse :

- Crapule ! Tu m’as eu… Allez… Tu es content, hein… Tu n’as jamais oublié la honte de tes quatre ans, pas vrai ?

Barbier baissa les yeux. Soudain, il eut honte de cette histoire. Vrai, il avait couru derrière le plus grand pirate du monde pour une baston d’enfance ?

Ragondin cracha, puis il sourit.

- Tu veux savoir pourquoi je t’ai asséné ces coups, ce jour là ? C’était, il y a, attends… Je calcule les années qui nous séparent.

- Cinquante ans, prononça Gilles Barbier dans un murmure.

Ragondin siffla d’étonnement.

- Cinquante, déjà. On se fait moins jeunes, dis.

Barbier osait à peine le regarder.

- Tiens, je te le dis. Je t’avais donné ces coups de poing parce que je t’aimais bien. C’est comme ça que je faisais pour me faire remarquer. Parce que je ne savais pas faire autrement. On m’avait appris ça, chez moi. Allez, excuse-moi, vieux. Excuse ces coups.

Barbier avait la tête baissée, toujours. Tout d’un coup, il était écrasé par les années qui avaient passé, par l’amitié qui n’était jamais venue, par la fragilité du grand filou menotté.

- Pardon, je te traite comme un vieil ami. Mais tu es le capitaine Barbier. Pardonnez-moi, Capitaine. Je vous ai tutoyé.

Les gars le tirèrent et le firent monter dans le fourgon. Barbier entendit les sirènes.

- Vous venez, Capitaine ? Lui dit un des gars, lui montrant du doigt la deuxième voiture, prête à partir.

- Un instant, murmura Barbier.

Il voulut regarder la mer un instant. Elle était belle, comme elle avait toujours été et comme elle serait toujours. Et lui, il se sentait le cœur lourd. Cinquante ans pour se rendre compte que la vengeance a un goût de cendre.

- Capitaine ! appelaient ses gars.

Alors le capitaine Barbier inspira un grand coup d’air, se détourna de la mer palpitante et suivit ses gars.

 

 Edith de CL

 

dimanche, 29 septembre 2013

L'âge de raison

erdre,loire,châteaux,tropiques,pays chauds,colonies,militaire,sept ans,âge de raison,psychanalyse,1897,30 janvier 1897

Voici le poème amoureux, fraternel et protecteur que reçut, le 30 janvier de l'année 1897, une petite fille appelée Anne.

L'auteur de la missive était son oncle, un homme jeune, militaire, qui était parti "dans les pays chauds".

Les étés, dans les châteaux des bords de l'Erdre et de la Loire, l'oncle et la toute petite nièce s'amusaient à jouer qu'ils étaient mariés. La psychanalyse naissait ailleurs en Europe, mais elle mettrait longtemps à franchir les grands salons poussiéreux, aussi l'entourage l'Anne et son oncle, flopée de parents, de cousins, d'oncles et de tantes, de paysans, de domestiques, de voisins, d'artisans, de prêtres et de religieuses, n'y voyaient pas malice.

L'oncle envoyait, le savait-il ? sa dernière lettre à sa toute petite "femme". C'était pour la féliciter de son septième anniversaire. La caresse du soleil, peut-être celle des femmes de mauvaise vie dont il n'avait jamais parlé à Anne, les moustiques et mouches de ces pays si doux et si traitres, en plus d'une éventuelle blessure mal soignée... Il mourut peu après, à l'âge où ses camarades rentraient s'établir en France, leur jeunesse apaisée par les tropiques.

Anne, devenue grande, n'oublia jamais son premier mari.

 

Sept ans : l'âge de raison


On a sept ans qu'une fois dans sa vie,

Le difficile est d'en bien profiter.

Si à cet âge on vit en étourdie,

Un peu plus tard on peut le regretter.

N'imite pas, Ô petita chérie

De ton mari les écarts malheureux ;

La route hélas ! qu'il a toujours suivie

Lui fit passer des jours bien orageux :

C'est le chemin qui mène à la folie...

Il s'embarqua pour les pays Hovas

Espérant y rencontrer la sagesse ;

Aux pays chauds il ne la trouva pas...

Mais du soleil il reçut la caresse,

Et le cerveau plus troublé que jamais,

Avec toi seule il vivra désormais :

Les temps sont courts, il faut qu'on nous marie :

On a sept ans qu'une fois dans sa vie.

 

Oncle Georges

30 janvier 1897

samedi, 21 septembre 2013

La vie de bureau - le guêpier

Une vidéo de Mavra VN

lundi, 16 septembre 2013

Profession : auteur

« Dat veniam corvis, vexat censura columbas »
Juvénal

La censure pardonne aux corbeaux et tourmente les colombes

 

Le plus ancien écrivain du monde traça le premier une ligne d'écriture fictionnelle sur un support quelconque ; il se perd dans la nuit des temps.
Le premier auteur du monde apposa sa signature au bas de sa composition. Il s'agit peut-être de la prêtresse Enheduanna. Elle vivait dans l'empire mésopotamien d'Akkad, il y a quarante-quatre siècles.
Bâtisseurs anonymes de cathédrales littéraires, auteurs auréolés à jamais de la gloire qui entoure leur œuvre, tels furent les deux types d'écrivains qui nous précédèrent.

En ce début du deuxième millénaire, l'auteur, de façon paradoxale, emprunte deux voies qu'il subit plutôt qu'il ne les choisit. Il professionnalise son statut dans ses relations avec ses employeurs (grâce à une normalisation des types de contrats) et avec l'administration française (qui peaufine son statut social), en même temps qu'assailli par les vagues de fragilisation du droit d'auteur, il se dissout à la fois dans l'industrialisation de la production et dans la gratuité et l'anonymat qui ont émergé sur Internet.

L'étymologie d'auteur évoque l'autorité. L'auteur est le maître de son œuvre ; il répond d'elle, elle témoigne de lui. L'étymologie de profession signifie «déclaration publique », la profession est ce que l'on est publiquement, vis-à-vis de l’État.
L'écrivain peut être méconnu ; l'auteur est reconnu, au moins administrativement. De même qu'un médiateur social employé par la mairie est un agent officiel, tandis qu'un habitant du quartier jouant un grand rôle de cohésion par son charisme et sa présence attentive à chacun, n'est pas un professionnel, quand bien même il est plus efficace. Ce qui les distingue, c'est leur statut – et les droits et les devoirs qu'il impose.

Ce statut, qui l'a souhaité ? On peut dire qu'il est né de l'emprise administrative. Il n'existe pas de zones hors d'elle : dès lors, l'auteur attrapé dans les mailles du filet s'est engagé pour participer à la définition de son propre statut.
Face à la définition flottante de l'auteur, l'administration française a failli échapper à sa propre règle qui stipule qu'un devoir est corrélé par un droit. Ponctionné à la source, au même titre qu'un salarié, l'auteur tout d'abord a voulu faire cesser cette ponction - sans succès. Il a donc réclamé les droits qui y sont associés, comme pour toutes les autres professions.

Mais comment distinguer l'auteur amateur de l'auteur professionnel ?
Sur le plan contractuel, on n'observe aucune différence. Le contrat d'édition traite chaque auteur sur un plan professionnel : tout auteur publié à compte d'éditeur a franchi le pas de la professionnalité.
Sur le plan administratif, c'est la somme d'argent gagnée qui les départit. À partir d'une certaine somme annuelle (un peu moins de 8500 euros en 2013), l'auteur est perçu comme un professionnel. En deçà, il est assujetti certes à des cotisations, sans pour autant qu'elles lui ouvrent tous les droits personnels. Au-delà, il est supposé s'affilier à l'Agessa et dépend donc de la Sécurité sociale des auteurs et artistes. Le voilà professionnel, qu'il le veuille ou non. Dès lors, il peut cotiser à une retraite complémentaire, qui répond du doux nom de RAAP (Régime des Artistes et Auteurs Professionnels, financé en partie par le droit de prêt en bibliothèque, géré par la SOFIA).

Aux portes de la profession, l'auteur assujetti partage certains droits : s'il a gagné au moins 9000 euros de droits d'auteur au cours des trois dernières années, il bénéficie comme ses confrères d'une formation continue.
L'actualité brûlante de l'édification de notre statut risque de faire bouger les lignes de distinction entre l'auteur assujetti et l'auteur affilié, entre l'amateur et le professionnel.
En ce moment même, plusieurs dossiers retiennent l'attention. Parmi eux, évoquons la fusion administrative en cours, entre le régime des artistes et celui des auteurs. Soulignons aussi les négociations autour de la caisse de retraite : parce qu'un prélèvement à la source qui n'aboutit pas à une ouverture de droits s'apparenterait à du racket, les auteurs ont mené un combat pour que la cotisation vieillesse soit universelle, et pas seulement réservée aux auteurs affiliés.

Sur le plan social, cette professionnalisation constitue un progrès. L'auteur n'erre plus dans les zones de non-droit tel un vagabond administratif, un extra-terrestre juridique, un déshérité de la redistribution.
Doit-on louer le progrès en tant que tel, sans songer aux prolongements lointains qu'il implique ?
Si l'auteur est un professionnel, ne va-t-on pas exiger de lui un travail professionnel ? Ce professionnalisme mesurable irait à l'encontre de la vue traditionnelle que nous avons des créateurs de l'esprit.

L'écriture « industrielle » – celle qui propose des produits littéraires ou audiovisuels de consommation massive – nécessite le recours à d'habiles artisans du récit, malléables par le commanditaire. Style et inspiration personnelle n'ont d'intérêt que s'ils servent le produit final - et ne constituent pas une valeur en soi.
Quelle que soit la valeur littéraire de l’œuvre qu'il édifie ou à laquelle il contribue, l'auteur interchangeable, qui écrit sur commande selon des canons qu'il ne maîtrise pas, qui élabore les corrections qu'on lui demande sans pouvoir y redire, perd l'autorité sur son écrit. Son droit moral prend une teinte vaguement surannée...
Les scénaristes ne peuvent l'ignorer, qui voient désormais les producteurs et directeurs d'écriture inscrire leur nom conjointement avec celui de l'auteur. Il n'est pas étonnant que ces derniers désirent une part des droits d'auteur et de la gloire liés à cette œuvre qu'il commanditent, supervisent, corrigent, ajustent, et dont ils subiront, solidairement avec les auteurs réels, les éventuelles conséquences juridiques.

Veillez avec vigilance, vigiles de l'esprit, car tout atteint à notre liberté d'auteur. Nos misères au fond de nos chambres de bonnes sans fenêtres entravent sa réalisation ; nos richesses dans nos villas autour du parc Montsouris étouffent l'énergie qui la nourrissait. L'absence de normes nous laissait sans défense ; les droits et les devoirs liés à la professionnalisation quadrillent notre liberté. Tout se ligue pour asservir l'esprit humain et affadir ou empêcher sa libre expression.

Souvenons-nous aussi que cette liberté de créateur que nous croyons pouvoir étreindre, ne fut jamais qu'un rêve. La censure morale, le pouvoir du mécène (privé ou public), le goût du public, le privilège d'exercice (aucun musicien extérieur à la famille Bach n'avait le droit d'être payé pour sa musique dans toute la ville) se sont toujours dressés entre l'auteur et l’œuvre qu'il rêvait d'accomplir. Entre le crève-la-faim et le bouffon du roi, l'auteur qui veut vivre de son clavier danse sur une corde au-dessus du vide.

Édith de Cornulier-Lucinière

 

vendredi, 13 septembre 2013

Les romans vénéneux

roman feuilleton

Alceste Chapuys-Montlaville s'exprima sur les romans-feuilletons, à la Chambre des députés, le 13 juin 1843. Son discours moraliste ne manque pas d'honnêteté intellectuelle, notamment vis-à-vis de l'opposition politique.

Ce discours contre le roman populaire dégradant, ne fut pas isolé à cette époque et l'on peut lire La querelle du roman-feuilleton, de Lise Dumasy, ou encore l'article de la dormeuse blogue sur Frédéric Soulié, l'auteur à succès qu'on accusa d'avoir poussé ses lectrices au crime... par ses romans vénéneux.

 

"(...)

Nous ne le dissimulons pas, les âmes françaises tendent à s'amollir ; il est triste de le dire, mais, depuis quelque temps, on quitte les choses sérieuses pour les choses légères. Les œuvres d'une imagination sans règle et sans mesure, sont accueillies avec une ferveur marquée ; aussi l'avidité mercantile s'est-elle empressée de chercher par tous les moyens à les faire pénétrer dans les masses, afin de gagner de l'argent. La spéculation, messieurs, vous le savez, s'inquiète peu de la valeur morale des marchandises qu'elle vend, pourvu qu'elle ait un grand débit et qu'elle fasse bien ses affaires, peu lui importe si elle altère ou fortifie la santé publique. La spéculation est de par sa nature aveugle, insensible, elle vend de l'opium aux Chinois et des romans à la France.

Que voyons-nous, en effet, depuis quelque temps ? Une littérature nouvelle s'est emparée des esprits, on ne produit plus des ouvrages sérieux, honnêtes et utiles, on ne fait usage du talent qui vous a été donné par la Providence que pour composer des romans en feuilletons, dans lesquels abondent les tableaux les plus vifs, les expressions les plus passionnées, les situations les plus immorales, les principes les plus pervers.

Il semble qu'on se plaît à augmenter par de déplorables entraînements les dispositions de notre peuple à se laisser séduire et emporter par les élans de l'imagination, principal, brillant, mais dangereux attribut (quand il n'est pas réglé par le jugement) de notre nature française.

On en est arrivé à un point extrême où on ne respecte rien, ni la grammaire ni le bon goût littéraire, ni les mœurs ni la religion : même les secrets des ménages ont été répandus sur la place, non pas avec des noms supposés, mais avec des noms retournés, de sorte qu'il ne s'agissait que de rétablir les lettres dans leur ordre naturel, pour connaître les dates, les familles et les personnages.

On se moque agréablement et il faut le reconnaître, souvent avec une certaine grâce d'intelligence et une certaine fleur de langage, de tout ce qu'il y a de plus sacré et de plus religieux parmi les hommes et, chose inouïe, ce ne sont pas des jeunes gens et des littérateurs de pacotille qui se rendent coupables de ces faits, ce sont des hommes éminents par l'intelligence, déjà vieux d'âge et de renommée et qui n'ont pas à donner pour excuse leur inexpérience ou les difficultés de leur position.

Les effets de cette diffusion des mauvais romans et des pernicieuses doctrines se font sentir dans toutes les classes de la société. Il n'est pas une ville, pas un village, pas un salon, pas une taverne, où ils ne pénètrent et ne fassent de grands ravages dans les âmes.

Au lieu de vivre tout simplement suivant la vieille mode du genre humain sur le sol, au milieu des joies et des labeurs alternatifs de la vie réelle, on vit dans le monde idéal, on se berce d'illusions, on se repaît de chimères, chacun, après avoir bu à cette coupe parfumée, remplie des liqueurs les plus enivrantes, perd le sentiment et le goût de la réalité ; les effets de ce redoutable opium se révèlent bientôt. Alors on reçoit en songe les plus brillantes et les plus inconcevables fortunes, les fleurs, les femmes, les applaudissements, les richesses de toutes sortes pleuvent sur la tête du patient, qui prend en pitié sa situation réelle, qui se met à mépriser l'habit, l'outil, le cabinet, l'étude, la maison de son père, et n'aspire plus qu'à quitter son modeste patrimoine, pour aller se précipiter dans les hasards et dans les flammes des grandes villes, où il rencontre, pour achever sa perte, des fêtes que je ne qualifierai pas et des théâtres dont la licence est proverbiale.

Certes, ce n'est pas à l'opposition que le pays peut attribuer un pareil désordre, car non seulement elle gémit des causes qui le produisent, mais elle donne elle-même l'exemple de la retenue. L'organe le plus avancé de la cause démocratique, le National, et je le dis à son grand honneur, a toujours refusé d'admettre dans ses colonnes les romans de l'espèce dont je parle.

Quelle est au contraire la feuille qui a publié le roman le plus détestable, où les doctrines les plus saintes, les plus nécessaires à la société étaient foulées au pied, avec un cynisme révoltant ; c'est le journal officiel du gouvernement, c'est le Messager.

(…)"

roman feuilleton

 

samedi, 07 septembre 2013

Rue du Hasard

destin.JPG

« Je n'ai jamais réussi à définir le féminisme.
Tout ce que je sais, c'est que les gens me traitent de féministe à chaque fois que mon comportement ne permet plus de me confondre avec une prostituée ou un paillasson. »

Rebecca West (1892-1983)


Elle doit vraiment s'appeler la rue du Hasard, puisqu'à sept heures du soir j'y ai reconnu ton visage, sur lequel le temps avait laissé la trace de son passage.

Et ta voix peu à peu redevenait semblable à celle qui choisissait ses lunettes de soleil et ses bottines dans la rue de l'Annonciation.

Passy, années 2000 : tu marchais au bras d'un jeune homme si élégant que vous aviez l'air d'un petit couple de marquis des temps modernes. Les autres filles disaient "comme elle a de la chance !" et les garçons savaient que jamais ils n'auraient une fille comme toi, Héloïse.

Mais nous égrenions les prénoms du temps passé et je te répondais : oui, je le revois, il vit ici, oui, j'ai des nouvelles, elle fait cela. Et toi ? Toi, aux noms que je mentionnais, tu disais que tu ne sais plus rien d'eux.

Ce si beau jeune homme, que tu avais laissé un matin, seul dans son joli appartement du XVI°arrondissement où il révisait ses plaidoiries de la semaine à venir, je n'ai pas osé te le dire en apercevant la lueur inquiète valser dans ton regard : il s'est marié cet été, avec une autre belle, tout aussi belle que tu l'étais. Et dans le ventre d'Astrid un fœtus lentement se forme.

Mais je regardais dans cette rue du hasard tes mains crispées et tu me disais que non, tu ne retournais plus à Passy, chez tes parents.

Derrière toi, un homme tatoué faisait cling cling quand il bougeait, avec ses bagues, ses anneaux, ses colliers. Il portait dans ses bras sans amour un bébé endormi.

- Nous vivons rue Le Rouge et le Noir, là-bas. Et tu montrais une direction, vers le douzième et le vingtième arrondissement.

Nous nous quittâmes sans échanger de numéro. Tu marchais derrière lui, et en vous regardant disparaître au fond de la rue du Hasard dissipé, je me souvenais de tes bottines, de tes lunettes et de ton bras dans celui dont le nom t'a fait trembler.

Comment s'appelle ton destin ?

 

 

(Et si la musique de Schnittke qui accompagne ce billet vous a plu, c'est peut-être que vous ressemblez à Héloïse ou à J-F de Passy, ou à moi. Peut-être...)

 

lundi, 02 septembre 2013

La rentrée d'Anatole

 anatole france, la rentrée, l'automne, autumn wounds, soror dolorosa

Ce texte que tant d'entre nous récitâmes sur une estrade vieillotte et poussiéreuse, sous les yeux d'une institutrice acariâtre qui méprisait les bandes dessinées... Dehors, la rue, les cafés, le square et les chiens qui passent avec les vieilles dames. Loin, trop loin de la mer.

Ce texte que tant d'entre nous ne récitâmes pas sous le tableau de métal et de plastic, face au jeune prof en jean, mal rasé, qui faisait des fautes de syntaxe. Dehors, les barres, le périphérique, les kebabs, l'espace vert et les pitbulls attachés ensanglantés avec les jeunes garçons. Loin, si loin de la mer.

En France, à quelques années de distance, à quelques kilomètres de distance, quand nous étions enfants.

Je vais vous dire ce que me rappellent tous les ans, le ciel agité de l’automne, les premiers dîners à la lampe et les feuilles qui jaunissent dans les arbres qui frissonnent ; je vais vous dire ce que je vois quand je traverse le Luxembourg dans les premiers jours d’octobre, alors qu’il est un peu triste et plus beau que jamais ; car c’est le temps où les feuilles tombent une à une sur les blanches épaules des statues.
Ce que je vois alors dans ce jardin, c’est un petit bonhomme qui, les mains dans les poches et sa gibecière au dos, s’en va au collège en sautillant comme un moineau.
Ma pensée seule le voit ; car ce petit bonhomme est une ombre ; c’est l’ombre du moi que j’étais il y a vingt-cinq ans ; Vraiment, il m’intéresse, ce petit : quand il existait, je ne me souciais guère de lui ; mais, maintenant qu’il n’est plus, je l’aime bien.

Il y a vingt-cinq ans, à pareille époque, il traversait, avant huit heures, ce beau jardin pour aller en classe. Il avait le cœur un peu serré : c’était la rentrée.
Pourtant, il trottait, ses livres sur son dos, et sa toupie dans sa poche. L’idée de revoir ses camarades lui remettait de la joie au cœur. Il avait tant de choses à dire et à entendre !

C’est ainsi qu’il traversait le Luxembourg dans l’air frais du matin. Tout ce qu’il voyait alors, je le vois aujourd’hui.
C’est le même ciel et la même terre ; les choses ont leur âme d’autrefois, leur âme qui m’égaye et m’attriste, et me trouble ; lui seul n’est plus.

C’est pourquoi, à mesure que je vieillis, je m’intéresse de plus en plus à la rentrée des classes.

Anatole France

 

vendredi, 30 août 2013

Metal Girl

metal girl, valentine morning

AlmaSoror se résout à publier la lettre de Val Morning à L.T., presque dix ans après...

"Vous, vous jugez selon la chair ; moi je ne juge personne".

Nous ne jugeons rien. Qu'elles reposent en paix.

metal girl, valentine morning

Metal Girl (Val Morning)

To L.T


Metal girl,

Where are gone

The blue insistences

That

At childhood times

Tore

The vault of heaven

And flew over

The crystal Acropol

Where we were exiled ?

 

(Is childhood still your refuge

When Europe is blue ?)

 

Only us

Could see them,

For we had touched

Elsewhere's dreams

With our little satin-fingers.

Alas !

Bird-City

Ran away,

And I look for

The alchemy of chromosoms

That lets

The way to the other side of the world

Open.

 

Is Childhood still your refuge

When Europe is blue ?

 

Galaxies let us down ;

They pursue their spherical cycles,

With the lack of concern

Of the adolescents

Who will never wake up old.

I know that you know

That youth is inscribed in us

Like the past lives are

In the stones

Of faraway

Immaculate

Mountains.

 

Is childhood still your refuge

When Europe is blue ?

 

But we must bear this moving mask

Earthy life imposes,

And which will turn and crumble

In Dust,

In alluvium.

We were exclusively built

For the beauty of elusive things ;

We've been imposed

The glaring uglyness

Of garish reality.

 

Opium and smoke,

Alcohols and words

Are sweet shores...

 

But me,

I still wait for

The return

Of the big flying vessel.

 

Metal girl

I have become a motels girl

While you married

And settled.

Do you remember

The dangerous games and crazyness ?

My body grew up

And opium

Came

Instead of candies and stories.

But nothing has changed.

Nothing...

 

Is childhood still your refuge

When Europe is blue ?

 

Val Morning (R.I.P.)

metal girl, valentine morning, edith de cornulier lucinière

mercredi, 21 août 2013

José Vengeance Dos Guerreros

 David et le Lieutenant Sehaler.jpg

 José Vengeance Dos Guerreros est un demi-pseudonyme. Derrière ce nom se cache un homme ; dedans cet homme se brise un cœur ; dedans ce cœur git une mémoire. C'est de cette mémoire que jaillissent les textes qu'AlmaSoror est heureuse de recevoir en présents.

 

Voici les contributions de José à AlmaSoror :

 

La démesure des interstices

Blogalisation du monde

La marche des villageois

Leurs visages, leurs nuques

L'amour en trois volets

Requiem pour la liberté

lundi, 19 août 2013

MODUS OPERANDI

Alexander Perls, Storm, aube, cuisine, cinémaEdith by Marin D

Storm, d'Alexander Perls

 Marin, mon cœur...

Entre quatre heures trente du matin et jusqu'à ce que la ville se lève, tu vis.

Musique : tu réécoutes celle sur laquelle tu avais fait la bêtise de ta vie à quinze ans, puis tu composes, debout immobile devant ta console, sans casque.

Écriture : tu splashes des trucs sur la page openoffice de ton ordinateur.

Cinéma : ta caméra filme l'aube naissante par la fenêtre et ce soir tu regarderas ce vide, ce bleu et peut-être, un instant, un oiseau ou une silhouette humaine qui traverse le champ.

Amour : tu envoies à tes web-correspondant(e)s des déclarations et des mots de rupture, des photographies ratées qui prennent sens à tes yeux, qui devront leur parler d'un homme qu'ils et elles n'ont jamais vu.

Cuisine : tu bois et tu manges, tant que tu peux, car quand le jour sera là tu n'auras plus assez de temps ni de dynamisme.

Argent : tu vérifies ce qu'il y a sur ton compte et tu suis tes ventes sur le site où tu diffuses tes vieilles affaires et tes vieux objets.

Entre quatre heures trente du matin et jusqu'à ce que la ville se lève, tu vis. Après, tu dors.

Alexander Perls, Storm, aube, cuisine, cinéma

On peut lire l'étrange entrevue du site belge la Médiathèque avec Noël Akchoté, qui a inspiré à Marin Dupontd ce mode de vie. C'est après l'avoir lue que Marin a modifié l'heure de son lever. Il savait qu'il ne pouvait vivre que deux heures par jour, aux heures où les autres dorment.

 

mardi, 13 août 2013

Militants radicaux des deux extrémités du centre

 1974.LaGrostie_re.Tovaritch.jpg

AlmaSoror avait déjà présenté quelques Affiches des deux bouts de la politique, fasciné(e) par la percutance des graphismes au service de mouvements radicalement militants. Le graphisme de la rébellion, en quelque sorte, la puissance visuelle du côté gauche comme du côté droit des dits "extrêmes".

1974.Israel.Marche_1.jpg

Voici maintenant deux textes, émanant de deux groupes.

L'un, le "groupe de Tarnac", comme les médias l'ont appelé, anarchistes d'extrême-gauche inspirés du situationnisme. Accusés par un gouvernement de droite d'avoir décroché des caténaires de la SNCF et ralenti le trafic de nombreux trains durant de longues heures, ses membres ont été arrêtés par les meilleurs services de police français, gardés à vue le temps imparti aux dangereux terroristes, incarcérés pour certains. Nous présentons l'entrevue que Julien Coupat a donné aux journalistes du Monde, alors qu'il était en détention. (Les prisonniers ont été libérés et le dossier semble abandonné).

L'autre groupe, Génération identitaire, s'est illustré par deux actions pacifiques, ressemblant aux actions des Sans-papiers ou des Femen : ils sont montés sur la mosquée de Poitiers en protestation contre l'islamisation de la France et l'immigration de masse ; ils sont montés sur le toit du quartier général du parti socialiste aujourd'hui au gouvernement. Les membres ont été poursuivis par la justice et sévèrement punis par comparaison avec d'autres d'actions du même type, commises au service d'autres causes. Ce groupe "Génération identitaire" vient de publier, sur son site, un texte intitulé "Déclaration de guerre".

Nous reproduisons ces deux textes, l'entrevue avec Julien Coupat et la Déclaration de Génération identitaire, avec l'idée que, d'une part, bien souvent, on n'écoute ces gens que par le biais des médias, qui nous expliquent en même temps ce qu'il faut en penser ; d'autre part, on les oppose de façon catégorique puisqu'ils sont issus des extrêmes opposés, les uns internationalistes de gauche, les autres identitaires, alors que bien des aspects les rassemblent, notamment : une certaine clarté du langage, une absence de peur vis-à-vis de l'opprobre sociale, un conflit ouvert contre tous les pouvoirs et contre-pouvoirs en place, et la certitude tranquille qu'en dépit de leur petit nombre, ils finiront par gagner le pays à leur cause. Et, peut-être, cette petite chose à laquelle le Cyrano de Bergerac d'Edmond Rostand ne voulait pour rien au monde renoncer :

- Oui, vous m'arrachez tout, le laurier et la rose !
Arrachez ! Il y a malgré vous quelque chose
Que j'emporte, et ce soir, quand j'entrerai chez Dieu,
Mon salut balaiera largement le seuil bleu,
Quelque chose que sans un pli, sans une tache,
J'emporte malgré vous,
Et c'est...
- C'est ?...
- Mon panache.

Israël, Palestine, Tarnac, groupe de Tarnac, Julien Coupat, Génération identitaire, Le monde, Caroline Monnot, affiches politiques, immigration, gauche, droite, militants extrémistes, SOS Racisme, chômage, dette sociale, cyrano de BErgerac, Edmond Rostand, racisme anti-blanc, SNCF, Isabelle Mandraud, Mazarin, neuroleptiques, affaire coupat, michel foucault, surveiller et punir, l'insurrection qui vient, mosquée de poitiers, solférino, antiterrorisme, DST, attentats, prix nobel de la paix, clairoix, cités

 Le Monde : (25 mai 2009)

"Voici les réponses aux questions que nous avons posées par écrit à Julien Coupat. Mis en examen le 15 novembre 2008 pour "terrorisme" avec huit autres personnes interpellées à Tarnac (Corrèze) et Paris, il est soupçonné d'avoir saboté des caténaires SNCF. Il est le dernier à être toujours incarcéré. (Il a demandé que certains mots soient en italique.)"

Comment vivez-vous votre détention ?

Très bien merci. Tractions, course à pied, lecture.

Pouvez-nous nous rappeler les circonstances de votre arrestation ?

Une bande de jeunes cagoulés et armés jusqu'aux dents s'est introduite chez nous par effraction. Ils nous ont menacés, menottés, et emmenés non sans avoir préalablement tout fracassé. Ils nous ont enlevés à bord de puissants bolides roulant à plus de 170 km/h en moyenne sur les autoroutes. Dans leurs conversations, revenait souvent un certain M. Marion [ancien patron de la police antiterroriste] dont les exploits virils les amusaient beaucoup comme celui consistant à gifler dans la bonne humeur un de ses collègues au beau milieu d'un pot de départ. Ils nous ont séquestrés pendant quatre jours dans une de leurs "prisons du peuple" en nous assommant de questions où l'absurde le disputait à l'obscène.

Celui qui semblait être le cerveau de l'opération s'excusait vaguement de tout ce cirque expliquant que c'était de la faute des "services", là-haut, où s'agitaient toutes sortes de gens qui nous en voulaient beaucoup. A ce jour, mes ravisseurs courent toujours. Certains faits divers récents attesteraient même qu'ils continuent de sévir en toute impunité.

Les sabotages sur les caténaires SNCF en France ont été revendiqués en Allemagne. Qu'en dites-vous?

Au moment de notre arrestation, la police française est déjà en possession du communiqué qui revendique, outre les sabotages qu'elle voudrait nous attribuer, d'autres attaques survenues simultanément en Allemagne. Ce tract présente de nombreux inconvénients : il est posté depuis Hanovre, rédigé en allemand et envoyé à des journaux d'outre-Rhin exclusivement, mais surtout il ne cadre pas avec la fable médiatique sur notre compte, celle du petit noyau de fanatiques portant l'attaque au cœur de l'Etat en accrochant trois bouts de fer sur des caténaires. On aura, dès lors, bien soin de ne pas trop mentionner ce communiqué, ni dans la procédure, ni dans le mensonge public.

Il est vrai que le sabotage des lignes de train y perd beaucoup de son aura de mystère : il s'agissait simplement de protester contre le transport vers l'Allemagne par voie ferroviaire de déchets nucléaires ultraradioactifs et de dénoncer au passage la grande arnaque de "la crise". Le communiqué se conclut par un très SNCF "nous remercions les voyageurs des trains concernés de leur compréhension". Quel tact, tout de même, chez ces "terroristes"!

Vous reconnaissez-vous dans les qualifications de "mouvance anarcho-autonome" et d'"ultragauche"?

Laissez-moi reprendre d'un peu haut. Nous vivons actuellement, en France, la fin d'une période de gel historique dont l'acte fondateur fut l'accord passé entre gaullistes et staliniens en 1945 pour désarmer le peuple sous prétexte d'"éviter une guerre civile". Les termes de ce pacte pourraient se formuler ainsi pour faire vite : tandis que la droite renonçait à ses accents ouvertement fascistes, la gauche abandonnait entre soi toute perspective sérieuse de révolution. L'avantage dont joue et jouit, depuis quatre ans, la clique sarkozyste, est d'avoir pris l'initiative, unilatéralement, de rompre ce pacte en renouant "sans complexe" avec les classiques de la réaction pure – sur les fous, la religion, l'Occident, l'Afrique, le travail, l'histoire de France, ou l'identité nationale.

Face à ce pouvoir en guerre qui ose penser stratégiquement et partager le monde en amis, ennemis et quantités négligeables, la gauche reste tétanisée. Elle est trop lâche, trop compromise, et pour tout dire, trop discréditée pour opposer la moindre résistance à un pouvoir qu'elle n'ose pas, elle, traiter en ennemi et qui lui ravit un à un les plus malins d'entre ses éléments. Quant à l'extrême gauche à-la-Besancenot, quels que soient ses scores électoraux, et même sortie de l'état groupusculaire où elle végète depuis toujours, elle n'a pas de perspective plus désirable à offrir que la grisaille soviétique à peine retouchée sur Photoshop. Son destin est de décevoir.

Dans la sphère de la représentation politique, le pouvoir en place n'a donc rien à craindre, de personne. Et ce ne sont certainement pas les bureaucraties syndicales, plus vendues que jamais, qui vont l'importuner, elles qui depuis deux ans dansent avec le gouvernement un ballet si obscène. Dans ces conditions, la seule force qui soit à même de faire pièce au gang sarkozyste, son seul ennemi réel dans ce pays, c'est la rue, la rue et ses vieux penchants révolutionnaires. Elle seule, en fait, dans les émeutes qui ont suivi le second tour du rituel plébiscitaire de mai 2007, a su se hisser un instant à la hauteur de la situation. Elle seule, aux Antilles ou dans les récentes occupations d'entreprises ou de facs, a su faire entendre une autre parole.

Cette analyse sommaire du théâtre des opérations a dû s'imposer assez tôt puisque les renseignements généraux faisaient paraître dès juin 2007, sous la plume de journalistes aux ordres (et notamment dans Le Monde) les premiers articles dévoilant le terrible péril que feraient peser sur toute vie sociale les "anarcho-autonomes". On leur prêtait, pour commencer, l'organisation des émeutes spontanées, qui ont, dans tant de villes, salué le "triomphe électoral" du nouveau président.

Avec cette fable des "anarcho-autonomes", on a dessiné le profil de la menace auquel la ministre de l'intérieur s'est docilement employée, d'arrestations ciblées en rafles médiatiques, à donner un peu de chair et quelques visages. Quand on ne parvient plus à contenir ce qui déborde, on peut encore lui assigner une case et l'y incarcérer. Or celle de "casseur" où se croisent désormais pêle-mêle les ouvriers de Clairoix, les gamins de cités, les étudiants bloqueurs et les manifestants des contre-sommets, certes toujours efficace dans la gestion courante de la pacification sociale, permet de criminaliser des actes, non des existences. Et il est bien dans l'intention du nouveau pouvoir de s'attaquer à l'ennemi, en tant que tel, sans attendre qu'il s'exprime. Telle est la vocation des nouvelles catégories de la répression.

Il importe peu, finalement, qu'il ne se trouve personne en France pour se reconnaître "anarcho-autonome" ni que l'ultra-gauche soit un courant politique qui eut son heure de gloire dans les années 1920 et qui n'a, par la suite, jamais produit autre chose que d'inoffensifs volumes de marxologie. Au reste, la récente fortune du terme "ultragauche" qui a permis à certains journalistes pressés de cataloguer sans coup férir les émeutiers grecs de décembre dernier doit beaucoup au fait que nul ne sache ce que fut l'ultragauche, ni même qu'elle ait jamais existé.

A ce point, et en prévision des débordements qui ne peuvent que se systématiser face aux provocations d'une oligarchie mondiale et française aux abois, l'utilité policière de ces catégories ne devrait bientôt plus souffrir de débats. On ne saurait prédire, cependant, lequel d'"anarcho-autonome" ou d'"ultragauche" emportera finalement les faveurs du Spectacle, afin de reléguer dans l'inexplicable une révolte que tout justifie.

La police vous considère comme le chef d'un groupe sur le point de basculer dans le terrorisme. Qu'en pensez-vous?

Une si pathétique allégation ne peut être le fait que d'un régime sur le point de basculer dans le néant.

Que signifie pour vous le mot terrorisme?

Rien ne permet d'expliquer que le département du renseignement et de la sécurité algérien suspecté d'avoir orchestré, au su de la DST, la vague d'attentats de 1995 ne soit pas classé parmi les organisations terroristes internationales. Rien ne permet d'expliquer non plus la soudaine transmutation du "terroriste" en héros à la Libération, en partenaire fréquentable pour les accords d'Evian, en policier irakien ou en "taliban modéré" de nos jours, au gré des derniers revirements de la doctrine stratégique américaine.

Rien, sinon la souveraineté. Est souverain, en ce monde, qui désigne le terroriste. Qui refuse d'avoir part à cette souveraineté se gardera bien de répondre à votre question. Qui en convoitera quelques miettes s'exécutera avec promptitude. Qui n'étouffe pas de mauvaise foi trouvera un peu instructif le cas de ces deux ex – "terroristes" devenus l'un premier ministre d'Israël, l'autre président de l'Autorité palestinienne, et ayant tous deux reçus, pour comble, le Prix Nobel de la paix.

Le flou qui entoure la qualification de "terrorisme", l'impossibilité manifeste de le définir ne tiennent pas à quelque provisoire lacune de la législation française : ils sont au principe de cette chose que l'on peut, elle, très bien définir : l'antiterrorisme dont ils forment plutôt la condition de fonctionnement. L'antiterrorisme est une technique de gouvernement qui plonge ses racines dans le vieil art de la contre-insurrection, de la guerre dite "psychologique", pour rester poli.

L'antiterrorisme, contrairement à ce que voudrait insinuer le terme, n'est pas un moyen de lutter contre le terrorisme, c'est la méthode par quoi l'on produit, positivement, l'ennemi politique en tant que terroriste. Il s'agit, par tout un luxe de provocations, d'infiltrations, de surveillance, d'intimidation et de propagande, par toute une science de la manipulation médiatique, de l'"action psychologique", de la fabrication de preuves et de crimes, par la fusion aussi du policier et du judiciaire, d'anéantir la "menace subversive" en associant, au sein de la population, l'ennemi intérieur, l'ennemi politique à l'affect de la terreur.

L'essentiel, dans la guerre moderne, est cette "bataille des cœurs et des esprits" où tous les coups sont permis. Le procédé élémentaire, ici, est invariable : individuer l'ennemi afin de le couper du peuple et de la raison commune, l'exposer sous les atours du monstre, le diffamer, l'humilier publiquement, inciter les plus vils à l'accabler de leurs crachats, les encourager à la haine. "La loi doit être utilisée comme simplement une autre arme dans l'arsenal du gouvernement et dans ce cas ne représente rien de plus qu'une couverture de propagande pour se débarrasser de membres indésirables du public. Pour la meilleure efficacité, il conviendra que les activités des services judiciaires soient liées à l'effort de guerre de la façon la plus discrète possible", conseillait déjà, en 1971, le brigadier Frank Kitson [ancien général de l'armée britannique, théoricien de la guerre contre-insurrectionelle], qui en savait quelque chose.

Une fois n'est pas coutume, dans notre cas, l'antiterrorisme a fait un four. On n'est pas prêt, en France, à se laisser terroriser par nous. La prolongation de ma détention pour une durée "raisonnable" est une petite vengeance bien compréhensible au vu des moyens mobilisés, et de la profondeur de l'échec; comme est compréhensible l'acharnement un peu mesquin des "services", depuis le 11 novembre, à nous prêter par voie de presse les méfaits les plus fantasques, ou à filocher le moindre de nos camarades. Combien cette logique de représailles a d'emprise sur l'institution policière, et sur le petit cœur des juges, voilà ce qu'auront eu le mérite de révéler, ces derniers temps, les arrestations cadencées des "proches de Julien Coupat".

Il faut dire que certains jouent, dans cette affaire, un pan entier de leur lamentable carrière, comme Alain Bauer [criminologue], d'autres le lancement de leurs nouveaux services, comme le pauvre M. Squarcini [directeur central du renseignement intérieur], d'autres encore la crédibilité qu'ils n'ont jamais eue et qu'ils n'auront jamais, comme Michèle Alliot-Marie.

Vous êtes issu d'un milieu très aisé qui aurait pu vous orienter dans une autre direction...

"Il y a de la plèbe dans toutes les classes" (Hegel).

Pourquoi Tarnac?

Allez-y, vous comprendrez. Si vous ne comprenez pas, nul ne pourra vous l'expliquer, je le crains.

Vous définissez-vous comme un intellectuel? Un philosophe ?

La philosophie naît comme deuil bavard de la sagesse originaire. Platon entend déjà la parole d'Héraclite comme échappée d'un monde révolu. A l'heure de l'intellectualité diffuse, on ne voit pas ce qui pourrait spécifier "l'intellectuel", sinon l'étendue du fossé qui sépare, chez lui, la faculté de penser de l'aptitude à vivre. Tristes titres, en vérité, que cela. Mais, pour qui, au juste, faudrait-il se définir?

Etes-vous l'auteur du livre L'insurrection qui vient ?

C'est l'aspect le plus formidable de cette procédure : un livre versé intégralement au dossier d'instruction, des interrogatoires où l'on essaie de vous faire dire que vous vivez comme il est écrit dans L'insurrection qui vient, que vous manifestez comme le préconise L'insurrection qui vient, que vous sabotez des lignes de train pour commémorer le coup d'Etat bolchevique d'octobre 1917, puisqu'il est mentionné dans L'insurrection qui vient, un éditeur convoqué par les services antiterroristes.

De mémoire française, il ne s'était pas vu depuis bien longtemps que le pouvoir prenne peur à cause d'un livre. On avait plutôt coutume de considérer que, tant que les gauchistes étaient occupés à écrire, au moins ils ne faisaient pas la révolution. Les temps changent, assurément. Le sérieux historique revient.

Ce qui fonde l'accusation de terrorisme, nous concernant, c'est le soupçon de la coïncidence d'une pensée et d'une vie; ce qui fait l'association de malfaiteurs, c'est le soupçon que cette coïncidence ne serait pas laissée à l'héroïsme individuel, mais serait l'objet d'une attention commune. Négativement, cela signifie que l'on ne suspecte aucun de ceux qui signent de leur nom tant de farouches critiques du système en place de mettre en pratique la moindre de leurs fermes résolutions; l'injure est de taille. Malheureusement, je ne suis pas l'auteur de L'insurrection qui vient – et toute cette affaire devrait plutôt achever de nous convaincre du caractère essentiellement policier de la fonction auteur.

J'en suis, en revanche, un lecteur. Le relisant, pas plus tard que la semaine dernière, j'ai mieux compris la hargne hystérique que l'on met, en haut lieu, à en pourchasser les auteurs présumés. Le scandale de ce livre, c'est que tout ce qui y figure est rigoureusement, catastrophiquement vrai, et ne cesse de s'avérer chaque jour un peu plus. Car ce qui s'avère, sous les dehors d'une "crise économique", d'un "effondrement de la confiance", d'un "rejet massif des classes dirigeantes", c'est bien la fin d'une civilisation, l'implosion d'un paradigme : celui du gouvernement, qui réglait tout en Occident – le rapport des êtres à eux-mêmes non moins que l'ordre politique, la religion ou l'organisation des entreprises. Il y a, à tous les échelons du présent, une gigantesque perte de maîtrise à quoi aucun maraboutage policier n'offrira de remède.

Ce n'est pas en nous transperçant de peines de prison, de surveillance tatillonne, de contrôles judiciaires, et d'interdictions de communiquer au motif que nous serions les auteurs de ce constat lucide, que l'on fera s'évanouir ce qui est constaté. Le propre des vérités est d'échapper, à peine énoncées, à ceux qui les formulent. Gouvernants, il ne vous aura servi de rien de nous assigner en justice, tout au contraire.

Vous lisez "Surveiller et punir" de Michel Foucault. Cette analyse vous paraît-elle encore pertinente?

La prison est bien le sale petit secret de la société française, la clé, et non la marge des rapports sociaux les plus présentables. Ce qui se concentre ici en un tout compact, ce n'est pas un tas de barbares ensauvagés comme on se plaît à le faire croire, mais bien l'ensemble des disciplines qui trament, au-dehors, l'existence dite "normale". Surveillants, cantine, parties de foot dans la cour, emploi du temps, divisions, camaraderie, baston, laideur des architectures : il faut avoir séjourné en prison pour prendre la pleine mesure de ce que l'école, l'innocente école de la République, contient, par exemple, de carcéral.

Envisagée sous cet angle imprenable, ce n'est pas la prison qui serait un repaire pour les ratés de la société, mais la société présente qui fait l'effet d'une prison ratée. La même organisation de la séparation, la même administration de la misère par le shit, la télé, le sport, et le porno règne partout ailleurs avec certes moins de méthode. Pour finir, ces hauts murs ne dérobent aux regards que cette vérité d'une banalité explosive : ce sont des vies et des âmes en tout point semblables qui se traînent de part et d'autre des barbelés et à cause d'eux.

Si l'on traque avec tant d'avidité les témoignages "de l'intérieur" qui exposeraient enfin les secrets que la prison recèle, c'est pour mieux occulter le secret qu'elle est : celui de votre servitude, à vous qui êtes réputés libres tandis que sa menace pèse invisiblement sur chacun de vos gestes.

Toute l'indignation vertueuse qui entoure la noirceur des geôles françaises et leurs suicides à répétition, toute la grossière contre-propagande de l'administration pénitentiaire qui met en scène pour les caméras des matons dévoués au bien-être du détenu et des directeurs de tôle soucieux du "sens de la peine", bref : tout ce débat sur l'horreur de l'incarcération et la nécessaire humanisation de la détention est vieux comme la prison. Il fait même partie de son efficace, permettant de combiner la terreur qu'elle doit inspirer avec son hypocrite statut de châtiment "civilisé". Le petit système d'espionnage, d'humiliation et de ravage que l'Etat français dispose plus fanatiquement qu'aucun autre en Europe autour du détenu n'est même pas scandaleux. L'Etat le paie chaque jour au centuple dans ses banlieues, et ce n'est de toute évidence qu'un début : la vengeance est l'hygiène de la plèbe.

Mais la plus remarquable imposture du système judiciaro-pénitentiaire consiste certainement à prétendre qu'il serait là pour punir les criminels quand il ne fait que gérer les illégalismes. N'importe quel patron – et pas seulement celui de Total –, n'importe quel président de conseil général – et pas seulement celui des Hauts-de-Seine–, n'importe quel flic sait ce qu'il faut d'illégalismes pour exercer correctement son métier. Le chaos des lois est tel, de nos jours, que l'on fait bien de ne pas trop chercher à les faire respecter et les stups, eux aussi, font bien de seulement réguler le trafic, et non de le réprimer, ce qui serait socialement et politiquement suicidaire.

Le partage ne passe donc pas, comme le voudrait la fiction judiciaire, entre le légal et l'illégal, entre les innocents et les criminels, mais entre les criminels que l'on juge opportun de poursuivre et ceux qu'on laisse en paix comme le requiert la police générale de la société. La race des innocents est éteinte depuis longtemps, et la peine n'est pas à ce à quoi vous condamne la justice : la peine, c'est la justice elle-même, il n'est donc pas question pour mes camarades et moi de "clamer notre innocence", ainsi que la presse s'est rituellement laissée aller à l'écrire, mais de mettre en déroute l'hasardeuse offensive politique que constitue toute cette infecte procédure. Voilà quelques-unes des conclusions auxquelles l'esprit est porté à relire Surveiller et punir depuis la Santé. On ne saurait trop suggérer, au vu de ce que les Foucaliens font, depuis vingt ans, des travaux de Foucault, de les expédier en pension, quelque temps, par ici.

Comment analysez-vous ce qui vous arrive?

Détrompez-vous : ce qui nous arrive, à mes camarades et à moi, vous arrive aussi bien. C'est d'ailleurs, ici, la première mystification du pouvoir : neuf personnes seraient poursuivies dans le cadre d'une procédure judiciaire "d'association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste", et devraient se sentir particulièrement concernées par cette grave accusation. Mais il n'y a pas d'"affaire de Tarnac" pas plus que d'"affaire Coupat", ou d'"affaire Hazan" [éditeur de L'insurrection qui vient]. Ce qu'il y a, c'est une oligarchie vacillante sous tous rapports, et qui devient féroce comme tout pouvoir devient féroce lorsqu'il se sent réellement menacé. Le Prince n'a plus d'autre soutien que la peur qu'il inspire quand sa vue n'excite plus dans le peuple que la haine et le mépris.

Ce qu'il y a, c'est, devant nous, une bifurcation, à la fois historique et métaphysique: soit nous passons d'un paradigme de gouvernement à un paradigme de l'habiter au prix d'une révolte cruelle mais bouleversante, soit nous laissons s'instaurer, à l'échelle planétaire, ce désastre climatisé où coexistent, sous la férule d'une gestion "décomplexée", une élite impériale de citoyens et des masses plébéiennes tenues en marge de tout. Il y a donc, bel et bien, une guerre, une guerre entre les bénéficiaires de la catastrophe et ceux qui se font de la vie une idée moins squelettique. Il ne s'est jamais vu qu'une classe dominante se suicide de bon cœur.

La révolte a des conditions, elle n'a pas de cause. Combien faut-il de ministères de l'Identité nationale, de licenciements à la mode Continental, de rafles de sans-papiers ou d'opposants politiques, de gamins bousillés par la police dans les banlieues, ou de ministres menaçant de priver de diplôme ceux qui osent encore occuper leur fac, pour décider qu'un tel régime, même installé par un plébiscite aux apparences démocratiques, n'a aucun titre à exister et mérite seulement d'être mis à bas ? C'est une affaire de sensibilité.

La servitude est l'intolérable qui peut être infiniment tolérée. Parce que c'est une affaire de sensibilité et que cette sensibilité-là est immédiatement politique (non en ce qu'elle se demande "pour qui vais-je voter ?", mais "mon existence est-elle compatible avec cela ?"), c'est pour le pouvoir une question d'anesthésie à quoi il répond par l'administration de doses sans cesse plus massives de divertissement, de peur et de bêtise. Et là où l'anesthésie n'opère plus, cet ordre qui a réuni contre lui toutes les raisons de se révolter tente de nous en dissuader par une petite terreur ajustée.

Nous ne sommes, mes camarades et moi, qu'une variable de cet ajustement-là. On nous suspecte comme tant d'autres, comme tant de "jeunes", comme tant de "bandes", de nous désolidariser d'un monde qui s'effondre. Sur ce seul point, on ne ment pas. Heureusement, le ramassis d'escrocs, d'imposteurs, d'industriels, de financiers et de filles, toute cette cour de Mazarin sous neuroleptiques, de Louis Napoléon en version Disney, de Fouché du dimanche qui pour l'heure tient le pays, manque du plus élémentaire sens dialectique. Chaque pas qu'ils font vers le contrôle de tout les rapproche de leur perte. Chaque nouvelle "victoire" dont ils se flattent répand un peu plus vastement le désir de les voir à leur tour vaincus. Chaque manœuvre par quoi ils se figurent conforter leur pouvoir achève de le rendre haïssable. En d'autres termes : la situation est excellente. Ce n'est pas le moment de perdre courage.

Propos recueillis par Isabelle Mandraud et Caroline Monnot

Israël, Palestine, Tarnac, groupe de Tarnac, Julien Coupat, Génération identitaire, Le monde, Caroline Monnot, affiches politiques, immigration, gauche, droite, militants extrémistes, SOS Racisme, chômage, dette sociale, cyrano de BErgerac, Edmond Rostand, racisme anti-blanc, SNCF, Isabelle Mandraud, Mazarin, neuroleptiques, affaire coupat, michel foucault, surveiller et punir, l'insurrection qui vient, mosquée de poitiers, solférino, antiterrorisme, DST, attentats, prix nobel de la paix, clairoix, cités

Voici maintenant la "déclaration" du groupe Génération Identitaire :

Déclaration de guerre

(2013)

Nous sommes la GENERATION IDENTITAIRE.

 

« Nous sommes la génération de ceux qui meurent pour un regard de travers, une cigarette refusée ou un style qui dérange.

Nous sommes la génération de la fracture ethnique, de la faillite totale du vivre-ensemble, du métissage imposé.

Nous sommes la génération de la double-peine : condamnés à renflouer un système social trop généreux avec les autres pour continuer à l’être avec les nôtres.

Nous sommes la génération victime de celle de Mai 68. De celle qui prétendait vouloir nous émanciper du poids des traditions, du savoir, et de l’autorité à l’école mais qui s’est d’abord émancipée de ses propres responsabilités.

Nous avons fermé vos livres d’histoire pour retrouver notre mémoire.
Nous avons cessé de croire que Kader pouvait être notre frère, la planète notre village et l’humanité notre famille. Nous avons découvert que nous avions des racines, des ancêtres, et donc un avenir.

Notre seul héritage c’est notre terre, notre sang, notre identité. Nous sommes les héritiers de notre destin.
Nous avons éteint la télévision pour descendre à nouveau dans la rue. Nous avons peint nos slogans sur les murs, scandé « la Jeunesse au pouvoir » dans nos mégaphones, brandi bien haut nos drapeaux frappés du lambda. Ce lambda qui ornait le bouclier des glorieux Spartiates est notre symbole. Vous ne comprenez pas ce qu’il représente ? Il signifie que nous ne reculerons pas, que nous ne renoncerons pas. Lassés de toutes vos lâchetés, nous ne refuserons aucune bataille, aucun défi.

Vous êtes les Trente Glorieuses, les retraites par répartition, SOS Racisme, la « diversité », le regroupement familial, la liberté sexuelle et les sacs de riz de Bernard Kouchner. Nous sommes 25% de chômage, la dette sociale, l’explosion de la société multiculturelle, le racisme anti-blanc, les familles éclatées, et un jeune soldat français qui meurt en Afghanistan.
Vous ne nous aurez pas avec un regard condescendant, des emplois-jeunes et une tape sur l’épaule : pour nous, la vie est un combat.
Nous n’avons pas besoin de votre politique de la jeunesse. La jeunesse est notre politique.

Ne vous méprenez pas : ce texte n’est pas un simple manifeste, c’est une déclaration de guerre.

Nous sommes demain, vous êtes hier. Nous sommes la Génération Identitaire ».

Nous sommes la génération de ceux qui meurent pour un regard de travers, une cigarette refusée ou un style qui dérange.

Nous sommes la génération de la fracture ethnique, de la faillite totale du vivre-ensemble, du métissage imposé.

Nous sommes la génération de la double-peine : condamnés à renflouer un système social trop généreux avec les autres pour continuer à l’être avec les nôtres.

Nous sommes la génération victime de celle de Mai 68. De celle qui prétendait vouloir nous émanciper du poids des traditions, du savoir, et de l’autorité à l’école mais qui s’est d’abord émancipée de ses propres responsabilités.

Nous avons fermé vos livres d’histoire pour retrouver notre mémoire.
Nous avons cessé de croire que Kader pouvait être notre frère, la planète notre village et l’humanité notre famille. Nous avons découvert que nous avions des racines, des ancêtres, et donc un avenir.

- See more at: http://www.generation-identitaire.com/declaration-de-guerre/#sthash.lPDdQwzK.dpuf

Nous sommes la GÉNÉRATION IDENTITAIRE

Nous sommes la génération de ceux qui meurent pour un regard de travers, une cigarette refusée ou un style qui dérange.

Nous sommes la génération de la fracture ethnique, de la faillite totale du vivre-ensemble, du métissage imposé.

Nous sommes la génération de la double-peine : condamnés à renflouer un système social trop généreux avec les autres pour continuer à l’être avec les nôtres.

Nous sommes la génération victime de celle de Mai 68. De celle qui prétendait vouloir nous émanciper du poids des traditions, du savoir, et de l’autorité à l’école mais qui s’est d’abord émancipée de ses propres responsabilités.

Nous avons fermé vos livres d’histoire pour retrouver notre mémoire.
Nous avons cessé de croire que Kader pouvait être notre frère, la planète notre village et l’humanité notre famille. Nous avons découvert que nous avions des racines, des ancêtres, et donc un avenir.

- See more at: http://www.generation-identitaire.com/declaration-de-guerre/#sthash.lPDdQwzK.dpuf

Revoir, sur AlmaSoror, Beauté des affiches des deux bouts de la politique

Israël, Palestine, Tarnac, groupe de Tarnac, Julien Coupat, Génération identitaire, Le monde, Caroline Monnot, affiches politiques, immigration, gauche, droite, militants extrémistes, SOS Racisme, chômage, dette sociale, cyrano de BErgerac, Edmond Rostand, racisme anti-blanc, SNCF, Isabelle Mandraud, Mazarin, neuroleptiques, affaire coupat, michel foucault, surveiller et punir, l'insurrection qui vient, mosquée de poitiers, solférino, antiterrorisme, DST, attentats, prix nobel de la paix, clairoix, cités

samedi, 27 juillet 2013

Patmos

roselyne de féraudy, patmosPatmos - R de Féraudy

 

«Qu'est-ce que la photographie pour moi ? Que suppose-t-elle pour moi ?

Mes images vivent en moi, comme à mon insu. Aussi la naissance d'une image n'est-elle jamais fortuite, elle exige de l'énergie, une certaine détermination, un effort de mise en route.

La photographie est intervenue tard dans ma vie, je m'y suis consacrée, après avoir longtemps travaillé sur l'icône. J'ai découvert, un jour l'Île de Patmos, l'île des visions johanniques, et je ne l'ai plus quittée. La lumière y est si intense qu'elle anime toute surface et transforme toute chose.

Le sujet de l'image en soi a peu d'importance : murs, façades, portes, escaliers, deviennent une source inépuisable de variations abstraites que sculpte la lumière. Le ciel lui-même devient acteur d'un décor fait de masses dynamiques qui tournent, se superposent, s'entrecroisent, sans jamais se figer.

Ces photos m'ont conduite comme au-delà des apparences dans un voyage intérieur, vers une source invisible. Celles que j'aime le plus sont celles qui tendent toujours davantage vers l'abstraction, car elles expriment ainsi, le désir du silence qui m'habite.

Ruelles, murs et escaliers de Patmos en réalité, n'existent plus comme simples objets du visibles mais comme autre chose, cet autre chose que je poursuis et ne cesse de rechercher».

Roselyne de Féraudy - texte de présentation à l'une de ses expositions

Roselyne de Féraudy, Patmos, visions johanniques, photographie, lumière, abstraction

Sur AlmaSoror, à propos de la lumière, on peut lire un hommage à l'abbé Suger et Encore un peu d'Hopper ?


Ou encore :

Lumière du Sud, sang du monde

La matière du rêve


Et puis encore :

Lux et Nox

7

Où les ténèbres se font, là...

Le jour d'après

Ses galops de lumière à tous les étages du ciel

Les bras maritimes

L'ésotérisme


Et enfin :

Toute la poussière du monde

Hommage au Caravage

Hommage à Lucrèce

vendredi, 19 juillet 2013

Bâtir un royaume

bâtir un royaume, musée du Louvre, Sara

Bâtir un royaume qu'aucune bombe atomique ne pourra jamais défoncer. Elever des édifices qui illumineront les hommes et les paysages durant des millénaires. Avec deux mains, en pesant cinquante kilos et en ressemblant à quelqu'un qui passe, n'importe qui.

Le souffle créateur est là. Il fait bouger tes vêtements imperceptiblement, comme un vent venu d'en haut. De toutes tes fragilités, tu feras des outils de l'ouvrier. De toutes tes inspirations, tu feras la volonté du commanditaire. Et lorsque la mort t'emportera, elle n'obtiendra que la dépouille d'un corps hier encore animé. Mais chaque pas, chaque geste ordonné que ce corps fit sur terre, vivra pour toujours dans le monument immatériel qui dominera le monde.

mardi, 09 juillet 2013

Zo, de Mazas à Jérusalem en passant par la prison de Sainte-Pélagie

Sara, rue du Bouloi, Zo d'Axa, de Mazas à Jérusalem, révolution

Phot : Sara, 1974, rue du Bouloi. 29 années avant de publier Révolution.

Je me suis amusée à devoir lire Zo d'Axa, qui écrivit en français De Mazas à Jérusalem (1895), dans une traduction anglaise. En effet, ce monsieur a beau être tombé dans le domaine public (en espérant que la chute ne lui ait pas fait mal) et avoir été un anarchiste incorrigible, ses éditeurs français, les courageuses et flamboyantes éditions de Londres, ne manquent pas de faire payer l'édition numérique. Puis j'ai fini par trouver une bonne âme pirate qui a rendu disponible le pédéhaif, que voici mes amis.

J'ai de grandes raisons de défendre le droit d'auteur, et de ne pas cracher sur un bon travail éditorial, mais à l'époque de la mise en route du site ReLire, je trouve que les oeuvres tombées tout au fond du domaine public doivent quand même pouvoir être dévorées gratos, en ligne.

Formé au prestigieux lycée parigot Chaptal, anar ayant hésité entre le royalisme et l'anarchie, Zo d'Axa, né Alphonse Gallaud de La Pérouse, est lisible par ici.

Ici, je suis bien forcé de conclure : je ne suis pas anarchiste.
En cour d'assises, à l'instruction comme aux séances, j'ai dédaigné cette explication. Mes paroles de rage ou de pitié étaient qualifiées anarchistes - je n'épiloguais pas sous la menace.
À présent, il me plaira de préciser ma pensée première, ma volonté de toujours.
Elle ne doit pas sombrer dans les à-peu-près.
Pas plus groupé dans l'anarchie qu'embrigadé dans les socialismes. Être l'homme affranchi, l'isolé chercheur d'au-delà; mais non fasciné par un rêve. Avoir la fierté de s'affirmer, hors les écoles et les sectes:
En dehors.

Zo d'Axa, fondateur du journal l'En Dehors.

 

mardi, 02 juillet 2013

Qui a peur des hamacs ?

Édith on the hamac.jpg
Photo Tieri Briet (Fontvieille, près d'Arles)

 

Voici l'avant-propos du Droit à la paresse (1880), de Paul Lafargue,

suivi d'une extrait de l'Adresse aux vivants (1990), de Raoul Vaneigem.

 

 

«M. Thiers, dans le sein de la Commission sur l'instruction primaire de 1849, disait: "Je veux rendre toute-puissante l'influence du clergé, parce que je compte sur lui pour propager cette bonne philosophie qui apprend à l'homme qu'il est ici-bas pour souffrir et non cette autre philosophie qui dit au contraire à l'homme: "Jouis"." M. Thiers formulait la morale de la classe bourgeoise dont il incarna l'égoïsme féroce et l'intelligence étroite.

La bourgeoisie, alors qu'elle luttait contre la noblesse, soutenue par le clergé, arbora le libre examen et l'athéisme; mais, triomphante, elle changea de ton et d'allure; et, aujourd'hui, elle entend étayer de la religion sa suprématie économique et politique. Aux XVe et XVIe siècles, elle avait allègrement repris la tradition païenne et glorifiait la chair et ses passions, réprouvées par le christianisme ; de nos jours, gorgée de biens et de jouissances, elle renie les enseignements de ses penseurs, les Rabelais, les Diderot, et prêche l'abstinence aux salariés. La morale capitaliste, piteuse parodie de la morale chrétienne, frappe d'anathème la chair du travailleur; elle prend pour idéal de réduire le producteur au plus petit minimum de besoins, de supprimer ses joies et ses passions et de le condamner au rôle de machine délivrant du travail sans trêve ni merci.

Les socialistes révolutionnaires ont à recommencer le combat qu'ont combattu les philosophes et les pamphlétaires de la bourgeoisie; ils ont à monter à l'assaut de la morale et des théories sociales du capitalisme; ils ont à démolir, dans les têtes de la classe appelée à l'action, les préjugés semés par la classe régnante; ils ont à proclamer, à la face des cafards de toutes les morales, que la terre cessera d'être la vallée de larmes du travailleur; que, dans la société communiste de l'avenir que nous fonderons "pacifiquement si possible, sinon violemment", les passions des hommes auront la bride sur le cou: car "toutes sont bonnes de leur nature, nous n'avons rien à éviter que leur mauvais usage et leurs excès", et ils ne seront évités que par leur mutuel contre-balancement, que par le développement harmonique de l'organisme humain, car, dit le Dr Beddoe, "ce n'est que lorsqu'une race atteint son maximum de développement physique qu'elle atteint son plus haut point d'énergie et de vigueur morale". Telle était aussi l'opinion du grand naturaliste, Charles Darwin.

La réfutation du Droit au travail, que je réédite avec quelques notes additionnelles, parut dans "L'Égalité hebdomadaire" de 1880, deuxième série».

 

P. L.
Prison de Sainte-Pélagie, 1883.
In Le droit à la paresse

 

 

«En fait, je ne suis pas étranger au monde, mais tout m'est étranger d'un monde qui se vend au lieu de se donner - y compris le réflexe économique auquel mes gestes parfois se plient. C'est pourquoi j'ai parlé des hommes de l'économie avec le même sentiment de distance que Marx et Engels découvrent, dans la crasse et la misère londoniennes, une société d'extraterrestres avec «leur» Parlement, «leur» Westminster, «leur» Buckingam Palace, «leur» Newgate.

«Ils» me gênent aux entournures de mes plus humbles libertés avec leur argent, leur travail, leur autorité, leur devoir, leur culpabilité, leur intellectualité, leurs rôles, leurs fonctions, leur sens du pouvoir, leur loi des échanges, leur communauté grégaire où je suis et où je ne veux pas aller.

Par la grâce de leur propre devenir, «ils» s'en vont. Economisés à l'extrême par l'économie dont ils sont les esclaves, ils se condamnent à disparaître en entraînant dans leur mort programmée la fertilité de la terre, les espèces naturelles et la joie des passions. Je n'ai pas l'intention de les suivre sur le chemin d'une résignation où les font converger les dernières énergies de l'humain reconverti en rentabilité.

Pourtant, mon propos n'est pas de prétendre à l'épanouissement dans une société qui ne s'y prête guère, mais bien d'atteindre à la plénitude en la transformant selon les transformations radicales qui s'y dessinent. Je ne désavoue pas ce qu'il y a de puérile obstination à vouloir changer le monde parce qu'il ne me plaît pas et ne me plaira que si j'y puis vivre au gré de mes désirs. Cependant n'est-elle pas, cette obstination, la substance même de la volonté de vivre »

 

Raoul Vaneigem, In L'adresse aux vivants sur la mort qui les gouverne et l'opportunité de s'en défaire