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dimanche, 17 janvier 2010

notes et bulles bleues

 

 

sam.jpg

 

 

Extrait du mail de Siobhan d’hier matin (reproduit avec son autorisation) :

(Siobhan H est notre deltaplaniste et tient la rubrique aérienne "vol libre)

“Je t’aime”

C’est l’expression qui est revenue ce matin échouer sur les bords de ma conscience le long de ce long vol sans but autre que celui de n’être pas sur terre. Le vent rebelle me donnait l'impression de piétiner dans le ciel. Ma cage m'oppressait et je voulais la lâcher. "Je t'aime". Ce mot me retenait.

Mais à qui parlais-je ? C’est la question qui me hante, maintenant que je suis redescendue et que je marche dans cette ville trop nordique pour être jamais joyeuse.

J’ai appelé Mickaël et Michel, mes deux archanges d’Amiens. Ils étaient justement ensemble au fond d’une brasserie, attablés devant une spécialité picarde et des bières belges.

Ils ont ri, blagué, toujours aussi bêtes, toujours aussi bons.
Mickaël m’a dit : tu parlais de Katharina.

J’ai raccroché rapidement. Je me suis demandée si c’était vrai le plus objectivement possible. En clair, où que je scrute ma conscience, je hais Katharina. Je la respecte, je l’admire, je la trouve belle - mais je la hais.

(...)

Et quand j’y repense je pleure presque, je hante la ville si triste (comme toutes les villes du Nord) où je ne sais même pas pourquoi j’habite, et je t’en veux de nous avoir rassemblées un jour au 13 boulevard du Montparnasse, pour une soirée qu’il fallait faire semblant de trouver sympathique et qui était à vomir. D’ailleurs, j’avais vomi dans la rue en rentrant chez moi”.

 

Siobhan

 

 

Je rappelle que la relation entre Siobh et Katharina a déjà ébranlé AlmaSoror... ICI.

Un ami lecteur avait alors posté ce commentaire éclairant : "Lontemps après le temps des déchirures, restent les morsures de l'incendie intégral. Comme une biographie à rebours et marquée dans la chair". Merci, toi qui signas Habitant d'Insomniapolis et qui fit partie de notre éphémère Club d'alors...

 

dimanche, 03 janvier 2010

Jules Vallès : saisissant portrait par René Lalou

"Son état normal est l'insurrection".

J'ai trouvé le tome I de ce livre dans les affaires de mon grand-père. Publiée en 1946, L'histoire de la littérature française et contemporaine (1870 à nos jours) , de René Lalou, comporte d'assez beaux passages sur certains auteurs. 
En voici un, que je recopie à l'usage de ceux qui trouvent amusant de lire un critique du milieu du XXème siècle sur la littérature "contemporaine".
Un beau et intéressant portrait de Jules Vallès, l'auteur d'une symphonie révoltée en trois tomes, et le représentant de cette classe d'"hommes souterrains" décrits par tant d'auteurs du XIXème siècle. Trop cultivés pour leur milieu d'origine, pas assez bourgeois pour rejoindre les classes aisées qui dominent la société, ils errent et leur intelligence est leur plus grande gloire et leur plus grand fardeau.

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photo d'un ami de B par Sara

 

On courrait à un échec certain en appliquant à JULES VALLÈS les mesures ordinaires de la critique littéraire : et pourtant nul roman social n'a dépassé la poignante intensité de la trilogie de Jacques Vingtras. Trop autobiographique pour être rangé parmi les romanciers descriptifs, trop partial pour prendre rang entre les historiens, Vallès ressuscite son époque avec une puissance fougueuse qui ne se laisse point réduire à la verve du pamphlétaire. Là où il essaie d'être objectif, qu'il peigne les réfractaires, les irréguliers de Paris, les victimes du livre ou "l'horreur et la désolation" de la rue à Londres avec l'inhumaine hospitalité du workhouse, l'intérêt languit. Mais qui lit la symphonie révoltée que forment l'Enfant, le Bachelier et l'Insurgé ressent, devant cette confession, la même impression de liberté que devant une création de l'imagination : qu'importe que le romancier ait pris pour matière sa propre vie s'il a réussi volontairement ou non, sa transmutation en oeuvre d'art ?

 

D'un art moins révolutionnaire, peut-être, que Vallès n'aurait entendu nous le faire croire : "J'ai fait mon style de pièces et de morceaux, écrit-il, que l'on dirait ramassés à coups de crochets, dans des endroits malpropres et navrants." En littérature aussi il tenait à sa réputation d'insurgé, et affirmait qu'on lui pardonnerait plus facilement d'avoir été membre de la Commune que d'avoir renvoyé Homère aux Quinze-Vingts. On pourrait sourire de ses prétentions et s'amuser à relever les passages où il se jette dans l'argot pour échapper à ses souvenirs classiques si l'on ne comprenait que lui-même n'est pas dupe, qu'il cherche moins ici à se glorifier d'une originalité qu'à panser une des plus cruelles blessures de son orgueil. Car toute son oeuvre est dominée par deux haines. Il déteste la société, "la gueuse", qui "affame les instruits et les courageux quand ils ne veulent pas être ses laquais", qui foule aux pieds les droits de l'homme. Mais il maudit plus encore la fausse éducation qui ne respecte pas les droits de l'enfant, qui l'empêcha de devenir un honnête ouvrier pour le transformer en un bachelier impropre à tout et qui crève de faim. Son oeuvre est l'explosion de ses colères, une vengeance ; tout, même ses procédés d'écrivain, l'enrage, qui le détourne de son but essentiel : "Ils ont imaginé une bohème de lâches, je vais leur en montrer une de désespérés et de menaçants".

Dans les limites où il s'enfermait farouchement il a réussi : son tableau vit prodigieusement. Non qu'il décrive jamais : même lorsqu'il relate des journées historiques, le 2 Décembre ou la Commune, il peint moins par une confession hallucinée de sentiments exaltés. Son état normal est l'insurrection. De là, ses grands cris sauvages, tel ce commentaire du "les gueux sont des gens heureux" de l'inoffensif Béranger : "il ne faut pas dire cela aux gueux ! s'ils le croient, il ne se révolteront pas, ils prendront le bâton, la besace et non le fusil". De là, cette fiévreuse âpreté qui stigmatise les déchéanes de Vingtras dans sa lutte contre la misère. De là encore, certains paroxysmes d'inhumanité et "la belle cruauté" de son duel avec Legrand. De là enfin, l'allure épique du récit lorsque, par la conférence, par l'article, par le livre, par l'action directe, il charge de toute la puissance de sa haine, contre la société ennemie.

Mais cette colère même lui prête une étrange lucidité. Il triomphe dans la satire concrète : ses portraits, depuis les professeurs de collège jusqu'aux maîtres de la presse et aux chefs révolutionnaires, sont dessinés à l'emporte-pièce, avec un pittoresque relief ; un instinct lui montre aussitôt le détail ridicule sur lequel sa verve s'exercera. Ses souvenirs d'enfance, avec les inoubliables figures de la mère paysanne et du père que le professorat obscur a abêti, sont d'un Poil de Carotte moins stylisé, et infiniment plus complexe. Il a le don d'un humour sec qui procède par étalage de fleurs de rhétorique suivis de soudains rappels aux réalité de la vie, par coq-à-l'âne volontaire. Cette ironie, mécanique et grimaçante, qui n'est jamais une détente, il la retourne contre lui-même. Elle lui tient lieu d'esprit critique ; après avoir évoqué l'enthousiasme révolutionnaire, la foi en ce qu'un Georges Sorel nommerait "le mythe de 93", il s'interroge d'un brusque soubresaut : "Il m'arrive souvent de me demander aussi si je n'ai pas quitté une cuistrerie pour une autre, et si après les classiques de l'Université, il n'y a pas les classiques de la Révolution - avec des proviseurs rouges et un bachot jacobin !"

L'intime désespoir qui emplit les douze cents pages de Jacques Vingtras a sa source dans cette souffrance : malgré tout son amour et toute sa haine, Vallès n'appartient pas au peuple et son oeuvre, trop large ou trop étroite, ne deviendra jamais véritablement populaire ; il est passé par la pension Legnagna, a été une bête à concours, tout comme l'Étienne Mayran de Taine. Vallès est un révolté, un réfractaire, non point un ouvrier. Si cruellement qu'il ait blessé ses contemporains, il n'a pu assouvir sur eux sa rancune ; et ce sont ses orgueilleuses misères qu'il apportait à "la grande fédération des douleurs". 

René Lalou

mercredi, 30 décembre 2009

Deux lettres de dépit

 

Ainsi toujours aimante et déçue, ou trahie,
Mes plus doux sentiments se fanent tour à tour ;
Et l’amitié coûte à la vie
Autant de larmes que l’amour.

Marceline Desbordes-Valmore

 

Elles étaient dépitées. Elles l'écrivaient dans leurs lettres. Ce dépit épistolaire témoigne de l'ancienneté de la dépression nerveuse, qui porta des noms plus jolis que celui-ci.

 

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Madame de Sévigné à sa fille, le 16 mars 1672

Vous me demandez, ma chère enfant, si j’aime toujours bien la vie. Je vous avoue que j’y trouve des chagrins cuisans ; mais je suis encore plus dégoûtée de la mort ; je me trouve si malheureuse d’avoir à finir tout ceci par elle, que si je pouvois retourner en arrière, je ne demanderois pas mieux. Je me trouve dans un engagement qui m’embarrasse : je suis embarquée dans la vie sans mon consentement ; il faut que j’en sorte, cela m’assomme et comment en sortirai-je ? Par où ? Par quelle porte ? quand sera-ce ? en quelle disposition ? souffrirai-je mille et mille douleurs, qui me feront mourir désespérée ? aurai-je un transport au cerveau ? mourrai-je d’un accident ? comment serai-je avec Dieu ? qu’aurai-je à lui présenter ? la crainte, la nécessité feront-elles mon retour vers lui ? n’aurai-je aucun autre sentiment que celui de la peur ? que puis-je espérer ? suis-je digne du paradis ? suis-je digne de l’enfer ? quelle alternative ! quel embarras ! Rien n’est si fou que de mettre son salut dans l’incertitude ; mais rien n’est si naturel, et la sotte vie que je mène est la chose du monde la plus aisée à comprendre. Je m’abîme dans ces pensées et je trouve la mort si terrible que je hais plus la vie parce qu’elle m’y mène, que par les épines qui s’y rencontrent. Vous me direz que je veux vivre éternellement. Point du tout, mais si on m’avoit demandé mon avis, j’aurois bien aimé mourir entre les bras de ma nourrice : cela m’auroit ôté bien des ennuis et m’auroit donné le ciel bien sûrement et bien aisément.


Marquise du Deffand, lundi 20 octobre 1766
à monsieur Horace Walpole


J’admirais hier soir la nombreuse compagnie qui était chez moi ; hommes et femmes me paraissaient des machine à ressort, qui allaient, venaient, parlaient, riaient sans penser, sans réfléchir, sans sentir : chacun jouait son rôle par habitude : Madame la duchesse d’Aiguillon crevait de rire, Madame de Forcalquier dédaignait tout, Madame de La Vallière jabotait sur tout. Les hommes ne jouaient pas de meilleur rôle, et moi j’étais abîmée dans les réflexions les plus noires : je pensais que j’avas passé ma vie dans les illusions, que je m’étais creusé moi-même tous les abîmes dans lesquels j’étais tombée ; que mes jugemens avaient été faux et téméraires, et toujours trop précipités, et qu’enfin je n’avais parfaitement bien connu personne ; que je n’en avais pas été connue non plus, et que peut-être je ne me connaissais pas moi-même. On désire un appui, on se laisse charmer par l’espérance de l’avoir trouvé : c’est un songe que les circonstances dissipent et qui font l’effet du réveil. (…)

 

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Les deux photos (la dépitée à la cerise, la dépitée souriante) sont extraits de la série de Sara "La dépitée"

 

lundi, 28 décembre 2009

Pierre Loti par René Lalou

... diluer un instant dans le rêve sa propre angoisse.

 

Les chiens au bord de l'éta.jpg
peinture de Sara. Collection B. B.

 

 

J'ai trouvé le tome I de ce livre dans les affaires de mon grand-père. Publiée en 1946, L'histoire de la littérature française et contemporaine (1870 à nos jours) , de René Lalou, comporte d'assez beaux passages sur certains auteurs. 
En voici un, que je recopie à l'usage de ceux qui trouvent amusant de lire un critique du milieu du XXème siècle sur la littérature "contemporaine".


Pierre Loti et l'exotisme

"Rien ne m'est arrivé que je n'aie obscurément prévu dès mes premières années", écrit Pierre LOTI au début du Pélerin d'Angkor ; tout enfant, dans son petit musée de Saintonge, il avait prévu que, malgré la résistance de sa famille, il entrerait dans la marine et visiterait les plus beaux pays du monde , il avait aussi prévu que sa foi protestante ferait place peu à peu à une sorte de panthéisme vague dominé par la terreur de la mort ; s'il n'ajoute point qu'il avait prévu son oeuvre littéraire, cela tient uniquement à ce qu'elle n'est qu'un épisode, un effort de plus pour sauver sa vie du néant engloutisseur. 

C'est ce sentiment personnel qui inspire ses livres, - beaucoup plus que les circonstances qui déterminèrent leur composition ; il les enchaîne par un lien d'unité auprès duquel leurs différences superficielles ne comptent pas. On a beaucoup parlé de désenchantement à propos de Loti et on l'a comparé de ce fait à Chateaubriand , ressemblance dans l'attitude qui ne doit point aveugler sur leur différence fondamentale. Chateaubriand a orgueilleusement "bâillé sa vie" parce que son mérite n'y recevait point les consécrations auxquelles il jugeait avoir droit ; Loti a obtenu tous les succès qu'il convoitait ; la terre a comblé sa curiosité et sa sensualité. Il a connu la joie de découvrir des pays fermés, de les révéler aux hommes ; il a éprouvé la volupté plus raffinée de voir leur charme diminué par la civilisation, d'avoir été le dernier à jouir de leur vierge beauté. Rien ne lui aura manqué, pas même le prophétique plaisir de prophétiser la décadence finale : "Il viendra un temps où la terre sera bien ennuyeuse à habiter, quand on l'aura rendue pareille d'un bout à l'autre, et qu'on ne pourra même plus essayer de voyager pour se distraire un peu"...

Et cependant, toutes ces distractions offertes ne l'auront pu distraire, lui, de l'ennemi qu'il portait en sa conscience. La hantise du déroulement inexorable de la vie avec l'inévitable vieillesse et la mort au terme de tout, ce savoir amer qui a chez lui l'intensité d'une sensation physique, poursuit Loti jusque dans les ivresses de l'amour et la contemplation des plus somptueux paysages. "J'en suis venu, écrivait-il, avant la quarantième année, à chanter mon mal et à le crier aux passants quelconques, pour appeler à moi la sympathie des inconnus les plus lointains ; et appeler avec plus d'angoisse à mesure que je pressens davantage la finale poussière... Et qui sait ? en avançant dans la vie, j'en viendrai peut-être à écrire d'encore plus intimes choses qu'à présent on ne m'arracherait pas, - et cela pour essayer de prolonger, au delà de ma propre durée, tout ce que j'ai été, tout ce que j'ai pleuré, tout ce que j'ai aimé". Du Roman d'un enfant à Prime Jeunesse, à quels aveux Loti ne s'est-il pas péniblement résigné pour assurer dans la mémoire de ses lecteurs quelques années de vie, d'abord à ce qu'il tenait pour le meilleur de ses souvenirs, puis peu à peu, farouchement, à tout lui-même !

(Nous assistons à une semblable course contre la mort dans les Feuillets d'André GIDE, autre écrivain d'origine protestante et torturé, lui aussi, par "l'amour qui n'ose pas dire son nom".)


La critique n'abdique pas son jugement en lui donnant raison et en convenant qu'en effet il n'a jamais fait autre chose. Mais ce caractère d'épaves sauvées de l'universel naufrage s'applique surtout aux ouvrages proprement autobiographiques. Dans les romans l'art intervient : Loti tente, au moins, de sortir de lui-même. Sans doute ne faut-il point exagérer cette évasion ; les personnages qu'il choisit sont en général des simples : nulle finesse psychologique n'est requise pour la peinture de Ramuntcho ou de mon frère Yves ; l'éloignement enveloppe Rarahu et madame Chrysanthème dans un décor magnifique qui leur tient aisément lieu d'âme ; l'apparente complexité des Désenchantées est une culture occidentale qui s'ajoute à leur sensibilité passionnée sans la pénétrer profondément encore ; même dans Pêcheur d'Islande, le livre de Loti qui ressemble le plus aux romans du modèle conventionnel, les héros sont des types généraux abstraits, dirait-on, s'il n'y avait pas chez Loti une imagination visuelle absolument rebelle à toute abstraction. Car les fêtes du regard et les courtes haltes de passion sensuelle lui ont seules procuré les minutes exaltées où, anéanti dans la sensation présente, il oubliait la menace sur sa tête de l'autre, du définitif anéantissement. 

L'exotisme de Loti n'est donc pas un caprice d'artiste mais une nécessité pour l'homme qu'il fut, l'unique baume à son ennui et à sa peur. Or, par une conséquence assez naturelle, l'exotisme lui a valu aussi ses plus grands succès littéraires : incapable d'une construction intellectuelle personnelle, son regard embrasse d'un coup l'ensemble d'un paysage ; sa description, épousant avec une merveilleuse souplesse les contours de son objet, en présente une image si fidèle  qu'elle restitue aux yeux les plus fermés le spectacle entier avec l'harmonie interne qui lui donne sa raison d'être. Un exemple illustrera cette passivité recréatrice du Loti peintre : "Cependant la lune s'abaisse lentement, et sa lumière bleue se ternit ; maintenant elle est plus près des eaux et y dessine une grande lueur allongée qui traîne. Elle devient plus jaune, éclairant à peine, comme une lampe qui meurt. Lentement elle se met à grandir, à grandir, démesurée, et puis elle devient rouge, se déforme, s'enfonce, étrange, effrayante. On ne sait plus ce qu'on voit : à l'horizon, c'est un grand feu terne, sanglant. C'est trop grand pour être la lune". 

"La notion du réel est perdue", écrit-il un peu plus loin.
Il s'en épouvante et s'en réjouit à la fois. Non qu'il soit incapable de descriptions précises ; elles foisonnent dans Au Maroc ou dans Vers Ispahan. Non qu'il soit même incapable de la rigoureuse minutie indispensable à la croisade de virulente satire qu'il a entreprise dans L'Inde (sans les Anglais) et la Mort de Philoe. Mais son procédé favori, sa tendance la plus instinctive, consiste à s'abîmer dans le spectacle qu'il contemple jusqu'à en être débordé, à ne plus le peindre qu'empli de leurs deux émotions mêlées. Cette phrase : "Lentement elle se met à grandir, à grandir, démesurée, et puis elle devient rouge, se déforme, s'enfonce, étrange, effrayante", résume tout le style de Loti : répétition des mots, accumulation des verbes imagés, des adjectifs d'impression subjective, tout converge à créer une atmosphère de mystère inexplicable. Aussi excelle-t-il à évoquer le vague, à représenter une réalité par la négation d'une autre réalité : "C'était une lumière pâle, pâle, qui ne ressemblait à rien ; elle traînait sur les choses comme des reflets de soleil mort. Autour d'eux, tout de suite, commençait un vide immense, qui n'était d'aucune couleur, et en dehors des planches de leur navire, tout semblait diaphane, impalpable, chimérique". 

Là est le secret de son pouvoir d'imagination : il peint les choses dans un rêve éveillé où elles surgissent et s'évanouissent magiquement ; il décrit en ayant l'air de capituler devant la réalité ; dans l'incantation de cette prose, les termes les plus abstraits dépouillent leur valeur intellectuelle et n'agissent plus que par leur force affective : "Cette nuit-là, c'était l'immensité présentée sous ses aspects les plus étonnamment simples, en teintes neutres, donnant seulement des impressions de profondeur. Cet horizon, qui n'indiquait aucune région précise de la terre, ni même aucun âge géologique, avait dû être tant de fois pareil depuis l'origine des siècles, qu'en regardant il semblait vraiment qu'on ne vît rien, - rien que l'éternité des choses qui sont et qui ne peuvent se dispenser d'être."
"Être" et "sembler", ces verbes élémentaires reviennent perpétuellement dans les livres de Loti : symboliquement, car, faibles pour précisément décrire, nuls autres n'égalent leur aptitude infinie à suggérer. Or, suggérer est bien le but unique d'un artiste qui, exaspéré par l'omniprésence du danger mortel, ose à peine affirmer sa suprême espérance : "La souveraine Pitié, j'incline de plus en plus à y croire et à lui tendre les bras, parce que j'ai trop souffert, sous tous les ciels, au milieu des enchantements ou de l'horreur, trop vu souffrir, trop vu pleurer, et trop vu prier". Et cette obstinée évocation de tant de ciels, de tant d'enchantements ou d'horreurs n'aura été pour Loti, en définitive, qu'une manière d'opium à endormir la souffrance humaine et diluer un instant dans le rêve sa propre angoisse.

jeudi, 10 décembre 2009

figures célestes

 

Nous créâmes la rubrique deltaplane puisque après Laurent Moonens et ses mathématiques pétillantes et réflexives, après Sara et ses mélanges de littératures, après Axel Randers et ses maladives saines révoltes, après tant d’autres qu’on retrouve dans ce dédale flou de pages virtuelles, Siobhan H accepta de nous rejoindre et de cracher des mots sur la seule activité qui remplit son coeur de joie : le vol libre en deltaplane.

 

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photo de Sara

 

 

Je veux vous dire aujourd’hui qu’il n’y a aucune différence entre le vol en deltaplane et la chorégraphie. Nous sommes les créateurs de danses fabuleuses, nous sommes les créateurs de peintures mouvantes du corps dans l’espace. Nos solos chorégraphiques s’imaginent en marchant sur les routes et se réalisent dans le ciel, aux bras de notre deltaplane avec lequel nous faisons corps. 

La danse en solo est libératrice d’une énergie intangible. On ne sait qu’elle existe avant de l’avoir expérimentée ; on l’oublie presque après. La danse est une énergie qui n’existe qu’à partir du moment où on l’actionne, en esquissant un premier pas. On peut continuer les pas, les gestes, même artificiellement, jusqu’à ce qu’une possession ait lieu dans le corps, ou plutôt une passassion de pouvoir : la tête renonce et cède ses droits aux inspirations du corps. 

Je ne danse jamais sur terre : je ne danse qu’en deltaplane, loin des regards. J’improvise des chorégraphies auxquelles je donne des titres. Certaines n’ont lieu qu’une fois et tombent dans l’oubli. Comme les chansons qu’inventent les enfants et qu’ils oublient dès qu’ils cessent de chanter. Un air et des mots nés pour un moment, et morts quand ce moment s’en est allé. D’autres chorégraphies se construirent dans la longueur. Il me faut plusieurs vols pour comprendre ce que je veux dire en mouvements et dessiner ainsi un solo structuré, que j’accomplis jusqu’à ce qu’il soit parfait. J’atteins une telle précision que je regrette que personne n’assiste à ces ébats célestes, j’imagine un moyen de transcrire ces vols chorégraphiques - ou danses volées, danses célestes, comment les appeler ? - afin que des deltaplanistes puissent les reprendre et les accomplir à leur tour, chacun selon un style personnel.

L’écriture céleste est à ses débuts. Peut-être arriverons nous à un art, à des ballets diurnes ou nocturnes, où des gradins surélevés et meublés de longues vues  accueilleraient un public vaste et respectueux, comme à l’opéra, amoureux des figures tracées dans le ciel par ses héros volants. 

Il me semble que le deltaplane n’est pas encore né : il est entrain d’être conçu, et se révèlera au monde comme un art divin, un jour du XXI ou du XXIIème siècle.


Siobhan Hollow

 

mardi, 08 décembre 2009

Dans la chambre à côté...

 

Into the next room... A husband of own’s own ?

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Photo Sara

 

1 Une chambre à soi

En 1929, dans son essai Une chambre à soi, Virginia Woolf notait qu’on ne peut écrire - être écrivain - si l’on ne possède pas une chambre à soi, que l’on peut fermer à clef, dans laquelle on peut s’isoler... 
Certes. Mais elle, qui écrivait, n’avait pas seulement une chambre à soi. Elle avait, comme elle le dit encore, de l’argent qui lui permettait de ne pas travailler - ou de travailler très peu. 
Comme Virginia Woolf l’expliquait très bien, la possibilité d’écrire était accordée de fait et de droit à tous les hommes d’une certaine classe sociale... Elle rappelle qu’elle parle des hommes et des femmes de la grande bourgeoisie. Elle sait, et elle dit, que les hommes des autres classes n’ont pas accès à ce qu’elle demande pour les femmes de sa classe. Non qu’elle soit " castiste " ; tout simplement, son sujet est le féminisme, c’est lui qu’elle traite. 
Aujourd’hui que la classe cultivée à laquelle elle s’adressait représente une plus grande partie de la population que celle d’alors, et que les femmes de cette classe ont, pour la plupart, une chambre à soi et un salaire, il est bon de revenir sur les idées novatrices de Virginia Woolf. 
De faire le point. 
Si, selon Virginia Woolf, peu de femmes écrivaient au XIXème siècle, c’est parce qu’elles n’en avaient pas les moyens matériels. L’argent, l’espace et le temps leur manquaient. Ainsi, elle refusait l’existence d’une différence d’essence entre les hommes et les femmes, qui rendrait les premiers plus aptes à la création artistique et intellectuelle. Elle montrait que pour écrire, une femme avait tout simplement besoin " d’avoir cinq cents livres de rente et une chambre dont la porte est pourvue d’une serrure ".

2 Une femme à soi

Mais j’ajouterais quelque chose. Cinq cents livres de rentes, une chambre pourvue d’une serrure, et aussi ...la reconnaissance par au moins une autre personne que sa propre parole a de la valeur... 
Non, un appartement ne suffit pas. L’argent même est secondaire. 
Fritz Lang, le cinéaste, doit à sa première femme les scénarios de ses beaux films ; Einstein, le physicien, doit à sa première femme les calculs qui lui permirent d’élaborer et de démontrer sa théorie ; Norstein, l’animateur, doit à sa femme ses personnages et ses maquettes. 
Une étude de l’anthropologue François de Singly,
Fortune et infortune de la femme mariée, a d’ailleurs montré que la réussite des hommes dépend beaucoup de leurs femmes. Au sein des couples hétérosexuels, la répartition des rôles donne à la femme celui de soutien de l’homme, de sa carrière, de son œuvre. Il soutient même que les hommes dont les femmes ne travaillent pas ont plus de facilité à " réussir " que leurs confrères dont les compagnes travaillent. L’alliance de deux personnes actives, engagées professionnellement dans la société, ne serait donc pas plus rentable que la solitude de l’homme chef de famille... Donc, résolument, les services d’un conjoint anonyme, d’une femme, furent essentiels à beaucoup de réussites.

3 Un mari à soi

Mais justement Virginia Woolf, l’écrivain, bénéficiait de ce soutien. 
Virginia Woolf avait aussi un mari. Un mari qui criait au chef d’œuvre quand elle lui livrait les premières épreuves de
La Promenade au Phare. Un mari bien en vue et qui la publiait. Un mari qui agréait sa parole, sa pensée, lui offrait l’écoute et la confiance nécessaire pour qu’elle s’exprime. Leonard Woolf remplit ce rôle au point que certains, tel l’auteur d’un livre sur le groupe de Bloomsbury, ont dit qu’elle n’aurait pu écrire une ligne sans lui. 
Cet accueil admiratif, c’est ce qui manque à la plupart des femmes, qui demeurent muettes aujourd’hui, bien qu’elles aient une chambre à soi. 
Voilà ce qui leur manque encore : la confiance en soi, la conscience de sa valeur, un droit reconnu à l’expression, en quelque sorte être " agréée " à penser, à parler, à déployer une autorité.

4 Un public à soi

Pourtant, ce rôle de soutien au sein du couple, qui rend celui-ci si essentiel dans notre société, reflète l’absence de formes différentes de solidarités, de fraternité, d’échange. Nous devrions mettre en œuvre et en valeur d’autres formes d’aide et de soutien, plus libres et souples, et qui ne soient plus liées à la vie familiale et amoureuse. Car il y a peu de réussites sans groupe de soutien. L’auteur, pour oser son autorité, doit bénéficier d’une considération, qui le porte à croire qu’il a le droit à son audience. Il faut une confiance immense. Et pour que cette confiance vous réchauffe dans les moments les plus pénibles de la création, d’autres doivent la placer en vous - c’est une première nécessité. La seconde nécessité est qu’elle soit inconditionnelle.

5 Une voix à soi

- Il n’y a pas que les femmes qui ne peuvent s’exprimer par leur art. 
- Aujourd’hui, les femmes accèdent à des professions et des postes qui leur étaient fermés du temps de l’œuvre de Virginia Woolf ; et l’on ne peut plus dire que les hommes d’une certaine "classe" possèdent de fait et de droit la prise de parole publique : ils doivent, comme les autres, montrer leur légitimité. Celle-ci s’obtient non plus par le sexe ou la naissance, mais par le diplôme. 
- A l’heure où des procédés de discrimination positive (en faveur des femmes notamment) sont mis en oeuvre, il serait intéressant de renoncer à considérer telle ou telle catégorie momentanément lésée de la population pour s’interroger plus vastement : quels sont les besoins de la " personne" pour que chacun parvienne à déployer pleinement sa parole dans la société. 
- Virginia Woolf réclamait l’entrée des femmes dans les lieux élitistes - professions intellectuelles, savantes, universitaires ; nous réclamons la suppression de l’élitisme et de ses lieux gardés. 
- Pourquoi ? Parce que chacun devrait pouvoir être accueilli comme un penseur et un locuteur de première classe. C’est à cette condition que l’on peut se targuer d’offrir à tous les mêmes droits et la même valeur.

Edith de Cornulier-Lucinière,
21 avril 2006

 

lundi, 07 décembre 2009

Children’s litterature is (part of) litterature

 

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photo Sara

 



Par E. Morning

Yesterday...

Yesterday, as I was roving aimless through the shelves of the town’s library, I lost myself for an hour in the children’s books corner.
When I found myself again, I discovered that the last hour that had passed had been a time of profound quality, intellectually, humanly, spiritually.
Then I realized that I was the only adult reader among a gathering of children.
When I went out of the library, the town was already bathed in night ; it appeared to me that I had spent many years too far from childhood, from its culture, and I suddenly regretted that no one offered me an illustrated album since I was ten years old.

Voices fromever

Walking across the dark streets, I remembered a university fellow, who told us about the importance of tales in his native village. Old folks always sit on the main square of the village, telling tales. The children stay around, and day after day, they hear these same old stories inherited from far ancestors. Time flows. With the events of adolescence, the tales take a new signification. Time flows. And for each essential event - bereavement, wedding, birth of a child - the stories come back to memory, revealing their hidden meanings, helping to make a decision or interpret a fact. You never finish to understand a story, said our friend ; they shape lifes : in solitude, in joy, the tales come back, inexhaustibles. I know that when my life is over, one of these old stories will come, one last time, and help me embrace the light of death.
Thus, a childish tale can get along with a human’s life, and wrap it with its age-old wiseness and vision. Aren’t our tales, from time immemorial, reaching every heart, the essence of litterature ? Don’t they remind us that litterature is a tree, that children’s litterature, adults’ litterature, are branches of this same tree, and cannot be completely separated ?

Voices forever

It is always intense to read aloud for a voice reading is a book in movement.
By reading aloud to children, you open for them the door of the world of books.
In this way you share with your children or pupils a moment that every culture, everywhere, in everytime, knows, so it gives them the key to their past, present and future...
The things we can share around the pages of a book are richer, deeper and stronger than the ones a television screen offers. Books are both the door to intimate solitude and to universal communion...

The library and the garden

Of course let’s let modernity inhabit us, since we inhabit it. Let’s initiate the children to the modern techniques. But in this era of computers, we still are bodies, with eyes, and hands, and skin, and the greatest human interactions we can have include this animal level... That is the reason why the physical presence of books is vital, for the children. Their smell, their touch become part of their physical universe before to be part of their mental habits.
Like Nature, a world where books live is a world of infinite promises and marvels.
And living in a house that possess shelves filled with books is like living in a house with a garden. It grants a limitless life, an infinite universe kept in a close space. It is the invisible door to freedom.
Enter the garder and you will do a thousand jouneys. Just with a clump of plants.
Enter the library and you will do a thousand journeys. Just with a bunch of phrases.
The library, like the garden, is alive, and brings out the ability to dream...

The forbidden books

This doesn’t abolish the distinction between adult and children litterature. The two worlds exist. But, in litterature as in life, they must be open to one another. If not, adults go drifting off and children can’t find enough earth to grow.
Even the presence of the forbidden books isn’t negative. They make dreams for the future blossom : “when I am a big I read these ones”...
The forbidden books, like the too difficult books, are an invitation, a world half open, half close. Their presence gives a burning desire to open the door of understanding. Here is the vow that the children who live in a world soaked with books make to themselves : growing, in order to understand.

Tomorrow...

Read books to the children, and let them read you books. Culture is a river and we all bathe in it, though some differences of education and age may seem to divide us. Let’s not let books separate children from their future, separate adults from their childhoods. Litterature creates bridges, not walls.
Big, you don’t need to have children to read children’s books. It will remind you the importance of pirates, insects, huts and love for the dogs. It will wash you from the dirt of adulthood.
Child, you don’t need to understand every word to read adults’books. For the call that a paragraph, stolen at the corner of a page, creates in your heart - this is tomorrow’s litterature. The one that you will search for, summon, or write.

édith Morning
30 mai 2006

 

samedi, 28 novembre 2009

John Peshran-Boor

 

 

 

mercredi, 04 novembre 2009

Vol libre & planantes guitares fjordiennes

 13, le jardin.jpgphot Sara

 

 

Ces derniers temps, je ne m’envole plus sans Terje Rypdal et Heinrich Shütz. Les musiciens rendent les vols très différents. Avec les sept paroles du Christ en Croix, de Shütz, enregistré par l’ensemble Clément Janequin, je plane d’une façon si nouvelle que j’oublie tout quand je redescends. 

Les autres vols, ceux qu’accompagnent Odyssée, de Terje Rypdal, sont des vols entièrement planés, d’une planance plus traditionnelle. Les montagnes et le ciel se mélangent et chantent ensemble les vents lointains de Norvège, là où j’irai un jour, en deltaplane, sans m’arrêter, un jour où le vent sera fou et les humains qui surveillent occupés à autre chose. 

Bien sûr, mes idéaux chorégraphiques évoluent avec ces deux disques. Odyssée me fait accomplir de lents enchaînement très déployés dans l’espace, avec des tiraillement fébriles aux encoignures des virages. Les sept paroles du Christ en Croix sont plus monumentales et mes figures aussi, plus classiques et très épiques.
 

Je ne redescends jamais tant que le disque n’a pas fini d’écouler toute sa musique. Je ne parle à personne de ces vols à haute intensité musicale : inutile, les moments forts sont toujours indescriptibles. Je m’interroge sur la sensation : doit-elle prendre toute la place dans ma vie ?
 


Siobhan Hollow

 

jeudi, 29 octobre 2009

Deltaplane

 

scala 22 mer.jpg

 

 

Je t'aime deltaplane. J'aime ton coeur et tes ailes et ta façon de m'emmener dans le ciel, comme j'en rêvais encore enfant. 
J'aime cette idée que c'est toi qui m'emmènera pour le dernier voyage, quand je serai fatiguée. J'aime l'idée que les routes que tu empruntes sont vides, vides de tout sauf d'air. J'aime le fait que tu n'empruntes pas de routes : tu les créees et ton sillage meurt dans l'instant.

Et dans deltaplane il y a delta et il y a plane. La lettre de la liberté et le repos des oiseaux, des méditants et des drogués. 

Petite, je rêvais des chevaux sauvages de la Camargue. Et puis j'ai compris qu'il n'y a plus de chevaux sauvages, là-bas. Alors j'ai changé de rêve.
Avant je rêvais que les grands garçons m'emmeneraient sur leurs motos avec leurs casques pour déchirer la ville. Ils ne sont pas venus.
Ensuite j'ai rêvé que les grands filles de l'autre ville m'emmèneraient sur leur planche à voile et que nous traverserions les océans. Elles sont parties sans moi.

Personne ne venait pour m'emmener et les années passaient. Alors j'ai rencontré le deltaplane. 

Ne t'impatiente pas, Deltaplane, je sais que tu m'attends.

Nous serons comme vous, grands oiseaux. Amoureux du vol libre, loin des avions et des voitures.

Siobhan Hollow

vendredi, 23 octobre 2009

Lancement de la rubrique Vol Libre : hymnes au deltaplane


Nous créons la rubrique deltaplane puisque après Laurent Moonens et ses mathématiques pétillantes et réflexives, après Sara et ses mélanges de littératures, après Axel Randers et ses maladives saines révoltes, après tant d’autres qu’on retrouve dans ce dédale flou de pages virtuelles, Siobhan H accepte de nous rejoindre et de cracher des mots sur la seule activité qui remplit son coeur de joie : le vol libre en deltaplane. 

Bastia 1.jpg



Oui, d’accord, je vais envoyer des posts sur le deltaplane pour le blog AlmaSoror. Vous pourrez mettre mon nom, pas ma photo. Oui, je t’emmenerai un jour en vrai, mais pour l’instant je t’emmène en littérature, à travers mes vols si libres que j’en oublie mon nom, mon sexe et mon vrai métier.

Oui j’aime cette idée de littérature du ciel. Il y a eu bien sûr Saint Exupéry et son vol de nuit, Saint-Exupéry et son Courrier Sud, Saint-Exupéry et son petit prince (mais là, c’était un littérature de la panne, pas du vol), et il y a eu un peu Kessel qui racontait l’histoire de Jean Mermoz qu’on a lus toutes les deux. Mais maintenant dans AlmaSoror il y aura de la littérature deltaplanique, deltaplanesque, deltaplanante. Surtout deltaplanante. Et je voudrais aussi qu’on fasse de la musique deltaplanante, comme certains font de la musique surf. Et tout cela doit rester libre et aléatoire, comme les vols du samedi après-midi, par tous les temps et par toutes les saisons. 
 

Tu en auras au moins un tout les quinze jours, un post, et je te l’enverrai par mail comme celui-là, si tu dis oui.

Je ne parlerai pas tout de suite de l’Irlande, mais ça reviendra, parce que ça revient toujours en plein vol, en pleine figure. 
 

Tu auras bien sûr à lire des choses dont on a déjà parlé, avec des noms qu’on connaissait toutes les deux ou qu’on s’est fait connaître, comme Terje Rypdal et Heinrich Schütz, Nils Petter Molvaer (Alone in the bathtub) et Jodi Cobb, le souvenir d’une peinture d’Alain Gauthier exposée il y a quelques années à la galerie l'Art à la page, rue Amelot, et l’avenir des peintures à venir, puisqu’il reste des pinceaux dans les ateliers des copains.

Mais surtout tu entendras parler de la littérature gaélique, parce que ses mots m’emportent autant que la voile et le delta. 
 


Je te parlerai de danse puisque les hommes-oiseaux dansent dans l’air et créent des chorégraphies infilmables, pourtant inoubliables. Tu auras des vols de l’aube et des vols nocturnes, des vols d’hier et des vols pas encore osés, des vols d’hiver et de printemps. 
 

Le souvenir des enfants et de la Saint-Patrick, du premier séjour en Bretagne. Mais la seule chose dont je ne parlerai pas, c’est du premier vol long en solitaire. Cela ne concerne que moi et chacun comprendra. 


S.H.

lundi, 19 octobre 2009

De la supériorité des bassonistes

 

La ballade de VillaBar, c'est l'histoire des personnages nés au bar du Piston Pélican, en 2007, le dimanche soir quand on se retrouvait, photographes, écrivains, acteurs et piliers de bars, pour inventer ensemble. Les soirées n'ont plus lieu, mais les personnages poursuivent leur vie. Car la réalité s'est fait dépasser par la fiction de VillaBar. Et le monde de VillaBar est devenu plus vrai que nous. 

 

Monologue rageur de Solveig Bassone

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Phot Isabelle Ferrier

Je hais les trompettistes. Comme tous les bassonistes, j’éprouve un profond mépris pour les gens qui s’imaginent faire de la musique en soufflotant dans des demitubes qu’ils prennent pour des instruments à vent.
Miles Yufitran obtient de grands succès auprès d’une population grande en nombre et petite en intelligence mélomane. Hélas. Mais comment pourrais-je l’envier ? J’ai la chance d’être adepte d’un instrument exceptionnel, qui façonne le caractère, le corps et la mélomanie, année après année, répétition après répétition.
Miles Yufitran et moi sommes invités à jouer ensemble dans le même orchestre au mois de ventôse. J’hésite. Puis-je m’abaisser à cela ?Je crois que oui : c’est ainsi que je mettrai en avant la splendeur du basson et le ridicule des trompettes, saxophones et autres clarinettes. Et puis, cette carrière de soliste tourne en rond.

samedi, 17 octobre 2009

Les yeux bouffis de ciel

 

La ballade de VillaBar, c'est l'histoire des personnages nés au bar du Piston Pélican, en 2007, le dimanche soir quand on se retrouvait, photographes, écrivains, acteurs et piliers de bars, pour inventer ensemble. Les soirées n'ont plus lieu, mais les personnages poursuivent leur vie. Car la réalité s'est fait dépasser par la fiction de VillaBar. Et le monde de VillaBar est devenu plus vrai que nous. 

 

 

Complainte larmoyée de Miles Yufitran

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phot Karim-Pierre Maalej

 

Ma trompette fait la gueule. Alors je la laisse tomber et je bois. C’est dur d’être un musicien. On est des poètes du sable, à la moindre vague notre œuvre est détruite, effacée à jamais. On balance du vent dans les oreilles des gens et ils nous remercient en ne comprenant pas le fond de notre âme. On zone, on boit, on crève jusqu’à l’aube, et on se réveille avec une mélodie qui pince le cœur. Alors on attrape la trompette, on souffle nos douleurs dedans et ya un voisin qui crie : «Ta gueule ! »
Mais on continue quand même.
La rue est belle, les poubelles aussi sont belles, tout peut être beau quand on a les yeux remplis de ciel. Ma musique, mon amour, tu m’entraînes loin des hommes, alors parfois je te hais. Puis je me souviens que si tu m’entraînes si loin des hommes, c’est pour m’emmener plus près des étoiles.

dimanche, 11 octobre 2009

AlmaFrater

 

La ballade de VillaBar, c'est l'histoire des personnages nés au bar du Piston Pélican, en 2007, le dimanche soir quand on se retrouvait, photographes, écrivains, acteurs et piliers de bars, pour inventer ensemble. Les soirées n'ont plus lieu, mais les personnages poursuivent leur vie. Car la réalité s'est fait dépasser par la fiction de VillaBar. Et le monde de VillaBar est devenu plus vrai que nous. 

 

 

Complainte cynique de Joan Yufitran

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Phot Isabelle Ferrier

Mon cher William, 

 

Comme vous avez gardé votre naïveté depuis Stockholm... Et quel amusement de vous retrouver ici, à Santa Marina. Le monde est petit ou ésotérique... pour permettre de telles retrouvailles. Vous surveillez la petite rousse et son amante Carotte Feliccio. Qu'ont-elles fait pour attirer ainsi votre attention ?
Carotte fait partie de mon écurie, avec Galeswithe Albanel.

 

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Elles cognent dur. Mais je sais que vous n'aimez pas ce monde des combats interdits. Moi, je le préfère à votre douceur hypocrite. Vous êtes un privé. Vous êtes donc tout aussi vendu que moi. Mais moi, j'en suis consciente.

Et puis j'ai une douleur bien plus grande que celle d'avoir trahi mes frêles idéaux de jeunesse.

J'ai perdu un frère. Oh, bien sûr, il est toujours vivant, et il erre, de ville en ville, de port en port, traînant sa trompette, ses yeux de poète insomniaque et ses souffrances vides. Mon frère était mon seul amour, depuis toujours et à jamais.

Miles, tu me hais. Pour combien de temps encore ? 
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phot Sara

 

 

 

mardi, 29 septembre 2009

Santa Marina de tous les saints

 

La ballade de VillaBar, c'est l'histoire des personnages nés au bar du Piston Pélican, en 2007, le dimanche soir quand on se retrouvait, photographes, écrivains, acteurs et piliers de bars, pour inventer ensemble. Les soirées n'ont plus lieu, mais les personnages poursuivent leur vie. Car la réalité s'est fait dépasser par la fiction de VillaBar. Et le monde de VillaBar est devenu plus vrai que nous. 


 

Soliloque d' Alicia-Pilar « la matadora » Desdemone-Cajas

Phot Edith de CL Alicia Pilar.jpg

J’erre à Santa Marina sans savoir à quels saints me vouer
Je me rappelle des deux filles avec qui j’ai travaillé pendant plus de quinze ans dans un bar de Saint-Jean en Ville, en Louisiane française : Anita F.C. Trosh et Oriane Siette.

Nous savions rire ! Nous savions pleurer ! Deux dons qui ne sont réservées qu’à des âmes d’élite. Le Rire et les Pleurs sont un Art que peu de gens pratiquent avec hauteur.

Quel ennui en ce bas monde si mal peuplé. Riches et pauvres se rejoignent dans cette médiocrité qui les atteint tous. Nous ne sommes que quelques uns à nous élever au-dessus de cette bassesse, par la grâce de Dieu. Il y en a quelques uns par ici, Dieu soit loué. J’ai rencontré une jeune femme amusante, qu’on appelle Yeux Noirs. Elle semble s’élever au dessus des pensées et des actions habituelles.

 

Karim-Pierre Maalej-Yeux Noirs.jpg

Il y a un jeune homme qui passe me voir pour pleurer et parler de musique. Quelle élégance, quelle soledad, quelle dolor étoilée dans ses yeux béants ! Quelle divine musique quand il prend sa trompette ! Un vrai poète, mi irlandais mi berbère, qui s'appelle Miles Yufitran.

 

Karim-Pierre Maalej-Miles Yufitran et Ozanne Sommertag.jpg

J’ai aussi un client qui ne manque pas de piquant, pas seulement dans sa barbe mais au fond de son cœur. Son nom fait trembler les gens d’ici. Il s’appelle Stanislas Tichy.

 

Sancha-Stan Tichy.jpgphot Sancha

Mais quel ennui, à part cela.

Ay, Madre de Dios !
Christo hijo de la Virgen, ayudame.