Deux lettres de dépit (mercredi, 30 décembre 2009)
Ainsi toujours aimante et déçue, ou trahie,
Mes plus doux sentiments se fanent tour à tour ;
Et l’amitié coûte à la vie
Autant de larmes que l’amour.
Marceline Desbordes-Valmore
Elles étaient dépitées. Elles l'écrivaient dans leurs lettres. Ce dépit épistolaire témoigne de l'ancienneté de la dépression nerveuse, qui porta des noms plus jolis que celui-ci.
Madame de Sévigné à sa fille, le 16 mars 1672
Vous me demandez, ma chère enfant, si j’aime toujours bien la vie. Je vous avoue que j’y trouve des chagrins cuisans ; mais je suis encore plus dégoûtée de la mort ; je me trouve si malheureuse d’avoir à finir tout ceci par elle, que si je pouvois retourner en arrière, je ne demanderois pas mieux. Je me trouve dans un engagement qui m’embarrasse : je suis embarquée dans la vie sans mon consentement ; il faut que j’en sorte, cela m’assomme et comment en sortirai-je ? Par où ? Par quelle porte ? quand sera-ce ? en quelle disposition ? souffrirai-je mille et mille douleurs, qui me feront mourir désespérée ? aurai-je un transport au cerveau ? mourrai-je d’un accident ? comment serai-je avec Dieu ? qu’aurai-je à lui présenter ? la crainte, la nécessité feront-elles mon retour vers lui ? n’aurai-je aucun autre sentiment que celui de la peur ? que puis-je espérer ? suis-je digne du paradis ? suis-je digne de l’enfer ? quelle alternative ! quel embarras ! Rien n’est si fou que de mettre son salut dans l’incertitude ; mais rien n’est si naturel, et la sotte vie que je mène est la chose du monde la plus aisée à comprendre. Je m’abîme dans ces pensées et je trouve la mort si terrible que je hais plus la vie parce qu’elle m’y mène, que par les épines qui s’y rencontrent. Vous me direz que je veux vivre éternellement. Point du tout, mais si on m’avoit demandé mon avis, j’aurois bien aimé mourir entre les bras de ma nourrice : cela m’auroit ôté bien des ennuis et m’auroit donné le ciel bien sûrement et bien aisément.
Marquise du Deffand, lundi 20 octobre 1766
à monsieur Horace Walpole
J’admirais hier soir la nombreuse compagnie qui était chez moi ; hommes et femmes me paraissaient des machine à ressort, qui allaient, venaient, parlaient, riaient sans penser, sans réfléchir, sans sentir : chacun jouait son rôle par habitude : Madame la duchesse d’Aiguillon crevait de rire, Madame de Forcalquier dédaignait tout, Madame de La Vallière jabotait sur tout. Les hommes ne jouaient pas de meilleur rôle, et moi j’étais abîmée dans les réflexions les plus noires : je pensais que j’avas passé ma vie dans les illusions, que je m’étais creusé moi-même tous les abîmes dans lesquels j’étais tombée ; que mes jugemens avaient été faux et téméraires, et toujours trop précipités, et qu’enfin je n’avais parfaitement bien connu personne ; que je n’en avais pas été connue non plus, et que peut-être je ne me connaissais pas moi-même. On désire un appui, on se laisse charmer par l’espérance de l’avoir trouvé : c’est un songe que les circonstances dissipent et qui font l’effet du réveil. (…)
Les deux photos (la dépitée à la cerise, la dépitée souriante) sont extraits de la série de Sara "La dépitée"
| Lien permanent | Commentaires (5) | | Facebook | Imprimer |
Commentaires
chere Edith CL, merci, ce sont de beaux textes, suffisamment forts et precis pour n avoir pas besoin de la denomination pathologisante de depression!
bon passage a 2010
ERR
Écrit par : elise | jeudi, 31 décembre 2009
Chère Élise RR, merci. Baisers des Sables d'Olonne et bon passage à 2010 aussi !
Écrit par : Édith | samedi, 02 janvier 2010
Élise a raison, mille fois raison. Pas de pathologie pour les dépitées qui écrivent bien ! La précision de leur pensée n'a pas besoin des mots valise du camion de la psychanalyse.
Écrit par : Gros méchant Loup | lundi, 04 janvier 2010
Loup, je n'arrive pas à vous identifier ; oui, Élise avait raison de noter cela. Je délaisse désormais ces appellations vaseuses.
Écrit par : Édith | lundi, 04 janvier 2010
ERR nous soulage : les dénominations pathologisantes sont elles même pathologiques et correspondent à une volonté de tout médicaliser pour ériger un rempart contre l'emergence sauvage des idées differente.
Écrit par : Malek El Bath | mardi, 05 janvier 2010