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mardi, 12 février 2013

Le polar enfantin

Séries noires, souris noires

Où comment les grands noms du polar français ont tenté d'effrayer les enfants...

Histoire de la Série noire

Inspirés par les auteurs de roman policier américains (Dashiell Hammett, etc), des écrivains français créent, en 1947 au lendemain de la seconde guerre mondiale, une collection destinée au roman noir, au sein des editions Gallimard. C'est la première fois qu'une telle collection existe en France.

C'est Jacques Prévert qui trouve l'expression "série noire".

Autour de cette série une nébuleuse d'écrivains se forme. Si les institutions littéraires conservatrices continuent de mépriser le polar, ce genre obtient un succès d'estime, comme une forme à la fois plaisante et rebelle d'art (comme le cinéma, le rock...)

Histoire de la Souris noire

Un de ces écrivains de Série noire, Joseph Périgot, est appelé par les éditions Syros, pour créer une collection de romans policiers pour les enfants.
Joseph Périgot a toute latitude pour inventer cette série, il use de cette liberté en décidant qu'il n'ira pas chercher les auteurs de la collection dans le monde de la littérature enfantine, mais dans le monde du polar. Ainsi, ce sera du vrai polar, brut.

Périgot choisit le titre de Souris noire pour la collection, en référence à la série noire des adultes.

Les graphistes et illustrateurs sont choisis avec soin, là encore pas forcément dans le monde de l'illustration enfantine.
Le but est de conserver l'aspect sombre et puissant du polar. Un directeur artistique est nommé : Gérard Lo Monaco.

 

Ce type de collection pour enfants en choque certains. Ne plongeons pas nos chérubins dans le monde perverti des rues de nuit, des hommes troubles, des femmes perdues ! Le public enfantin des débuts de la Souris Noire restait un public d'initiés, dont les familles et le milieu sont particulièrement ouverts. Mais, la dégradation des moeurs, ma bonne dame, alliée à la déflagration de la liberté de pensée, chers concitoyens, ont quelque peu amolli l'aspect polardesque du polar pour chiards en couches-culottes.

Il n'empêche que l'émergence de Souris noire fait date dans l'édition jeunesse : c'est une expérience de mariage entre deux paralittératures (enfantine et polar), qui a contribué à démontrer aux écrivains de littérature générale qu'écrire pour le public enfantin peut être une expérience littéraire passionnante et artistique. 
Par ailleurs, Souris noire a contribué à prouver que les enfants pouvaient lire autre chose que des contes ou des albums illustrés "sages".

Esthétique

La collection souris noire accorde beaucoup d'importance à l'esthétique de ses livres et à l'unité graphique des illustrations.
Depuis sa création, Souris noire a subi deux évolutions.

Evolution du graphisme de la Souris noire

Première période :

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Deuxième période :

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Troisième période :

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Les titres

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Sèvres-Babylone

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Yacoub le fou

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La nuit du voleur

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L'assassin habite à côté

 

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Albums illustrés

Nous présentons des albums des années 1990, qui, dans le domaine de "l'édition jeunesse", font déjà figure de classiques.

La reine des fourmis, de Fred Bernard et François Roca

DUO
Le duo Bernard-Roca a réalisé de nombreux albums illustrés.

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Fred Bernard et François Roca

QUELQUES ALBUMS

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STYLES

Le style, très littéraire, de Bernard, met une belle langue française au service des enfants.

Des trois niveaux de langues que j'appris à distinguer en cours de français, le langage soutenu, le langage courant, le langage familier, Fred Bernard reste toujours dans le langage soutenu.

STYLE OU PLAGIAT ?
François Roca est passionné par la peinture américaine du XX°siècle, qu'il a contribué à faire connaître auprès d'un large public en France, car ses propres images contiennent souvent des citations de peintures américaines.
Les peintres dont il fait des citations : Hopper, Remington, Waterhouse, Wyeth.

D'où l'accusation de plagiat. Je n'ai pas bien suivi l'histoire, et demeure partagé. Je ne comprends pas qu'une oeuvre soit aussi remplie de citations, cela me parait louche. En même temps, je ris (ah ah ah ah ah !) devant l'inculture totale des accusateurs, qui ont vu passer, placidement, durant de nombreuses années, les albums de Roca en y voyant que du feu. Il a fallu leur mettre le pot aux roses sous ne nez pour qu'ils tombent des nues !

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LA REINE DES FOURMIS

Je n'ai quoi qu'il en soit pas trouvé de copie dans la Reine des fourmis. Cet album intéressant propose une enquête policière, mais l'univers de noirceur du polar n'est pas là.

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L'histoire est la suivant : la reine des fourmis a disparu. Deux fourmis sont mandatées pour mener l'enquête. Elles partent de leur forêt tropicale et entament un long voyage qui les mènera jusqu'au Muséum d'Histoire naturelle de Paris, où elle pourront libérer leur reine et la ramener dans leur lointain pays.
Le Muséum d'histoire naturelle est admirablement décrit ! Le dessinateur y a passé des heures, et tous les lieux et les animaux empaillés sont parfaitement représentés.

Cette description réaliste du Muséum participe du genre du roman policier, souvent soucieux de détails, décrivant des lieux des villes avec précision.

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Quelques images :

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Yvan Pommaux :

une nuit, un chat et la série des Chatterton

Une nuit, un chat : le polar au biberon

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Les Chatterton, d'Yvan Pommaux

Yvan Pommaux a la particularité de s'adresser aux très jeunes enfants. "Dès 3 ans", indique l'éditeur. Pommaux relève le défi incroyable de faire une oeuvre d'art, pleine de recul et d'humour, tout en y instaurant assez de poésie et de douceur pour faire rêver les petits enfants.

Le style graphique

Pommaux opère une stylisation à l'extrême de tout l'univers du polar. Description visuelle de la ville, de ses trottoirs sales, de ses bas-fonds. Pour montrer la foule bigarrée des villes, les différences d'univers, il utilise l'anthropomorphisme : ses personnages sont des animaux et des hommes mélangés.
Quant au personnage du détective, il est lui aussi stylisé à l'extrême : un condensé de clichés fait exprès.

Les citations

La série des Chatterton fait appel aux vieux contes de Perrault. Pommaux réutilise les contes du XVII°siècle, mais les transforme en polar.

Pommaux fait passer également, à travers les dialogues et les images, des références au roman policier américain des années 40-50, au cinéma, à l'art classique et moderne (peintures, sculptures)

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 L'atmosphère des mégalopoles de nuit, leurs grands squares qui se transforment en terrains de jeu pour une faune bien différente de celle des nourrices et des zenfants qui les hante le jour...

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 Tout cela procure aux enfants une initiation à la sombreur du monde parallèle. Les contes de fées reprennent leur force vitale de prévention contre le crime, parfois, peut-être, d'incitation dissimulée à la transgression.

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 Lilas

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Yvan Pommaux s'attache à décrire les aspects oubliés de la ville Gouttières, poubelles, les portes du monde des déchets se révèlent à nos yeux qui cherchent d'habitude à les éviter. Cela permet au lecteur de petite taille ou promené dans une poussette de voir dans son livre le monde tel qu'il le voit, lui qui a encore les yeux au ras du sol.

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 Notons la foule bigarrée qui hante les albums chattertoniens. Chiens, chats, humains, tigres hantent la même ville, s'observent, se confrontent, et, parfois, oublient les convenances pour vivre une belle histoire d'amour...

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Maestria

Pommaux a réalisé une oeuvre aussi exceptionnelle qu'elle a l'air facile d'accès. Tout est facile, très lisible, les images semblent lisses... Derrière cette simplicité, un immense travail est dissimulé.

Son plus grand succès est de faire cohabiter l'univers très noir du polar et du suspense, et l'illustration pour les tout-petits.

Sarah Moon et le chaperon rouge

Née en 1941 en France et exilée en Angleterre à cause de la guerre, la photographe Sarah Moon mène une carrière franco-anglo-américaine.

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Sarah Moon par David Bailey


Elle a publié aux éditions Grasset, en 1986, Le petit chaperon rouge, une illustration photographique du Conte de Perrault.

CONTE CRUEL
Loin de l'aseptisation du texte à laquelle nous avait habitué Walt Disney, Sarah Moon illustre l'histoire à la lumière de la psychanalyse et de l'étude des contes.

Si elle garde le texte de Perrault tel quel, Sarah Moon photographie dans la ville. Ainsi, on lit "elle se promenait dans les bois" et on la voit marcher dans les rues d'une ville, longeant les immeubles.

Ce n'est pas un loup que la fillette rencontre, mais un homme...qui se transforme en loup dans une chambre à coucher.

POLAR
Toute l'atmosphère est celle d'un polar, d'un film noir.

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CLASSEMENT IMPOSSIBLE
Le petit chaperon rouge de Sarah Moon n'a pas de place dans les librairies. On le trouve parfois en "littérature enfantine", parfois en "bande dessinée", parfois dans les rayons d'art photographique.

QUELQUES IMAGES

Le petit chaperon rouge :

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La rencontre avec le loup :

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L'agression :

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dimanche, 10 février 2013

Dernier voyage en Amérique

Todd Hido, Angelo Badalamenti, Edith de Cornulier Lucinière, subprimes, Etat américain, foreclosed homes

Mais ce que je vous propose ce soir, c'est de mettre la musique d'Angelo Badalamenti et de partir en voyage dans les photographies de Todd Hido. Parce que la buée de sa voiture rend les routes plus floues, les nuits plus mystérieuses ; parce que l'aube américaine s'y dévoile comme jamais.

todd hido

Parce qu'il photographie la preuve du Grand Crime des banquiers et de l’État : les maison abandonnées par les familles qui ne pouvaient plus payer les traîtresses traites mensuelles. Mais toi, État américain, tu aurais dû imposer, par une loi, que les familles restent dans ces maisons qu'on n'aurait jamais dû leur vendre puisqu'elles n'avaient pas les moyens de les payer. Au lieu de cela tu as aidé les banques et tu as laissé les familles partir sur les routes et tomber dans la misère. Tu es l'un des pays les plus riches du monde et tu es l'un des plus cruels, comme ton épouse ignare et indigne, l'Arabie Saoudite. Vous croulez sous l'argent et vous assassinez vos peuples. Vous rentabilisez tout ce que vous touchez et vous créez de la misère. Familles américaines, on vous avait fait croire à un rêve. Mais ce rêve, la maison, est loin derrière vous. Il a le goût amer des cendres et la douleur des blessures mal recousues.

 

Todd Hido, Angelo Badalamenti, Edith de Cornulier Lucinière, subprimes, Etat américain, foreclosed homes

 

Todd Hido, Angelo Badalamenti, Edith de Cornulier Lucinière, subprimes, Etat américain, foreclosed homes

Todd Hido, Angelo Badalamenti, Edith de Cornulier Lucinière, subprimes, Etat américain, foreclosed homes

Quelque part en France, quelqu'un qui lit AlmaSoror, écoute la musique de Badalamenti et rêve devant les photos de Todd Hido. Dans cent ans nous serons morts depuis longtemps. Nous aurons cessé d'imaginer ce que peut-être le rêve américain et d'autres rêveront d'autres rêves, comme s'ils étaient éternels.

Todd Hido, Angelo Badalamenti, Edith de Cornulier Lucinière, subprimes, Etat américain, foreclosed homes

Todd Hido, Angelo Badalamenti, Edith de Cornulier Lucinière, subprimes, Etat américain, foreclosed homes

Todd Hido, Angelo Badalamenti, Edith de Cornulier Lucinière, subprimes, Etat américain, foreclosed homes

Les sociétés se suivent et se ressemblent toutes. En dépit d'une croyance religieuse en la bonté des hommes, en la sagesse de leurs institutions, nos coeurs sont broyés par l'implacable marteau du pouvoir. Sur nos terres dévastées, dans nos fuites éperdues, quelques rencontres nous réchaufferont, l'espace d'un instant. Un rayon de lumière venue du ciel, une main chaude qui presse notre épaule, quelques instants de rémission avant la reprise d'une vie de bagnard.

Todd Hido, Angelo Badalamenti, Edith de Cornulier Lucinière, subprimes, Etat américain, foreclosed homes

Todd Hido, Angelo Badalamenti, Edith de Cornulier Lucinière, subprimes, Etat américain, foreclosed homes

Todd Hido, Angelo Badalamenti, Edith de Cornulier Lucinière, subprimes, Etat américain, foreclosed homes

Qu'importe que nos vies soient broyées ? N'est-elle pas mille fois meilleure que la vie des poussins mâles des élevages industriels, déglutis par centaines, par milliers, dans de longs tuyaux de la mort et broyées par d'efficaces machines ?

Qu'importe que nos vies soient broyées si nous avons embrassé un être aimé, pardonné à un ami, prié pour la rédemption de notre âme ? Ceux qui gagnent volent ; ceux qui perdent se sauvent. Et dans sur la longue route du temps, le souvenir de nos existences s'efface.

Dans la route frappée par le vent, la vision de nos corps s'efface.

Sur la route que nous foulions, la trace de nos pas s'efface.

Todd Hido, Angelo Badalamenti, Edith de Cornulier Lucinière, subprimes, Etat américain, foreclosed homes

 

Edith de CL

J'ai glané sur Internet les photographies de Todd Hido et la musique d'Angelo Badalamenti

mardi, 05 février 2013

Lupinerie

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Arsène Lupin s'appelle Lupin en référence à l'étymologie : lupus signifie loup en latin. Or, le loup est l'ennemi des hommes...
Mais, le lupin est aussi une fleur très ornementale, qui reflète la sophistication des "coups" d'Arsène Lupin, la beauté de son art hors-la-loi.

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LUPIN CONTRE LEBLANC : une relation tumultueuse

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Arsène Lupin (par Léon Fontan)

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Maurice Leblanc

HONTE & GLOIRE
Maurice Leblanc vivait sa gloire comme une honte : il aurait voulu être un académicien ; il n'était qu'un auteur populaire ! A ses contemporains, il répétait : "Lupin, ce n'est pas moi !" de la même façon que Gustave Flaubert avait dit : "Madame Bovary, c'est moi !"
Tout au long de sa carrière, Leblanc a tenté de tuer Arsène Lupin pour en être débarrassé, mais chaque fois, l'insistance des éditeurs et la facilité avec laquelle Arsène faisait rentrer l'argent dans la caisse, il a craqué et ressuscité son héros.

Univers d'Arsène Lupin

Dans l'univers de la série d'Arsène Lupin, on retrouve les mêmes thèmes, aventure après aventure : Les pseudonymes d'Arsène (une trentaine !)
La vieille aristocratie décadente
La neuve bourgeoisie montante
Le monde de l'art
Le mythe du cambrioleur gentil
Le séducteur invétéré
Le pays de Caux, en Normandie

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Là, aux abords des falaises d'Etretat, se déroulent bon nombre des aventures d'Arsène Lupin.

UN PERSONNAGE REEL
Arsène Lupin n'est pas un criminel. Il est un artiste du cambriolage. Il cambriole, soit par dandysme, soit par philanthropie (pour faire du bien à des personnes en difficulté). Or, à cet égard la figure fictionnelle de Lupin doit beaucoup à un homme réel. Il s'agit de l'anarchiste Alexandre Marius Jacob (1879 - 1954). Jacob et ses camarades s'appellaient "les travailleurs de la nuit". Leurs cambriolages furent des exploits rocambolesques qui tinrent les policiers - et la France entière - en haleine ; le butin était utilisé pour publier des journaux anarchistes ou bien envoyer de l'argent aux familles des prisonniers anarchistes.

Marius Jacob a organisé 150 cambriolages, qui ont tous réussi, sans jamais faire couler le sang !

Il a passé 25 ans au bagne avant de rentrer vivre dans sa maison du Berry, où il s'est donné la mort.

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Alexandre Marius Jacob, Pourquoi j'ai cambriolé... par guyprestige


On pense, bien sûr, à Stances pour un cambrioleur, la chanson de Brassens : "mets-toi dans les affaires et tu auras les flics même comme chalands".

LUPINOPHILIE
Les Lupinophiles aujourd'hui viennet de tous les pays du monde pour visiter la maison de Maurice Leblanc et marcher sur les lieux où se situent les intrigues d'Arsène Lupin.


mercredi, 23 janvier 2013

Mémoires d’une voyouse

 mémoires d'une voyouse, Johnny Walker, Edith de Cornulier-Lucinière

 

Avertissement

Enfants, ne lisez pas ce qui va suivre.

C’est une histoire avec des salauds, des délits, des remords.

C’est une histoire pour les filous, pour les méchants, pour les gueux.

 

Hors-la-loi

 

Je suis une gueuse, une malfrate, une hors-la-loi. Si vous connaissiez tous les crimes que j’ai commis, vous fermeriez cette webpage et vous vous enfuiriez en courant vers des sites moins terribles. Ah ! ah ! ah ! Je fais peur aux bonnes gens, aux honnêtes gens, aux petites gens et même aux gens qui ont de l’entregent.

Toutes les histoires que j’ai vécues dans ma vie ont fini comme dans un film noir : course poursuite avec la police, batailles, hurlements, prison. Mais l’histoire que je veux vous raconter tourne différemment.

 

Adieu Johnnie Walker

 

En ce temps là, j’avais arrêté de boire. Quand une hors-la-loi arrête de boire, c’est TRES dangereux.

Pourtant, il le fallait. Le docteur m’avait dit : « c’est Johnnie Walker ou vous ». Johnnie Walker, c’est le type qui est dessiné sur les bouteilles de whisky.

 

  • En êtes-vous sûre, docteur ? Lui demandai-je effrayée.

  • Sûr.

  • Dis-moi la vérité, minable ! Lui hurlai-je en pointant Coco sur son cœur. (coco, c’est mon flingue. Coco était mon meilleur ami).

  • Hélas oui, répondit courageusement le docteur.

J’ai donc dit : Adieu Johnnie Walker. J’ai rempli mon frigo de jus de fruits, de Coca-Cola et de yaourts. J’ai pleuré tous les soirs, mais j’ai tenu le coup.

 

 

Bon anniversaire, pauvre idiote !

 

J’avais une longue vie de voyouse derrière moi.

Grâce à mes cachettes et à mon intelligence, les policiers ne me trouvaient jamais. Les gens qui savaient où j’étais n’osaient pas me dénoncer de peur que je les butte avec Coco.

Le soir de mon anniversaire, je m’apprêtais à déguster un immense gâteau à la fraise quand je me rendis compte que je n’avais aucun ami. Mon âme éclata en sanglot (mais mon visage resta très dur).

Je me regardai dans la glace et murmurai :

- Bon anniversaire, pauvre idiote !

Je pointai Coco vers mon cœur, mais il refusa de me planter.

- Que ferai-je sans toi ? Me demanda-t-il.

Alors je rangeai Coco dans un tiroir et j’allai me coucher.

Ce soir là, je décidai de transformer ma vie.

 

 

Le procès


J’étais en train de me demander comment devenir honnête quand les journalistes, les juges et les policiers me tombèrent dessus. Cela arriva par un soir de septembre. C’était l’automne et Paris était beau.

On m’arrêta alors que je marchais tranquillement sur le boulevard Raspail.

Mon procès fut rapide. Le juge parla avec éloquence.

Il relata mes crimes:

  • 17 pompiers remplis d’hématomes, tous malmenés par l’accusée à la fin d’une rixe dans le terrible quartier de Pigalle.

  • 4 hommes et 5 femmes séduits et manipulés par l’accusée pour lui donner de l’argent.

  • 480 tonnes de chocolat, bonbons et yaourts à la fraise volés par l’accusée dans 140 magasins.

  • Une vieille femme effrayée et contrainte de laisser l’accusée jouer avec son chien yorkshire.

A la fin du procès, le juge cria : « qu’on jette l’accusée en prison ! » Des applaudissements s’élevèrent dans la salle. On me menotta, on m’emmena.

 

 

Au trou !

 

Au trou (c'est-à-dire en taule, en cabane, au violon, au placard, en prison), je réfléchis beaucoup.

Trois religieux vinrent me parler de Dieu. Cela m’intéressa mais je n’arrivai pas à choisir entre les trois religions, alors je laissai tomber.

Les mois passaient. Peu à peu, j’arrêtai de ricaner en pensant aux coups que j’avais faits.

Au bout d'un moment, je commençai même à lire des livres.

Enfin, je décidai d’arrêter cette vie de perdition et d’écrire l'histoire de ma vie.

 

Ma rédemption

 

J’étais respectée dans toute la prison. Les autres filles me craignaient. Elles me donnaient leur dessert.

L’une d’elle s’appelait Stella. Elle m’apprit à parler avec mon cœur. Nous rêvions de marcher ensemble dans la ville, en liberté.

- Tu sortiras d’ici avant moi, me disait-elle.

- Je préparerai tout pour notre vie, répondais-je. On aura notre frigo, des fenêtres sans barreaux, un chat.

La veille de ma sortie de prison, elle me prit la main. « Je sais que tu m’oublieras, me dit-elle, mais sache que tes yeux ont transformé ma vie ».

« Je ne t’oublierai pas », pensai-je dans ma tête.

 

 

L’amitié

 

Quand je sortis de prison, la lumière de la vie me stupéfia. Lors de mon procès, la société m’avait confisqué sans vergogne mes biens durement volés. Dépitée, je décidai de gagner ma vie honnêtement. Je trouvai un boulot dans un bar.

Le jour, je servais dans un restaurant des assiettes de fromage et des chocolats chauds à d’honnêtes gens.

La nuit, je me réfugiais dans ma piaule, au septième étage d’un immeuble. Par la fenêtre, les toits de la plus belle ville du monde m’apparaissaient éclairés par la lune. J’écrivais ma vie palpitante sur mon ordinateur. Je racontais tous mes coups, toutes mes planques, tous mes secrets, pour publier mes mémoires à titre posthume. Mon œuvre s'appellait : les Mémoires d'une voyouse.

Parfois je regrettais Coco. La vie est si facile quand on peut pointer son flingue sur les gens énervants ! Mais je pensais à Stella. Elle et moi, nous nous étions promis de devenir sages comme des images. Un jour, elle sortirait de prison… Alors la vie serait douce comme l'amitié.

 

FIN

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Edith de CL

Edith de Cornulier-Lucinière, Cornulier-Lucinière, mémoires d'une voyouse

 

 

jeudi, 17 janvier 2013

Qu'est-ce que le polar ? - Paralittératures

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Photos de H.L.


Né à l'aube du XX°siècle, le polar a connu un grand essor depuis.

Un jour, nous étudierons la définition de polar, ou roman noir ; ainsi que l'expression "paralittérature".

Nous parlerons de Paul d'Ivoi, à cheval entre le roman d'aventure et le roman policier ; Gaston Leroux, précurseur à la fois du roman policier français et du roman d'horreur et de fantastique ; Maurice Leblanc et son frère-ennemi, sa créature Arsène Lupin.
Nous mentionnerons l'existence de la collection, chez Gallimard, de la Série noire, pour s'introduire dans les arcanes de la collection enfantine de mini-polars Souris noire.

Un soir, nous relirons ensemble plusieurs albums illustrés directement inspirés du polar : La reine des fourmis a disparu, de Roca et Bernard ;
La série des Chatterton, d'Yvan Pommaux ;
Et le scandaleux Petit chaperon rouge, de Sarah Moon.


Qu'est-ce que le polar ?


Le mot polar correspond au mot anglais "thriller".

Avant "thriller", on disait, en anglais, "detective novel".


Pour traduire "detective novel" en français, les Français ont d'abord hésité entre "roman policier" et "roman judiciaire". Selon le Dictionnaire historique de la langue française, l'expression "roman policier" date de 1908.

Peu à peu, "roman policier" s'est imposé, on a cessé de dire "roman judiciaire".
Et puis, pour parler plus vite, on dit, "un policier" pour désigner un roman policier.

Enfin, de façon argotique, "policier" est devenu "polar".
Selon le Dictionnaire historique de la langue française, le mot "polar" date de 1970.

ROMAN NOIR
Une autre expression est employée en français pour parler du polar, c'est le "roman noir". Noir, parce que l'univers de cette littérature est sombre. Les événements s'y déroulent souvent la nuit, dans les quartiers laissés à l'abandon, dans des zones oubliées par la société. Ce qui est blanc est assimilé à la lumière, ce qui est noir à la nuit. De plus, à l'instar du polar américain, le polar a souvent une connotation sociale : on y dévoile les aspects les moins reluisants de la société, on y dénonce la corruption.
Le monde du polar est le monde du sombre, du caché, du ténébreux, l'inframonde, celui que les "gens normaux" ne voient pas ou ne veulent pas voir.

ESTHETIQUE
Enfin, sur le plan éditorial, le polar est lié à une certaine esthérique, noire et blanche avec un peu de rouge, pour le sang. L'identité visuelle du polar est présente dès la couverture du roman. Souvent, les auteurs jouent avec cette identité, s'habillant en noir, ayant des airs de personnages de leurs romans.

FESTIVAL
Il existe plusieurs Salon du polar en France. Le plus connu est celui qui a lieu dans la ville de Cognac, en Charente.

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La ville de Cognac :

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(Photo volée ici)

 

La boisson "Cognac" :

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Paralittératures

Qu'est-ce que la paralittérature ?
Le mot désigne les littératures populaires, celles qui ne sont pas considérées par les "élites" comme de la vraie littérature.
Un prestige est attaché à la littérature. Aussi, tout ce qui est écriture mais n'accède pas à ce prestige est taxé de paralittérature.

Ce mot a été inventé pour désigner le roman populaire, celui qui connait des tirages de masses, un grand succès populaire, écrit par des auteurs dénués d'élitisme.
Exemples au XIX°siècle : Alexandre Dumas, Eugène Sue. Eux, ont fini par être reconnus comme des écrivains à part entière.

Exemples de paralittératures :

Littérature pour les enfants
Roman noir (ou polar)
Science-fiction
Fantastique (fantasy)
Littérature érotique
Roman photo
Bande dessinée
Roman historique

Bien que la poésie ne soit pas vraiment de la littérature, on ne la classe pas dans les "paralittératures", car elle a un grand prestige.


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ROMANS DE GARE

Pour cette littérature dite facile (facile à lire, soi-disant facile à faire !), on emploie aussi l'expression "romans de gare" : les romans qu'on achète dans une gare pour se distraire lors d'un voyage en train.
Faciles à lire, ce sont, soit des romans policiers, soit des histoires d'amour à l'eau de rose (sirupeuses).

Exemple : Les écrivains Guy des Cars et Jean des Cars, auteurs très populaires, méprisés par les élites, étaient souvent appelés par les critiques "Guy des Gares" et Jean des Gares, pour souligner qu'ils ne faisaient pas de la vraie littérature, mais des romans de gare.

Le cinéaste Claude Lelouch a tourné un film intitulé Roman de gare... Qui raconte l'histoire d'une écrivain de romans policiers.

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En bref, le mot paralittérature a d'abord servi pour décrire tout ce qui, dans le domaine littéraire, recevait le mépris des universitaires.
Puis, peu à peu, un intérêt s'est accru pour les littératures populaires. Alors le mot paralittérature a pris le sens de "littératures marginales".
Mais, bientôt, avec Internet, l'affluence des oeuvres multimédia, il y aura certainement moins besoin de séparer radicalement la "littérature noble et pure" des autres littératures.

Alors, comment fera-t-on pour établir une différence entre l'art des élites, respectable, et l'art des masses, pitoyable ? Bah, on inventera autre chose !

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samedi, 05 janvier 2013

Métrodore : ouverture

 Métrodore,

Voici l'ouverture de Métrodore, un roman en suspension entre l'enfance et le monde adulte, entre hier et aujourd'hui.

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J’ai seize ans et je ne mange plus. Il paraît que ça n’arrive qu’aux filles qui ont des problèmes avec leur mère. Je suis un garçon et je n’ai pas de problèmes. Je suis seulement fatigué de vivre. La nourriture me dégoûte. Les gens me dépitent. Les professeurs me répugnent. Le lycée m’insupporte. Les magasins criards, la grisaille des rues, les ordinateurs me désespèrent. Je hais la société. Je m’appelle Jude Parizet et je vous hais.

 Alors, vous m’avez amené ici, dans cet hôpital blanc. Les infirmiers me sourient : j’ai envie de leur cracher à la gueule. Les médecins me parlent d’un ton gentil : je les devine fiers de leur diplôme de médecine, fiers de s’occuper des jeunes en difficulté. Je les terrasse de mon mépris, mais ils s’en fichent : ils croient par-dessus tout qu’ils ont raison.

 L’hôpital est blanc comme la mort, noir comme la peur, gris comme l’hiver. Le pavillon Michel-Foucault accueille des garçons et des filles entre treize et dix-sept ans. Nous errons dans les couloirs, nous marchons sur le carrelage des toilettes et le linoléum des pièces lugubres. Des néons jaunes éclairent l’escalier ; des néons blancs éclairent les murs blêmes. De nombreuses affiches empirent la laideur des murs. Une immense photographie du philosophe Michel Foucault orne le mur du vestibule. L’homme a l’air sadique et arrogant. Sur les murs des couloirs et de la salle de jour, de grotesques affiches montrent des jeunes en train de s’embrasser, de parler, de jouer au ballon. Sous les photos sont inscrits des slogans affligeants : « Moi, je dis non à la violence », « Moi, je dis non à la drogue », « La lecture est le plus beau voyage du monde ». Ils nous prennent pour des idiots.

 D’autres jeunes sont là. Une petite dizaine. Certains n’ont pas le droit de venir dans la salle de jour ; nous les apercevons se faufiler comme des ombres, accompagnés par des infirmiers qui les mènent comme des enfants.

 Nous, qui avons le droit de passer du temps dans la salle de jour, nous sommes libres de nos mouvements à l’intérieur du pavillon Michel-Foucault. Beaucoup sont des filles, encore plus maigres que moi. J’ai peur d’en voir une mourir. Ce serait triste à voir, une mort dans un hôpital. Quelle horreur d’agoniser dans un couloir de plastique et de béton. Si mourir, c’est quitter à jamais le monde où nous avons aimé et souffert, une mort au bout d’une plage, une mort en haut d’une montagne, c’est une mort bien plus belle.

 Pourquoi sommes-nous ici ? On nous a enlevés de la vie normale pour nous enfermer dans cet hôpital parce que nous avons un problème avec l’idée de devenir adulte.

 Les adultes se sont habitués à leur vie dans la ville, loin du ciel bleu, des arbres, des grandes forêts, des animaux sauvages, des océans. Ils se sont habitués à leurs habits étriqués, qui leur donnent l’air de petits pions. Ils se sont habitués à se lever au bruit strident du réveil, à se laver dans leur petite salle de bains, à utiliser des produits conformes aux normes pour se laver, pour manger, pour nettoyer leur maison…

 Ils se sont habitués à se lever matin après matin.

 Les adultes se sont habitués à remplir des papiers, à suivre des milliers de règles administratives, juridiques. Jour après jour, chaque fois qu’ils achètent, qu’ils vendent, qu’ils se marient, qu’ils divorcent, qu’ils ont des enfants, qu’ils en perdent, qu’ils partent en vacances, ils remplissent des papiers administratifs. Machinalement, ils écrivent dans les petites cases leur numéro de Sécurité sociale (un numéro d’au moins dix chiffres), leur sexe (masculin ou féminin, tant pis pour les anges), leur âge (comme si c’était important), leur lieu de naissance (pourquoi ?), leur statut social et leur statut familial. Ils ont des comptes en banque, des contrats d’assurances, des cartes d’assuré, des cartes d’électeur, des cartes bancaires. Sur tous ces papiers, des chiffres et des mots sans poésie.

 Les adultes peuvent rester assis au bureau toute la journée alors que dehors brille un soleil magnifique. Ils peuvent parler des heures de l’actualité politique alors que Charles Baudelaire a écrit des poèmes qui traversent le temps. Ils peuvent prendre le métro tous les jours, dans de longs couloirs souterrains, pour se rendre de leur maison au travail et de leur travail à la maison. Ils peuvent subir cette vie pendant quarante ans sans jamais se révolter plus de deux jours.

 J’ai seize ans, dans deux ans je serai un adulte.

 Pourquoi voulez-vous que je mange ?

 

Edith de Cornulier-Lucinière

IMAG1609.jpg

 

mardi, 18 décembre 2012

Monsieur Bovary

« Si j'étais un homme, je ferais ce que vous me dites. Mais les pauvres bêtes qui veulent montrer leur amour ne savent que se coucher par terre et mourir ».

La Bête, dans le film La Belle et la Bête, de Jean Cocteau

(Extrait de Madame Bovary, de Vincente Minnelli, 1950.
Musique de Miklós Rózsa. Vidéo trouvée sur YT, merci à l'internaute qui l'a postée !)

Edith de Cornulier-Lucinière, monsieur Bovary, madame Bovary, Vicente Minnelli, Miklós Rózsa

 

A l'intention de monsieur Charles Bovary, époux malheureux et médecin de province.

 

 

Monsieur Bovary

 

Personne encore n'a écrit votre histoire.

 Aucun écrivain n'a vomi en portant vos douleurs dans son ventre. Mais je vous promets qu'un jour vous aussi aurez votre roman. Ce sera le roman d'un médecin de campagne, mari et père, englué dans une vie taillé sur mesure pour un cœur plus cynique que le sien.

 Dans ce roman, vous ne vous appellerez plus monsieur Bovary, afin que personne ne vous reconnaisse. Mais vous, vous vous reconnaîtrez. Et ceux qui ont aperçu l'image de votre cœur derrière la description de votre épouse, vous reconnaîtront aussi sans l'ombre d'un doute.

 Je vous promets que ce roman sera plus grand encore, plus beau que celui qu'on fit pour elle. Il sera taillé dans une langue française toujours aussi belle bien que métamorphosée par la modernité que vous sentiez poindre en votre temps. Et il fera le tour du monde pour conter votre cœur mis à nu aux millions de frères qui vous restent ici-bas, qui vous ressemblent, et que vous ne connaissez pas.

Je vous prie de croire, monsieur Bovary, en l'expression de ma sororale cordialité.

 

Edith de Cornulier-Lucinière

 

mardi, 04 décembre 2012

Une chanson, trois films

Le vent des amoureux, Albert Lamorisse, Gary Tarn, Hugues de Montalembert, Black Sun, La Manic, Georges Dor

Black Sun : un documentaire de Gary Tarn sur Hugues de Montalembert, artiste français qui, à 35 ans, vivant à New York, rentre chez lui et trouve deux Noirs-Américains en pleine cambriole de son appartement. Il se rixe avec eux ; l'un d'eux lui balance de l'acide dans les yeux. Il pousse un hurlement de bête horrifiée : trop tard. Quelques heures plus tard, l'acide a fait le travail : il ne voit plus que la nuit, la nuit intérieure. Alors il sombre dans le désespoir.

Et puis il apprend à écouter, l'homme si visuel, et même à jouer de la musique.

Il retourne, seul, sans prévenir son entourage, en Indonésie, pays dont il aime les gens, dont il parle la langue. C'est la Renaissance d'un homme blessé dans sa passion, dans sa liberté.

 

(Au milieu des problèmes qui m'assaillent, des Que faire ?, de la rancoeur qui monte à propos de tant de gens, J'écoute « à la manic », du chanteur québécois Georges Dor, c'est beau, et je plonge dans l'univers d'Hugues de Montalembert qui a tellement plus de choses à pardonner...)

 Le vent des amoureux (Bâdeh Saaba), c'était un film pour grandes personnes, le premier qu'Albert Lamorisse, cinéaste du Ballon Rouge, de Bim le petit âne, de Crin Blanc, réalisait. Un documentaire pour les coeurs d'adultes, pour un fois. Mais Albert Lamorisse est mort dans un accident d'hélicoptère,  comme si le magicien des films d'enfant se refusait à voir son oeuvre adultine. Mehrdad Azarmi a fini de monter ce film iranien après la mort de son ami. 

(Quelle oeuvre en cours sera achevée par un ami pour la gloire d'un pays bien-aimé ?)

Il faut s'élever au-dessus de la médocrité qui nous encercle, renoncer à tout ressentiment - le pire venin qui soit. S'échapper comme Wang Fou, dont Marguerite Yourcenar a raconté deux fois l'histoire, une première fois pour les adultes, une deuxième pour les enfants, et que René Laloux a animé :

Plus nos pardons sont grands, plus notre âme est légère. Peu importe les chaînes de ceux qui s'ébattent et se débattent dans les paniers de crabes. Fiers d'être en haut ? Honteux d'être en bas ? C'est pourtant toujours le même panier !

« Solitude... Je ne crois pas comme ils croient. Je ne vis pas comme ils vivent. Je n’aime pas comme ils aiment... Je mourrai comme ils meurent ».
Yourcenar, dans sa jeunesse



Edith CL

vendredi, 09 novembre 2012

La confrérie de Baude Fastoul

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«Quid dulcius quam habere quicum omnia audeas sic loqui ut tecum?»
Cicero

La Confrérie de Baude Fastoul a été créée à la fin du mois de septembre, de l'an 2012.

De quoi s'agit-il ?

Un petit groupe de gens prend la décision de tenir un journal, quotidien si possible. Ils y consignent les faits du jour. Certains restent dans le domaine de leur profession, d'autres notent tout ce qui a lieu dans leur vie. Certains parlent de façon intime, d'autres écrivent quelques notations amusantes à propos de la journée. Certains couchent deux phrases, d'autres détaillent leurs achats, leurs émotions, le déroulement de leurs actions...

Tous sont Compagnons de Baude Fastoul. Tous participent à une grande fresque.

 

Une fresque ?

Une fresque littéraire ! Cette fresque, constituée de tous les journaux, sera le témoignage d'une époque donnée, par divers lorgnettes. Le lecteur du futur y trouvera des informations sur les professions des Compagnons, l'état des villes à notre époque, et tout ce qu'on trouve dans les textes d'époque.

Nous sommes issus d'univers politiques, sociaux, professionnels, différents, quelque fois antagonistes... La fresque sera bigarrée ! 

Afin que chacun reste libre d'écrire ce qu'il pense, nul n'est obligé de dévoiler son journal avant sa mort.

 

Post-Mortem...

Lorsque le dernier d'entre nous sera mort, un site Internet dévoilera tous les journaux. Trois sortes d'accès seront possibles. Un accès chrolologique : on clique sur une date - 3 novembre 2017, par exemple - et toutes les pages de journal écrites ce jour là apparaissent. Un accès lexical : on tape "mosquée" et toutes les pages de journal contenant ce mot apparaissent. La troisième entrée, est tout simplement l'entrée par personne : On clique sur "Sonia Branci" et son journal défile.

 

Moi, par exemple...

Je tiens mon journal depuis le 23 septembre.

Alors ?

L'impression de laisser quelque chose du jour en consignant quelques faits, quelques émotions dans ce journal, me soulage. Comme si j'avais trouvé une arme, une feinte, contre le temps.

La déception que ce que j'y consigne ne vaut pas tripette et ne ressemble pas à l'oeuvre que j'aimerais faire me dépite.

La structure que constitue cette confrérie de Baude Fastoul, l'espoir qu'un jour une grande fresque faite de dizaines de journaux se déroulera devant l'esprit de lecteurs qui n'auront pas connu les temps où nous écrivons, me donne du courage, en ôtant de l'importance à la qualité de mon journal, qui prend sa valeur conjointement aux autres journaux.

 

Les compagnons de Baude Fastoul à l'heure d'aujourd'hui :

Vincent Stanislas

Samuel de Cornulier

Sonia Branci

Jérémie Gallois

Anne de La Roche Saint-André

Jean-Pierre Bret

Dominique Le Brun

Axel Randers

Édith de Cornulier

Aleixandre Loisnac

Katharina Barrows

Javiera Coussieu

Mavra Nicolaïevna Novogrochneïeva

Maud Martin

Pascal Guimard

 

Mais qui est Baude Fastoul ?

Un trouvère picard du XIII°siècle.

Atteint de la lèpre, il savait qu'il lui fallait entrer dans une léproserie dont il ne sortirai jamais.

Alors il composa son congé : un chant en vers, pour dire adieu au monde et faire chanter son coeur avant de s'enfoncer dans le noir.

Merci à lui.

Merci à vous, mes Compagnons.

 

Edith de CL

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 Parmi les journaux passionnants qu'on peut lire, citons celui d'un bourgeois de Paris, datant du XV°siècle, celui de Dangeau (tenu à la Cour de Louis XIV), celui de l'armateur sablais André Collinet, celui de Cosima Wagner, qui nous révèle l'homme dont sortit Tannhauser...
Mentionnons enfin les correspondances (de Madame de Sévigné pour ne citer qu'elle), les mémoires (du Chancelier von Bülow, de Saint-Simon, etc mille autres mémoires).

Le témoignage direct de la vie d'une époque est ce qui nous intéresse. Et notre fresque fastoulienne permettra aux lecteurs de faire face à la multiplicité des façons de vivre, des idées, des interprétations... En plus de permettre une vision plus complète de la vie quotidienne de notre époque, puisque nous ne mentionnerons pas les mêmes types de détail.

 

POST-SCRIPTUM

Si d'aventure vous lisez ce message entre le 9 novembre et le 29, que vous êtes né avant 1990 et qu'en profondeur l'envie de participer vous prend, n'hésitez pas à nous le dire en commentant ce billet.

samedi, 27 octobre 2012

Jean-Christophe, de Romain Rolland

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 Le mardi soir, entre novembre 2011 et septembre 2012, fut consacré au roman-fleuve de Romain Rolland, Jean-Christophe. Des êtres venus d'ici ou de là se rassemblèrent le mardi soir pour lire à haute voix ce long roman.

Voici l'électro-page qui nous permit de suivre la lecture même si l'on ne venait pas tous les mardis. Vous y trouverez les résumés des séances de lecture et les prénoms de ceux qui vinrent lire.

Le Salon littéraire d'Edith continue. Pour en savoir plus, il faut cliquer sur le mot Mystère...

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A quelques centaines de mètres de l'immeuble où Jean-Christophe a été écrit, nous lisons dans une petite pièce au fond d'une cour, entre 20h30 et 22h00.

De nombreuses personnes arrivent sur cette page en ayant tapé "résumé de Jean Christophe de Romain Rolland" dans les moteurs de recherche. Il y a donc d'autres êtres humains qui lisent en ce moment Jean-Christophe, ou bien qui doivent avoir l'air de l'avoir lu, peut-être obligés par leur professeur ! Dans ce dernier cas il doit s'agir de pays (ex-)socialistes car ce sont eux qui ont gardé la lampe rollandienne allumée tandis que nous, Français, nous l'oubliions.

 

Quelques liens avant de lire le résumé de nos séances :

Un article de Dorian Wybot

Un article de Chantal Serrière

Un article de 1922, paru dans le cinquième numéro de la Revue Anarchiste, sur Romain Rolland.

Un article du Figaro à propos de la réédition de 2007, due à Francis Esménard

Se procurer Jean-Christophe

 

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Résumés des lectures

Mardi 8 novembre 2011

Officiants
Laure ; Alexandre ; Francis ; Vincent ; Dominique ; Jean-Pierre ; Stéphanie ; Emmanuel ; Édith

Romain Rolland a inventé l'expression « roman-fleuve » ; il a inventé l'expression « sentiment océanique », qu'on trouve dans sa correspondance avec Sigmund Freud. Il a milité pour l'Europe fraternelle ; il a été l'ami de Tolstoï et de son disciple Gandhi ; il a, comme eux, défendu les animaux. Il a été un pionnier de la musicologie.

Son roman Jean-Christophe, qui lui a fait obtenir le prix Nobel, a rendu ardents et fébriles d'enthousiasme des jeunes gens du monde entier pendant toute la première partie du XXème siècle. Dans le monde communiste il est demeuré un héros. Aujourd'hui, il est davantage lu et étudié à l'étranger que dans notre bonne vieille France.

Mais son Jean-Christophe a été conçu, et les premiers jets ont été écrits, au 162 boulevard du Montparnasse, dans l'obscurité.

C'est pourquoi, aujourd'hui, dans l'obscurité, un petit groupe de têtes fêlées se rassemble au 13 boulevard du Montparnasse le mardi soir, pour lire à voix haute le premier texte qu'on a appelé "roman-fleuve", l'histoire de Jean-Christophe Krafft.

Durant cette première lecture, nous avons appris des choses sur la naissance et l'enfance de notre héros.

"Aux âmes libres de toutes les nations qui souffrent, qui luttent et qui vaincront", telle est la dédicace de ce fleuve littéraire.
Suit la description de l'enfance : jeux, vitalité, amour, haine, peurs, chocs, craintes... Magnifique portrait d'enfant, sans aucune mièvrerie. Tout l'homme à venir est contenu dans le tout petit Christophe...

 "Les ombres fuient, le soleil monte. Christophe commence à retrouver son chemin dans le dédale de la journée.
Le matin... Ses parents dorment. Il est dans son petit lit, couché sur le dos. Il regarde les raies lumineuses qui dansent au plafond. C'est un amusement sans fin. A un moment, il rit tout haut, d'un de ces bons rires d'enfant qui dilatent le coeur de ceux qui les entendent. Sa mère se penche vers lui, et dit : "Qu'est-ce que tu as donc, petit fou ?" Alors il rit de plus belle, et peut-être même il se force à rire, parce qu'il a un public. Maman prend un air sévère, et met un doigt sur sa bouche, pour qu'il ne réveille pas le père ; mais ses yeux fatigués rient malgré elle. Ils chuchotent ensemble... Brusquement, un grognement furieux du père. Ils tressautent tous deux. Maman tourne précipitamment le dos, comme une petite fille coupable, elle fait semblant de dormir. Christophe s'enfonce dans son petit lit et retient son souffle..."

Mardi 15 novembre 2011

Officiants
Dominique, Jean-Pierre, Vincent, Agnès, Emmanuel, Francis, Laure, Edith

Nous avons lu les premières révoltes du petit Jean-Christophe, qui découvrait les différences sociales : sa mère Louisa est cuisinière chez des bourgeois, à qui elle parle avec déférence. Son beau costume est en fait un vieux costume du fils des bourgeois, ce que celui-ci fait remarquer en ricanant.
Jean-Christophe se révolte aussi contre l'école.
Il refuse d'être un enfant prodige du piano dont on exploite les dons.
Il découvre enfin que son père Melchior est alcoolique et en subit les effets.
Mais son grand-père Jean-Michel est une ressource vivifiante ; le monde imaginaire, la capacité d'invention, de contemplation, la vie mentale, sont également des ressources et des grandes forces de l'enfant. Le style de Romain Rolland est toujours aussi ample et beau.

 

Mardi 22 novembre 2011

Officiants :
Francis, Dominique, Vincent, Agnès, Anne, Emmanuel, Caroline, Édith

Petit musicien prodige, il ressent l'humiliation d'être utilisé, d'être montré comme un singe savant à la cour ducale : que fait-on de sa dignité ? Comment les membres de sa famille peuvent-ils se comporter volontiers en valets ?
Les exemples autour de lui sont contradictoires : les Krafft, musiciens de talent, ambitieux, volontiers valets envers les ducs mais aussi volontiers méprisants envers le peuple, s'opposent à sa famille maternelle, plus simple, sans haute culture, mais aussi plus libre. Où se situer, que choisir entre ces deux modèles ?
Jean Christophe en tout cas est décidé à devenir compositeur de musique. La vie est ambivalente : grands moments de douleur et de maltraitance, visions extatiques musicales et mystiques, magnifiques promenades nocturnes au son des grenouilles et des grillons, sous les étoiles.
Le style de Romain Rolland est toujours aussi somptueux, ample, à la fois structuré et poétique : comment se fait-il qu'on l'ait tant oublié ?

 

Mardi 29 novembre

Officiants
Vincent St, Dominique, Anthony, Jérémie, Alexandre, Caroline, Agnès, Laure, Edith

L'enfance est derrière nous, Jean-Christophe, après la mort de son cher grand-père Jean-Michel Krafft, est entré dans l'adolescence. 

Devenu soutien de famille, il travaille sans cesse.

Un jour, dans un bateau, il rencontre un garçon, Otto. Ils font connaissance et c'est la première fois que Jean-Christophe, d'ordinaire si solitaire, si loin des enfants de son âge, a un ami. 

Cette amitié entre Christophe et Otto est passionnelle, mais après quelques mois de passion suprême on sent poindre le dépit mutuel. 

 

Mardi 6 décembre

Officiants
Vincent Pt, Laure, Agnès, Émilie, Anthony, Vincent St, Emmanuel, Édith

L'adolescence continue et avec elle son cortège d'amères amours.
L'amitié qui liait Otto et Christophe a crevé comme un ballon, disparu aussi vite qu'elle est née. D'ailleurs, Otto est parti étudier loin, à l'université.
Mais une autre histoire, non moins passionnelle, débute entre Christophe et sa nouvelle voisine Minna de Kérich. Quand la charmante madame de Kérich réalise la flamme naissante entre sa fille et le jeune professeur de piano de celle-ci, sa sympathique bienveillance envers le garçon fond comme neige au soleil. Elle emmène Minna en vacances dans la belle et grande ville de Francfort et s'applique à lui faire oublier le jeune garçon, certes doué et amoureux, mais incapable de tenir une fourchette correctement ou de mâcher bouche fermée.

Christophe se rend brutalement compte qu'il est devenu persona non grata chez les Kérich, une humiliation de plus dans sa vie qui n'en a pas manqué, entre un père alcoolique et flambeur, une mère d'un milieu social inférieur aux célèbres musiciens Krafft, ses désirs d'être un artiste libre et sa posture de valet-musicien.

 

13 décembre 2011

Officiants
Mavra, Dominique, Vincent St, Edith

Après l'humiliation due à la rupture forcée d'avec Minna, Christophe se morfond dans les abîmes du désespoir.
Et puis une nuit, on frappe à la porte. Il entend sa mère aller ouvrir, pousser un cri effrayant ; il se précipite ; devant la porte de la maison, Melchior est là, étendu sur une civière. Il s'est noyé.

La mort de son père éveille Christophe, le sort de sa torpeur. Mais sa mère Louisa, elle, perd le sens de sa vie. Elle devient vieille. Elle n'a plus de mari à soutenir, d'enfants en bas à âge. Elle n'a plus goût à la vie.
Christophe s'occupe d'elle, lui promet de rester avec elle.

L'argent vient à manquer... On se décide à aller emménager dans un appartement, au-dessus de chez des vieux amis.
Adieu, belle maison, adieu souvenirs de la gloire passée des musiciens Krafft !
Dans la nouvelle maison, loin du fleuve, il y a du bruit, de l'inconfort. Christophe est assailli par une crise intérieure : il ne croit plus en Dieu !
Et puis tout son être est mangé par une étrange métamorphose. C'est l'adolescence, la vraie, fracassante, qui s'immisce en lui et lui fait risquer de perdre tout ce qu'il avait construit.
Alors se pose une nouvelle question, qui terrasse toutes les autres, qui met sa vie en jeu.
Qui est-il vraiment ?

 

13 janvier 2012

Officiants
Mavra, Vincent St, Dominique, Vincent P, Laure, Théo, Jérémie, Edith

Stupeur totale dès le début de la lecture. Notre éthéré Jean-Christophe, ébloui par la beauté des nuages, assailli par d'étranges flux intérieurs, se jette sur une paysanne dans un champ ! La jeune fille le griffe, le rue de coup, s'en débarrasse. Christophe abattu se terre plusieurs semaines chez lui. Mais, en face de chez lui, habite Sabine. Elle est belle et libre et mystérieuse, jeune veuve avec une fillette. Ils prennent contact tout doucement, quelque chose va avoir lieu... Et nous finissons la lecture par un profond abattement. Sabine est morte en l'absence de Christophe.
Dernier paragraphe : "Chacun remonte à son tour le calvaire des siècles. Chacun retrouve l'espoir désespéré des siècles. Chacun remet ses pas dans les pas de ceux qui furent, qui luttèrent avant lui contre la mort, nièrent la mort, - sont morts."

 

10 janvier

Officiants
Anthony, Laure, Dominique, Mavra, Aurélie, Vincent P, Emilie, Alexandre, Francis, Emmanuel, Edith

Jean-Christophe s'enferme en lui-même après le deuil de Sabine, jusqu'à ce qu'il rencontre dans un bois une jeune femme délurée en train de manger des prunes. Avec Otto, avec Minna, avec Sabine, tout avait été si platonique que nous avons été étonnés par nos jeunes amants dont la première nuit fut si torride. Au réveil, Christophe trouve Ada laide, mais quand elle s'éveille elle semble à nouveau belle et l'histoire d'amour se poursuit. La bourgeoisie de la ville est choquée, Christophe se fâche avec ses logeurs qui le critiquent devant sa mère. Il se fâche tellement fort que Christophe et sa mère Louisa doivent trouver une autre maison.
Au moment du déménagement, réapparait Ernst, un des jeunes frères de Christophe. Criblé de dettes, sans rien, malade, il est accueilli comme le fils prodige par Louisa et Christophe, qui ne savent pas qu'il est manipulateur. Christophe présente Ada à Ernst : perfides, ils sortent ensemble pour narguer Christophe. La séance s'est terminée sur la stupeur douloureuse de Christophe qui vient de le comprendre.

 

17 janvier 2012

Officiants
Mavra, Laure, Dominique, Sophie, Théo, Edith

Trompé par son amante Ada et par son frère Ernst, Christophe plonge dans une vie de débauche jusqu'à la visite de l'oncle Gottfried, le frère de sa mère, humble colporteur qui lui rappelle en quelques mots que Christophe vaut mieux que cela.
Christophe s'éveille alors à nouveau à lui-même et se remet à la création musicale. Il éprouve de grandes déceptions en réalisant que l'oeuvre des plus grands maîtres allemands ne sont pas exemptes de facilités, de fadaises. Il clame bien haut son mépris et décide, lui, d'être au-dessus de tout ce qui a pu être composé avant lui. Il énerve ses collègues par son arrogance et au moment où nous avons terminé la séance, Jean-Christophe achève la répétition générale avec ses musiciens, juste avant le premier concert où il s'exposera comme compositeur devant la ville entière, pour la première fois.

 

24 janvier

Officiants
Mavra, Vincent St, Dominique, Emilie, Vincent P, Aleixandre, Emmanuel, Edith

Le premier concert de Christophe dans sa ville est un échec. Christophe en profite pour développer son amertume, déjà bien présente. Il rencontre dans un café un jeune homme, Franz Mannheim, fils du banquier juif Lothar Mannheim, qui l'initie à un petit groupes de snobs composés de fils de famille juifs et nobles, qui voudraient se prendre pour des anarchistes, des originaux, des révoltés.
Christophe rencontre Judith, la soeur de Franz. Ils se séduisent intellectuellement mais ne s'aiment pas. Christophe devient critique dans la revue du petit groupe de snobs.
Il éreinte les compositeurs, les musiciens, les divas, le public, ce qui effraye la ville. Il ose enfreindre le "tabou" journalistique et prend la liberté d'éreinter un confrère, de s'attaquer non plus aux musiciens, mais aux critiques musicaux. Alors, l'ostracisme commence.

 

8 février

Officiants
Mavra, Jérémie, Vincent P, Dominique, Laure, Emmanuel, Théo, Francis, Edith

Jean Christophe se rapproche d'un groupe de wagnériens patentés, mais se lasse vite de leur admiration servile pour un maître qu'ils estiment indépassable. Plus que jamais lassé de l'esprit allemand, il va un soir au théâtre voir une pièce jouée par une troupe française, sans espoir, les Français étant encore plus vulgaires que les Allemands. De fait, le rôle d'Hamlet est tenu par une femme traverstie. Christophe s'étrangle de rage et méprise cette époque (XIX°siècle) qui va jusqu'à confondre les sexes, quand soudain l'actrie qui joue Ophélie apparaît. Fasciné par cette femme, Christophe va lui porter son admiration le lendemain. Il découvre qu'elle a bon goût en musique. Une amitié s'établit entre eux. Christophe entre ainsi, via Corinne, en contact avec la France...

 

14 février

Officiants
Mavra, Vincent P, Jérémie, Aleixandre, Vincent S, Emilie, Edith

L'espiègle Corinne disparait dans ses tournées lointaines. L'autre française, une petite jeune femme timide qui a perdu son travail de gouvernante à cause de Christophe (ou plutôt d'une machination ourdie par Mannheim) rentre en France. Christophe se dispute avec ses amis de la revue dans laquelle il écrit.
On joue une de ses oeuvres de façon ridicule à seule fin de se ridiculiser. Privé de sa revue, il écrit dans un journal socialiste pour répondre à l'humiliation dont on a couvert sa musique, mais c'est un journal qui couvre de boue, chaque jour, son patron le Grand Duc. Celui-ci le vire, lui retire son statut de musicien officiel et sa protection.Il s'enfuit vers le Rhin, se retrouve là où son père s'est noyé, songe à se noyer. Mais les beaux yeux d'une vache qui pait, la fraicheur d'une fillette, la beauté humide de la terre, l'en empêchent. Il embrasse un arbre, crie son amour pour la vie. Souffrir même, c'est être vivant ! Il aime être vivant !
Christophe compose dans la solitude. Il prend sur lui de publier sa musique à ses frais, mais l'éditeur qu'il contacte est nullissime, l'arnaque et ne vend aucun exemplaire.

 

21 février

Officiants
Mavra, Caroline, Vincent P, Théo, Dalila, Aleixandre, Anthony, Jérémie, Vincent S, Francis, Laure, Edith

Jean-Christophe ruiné doit trouver un travail. Il devient professeur de musique (sous-payé) dans une école, où il ne se fait pas bien voir. Dans son malheur et sa solitude il rencontre le couple des Reinhart, monsieur et madame sont disgracieux (Romain Rolland insiste), d'une grande gentillesse, d'une grande ouverture d'esprit, très épris l'un de l'autre. Christophe trouve du confort et se rend chaque soir chez ses nouveaux amis. Mais cette amitié est vue d'un mauvais oeil par la bourgeoisie de la ville, qui hait Christophe et ne peut comprendre une telle amitié. Des lettres anonymes, envoyées sans relâche à M Reinhart, à son épouse et à Christophe, dénoncent une liaison entre Madame Reinhart et Christophe. Bien que ces allégations soient fausses, le harcèlement harasse nos amis, trouble leur amitié. Ils décident de ne plus se voir.
Christophe à nouveau tout seul part à la recherche de Hassler, le musicien que, petit enfant, il avait regardé avec émerveillement. Hassler avait dit au petit prodige de venir le voir quand il serait grand et qu'il aurait besoin de conseils.
Christophe entreprend un voyage pour rencontrer le Maître et trouve un Hassler vieilli, prétentieux, fatigué et vulgaire. Hassler trouve de l'intérêt aux compositions de Christophe, il montre qu'il les trouve supérieures à tout ce qui se fait, mais son enthousiasme retombe, il replonge en léthargie, nargue Christophe qui se trouve dans la rue, grosjean comme devant.

 

28 février

Officiants
Mavra, Anthony, Laure, Vincent S, Dalila,Théo, Vincent P, Eric, Dominique, Philippe, édith

Jean-Christophe, désespéré de sa rencontre avec Hassler, écrit à Shulz, le vieil universitaire musicien qui lui avait écrit des lettres si pleines d'admiration, et auquel il avait répondu sans générosité. Mais il a besoin d'approbation et annonce donc sa visite à son admirateur. Celui-ci est fou de joie. Il appelle ses deux meilleurs amis pour partager la joie de rencontrer leur idole. Christophe prend le train. Hassler pendant ce temps se repent d'avoir si mal reçu un musicien si doué et écrit une lettre à l'hôtel de Christophe : trop tard, celui-ci est parti de la ville.
Christophe passe deux jours en compagnie de Shulz et de ses deux amis, à faire de la musique et se promener. Pour Schulz, ce sont des moments merveilleux que cette rencontre avec un musicien tant admiré, dont les oeuvres ont bouleversé sa vie. Mais Christophe repart en train, puis, faute d'argent, compte finir à pied la route jusqu'à sa ville (60 kilomètres). En chemin, il s'arrête dans une chaumine paysanne. Là, il découvre un objet qui appartenait à son oncle maternel Gottfried, le colporteur plein d'humilité et de sagesse. Il s'exclame de surprise ; on lui explique que Gottfried était un ami de la maison et que c'est ici qu'il est mort...

 

6 mars

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Mavra, Vincent P, Laure, Dalila, Emilie, Edith

Jean-Christophe chez cette famille apprend des choses sur la vie de son oncle mystérieux. Puis il reprend la route et regagne sa petite ville. Là, il y retrouve cette vie devenue morne, sans amis, sans amours, sans possibilité professionnelle.
Il souhaite émigrer en France et s'attèle à son projet mais sa mère, épouvantée d'être séparée de son seul compagnon de vie, lui fait des scènes telles qu'il n'ose plus partir. Il se résout donc à vivre dans le malheur et le désespoir et sa seule joie est d'observer une jeune fille d'un village voisin, dont il se croit amoureux et qui le trouve ridicule. Un soir qu'il se rend à une fête de village pour observer la jeune fille à son aise, il salue sa mère et lui souhaite une bonne nuit. Elle est belle dans la lumière de sa chambre... Il ignore que cette image est la dernière qu'il emportera d'elle.
Lors de la fête, des militaires débarquent et malmènent les paysans. Lorsqu'un militaire s'en prend à la fille aimée, Christophe réagit et se bat. Encouragés, les paysans se redressent et s'en prennent aux militaires. Une échaffourée a lieu. Plusieurs militaires sont gravement blessés ; d'autres vont chercher du renfort. C'est alors que les paysans réalisent l'étendue du désastre : ils seront sévèrement punis. Ils décident de faire porter la faute à Christophe, mais l'amoureuse moqueuse s'est pris de respect pour lui et exige qu'on ne lui fasse pas tout payer. Christophe toutefois doit passer la frontière, pour ne pas être arrêté. Il écrit un mot à sa mère, que la jeune fille promet de porter, et fuit vers la frontière. 

 

13 mars

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Dominique, Mavra, Vincent S, Edith

Jean-Christophe arrive... à Paris ! Paris est sale, Paris est mal-accueillant, Paris est cher, Paris est snob et arrogant... Et Christophe pleure dans son lit ultracrade de la trop chère chambre de l'Hôtel de la Civilisation, non loin de la gare du Nord.
Christophe est maladroit, gauche, il parle dans un français épouvantable et d'ailleurs les gens de son hôtel le surnomment "Choucroute" ou "Le Prussien".
Il retrouve Otto Diener, l'ami fusionnel de ses quatorze ans... Mais Otto le snobe. Il va alors chercher Sylvain Kohn, qu'il maltraitait à l'école... Et Sylvain Kohn, qui s'appelle maintenant Hamilton, l'accueille très bien et lui fait rencontrer un éditeur de musique.
à noter, entre la fin du quatrième livre (La Révolte) et le début de La Foire sur la Place, un "Dialogue de l'auteur avec son ombre", où Romain Rolland et Christophe s'entretiennent de la personnalité de Christophe, de savoir lequel est l'ombre de l'autre... "Comme tu as grandi ! Je te préférais enfant", dit Romain Rolland à Christophe...

 

20 mars

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Laure, Mavra, Dominique, Vincent P, Vincent S, Edith

"Tout musique expressive, descriptive, suggestive, en un mot toute musique qui voulait dire quelque chose, était taxée d'impure. - Dans chaque Français, il y a un Robespierre. Il faut toujours qu'il décapite quelqu'un ou quelque chose, afin de le rendre pur".

Passionnant lecture où la vie intellectuelle et politique parisienne de l'époque est décrite. Comme c'est d'actualité ! Christophe est supris par le nombre de Français portant des noms étrangers, levantins, slaves, etc. Le débat sur le droit d'auteur fait rage. Enfin la création de la Schola Cantorum est relatée.

Christophe se familiarise avec Paris, il dit même "tu parles !" de temps en temps. Il méprise la musique française et l'orgueil français le stupéfie... Mais un jour, ses amis Sylvain Kohn, dit Hamilton et Théophile Gougeart, critique musical incompétent, l'emmènent écouter Pelléas et Mélisandre. Alors Christophe, d'abord perplexe, comprend qu'il se passe quelque chose musicalement. 

 

27 mars

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Jérémie, Mavra, Emmanuel, Edith

Nous avons appris l'expression sicut amori lupanar. Ce que le lupanar est à l'amour. (Exemple : Le nutella est au chocolat sicut amori lupanar, autant dire un succédané méprisable).

Nous avons accompagné Christophe dans sa révolte contre l'atroce monde littéraire et théâtral français : apologie de l'immoralité sexuelle, concurrence des auteurs pour choquer le bourgeois, incapacité du bourgeois parisien à être choqué par quoi que ce soit, théâtre subventionnés grassement ne servant que des auteurs pitoyables à la mode, critiques ménageant leurs amis ou carrément achetés par un théâtre ou un éditeur, hyperprésence des auteurs cosmopolites, venus de partout, sans réelle origine française.
Un des passages qui nous a plu se trouve ici.

 

3 avril

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Vincent P, Dominique, Emilie, Vincent S, Laure, Edith

Très belle description d'un Paris qui court après la libéralisation des moeurs (sexuelles), dominé par des socialistes qui cassent du bourgeois en public et en privé font d'excellentes affaires. Tous les artistes se doivent être de gauche. Très belle description enfin de la Séparation de l'Eglise et de l'Etat. Et, pour la première fois, nous savons  exactement la date des événements vécus par Jean-Christophe ! Nous sommes en 1905. Une des élèves de Christophe, Colette, devient sa confidente. Mais ils se fâchent parce qu'elle veut papillonner dans un monde hypocrite, ce qui énerve Christophe. Lui-même, entrevoit la possibilité de devenir un chef de file, de se créer une cour de parasites admirateurs qui le soutiendraient... Mais il détruit cette possibilité, parce qu'il sent au fond de lui qu'il est fait pour quelque chose de réellement grand. Il se met à composer comme un fou. Toutefois, ayant refusé de jouer aux côteries, il ne trouve nulle salle où jouer ses oeuvres.
Et la dernière phrase de notre lecture fut : "Christophe travaillait donc en paix, attendant des temps meilleurs, quand lui vint un secours inattendu".

10 avril

Officiants :
Anthony, Vincent P, Mavra, Dominique, Laure, Dalila, Théo, Edith

Christophe devient le professeur de Grazia, jeune cousine italienne de Colette. Grazia, timide, âgée de 14 ans, orpheline de mère, a été amenée à Paris de force par son oncle et sa tante "pour son bien", alors qu'elle et son père auraient préféré vivre ensemble en Italie.

Grazia est une mauvaise élève de piano et Christophe ne la ménage pas. Grazia parvient à demander à son père de la reprendre en Italie et il le fait avec soulagement. Elle repart donc et d'Italie envoie une lettre à Christophe, mais la lettre se perd et il ne la reçoit pas. Romain Rolland nous annonce : "Christophe ignorait la naïve affection, qui de loin veillait sur lui, et qui devait plus tard tenir tant de sa place dans sa vie".

Christophe n'a pas de quoi se nourrir à sa faim. Il vit dans une mansarde de Montmartre, plus misérable encore que la précédente. Il vit de musique et de visions, marche dans la ville. Il s'est fâché avec beaucoup de connaissances parisiennes. Il a la nostalgie de la musique allemande.

Au concert, il se trouve souvent en même temps qu'une petite "grisette" parisienne. Ils ne se parlent presque pas, ne se voient qu'au concert mais sont heureux d'exister l'un pour l'autre.

Un jour, par désoeuvrement, Christophe entre au Louvre. Il y déambule et finit par tomber en arrêt devant Le Bon Samaritain de Rembrandt. Il défaille tant il est subjugué par cette peinture. En sortant du Louvre, il parvient à rentrer chez lui à grand peine. Il se met au lit et tombe dans un délire. A son réveil, fiévreux, une femme le veille. C'est Sidonie, une domestique qui habite dans une mansarde sur le même palier et qui l'a entendu gémir.

Sidonie lui donne une autre image de la France : "Il découvrait avec surprise l'intransigeante honnêteté de Sidonie. (...) Elle avait son orgueil aristocratique. Car c'est une sottise de croire que qui dit : peuple, dit : populaire. Le peuple a ses aristocrates, de même que la bourgeoisie a ses âmes de la plèbe. (...) Il entrevoyait, peut-être pour la première fois, ce peuple de France, qui donne l'impression d'une durée éternelle, qui fait corps avec sa terre, qui a vu passer, comme elle, tant de races conquérantes, tant de maîtres d'un jour, et qui ne passe point".

17 avril

Officiants :
Mavra, Jérémie, Vincent, Anthony, Dominique, Dalila, Edith

Grâce aux soins de Sidonie, Christophe guérit. Elle tombe amoureuse de lui et attend sans doute une geste de sa part. Il ne s'en rend pas compte. Elle démissionne de sa place de domestique et quitte l'immeuble, sans que Christophe comprenne que c'est à cause de lui.

Requinqué, il recommence ses travaux lassants pour l'éditeur de musique Hecht, dans une grande solitude. Il reçoit un jour une invitation de madame Roussin à une Soirée. Il accepte sans joie, pour sortir de son isolement.

Au cours de cette soirée, il fait la connaissance d'un jeune homme pale, sérieux, ultratimide. Ce jeune homme s'appelle Olivier Jeannin et il aime profondément la musique de Christophe.

Alors nous plongeons soudain dans l'histoire d'Olivier, Romain Rolland nous raconte toute son enfance. Nous découvrons que ce nom de Jeannin ne nous est pas inconnu : c'est le nom de l'institutrice française que Christophe avait invité inopinément un soir au théâtre en Allemagne, invitation à cause de laquelle elle avait perdu sa place et avait dû revenir en France. D'elle il n'avait su qu'une chose : qu'elle était le seul soutien de son jeune frère parisien. Le jeune frère est donc Olivier. Nous le savons, nous lecteurs, mais lui, Christophe, n'a pas encore fait le rapprochement entre l'institutrice Antoinette et le jeune parisien Olivier Jeannin.

L'enfance d'Olivier et de sa soeur Antoinette prend de nombreuses pages, parmi lesquelles ce passage descriptif :

"Au-dehors, le bruit du maréchal ferrant dans la forge d'en face, la danse boiteuse des marteaux sur l'enclume, le halètement du soufflet poussif ; l'odeur de la corne grillée, les battoirs des laveuses accroupies au bord de l'eau, les coups sourds du couperet du boucher dans la maison voisine, le pas d'un cheval sonnant sur le pavé de la rue, le grincement d'une pompe, le pont tournant sur le canal, les lourds bateaux, chargés de pile de bois, lentement défilant, halés au bout d'une corde, devant le jardin suspendu, la petite cour dallée, avec un carré de terre, où poussaient deux lilas, au milieu d'un massif de géraniums et de pétunias, les caisses de lauriers et de grenadiers en fleurs sur la terrasse au-dessus du canal ; parfois, le vacarme d'une foire sur la place voisine, les paysans en blouse bleue luisante, et les cochons braillants... Et le dimanche, à l'église, le chantre qui chantait faux, le vieux curé qui s'endormait en disant la messe, la promenade en famille sur l'avenue de la gare, où l'on passait son temps à échanger des coups de chapeau cérémonieux avec d'autres malheureux, qui se croyaient également obligés à se promener ensemble, - jusqu'à ce qu'enfin on arrivât dans les champs ensoleillés, au-dessus desquels, invisibles, se balançaient les alouettes, - ou le long du canal miroitant et mort, des deux côtés duquel les peupliers alignés frissonnaient... Et puis, c'était les grands dîners, les mangeries interminables, où l'on parlait de mangeaille, avec science et volupté : car il n'y avait là que des connaisseurs ; et la gourmandise est, en province, la grande occupation, l'Art par excellence. Et l'on parlait aussi d'affaires et de gauloiseries et, ça et là, de maladies, avec des détails sans fin... - Et le petit garçon, assis dans son coin, ne faisait pas plus de bruit qu'une petite souris, grignotait, ne mangeait guère, et écoutait de toutes ses oreilles. Rien ne lui échappait ; ce qu'il entendait mal, son imagination y suppléait."

24 avril 2012

Officiants :
Dominique, Vincent S, Mavra, Vincent P, Marc, Stéphanie, Emmanuel, Edith

C'est la première fois depuis le début du roman que nous n'avons pas entendu mentionner Jean-Christophe pendant toute la lecture.

Nous poursuivons l'enfance d'Olivier Jeannin et de sa soeur Antoinette. Le père est un riche banquier, fils de banquier, la famille est influente dans tout le voisinage.

Mais monsieur Jeannin fait de mauvaise affaires (des emprunts miteux) et se ruine. Il se tire une balle dans la tête. Son épouse et ses enfants font face à des créanciers impitoyables (les amis d'hier !) ; l'Eglise refuse d'enterrer un suicidé ; la mère et ses deux enfants vendent tout et partent à Paris.

Paris les accueille mal : arnaque des commerçants, mépris de la famille de madame Jeannin, qui ne veut pas s'encombrer de cette femme et de ses deux enfants ruinés et humiliés.

Alors madame Jeannin se met au travail. Sa fille Antoinette aussi. Le fils Olivier fréquente le lycée. Vie de privations, d'humiliation mais aussi de grand amour partagé à trois. Et puis madame Jeannin meurt, accablée par les travaux. Les deux enfants se retrouvent seuls. Antoinette pourvoit aux soins de son frère et à ses études en travaillant tant qu'elle peut. Olivier et elle vivent dans la solitude, l'affection fraternelle, l'amour de la musique et la misère. Olivier peu à peu grandit et Antoinette découvre avec tristesse que l'adolescence de son frère lui arrache un ange. Car Olivier entre dans l'âge ingrat.

La dernière entrevue entre Olivier et son père : "Ils s'assirent. Une belle nuit de septembre. Le ciel limpide et obscur. L'odeur sucrée des pétunias se mêlait à l'odeur fade et un peu corrompue du canal sombre, qui dormait au pied du mur de la terrasse. Des papillons du soir, des grands sphinx blonds, battaient des ailes autour des fleurs, avec un ronflement de petit rouet. Les voix calmes des voisins assis devant leurs portes, de l'autre côté du canal, résonnaient dans le silence. Dans la maison, Antoinette jouait sur son piano des cavatines à fioritures italiennes. M. jeannin tenait la main d'Olivier dans sa main. Il fumait. L'enfant voyait dans l'obscurité qui lui dérobaient peu à peu les traits de son père la petite lumière de la pipe, qui se rallumait, s'éteignait par bouffées, se rallumait, finit par s'éteindre tout à fait. Ils ne causaient point. Olivier demanda le nom de quelques étoiles".

Vincent P a photographié, au cours d'une balade aux Lilas, ceci :

école Romain Rolland, Les Lilas, Vincent Petit, Vincent Sterne


Premier mai

Officiants
Mavra, Laure, Dominique, Vincent P, Théo, Vincent S, Jérémie, Francis, Dalila, Edith

Antoinette et Olivier poursuivent leur vie de solitude et de labeur. Olivier rate son bac une première fois, non par incapacité intellectuelle mais par une trop grande émotion face à la pression des concours, à la pression qui pèse sur lui. Pour les deux jeunes gens c'est un drame ; mais ils n'en montrent rien et l'année suivante Olivier repasse le bac. Ils craignent bien qu'il échoue à nouveau, pourtant il est admissible, puis admis. La soeur offre alors à son frère des vacances en Suisse. C'est là que la maladie d'Antoinette, qui couvait, se déclare. Antoinette s'est trop sacrifiée ces dernières années. Elle a épuisé ses forces vitales. Nous revivons les trois rencontres ayant eu lieu entre Antoinette et Christophe (au théâtre en Allemagne, dans le train allemand, au milieu des voitures parisiennes), cette fois-ci vu du point de vue d'Antoinette. Antoinette et Olivier un soir à Paris vont au concert : c'est précisément un concert de Christophe Krafft, où celui-ci se fait huer. Antoinette reconnaît le jeune homme allemand, elle achète ses partitions, et trouve celle dédiée à "ma pauvre chère petite victime", avec la date de leur rencontre au théâtre (elle avait perdu sa place d'institutrice en Allemagne pour cette soirée). C'est une sorte d'accomplissement de son amour, même si entre elle et Christophe tout n'est qu'une suite de rencontres ratées. Elle lui écrit une lettre d'amour et d'appel au secours un soir, mais range la lettre dans un livre, "Puis elle se coucha, grelottante de fièvre. Le mot de l'énigme se découvrait : elle sentait s'accomplir en elle la volonté de Dieu. Et une grande paix descendit en elle".

 

8 Mai

Officiants
Mavra, Laure, Vincent S, Dominique, Vincent P, Dalila, Anthony, Jérémie, Edith

Nous assistâmes au début d'une merveilleuse amitié, quasi-amoueuse, entre Olivier Jeannin et Jean-Christophe Krafft, une amitié qui pousse Christophe à dire à Olivier, le lendemain de leur rencontre : "je vous aime".
Les deux jeunes hommes aménagent ensemble, en colocation.
Romain Rolland, réputé pour être un pacifiste internationaliste, consacre de longues pages sur la beauté de la race française, et sur la douleur du peuple français, écrasé sous l'hyperprésence des métèques (extrait ici).

 

15 mai

Officiants
Mavra, Marie-Thérèse, Vincent S, Francis, Dominique, Vincent P, Ingrid, Edith

Romain Rolland, à travers la relation d'amitié entre les colocataires Olivier et Christophe, poursuit ses considérations sur la France décadente. Il note que des idées, telles que "La France aux Français", ne sont pas réellement françaises, puisque la France est universelle. Comment fait-elle alors pour lutter contre la décadence métèque ? Par l'universalité ! La France a un estomac énorme : elle ingère et digère l'étranger : le Nord trouble, le Midi barbare et l'Orient vénéneux.

"- Voudrais-tu que je reprisse la vieille devise de haine : Fuori Barbari ! ou : la France aux Français !

- Pourquoi pas ? dit Christophe.

- Non, ce ne sont pas là des paroles françaises. En vain les propage-t-on chez nous, sous couleur de patriotisme. Bon pour les patries barbares ! La nôtre n'est point faite pour la haine. Notre génie ne s'affirme pas en niant ou détruisant les autres, mais en les absorbant. Laissez venir à nous et le Nord trouble et le Midi bavard...

- Et l'Orient vénéneux ?

- Et l'Orient vénéneux : nous l'absorberons comme le reste ; nous en avons absorbé bien d'autres ! Je ris des airs triomphants qu'il prend et de la pusillanimité de certains de ma race. Il croit nous avoir conquis, il fait la roue sur nos boulevards, dans nos journaux, nos revues et nos scènes de théâtre, sur nos scènes politiques. Le sot ! Il est conquis. Il s'éliminera de lui-même, après nous avoir nourris. La Gaule a bon estomac  ; en vingt siècles, elle a digéré plus d'une civilisation."

 

Mardi 22

Officiants
Agnès, Dominique, Anthony, Claudine, Mireille, Francis, Théo, Vincent S, Edith

Jean-Christophe et Olivier mènent une vie de bohème. Romain Rolland nous décrit leur voisins, leur immeuble... Ils sont soutenus par un homme nommé Mooch, pour lequel Christophe éprouve des sentiments ambivalents car il est Juif. (Il lui dit : "Quel malheur que vous soyiez Juif !", ce qui fait honte à Olivier). Mooch répond finement : "C'est un bien plus grand malheur d'être un homme".

À cause de Colette Stevens (une ancienne élève de Christophe, que nous avions vu il y a quelques chapitres), qui répète des confidences d'Olivier à la terre entière et surtout à Lucien Levy-Bruhl, ennemi de Christophe, celui-ci et Olivier sont en froid. Christophe se bat en duel contre Levy-Bruhl ; personne n'est blessé ni ne meurt car ils ne savent pas tirer. Au retour du duel, réconciliation entre Christophe et Olivier.

 

Mardi 29

Officiants
Laure, Dominique, Mavra, Vincent P, Emmanuel, Marie-Thérèse, Vincent S, Dalila, Francis, Edith

Long passage sur les relations de voisinage entre Christophe, Olivier et leurs voisins.

 

Mardi 5 juin

Officiants
Jérémie, Mavra, Sonia, Dominique, Sophie, Anthony, Théo, Aleixandre, Ingrid, Dalila, Edith

Une séance dense.
Les relations entre l'Allemagne et la France se distendent, on croit à la guerre, Christophe et Olivier sont déchirés dans leur amitié franco-allemande... Mais l'orage passe, la guerre n'est pas déclarée.

Christophe reçoit une lettre de sa mère, qui veut le revoir avant de mourir. Olivier se saigne, déposant au Mont-de-Piété des objets chers à son coeur, pour que Christophe puisse prendre le train pour l'Allemagne. Christophe arrive à temps pour voir sa mère, l'embrasser avant qu'elle ne meure, mais il doit fuir la police et c'est Olivier, arrivé à sa suite grâce à l'argent de Mooch, qui s'occupe de l'enterrerment avec les frères indifférents de Christophe.

Christophe revoit le Rhin près duquel il a grandi avant de passer la frontière...

Retour à Paris : Christophe devient enfin célèbre. Les journalistes se pressent chez lui, chacun veut le voir et produire ses opéras. Il est un "génie" officiel. Christophe se laisse un peu griser, sans être dupe ; Olivier est inquiet et se demande si le caractère entier de son ami ne va pas le pousser à dire quelque bêtise et à faire scandale.

 

Mardi 12 juin

Officiants
Anthony, Mavra, Emmanuel, Laure, Vincent P, Alexandre, Fabien, Marie-Thérèse, Edith

Olivier et Christophe rencontrent une jeune femme riche nommée Jacqueline Langeais, charmante, d'à peine vingt ans. Ils s'en éprennent tous deux - mais elle aime Olivier. Christophe s'en rend compte et se met au service de leur histoire d'amour. Il convainc les réticences du père de Jacqueline. Olivier et Jacqueline se marient à la mairie, refusant l'église. Christophe s'apprête à composer pour leur mariage mais l'idée d'un mariage républicain le hérisse. Olivier et Jacqueline partent en voyage de noces en Italie, Olivier très lointain envers Christophe, tout à son nouvel amour...


"Christophe s'était fait beau, presque élégant, pour la cérémonie. Il n'y avait pas de mariage religieux : ni Olivier, indifférent, ni Jacqueline, révoltée, n'en avaient voulu. Christophe avait écrit pour la mairie un morceau symphonique ; mais au dernier moment, il y renonça, après s'être rendu compte de ce qu'est un mariage civil : il trouvait cette cérémonie ridicule. Il faut, pour y croire, être bien dépourvu de foi et de liberté, tout ensemble. Quand un vrai catholique se donne la peine de devenir libre penseur, ce n'est pas pour faire d'un fonctionnaire de l'état civil un prêtre. Entre Dieu et la libre conscience, il n'est aucune place pour  une religion de l'Etat. L'Etat enregistre, il ne lui appartient pas d'unir".

 

Mardi 19 juin

Officiants
Mavra, Dominique, Vincent, Dalila, Francis, Edith

Olivier et Jacqueline s'aiment à la folie, puis s'ennuient ensemble, puis se délitent l'un dans l'autre. Le mariage d'Olivier et Jacqueline a éloigné Christophe, qui souffre et espère qu'il retrouvera un jour l'ami cher à son coeur.

Christophe à Paris rencontre une actrice, Françoise, célèbre, et dont l'enfance fut une vallée de larmes (coups, viols). Ils se parlent, par intermittence, et un jour ils sentent le désir monter et font l'amour. Nous nous sommes arrêtés précisément à ce moment.

Extrait :

"Elle s'ennuyait, s'ennuyait... Elle s'ennuyait d'autant plus qu'elle ne pouvait se donner comme excuse qu'elle n'était pas aimée, ou qu'elle ne pouvait souffrir Olivier. Sa vie lui paraissait bloquée, murée, sans avenir, elle aspirait à un bonheur nouveau, sans cesse renouvelé, - rêve enfantin que ne légitimait point la médiocrité de son aptitude au bonheur. Elle était comme tant d'autres femmes, tant de ménages désoeuvrés, qui ont toutes les raisons d'être heureux, et qui ne cessent de se torturer. On en voit qui sont riches, qui ont de beaux enfants, une bonne santé, qui sont intelligents et capables de sentir les belles choses, qui possèdent tous les moyens d'agir, de faire du bien, d'enrichir leur vie et celle des autres. Et ils passent leur temps à gémir qu'ils ne s'aiment pas, qu'ils en aiment d'autres, ou qu'ils n'en aiment pas d'autres, - perpétuellement occupés d'eux-mêmes, de leurs rapports sentimentaux ou sexuels, de leurs prétendus droits au bonheur, de leurs égoïsmes contradictoires, et discutant, discutant, jouant la comédie du grand amour, la comédie de la grande souffrance, et finissant par y croire... Qui leur dira :

- Vous n'êtes aucunement intéressants. Il est indécent de se plaindre, quand on a tant de moyens de bonheur !

Qui leur arrachera leur fortune, leur santé, tous ces dons merveilleux, dont ils sont indignes ! Qui remettra sous le joug de la misère et de la peine véritable ces esclaves incapables d'être libres, que leur liberté affole ! S'ils avaient à gagner durement leur pain, ils seraient contents de le manger. Et s'ils voyaient en face le visage terrible de la souffrance, ils n'oseraient plus en jouer la comédie révoltante...

Mais, au bout du compte, ils souffrent. Ils sont des malades. Comment ne pas les plaindre ?  - La pauvre Jacqueline était aussi innocente de se détacher d'Olivier qu'Olivier l'était de ne pas la tenir attachée. Elle était ce que la nature l'avait faite. Elle ne savait pas que le mariage est un défi à la nature, et que, quand on a jeté le gant à la nature, il faut s'attendre à ce qu'elle le relève, et s'apprêter à soutenir vaillamment le combat qu'on a provoqué".

 

Mardi 26 juin

Officiants
Mavra, Laure, Vincent P, Emilie, Marie-Thérèse, Vincent S, Sonia, Jean-Baptiste, Dominique O-F, Sophie, Dalila, Gabriel, Edith

Jacqueline et Olivier ont un enfant ; Jacqueline n'arrive pas à aimer cet enfant. Elle n'arrive plus à aimer Olivier. Olivier est attendri par Jacqueline et par leur enfant.

Christophe est retourné en Allemagne, grâce à un diplomate, et il a revu Mina de Kerich, qui s'est mariée, et sa mère.

Passages intéressants sur le droit d'auteur musical...

Mardi 3 juillet

Officiants
Dominique, Laure, Mavra, Fabien-Côme, Vincent P, Dalila, Théo, Xenia, Aleixandre, Edith

Jacqueline quitte Olivier et l'enfant, dont on ignore toujours le nom.

Olivier est désespéré. Cécile Fleury, amie d'Olivier et Christophe, s'occupe du bébé ; l'amitié entre les deux hommes reprend, à ceci près que la dépression d'Olivier épuise Christophe, qui a besoin de vitalité, de puissance, de joie.

Long discours sur les femmes qui plaquent mari et enfant, tenu par madame Arnault, amie de Christophe. On condamne ces femmes de façon radicale, et pourtant, y a-t-il un fond à leur malheur ? Zweig, ami de Rolland, avait sûrement lu ce passage avant d'écrire ses 24 heures de la vie d'une femme.

Olivier ne sort pas de sa dépression, quand soudain il apprend que ses voisins, un couple ouvrier et leurs cinq enfants, se sont suicidés de misère. Nous en sommes là.

Extrait de la séance :

"Calme du coeur. Les vents suspendus. L'air immobile...

Christophe était tranquille ; la paix était en lui. Il éprouvait quelque fierté de l'avoir conquise. Et secrètement, il en était contrit. Il s'étonnait du silence. Ses passions étaient endormies ; il croyait, de bonne foi, qu'elles ne se réveilleraient plus.

Sa grande force, un peu brutale, s'assoupissait, sans objet, désoeuvrée. Au fond, un vide secret, un "à quoi bon", caché ; peut-être le sentiment du bonheur qu'il n'avait pas su saisir. Il n'avait plus assez à lutter, ni contre soi, ni contre les autres. Il n'avait plus assez de peine, même à travailler. Il était arrivé au terme d'une étape ; il bénéficiait de la somme de ses efforts antérieurs ; il épuisait trop aisément la veine musicale qu'il avait ouverte ; et tandis que le public, naturellement en retard, découvrait et admirait ses oeuvres passées, lui, s'en détachait, sans savoir encore s'il irait plus avant. Il jouissait, dans la création, d'un bonheur uniforme. L'art n'était plus pour lui, à cet instant de sa vie, qu'un bel instrument dont il jouait en virtuose. Il se sentait, avec honte, devenir dilettante".

 

Mardi 10 juillet

Officiants
Marc, Laure, Théo, Mavra, Vincent S, Edith

Horrifiés par ce suicide de misère, d'une famille ouvrière de cinq enfants, Olivier et Christophe se lancent à corps perdus dans le mouvement social. Ils y rencontrent des bourgeois qui mettent en avant d'hypothétiques origines pauvres, des bourgeois dont l'unique but, par masochisme, est d'anéantir leur propre classe, des ouvriers qui haïssent les bourgeois par essence et quelque soit leurs idées et actions, et enfin des ouvriers qui ont compris que la Syndicalisme et la Révolution pouvaient offrir de belles carrières. Ils y découvrent l'esprit bourgeois chez la plupart des ouvriers, qui auraient fait de bons bourgeois s'ils en avaient les moyens et dont l'unique révolte était de n'être pas né du bon côté du manche social.

Extrait : [La souffrance] "remplissait le monde. Le monde, cet hôpital... Ô douleurs, agonies ! Tortures de chair blessée, pantelante, qui pourrit vivante ! Supplices silencieux des coeurs que le chagrin consume ! Enfants privés de tendresse, filles privées d'espoir, femmes séduites et trahies, hommes déçus dans leurs amitiés, leurs amours et leur foi, lamentable cortège des malheureux que la vie a meurtris ! Le plus atroce n'est pas la misère et la maladie ; c'est la cruauté des hommes les uns envers les autres. Àpeine Olivier eut-il levé la trappe qui fermait l'enfer humain que monta vers lui la clameur de tous les opprimés : prolétaires exploités, peuples persécutés, l'Arménie massacrée, la Finlande étouffée, la Pologne écartelée, la Russie martyrisée, l'Afrique livrée en curée aux loups européens, les misérables de tout le genre humain. Il en fut suffoqué ; il l'entendait partout, il ne pouvait plus concevoir qu'on pensât à autre chose. Il en parlait sans cesse à Christophe. Christophe, troublé, disait :

- Tais-toi ! Laisse-moi travailler.

Et comme il avait peine à reprendre son équilibre, il s'irritait, jurait :

- Au diable ! Ma journée est perdue ! Te voilà bien avancé.

Olivier s'excusait.

- Mon petit, disait Christophe, il ne faut pas toujours regarder dans le gouffre. On ne peut plus vivre.

- Il faut tendre la main à ceux qui sont dans le gouffre.

- Sans doute. Mais comment ? En nous y jetant aussi ? Car c'est cela que tu veux. Tu as une propension à ne plus voir dans la vie que ce qu'elle a de triste. Que le bon Dieu te bénisse ! Ce pessimisme est charitable, assurément ; mais il est déprimant. Veux-tu faire du bonheur ? D'abord, sois heureux !

- Heureux ! Comment peut-on avoir le coeur de l'être, quand on voit tant de souffrances ? Il ne peut y avoir de bonheur qu'à tâcher de les diminuer.

- Fort bien. Mais ce n'est pas en allant me battre à tort et à travers que j'aiderai les malheureux. Un mauvais soldat de pus, ce n'est guère. Mais je puis consoler par mon art, répandre la force et la joie. Sais-tu combien de misérables ont été soutenus dans leurs peines par la beauté d'une chanson ailée ? À chacun son métier ! Vous autres de France, en généreux hurluberlus, vous êtes toujours les premiers à manifester contre toutes les injustices, d'Espagne ou de Russie, sans savoir au juste de quoi il s'agit. Je vous aime pour cela. Mais croyez-vous que vous avanciez les choses ? Vous vous y jetez en brouillons, et le résultat est nul, - quand il n'est pas pire... Et vois, jamais votre art n'a été plus fade qu'en ce temps où vos artistes prétendent se mêler à l'action universelle. Étrange, que tant de petits-maîtres dilettantes et roués s'érigent en apôtres ! Ils feraient beaucoup de verser à leur peuple un vin moins frelaté. - Mon premier devoir, c'est de faire ce que je fais, et de vous fabriquer une musique saine, qui vous redonne du sang et mette en vous le soleil. 

Pour répandre le soleil sur les autres, il faut l'avoir en soi. Olivier en manquait. Comme les meilleurs d'aujourd'hui, il n'était pas assez fort pour rayonner la force à lui tout seul. Il ne l'aurait pu qu'en s'unissant avec d'autres. Mais avec qui s'unir ? Libre d'esprit et religieux de coeur, il était rejeté de tous les partis politiques et religieux".

 

 Mardi 17 juillet

Officiants
Jérémie, Mavra, Francis, Dalila, Emmanuel, Marie-Thérèse, Jean-Pierre, Sonia, Lisa, Edith

Olivier et Jean-Christophe se jettent dans la militance sociale. Ils se lient avec le milieu militant ouvrier, et font connaissance d'Emmanuel, jeune garçon d'une dizaine d'années, fils d'une prostituée décédée, élevé par son grand-père chez qui il travaille comme apprenti. Emmanuel est bossu et il a une amie, Rainette, une petite infirme qui ne peut sortir de chez elle. Rainette est très catholique, Emmanuel n'attend que la Révolution, tous deux sont des enfants qui souffrent et rêvent d'une délivrance à travers les idées et les croyances de leurs parents, qu'ils répètent avec ferveur. 

Un jour de premier mai, Olivier et Jean-Christophe se mêlent à des manifestations de travailleurs et de militants. Policiers et manifestants s'affrontent. Olivier voit le petit Emmanuel écrasé par la foule, il se précipite pour le sauver, mais alors qu'Emmanuel est sauf Olivier se prend des mauvais coups et les voisins le transportent au café, blessé.

Pendant ce temps, Jean-Christophe chante un hymne révolutionnaire de son cru, debout sur une barricade, ce qui le "mouille" auprès des autorités. Pour tout arranger, dans la bataille il contribue à la mort d'un policier.

A la fin de la manif, Olivier Jeannin, meilleur ami de Christophe et second héros de notre roman, se meurt, il rend ses derniers soupirs sous les larmes du petit garçon difforme qu'il a sauvé.

Pendant ce temps, Christophe, qui ignore tout de la blessure d'Olivier, est emmené par des amis vers la frontière, pour échapper à une arrestation.

 

EXTRAIT :

"L'enfant, retenant son souffle, écoutait le conte de fées que lui disait son grand ami. Et Olivier, à son tour, réchauffé par l'attention de son petit auditeur, se laissait prendre à ses propres récits.

Il est, dans la vie, des secondes décisives où, de même que s'allument tout d'un coup dans la nuit d'une grande ville les lumières électriques, s'allume dans l'âme obscure la flamme éternelle. Il suffit d'une étincelle qui jaillisse d'une autre âme et transmette à celle qui attend le feu de Prométhée. Ce soir de printemps, la tranquille parole d'Olivier alluma dans l'esprit que recelait le petit corps difforme, comme une lanterne bossuée, la lumière qui ne s'éteint plus. Aux raisonnements d'Olivier, il ne comprenait rien, à peine les entendait-il. Mais ces légendes, ces images qui étaient pour Olivier de belles fables, des sortes de paraboles, en lui se faisaient chair, devenaient réalité. Le conte de fées s'animait, palpitait autour de lui. Et la vision qu'encadrait la fenêtre de la chambre, les hommes qui passaient dans la rue, les riches et les pauvres, et les hirondelles qui frôlaient les murs, et les chevaux harassés qui traînaient leur fardeau, et les pierres des maisons qui buvaient l'ombre du crépuscule, et le ciel pâlissant où mourait la lumière, - tout ce monde extérieur s'imprima brusquement en lui, comme un baiser. Ce ne fut qu'un éclair. Puis, cela s'éteignit. Il pensa à Rainette, et dit :

- Mais ceux qui vont à la messe, ceux qui croient au bon Dieu, c'est pourtant des toqués.

Olivier sourit :

- Ils croient, dit-il, comme nous. Nous croyons tous à la même chose. Seulement, ils croient moins que nous. Ce sont des gens qui, pour voir la lumière, ont besoin de fermer leurs volets et d'allumer leur lampe. Ils mettent Dieu dans un homme. Nous avons de meilleurs yeux. Mais c'est toujours la même lumière que nous aimons.

Le petit retournait chez lui, par les rues sombres où les becs de gaz n'étaient pas encore allumés. Les paroles d'Olivier bourdonnaient dans sa tête. Il se disait qu'il est tout aussi cruel de se moquer des gens parce qu'ils ont de mauvais yeux que parce qu'ils sont bossus. Et il pensait à Rainette qui avait de jolis yeux ; et il pensait qu'il les avait fait pleurer".

 

 Mardi 24 juillet

Officiants
Dominique LB, Mavra, Fabien, Vincent P, Laure, Jean-Pierre, Anthony, Edith

Réfugié dans une ville suisse, Jean-Christophe apprend la mort de son ami Olivier et tombe dans le désespoir.

Il est accueilli par un ancien ami d'Allemagne, sa femme Anna. Celle-ci se montre d'une grande froideur, d'une incapacité totale d'éprouver des émotions, sauf lorsqu'elle chante : alors sa sensualité gronde et des torrents d'émotions vitales s'échappent de cet être mystérieux.

Nous en sommes restés au moment où Christophe réalise qu'Anna, derrière le vide apparent de sa personnalité, recèle une grande force et un charme à découvrir. Nous nous sommes quittés effrayés par la séance torride qui nous attend le mardi 31...

 

 Mardi 31 juillet

Officiants
Anthony, Mavra, Vincent P, Dominique,  Fabien, Laure, Francis, Jérémie, Edith

Anna et Christophe vivent une passion physique. Braun ne se doute de rien. Mais Bäby, la domestique, a disposé de la cendre dans le couloir pour mesyrer d'éventuelles traces de pas entre la chambre d'Anna et celle de Christophe. Anne déjoue la ruse au moyen d'un petit balai... Las ! Elle oublie de remettre le balai à sa place ! Bäby sait...
Deux punitions attendent Anna : l'opprobre de la ville, d'une part ; la damnation de Dieu, d'autre part. Anna défaille.
Quant à Christophe, il se torture de tomber l'ami Braun, le bienfaiteur Braun qui l'a recueilli et soigné...

Christophe et Anne ont une bonne idée, qui les délivreront l'une de l'opprobre de la ville et l'autre de sa culpabilité amicale : ils vont mourir ensemble. Mais Anna pensant que Christophe n'en aura pas le courage allume le gaz dans sa chambre. Christophe la délivre à temps.
Résolus à mourir ensemble, ils prennent le pistolet de Braun et se cachent de Bäby qui dort. Hélas ! Anna tire trois coup contre sa tempe, et les coups de partent pas. Elle devient presque folle. Christophe est désespéré. Braun rentre et trouve sa femme dans un état effroyable. Il la veille. Puis Anna réussit à prononcer un désir : "aller au culte".

Nous en sommes là !

 

 Mardi 7 août

Officiants
Jean-Pierre, Anthony, Mavra, Vincent P, Alexandre, Emmanuel, Vincent S, Edith

Jean-Christophe fou de passion comprend qu'Anna devient folle à cause de lui, de leur trahison, et il fuit la ville.

Il compose, son nom s'est imposé, ses cheveux ont blanchi aux travaux musicaux et aux duretés de sa vie erratique et passionnée.
Et puis une envie tourmente Jean-Christophe : retrouver l'enfant d'Olivier. Il écrit à Cécile, qui l'avait recueilli et élevé, mais celle-ci répond que la mère indigne est un jour venue lui arracher l'enfant.

Un long et beau passage sur la souffrance animale et l'horreur du comportement humain envers les animaux.
(Rappelons que Rolland est disciple de Tolstoï et ami de Gandhi, deux grands défenseurs de la personne animale. Ce passage animaliste célèbre est lisible par ici )

Jean-Christophe découvre la Suisse italienne, puis l'Italie, et qui rencontre-t-il par hasard dans la forêt ? Grazia !!!

Elle est veuve désormais, seule avec ses deux jeunes enfants. Ils évitent l'intimité, ne sachant (ou sachant trop bien) ce qui pourrait arriver si l'isolement les laissait épancher un cœur soudain bien tendre.

Un passage sur la musique :

« Le corps et l’âme s’écoulent comme un flot. Les ans s’inscrivent sur la chair de l’arbre qui vieillit. Le monde entier des formes s’use et se renouvelle. Toi seule ne passes pas, immortelle musique. Tu es la mer intérieure. Tu es l’âme profonde. Dans tes prunelles claires, le visage morose de la vie ne se mire. Au loin de toi s’enfuient, comme le troupeau de nuées, le cortège des jours brûlants, glacés, fiévreux, que l’inquiétude chasse et qui jamais ne durent.
Toi seule tu ne passes pas. Tu es en dehors du monde. Tu es un monde, à toi seule. Tu as ton soleil, tes lois, ton flux et ton reflux. Tu as la paix des étoiles, qui tracent dans le champ des espaces nocturnes leur sillon lumineux, - charrues d’argent que mène la main sûre de l'invisible bouvier.

Musique, amie sereine, que ta lumière lunaire est douce aux yeux fatigués par le brutal éclat du soleil d’ici-bas !...L’âme qui se détourne de l’abreuvoir commun, où les hommes pour boire remuent la vase avec leurs pieds, se presse sur ton sein et suce à tes mamelles le ruisseau de lait du rêve. Musique, vierge mère, qui portes en ton corps immaculé toutes les passions, qui contiens dans le lac de tes yeux couleur de joncs, couleur de l’eau vert-pâle qui coule des glaciers, tout le bien, tout le mal, - tu es par delà le mal, tu es par delà le bien ; qui chez toi fait son nid vit en dehors des siècles ; la suite de ses jours ne sera qu’un seul jour ; et la mort qui tout mord s’y brisera les dents.

Musique qui berças mon âme endolorie, musique qui me l’as rendue calme, ferme et joyeuse, - mon amour et mon bien, - je baise ta bouche pure, je cache mon visage dans tes cheveux de miel, j’appuie mes paupières qui brûlent sur la paume douce de tes mains. Nous nous taisons, nos yeux sont clos, et je vois la lumière ineffable de tes yeux, et je bois le sourire de ta bouche muette ; et blotti sur ton coeur, j’écoute le battement de la vie éternelle ».

Un passage sur la lumière :

 

"Sur la mer lumineuse, dans la nuit lumineuse, il se laissait bercer, longeant les promontoires bordés de cyprès enfantins. Il s'installa dans le village, il y passa cinq jours dans une joie perpétuelle. Il était comme un homme qui sort d'un long jeûne, et qui dévore. De tous ses sens affamés, il mangeait la splendide lumière... Lumière, sang du monde, fleuve de vie, qui, par nos yeux, nos narines, nos lèvres, tous les pores de la peau, t'infiltres dans la chair, lumière plus nécessaire à la vie que le pain, - qui te voit dévêtue de tes voiles du Nord, pure, brûlante, et nue, se demande comment il a jamais pu te vivre sans te posséder, et sait qu'il ne pourra plus jamais vivre sans te désirer".

 

 Mardi 14 août

Officiants
Anne, Francis, Agnès, Laure, Jean-Pierre, Edith

Sublimes passages sur l'Italie qui s'éveille à l'aube du XX°siècle : l'Italie visuelle et antique, mais aussi l'Italie intellectuelle, politique, sociale...

Jean-Christophe et Grazia ne succombent pas à la tentation ; leur amitié demeure platonique au grand dam de Christophe qui voudrait épouser sa grande amie.

Puis Christophe retourne à Paris, pour la première fois depuis sa fuite. Il est accueilli comme un grand artiste et la douleur de la perte d'Olivier et des anciens amis se rappelle à lui, cruelle.

Nous sommes restés au milieu d'une longue lettre que Christophe écrit à Grazia, pour lui raconter ses retrouvailles avec Paris.

 Mardi 21 août

Officiants
Théo, Anne, Jérémie, Mavra, Vincent S, Edith

La vie parisienne de Christophe se poursuit. Son succès lui est agréable, mais en même temps il lui fait honte tant il trouve son propre public médiocre.

Christophe feuillette un livre dans une librairie. D'étranges sentiments montent en lui... Il connait ces mots... Il connait ces idées... Et soudain il lit une histoire que son ami Olivier lui avait racontée quelques jours avant sa mort !
Ebahi, il part à la recherche du poète... Et le retrouve en la personne d'Emmanuel, le tout jeune ouvrier bossu, "fils d'une prostituée et d'un alcoolique" et auquel Olivier s'était attaché.

Les deux hommes s'étreignent sous l'émotion du souvenir commun d'Olivier. Mais très vite, Emmanuel est vexé par la pitié de Christophe, qu'il prend pour de la commisération, pour son milieu, son corps difforme, sa vie misérable en dépit du succès littéraire.

Un jour, une tout jeune homme, de quatorze ans, sonne à la porte de Christophe. C'est Georges Jeannin, le fils d'Olivier ! Christophe bouleversé veut s'occuper de ce jeune homme malicieux, plein de charme, fuyant comme une anguille.

Grazia, sans doute après une histoire d'amour malheureuse en Italie (elle ne le dit jamais), vient à Paris accompagnée de ses enfants Aurora et Lionello. Sa tendresse platonique avec Christophe se poursuit... Lionello, que Christophe n'arrive pas à aimer, tombe gravement malade de phtisie. Grazia laisse sa fille Aurora chez sa cousine parisienne Colette (ancienne élève de Christophe comme elle) et emmène son fils dans un sanatorium. L'ambiance des sanatoriums et l'état de son fils la désespèrent. Un jour, Christophe, malgré sa défense, vient la voir. Elle ressent un immense soulagement et ils veillent ensemble cet enfant qu'elle adore et que Christophe ne parvient pas à trouver agréable. Lionello guérit.

Mardi 28 août

Officiants
Dominique LB, Mavra, Jean-Pierre, Vincent P, Emilie, Vincent S, Edith

Grazia se décide à épouser Christophe. Mais son fils Lionello le ressent et feint de rechuter dans sa maladie pour éloigner sa mère de Christophe. À force de feindre la maladie, l'enfant la contracte et en meurt. 

À Paris, Christophe fait désormais partie de la vieille garde, bousculée par la jeunesse française qui veut un nouvel art, de nouvelles idées, un nouveau monde. Après le socialisme et la liberté de moeurs de la génération précédente, les nouveaux jeunes souhaitent l'ordre de l'Action française et le catholisicme, que même les plus incroyants prônent, comme une structure nécessaire à la société.

Georges Jeannin, le fils d'Olivier, vit une adolescence sulfureuse : femmes, sports. Il se bat un jour en duel contre un journaliste qui a maltraité Christophe dans un article.

Et puis Grazia meurt, là-bas en Italie, la main dans la main de sa fille Aurora.

 

Mardi 4 septembre

Officiants
Théo, Emilie, Jean-Baptiste, Vincent S, Laure, Vincent P, Sonia, Jean-Pierre, Ingrid, Fabien-Côme, Dalila, Francis, Marie-Thérèse, Dominique LB, Edith

Merveilleux finale ! Georges Jannin, fils d'Olivier, épouse Aurora, la fille de Grazia. Jean-Christophe meurt dans un combat joyeux et mystique, où la musique et la prière déiste, d'inspiration tolstoïenne, se mêlent. La légende de Saint Christophe est merveilleusement évoquée car Jean-Christophe meurt dans un rêve où il porte un enfant sur son dos, un enfant lourd, lourd, lourd... Et il lui demande : "Enfant, qui es-tu ?" L'enfant répond : "Je suis le jour qui va naître".

Le roman finit donc somptueusement, sur la mort mystique du musicien, comme il avait commencé autour de son berceau.

La lecture des dernières pages furent accompagnées au piano par Vincent S : un moment que nous n'oublierons jamais.

Nous lûmes dans l'édition Albin Michel de 2007

romain rolland
Romain Rolland, prophète d'Europe

 

 

mardi, 23 octobre 2012

Passages d'une autobiographie incertaine

Vénéxuana Atlantica, Bob Mushran, Edith de CL, Edith Morning, j'entendais ta guitare pleurer, 2029, 30 mars 2029

Bien que nous sommes désormais ennemies à la vie, à la mort, je cite ce passage que Venexiana (Atlantica) écrivit dans son autobiographie J'entendais ta guitare pleurer :

"La vie nous a menti. Elle s’était voilée pour nous paraître facile ; nous avions cru à des avenirs beaux comme des soleils chargés d’une pluie tiède. Il n’en fut rien. Chaque pas vers le rêve est un pas vers la désillusion. Si nous bougeons, nous sombrons tous ensemble dans le noir abîme du désespoir immense"

 
Qu'une femme soit capable d'écrire cela et de trahir ensuite comme une méchante et une voleuse ne lasse pas d'interroger.

Peut-être la réponse à cette question étrange et douloureuse se trouve-t-elle dans cet autre passage de son autobiographie, composée alors qu'elle n'avait pas encore sombré dans les pires turpitudes de l'addiction ?


"A l’époque Bob n’était pas encore ivre tous les soirs et nous ne buvions que dix canettes de daleth lors des répétitions. Je me souviens de Lilas dansant en hauts talons, divine, sous nos regards délictueux, à lui et à moi. Je me souviens que les journaux déclaraient que la guerre allait commencer et nous crachions sur les nouvelles pour mieux laisser l’imaginaire coloniser, lentement, puissamment, notre vie. Nous lisions Edith Morning : "Si j’avais su que les rêves sont réels et le monde illusion, j’aurais inversé ma vision de la liberté et celle de la prison. Mais les menteurs amers disent décriant les images qu’elles sont illusoires, et nous entraînent dans leur " réel " qui n’existe que dans leurs sombres couloirs".

Nous sommes le 30 mars 2012 et je me souviens avec émotion de l'année 2029. Vénéxiana, un jour je te pardonnerai, parce que ce que tu m'as fait souffrir n'effacera jamais ce que tu m'as fait vivre. Un ineffable rêve. Une histoire d'amour. 

Vénéxiana Atlantica, Bob Mushran, Edith de CL, Edith Morning, j'entendais ta guitare pleurer, 2029, 30 mars 2029

Merci à Caroline et Thierry Giroud (et Charlotte !) pour le vin si rose qu'il ravive toutes les amours enfouies et les fait pétiller de nouveau.


Edith CL

 

vénéxiana atlantica,bob mushran,edith de cl,edith morning,j'entendais ta guitare pleurer,2029,30 mars 2029


samedi, 18 août 2012

Mystique littéraire

Le petit garçon à la vie de bohème a joué un jeu sur son blog, et j'ai eu envie de jouer aussi.
Il s'agit de répondre à une série de questions en utilisant des titres de livres. J'ai ajouté cinq questions à celles qui existaient.

Jack Kerouak,Eugène Savitskaya,Léon Tolstoï,Victor Hugo,Janet Frame,Maurice Druon,John Fante,Robert Musil,Truman Capote,Saint Jean de la Croix,Dante Alighieri,André Dhôtel,Paul Féval,Thomas Mann,Marcel Brion,Marcel Proust,Alfred de Vigny,Hubert Mingarelli,Saint François de Sales,Jean Marie Gustave Le Clezio,,Louis Ferdinand Céline,Terence Edward Lawrence d'Arabie, la beauté des loutres, demande à la poussière,le pays où l'on n'arrive jamais ,
Photo prise à l'orgue de ND d'Auteuil
, par Sara

 

Comment te sens-tu ? Sur la route
(Jack Kerouak)

La condition actuelle de ton âme ? Marin mon cœur
(Eugène Savitskaya)

Qu'est-ce que la vie pour toi ? La guerre et la paix
(Léon Tolstoï)

Ta peur ? Les châtiments
(Victor Hugo)

Ton histoire d'amour ? Un ange à ma table
(Janet Frame)

Tes meilleurs amis sont ? Les rois maudits
(Maurice Druon)

Quel est le meilleur conseil que tu aies à donner ? Demande à la poussière...
(John Fante)

Le défaut qui t'horripile le plus ? L'homme sans qualité
(Robert Musil)

Comment est le temps ? Un été indien
(Truman Capote)

 Ton moment préféré de la journée ? La nuit obscure
(Saint Jean de la Croix)

 Décris où tu vis actuellement: Le Purgatoire
(Dante Alighieri)


Ton moyen de transport préféré ? Vol de nuit
(Antoine de Saint-Exupéry)

Si tu pouvais aller n'importe où, où irais-tu ? Le pays où l'on n'arrive jamais
(André Dhôtel)

Ton animal préféré ? Le loup blanc
(Paul Féval)

Comment aimerais-tu mourir ? La mort à Venise
(Thomas Mann)

Ton rêve le plus cher ? La résurrection des villes mortes
(Marcel Brion)

Le métier qui te fait rêver ? Grandeur et servitude militaire
(Alfred de Vigny)

Ta passion ? La recherche du temps perdu
(Marcel Proust)
 
Une faiblesse : la beauté des loutres
Hubert Mingarelli
 
Un aveu : L'amour de Dieu
(Saint François de Sales)
 
Un souvenir cuisant : Le procès verbal
(Jean Marie Gustave Le Clezio)

Ton plus beau souvenir : Voyage au bout de la nuit 
(Louis Ferdinand Céline)
 
Que cherches-tu ? : Les sept piliers de la sagesse
(Terence Edward Lawrence d'Arabie)

vendredi, 27 juillet 2012

Mémoire d'India Song, pour Sara et Gange

India Song, jeanne Moreau, Marguerite Duras, Carlo d'Alessio

Ce billet est dédié à Sara et Gange.

 

À Sara, qui me traîna un jour pour voir ce film si long. Au bout de dix minutes, la moitié de la salle déjà peu nombreuse était partie. Il ne restait plus que la caste, la secte, ces gens seuls, solitaires, qui regardaient ce film qu'ils connaissaient déjà avec des yeux de ceux qui sont ailleurs, des yeux plongés dans quelque chose que je ne comprenais pas. Et, vraiment, ce fut une expérience gênante, bouleversante, étonnante, agaçante, fascinante, de voir ces gens fous regarder ce film fou. Grande, grande communion de solitudes inextricables !

 

À Gange, auprès du fleuve totémique de laquelle ce film est dit se passer. À toi, Gange, qui nous a illuminés, à toi notre soeur-chienne, notre fille, notre mère, notre fleuve d'amour.

 

Sara au café et Gange embrassée

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Gange, Edith de Cornulier, India Song, Carlo d'Alessio, Marguerite Duras, Jeanne Moreau

Je remercie les internautes qui ont mis en ligne ces vidéos, que j'emprunte...

jeudi, 19 juillet 2012

Visa pour Caracas : ouverture

John Peshran-Boor, Jean Bruce, Sara, Visa pour Caracas, VillaBar

Le meilleur livre de Jean Bruce : un polar franco-vénézuélien qui mêle tourments de toutes sortes dans les lieux les plus paradisiaques et qui démontre comment le plaisir des uns se nourrit de la misère des autres. Où l'on s'aperçoit que la plus apparente des sollicitudes cache la plus ignoble des manipulations, et où la mère et l'enfant finissent ensemble dans un monde meilleur.

Conseil de lecture : été, transat, ti punch et musique d'Anouar Brahem.

John Peshran-Boor, Jean Bruce, Sara, Visa pour Caracas, VillaBar
(c)Roman Photo John Peshran-Boor

 

"Éliza fumait, assise au bar. Son regard étrangement fixe lui donnait un air hautain mais, en l'observant de plus près, on remarquait ses pupilles dilatées et une vague expression d'hébétude sous le masque faussement dédaigneux.

Elle portait un fourreau de soie rouge, outrageusement décolleté et fendu très haut sur la cuisse, destiné sans doute à mettre son type nordique en valeur. C'était un chef-d’œuvre de mauvais goût et de vulgarité, mais elle avait une telle distinction naturelle que même ainsi accoutrée, dans le grand salon du bordel le plus coûteux de Caracas, elle avait toujours l'air d'une grande dame, et pas d'une putain ; ce qu'elle était pourtant.

Les autres filles l'appelaient «La Française », avec une pointe de sarcasme et d'envie, et la détestaient parce qu'elle avait toujours refusé d'avoir avec ses compagnes d'infortune d'autres rapports que ceux qui ne pouvaient vraiment être évités. Mais les clients ne s'y trompaient pas : jamais aucun d'eux ne lui avait manqué de respect et les affaires du bordel n'avaient jamais si bien marché que depuis son arrivée.

L'électrophone, dissimulé derrière le bar, diffusait une musique douce. Les lumières tamisées laissaient de vastes coins d'ombre dans le salon or et rouge, au luxe tapageur. Presque toutes les filles étaient là ; une seule étant montée, quelques instants plus tôt, avec un officier de marine européen qui avait longuement hésité avant de faire son choix.

Il était encore très tôt, à peine dix heures. Les clients n'arrivaient généralement pas avant onze heures. C'était un bordel de luxe, pas comme ces « botiquines » du quartier populaire de Catia où se pratiquait « l'abattage » et où l'après-midi était presque aussi chargé que le soir.

Madame Aurora entra soudain, précédant un homme vêtu de sombre. Elle souriait, malgré la torture permanente que lui infligeait sa gaine trop étroite.

 - Suzy, mon petit, voici un compatriote. Il veut absolument connaître une Française car il ne parle pas espagnol.

Elle fit un pas de côté, découvrant un homme brun, trapu, au visage buriné, qui dissimulait son regard derrière les verres fumés de lunettes à monture épaisse. L'homme était vêtu d'un complet léger de fresco bleu marine, d'une chemise blanche avec cravate grise, et portait des chaussures noires aérées. Il baissait légèrement la tête et cachait derrière son dos ses mains fortes couvertes de poils noirs.

Éliza le regarda à peine. Elle ne s'était pas encore habituée à ce qu'on l'appelât Suzy, sous prétexte que cela faisait plus français, et les sourires de « Madame Aurora » lui donnaient envie de hurler.

Madame Aurora demanda au client s'il voulait boire la traditionnelle et obligatoire bouteille de champagne dans un des boxes qui entouraient le salon, ou bien dans la chambre. L'homme préféra dans la chambre. Il le dit d'une voix sourde, à peine audible.

Éliza descendit du tabouret et guida le client vers la porte qui donnait accès au patio. L'un derrière l'autre, sans mot dire, ils montèrent l'escalier de bois qui conduisait à la galerie desservant les chambres. Chaque chambre ouvrait sur cette galerie par une porte-fenêtre. Pas d'autre ouverture, les volets fermés indiquaient que l'endroit était occupé.

Éliza était la seule, parmi les pensionnaires de l'établissement, à posséder une chambre attitrée. Elle avait dit à Madame Aurora ne pouvoir supporter de s'allonger sur un lit encore humide de la sueur des autres, et Madame Aurora, contre toute attente, avait cédé. Cela n'avait fait qu'attiser les jalousies et l'hostilité que la jeune femme avait à supporter ; mais elle s'en moquait bien. Elle vivait dans un monde à part, d'une vie purement végétative, où la marijuana (1) l'aidait à ne plus penser.

(1) Drogue de hachisch. Se fume en cigarettes.

Elle ouvrit la porte, laissa entrer l'homme et referma. Il leur fallait attendre que l'on apportât le champagne. Elle le dit à son compagnon, du ton monocorde qui lui était devenu habituel. Il parut ennuyé, fourra ses mains dans ses poches, sans répondre, et lui tourna le dos pour regarder les gravures licencieuses accrochées au mur.

Elle s'assit sur le lit, laissant l'unique et vaste fauteuil pour l'homme dont le comportement commençait à l'intriguer. Habituellement, ils se jetaient aussitôt sur elle, comme des bêtes, même si la femme de chambre devait entrer d'un instant à l'autre. Celui-ci semblait avoir une préoccupation, qui n'était pas de faire l'amour. Pourquoi était-il venu, alors ? Le cerveau d'Éliza fonctionnait lentement, engourdi par la drogue. Elle pensa soudain que les mains de l'homme lui rappelaient quelque chose... Ces mains fortes et nerveuses, anormalement poilues, elle les avait déjà vues... Quand ? Où ? Dans quelles circonstances ? Sa mémoire refusait de le dire. Elle s'était trop appliquée à tuer sa mémoire, pendant des jours et des jours. Elle baissa les yeux, soudain fatiguée, et cessa de penser. Le vide, le vide bienfaisant..."

Jean Bruce - Visa pour Caracas - 1956 (Presses de la Cité)

John Peshran-Boor, Jean Bruce, Sara, Visa pour Caracas, VillaBar

 

vendredi, 06 juillet 2012

Sir Jerry, de Mad H. Giraud

Mad H Giraud, Sir Jerry, Manon Iessel, résistance, antisémitisme

Nous recopions pour vous l'ouverture des étranges vacances de Sir Jerry, et une page du milieu du livre La périlleuse mission du Capitaine Jerry.

Très bien écrits, ces romans ont traîné dans beaucoup d'étagères adolescentes des années 50, 60, 70, avant de se dissoudre dans le silence. Mais le style littéraire, beau et original, la manière scénaristique de raconter qui procède d'un ton constamment elliptique, la succession d'atmosphère peintes avec une grande finesse, les illustrations de Manon Iessel restent au fond des mémoires comme des souvenirs qui imprègnent et reviennent sans prévenir au détour d'une phrase, d'une odeur, d'un paysage.

Certains passages paraissent, idéologiquement, si vieillis et si contraires à ce que nous chérissons que la lecture en devient presque audacieuse, entre la transgression et la trahison.

Ces textes sont, justement, d'autant plus dérangeants pour notre société que l'auteur, en pleine seconde guerre mondiale, écrit des livres vantant la Résistance de Londres et qu'elle loue la haute culture indienne. Ses attaques sur les "singes" indiens, sa description infernale des juifs intelligents et cupides, son implacable sens des distinctions de classes et de castes en paraissent d'autant plus gênantes qu'on ne peut pas la jeter dans la poubelle de "ceux qui ont choisi le mauvais camp".

Ceux-là même, qui se veulent fidèles à "ceux qui ont choisi le mauvais camp" ne lui rendent pas l'hommage de la garder sur les étagères, cette mystérieuse Mad H Giraud, puisque, résistante et antisémite, colonialiste et admiratrice des civilisations asservies, attachée aux principes rigides de la vieille France (et de la vieille Angleterre) et profondément libératrice et responsabilisante à l'égard des enfants, elle trône dans les néants où l'on envoie ceux qu'aucune famille culturelle ne peut récupérer sans mettre en danger son confort intellectuel.

Allons donc ! Laisserions la littérature, et surtout la littérature enfantine, nous faire croire que les bons ont des défauts, que les méchants ont des qualités ? C'est cette pénible idée que l'on trouve dans les aventures de Sir Jerry.

E CL

Mad H Giraud, Sir Jerry, Manon Iessel, résistance, antisémitisme

Les étranges vacances de Sir Jerry

Chapitre Premier

Dans lequel on retrouve quelques amis

L'avion blanc planait dans le ciel bleu. Il se rapprochait peu à peu de la terre, dessinant en l'air d'agréables figures qui montraient assez qu'il était piloté de main de maître.

Sur le sol, à quelque distance, tout un petit monde s'agitait, courant et criant, maintenu hors du champ d'atterrissage par une simple promesse qui valait toutes les barrières.

- Le voici ! Le voici ! C'est à moi ! C'est à moi !

- C'est à nous, tu veux dire, reprit une voix.

- Ce sera : à aucun, déclara une jeune personne. On a dit que les baptêmes de l'air cesseraient à quatre heures et demie. Il est quatre heures et demie.

On entendit quelques protestations, quelques regrets, mais aucun des enfants qui étaient là ne proposa d'essayer de gagner une demi-heure.

Une heure était une heure et une promesse se tenait sans défaillir.

Le pilote et ses deux passagers avaient débarqué : on accourut devant eux.

- Ce sera pour demain ! dit le premier, prévoyant la question des enfants. Et je commencerai par les petits. Maintenant, il faut rentrer. Tante Belle nous attend pour goûter.

- Oncle Dick, ce sera d'abord Nell et moi, n'est-ce pas ? C'est nous qui sommes les plus petits.

- Oui, mais tu es un garçon, Ned. Peut-être voudras-tu, poliment, céder ton tour à Mérouji et Anicette.

Ned fit une grimage. Il n'avait pas très envie d'être si poli que cela !

Ces demoiselles ne le lui demandèrent pas.

- Ned et Nell seraient trop impatients, dit Mérouji. Nous ne voulons pas de politesse ni de tour de faveur.

- Et peut-être pourrons-nous alors rester un peu plus longtemps, conclut Anicette, pratique.

- C'est magnifique ! criaient les deux passagers. On voudrait ne jamais redescendre.

- Ce serait bien agréable de faire un grand voyage, dit pensivement Patrice, l'aîné des garçons.

- Quel dommage que le Voleur-Fidèle ne puisse pas nous prendre tous, oncle Dick !

- Il faudrait un dirigeable, mon vieux, répliqua l'oncle Dick, pour vous prendre tous.

Le goûter était préparé dans le jardin de Belle-Maison. Le vieux maître d'hôtel, Thomas, apportait la grande bouilloire d'argent au moment où l'oncle Dick - Lord Armster - apparaissaient avec ses neveux.

Tante Belle, la charmante jeune tante que tout le monde chérissait, descendait les marches du perron en courant. Elle agitait une lettre entre ses doigts, comme elle aurait brandi un étendard victorieux.

- Sir Jerry arrive ! cria-t-elle. Il sera là demain.

- Papa ! Papa ! cria Mérouji. Quel bonheur !

La petite fille, d'un bond léger, s'en vint sauter au cou de Lady Armster :

- Oh ! tante Belle, quel bonheur ! Être ici auprès de vous tous avec papa !

- ça, dit son frère Jerry, ce sera les plus belles vacances de notre vie !

Il parlait posément, mais avec tant de conviction et d'émotion contenue que l'on devinait toute la joie de ce grand garçon de quinze ans.

Mad H Giraud, Sir Jerry, Manon Iessel, résistance, antisémitisme

La périlleuse mission du capitaine Jerry

Chapitre IX La vieille Ketty

(extrait)

Ce fut un jeu pour le capitaine Jerry d'arriver jusqu'à la lucarne de façon à regarder ce qui se passait à l'intérieur de la maison. Il aperçut d'un coup d'oeil rapide la salle unique qui formait toute l'habitation de la vieille Ketty. La vieille Ketty elle-même, la véritable vieille Ketty, était là, dans un coin. Assise devant une table couverte de gâteaux les plus divers, elle prouvait au capitaine Jerry que, contrairement à ce qu'on pensait, elle était corruptible et que sa gourmandise offrait un moyen très sûr d'ouvrir une porte que l'on pouvait penser bien fermée sur une pauvre folle.

Elle mangeait avec lenteur, savourant chaque bouchée d'un air de profonde satisfaction. Son observateur invisible ne s'attarda pas à ce spectacle attristant, mais il eut le temps de constater que la vieille Ketty, par prudence, sans doute, avait été attachée à sa chaise. Ainsi, elle ne pouvait bouger ni rejoindre au dehors, son "double", révélant par sa présence la supercherie qui, jusque là, avait arrêté les prédécesseurs du capitaine Jerry.

Celui-ci, pourtant, cherchait du regard, dans la pièce, des traces du passage de ceux qui devaient avoir une raison toute spéciale pour envahir la maison de la vieille Ketty et s'assurer son involontaire complicité. Et celui qui, empruntant la personnalité de la pauvre folle, veillait à la porte, avait sans doute aussi un motif pour cela.

Et, brusquement, le capitaine Jerry aperçut raison et motif. Dans un angle de la pièce, le lit de la vieille Ketty, sordide grabat, avait été déplacé, et l'on pouvait, de la lucarne, voir que ce lit, en temps habituel, dissimulait une trappe en ce moment découverte.

Quelle quantité impressionnante de gâteaux et de bonbons avait-il fallu à la vieille Ketty pour qu'elle laissât travailler chez elle ceux que poursuivait le capitaine Jerry !

Pauvre folle qui ne savait rien de ce que l'on tramait chez elle, contre son pays, et se laissait acheter, inconsciente, cette complicité ignorante.

Légèrement, le capitaine Jerry se laissa retomber à terre et secoua sa vareuse un peu salie par le contact du mur.

Et, délibérément, il revint à la porte de la maison et entra.

La vieille Ketty poussa une sorte de grognement, mais le capitaine Jerry avait tiré de sa poche un petit flacon de whisky. Il en versa un doigt dans le verre vide qui se trouvait sur la table et le tendit à la vieille femme qui s'en empara avec avidité.

Tandis qu'elle buvait, le capitaine Jerry se dirigea vers la trappe qui avait été un peu rabattue de façon à couvrir à moitié l'ouverture par laquelle il allait poursuivre ses ennemis.

 

Mad H Giraud