vendredi, 14 août 2009
Où est la folie ?
Où est la folie ? la folie est partie et ne revient jamais, ni avec le whiskey ni avec les poudres.
La folie n’est plus attachée au cœur de l’enfant
Où est la magie ? la magie est partie et ne revient plus, ni avec les femmes ni avec les hommes. La magie n’est plus attachée au cœur de l’enfant.
Où est la tendresse ? la tendresse s’est tarie il y a si longtemps. La tendresse n’est plus attachée au cœur de l’enfant.
Où sont les caresses ? les caresses ont changé quand les mains ont grandi. Les caresses ne font plus fondre autant.
Danser dans le soir jusqu’à la nuit noire, oublier la ville, les vils, conjurer les cauchemars, tourner pour retrouver le cœur, la joie, l’espoir.
Où est la souffrance ? la souffrance s’est maquillée, elle ne crie plus comme avant. La souffrance nue est partie avec le cœur d’enfant.
Rêves morts, vous reviendrez avec Elle.
Quand elle s’approchera grande et longiligne avec sa faux ses rires ses dents
Cruella la mort viendra m’emporter et renaîtront de leurs cendres
les beautés, les misères, les grandeurs et les luxures des temps trépassés.
Nadège S, pour Esther M
23.01.2008
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jeudi, 13 août 2009
La liberté mentale en Europe
« Notre conception humaniste du droit empêche de punir les hommes d’une façon préventive, avant qu’ils aient commis un méfait : la liberté qu’on leur accorde interdit de les assimiler à un animal nuisible, à un serpent venimeux ou à un chien atteint de rage. »
Chaïm Perelman
Les pays de civilisation occidentale développent à la fois une solidarité sociétale élaborée et les libertés civiles. Ils sont partagés entre deux tentatives : prescrire la vie de chacun selon des normes correspondant au meilleur du développement ; ou favoriser l’expression d’expériences variées, de talents créateurs.
Les questions de santé mentale se situent là où la liberté individuelle et la surveillance sociale s’opposent le plus. La psychologie et les sciences de la santé mentale cherchent à distinguer l’attitude juste de celle qui outrepasse la norme de bienséance. La surveillance de la santé mentale est entrée dans les écoles, dans les entreprises, dans les Cours de justice, et s’immisce, par ces biais, dans de nombreuses vies.
Ordre et civilisation
Comment gérer efficacement des millions d’individus, libres dans l’expression de leurs désirs et divers dans leurs choix de vie ? Il est naturel à un système administrant et sécuritaire de chercher à normaliser les gens, afin de traiter efficacement la multitude de cas individuels. Cette grande organisation ne manque pas de bienfaits. Elle assure à chacun un traitement égal, conçu d’après des besoins mesurés à l’aune du plus grand nombre.
Pourtant, quand la mesure du plus grand nombre s’impose avec force, inéluctablement un certain nombre d’individus souffrent sans recours de ce « bien » écrasant, étranger à leur être, qu’on veut leur imposer. Lorsqu’il s’agit de santé mentale, ces personnes sont touchées au plus profond de leur intimité : la pensée, la relation à son corps, le rêve, les croyances sur l’univers.
Administration et organisation sont toujours normatives, et de ce fait, malgré leurs avantages, toujours liberticides. Pourtant, la pensée radicale et le rêve forment des composantes essentielles de la civilisation, de la liberté. Nos héros des temps passés, rêveurs, créateurs, novateurs, n’auraient pas échappé, dès l’école primaire, aux diagnostics destructeurs des personnes chargées de la santé mentale. L’intrusion à l’excès de la société chez l’individu ne reflète pas un niveau élevé de civilisation, mais d’ordre.
Déviances et contextes
Il est facile d’être déviant : il suffit que la voie soit très étroite. Quand l’ordre social est serré, les personnes qui s’en écartent sont vues comme pathologiques. Dans une société qui exige peu de conformisme, les gens peuvent plus aisément développer des comportements variés.
La norme psychologique d’une époque est témoin de sa nullité autant que de sa beauté. La norme change avec la société. Le malade d’une époque peut-être un héros ou un bon citoyen à une autre. Devons-nous « soigner » tous ceux qui ne sont pas de leur époque mentale ?
Quand les éducateurs ont besoin de bras, ils mésestiment les enfants réfléchis et calmes. S’ils ont besoin de calme, ils conspuent la vivacité et l’énergie. L’hyperactivité est une maladie enfantine nouvelle qui consiste à crier, pleurer, taper, à ne laisser aucun répit aux adultes. En d’autres époques, cette vitalité aurait été appréciée, parce qu’elle aurait été utile. Mais quand l’école consiste à demeurer assis de longues heures entrecoupées de récréations dans de petites cours bétonnées, quand les appartements citadins ne permettent pas de liberté de mouvement, comment l’enfant énergique et libre ne paraîtrait-il pas déséquilibré ?
Dans un village de cultivateurs au Mexique, un villageois, à cause de son impotence pour la vie des champs, était vu comme un demi idiot par les villageois ; il passait cependant ses journées à compiler par écrit leur culture nahuatl millénaire.
Au regard de la pensée amérindienne, les hôpitaux psychiatriques ne peuvent être que le reflet monstrueux d’un monde totalitaire où l’esprit et le corps sont enchaînés ; ou l’on appelle les chamanes des schizophrènes.
Il n’y a pas de certitude psychiatrique. Plutôt que de tenter à tout prix de réaliser un monde parfait, cherchons à laisser le maximum de gens imparfaits vivre à leur guise.
« Ce qui aurait dû mourir avec le communisme, c'est la croyance que les sociétés modernes peuvent être gouvernées selon un seul principe, qu'il s'agisse de planification collective ou de libre jeu de marché, » note le philosophe canadien Charles Taylor, et l’on pourrait élargir sa pensée à la gestion psychologique de la société.
Troubles mentaux ou troubles sociétaux
Certes, on ne va pas laisser des fous faire n’importe quoi sous prétexte que tout est relatif. La santé mentale pose la question de la responsabilité. Celle de l’individu face à la société ; celle de la société face à l’individu. Mais, de même qu’il n’est pas difficile d’avoir l’air coupable face à un juge, il n’est pas difficile de paraître malade face à un docteur… Le diagnostic médical, comme le jugement, disqualifie la parole de la personne en observation.
Les valeurs peuvent être différentes sans être criminelles. Interdire l’inceste, saine résolution, n’implique pas d’imposer des modes de relations familiales. Les psychologues prônent aujourd’hui sévèrement que les parents ne dorment pas avec leurs enfants. C’est pourtant chose fort répandue dans toutes les sociétés du monde où la maison familiale ne possède qu’une couche, et ce l’était également dans les fermes d’Europe il y a peu.
A force d’organiser une gestion humaine parfaite, qui prend en compte tous les aspects de la vie, nous planifions l’annihilation totale de la liberté individuelle et de conscience. Définir précisément ce qu’est l’humanité, la société, l’individu, la santé mentale, revient à imposer une idéologie, une vision du monde qui périme toutes les autres.
Lorsque nous nous protégeons de qui met en danger la vie d’autrui, et aidons les gens malheureux à mieux respirer dans notre monde, demandons nous à quel point nos rues doivent être normales, à quel point nos vies doivent être lisses. La présence des gens « fous » dans notre sphère de vie quotidienne est vitale pour eux, mais aussi pour toute la société, parce qu’ils étirent l’espace de vision, de pensée et d’attitude. Nos exclus, nos parias, nos fous représentent nos plus grandes peurs. Être en quête obsessionnelle d’équilibre, n’est-ce pas être encombré en permanence de pensées qu’une personne « équilibrée » n’aurait jamais ? On emploie l’expression de « personnes atteintes de troubles mentaux. » Mais vivre, n’est-ce pas, justement, être atteint de graves troubles mentaux qui ne guériront que dans la mort ?
Psychiatrie et Incertitudes
Au sein d’une famille, d’un Etat, les anormaux et les déviants ne sont pas rentables. L’acceptation ouverte de ces gens, dès lors qu’ils ne posent pas de danger grave, représente la garantie que nous avons d’autres valeurs que le contrôle total et la rentabilité, d’autres aspirations que le fonctionnement optimal des choses, d’autres envergures intellectuelles que la certitude de ce qui est et de ce qui n’est pas comme il faut.
Selon l’Organisation mondiale de la santé, « Good health is a state of complete physical, mental and social well-being, not merely the absence of desease and infirmity ». C’est très vrai ; mais c’est si flou qu’il faudrait décider de renoncer à jamais à établir des normes européennes pour la santé mentale.
Qui peut ôter à autrui la liberté d’être soi ? Aux égarements individuels, ne répondons pas par la folie du contrôle total.
Ne croyons pas que nous progressons parce que nous quittons une erreur pour entrer dans une autre. Il n’y a sans doute pas de progrès. Il n’y a sans doute pas de régression. Il n’y a peut-être que la vie, ce grouillement impulsif, et la prison mentale des humains, dont la forme des barreaux change au gré des générations.
Edith de Cornulier-Lucinière, Paris
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mercredi, 12 août 2009
Un amas confus de maisons ...
Paris au XVIIème siècle...
Phot Sara
Un amas confus de maisons
Des crottes dans toutes les rues
Ponts, églises, palais, prisons
Boutiques bien ou mal pourvues
Force gens noirs, blancs, roux, grisons
Des prudes, des filles perdues,
Des meurtres et des trahisons
Des gens de plume aux mains crochues
Maint poudré qui n'a pas d'argent
Maint filou qui craint le sergent
Maint fanfaron qui toujours tremble,
Pages, laquais, voleurs de nuit,
Carrosses, chevaux et grand bruit
Voilà Paris que vous en semble ?
Paul SCARRON
(1610-1660)
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lundi, 10 août 2009
L’amitié
Phot Sara
Pourquoi l’amitié est toujours reléguée derrière l’amour ?
Quelqu’un qui se met en couple, dans notre société, a tendance à faire imperceptiblement (ou parfois très perceptiblement) passer le partenaire de couple avant les autres personnes qui l’accompagnent. Cette hiérarchie des relations, mise en avant par le modèle social qui émerge du fouillis des médias, de la culture populaire, des publicités, ne me parait pas justifiée.
Le sentiment d’évidence encore une fois n’est souvent que le résultat d’une campagne idéologique.
En quoi une relation amoureuse impliquerait l’union quasipermanente, économique, sociale, amicale, des deux amants ?
En quoi fonder une famille ensemble impliquerait la désagrégation de deux vies personnelles au profit d’une fusion qui ne laisse pas la place aux projets personnels, aux grandes amitiés individuelles ?
Cette primauté du couple, qui n’a rien à voir avec la vie amoureuse, est une norme sociale étouffante qu’on met en avant. Elle n'a rien à voir avec la liberté ou l’amour. Et ne pas être en couple, au regard de beaucoup, est un manque à combler, la marque d’un échec. A l’instar de la publicité, l’opinion courante créée une pression en associant le couple avec la liberté et l’amour, l’individu célibataire avec la solitude et la frustration. Lorsqu’une personne est seule, il semble que tout l’entourage s’accorde à penser que c’est parce qu’elle n’a pas trouvé quelqu’un. Pourquoi un tel idéal de couple ?
Le couple économique et amoureux (un foyer, un lit double), censé mélanger, comme mon amie Mathilde Felix-Paganon me l’exprimait un jour, le sel de l’amour fou hollywoodien et le beurre de la PME fleurissante, trouve à mon avis sa source dans l’accomplissement du capitalisme.
Virginia Woolf décrit bien dans Orlando cette petite-bourgeoïsation de la société européenne, qui apparaît au XIXème siècle, avec le tourisme, les classes moyennes, la société industrielle et qui regroupe les gens par deux. Un foyer, deux adultes qui partagent le lit.
Ce n’est plus vraiment une alliance économique, car le rêve de l’amour fou est là. Ce n’est pas non plus une histoire d’amour libre, car des considérations économiques et sociales pèsent largement.
C’est donc une norme morale et sociale économicoaffective. Une norme qui atténue la libération de l’individu en lui accolant un partenaire sous peine de passer pour un échec. Une norme qui atténue la vie collective parce qu’elle relègue les enfants et surtout les vieux sur un plan second (les premiers doivent quitter le nid familial dès que possible pour fonder leur couple si possible, se démerder tous seuls sinon, les seconds ne sont pas invités à vieillir chez leurs enfants mais doivent partir en maison de retraite).
Les publicités des banques, des assurances, des marques mettent en scène des couples amoureux.
Les publicités gays le font aussi. La militance homosexuelle s’attarde beaucoup à mettre en valeur le couple et contribue à imposer cette domination de l’assemblage binaire (économique, affectif, social) des gens.
Il semble que l’imagerie générale s’est mise au pas du ménage type Insee. Et si l’on remet beaucoup en cause l’hétérosexualité du couple, on évoque rarement la possibilité de créer d’autres formes d’alliance, de familles et de modes de vie que celles fondée sur le couple.
Pourtant… Sur les rives de l’amitié il y aurait tant d’aventures à vivre.
L’amitié est plus libre car elle n’est pas prise d’assaut par la publicité. Elle ne figure pas en première place du kit que toute personne ayant réussi socialement doit être en mesure de brandir.
L’amitié est belle aussi parce qu’elle peut s’insérer dans les relations familiales et amoureuses. Il y a de belles amitiés entre mère et fils, entre frère et frère, entre amants.
Un ami, c’est une histoire d’amour et de fraternité
Pourquoi ne pourrait-on pas adopter un enfant avec un ami ?
Se pacser avec un ami pour le faire hériter ?
Je ne vais pas commencer à demander de légiférer l’amitié (prônant, par exemple, l’amicoparentalité, le mariage amical…), parce que justement toute la beauté de l’amitié réside dans le fait que l’administration et les médias de masse ne l’ont pas encore découpée, mesurée, asservie.
Je voulais juste mettre en scène le fait que nous sommes beaucoup moins libres que nous pourrions l’être, quand nous correspondons à l’image du bonheur tel que l’imagerie de la société nous la renvoie. Un bonheur deux par deux, clos. Un bonheur par paire, qui nous cache toutes les magnifiques histoires d’amitié, les partages, les inventions que nous pourrions créer si nous étions libres, des histoires qui mélangeraient nos familles, nos amants, nos amis.
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vendredi, 07 août 2009
J'arrive où je suis étranger
Rien n'est précaire comme vivre
Rien comme être n'est passager
C'est un peu fondre comme le givre
Et pour le vent être léger
J'arrive où je suis étranger
Un jour tu passes la frontière
D'où viens-tu mais où vas-tu donc
Demain qu'importe et qu'importe hier
Le coeur change avec le chardon
Tout est sans rime ni pardon
Passe ton doigt là sur ta tempe
Touche l'enfance de tes yeux
Mieux vaut laisser basses les lampes
La nuit plus longtemps nous va mieux
C'est le grand jour qui se fait vieux
Les arbres sont beaux en automne
Mais l'enfant qu'est-il devenu
Je me regarde et je m'étonne
De ce voyageur inconnu
De son visage et ses pieds nus
Peu a peu tu te fais silence
Mais pas assez vite pourtant
Pour ne sentir ta dissemblance
Et sur le toi-même d'antan
Tomber la poussière du temps
C'est long vieillir au bout du compte
Le sable en fuit entre nos doigts
C'est comme une eau froide qui monte
C'est comme une honte qui croît
Un cuir à crier qu'on corroie
C'est long d'être un homme une chose
C'est long de renoncer à tout
Et sens-tu les métamorphoses
Qui se font au-dedans de nous
Lentement plier nos genoux
O mer amère ô mer profonde
Quelle est l'heure de tes marées
Combien faut-il d'années-secondes
A l'homme pour l'homme abjurer
Pourquoi pourquoi ces simagrées
Rien n'est précaire comme vivre
Rien comme être n'est passager
C'est un peu fondre comme le givre
Et pour le vent être léger
J'arrive où je suis étranger
Louis Aragon
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mercredi, 05 août 2009
Errants des mégapoles d'Europe
Lorsqu’on traduit les droits de l’homme dans les langues qui ne possèdent pas les mots de la philosophie grecque et chrétienne, les articles sont ramenés à leur plus simple expression. Chacun peut aller où il veut… chacun peut avoir une maison… L’ironie du grand texte nous prend à la gorge : en son nom, nous jetâmes sur la Serbie, sur l’Irak, des bombes. Mais dans nos cités, n’est-ce pas l’inégalité qui plonge les gens dans la misère et l’oppression qui les laisse sans ressource ?
Le roman des jungles urbaines
Comme les figures célèbres des romans - Jean Valjean, Oliver Twist et Rémi sans famille, Gervaise et les filles de De Quincey -, les peuples de l’abîme vivent dans l’inframonde de la cité, se disputent ses restes, se réchauffent loin du soleil social.
Mais, exaltés dans la fiction, on les conspue dans le réel. On force les enfants à finir le poulet, puis les berce avec l’histoire d’une gentille petite poule ; de même, on les écarte de cet homme aux habits miteux qui empeste sur le macadam, pour leur conter, avec des larmes dans la voix, l’histoire de Jean Valjean.
Il faut pourtant poser des yeux ouverts sur notre monde. Dans les rues des villes, des hères survivent au milieu de la grande consommation. Pour les humains brisés par les travaux, l’isolement et le manque, il n’y a pas de recours. Au XXème siècle, nous vîmes éclore des architectures qui parquaient les êtres dans des tours laides, vite insalubres, aux portes des villes. Mais voilà que fleurissent de nouveaux nomadismes.
Les gueux
Qui sont ces êtres qui, lorsque nous tirons les verrous sur la chaleur de notre foyer, continuent de hanter la nuit de la ville ?
Le paria vit hors du monde social ; il l’accepte, bien qu’il en souffre : c’est une condition de sa dignité morale. Il ne veut pas de la vie cadrée, sans choix, sans vérité, que le monde lui propose. L’exclu s’est trouvé déshérité, socialement, matériellement, financièrement. Il n’attise pas la pitié de la société ; il l’indiffère, ne correspondant ni à ses héros, ni à ses protégés. On assiste le défavorisé avec condescendance ; il en souffre, ou bien il est complaisant.
Ainsi la figure de l’exclu est double : celui qui refuse notre monde ; celui qui n’y accède pas. La société pose, comme condition pour donner l’asile à un être humain, qu’il accepte le contrat qu’elle lui propose. Mais ce contrat n’est-il pas biaisé, entre une énorme société organisée et l’individu qui naît en son sein ?
L’espace, la lumière et le mouvement
Où peuvent vivre les gueux, avec leurs chiens et leurs bagages, sans déranger l’ordre économique et social ? La rue n’est pas libre. Tout l’espace du monde est sous contrôle. Où vivre, où déployer son corps, où cueillir sa nourriture ? Des courageux se battent pour le droit des animaux à vivre leur animalité dans un monde dévoré par le « progrès ». Etendons cette lutte aux humains : qu’ils puissent aussi vivre leur animalité – le déploiement libre de leur corps et de leur cœur dans un espace ouvert.
La liberté de circuler, la liberté de vivre sous un toit, supposent mille papiers en règle. Les champs, les forêts, les océans ne sont plus libres.
Que signifie une liberté qui ne serait qu’un concept, un droit différé, un droit administré ? L’homme face à l’univers n’existe plus : il n’y a plus que l’homme face à la société et la société face à l’univers.
« Comment cela s'appelle-t-il, quand le jour se lève comme aujourd'hui, et que tout est gâché, que tout est saccagé, et que l'air pourtant se respire, et qu'on a tout perdu, que la ville brûle, que les innocents s'entretuent, mais que les coupables agonisent, dans un coin du jour qui se lève ?
- Demande au mendiant. Il le sait ».
- Cela a un très beau nom, femme Narsès. Cela s'appelle l'Aurore ».
Jean Giraudoux, Electre
Sur les routes d’Europe
Quel est le sens d’une culture qui s’oppose à la nature ? Quelle est l’essence d’une liberté qui oppresse les désirs des hommes ? Qu’est-ce qu’une économie qui broie l’individu ? Les errants d’Europe interrogent le fond des droits que nous prônons, des devoirs que nous exigeons. Une Europe suradministrée, surcontrôlée, où les droits théoriques se traduisent par des procédures administratives, ne peut être un rêve – ne peut être un phare. A l’aurore de notre avenir commun, ne choisissons pas une survie matérielle réglée pour les obéissants, tandis que les autres sont relégués aux mondes d’outre-société.
Que le visionnaire et le pragmatique triomphent de l’idéaliste, du fataliste et du procédurier. Le rêve européen ne doit pas être administratif et gestionnaire. Il doit avoir aussi ses routes libres…
Edith de Cornulier-Lucinière, Les Sables d’Olonne, Juillet 2006
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lundi, 03 août 2009
Echec de l’école ou réussite de la télévision ?
phot Sara
Un ami m’écrit ce matin que les enfants français passent 850 heures à l’école et 796 par an devant la télévision.
Un tel chiffre relativise à mon avis ce qu’on appelle l’échec de l’école.
L’école peut-elle réellement cultiver et instruire des enfants qui passent autant de temps, ensuite, à se décerveler ?
Car la télévision décervelle. Visuellement, intellectuellement, culturellement, elle offre tout au rabais. Une vulgarité constante imprègne les images et les mots. Quant aux sons, répétitifs, criards, ils assomment toute possibilité de réflexion.
D’ailleurs, j’ai lu récemment qu’on avait calculé qu’un enfant européen reçoit presque 1000 publicités par jour (en comptant tous les supports publicitaires possibles). A mille pubs par jour, l’enfant est foutu. L’école ne peut plus rien faire. Aucun soutien financier, aucune intervention étatique ne pourra jamais contrebalancer l’injection de 1000 mensonges et incitations par jour dans les cerveaux enfantins.
La défense de la télévision sous prétexte qu’il y a des programmes intéressants, ou encore qu’elle ouvre sur le monde, ne me parait pas très probante, surtout qu’il faudrait dans ce cas la regarder une à deux fois par mois et que les gens le font bien plus souvent.
Savoir s’occuper sans avoir rien à faire de spécial et sans appuyer sur le bouton de la télécommande, savoir réfléchir et créer une pensée sans entendre constamment une voix qui informe et en informant prescrit ce que nous devons penser, c’est savoir vivre par soi-même.
Mais pourquoi vouloir vivre par soi-même si cela désociabilise ? Qui ne suit pas exactement les pérégrinations de « l’actualité » ne s’expose-t-il pas au ridicule, voire à la méfiance et à l’exclusion de la fête sociale ?
L’école instruisait et cultivait lorsqu’elle était la principale source de savoirs des enfants. Ils apprenaient à l’école et digéraient ensuite ce savoir en vivant leur vie du soir et de la fin de semaine. Mais maintenant, la source officielle de savoir – et les parents le prouvent en y étant accrocs, eux aussi - , c’est la télévision. L’école n’est donc pas totalement responsable de son échec : c’est l’emploi du temps des enfants, gorgé de télévision, qui a tant dévalorisé l’école.
Ce n’est pas une plainte trop amère, puisque j’ai haï l’école et que je l’ai trouvée niaise. Heureusement, je n’aurais jamais eu l’idée de lui préférer l’injection dans mon cerveau de programmes télévisuels abjects ou tout simplement de culture au rabais.
Axel Randers
(2006)
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samedi, 01 août 2009
Etrange texte d'Esther Mar
VillaBar 6 = Hymne à Baudelaire, au Nouveau Testament et à Aragon.
La dernière auberge raconte une histoire ouverte, onirique. Loin des scénarios aussi limpides que balisés les mots suggèrent plus qu’ils ne racontent, ils dévoilent plus qu’ils ne confessent. J’ai eu l’impression aussi que cela parlait du jour et de la nuit. Un ange se promène au Manoir de VillaBar et tente d’entraîner les fêtards du Manoir sur les routes de perdition. Il y parvient, et Dieu-Saturne n’y peut rien : il arrive trop tard pour sauver ses ouailles.
La dernière auberge n’est-elle pas une variation sur le thème de Dorian Gray ? Lys de Fleur fête son anniversaire au Manoir. Au beau milieu de la soirée, alors qu’elle souffle les bougies de son gâteau, elle entrevoit une très belle femme plus âgée qu’elle : elle comprend que cette femme, c’est elle-même, ou plutôt, ce serait elle-même si elle acceptait de vieillir. Heurtée, elle se lève, tombe, et ne sortira plus de son coma.
Car les fêtards de VillaBar festoient pour oublier la mort et contrer la vieillesse. Mais lorsqu’ils arrêtent de tourner, la vérité réapparaît.
Or, nous devons au moralisme profondément catholique – bien que souvent peu orthodoxe – d’Esther une conclusion qui en inquiétera certains, en soulagera d’autres. Ne pas vieillir, ne pas mourir, c’est possible. Hélas, c’est justement le chemin de la damnation.
Notre héroïne Lys de Fleur, entrant dans son coma puis dans la mort, est donc sauvée. Ceux qui meurent sont sauvés de l’éternité damnatoire, tandis que ceux qui suivent l’ange demeurent jeunes et beaux, certes, mais en enfer.
Il ne reste plus qu’à apprécier l’enfer. Sara dit qu’après lecture de Dante, le lieu ne lui semble pas si désagréable que le paradis et le purgatoire. Peut-être. Mais l’enfer d’Esther, à peine décrit, juste ébauché, ne me donnait pas envie.
Esther Mar a prit des libertés. Elle a renommé John Peshran-Boor (alias Jean-Pierre Bret) Saturne, et Venexiana Atlantica, morte, a donné son visage à l’Ange du Mal.
Un symbolisme inquiétant entoure l’Europe, personnifiée par le personnage de Mavra (créée par Sara, reprise par Iris Ducorps, puis Antonio Zamora, puis par les auteurs du blog des personnages de VillaBar).
Bref, la dernière auberge, sixième roman photo villabarien, est un monde de symboles qui tranche avec l’univers joyeux et léger d’Antonio Zamora (cinquième VillaBar, Le Chevalier de l’Amour) sans trancher avec VillaBar.
(2008)
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Dans l'avenue Desbordes-Valmore
La rencontre irréelle, mais vraie, de Claire Carmen Elisabeth Soledad Dos Santos Brazil Caravalhes et Joan Clark, des années après…
Sur Los Angeles II, en 2115, dans la fraîcheur inattendue des arbres, deux femmes marchent et discutent. Elles attendent de croiser un chevalier et son enfant. Il s’agit du demi-frère de celle qui a les cheveux blonds, François II, et de son fils Neptune.
Joan a les cheveux roux mais ses yeux sont verts comme les étangs. Le vert des yeux de Claire tire vers les feuilles des arbres quand l’été bat son plein. Leurs voix éclatent, se taisent. Leurs voix éclatent, se taisent. Les cours de récréation sont loin dans le passé.
Elles se souviennent leurs 13 ans, de leur rencontre, de leurs amours adolescentes et de leur séparation… Après un an d’amour passionné, caché à tous, elles s’étaient tirées les cheveux, donné des gifles, haletantes de colère, mais ne peuvent se souvenir pourquoi. Elles ne s’étaient plus parlées jusqu’au dernier jour de la classe. L’année suivante, leurs parents les avaient inscrites dans des écoles différentes, dans des pays éloignés. Elles ne s’étaient plus revues. Et chacune dit ce qui a suivi. Pour Claire, des années de révolte et de découverte de la vie, par les sentiers que prennent ceux que la grande porte du monde refoule.
Pour Joan, de brillantes études scellées par un diplôme de droit lui donnant accès aux professions les plus prestigieuses de la voie lactée.
Elles viennent de se retrouver et sont calmes et émues. Le fantôme d’un amour mort hésite à revenir. Il s’en va. L’amitié naissante sur l’avenue Desbordes-Valmore (renommée l’année dernière Desbordes-Valmore Street) peut éclore. L’avenue est belle, les arbres, des cornouillers importés du Jardin des Plantes de Nantes, sont verts ; un peuple de nénuphars endormis embaume dans la rivière qui coule au milieu de l’avenue. Quelques scooters, rares, volent dans les airs parmi les deltaplanes. Cela fait du bien de parler latin dans cette ville où l’anglais domine depuis peu, après des années d’interdiction. Mais voici qu’elles passent devant la statue d’Armande de Polignac. La coiffure de la compositrice de marbre scintille dans la lumière blanche de Desbordes-Valmore Street.
- Je n’arrive pas à croire que je suis en train de parler avec toi.
Claire vient de parler. Joan sourit. Incrédule, elle aussi, elles font cependant face à ce miracle : elles viennent de se retrouver et marchent l’une à côté de l’autre depuis au moins sept minutes.
Une fresque décore la façade murale droite de l’avenue. Dans des couleurs bleues, or, ocre, s’étale en plusieurs épisodes le combat opposa Montherlant et Yourcenar. Un immense hommage à Turing scinde la fresque… Claire et Joan passent devant la cathédrale Saintes Edith et Edith Stein, déserte à cette heure… Un jardin suspendu de bonzaï raconte en taillis d’arbre un roman de Françoise de Grafigny. Les scènes du roman, découpées dans les arbres, rappellent les lectures d'école.
Sur le marbre rose du jardin suspendu, un voyou comme il en erre dans cette partie du Ciel Ouest a gravé un hymne à deux hommes de deux siècles passés : Pic de la Mirandole et James Douglas Morrison. Claire et Joan reconnaissent en riant l’habitude ciel-ouestienne de graver les choses interdites dans le marbre rose. Et elles échangent un regard lourd de souvenir. Qu’elles en gravèrent, des poèmes, sur les incrustations de marbre des rues qui entouraient le pensionnat !
Mais voilà que Desbordes-Valmore Street donne, sur la gauche, sur un parc fleuri, verdoyant. Un panneau indique que la stèle d’Enheduanna se trouve dans Ogoun Ferraille Park. Joan propose du regard ; Claire accepte et pousse le portail du parc d’Ogoun Ferraille. Les statues de Caïn Grovesnore, Venexiana Stevenson et Morgana Bantam Dos Santos trônent, sur lesquels volent des canards, descendants de l’arche de 2080, derniers importés de la terre et déjà bien adaptés.
La conversation continue, au rythme lent des pas qui avancent au milieu des feuilles jonchant les allées laissées à un abandon relatif et heureux.
Le frère aîné de Claire, François I Dos Santos Brazil Caravalhes, est en train de devenir riche sur Terre, au Brésil, où il a repris des exploitations agricoles tombées en abandon.
- François I a des enfants ?
- Oui.
- Et François II ?
- Oui, aussi. Tu vas le voir, son fils. Il s’appelle Neptune.
- Quel âge a-t-il ?
- Sept ans.
Joan hume l’air. Comme elle est sérieuse ! Elle ressemble aux avocats, elle est riche et belle et diplômée et elle marche d’une sûre démarche, où la confiance se mêle à la souplesse. Claire l’admire et se souvient de Joan qui frappait à la porte de sa chambre au pensionnat mal-aimé.
(Cela eut lieu tous les soirs pendant un an, au collège nahuatl-latin de Mexico, collège recréé en 2050, alors qu’il n’existait plus depuis plusieurs siècles).
Le hasard de leurs retrouvailles paraît fabuleux. Claire et son demi-frère ont pris rendez-vous avec une avocate pour discuter du vaisseau spatial qu’ils possèdent ensemble, et qui se trouve depuis plusieurs jours radié de la carte routière officielle du ciel Ouest. De l’avocate, envoyée par l’Institut Ciel Ouest, on ne savait pas le nom et la reconnaissance fut une surprise… Un regard… Une hésitation ; des gestes maladroits, et les deux prénoms, sur un ton d’interrogation incrédule :
- Claire ?!
- Joan ?!
Et l’immense stupeur qui dura quelques secondes, puis les rires et les étreintes.
Leur affaire amoureuse avait commencé dans la chambre de Joan, un soir de veille avant un contrôle sur les mémoires de Joinville.
Joan rit.
- c’est drôle de se retrouver à Los Angeles II. On rêvait de ce lieu ensemble.
- Il te va bien.
- Il nous va bien.
François II et Neptune seront certainement sur la place, au bout de l’avenue. Le rendez-vous imprécis disait « Desbordes-Valmore Street, vers neuf heures du matin ». Il est à peu près neuf heures, l’avenue est longue, mais la place qu’elle dessert est un lieu connu et fréquenté.
Est-ce qu’il va se passer quelque chose ? Oh, stupide question. Il se passe justement quelque chose. Ce n’est rien, mais c’est beaucoup. Une retrouvaille, une marche partagée, un filet d’émotion qui se dévide sur l’avenue presque vide.
En passant devant la Villa Carson, le haut parleur passe un chœur d’adolescents chantant les phrases mystérieuses et profondes de la Ballade du café triste, de Carson McCullers. L’amour y est dévoilé dans sa vérité miroitante : «It is for this reason that most of us would rather love than be loved. Almost everyone wants to be the lover. And the curt truth is that, in a deep secret way, the state of being beloved is intolerable to many. The beloved fears and hates the lover, and with the best of reasons. For the lover is for ever trying to strip bare his beloved. The lover craves any possible relation with the beloved, even if this experience can cause him only pain».
La fin de la solitude partagée pointe son nez. Desbordes-Valmore Street va bientôt s’ouvrir sur la grande place des Premiers Astronautes. Au loin, sous le rayon de soleil blanc-vert qui frissonne dans le matin, un homme et son petit garçon se donnent la main. Leurs habits verts flottent dans le léger vent. Ils attendent. Malgré la distance, on voit sur leurs visages familiers le beau dessin de leurs sourires.
28 juillet 2009
Tiédeur de la chambre, odeurs du bois et des vieilles feuilles.
Édith de Cornulier Lucinière
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vendredi, 31 juillet 2009
La personne, le groupe et l’universel
La discrimination consiste à rejeter les gens à cause d’une particularité ; par exemple, en fonction de leur couleur de peau – et l’on parle alors de racisme - de leur sexe, et l’on parle alors de sexisme.
La discrimination positive reprend ces critères, pour inverser le processus, et contrebalancer les discriminations par des faveurs. Elle consiste donc, rigoureusement, en du racisme positif, du sexisme positif.
Trois questions surgissent :
Est-ce en allumant des feux qu’on éteint un incendie ?
Devrons-nous faire la différence entre les bonnes et les mauvaises discriminations, et nous satisfaire ici d’avoir été discriminé positivement, pour nous plaindre là d’avoir été discriminé négativement ?
Notre société humaniste et universaliste peut-elle accepter de considérer une personne, non en tant que telle, mais comme ressortissante d’un groupe qui la définit ?
I La discrimination positive et la raison du plus bête
Le critère discriminateur est le même pour la loi qui répare que pour le particulier qui discrimine. La loi respecte donc les critères établis par le sentiment de rejet. Elle adopte ainsi la vision méprisante. Raison est donc donnée au regard discriminateur.
Unir ou désunir ?
La discrimination positive n’aplanit pas les différences, elle les entérine. Nier les différences est sans doute inefficace ; les souligner, les figer, les graver dans le roc de la pensée commune est-il meilleur ? A se focaliser sur la différence, qu’on l’exalte ou la conspue, on la met en valeur. Là, réside un choix de société qui constitue une direction générale de la pensée, séparatrice (clanique) au lieu d’être unificatrice (universaliste). Dès lors, comment demander aux gens de ne pas juger autrui d’après des critères devenus légaux, tel le sexe ou l’apparence physique ?
Victimes professionnelles
La discrimination positive crée des situations perverses : être victime n’est plus seulement un fardeau, mais une source d’avancement, professionnel et social. La professionnalisation de la victime ne peut constituer une amélioration durable de notre société.
Elle s’accompagne nécessairement de la désignation d’un coupable. Le non discriminé « dans la vie » se retrouve grand discriminé par la loi, qui le défavorise au nom de la justice : un coupable ainsi dévolu peut-il accepter indéfiniment un tel rôle, surtout quand, en tant qu’individu, il n’a rien à se reprocher ? Peut-on demander à l’individu innocent qu’il fasse les frais d’actes commis par d’autres, sous prétexte qu’il partage leur sexe ou leur couleur de peau ? Mieux vaudrait faire en sorte que les responsabilités, droits et devoirs du citoyen soient jugés indépendamment de n’importe quelle type d’appartenance identitaire.
La couleur
Discriminer - négativement ou positivement - en fonction de la couleur de la peau, c’est forcer les gens à s’identifier à leur couleur. Au Pérou, j’ai entendu des gens que j’aurais pris pour des Indiens hurler aux Indiens « sales indiens !». J’ai aussi vu des hommes que je trouvais blancs parler quechua, vivre comme les paysans indiens, et ils étaient vus comme « indiens » : le statut social et le mode de vie définissaient ces deux catégories. Avec l’influence nord américaine « antiraciste » figée, les gens apprennent à se voir selon les critères de l’antiracisme, qui sont calqués sur ceux du racisme. Il n’est pas rare de voir les gens se vanter d’être des Indiens auprès d’Occidentaux antiracistes et se vanter d’être blancs auprès de leurs concitoyens indiens.
Le sexe
Quant au sexe, ce n’est pas en pénalisant des hommes au profit de femmes qu’on va assurer l’égalité. C’est l’ouverture des universités et professions aux femmes qui a fait qu’elles sont peu à peu devenues aussi éduquées et libres que les hommes. Les femmes ont mis cent ans à rattraper les hommes : comment s’en étonner ? L’exigence de la perfection immédiate est un déni de la réalité. En Chine, l’égalité entre les hommes et les femmes, proclamée dictatorialement par Mao, n’a pas empêché un véritable massacre de masse féminin. On ne façonne pas durablement les volontés et les idées par décret : ceux-ci n’influencent que les discours : chacun dit ce qui est autorisé, mais les mentalités n’évoluent pas. Les totalitarismes le démontrent : il suffit que la pression se relâche pour voir que rien n’a avancé. La patience face à l’évolution en profondeur est seule efficace.
Les quotas
Les quotas soulignent la différence entre la personne qui est là par son « mérite » et la personne qui est là par sa couleur de peau ou parce qu’elle est une femme.
Ceux qui réclament la discrimination positive disent parler au nom de la générosité. Ceux qui la refusent peuvent faire de même : des individus noirs aux Etats-Unis, ont préféré renoncer à l’université quand ils ont su qu’ils y étaient reçus pour remplir des quotas. Leur parole serait-elle écrasée par les gens qui disent parler en leur nom ? Un homme n’est pas réduit au groupe sociétal auquel il appartient – il est même censé, en pays humaniste, en pays universaliste, le transcender !
II La discrimination positive et la loi du plus fort
Une apparence d’égalité offerte à ceux qui crient le plus fort à l’injustice ne saurait représenter autre chose qu’une mascarade de justice.
Discrimination et reconnaissance
Les discriminés les plus discrets seront toujours les plus maltraités.
Car la discrimination la pire, c’est celle, justement, que personne, jamais, ne dénonce. Les « discriminés positifs » en cachent d’autres, dont on ne parle pas, dont la défense n’est pas promue par les pouvoirs publics.
De toute société émane des discriminations, qui peuvent être officielles, légales, interdites, bannies, selon les lois et les modes. La discrimination positive n’annule pas la discrimination, elle la régule selon ses normes.
L’humanisme, l’universalisme
La discrimination positive nuit à l’humanisme, qui s’intéresse à la personne humaine dans son individualité, et non dans ce qu’elle représente extérieurement. En sacrifiant des individus, elle rompt avec une longue tradition humaniste qui visait justement à ce que la personne humaine ne soit plus victime de son groupe, mais s’en libère et soit protégé pour elle-même.
Si l’on analyse bien les aspects de la discrimination positive, on réalise qu’elle n’est pas universaliste, ni humaniste, puisqu’elle ne considère pas la personne humaine comme la mesure irréductible de toute chose, et préfère sacrifier un individu au service d’un groupe.
Un tel choix tranche d’avec la culture judéo-chrétienne, humaniste, universelle, laïque. Cet humanisme et cet universalisme ont versé beaucoup de sang, en leur nom violence fut faite. Mais il faut savoir ce qu’on perd, au moins, si on le fait sombrer. Notre société a péniblement, lentement réussi à construire un monde où la personne a le droit d’être seule face à l’universel, où elle est la mesure inaliénable.
L’humanisme universaliste n’est pas la seule pensée généreuse ; mais c’est lui qui, malgré ses errements, ses violences, crée ce respect de la personne, inaliénable à aucun groupe, à aucun pouvoir. Sans lui, ne risquons-nous pas une société de mafias, d’ethnies, de clans, où sans cesse le groupe se dresse entre l’individu et sa liberté ?
Par delà les identités apparentes…
Nous devrions refuser une gestion qui délaisse notre valeur inaliénable d’êtres humains, pour nous classer avec des critères de mesure fondés sur notre apparence extérieure et notre statut social. Un calcul permanent serait dès lors utile pour faire privilégier un groupe ici, défavoriser un autre là. Et ces humains parqués dans des identités artificielles se regarderont avec défiance, les groupes en concurrence se dressant les uns contre les autres.
Quelle négation de la richesse et de la complexité des interactions humaines ! Quel Etat, quelle société peut ainsi mesurer toute la vie en vue d’un monde parfaitement équitable ? Refusons le meilleur des mondes, et tâchons de faire le meilleur dans un monde qui a toujours, partout, été épouvantable.
édith de cornulier lucinière
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mercredi, 29 juillet 2009
Psaume
Tu me scrutes, Seigneur, et tu sais !
Tu sais quand je m'assois, quand je me lève ;
de très loin, tu pénètres mes pensées.
Que je marche ou me repose, tu le vois,
tous mes chemins te sont familiers.
Avant qu'un mot ne parvienne à mes lèvres,
déjà, Seigneur, tu le sais.
Tu me devances et tu me poursuis, tu m'enserres,
tu as mis la main sur moi.
Savoir prodigieux qui me dépasse,
hauteur que je ne puisse atteindre !
Où donc aller, loin de ton souffle ?
Où m'enfuir, loin de ta face ?
J'avais dit « les ténèbres m'écrasent »
mais la nuit devient lumière autour de moi.
Même la ténèbre pour toi n'est pas ténèbre,
et la nuit comme le jour est lumière !
C'est toi qui as créé mes reins,
qui m'as tissé dans le sein de ma mère.
Je reconnais devant toi le prodige,
l'être étonnant que je suis :
étonnantes sont tes oeuvres
toute mon âme le sait.
Mes os n'étaient pas cachés pour toi
quand j'étais faonné dans le secret,
modelé aux entrailles de la terre.
J'étais encore inachevé, tu me voyais ;
sur ton livre, tous mes jours étaient inscrits,
recensés avant qu'un seul ne soit !
Que tes pensées sont pour moi difficiles,
Dieu, que leur somme est imposante !
Je les compte : plus nombreuses que le sable !
Je m'éveille : je suis encore avec toi.
Scrute-moi, mon Dieu, tu sauras ma pensée
éprouve-moi, tu connaîtras mon coeur.
Vois si je prends le chemin des idoles,
et conduis-moi sur le chemin d'éternité.
(Tu étais là, mon Dieu, mendiant de moi
tu étais là, discret, tu m'attendais,
tu étais là, et tu m'aimais)
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lundi, 27 juillet 2009
Ma rencontre avec Anne-Pierre Lallande, chrétien, anarchiste, antispéciste
Phot Sara
Par Katharina Flunch-Barrows
Anne-Pierre avait de longs jeans qui pendaient autour de ses longues jambes et il flottait dans des chemises blanches, bleues, vertes, toutes délavées. Il avait une voix légère comme celle d’un oiseau et rassurante comme certaines voix des hommes. Il avait des cheveux blonds un peu ondulés qui voletaient autour de son visage, dans le vent du matin. Il parlait peu ; il parlait bien. Il mangeait peu ; il mangeait bien. Il aimait peu ; il aimait dans l'abnégation de lui-même.
C’était Edith qui me l’avait présenté. Elle me présentait les hommes qu’elle aimait parce qu’elle ne savait que faire avec eux. Elle sentait cette proximité, et en même temps une immense barrière qui lui interdisait de se rapprocher d’eux. C’eut été trop dangereux. Je parlais déjà bien français et j’étais heureuse de pouvoir échanger des idées avec cet homme beau, ou plutôt aimable et frais, charmant et secret.
J’ai tout découvert peu à peu, au fur et à mesure que nos relations s’approfondissaient : la croix autour du cou ; son chien Jumbo-Roi ; le vieux manoir de son amie Esther, où il allait se ressourcer et faire courir son chien. Et les vieux livres des anarchistes d’alors et d’antan. Raoul Vaneigem et La Boétie ; Bakounine et Tolstoï ; Victor Serge et Pic de la Mirandole. Il y avait aussi, dans sa bibliothèque, Giordano Bruno et les Cahiers antispécistes, James Douglas Morrison et Sainte Thérèse d’Avila.
Il avait aimé Catherine de Sienne et avait cessé de manger lors de longues séances d’adoration de la sainte. Il avait allumé des cierges dans des églises et brûlé des affiches dans les rues de la révolte. Il avait couru dans les manifs et mangé dans les camps de gauche et dans les camps de droite. Il avait vécu et senti beaucoup de choses et il en était revenu profondément triste. Quelque chose n’allait pas, mais son sourire tendre, teinté d’humour, plus rassurant que rassuré, nous berçait et empêchait, par une paresse toute confortable, toute égoïste, de s’intéresser au fond du cœur d’Anne-Pierre. On croyait l’aimer : c’était qu’on était content qu’il nous aime.
Bien sûr, beaucoup de regrets surgissent, en cascade, navrants, navrés. Je ne suis pas la seule : perdre quelqu’un, c’est se rendre compte, bien souvent, de tout ce que l’on n’a pas su dire ; de tout ce que l’on s’est retenu de donner. Un voile de pudeur métallique empêche ceux qui s’aiment de se le dire, surtout si leur amour n’est pas d’une forme reconnue. Hors la vie amoureuse et la vie de famille, quel est le statut de l’amour ? Et pourtant n’est –ce pas l’amour, ces tendresses et ces souffrances que l’on ressent pour ceux qu’on croise, et qu’on recroise, auxquels on pense et qui, un jour, partent et ne reviennent plus. Ils n’existent plus. Ils ont disparu. Le monde continue sans eux et ils ne reviennent qu’en images lointaines peupler les cerveaux de ceux qu’ils ont aimé.
Anne-Pierre, anarchiste, catholique, antispéciste, féministe, et si modéré au fond. Modéré, pas par lâcheté, mais par une connaissance trop parfaite de trop d’univers trop différents. Ma vie, au moins, aura été changée par ta présence, par ce que tu étais. Je ne suis sûrement pas la seule. Je ne regrette pas que Jumbo-Roi soit parti avec toi (qui t’aurait remplacé auprès de lui ?) Et il me reste le ciel et les oiseaux, les nuages et la lumière du boulevard dans le matin, pour rêver de toi et te parler tout bas.
Katharina F-B, lundi 27 juillet 2009, après un dîner de crêpes et bière à Buenos Aires, in mémoriam.
Traduit de l’espagnol argentin par Edith CL et Kyra Portage
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Para ti
Je m’adresse à vous, mon Dieu
Car vous seul donnez
Ce qu’on ne peut obtenir que de soi.
Donnez-moi, mon Dieu, ce qu’il vous reste.
Donnez-moi ce que l’on ne vous demande jamais.
Je ne vous demande pas la richesse,
Ni le succès, ni peut-être même la santé.
Tout ça, mon Dieu, on vous le demande tellement
Que vous ne devez plus en avoir.
Donnez-moi, mon Dieu, ce qu’il vous reste,
Donnez-moi ce que l’on vous refuse.
Je veux l’insécurité et l’inquiétude.
Je veux la tourmente et la bagarre,
Et que vous me les donniez, mon Dieu,
Définitivement.
Que je sois sûr de les avoir toujours
Car je n’aurai pas toujours le courage
De vous les demander.
Donnez-moi, mon Dieu, ce qu’il vous reste,
Donnez-moi ce dont les autres ne veulent pas.
Mais donnez-moi aussi le courage
Et la force, et la foi.
Car vous seul donnez
Ce que l’on ne peut obtenir que de soi.
André Zirnheld
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samedi, 25 juillet 2009
A travers Paris
Dans ma ville imaginaire des fauteuils de velours sont posés au bord des autoroutes. La fontaine de whisky clapote gentiment derrière nous. Edith Morning est assise à côté de moi et nous parlons anglais. Quelques drag queens fument de longues cigarettes dans des pantalons serrés, leurs rouge à lèvre fait un cercle de rouge sur le papier blanc des cigarettes et partout dans la ville de grandes croix magnifiques dominent le paysage et nous rappellent qu’Il est ressuscité.
Quelques cathédrales antiques ont subsisté et gardent leur dignité au milieu des hautes tours. La voix d’Arthur Rimbaud et sa chanson de la plus haute tour me rappellent mon père et ma jeunesse perdue. Un immense hôpital psychiatrique se dresse loin derrière l’autoroute, et clignote de lumières vertes et bleues et rouges, si artificielles. Les étoiles sont trop haut pour qu’on les voie, mais on les imagine.
Au milieu de la mégalopole un grand champ inviolé réinvente le silence : c’est le retour du pu’uhonue.
Les gens prient. Ils fument, boivent, s’embrassent et prient, l’administration est laissée à l’abandon.
Personne ne fait l’amour sans allumer des lumières étranges qui donnent aux corps un velouté, sans boire des ambroisies qui donnent aux voix un velouté… Les voitures glissent sans cesse dans le frénétique agencement des routes et les piétons escaladent de grands escaliers sous la pluie, certains escaliers sont si hauts qu’ils surplombent la ville.
Un homme qui marche récite une prière mélangée : je m’adresse à vous, mon Dieu, car vous donnez ce que l’on ne peut obtenir que de soi.
Aux derniers étages de certaines tours des voyants lisent l’avenir et le mélangent au passé, pour réconcilier leurs patients avec l’instant qui passe et qui trépasse sans cesse mais malgré tout demeure. Feuilles, plantes, cactus géants se mêlent au mobilier urbain. La ville est esthétique. Sois belle et tais-toi, lui disons-nous impétueusement. Elle est belle, et elle hurle.
La ville abrite plusieurs forêts qui s’enchevêtrent et possèdent des étangs. Ces forêts sont aussi dangereuses que celles faites de béton et de macadam. Les forêts naturelles, jungle de terre et de végétaux, luxuriantes dégoulinades de plantes et de bêtes, sont des lieux de cruauté, de brutalité, de survie et de mort. Les forêts urbaines, jungles d’asphalte et de réverbères, longs corridors saccadés de métal et de goudron, sont des lieux de cruauté, de sophistication, de vie et de dépérissement. La ville et ses forêts naturelles s’épousent et un océan vient les noyer à l’Ouest.
Un sacré cœur pend au toit d’une maison, car un homme devenu femme pour prendre les armes féministes y lit les mémoires de Renée Bordereau, sa sœur d’une autre guerre, d’un autre temps.
Nos cœurs sont des ports. Mais ils n’ont pas d’amarres. Les bateaux ne peuvent que les narguer.
Dans ma ville imaginaire des fauteuils en velours sont posés au bord des routes. à une fontaine de whiskey je nous ressers deux verres. Edith Morning est assise à côté de moi et nous nous taisons en anglais.
Esther Mar, mercredi 12 mars 2008, avant le crépuscule.
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samedi, 18 juillet 2009
Liberté, égalité : Au delà du "pride" et du "phobe"
1 émergences des mouvements en quête de droits
L’année dernière (en 2006) eut lieu une « pute-pride ». Sur le modèle de ces pride qui prolifèrent (la gay pride, la veggie pride… qui laissent les homosexuels dignes et les végétariens dignes dans la plus profonde consternation…), les putes ont marché pour avoir le droit d’être putes. Intéressé, je me suis inscris à leur lettre de diffusion. Au bout de quelques mois, étonné de certains propos, je me suis renseigné plus en profondeur. Constituées principalement d’hommes, ceux qui s’appellent « les putes » ne reflètent absolument pas la majorité des prostituées de nos villes.
Les mouvements de libération deviennent étranges : ils convergent tous vers le même genre de militance, copié sur les mouvements des minorités américaines, principalement les mouvements noirs, sans forcément que cette militance soit adaptée au sujet.
Ils créent de rien une culture commune censée tous les représenter ; ils créent des slogans autoglorificateurs (comme l’étaient les slogans « black is beautiful », « I am young, gifted and black ») ; ils confondent finalement le fait d’être ce quelque chose minoritaire avec le fait d’avoir des droits.
Or, c’est simplement le fait d’être un être humain qui confère des droits.
Le résultat de cette confusion m’interpelle : ce n’est plus contre la zone de non droit qu’ils combattent ; au contraire ils luttent pour une zone de surdroit, de surcroît collectif.
Le fait, par exemple, que les mouvements homosexuels déclarent qu’il faut l’égalité des couples (et non plus l’égalité des personnes face au mariage, ou des sexualités face au mariage) montre bien que la revendication sonore et collective prime sur la pensée du droit.
2 pride et phobe
Ces mouvements cherchent à imposer, sous prétexte que c’est le seul moyen de lutter contre la discrimination qui les atteint, une morale dominante douce à leur égard. Le paradoxe de ces minorités voulant que leur théories deviennent dominantes, c’est qu’elles affirment tenir leur légitimité de la majorité des gens qui les constituent. Or, la majorité, ils devraient le savoir, n’est pas un critère absolu. Par ailleurs, on sait bien que la majorité (de la population ou d’une minorité) s’obtient par la publicité.
Nous avons donc une gaypride. On y clame des slogans contre l’homophobie.
Mais sur le site de la veggie pride, on s’acharne contre la végéphobie.
Quant aux putes (voyez leur site lesputes.org), elle veulent que soient punis par la loi les propos putophobes.
Les mouvements de militance actuels sont donc axés sur le pride et le phobe.
Ce système de revendications consiste à considérer tous les maux qui paraissent moindre comme anecdotiques, et tous les maux qu’on veut mettre en avant comme emblématiques. Par exemple, s’agissant de la parité ou des quotas ethniques, la situation de la victime de la discrimination positive est anecdotique, tandis que celle la victime de la discrimination « négative » est emblématique et on doit donc lui porter toute notre attention.
Pourtant, ce n’est pas en montrant du doigt un symbole qu’on cessera le montrage du doigt généralisé.
3 La recette
L’éclosion de ces mouvements est charmante ou irritante, selon nos opinions…
En tout cas la recette est désormais établie. Si vous voulez créer un courant fort pour votre minorité, suivez le modèle.
constituer une identité (valeurs communes, sigles, submode, vocabulaire, nouveaux concepts…)
fonder cette appartenance commune comme quelque chose d’inaliénable, mais à cheval entre le choix et inné (j’ai le droit de choisir d’être cela parce que je n’ai pas le choix !)
faire émerger une fierté et des revendications communes
organiser une marche
réclamer des droits spécifiques fondés sur l’imitation des droits auxquels ils n’ont pas accès, repabtisés « droits des groupes dominants »
créer un ennemi, un Phobe (homophobe, vegéphobe, putophobe)
réclamer la punition de l’ennemi, et qu’il écope d’une amende chaque fois qu’il ouvre sa gueule contre nous
agacer tout le monde, hors de la NI (nouvelle identité) mais aussi au sein de la NI
Bien sûr, il y a des complications, notamment un risque d’accumulation de privilèges dus à une surexposition aux discriminations (femme noire homosexuelle pute végétarienne), accumulation qui laisse le discriminateur potentiel (homme blanc hétérosexuel fidèle carnivore) très exposé puisqu’il est sans cesse pris à parti. Il paye pourtant tous les pots qu’il est censé avoir cassé et qu’il n’a en général jamais eu l’intention d’abîmer.
Voilà. La quête de la liberté ressemble parfois à une belle soif de liberté, parfois à une avidité consommatrice. En effet, les réclameurs de droits ressemblent plus (structurellement) à des associations de consommateurs réclamant des abonnements téléphoniques préférentiels qu’à des êtres humains refusant les chaînes. Pourquoi les « réclamations » relèvent d’un comportement de consommateurs ? Parce que nous sommes dans une société de consommation, et que la consommation pénètre tous les pores de notre vie, notamment la vie politique. Puisque la consommation domine, elle domine en pensée.
4 Ni coupables, ni victimes : libres !
Le slogan que les putes (non représentatives puisqu’en majorité masculins, mais assez malhonnêtes pour se dire représentatives…) de la pute-pride clamaient en chœur était : ni coupables ni victimes, fières d’être pute.
La première moitié du slogan est magnifique : ni coupables ni victimes. Ni coupable, ni victimes d’avoir la liberté de vivre en liberté.
Quant à leur fierté, ils et elles ont de la chance : cela fait longtemps que je ne suis plus fier de rien.
5 Comment favoriser la liberté ?
Au nom de l’antidiscrimination, toutes ces revendications souhaitent, au fond, obtenir le silence total et éternel de leurs ennemis. Car toute forme de désapprobation publique est vécue comme une atteinte au bien-être.
La liberté d’expression est ainsi considérée comme moins importante que le bien-être des individus. Mais c’est oublier que le bien être des individus dépend aussi de leur liberté d’expression. Alors mieux vaut que des gens puisse vous dire des choses qui vous déplaisent et que vous puissiez répondre plutôt que d’établir des silences forcés sur tous les sujets qui concernent les êtres humains. Si le silence est forcé, un monstre risque d’émerger, encore plus fort. On ne tue pas une pensée, on l’assomme un temps donné ou on la rend caduque. Et on ne la rend pas caduque en l’assommant !
Comment alors préserver un espace de vie assez large pour tous, sans que l’oppression sociale écrase ceux qui ne suivent pas les autoroutes ?
Axel Randers
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