jeudi, 11 décembre 2008
Entrevista con Fredy Ortiz
Entrevista con Fredy Ortiz
Del grupo Uchpa
(version español)
Fredy Ortiz, del grupo de rock y blues quechua Uchpa (cenizas), habla de su decision de cantar en quechua
Qué idea tuviste para cantar rock y blues en quechua?
Cuando todavia era niño, mi papá me llevaba siempre a la iglesia Evangelica, ahí me hacia cantar himnos en quechua mas o menos parecidos al countri o gospel, en mi pueblo solo escuchan huayno(folclor andino),mis compañeros solo sabian huayno, y yo algo de otro genero, de ahí es que comienza a gustarme el blues, sin saber que existia el genero blues ; despues salí de mi pueblito Ocobamba a la provincia de Andahuaylas, donde habia incluso emisora de radio, en mi pueblo no habia ni carros, ahí es que escuche por primera vez lo que era el Rock, en ese tiempo escuche por primera vez al guitarrista ingles, JEFF BECK, con la voz de ROD STUART, y se parecia a lo que yo cantaba en la iglesia evangelica, y claro que me gusto y encajó a mi gusto, además se parece a un genero andino de nombre QARAWI, donde cantan las dos mujeres mas antiguas casi llorando, en esta zona de Apurimac, Ayacucho, y Huancavelica, y a eso lo llamo el blues andino, porque se parece mucho al blues americano.
Aqui los jovenes quieren cantar en ingles sin saber hablar, entonces pensé cantar mejor en quechua, y encajó mejor, muy bién, y de ahí es que empezó esta locura de cantar en quechua, entonces digo que la musica andina se parece bastante de paises lejanos, ademas pertenecen a dos clases sociales marginadas, como es al de la gente andina, y al otro lado a los negros esclavos, si escuchas a CHIMANGO(violinista andino quechua) un solo de violin con musica del peru profundo, y a JIMY HENDRIX (guitarrista americano) se asemejan sus solos de sus instrumentos musicales, la misma mistica, y tambien por ejemplo las ceremonias que hacen los arpistas y violinistas andinos, antes que comience la fiesta, haciendoles beber trago a los instrumentos musicales, y comiendo sapos los danzantes de tijera, y casi de igual manera al otro lado ALICE COOPER, hace sus misas negras, por eso los llamo los extremos parecidos.
Cantas solo para los quechua hablantes? O para todos?
Canto para todos, para los que saben y para los que no saben, y para los que no saben, que sepan que existe una dulce y expresiva lengua o idioma.
Quienes van a tu concierto? Los jovenes? Personas de ciudad? O solo campesinos?
Van todos, los jovenes urbanos, tambien los campesinos, los de la ciudad, todos, me alegro cuando veo que estan bailando mujeres andinas quechuahlantes y al costado hay jovenes rockeros.
Desde el fondo de tu corazón y tus sueños, qué quisieras para el futuro del quechua? Y qué te asusta para el quechua?
Quisiera que no se pierda este dulce gran idioma, todos los dias que pasan aceleradamente hablan menos personas, por consiguiente es que tengo miedo que se pierda, los chicos ya no hablan, o simplemente no quieren hablar.
Qué mensaje quisieras dar a toda la gente del mundo?
Todas las personas de este mundo tienen que saber que existe una dulce y expresiva lengua, tiene que saber, que en esta tierra hay gente que habla el quechua el idioma del Inka, y no se olviden de nosotros la minoria, y no vean como marginados a la cultura andina, si supieran nuestros corazones de inmenso amor.
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mardi, 09 décembre 2008
1007-2007 : la fortune d'un mot
2007 : Le Bourgeois fête ses mille ans cette année.
Par Sara
La première fois qu'il est nommé, c'est en l'an 1007 : une Charte émanant du Comte d'Anjou, Foulques Nerra, établit un "bourg franc" auprès de l'Abbaye de Beaulieu près de Loches. Ses habitants sont affranchis de toute servitude ou impôt. Mais la Charte énonce une menace à l'encontre de ses habitants ; "Si les bourgeois s'attaquent aux moines ou à leurs serviteurs et s'emparent de leurs biens, ils paieront une amende de soixante livres." C'est la première fois que le bourgeois fait irruption dans un texte, souligne Régine Pernoud, et c'est justement pour prendre des garanties contre lui.
Dès sa naissance, on le craint. Non seulement le bourgeois s’est attaqué aux moines et aux abbayes mais aussi aux seigneurs dans leurs châteaux et au menu peuple à qui il a toujours menti. Toute cette société du Haut Moyen Âge était ébranlée deux cents ans après. Huit cents ans après, il n'en restait plus rien. Le bourgeois avait fait sa révolution, l'avait gagné et tout le monde était au pas. Sa naissance, il la devait à une société close dans laquelle, fils perdu, il n'avait pas sa place : il s'est inventé en essayant de survivre grâce au commerce. Il a admirablement réussi.
Aujourd'hui, il est innombrable. Il est propriétaire, son épargne est bien placée ; il est gros ou petit-bourgeois qu'importe. Il a une particularité : on ne le rencontre jamais. Il est quasi impossible d'en rencontrer un. Omniprésent, il n'est nulle part.
Pourtant, l'ouvrier, lui-même, s'est embourgeoisé ; le fonctionnaire l'est. Le fond du bourgeoisisme, c'est la propriété, c'est l'usus et l'abusus, le droit d'user et d'abuser de son bien - contre la coutume du haut moyen âge - tiré du droit romain et consacré par le code Napoléon. Qu'on dresse la liste de ceux qui ne sont propriétaires de rien, ni de leurs champs, ni de leur toit, ceux qui n'ont ni voiture, ni sicav… On trouvera des imprévoyants, des SDF, des mères de familles chargées d'âmes trop nombreuses.
Le bourgeois est l'objet de toutes les envies, de tous les désirs, il est le modèle et en même temps le repoussoir, l'objet de la risée de tous et surtout de ses fils. Molière l'a ridiculisé, Baudelaire le détestait, Sartre l'abominait, les soixante-huitards l'exécraient.
Sa fortune tient en peu de mots : le bourgeois, cela n'est jamais soi-même, c'est l'autre.
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samedi, 06 décembre 2008
La langue mise à l'écrit...
Comment une langue passe de l'oral à l'écrit ? Et ce, quand ce changement survient de l'extérieur, en une dizaine d'années à peine ? Les mots, les maux sont-ils toujours les mêmes ? La sensibilité de la langue est-elle modifiée pour toujours ?
La langue mise à l’écrit, une comparaison entre le quechua et le tahitien
Katharina Flunch-Barrows et Edith de Cornulier Lucinière
Nous nous proposons de comparer l’arrivée de l’écriture dans les Andes (dans la région de Cusco), et en Polynésie française (à Tahiti et dans l’archipel). Dès leur arrivée les missionnaires voulurent mettre à l’écrit les langues quechua et tahitienne. Du côté missionnaire, l’activité, les motivations et les difficultés étaient à peu près les mêmes ; mais la réception de l'écriture par les locuteurs du quechua et du tahitien a été très différente.
Le Pérou est un bon exemple de ce qui s’est passé dans toute l’Amérique, et sans doute aussi dans beaucoup d’endroits du monde. Tahiti, en revanche, est un exemple extraordinaire, puisqu’on pourrait presque dire que le tahitien est devenu une langue de l’écrit. Sans cesser d’être justement une langue orale, où la parole, la prise de parole publique joue un rôle immense (orateurs politiques, prêches au temple…), il semble que l’écriture a eu un impact à la mesure du rapport que les tahitiens entretenaient avec leur langue, notamment avec le Pi’i, que nous expliquerons plus tard.
Cuzco, XVIème siècle. Tahiti, XIXème siècle
Les Andes furent prises par les armes, et la christianisation fut par conséquent le résultat d'une défaite militaire Dès l'arrivée, en 1525, de Pizarro au Pérou, un pouvoir organisé est installé dans les Andes, représentant l'autorité du roi espagnol. Ainsi, la christianisation, est intrinsèquement liée à la colonisation.
La Polynésie connut une conversion d'un autre ordre. À Tahiti, les missionnaires arrivèrent par petites dizaines, sans armes, et n'étaient strictement pas en position de force. En témoigne l'expédition ratée des espagnols Narciso Gonzales et Geronimo Clota, deux franciscains conduits et débarqués à Tahiti en 1773, envoyés par le Vice-roi du Pérou. Ils ne convertirent personne ; ils devinrent la risée de l'île, et durent fabriquer une palissade autour de leur maison pour se protéger des railleries. Lorsque le bateau qui devait leur apporter du matériel pour agrandir la "mission" revint, ils supplièrent le commandant de les rembarquer, et repartirent ainsi en 1775 vers le port péruvien de Callao, n'ayant converti personne…
Alors qu'au Pérou, les catéchumènes devaient obligatoirement posséder un livre de catéchisme sans quoi ils étaient excommuniés, les tahitiens, eux, voulaient bien envoyer leurs enfants à l'école des missionnaires, mais à condition d'être payés…
Dans les Andes, l'armée et la religion travaillent ensemble, même si elles peuvent jouer le rôle de contre pouvoir l'une pour l'autre.
A Tahiti la conversion volontaire du roi tahitien Pomaré change la nature de l'évangélisation : elle fut imposée "de l'intérieur". Bien que que tout le monde n’était pas aussi enthousiaste que le roi Pomaré…
Malgré les nombreuses langues parlées dans ces deux régions, au Pérou comme dans les îles sous le vent, la mise à l’écrit fut facilitée par la présence d'une langue véhiculaire comprise par le plus grand nombre. Le tahitien dans les îles sous le vent. : chaque île avait son dialecte, mais il y avait intercompréhension dans tout l'archipel. Au Pérou, il s'agit de la "langue générale" (quechua), appelée aussi "langue de l'Inca."
Le sabre, le goupillon et la diffusion de l’écrit
La mise à l’écrit dans ces deux langues fut intrinsèquement liée à l’évangélisation de ses locuteurs. C’est pour la christianisation qu’elles furent étudiées et mises à l’écrit. Dès lors, les modes de christianisation prennent toute leur importance au regard de la réception de l’écriture par les populations concernées.
La principale différence entre les expériences andine et tahitienne tient au fait que la christianisation andine s’est fait avec la colonisation - la christianisation fut imposée par le pouvoir espagnol - tandis que la christianisation tahitienne l’a largement précédé : le roi Pomaré, convertit pacifiquement par des missionnaires qu’il avait les moyens de chasser ou d’exterminer sans aucun problème, a imposé lui-même le christianisme à son peuple. Pomaré, à Tahiti, fut le fondateur, à la fois de la perte de la culture traditionnelle, et à la fois de son évolution possible au sein de l’écrit et de la nouvelle vision du monde.
De plus, l’identification des populations catéchumènes aux « écrivains » missionnaires fut plus aisée à Tahiti, où il s’agissait de cordonniers, transformés en missionnaires avant leur départ, en quelques cours à la London Missionary Society ! Au Pérou, les curés étaient des intellectuels bien formés au séminaire, et ressemblaient plus aux nobles et caciques qu’à la population.
L’ethnolinguiste Bruno Saura1 explique bien un des aspects de l’apport de l’écriture à Tahiti. Alors que le verbe était jusque là une activité extrêmement importante, politico-sacrée, réservée aux hommes, l’arrivée des missionnaires et la mise à l’écrit du tahitien représente donc une démocratisation intense et extraordinaire de la langue, de son utilisation, de son pouvoir. Bientôt, femmes et enfants, pauvres et roturiers, ont le même accès à l’écriture que les nobles et prêtres. C’est la société toute entière qui est bouleversée et radicalement changée par ce processus.
Au Pérou, ce fut littéralement le contraire. Il n’y avait aucunement dans la religion-politique andine, ce rôle prépondérant accordé à la parole. Dès lors, au lieu d’une désacralisation du verbe, ou tout au moins d’une démocratisation du pouvoir de la parole, l’écriture représente au contraire la création d’une langue savante, sacrée et écrite, à laquelle le peuple n’a strictement pas accès, et qui le domine puisque la nouvelle doxa, le christianisme, passe par le truchement de ces textes.
La langue modifiée par l’écriture
Si la création d’une orthographe à peu près normalisée et facile à utiliser est le plus visible des travaux que la mise à l’écrit d’une langue appelle, il n’en est pas, sans être aisé, le plus complexe. En revanche, d’un point de vue morphologique et syntaxique, que se passe-t-il lorsque changent les conditions de production du discours, dès lors que celui-ci est produit à travers l’écriture ? Et quelle évolution subit la place du verbe, de la parole, du mot, lorsque dans une langue traditionnellement orale est brusquement implantée la mise à l’écrit ?
Le quechua
En quechua, l’influence de l’espagnol, langue à partir de laquelle sa mise à l’écrit est pensée, marque évidemment tant l’orthographe choisie, que la forme de la phrase quechua. Tout, jusqu’à l’ordre des mots ou l’ordonnancement du discours écrit, porte la marque plus ou moins visible de l’espagnol. Il en va de même en tahitien, où la mise à l’écrit de la langue fut pensée en anglais.
En particulier, le quechua est une langue faisant un usage très abondant de suffixes modaux, c’est-à-dire indiquant la source ou la qualité de l’information transmise par le locuteur à son interlocuteur (l’assertif mi, le citatif si, le conjecturel cha). Ces suffixes sont d’une utilisation complexe pour un étranger. Si vous racontez ce que vous avez vécu en rêve ou lorsque vous étiez ivre, vous emploierez le même suffixe que lorsque vous racontez les contes ou colportez une histoire : le citatif : l’information ne vous est pas arrivée directement par votre expérience. Cela est du au fait que le degré de conscience d’un dormeur ou d’un homme ivre ne permet pas d’employer l’assertif. Mais quand il s’agit de la parole d’un dieu unique et créateur du monde, et que ce n’est pas vraiment lui qui écrit, même s’il est supposé avoir dicté, et que le texte est écrit accessoirement par un missionnaire « lambda », quel suffixe doit on employer ? De quelle véracité une parole écrite peut elle se prévaloir ? Une chanson relève elle du domaine conjecturel ? Est-ce que la transcription d’une parole doit conserver les suffixes modaux employés par le locuteur, ou est-ce que la transcription même porte l’obligation de changer de suffixes, puisque on change de mode de communication ? Il y a là un véritable problème auquel l’écriture doit faire face, et qui est celui de la distinction entre le réel et le vrai. L’écrit étant concret (on touche le papier, le tracé des mots), le quechua se trouve face à un problème de traitement de l’information qui n’a d’ailleurs pas été vraiment réglé aujourd'hui. Le quechua oral des personnes monolingues des montagnes andines est toujours très riche en suffixes modaux ; celui des villes, écrit, est vidé de cette substance, et paraît souvent une langue calquée sur l’espagnol et assez rigide, sauf celle des grands auteurs quechuas qui ont su recréé un traitement quechua de l’information à l’écrit, en jouant avec ces suffixes, en organisant une vraie rencontre entre les possibilités orales et les possibilités de l’écrit3. Malheureusement, leurs œuvres sont très peu connues de la grande masse des quechuaphones.
Cette langue privilégie aussi très fortement l’inscription des événements rapportés dans l’espace réel commun au locuteur et à son interlocuteur, et a tendance à faire silence sur son inscription temporelle. Que se passe-t-il lorsque l’interlocuteur réel s’efface au profit des lecteurs anonymes du texte biblique, ou de tout autre texte, et qu’aucun espace réel n’est partagé entre locuteur et interlocuteur ? Qu’en est-il aussi de l’ordre des mots, de l’emploi du pluriel (en principe il n’y a pas d’opposition singulier / pluriel en quechua) ?
On observe une réduction de la diversité des structures syntaxiques par rapport au discours oral, au bénéfice de types de structures venues de l’espagnol, et qui donnent à la langue écrite un très net effet de « calque ». Cette observation ne vaut pas pour quelques grands auteurs, tant missionnaires, que littéraires aux siècles suivants, mais l’accès à ces auteurs, artistes et conscients tant des difficultés de la mise en écrit que des charmes et inventions qu’elle apporte, est cantonné à une population érudite et non à la grosse majorité des locuteurs.
La tahitien : la cas du pii
La pratique du pii à Tahiti, qui stupéfia les missionnaires, prit fin avec l’écriture, et ce phénomène est édifiant du passage d’une langue orale à une langue écrite.
A Tahiti, lorsqu'un noble arrivait au pouvoir, il devenait chef spirituel et politique. Son nom devenait alors tabou (tahitien : tapü). On ne pouvait plus prononcer les mots qui composaient ce nom. Prenons l'exemple du roi Pomaré. Pö : nuit. Mare : toux. Ces deux mots devenus tabous, le peuple devait utiliser d'autres mots pour dire nuit et toux, tousser. La peine de mort était la punition de ceux qui se laissaient aller verbalement, et oubliaient le tapu. A Tahiti, les pires supplices punissaient les lapsus, et contraventions au Pii. Outre les noms de rois et de princes, beaucoup d’autres mots subissaient la règle du pii, et il n’est pas éxagérer que parler, à Tahiti au quotidien, n’était pas une chose banale, mais chargée de sacré et dangereuse.
Ainsi le vocabulaire tahitien évoluait par le pii. Alors que certains mots disparurent totalement, d'autres revenaient au langage courant, par exemple quand le chef concerné par ce mot était oublié. En ce qui concerne Pomaré, pö est demeuré la nuit en tahitien, tandis que mare a été définitivement remplacé par hota.
Il me semble que la technique du pi’i ne pourrait avoir lieu dans une langue écrite : car avec l’écrit, on peut lire un mot écrit dix ans avant. On peut l’écrire à moitié, ou sans le prononcer… Etc. Le pi’i est un phénomène ne pouvant exister que, absolument que dans une langue orale. Elle est l’oralité même ! Elle représente l’oralité même, la langue sans cesse vécue et réinventée par les locuteurs, sans que cette réélaboration constante passe pour du changement, puisque d’une part, le fait même d’évoluer est une tradition ancestrale, et d’autre part, il n’y a pas d’attestation (écrite) des modes de parler passés.
Enfin, il nous semble intéressant de noter deux faits relatés par Jacques Nicole4 . La révolte contre les missionnaires n’eut pas lieu sur la christianisation elle même, mais sur certains de ces aspects… Notamment, il y eut de grosses révoltes contre les missionnaires protégés par le roi Pomaré, auxquels on reprocha notamment la vente des Ecritures, « qui appartiennent à Dieu et devraient être distribuées gratuitement », disent les Tahitiens. (lettre de Platt à Orme, de 1828).
Enfin, il note qu’il y eut un v »ritable problème écologique à Tahiti et dans les îles alentour du fait de l’engouement extrême dont bénéficia la mise à l’écrit. Tout le monde voulant posséder le livre de la Bible, de véritables massacres d’animaux eurent lieu, dans des îles où jusqu’ici on ne chassait qu’au « compte-gouttes », pour les sacrifices et l’alimentation. Bientôt les îles perdirent presque la totalité des animaux qui les peuplèrent…
En fait, à Tahiti, il y a eu, d’une part, un passeur (Pomaré) interne, d’autre part, appropriation non point seulement de l’écriture, mais d’un symbole. Autrement dit, on a personnalisé l’écriture en lui donnant un symbole fort tahitien. La Bible a remplacé les parau (paroles sacrées) anciens, mais ce fut fait dans la continuation. Le sacré oral et mouvant est devenu le sacré écrit et fixe (d’ailleurs, d’actuelles tentatives de moderniser les premières traductions de la Bible sont très critiquées et craintes, tant le premier texte, présent dans chaque maison tahitienne, est porteur de sacré). Il n’y a pas la rupture qui a été vécu dans les Andes, et qui fait que tout s’ingère péniblement dans la langue quechua. Même s’il ne faut évidemment pas exagérer la continuité tahitienne, ni les difficultés andines.
L’écriture aujourd’hui
Aujourd’hui, le rapport à l’écriture reflète bien la façon dont elle a pénétré dans la culture et l’évolution qu’elle y a subie.
Ainsi, on peut dire que le tahitien est devenu à part entière une langue de l’écrit, même si l’oralité et la parole ont toujours un poids énorme. On pourrait dire que l’écriture, à Tahiti, sert la parole et l’oralité, plus qu’elle ne la dessert. Les chanteurs populaires, pasteurs, hommes politiques manient fort bien les deux, et savent se servir de l’écriture comme un outil de support de l’oralité. C’est le paradoxe passionnant tahitien : l’écriture y a été adorée, acclamée, très bien accueillie car elle était en quelque sorte vue comme un hommage à ola parole, au discours. Elle n’y a donc jamais supplanté l’oralité, et ne lui a pas nui. Elle est témoin. Aujourd’hui, avec l’éducation bilingue, le tahitien peut profiter dans la continuité de la mise à l’écrit plutôt réussie de la langue, même s’il ne faut pas se voiler la face, et la lutte entre le système protestant et le système académique, coexistant, le prouve. Le système protestant est reconnu par presque tout le monde comme plus intelligent et plus aisé. Mais le système académique est proche du système adapté à Hawai’i, et… C’est celui du gouvernement ! Les tahitiens protestants qui vont à l’école républicaine la semaine et à l’école protestante du dimanche apprennent la semaine l’écriture académique, et le dimanche, l’écriture protestante.
A Tahiti aujourd’hui, parler tahitien est toujours une preuve de bonne implantation tahitienne, et cela à la ville de Papeete comme dans les îles. La langue, vivante et diffusée tant à la ville qu’à la campagne, et tant dans les chansons qu’à la radio, télévision, dans l’éducation bilingue, etc, est unifiée, et les variantes, si elles existent, ne posent pas de problèmes de lecture et de compréhension : on sait qu’on a affaire à une langue vraie, et non superficielle (sauf les textes juridiques, incompréhensibles, et autres néologismes de bureau). Si l’écriture l’a profondément transformée, elle ne lui permet pas moins de se développer et de s’épanouir, de correspondre à la vie de la population.
Au Pérou, il en va tout autrement. En effet, la vision de l’écriture y est plus traditionnelle : il est donc difficile pour les locuteurs de faire le lien entre le quechua oral et le quechua écrit. L’un nuit à l’autre. Les littérateurs sont obligés à regret de renoncer à une certaine beauté orale ; les orateurs sont cantonnés à un usage qui ne passe pas la rampe de la ville, de la culture nationale… Les tentatives actuelles les plus réussies de mise à l’écrit de l’oral sont le fait d’étrangers, ou tout au moins de gens baignés de culture hispaniques ayant ensuite fait l’effort de plonger dans le monde linguistique et culturel andin. Les littératures écrites, fort belles, qui se développent en quechua n’on pas grand chose à voir avec le quechua oral ; il y a un mur qui sépare l’oral de l’écrit, la montagne de la ville, la tradition de la modernité. Il manque le liant, le lien. Quatre siècles après les premiers textes chrétiens en quechua des missionnaires, après les premières mises à l’écrit des mythes et littératures orales andines, la déchirure est toujours aussi béante.
Au Pérou, dès que les « familias » métis (descendants des caciques autochtones et créoles espagnols) ont cessé de parler le quechua, qui avant était un signe fort d’identité péruvienne, cette langue est devenue la langue des paysans de la montagne, alors que cela n’était pas du tout cela avant, même si on a tendance à l’oublier aujourd’hui. Des chercheurs aujourd’hui tentent de rappeler, en exhibant des pièces de théâtre et des prêches, etc. de l’époque coloniale, le passé littéraire du quechua, tandis que certains poètes et écrivains quechuaphones s’inspirent de tels textes pour façonner un quechua de l’écrit contemporain. A l’heure de l’émergence de l’éducation bilingue et de la revalorisation des cultures et langues du monde à l’échelle internationale, un regain d’intérêt pour le quechua s’observe au Pérou.
La situation actuelle du quechua me semble présenter un intérêt particulier pour les études comparatives sur le « passage à l’écrit » des langues à tradition essentiellement orale car cette situation est extrême : une langue demeurée jusqu’à aujourd’hui essentiellement rurale et orale, subit presque avec violence les assauts d’une « avant garde » de bilingues urbains pressés de donner une dignité à une langue avec laquelle ils entretiennent des rapports parfois ambigus.De plus, l’influence plus ou moins inconsciente, mais toujours énorme, de l’espagnol, langue dans laquelle tous les auteurs de textes écrits en quechua ont reçu l’intégralité de leur formation scolaire et universitaire et dans laquelle ils s’expriment le plus souvent au quotidien, étouffe souvent le quechua écrit sous nombre de néologismes et structures hispaniques, rendant ce quechua, supposé celui de l’avenir, absolument incompréhensible par les locuteurs monolingues. Dès lors, il faut se demander, à l’heure où les locuteurs de nombreuses langues orales, sur tous les continents, accélèrent leurs mises à l’écrit, si ce n’est pas au péril parfois d’en précipiter la disparition…
K. F-B et E. C-L
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vendredi, 05 décembre 2008
Hommage à Dinu Lipatti
Hommage à Dinu Lipatti,
pianiste divin
Qu’est-ce qu’un musicien ?
Constantin Dinu Lipatti. Une grande sensibilité, qui avec ses dix doigts dansant sur les quatre-vingt-huit touches, aura bouleversé des millions d’auditeurs passionnés de piano.
Entre des milliers de pianistes, tous doués, tous sensibles, tous travailleurs, pourquoi l’un d’entre eux semble une étoile inoubliable ?
Une éducation musicale
Un beau livre vient de sortir : This is your brain on music.
Le scientifique, rocker et musicologue américain Daniel J. Levitin émet l’idée qu’il faut souffler sur la frontière que l’on érige pour distinguer les musiciens des néophytes.
Car, selon Levitin, la différence tient surtout dans l’éducation. Le fait qu’un mélomane non averti soit capable de reproduire sans erreur musicale sa chanson préférée démontre que l’oreille absolue n’est pas la marque du génie, mais celle d’une éducation où sensibilité et pratique musicale s’épousent sans que l’une n’écrase l’autre.
Or, la mère de Dinu Lipatti était excellente pianiste. Son père, un excellent joueur (amateur) de violon. Ils vivaient dans un monde de mélomanes avertis, connaissaient les grands musiciens de Roumanie.
A quatre ans, le petit Dinu donnait des concerts et composait des piécettes.
Mentors illustres
A Bucarest, les professeurs de Dinu Lipatti avaient été Flora Musicescu et Georges Enesco.
Ses brillantes études musicales le menèrent à Vienne.
A Vienne, Alfred Cortot le rencontra, le remarqua, l’invita à Paris (Alfred Cortot avait démissionné du jury dont il faisait partie parce que celui-ci n’attribua que le second prix à Lipatti).
A Paris, Dinu Lipatti étudia auprès de Charles Munch, Paul Dukas et Nadia Boulanger (il épousa Madeleine, une pianiste française).
Il composa quelques pièces, mais c’est l’interprète en lui qui flamboyait et qui stupéfia ses auditeurs.
Le concert et l’enregistrement
« Je ne veux plus faire de concerts, sauf peut-être des concerts dévolus à l’enregistrement d’un disque », avait-il dit à ses amis.
Il était un grand concertiste. Mais son intérêt pour l’enregistrement le décidait à ne plus se consacrer qu’à cette activité.
Il est étrange que Dinu Lipatti, dont la présence en concert était fulgurance, n’ait pas eu le temps d’accomplir ce grand projet d’enregistrements.
Est-ce que sa magie aurait perdu avec le temps et les nombreux enregistrements ? Peut-être cette question est-elle idiote, et ne vient que de ce qu’on cherche toujours des explications quand la Faucheuse fauche trop vite.
Pourquoi meurt-on jeune ?
Une leucémie emporta Dinu Lipatti, alors qu’il avait trente-trois ans. Après de longs mois de souffrances, comme on s’en doute.
Le jeu de Lipatti a ceci de particulier qu’il est d’un niveau technique fulgurant mais que la vraie musique, qui parle à la sensibilité pure, coule dans chaque note.
Le dernier concert
Il était prévu qu’il joue, ce soir-là, 14 valses de Chopin. Il n’acheva pas la treizième. C’était en automne, au festival de Besançon.
Il mourut dans les mois qui suivirent, le 2 décembre 1950.
Hommage réalisé le 20 décembre 2007
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de Paris à Lille au XVIIIème siècle
En écho à « Mélanges de Littérature » par Sara paru dans la livraison d’Almasoror de janvier 2007
Par Bruno Echalier
Sara nous a raconté comment nos anciens romantiques courraient le monde et nous ont livré des récits de voyage épuisants.
On dit que Léonard de Vinci mit 72 jours pour faire le voyage d’Italie en Anjou et qu’il savait qu’il ne pourrait plus repartir tant sa fatigue était grande.
On ne comprend pas toujours pourquoi, au milieu du XVIIIeme, une telle importance est accordée à l’épuisement des femmes qui arrivant de Marseille à Paris devaient garder le lit huit jours avant de retrouver les belles joues roses.
Ignorant des circonstances, habitués aux voyages modernes, on prend aujourd’hui ces hommes et ces femmes épuisés pour des figures faibles auquels les récits prêtent des langueurs de circonstance.
Mais sait-on quelles étaient les difficultés de voyage à cette époque ?
J’ai choisi, pour illustrer la pénibilité des voyages en 1775, un extrait de l’Indicateur Fidèle, sorte d’horaire officiel des Transport de l’époque. Ce qui se faisait de mieux en quelque sorte sauf à posséder fortune et chevaux.
Pour nous rappeler notre cher contributeur mathématicien belge, Laurent Moonens, étudions le voyage de Paris à Bruxelles (petit voyage de rien du tout comparé à Amsterdam Marseille ou Paris Bayonne).
GRANDES ROUTES DES Provces
de Picardie, de Tiérache, d’Artois,
de Hainaut, de la Flandre
et Pays Bas.
Route de Paris à Lille en Flandres,
De deux en deux jours à minuit part de Paris une dili-
gence pour Lille et pafse
Mat soir lieües
à Louvres 2 ½ 5
à Senlis 4 4 ½
à Pont 5 2 ¼
Dine à Gournay 10 4 ¾
à Roye 4 5 ¾
Couche à Peronne 9 5 ¼
Repart à 1h du matin et passe
Dine à Cambray 9 8
à Douay 3 5 ½
Arrive à Lille 8 7
48 lieues de Paris
…/…
Route de Paris à Valenciennes
De deux en deux jours ‘a minuit part de Paris une diligence pour Valenciennes et suit le même ordre que la diligence jusqu’a Cambray où elle dine et arrive le même jour à Valenciennes.
De Paris à Cambray 35 ½
De Cambray à Valenciennes 6 ¾
42 ¼ lieues de Paris
Route de Paris à Bruxelles
De deux en deux jours à minuit part de Paris une diligence pour Bruxelles et suit le même ordre que celle de Valencieñes. Le lendemain repart de Valencieñes ‘a 1h du matin et pafse
Mat soir lieües
à Quievrain 4 3¼
Dine à Mons 7 3
à Braine le Comte 2 5
Arrive à Bruxelles 10 8
De Paris à Valenciennes 42 ¼
De Paris à Bruxelles 61 ½
RESUME
Vous êtes en 1775 et vous voulez aller à Bruxelles ……..
L’interprétation de la date de départ est relative : de deux en deux jours ? Mais quel est le premier jour ? Imaginons que le jour du départ est le lundi 2 avril (mais à 0h du matin…)
Départ de Paris le lundi matin 2 avril à 0 h du matin.
On peut enfin sortir de la diligence à 9 h du soir (lundi)
Nuit à Péronne le lundi soir 2 avril
Départ le 3 avril (mardi) dès 1h du matin. Les nuits sont très brèves!
Déjeuner à Cambray et changement de diligence vers 9 h du matin
Arrivée à Valenciennes en fin de matinée du mardi.
On attend ici le reste de la journée du mardi.
Nuit à Valenciennes le mardi soir 3 avril
Le lendemain à 1h du matin (4 avril) on repart de Valenciennes (qui change alors d’orthographe: Valencieñes).
Arrivée le mercredi 4 avril à Bruxelles à 10 du soir.
Durée totale du trajet année 1775 = départ le dimanche minuit, arrivée le mercredi 22 h = 70 heures de voyage dont environ 10 h dans un lit.
Aujourd’hui…
TGV Paris Bruxelles 2007 = 1 train toutes les demies heures.
Trajet = 1heure 22 minutes
Indemnités si retard…
Bruno Echalier
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Le Caravage
"C'est la beauté qui sauvera le monde"
Dostoïevski
Mythes
Comme Liszt (filmé comme un rocker fou) ou Marie-Antoinette (racontée et filmée comme une fashion victim incomprise), Michelangelo Merisi dit Le Caravage ressemble à ces artistes-idoles qu’on a envie de moderniser. Ce fut fait : quelques romans et film sulfureux mettent en scène la rébellion et l’originalité de cette figure.
Né
En 1571 à Caravaggio
Enfui
de Rome, après un duel où il tue son adversaire.
Enfui
de Malte pour détournement de mineur
Alors qu’il tente de revenir à Rome, il est arrêté, enfermé et à sa sortie de prison erre sur la plage.
Mort
En 1610, à 38 ans, sur une plage de Rome, selon la légende. A l’hôpital, de sainte Marie-Auxiliatrice, selon un acte de décès.
Trouble, Sensualité, Crime
Il menait une vie sans doute largement homosexuelle, vouyouse, et partageait son temps entre les tavernes des bas fonds des villes et les tables des princes et des évêques. Il fit de réguliers séjours en prison et à l’hôpital, pour cause de mœurs interdites et duels.
Peintures
La majeure partie de son art est une vision de la Bible teintée de violence et d’érotisme. D’autres tableaux sont des portraits de commande. Ses commanditaires lui redemandaient souvent de refaire son travail, jugé trop réaliste ou cru. Pourtant, certains collectionneurs (dont des hommes d’Eglise) ne s’y trompent pas et achètent les œuvres refusées.
Pasolini
Mort violente, catholicisme profond et amour des prostitués et des voyous : on a beaucoup comparé la figure du cinéaste italien Pasolini avec celle du Carava ge. Leur père spirituel est sans doute un autre italien, le rebelle François d’Assise.
Violence ultime
Un de ses derniers tableaux représente David tenant par les cheveux la tête de Goliath qu’il a décapité. Cette pauvre tête est un autoportrait.
L’obscure clarté
Le Caravage est le maître du clair-obscur : il le remit à la mode et beaucoup après lui copièrent son utilisation du clair-obscur : un fond noir et une lumière projetée sur une partie de la scène représentée.
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Brunehaut, la perdante
Hommage à Brunehaut,
suivi d'un fragment de L'histoire des Francs, de Grégoire de Tours
I
Brunehaut, la perdante
Brunehaut, reine d'Austrasie : l'Andromaque franque
Remarque
L'auteur de cet hommage, en l'élaborant, a senti son coeur flancher pour le jeune Mérovée, dont la destinée triste a croisé celle de Brunehaut. Mérovée est donc le récipiendaire officieux de cet hommage.
Deux ennemies se partagent une réputation calomnieuse
Brunehaut, ou Brunehilde : son nom est sans cesse apposée à celui de Frédégonde, son ennemie mortelle.
Les deux femmes du Moyen-Age sont vues comme des monstres de cruauté, dénuées de scrupules, amatrices de crime. Dans les temps qui suivirent leur existence, Brunehaut eut même encore plus mauvaise presse que Frédégonde. Ainsi, l'écrivain Christine de Pizan (1346-1430), qui vécut sept siècles après les deux reines, préfère vanter la valeur de Frédégonde.
Pourtant, cette indulgence n'est due qu'à la victoire politique de Frédégonde. En fait, Brunehaut était plus sensible à l'intérêt public que l'ignoble Frédégonde.
Depuis sa mort jusqu'à nos jours, des historiens se sont élevés pour réhabiliter Brunehaut mais sa mauvaise réputation demeure dans nos livres d'histoire.
Naissance et mariage
Fille du roi des Wisigoths, elle épouse en 567 le roi franc mérovingien Sigebert ; elle devient alors reine d'Austrasie et catholique. Elle a entre vingt et trente ans. L'origine royale de Brunehaut et sa posture d'épouse unique lui donnent un poids inhabituel. En effet, depuis longtemps les rois francs avaient des concubines, en nombre ; mais on ne connait à Sigebert ni maitresse ni enfants naturels.
Chilpéric, frère de Sigebert, est roi de Neustrie. Convaincu momentanément par le modèle marital de son frère, il renonce à son harem de concubines pour épouser une princesse, soeur de Brunehaut, Galeswinte. Il lui promet fidélité, mais la trahit bientôt. Il reprend des concubines, parmi lesquelles Frédégonde, une jeune femme du palais. Cette dernière acquiert du pouvoir. (Ici, nous demandons pardon à nos lecteurs : en effet, il nous est malheureusment impossible, pours des raisons évidentes d'espace, de recenser tous les crimes de Frédégonde : nous nous contenterons de relater ceux qui touchent Brunehaut). Frédégonde et Chilpéric étranglent Galeswinte ; Frédégonde épouse alors Chilpéric et devient reine.
Alors, les deux couples royaux deviennent ennemis.
Luttes féroces. Figure tragique du jeune Mérovée, héros romantique et sauveur martyr
Brunehaut et Sigebert veulent venger la soeur de Brunehaut. Nous passons le détail des affrontements qui se succédèrent.
Des assassins à la solde de Frédégonde éliminent Sigebert. Brunehaut et ses enfants deviennent prisonniers de Chilpéric et Frédégonde. Brunehaut parvient à confier son jeune fils Childéric à un ami, qui l'emporte en Austrasie. La succession de Sigebert est sauvée.
Brunehaut demeure aux mains de Chilpéric et Frédégonde. Elle attend d'être fixée sur son sort, la mort très certainement. Mais le fils de Chilpéric, Mérovée, est tombé amoureux de la femme de son oncle. Il rejoint Brunehaut dans sa prison et l'épouse en cachette, avec l'aide de l'évêque Pretextat. Le jeune homme et l'évêque en seront punis.
La mariée et son jeune époux-neveu cherchent un asile pour échapper à la vengeance de Chilpéric et Frédégonde. Ils se dissimulent dans une petite chapelle.
Mais Chilpéric parvient à les récupérer. Il fait tondre son fils, le fait prêtre et l'enferme au monastère de Saint-Calais au Mans.
Pendant ce temps, Brunehaut parvient à rejoindre sa patrie, l'Austrasie. Là, elle n'a pas de grand pouvoir. En attendant que son fils Childéric soit grand, les seigneurs du royaume règnent.
Mérovée s'échappe de son monastère et parvient à rejoindre l'Austrasie. Mais les sujets de Brunehaut préfèrent voir le fils du meurtrier de leur roi Sigebert plutôt que l'époux salvateur de sa veuve ; ils le chassent.
Mérovée erre plusieurs mois. Par amour et par courage, il a perdu sa famille, sa femme, tous les pays lui sont fermés. Dans l'impossibilité qu'il est de sortir du désespoir et de la solitude, il se suicide.
Mort de Childebert
De nombreuses années plus tard, le fils de Brunehaut, Childebert, meurt empoisonné, sur l'ordre de Frédégonde. Il laisse deux fils, qui ne s'entendent pas et guerroient autour de leur héritage.
Il est difficile d'admirer la poursuite des oeuvres de Brunehaut. Si elle tente d'instaurer un gouvernement efficace et progressiste, elle n'en tombe pas moins dans le crime machiavélique – sans jamais atteindre un niveau comparable à celui de sa belle-soeur.
Mort de Chilpéric
Quant à Chilpéric, il avait tué son épouse Galeswinte, accepté le meurtre de son frère Sigebert, le suicide de son fils Mérovée et le meurtre d'un autre fils par amour pour Frédégonde ; il meurt lui-même assassiné par un amant de Frédégonde, sur l'ordre de celle-ci. Mais enfin, Frédégonde meurt.
Un supplice inouï
On pourrait alors croire que Brunehaut vécut désormais en paix. Pourtant, Clotaire II, fils de Frédégonde, captura sa tante et belle-soeur (on se souvient des deux mariages de Brunehaut !). Il lui infligea un martyre de trois jours, qui continue de frapper les esprits.
Brunehaut, âgée de 79 ans, subit trois jours d'insultes, de tortures physiques. On s'attacha à lui faire le plus grand mal possible en prenant soin de ne pas la tuer, afin de faire durer le supplice. Au terme de ces trois jours, on lui inflige une humiliation publique. Portée devant le peuple sur un chameau, nue, affreusement blessée, on la promène devant toute l'armée qui la couvre de rires, de hurlements, d'insultes, de crachats. On attache enfin un bras, une jambe et la longue chevelure de la vieillarde à la queue d'un cheval fou. On lance le cheval d'un coup de fouet. Il traîne sur des chemins de pierres le vieux corps déjà épouvantablement mutilé. C'est la déchirure finale.
L'on raconte que pendant ce martyr de plus de trois jours Brunehaut ne proféra pas la moindre plainte.
Epilogue
L'histoire de Brunehaut, c'est celle d'une reine cultivée, libérale (elle laissait les Juifs et les Chrétiens fêter la Pâque ensemble, en bonne entente) ; une reine qui avait le sens du droit, de la culture, du progrès, de l'Etat, de la justice ; une reine intelligente et dotée, autant que sa posture de reine pouvait le lui permettre, d'un certain sens éthique.
Comme Andromaque, elle épousa le fils du meurtrier de son mari, plus jeune qu'elle, fou amoureux de sa grandeur blessée. Comme Andromaque, elle vit tous ses ennemis et alliés s'éteindre avant elle.
Elle fut déchirée par une rivale inculte, déchainée, jalouse et impitoyable, d'une grossièreté telle qu'il était impossible de la vaincre. Comment gagner un combat en suivant les règles du jeu si l'adversaire les ignore superbement ?
Cette sordide histoire de famille fut le début du déclin des Mérovingiens, dont Pépin le Bref allait provoquer la chute finale, instaurant son propre règne et la dynastie nouvelle des Carolingiens.
II
Fragment de Grégoire de Tours
Le meurtre de Pretextat par la monstrueuse Frédégonde
Tandis que Frédégonde demeurait dans la ville de Rouen, elle eut des mots amers contre le pontife Prétextat : "Le temps va venir, disait-elle, où il reverrait l'exil auquel il avait été condamné". Et lui répliqua : "Que je sois en exil ou hors d'exil, toujours j'ai été, je suis, et je serai évêque ; mais toi, tu ne jouiras pas toujours de la puissance royale. Nous sommes conduit de l'exil au royaume par la grâce de Dieu ; quant à toi, de ce royaume tu seras plongé dans l'enfer. Or, il eût été pour toi plus raisonnable de délaisser la sottise et la méchanceté pour te convertir enfin au bien et de renoncer à cette jactance dans laquelle tu bouillonnes toujours, afin de gagner la vie éternelle et de pouvoir conduire jusqu'à sa majorité le petit enfant que tu as mis au monde." Après avoir prononcé ces mots que la femme avait pris mal, il se retira de sa présence en bouillant de colère. Or, le jour de la résurrection du Seigneur étant arrivé, l'évêque se rendit de bonne heure en hâte à l'église pour accomplir les offices ecclésiastiques et selon la coutume il commença à réciter les antiennes dans leur ordre. Puis tandis que pendant le chant il s'était assis sur son banc, surgit un cruel homicide qui, ayant tiré un couteau de son baudrier, frappa sous l'aisselle l'évêque qui reposait sur le banc. Celui-ci poussa un cri pour que les clercs qui étaient présents, vinssent à son secours ; mais il ne reçut l'aide d'aucun des si nombreux assistants. Alors étendant ses mains pleines de sang sur l'autel, il prononça une prière et rendit grâce à Dieu, puis il fut transporté dans sa chambre par les mains des fidèles et couché dans son lit. Et aussitôt Frédégonde arriva avec le duc Beppolène et Ansovald ; elle dit : "Il n'eût pas fallu, pour nous ni pour le reste de ta population, ô saint évêque, que ces choses arrivassent pendant ton office. Mais plaise à Dieu qu'on dénonce celui qui a osé perpétrer une telle chose pour qu'il puisse subir les supplices dignes d'un tel crime." Mais l'évêque, sachant qu'elle proférait ces paroles hypocritement, répliqua : " Et qui donc a fait cela sinon celui qui a assassiné des rois (sous-entendu Frédégonde elle-même), qui a répandu si souvent un sang innocent, celui qui a commis dans ce royaume des méfaits divers ?". La femme répondit : "Il y a chez nous de très habiles médecins qui pourraient remédier à cette blessure. Permets qu'ils s'approchent de toi." Et lui répliqua : "Dieu a déjà donné l'ordre de me rappeler de ce monde ; mais toi qui as été reconnue comme l'inspiratrice de ces crimes, tu seras maudite dans le siècle et Dieu vengera mon sang sur ta tête." Puis quand elle se fut éloignée, le pontife, ayant mis de l'ordre dans sa maison, rendit l'âme.
Romachaire, évêque de la ville de Coutances, arriva pour l'ensevelir. Un grand chagrin s'empare alors de tous les habitants de Rouen et surtout des aristocrates francs de ce lieu. Un grand d'entre eux vint trouver Frédégonde et lui dit : "Tu as commis beaucoup de mauvaises actions dans ce monde ; mais jusqu'ici tu n'avais rien fait de pire que d'ordonner le meurtre d'un évêque de Dieu. Que Dieu venge donc rapidement un sang innocent, et nous aussi nous serons les instructeurs de ce forfait afin qu'il ne te soit plus loisible de te livrer plus longtemps à de telles cruautés." Comme après avoir dit ces choses il s'éloignait des regards de la reine, celle-ci envoya quelqu'un pour l'inviter à un festin. Sur son refus elle le prie, s'il ne voulait pas prendre place à son festin, de vider au moins une coupe pour ne pas quitter à jeun le palais royal. Il hésita ; puis ayant pris une coupe, il but de l'absinthe mélangée avec du vin et du miel, comme c'est la coutume des barbares ; mais cette boisson avait été empoisonnée. Aussitôt donc qu'il eut bu, il sentit à l'estomac une violente douleur qui l'oppressa, c'était comme si on lui faisait une blessure à l'intérieur ; il s'exclama donc pour dire aux siens :"Fuyez, ô malheureux, fuyez ce maléfice pour ne pas périr également avec moi." Ceux-ci ne burent pas, mais se hâtèrent de s'en aller ; quant à lui, il fut aussitôt aveuglé, puis ayant enfourché un cheval, il tomba au bout de trois stade et mourut.
Histoire des Francs
Grégoire de Tours
Les Belles Lettres, 2005
Page 167 et 168
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samedi, 29 novembre 2008
L'humiliation (Chronique mêlée de deux ouvrages)
L'humiliation
Les Papiers de Stresemann (Six années de politique allemande), Editions Plon 1932
Le questionnaire, Ernst von Salomon, Editions Gallimard 1953
L'humiliation d'une nation a fait les preuves de son efficacité destructrice. L'humiliation appelle la revanche sinon la vengeance, qui, comme le dit le dicton, est un plat qui se mange froid. Quand elle se trouve conjuguée au sentiment de culpabilité, elle fait des ravages dans le mental de générations. À moins que le temps ne fasse son travail - les atrocités commises dans les combats entre Protestants et Catholiques ne sont presque plus pour nous qu'une horrible vieille histoire.
Je propose la lecture de deux livres qui s'étendent de la fin de la guerre de 1914-1918 à la fin de la guerre de 1940-1945 pour tenter de comprendre - ou plutôt d'éprouver - ce que c'est que cette terrible notion, la "nation" qui soulève les peuples en même temps qu'elle les fait sombrer. Deux livres écrits par des nationalistes.
La nation, c'est une terre
"La raison de nos graves inquiétudes, et pour ainsi dire la preuve que la France ne poursuit pas une politique de réparations, ce sont les expulsions inouïes auxquelles elle procède dans le territoire envahi. Je n'insisterai pas sur le sort qui en pleine paix menace des milliers de fonctionnaires, des familles entières. Cela ne révèle-t-il pas une intention politique ? Ne prépare-t-on pas l'annexion en expulsant les chefs intellectuels, économiques et politiques du peuple allemand fréquemment sans motif ? (…) On veut étouffer les voix qui protestent contre cette façon de transformer la Rhénanie en un pays francophile."
Gustav Stresemann a mené une politique acharnée pour sortir son pays de l'ornière dans laquelle il était tombé, après la première guerre mondiale, en particulier avec le problème des réparations, ruineuses pour le peuple, et de l'occupation de la Ruhr par la France. Dans ses "Papiers", il décrit ses efforts pour tenter d'empêcher l'Allemagne de tomber dans les pièges du racisme hitlérien, à droite, et du communisme, à gauche. Il s'est heurté à l'intransigeance de Raymond Poincaré et n'a trouvé un interlocuteur qu'en la personne d'Aristide Briand - ils reçoivent tous les deux le prix Nobel de la Paix en 1926. Sa mort est un drame : c'est un barrage de plus qui s'effondre devant la montée du nazisme.
L'humiliation de l'Allemagne signée lors du Traité de Versailles l'a menée, et l'Europe dans son sillage, à la catastrophe de la deuxième guerre mondiale.
La nation, ce sont des êtres humains
Entre 1945 et 1946, l'écrivain allemand Ernst von Salomon est interné dans un camp américain en Allemagne. Nationaliste de droite, il refuse d'adhérer au nazisme, mais défend certain ami qualifié de tel. Dans ce livre, il dénonce les injustices et les mauvais traitements infligés aux Allemands par les Américains. En même temps, il y décrit le sentiment d'une curieuse satisfaction d'être "pour une fois" dans le camp des victimes et non celui des bourreaux. Il met très intelligemment et drôlement en scène l'imbécillité des vainqueurs en faisant un livre énorme de ses "réponses" au "questionnaire", document comprenant 131 questions auxquelles tout citoyen allemand dut répondre pour établir ses éventuels liens avec le régime nazi. On découvre que celle qu'on croit être sa compagne est la fiancée cachée d'un autre homme. Cachée, avec un faux nom parce que juive et sauvée ainsi. Pointe dans ce livre brillant et trouble, l'humiliation.
"8. Couleur des cheveux : voir pièce jointe
ad8 : Aiguiser la conscience, nous dit Hamlet, voilà l'intérêt du pouvoir qui aime, pour sa tranquillité, commander à des lâches. Le meilleur moyen pour y arriver a toujours été la présomption des administrations.
Depuis toujours, aussi, les administrations connaissent la force magique du pouvoir qui, en l'enregistrant, fascine le plus sûrement l'individu. L'enregistrement est la forme parfaite dont découleront toutes les suites du régime de la terreur. Un homme dans un fichier est pour ainsi dire déjà un homme mort.
(…) Rien ne révèle mieux le caractère de signalement de ce questionnaire et sa bassesse que la question concernant la couleur des cheveux".
Ce livre a eu un grand succès à sa parution en Allemagne.
La question reste : comment un Allemand peut-il "supporter" l'immense et humiliante culpabilité qui pèse sur son pays ?
La nation, c'est une idée fragile
Il ressort de cette "nation" qu'elle anime les cœurs des humains, les réunit, les soulève. Mais en même temps, elle les enferme. Elle les assimile. Ceux qu'elle englobe de son exigeante sollicitude ne peuvent plus lui échapper. Ses échecs sont leurs échecs. Les générations qui suivent se doivent d'endosser la responsabilité de crimes qu'elles n'ont pas commis, de lâchetés qu'elles n'ont pas eues, de bassesses qu'elles n'ont pu imaginer. L'individuation républicaine de la "faute" n'a pas court. Pendant ce temps, ceux qui appartiennent à une nation "vertueuse" sont auréolés d'une grandeur qui les transporte tous : peu importe à l'individu ses fautes personnelles, ses traîtrises, son crime secret. Il endosse la vertu nationale. Il est vertueux par essence.
Aujourd'hui, les "nations" de "peuples" semblent se diluer dans les régionalismes ou les communautarismes des "peuplades" - qui sont des petits nationalismes sans grand danger encore parce que sans grands crimes encore. La démarche est facile à comprendre. Les individus humains veulent bien s'unir autour de valeurs qui les grandissent personnellement. Ils ne voient pas pourquoi ils devraient s'unir autour de crimes qu'on leur impute et qui les humilie, personnellement.
À moins que, coupable pour coupable, l'idée de "nation" ressurgisse, plus extrême, plus brutale, puisqu'il n'y a plus de vertu à perdre.
Ces deux ouvrages ne sont pas réédités (toujours pas en 2012) ; on les trouve cependant d'occasion, en cliquant sur ces vignettes.
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jeudi, 27 novembre 2008
Il était une fois l'animal
I Genèse
La présence de l'animal dans l'histoire de la création du monde...
« Il était un royaume où volait le Corbeau. De temps à autre, l'Oiseau suspendait son vol pour fienter. Quand la matière était dure, elle se changeait en terre ferme ; quand elle était liquide, elle donnait naissance à des rivières et à des lacs, puis à de minuscules flaques et ruisseaux. (...) Mais une fois créé par la matière contenue dans le jabot et la vessie du Premier Volatile, le monde continua de baigner dans une obscurité profonde. » La Bible tchouktche, Youri Rythkéou
Les mythes fondateurs racontent l'origine du monde et des hommes.
Dans la Bible, la Genèse du monde est ainsi racontée : Dieu créa le monde, puis l'homme, puis la femme. Il créa les animaux, et celui qui joua dès le début un rôle important est le serpent, qui corrompit l'homme.
Pour les Tchouktches de Sibérie, le monde a été créé par un corbeau, le Premier Volatile, qui volait au-dessus de son royaume désert en laissant tomber sa fiente, fiente qui donnait naissance à des rivières, des montagnes...
Les Inuit ont encore une autre histoire : une jeune femme et un chien furent le premier couple. Leurs cinq enfants sont les ancêtres des habitants des cinq continents.
Dans les sociétés traditionnelles, les contes et mythes s'adressent à tous, enfants et adultes. Chaque événement dramatique de la vie permet une relecture de ces histoires, auxquels l'homme donne un sens plus profond à mesure qu'il vieillit. La littérature expressément réservée aux enfants est un événement moderne, né du rationalisme.
Dès lors, plus encore en Occident qu'ailleurs, le temps des animaux est le temps de l'enfance. Il y a une séparation radicale entre l'animal de l'enfance, enchanté, proche, et l'animal des adultes, rationalisé, utile, sans valeur sacrée.
II Initiation et symbole
Dans la littérature enfantine, les animaux servent à expliquer les relations humaines
« Il était une fois un paysan qui avait de l'argent et des biens en suffisance (...) Mais sa femme et lui n'avaient pas d'enfants. (...) Un jour, il revint chez lui, s'emporta et dit :
- je veux un enfant ! J'en veux un, même si ce doit être un hérisson !
Par la suite, sa femme mit au monde un enfant qui était mi-hérisson, mi-homme : le haut de son corps en hérisson, le bas constitué normalement. Sa mère en fut épouvantée quand elle le vit et s'exclama :
- Là, tu vois ! Tu nous as jeté un mauvais sort !» Hans mon-hérisson, Grimm
L'anthropologue russe Propp a analysé des contes de façon structurelle et en a tiré des fonctions invariablement présentes (le héros, le donateur, l'agresseur, l'auxiliaire)... L'animal est toujours autrui. Il est très rarement le héros, il est celui que l'on rencontre sur sa route et qui nous révèle à nous-mêmes.
Les deux thèmes principaux de la plupart des histoires : comment trouver de la nourriture, comment se marier. L'animal permet de dissoudre l'enseignement en le rendant sibyllin. La petite fille apprend à la fois qu'elle doit éviter de se faire violer dans le bois par le loup, à la fois qu'elle devra vivre cela un jour, d'une autre façon. Ce trouble n'appartient qu'au langage symbolique et les rapports sociaux paraîtraient trop crus sans les masques animaux.
La littérature à destination des enfants utilise la proximité entre l’enfant et l’animal pour préparer au monde adulte ; mais la figure animalisée permet de dissocier le monde imaginaire du monde réel pour brouiller les pistes. La transmission s'effectue à un niveau inconscient.
Par ailleurs, dans ce mélange des mondes humains et animaux se trouve une reconnaissance de la très grande proximité qui les unit. Nous sommes animaux comme les autres animaux, nous souffrons, nous aimons et nous luttons comme eux.
III Paradoxes
Dans les histoires pour enfants, l'animal interprète les rôles enchanteurs, troubles ou mauvais. Mais ces rôles sont atténués par la censure pédagogique, qui ne reconnaît de conscience qu’humaine et qui déviolentise les contes. Que devient alors l'animal ?
Violence, magie, trouble, désir, crime : ces éléments hantent les rapports entre les hommes et les bêtes dans la littérature traditionnelle. L'animal permet donc de parler de crime et de sexe.
Pourtant, les modernes (Perrault, Disney) ont escamoté la cruauté des histoires. Cette déviolentisation a lieu partout. Par exemple, au Pérou, où l'on reprend les contes quechuas pour les manuels d'éducation des enfants indiens, on les lisse et les modifie car ils sont vus comme trop violents.
Cet escamotage littéraire est parallèle à l'évolution de la société. Le garçonnet d'il y a 100 ans voyait tuer les cochons régulièrement. Celui d'aujourd'hui refuse de manger lorsqu'il comprend avec horreur que les trois gentils petits cochons du conte sont découpés dans son assiette. Ces deux garçons à cent ans de distance n'entendent pas la même histoire à travers le même conte. L'interprétation et l'identification ne peuvent être semblables.
La modernité escamote la violence et elle brouille les rôles traditionnels. De ce fait l'animal n'est plus trouble ni mauvais, il devient gentil. Par ailleurs, le principe narratologique selon lequel l'animal était autrui et jamais le héros n'a plus lieu. L'animal est donc humanisé (héros au visage défini, doué de bonté) au moment même où les bêtes ont presque disparu de notre vie quotidienne. Il représente même parfois la gentillesse dans un monde de brutes humaines, un rôle tout aussi faux que celui de séducteur ou de tueur qu'il tenait dans les histoires traditionnelles. La bête est devenue ange. La cruauté et la tendresse sont souvent l'apanage réel ou supposé des enfants et des bêtes. Mais en éliminant la cruauté on élimine aussi la tendresse réelle, émergée du fond des êtres.
Si l'animal effrayant et enchanteur des contes a disparu de la littérature moderne, que reste-t-il de lui ? Dans la vraie vie, les animaux magiques des contes ont disparus : leurs inspirateurs sont confinés dans les zoos ou les élevages.
« Pan ! Le coup partit. La balle vint frapper le cygne en plein milieu de la tête, et le long cou blanc s'effondra sur le côté du nid.
- Je l'ai eu !cria Ernie.
- Joli coup, s'exclama Raymond.
Ernie se tourna vers Peter, le petit Peter qui était absolument pétrifié sur place, le regard blême.
(...)
Peter ramena le cygne mort au bord du lac et le posa par terre. (...) Ses yeux toujours mouillés de larmes étincelaient de fureur.
-Quelle chose infecte ! hurla-t-il ! (...) C'est vous qui devriez être morts, à la place du cygne ! Vous n'êtes pas dignes de vivre ! »
Le cygne de Roald Dahl
Qu’avons-nous fait de nos corps, de nos âmes ? De nos haines et de nos désirs ? Nous les avons nettoyé comme nous nettoyons les histoires que nous racontons aux enfants. Nous les avons enfermés dans des laboratoires, dans des ménageries, dans des bâtiments protégés aux abords des grandes villes.
Nous n’avons voulu garder que la raison, mais voici qu’elle hante un monde vide.
Que pourrons-nous faire pour retrouver l’animal, ce frère ennemi qui nous dégoûte et à qui nous voudrions ressembler ? Quand toutes les portes de la raison sont fermées et qu’il revient dans nos cauchemars, faudrait-il oser nous laisser entraîner dans son poème vital ?
Katharina Flunch-Barrows et Edith de Cornulier-Lucinière
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mardi, 25 novembre 2008
Lettre d'amour apolitique
« Lorsque l'on t’aime assez pour faire partie de toi tu fais de nous des vils »
Par S.Barynsflook
AlmaSoror a demandé à plusieurs auteurs de lui écrire une lettre d’amour.
Lorsque Axel Randers a répondu que la plus belle lettre d’amour qu’il pourrait écrire serait une lettre d’amour de gauche, nous avons axé nos requêtes ainsi : vous qui avez aimé et milité, écrivez-nous la plus belle lettre d’amour possible que vous pourriez écrire,
et parlez-y de politique.
La lettre d'amour apolitique de S.Barynsflook clôt cette série amoureuse almasororienne.
Lire la lettre d'amour de droite et la lettre d'amour de gauche
Il est temps de nous dire au revoir belle amie de toujours, quelle belle composition, tout cet harmonieux agencement. Tu as cette beauté irrésistible devant laquelle tout un chacun s'agenouille. La vie est décidément trop dure dès lors que l’on te rencontre. Je ne sais s'il vaut mieux vivre sous ton aile, oublier que je t'ai connue ou tenter de te changer.
Tu te présentes pour m'aider, me montrer le chemin mais jusqu'ici je n'ai senti que trahisons, déception ou ennui....Est-ce ta nature d'être ainsi ou est-ce le système que tu fais marcher .....
Prête à m'abandonner, à me faire tomber, à me condamner si ton désir te le dicte. Reine du monde entier tu sers de la même façon le monde entier et comme chacun je te suis, et même quand je ne veux pas te suivre, mes actions qui en découlent te servent, je te suis et je n'y peux rien.
Tu puises ton pouvoir dans chacun, et lorsque tu trébuches sur Chacun, c'est pour mieux reprendre pied.
Tu m'as souris et m'as tendu ta main, je l'ai saisie avec plaisir et admiration. Je croyais alors que nous pouvions construire quelque chose ensemble.
Triste illusion, je pensais avoir un rôle dans ta vie, mais je n'ai eu qu'un rôle d'appartenance à une multitude que tu illusionnes et à qui tu tends la main avec ce même sourire plein d'énergie, d'intelligence bienveillante.
Je ne regrette rien car tu restes une solution, les hommes ont besoin de cette bienveillance que tu leur offres. Peut être qu'un jour tu changeras mais je ne pense pas, tu es prise dans ton jeu et lui ne changera pas.
Adieu donc.
S.Barynsflook
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Lettre d'amour de droite
AlmaSoror a demandé à plusieurs auteurs de lui écrire une lettre d’amour. Lorsque Axel Randers a répondu que
la plus belle lettre d’amour qu’il pourrait écrire serait une lettre d’amour de gauche, nous avons axé nos requêtes ainsi : vous qui avez aimé et milité, écrivez-nous la plus belle lettre d’amour possible que vous pourriez écrire, et parlez-y de politique.
Lire la lettre d'amour de gauche d'Axel Randers
Lire la lettre d'amour apolitique, de Barynsflook
Chère Grand-Mère,
Si le remords avait du poids, cette lettre pèserait lourd. Depuis des années que je ne suis pas revenue vous voir, vous devez vous sentir seule, abandonnée.
Cela fait quatre ans que vous n’avez reçu de mes nouvelles. Suis-je une petite fille indigne ? Oui.
Pourtant, je n’ai cessé de penser à vous et de vous aimer.
L’impossibilité de vivre parmi les nôtres m’a poussée loin de notre monde, Grand-Mère. J’ai bien trahi vos enseignements, j’ai trahi nos idées. Ai-je eu le choix ?
Dans une bande dessinée de Hugo Pratt, quelques minutes avant de passer devant le peloton d’exécution,
le marin allemand Slutter dit: « Les Anglais me fusillent parce que j’ai obéi aux ordres de mon commandant, et les Allemands m’auraient fusillé si je ne leur avait pas obéi ».
Ces soldats allemands ou français de la deuxième guerre mondiale étaient cernés. Quoi qu’ils fassent, malgré leur abnégation et tout leur courage, ils étaient des traîtres. C’étaient des hommes traqués.
Ceux qui sont comme moi sont traqués par une marque qui se trouve à l’intérieur d’eux-mêmes. Où qu’ils aillent, ils seront toujours rejetés parce qu’aucune place ne leur est réservée : ils font peur.
Voilà pourquoi je suis partie.
Je suis descendue à Paris.
J’ai vécu à Paris puis à Berlin, puis à Zurich, et à nouveau à Paris. J’ai connu des gens très différents : des gens de gauche.
J’ai aimé certains d’entre eux, j’ai appris des choses. Mais souvent, j’ai été terrassée par leur nullité. Ces gens croient qu’ils inventent la liberté lorsqu’ils foulent à leurs pieds deux mille ans de culture chrétienne et européenne. Ils pensent inventer le monde lorsqu’ils crachent des mauvaises phrases dans des livres, des films ou des disques qui ne voient le jour que parce qu’ils baignent dans cet argent qu’ils disent détester.
Ils confondent tout ce qu’ils n’aiment pas dans un sac pratique et idiot, qu’ils appellent « bourgeoisie ». Riches, ils se veulent pauvres. Méprisants, ils se veulent populistes. Snobs, ils se croient populaires. Antipatriotiques et antireligieux, ils croient sauver le corps et l’esprit des gens. Ils haïssent le catholicisme, la tradition, qu’ils ne connaissent pas. Ils en parlent avec autant de bêtise qu’un catholique de droite parle des luttes communistes ou féministes : l’ignorance nous tuera tous.
La solitude que j’ai éprouvée parmi eux, je l’avais éprouvée aussi parmi mes cousins et aux scouts. Je l’avais éprouvée toute ma prime jeunesse, dans notre monde à nous, Grand-Mère. Comment pourriez-vous l’ignorer ?
Vous saviez mon secret. Vous ne m’en avez jamais parlé. Vous saviez que j’étais morte pour la seule vie que notre milieu me réservait. Mais vous ne disiez rien, et parfois vous me regardiez pleurer en tremblant. Votre chagrin était réel ; votre amour était réel. Mais vous n’aviez rien à me proposer, rien d’autre qu’un renoncement à tout bonheur, à tout espoir.
J’ai vécu ainsi parmi ces amis de gauche, sans Dieu, sans foi, qui ne savaient rien de ce que je pensais vraiment, à qui je ne pouvais parler de vous parce qu’ils vous auraient méconnue. Ils sont universitaires, professeurs, journalistes, artistes, avocats, et ils sont misérables. Vides de culture et vides de religion, ils ne connaissent que la gloire d’être de leur temps et passent leurs journées à oublier qu’ils vont mourir un jour. Mais au fond, dans n'importe quel univers, le même petit nombre de gens recèle cette grandeur d’âme –même s’ils n’y croient pas, à cette âme-, qui relève le malheureux et embellit le gris des jours. Quelles que soient leurs idées, leurs croyances, ce sont des anges. Il ne faut pas leur dire qu’ils sont des anges parce qu’ils ne comprendraient pas. Il faut juste les laisser être des anges et tenter de leur rendre un peu de la fraternité qu’ils vous offrent. Parmi ceux-là, j’ai trouvé des oreilles et j’ai dit mon secret. J’ai été tolérée, ce qui ne me serait pas arrivé chez nous, Grand-Mère. Vous savez bien. Parmi mes frères et sœurs hermaphrodites, il y a beaucoup de gens que je n’aime pas ; il y en a quelques uns qui auraient voulu comme moi vivre selon les valeurs qu’ils ont reçues dans leur berceau. Mais leur particularité les a privés d’une telle vie où la famille, la religion et le travail de la terre rythme le temps.
Je suis revenue vivre à la maison de Rébusseyt, au bord de la Marne, où vous veniez chaque été. Je vis seule dans cette grande maison et je pense à vous chaque jour.
Vous avez été ma seule amie. Vous êtes la personne humaine qui m’a aimée et nourrie. Ma vie aura passé mieux grâce à vous.
Adieu Grand-Mère. Si vous me répondez, nous nous reverrons peut-être. Je sais que vous serez heureuse si
je finis ma lettre avec les plus beaux mots du monde : Ave Maria, gratia plena, dominus tecum…
Je vous salue Marie pleine de grâce, le seigneur est avec vous.
Benedicta tu in mulieribus et benedictus fructus ventris tui Iesus. Vous êtes bénie entre toutes les femmes et Jésus le fruit de vos entrailles est béni. Sancta Maria, mater Dei, ora pro nobis peccatoribus nunc et in hora mortis nostrae… Sainte Marie, mère de Dieu, priez pour nous, pauvres pêcheurs, maintenant et à l’heure de notre mort… Vos lèvres auront prié en lisant ma prière. Nous sommes ensemble, Grand-Mère chérie. Dans les bras de Dieu.
Esther Mar
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dimanche, 23 novembre 2008
Epiphanie d'Esther Mar
« Ce qui fait la noblesse d’une chose, c’est son éternité ».
Leonard de Vinci
Ma vie ne ressemble pas aux grandes affiches de publicité qui dominent la rue et le métropolitain.
Je ne croque pas la vie à pleines dents, ni ne consomme, ni ne suis consommée.
Je regarde les photos de ma prime jeunesse : un visage adulte regarde un visage nubile.
Je sais que je n’étais pas heureuse, pourtant je regrette cette jeunesse.
Chaque pas est un pas vers la mort. Chaque souffle, en créant la vie, appelle la mort.
Comment accepter cette inexorable fuite en avant du temps, qui marque ma personne physique et morale ?
I'm trying to tell you something about my life
Maybe give me insight between black and white
The best thing you've ever done for me
Is to help me take my life less seriously, it's only life after all
Choisir l’intemporel.
Puisque tout passe, puisque rien ne me remplit, puisque l’angoisse ne sera jamais vaincue que par la force intérieure, puisque l’amour est incertain comme le temps, puisque le temps change dans l’espace, puisque l’espace m’est inaccessible…
Puisque je vais mourir un jour, peut être sans douleur, peut être dans la souffrance, puisque je vieillis jour après jour malgré ma soif d’enfance, puisque je m’affaisse malgré mes faims vitales, puisque mon corps n’est qu’un corps, puisque dans la nuit, quelque fois, je ne crois plus à l’âme… Je choisis l’intemporel.
Well darkness has a hunger that's insatiable
And lightness has a call that's hard to hear
I wrap my fear around me like a blanket
I sailed my ship of safety till I sank it, I'm crawling on your shore.
Les commandements de la vie intemporelle
1 J’accepte que la nouvelle jeunesse me pousse de l’autre côté de l’âge et prenne ma place
2 Tous les jours j’accomplis des choses essentielles qui m’auraient paru autant essentiels si j’avais vécu dans un autre lieu il y a plusieurs siècles et qui me paraîtraient essentiels si je vivais dans un autre lieu dans plusieurs siècles
3 Chaque jour, je touche à la haute culture (par exemple, je lis le Voyage de Baudelaire, ou une tirade d’Andromaque, de Racine), à la nature (je m’occupe d’une plante, admire une étoile…), à l’animalité (j’offre à manger à une bête, j’observe fraternellement un animal…) et à la spiritualité (je prie ou je laisse mon cœur ouvert à tout ce qui le dépasse et qui lui survivra)…
4 Je sais que mon existence a autant de valeur que le plus riche et admiré des êtres de cette terre et que le plus misérable et laid des êtres de cette terre
5 Je ferme les yeux, souffle loin du monde immédiat et fais se rencontrer mon cœur, mon corps et mon esprit. Je les vide. Je laisse alors la vie les remplir ou ne pas les remplir.
6 Je pose un acte qui fasse que ma vie aura été quelque chose de bien pour quelqu’un. J’allume un ou plusieurs cœurs. Je m’oublie pour réchauffer la vie d’un autre. Un sourire ? Un regard ? Une gentillesse ? Quelque chose qui fasse que ma vie aura créé de bonnes sensations.
En suivant ces commandements je sais que je toucherai chaque jour à l’essentiel. Je ne laisserai pas trop de temps passer sur mon ego, ma vulgarité et mes petitesses.
I stopped by the bar at 3 a.m.
To seek solace in a bottle or possibly a friend
I woke up with a headache like my head against a board
Twice as cloudy as I'd been the night before
I went in seeking clarity.
L’intemporel seul est éternel. Les modes et les pensées passent. Que reste-t-il à travers les siècles ? L’intemporel. Alors pourquoi se noyer dans le temporel ?
- Parle-moi, Rainer Maria Rilke, comme tu parlais à Franz Kappus.
- L’avenir est fixe, cher monsieur Kappus, mais c’est nous qui nous déplaçons dans l’espace infini.
- Merci.
Je choisis l’intemporel. C’est ma façon de toucher l’éternité.
Et des extraits de Closer to Fine, une chanson des Indigo Girls
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vendredi, 21 novembre 2008
Mélange de paternités
Du temps de nos Pères…
Voyage en paternité traditionnelle
"Chez tous les peuples qui connaissent des lois, la puissance paternelle est par elle-même
une manière d'esclavage pour les enfants.
Tant que vit le père, le fils est habité par un sentiment de sujétion et de dépendance,
il a l'impression qu'il n'est pas son propre maître, ou plutôt qu'il n'est pas une personne à part entière,
mais un simple organe dans un corps plus vaste,
et que son nom appartient davantage à un autre qu'à lui-même.
L'inestimable avantage pour un enfant d'être guidé par un être plein d'expérience et d'affection,
et nul ne peut tenir ce rôle mieux que son propre père, se paye par l'étouffement total
de la jeunesse, et généralement de toute la vie".
Giacomo Leopardi (Pensées)
Liste des paragraphes
éducation des pères, souvenirs des fils, regrets des pères,
paternités occidentales, pères de gauche et pères de droite,
Vaneigem contre le patriarcat et l’agriculture,
Où sont passés nos pères ?
Une prière traduite dans toutes les langues du monde
I
Education des pères
Extrait d'une lettre d'un père Aztèque
Extrait de l'"Education chréstienne" (1666)
suivi de "Tu seras un homme, mon fils", de Rudyard Kipling
Un père aztèque à son fils
Nopiltzé, nocözqué, noquetzalé, ötiyöl, ötitläcat, ötimotlälticpacquïxtïco,...
"Mon fils, mon bijou, ma plume, tu es venu à la vie, tu es né, tu es arrivé sur terre, sur la terre de Notre-Seigneur (...). Et nous t'avons regardé, nous qui sommes ta mère et ton père, et aussi tes tantes, tes oncles, ceux de ta famille t'ont regardé, ont pleuré, ont été pris de compassion à ton égard lorsque tu es venu à la vie, lorsque tu es venu au monde.
(...)
"Cela a été bien difficile et terrible pour moi de t'élever, de te fortifier, pour que tu prennes de l'âge et de la taille.
J'ai les bras et le dos à bout, à force de donner en partage, de rechercher ce que tu as bu, ce que tu as mangé.
Je ne t'ai pas abandonné, je ne t'ai pas négligé, pour toi j'ai souvent connu les pleurs et la compassion, je ne t'ai pas mis dans le fumier, dans les excréments.
En aucun cas je n'ai saisi, je n'ai pris dans le coffre, dans la caisse, dans le pot, dans l'assiette des autres de quoi t'élever, de quoi te fortifier.
En fin de compte, les qualités d'aigle et de jaguar {d'homme} ont crû, ont grandi ; c'est en toute quiétude, en toute tranquillité que je partirai en te laissant en compagnie, en société.
(...) Si tu vis bien, si tu fais bien ce que je t'ai dit, quand on te verra, pas comparaison avec toi on donnera de la pierre et du bâton à celui qui ne vit pas bien, qui n'obéit pas à sa mère et à son père.
Et maintenant c'est tout, par ces mots nous nous retirons, nous ta mère et ton père ; par ces mots nous te vêtons, nous te secouons, nous te vernissons, nous te pansons : tâche de ne pas les rejetter, de ne pas les mettre au rebut".
Réponse du fils :
"Mon père bien-aimé, ton coeur a laissé (des bienfaits), tu m'as fait du bien, à moi qui suis ton bijou, ta plume. Peut-être vais-je saisir, peut-être vais-je recevoir ces mots, ces paroles qui sortent, qui tombent de tes entrailles, de ta gorge, par lesquels tu accomplis ton devoir envers moi, ton bijou, ta plume, afin que je ne sois pas furieux le jour où j'aurais fait, où j'aurais commis quelque chose de mal, d'injuste, afin que ce ne soit pas pour toi, mon père, un sujet de reproche."
Huëhuetlàtolli, "discours de vieillard", recueilli par Fray André de Olmos (auteur de la première grammaire nahuatl) au XVIème siècle, traduit du nahuatl et présenté par Michel Launey dans son Introduction à la langue et à la littérature aztèques (Mexique).
L’éducation chrétienne au XVIIème siècle
Maximes
Touchant le soin qu’il faut avoir de faire rendre aux Enfans ce qu’ils doivent à leurs Pères.
Ayez grand soin particulièrement que vos enfans soient fort respectueux à l’endroit de leur père, qu’ils l’aiment, qu’ils l’honorent, & qu’ils le craignent. Ne leur pardonnez jamais la désobéissance à ses ordres. Ne souffrez point qu’ils luy parlent autrement qu’avec soumission et avec respect. Celuy qui obéit à son père donne beaucoup de joye et de consolation à sa mère, dit l’Ecriture.
Touchant la liberté qu’il faut donner aux Enfans d’exprimer leurs sentimens et leurs pensées.
Prenez bien garde de ne pas reprendre continuellement vos enfans, & de ne pas les traiter avec trop de sévérité dans les moindres de choses. Ne les obligez pas vous-même par votre rigueur à blesser le respect qu’ils vous doivent ; & en leur commandant des choses trop difficiles de les contraindre à vous désobéir.
Il faut même leur laisser quand ils sont un peu avancés en âge la liberté de vous représenter leurs raisons et leurs plaintes, & de ne les traiter pas avec dureté, lorsqu’ils croient être en quelque sorte blessés par la conduite que vous tenez à leur égard.
Que les enfans apprennent à respecter leur père et leur mère et que les pères et les mères craignent de se mettre en colère contre leurs enfans.
(De l’Education chrestienne des enfans, 1666 )
Tu seras un homme mon fils
(texte anglais suivie de l’adaptation française)
If you can keep your head when all about you
Are losing theirs and blaming it on you,
If you can trust yourself when all men doubt you
But make allowance for their doubting too,
If you can wait and not be tired by waiting,
Or being lied about, don't deal in lies,
Or being hated, don't give way to hating,
And yet don't look too good, nor talk too wise:
If you can dream--and not make dreams your master,
If you can think--and not make thoughts your aim;
If you can meet with Triumph and Disaster
And treat those two impostors just the same;
If you can bear to hear the truth you've spoken
Twisted by knaves to make a trap for fools,
Or watch the things you gave your life to, broken,
And stoop and build 'em up with worn-out tools:
If you can make one heap of all your winnings
And risk it all on one turn of pitch-and-toss,
And lose, and start again at your beginnings
And never breath a word about your loss;
If you can force your heart and nerve and sinew
To serve your turn long after they are gone,
And so hold on when there is nothing in you
Except the Will which says to them: "Hold on!"
If you can talk with crowds and keep your virtue,
Or walk with kings--nor lose the common touch,
If neither foes nor loving friends can hurt you;
If all men count with you, but none too much,
If you can fill the unforgiving minute
With sixty seconds' worth of distance run,
Yours is the Earth and everything that's in it,
And--which is more--you'll be a Man, my son!
Si tu peux voir détruit l’ouvrage de ta vie
Et sans dire un seul mot te mettre à rebâtir,
Ou perdre en un seul coup le gain de cent parties
Sans un geste et sans un soupir,
Si tu peux être amant sans être fou d’amour ;
Si tu peux être fort sans cesser d’être tendre
Et, te sentant haï, sans haïr à ton tour,
Pourtant lutter et te défendre ;
Si tu peux supporter d’entendre tes paroles
Travesties par des gueux pour exciter des sots,
Et d’entendre mentir sur toi leurs bouches folles,
Sans mentir toi-même d’un mot ;
Si tu peux rester digne en étant populaire,
Si tu peux rester peuple en conseillant les Rois
Et si tu peux aimer tous tes amis en frères,
Sans qu’aucun d’eux soit tout pour toi ;
Si tu sais méditer, observer et connaître,
Sans jamais devenir sceptique ou destructeur
Rêver, sans laisser ton rêve être ton maître,
Penser, sans n’être qu’un penseur ;
Si tu peux être dur sans jamais être en rage,
Si tu peux être brave et jamais imprudent,
Si tu peux être bon, si tu sais être sage,
Sans être moral ni pédant ;
Si tu peux rencontrer triomphe après défaite
Et recevoir ces deux menteurs d’un même front,
Si tu peux conserver ton courage et ta tête
Quand tous les autres les perdront ;
Alors les Rois, les Dieux, la Chance et la Victoire
Seront à tout jamais tes esclaves soumis
Et, ce qui vaut bien mieux que les Rois et la Gloire,
Tu seras un Homme, mon fils.
Rudyard Kipling
II
Souvenirs des fils
Extrait des Mémoires d'outre-tombe, de F-R de Chateaubriand
François de Chateaubriand
« Les soirées d'automne et d'hiver étaient d'une autre nature. Le souper fini et les quatre convives revenus de la table à la cheminée, ma mère se jetait, en soupirant, sur un vieux lit de jour de siamoise flambée ; on mettait devant elle un guéridon avec une bougie. Je m'asseyais auprès du feu avec Lucile ; les domestiques enlevaient le couvert et se retiraient. Mon père commençait alors une promenade, qui ne cessait qu'à l'heure de son coucher. Il était vêtu d'une robe de ratine blanche, ou plutôt d'une espèce de manteau que je n'ai vu qu'à lui. Sa tête, demi-chauve, était couverte d'un grand bonnet blanc qui se tenait tout droit. Lorsqu'en se promenant, il s'éloignait du foyer, la vaste salle était si peu éclairée par une seule bougie qu'on ne le voyait plus ; on l'entendait seulement encore marcher dans les ténèbres : puis il revenait lentement vers la lumière et émergeait peu à peu de l'obscurité, comme un spectre, avec sa robe blanche, son bonnet blanc, sa figure longue et pâle. Lucile et moi, nous échangions quelques mots à voix basse, quand il était à l'autre bout de la salle : nous nous taisions quand il se rapprochait de nous. Il nous disait, en passant : « De quoi parliez-vous ? » Saisis de terreur, nous ne répondions rien ; il continuait sa marche. Le reste de la soirée, l'oreille n'était plus frappée que du bruit mesuré de ses pas, des soupirs de ma mère et des murmures du vent.
Dix heures sonnaient à l'horloge du château : mon père s'arrêtait ; le même ressort, qui avait soulevé le marteau de l'horloge, semblait avoir suspendu ses pas. Il tirait sa montre, la montait, prenait un grand flambeau d'argent surmonté d'une grande bougie, entrait un moment dans la petite tour de l'ouest, puis revenait, son flambeau à la main, et s'avançait vers sa chambre à coucher, dépendante de la petite tour de l'est. Lucile et moi, nous nous tenions sur son passage ; nous l'embrassions, en lui souhaitant une bonne nuit. Il penchait vers nous sa joue sèche et creuse sans nous répondre, continuait sa route et se retirait au fond de la tour, dont nous entendions les portes se refermer sur lui.
Le talisman était brisé ; ma mère, ma soeur et moi, transformés en statues par la présence de mon père, nous recouvrions les fonctions de la vie. Le premier effet de notre désenchantement se manifestait par un débordement de paroles : si le silence nous avait opprimés, il nous le payait cher ».
(Les mémoires d’outre-tombe)
III
Regrets des pères
Extrait des Essais de Montaigne
Extrait de Rudyard Kipling
Montluc cité par Montaigne
Cité par Montaigne, le maréchal de Montluc se reproche sa grande dureté envers son fils. Pourquoi ne lui a-t-il pas communiqué son affection lorsqu’il avait son fils, vivant, en face de lui ?
« Ce pauvre garçon n’a rien veu de moy qu’une contenance refroignée et pleine de mespris. Il a emporté cette créance, que je n'ay sçeu ny l'aimer ny l'estimer selon son merite. A qui gardoy-je à descouvrir cette singuliere affection que je luy portoy dans mon ame ? estoit-ce pas luy qui en devoit avoir tout le plaisir et toute l'obligation ? Je me suis contraint et gehenné pour maintenir ce vain masque : et y ay perdu le plaisir de sa conversation, et sa volonté quant et quant, qu'il ne me peut avoir portée autre que bien froide, n'ayant jamais receu de moy que rudesse, ny senti qu'une façon tyrannique ».
Rudyard Kipling après la mort de son fils, sur le champ de bataille, à 17 ans
«If any question why we died, Tell them, because our fathers lied». «Si quelqu’un vous demande pourquoi nous sommes morts, dites-lui que c’est parce que nos pères nous ont menti.»
C’est la phrase qu’il a fait graver sur la tombe de son fils.
Rudyard Kipling avait poussé son fils à partir à la guerre, alors même que celui-ci était trop jeune pour être mobilisé. Son fils lui envoyait des lettres angoissées ; le père répondait des lettres va-t-en guerre. Le remord fut amer.
IV
Paternités occidentales
Paternité romaine : droit d’user et d’abuser.
Les enfants étaient la propriété du père. La propriété romaine (usus & abusus) était totale, sur les terres comme sur les gens.
Paternité féodale
Relation de droits et de devoirs entre le père et ses enfants.
Les seigneurs féodaux étaient soumis à des lois plus grandes que leur volonté, que ce soit dans leurs relations avec leurs enfants, avec leurs serfs et avec leurs biens et terres.
Paternité républicaine
La propriété républicaine est revenue au droit romain (droit de propriété totale, droit d’user et d’abuser), mais seulement pour les biens. Les enfants ne sont pas une propriété.
Les pères perdent le droit de choisir le destin de leurs enfants et les enfants deviennent égaux entre eux (aucun enfant ne peut être favorisé).
V
Pères de gauche et pères de droite
Extrait d’un débat à l’Assemblée Nationale sur l’école obligatoire, laïque et gratuite (5 décembre 1881).
M de La Bassetière
Si, dans ce sanctuaire de la famille, où je dois régner seul, où ma liberté est la condition de ma responsabilité, une autorité quelconque, fût-ce la plus haute, fût-ce celle de l’Etat, veut intervenir entre mon fils et moi, j’ai le droit de la repousser avec énergie et de lui dire : « Tu usurpes et sur le droit du père et sur le droit de Dieu ! »
Vous vous faites souvent les interprètes du peuple. Eh bien, j’ai le regret de vous le dire, vous ne le connaissez pas ; vous ne connaissez ni le peuple des villes, ni le peuple des campagnes ; vous ne connaissez pas même ce peuple que vous croyez vous appartenir, ce peuple de Paris. (…)
Et, messieurs, croyez-le bien, ce peuple est plus ému de votre loi que vous ne le pensez ; et j’entends ces ouvriers, ces laboureurs, vous dire avec cet accent venu du cœur que l’on ne contrefait pas, qui est une prière aujourd’hui et une indignation demain :
« Vous nous avez, dans des circonstances douloureuses, pour une patrie que nous connaissions et que nous aimions, vous nous avez demandé le sang de tous nos fils ; ce sacrifice était douloureux, nous l’avons accepté ; nous sommes loin de nous en repentir, mais aujourd’hui, au nom de la souveraineté de l’Etat que je ne puis pas reconnaître en ces matières, vous nous demandez encore l’âme de nos enfants ; nous nous souvenons cette fois que nous sommes chrétiens et pères, vous ne l’aurez jamais ! »
Paul Bert
Ah ! si le devoir naturel d’élever son enfant, de l’instruire, était un de ces devoirs purement moraux qui n’ont sur l’intérêt général qu’un retentissement lointain, je comprendrais l’hésitation. Car c’est chose grave, qui mérite en effet qu’on y réfléchisse, et qui explique bien des hésitations que de placer la loi au foyer de la famille, entre le père et l’enfant pour ainsi dire ; et lorsqu’il y aura conflit entre l’injonction de la loi et l’autorité du père de famille, de frapper celle-ci de déchéance. Je le reconnais, c’est quelque chose de grave et qui peut faire hésiter quand on envisage que cette face de la question. Mais je prie ceux qui sont frappés de se retourner et d’envisager non plus l’intérêt du père de famille, sa volonté, son caprice plus ou moins excusable, mais de considérer l’intérêt général de la société.
Faut-il répéter que la richesse sociale augmente avec l’instruction, que la criminalité diminue avec l’instruction, qu’un homme ignorant non seulement est frappé d’infériorité personnelle, mais il devient ou peut devenir pour l’intérêt social une charge ou un danger ?
Si l’intérêt de la société est ainsi engagé dans cette question, si l’intérêt de l’enfant est ainsi compromis, que devient le caprice ou la mauvaise volonté du père de famille ? Il a contre lui l’Etat et l’intérêt de son enfant. (…) Je prendrai parti le parti contre le père pour l’enfant, pour cette faiblesse que seule la loi protège et qu’elle a progressivement enlevée à une autorité jadis absolue, absolue jusqu’à la mort ».
VI
Vaneigem contre le patriarcat et l'agriculture
"Ils élèvent l'enfant de la même façon qu'ils se lèvent chaque matin : en renonçant
à ce qu'ils aiment".
Pour l'anarchiste situationniste Raoul Veneigem, la femme naturelle est à l'image de la civilisation naturelle et bonne, tandis que patriarcat et agriculture mènent à la ruine écologique et culturelle.
(Dans sa vision des femmes généreuses, non souillées par le capitalisme, qui s'offrent à tout le monde, n'omet-il pas de mentionner qu'elles n'ont pas vraiment le choix ?)
N'est-ce pas en effet de l'agriculture et du commerce instaurés par la «révolution néolithique» que surgit la vermine des rois et des prêtres ? N'est-ce pas de ce temps que la terre dépouillée de sa substance charnelle se sublimise en une déesse mère que viole et ensemence, par le travail des hommes, Ouranos, seigneur céleste, mâle et ubéreux ?
(...)
La femme est au centre du monde à créer. (...) Sa nature humaine et fécondante la tient à l'écart de la chasse comme d'une activité bestiale où l'épieu - et plus tard le fusil - se contente de prolonger et de perfectionner la griffe et la mâchoire du prédateur. Aux antipodes de la brute enchaînée aux cycles de mort, elle inaugure le cycle de la vie qui se crée elle-même. Telle est la réalité qu'inversera la civilisation patriarcale, dans un mensonge porté à sa perfection par le christianisme : la femme idéale est une vierge abusée et engrossée par un Dieu pour enfanter un homme enseignant aux hommes la vertu de mourir à soi-même.
La femme incarne la gratuité naturelle du vivant. Elle est l'abondance qui s'offre. De même que sa jouissance est tout à la fois donnée et sollicitée dans le jeu des caresses, de même se livre-t-elle à l'amour qui la prend pour de plus parfaites jouissances.
En elle et dans la relation passionnelle qu'elle ranime s'affirme ce style nouveau qui supplante peu à peu la tradition du viol, de la conquête et de la terre et d'elle-même. Une matrice universelle se forme à son image, pour alimenter, par les ressources d'une nature enfin humanisée, une humanité qui n'attend que le plaisir de naître et de renaître sans fin.
VII
Où sont passés nos pères ?
Sans ces pères sévères, où errons-nous ?
Hommes et femmes des temps modernes, nous sommes tous des fils orphelins : tout ce qui faisait le rôle paternel est désormais dévolu à l’Etat : choix des carrières (sélection sociale et délivrance des diplômes), surveillance de la répartition de l’héritage, instruction, contrôle des traitements…
Au regard de la paternité traditionnelle, dont il ne reste rien, le monde d’aujourd’hui peut se décrire ainsi : c’est l’assistance publique et les services sociaux, qui compteront bientôt un fonctionnaire par famille, qui délèguent aux parents le soin d’appliquer leurs préceptes.
Le rôle du père n'a pas disparu, mais il est passé aux mains de la société.
VIII
Une prière prononcée dans toutes les langues du monde
Pater noster, qui es in caelis
sanctificetur nomen tuum
adveniat regnum tuum
fiat voluntas tua
sicut in caelo et in terra.
Notre Père qui es aux cieux
que ton nom soit sanctifié
que ton règne vienne,
que ta volonté soit faite
sur la terre comme au ciel.
Panem nostrum quotidianum
da nobis hodie
et dimitte nobis debita nostra
sicut et nos dimittimus
debitoribus nostris
et ne nos inducas in tentationem
sed libera nos a malo.
Donne-nous aujourd’hui
notre pain de ce jour,
pardonne-nous nos offenses
comme nous pardonnons aussi
à ceux qui nous ont offensés
et ne nous soumets pas à la tentation
mais délivre-nous du mal.
Axel Randers, Esther Mar, Edith de Cornulier-Lucinière
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Noche de modas
Un très vieux magnat de la chaussure épouse une jeune mannequin. Mais la nuit de noce un crime atroce est commis...
Un texte espagnol du banquier océanique Antonio Zamora.

phot.VillaBar
Noche de Modas
Antonio zamorA
La asesinó la misma noche en que se casó con ella. A las tres y cuarto de la madrugada del domingo, Estanislao Margüenda, el conocido magnate de la lencería fina, llamó a la policía para confesar su crimen. Diez minutos después lo encontraban sentado en el suelo del porche de su casa, “medio desnudo, con la cabeza apoyada en la pared, la mirada perdida y los brazos colgando”, según el testimonio de una vecina que acudió al oír la sirena del coche-patrulla. Un portavoz policial declaró que los agentes hallaron el cadáver de Liliana Mayo, la top model de 25 años con la que el empresario había contraído matrimonio unas horas antes, desnudo a los pies del enorme y doselado lecho nupcial. Al parecer, había sido estrangulada con su propio sujetador, que encontraron enrollado alrededor del largo cuello amoratado. A los agentes les llamó la atención comprobar que apenas había señales de lucha y que ni siquiera la cama estaba deshecha.
Poco podían imaginar tan trágico desenlace —hubo quien se atrevió a bromear con el doble sentido nada más conocer la noticia— los más de quinientos invitados que esa noche habían tenido el privilegio de asistir a la para algunos demasiado ostentosa celebración de la boda, en los salones del más exclusivo hotel de la capital. A los ojos de la mayoría de los presentes no había dudas sobre lo que estaba sucediendo. Uno de los hombres con mayor fortuna e influencia del país —tantas al menos como para, según los menos afectos, hacerlas valer en el mercado matrimonial frente a sus muchos años, sus escasos centímetros y una indisimulable cojera que le acompañaba desde que todos le recordaban— adornaba la cúspide de su brillante carrera empresarial con la adquisición de la más rutilante estrella de las pasarelas, cuyos andares tenían la elegancia de Rita Hayworth y cuya sonrisa rubia evocaba el poder de seducción de la mismísima Marilyn. Pero también hubo, entre aquella variopinta congregación de políticos, actores, hombres de negocios, toreros y modelos, quien se emocionó al ver la mirada embelesada del novio alzándose hacia el rostro de Liliana mientras ejecutaban —otra expresión que en su momento suscitó bromas— el protocolario vals que inauguraba el baile.
No debe ocultarse, sin embargo, que antes había sucedido algo que dejó cierto poso de desconcierto en la concurrencia. No es que el hecho tuviese mayor trascendencia, pero sin duda fue el único momento de toda la celebración en el que se observó una significativa, aunque transitoria, quiebra en el previsible y fluido curso de los acontecimientos.
Fue al llegar la tarta nupcial. La mesa principal, con los novios y los familiares más próximos, se encontraba en el centro del salón, de altísimos techos, al menos un metro y medio por encima del resto de los comensales, en una suerte de pérgola regia a la que se accedía por una escalera alfombrada en rojo. La misma alfombra que atravesaba la enorme estancia hasta perderse en uno de sus extremos. Desde ahí precisamente partió la elevada tarta, iluminada por un cordón de diminutas velas blancas y solemnemente empujada por dos camareros de negro, justo cuando el resto de luces se apagaba casi del todo y la más nupcial de las melodías se adueñaba del espacio. Las primeras palmas se mezclaron de inmediato con expresiones de estupor y risas apenas reprimidas que provenían de las mesas más cercanas a la comitiva. Según avanzaba ésta, su estela de exclamaciones y mofas iba en aumento, de manera que al llegar a la pérgola real un revuelo entre escandalizado e irreverente le había ganado la partida al respetuoso conato de aplauso inicial y hasta a la misma música, que cesó bruscamente. Detenido el escalonado postre frente a la roja escalera, su piso superior quedaba casi a la altura de los anonadados ojos de Estanislao, que no podían dejar de mirar a las dos figuras que lo coronaban, sin darse cuenta de que su brazo derecho sostenía una copa de champán en posición de brindis inminente. Liliana, sus padres, su hermana y hasta la anciana madre del novio imitaron con notable exactitud el pétreo gesto. No era para menos. En lo alto del monumento de crema y nata, allí donde todos esperarían una pulcra e idealizada representación de los contrayentes, se exhibía un fiero dinosaurio verde con sombrero de copa y muletas, guiado mediante una correa por una Barbie rubia de mayor tamaño en uniforme de enfermera. La embarazosa parálisis que se apoderó de toda la pérgola se transmitió con singular eficacia al conjunto de la sala, acallando en buena parte las risas y dejando sólo un reguero de cuchicheos que se propagaba hacia las mesas más alejadas. Un pequeño abismo pareció abrirse en toda la sala. Por fortuna, antes de que las aguas abandonasen definitivamente su ceremonioso y festivo cauce, Estanislao Margüenda, el viejo empresario curtido en mil batallas, supo reaccionar: soltó una gran carcajada, cierto es que algo estridente, que sirvió para mostrar a los aturdidos comensales que aquello no iba a ser más que una broma nupcial sin consecuencias, una simpática ocurrencia de alguien que podía reírse tranquilamente de sí mismo si así le placía. Aplausos y risas se fundieron entonces en un mismo sentimiento colectivo de alivio y la fiesta pudo continuar.
No se les escapó, empero, a aquellos que mejor conocían al viejo empresario un cierto movimiento nervioso, que algunos interpretaron como cansancio o simple vejez, que desde ese episodio afloró en su mirada y que en ella se instaló hasta el final de la celebración, con la excepción de aquellos momentos en que sus ojos se cruzaban con los de la bella Liliana para enternecerse como los de un niño. Dejando a un lado esos instantes de abandono, parecía don Estanislao distraído, como en otra cosa, hasta tal punto que su adorada y viuda madre tuvo que repetirle varias veces algunas frases —el mundo al revés— antes de que él se diera por enterado. Especialmente sensible se mostraba a las carcajadas. Cuando se producía una algo más alta de lo normal en una mesa próxima, levantaba la cabeza y se quedaba inmóvil con los ojos muy abiertos sin mirar a ninguna parte. También era fácil sorprenderle observando fijamente a alguno de los invitados, sobre todo a sus colaboradores más próximos. Largo rato se pasó estudiando a Salustiano Redondo, su director financiero y hombre de confianza desde sus primeros pasos empresariales más de cuarenta años atrás. Gordo y solterón, siempre había estado ligado a don Estanislao, también en los malos momentos, que los hubo, y de él se decía que estaba casado con su empresa. Sin embargo, se comentaba en las mesas de familiares y amigos que la relación con su jefe y casi confidente había dejado de ser tan estrecha desde que este conociera a Liliana seis meses atrás.
También lanzaba el viejo magnate de la lencería miradas de reojo a las mesas ocupadas por los otros empresarios, sus iguales, los centros de poder del banquete. Constructores, dueños de cadenas de moda, hosteleros, restauradores, todos ellos habían sido cuidadosamente distribuidos por la sala con el exquisito rigor necesario para no herir susceptibilidades, lo que se había logrado mediante un escrupuloso respeto de la jerarquía económica. A más de uno de los presentes se le ocurrió señalar que el valor de los activos representados en cada mesa era inversamente proporcional a la distancia que la separaba de la pérgola nupcial. En el grupo más privilegiado parecía disfrutar de manera especial el siempre sonriente Livio Tarascani, poseedor de un imperio construido sobre la base de la exitosa cadena internacional de zapatos que llevan su nombre. Viéndole reír, conversar, brindar por la salud de los novios, muy pocos habrían podido creer que mucho tiempo antes Estanislao y él habían sido rivales. Pero “los negocios son los negocios”, gustaba de decir el novio, que nunca demostró el más mínimo atisbo de rencor hacia su ahora invitado de honor.
Y es que conviene recordar, como hace el propio Estanislao en su libro de memorias “La forja de un luchador”, que el viejo empresario no siempre fue lencero. Traído al mundo al final de la guerra, hijo único de un humilde zapatero de pueblo y cojo de nacimiento, un destino remendón parecía escrito para él cuando abrió los ojos por primera vez, pero la despierta mente del personaje y su tantas veces contrastado espíritu de superación quisieron otra cosa. Ya antes de la prematura muerte de su padre, el pequeño Estanislao había empezado a revolucionar el humilde negocio familiar, en un conmovedor ejemplo de la virtud que puede extraerse de toda necesidad. Como su cojera provocaba en muy poco tiempo notables destrozos en el zapato del pie bueno, con la consiguiente necesidad de costosas reparaciones periódicas, el todavía niño ideó una suela reforzada de doble capa que, tras morir su padre y hacerse el adolescente Estanislao con las riendas del negocio, acabaría transformándose en la famosa “suela Margüenda”, secreto del éxito de la cadena de zapaterías que pasearía su apellido por todo el país. En veinte años de trabajo y sacrificios, el modesto hijo de zapatero se convertiría en uno de los empresarios más respetados. Fue entonces cuando, ya en su primera madurez, pareció Estanislao permitirse empezar a disfrutar de la vida, contrayendo matrimonio con Belinda Hermosilla, la joven y bella hija del famoso torero, a la que, como regalo de bodas, obsequió con un crucero de lujo por el Mediterráneo.
Aquellos días de vino y rosas tuvieron un inesperado final. El entonces joven e impulsivo Livio Tarascani, elegante primogénito de una acaudalada y noble familia de origen italiano cuya fortuna se había multiplicado en el sector del automóvil, decidió dedicar todos sus esfuerzos y recursos a introducir la moda italiana en el calzado nacional. En tres años sembró las principales ciudades de tiendas, oponiendo físicamente a cada rótulo de “Zapatos Margüenda” uno mayor y más brillante de “Calzados Tarascani”. No satisfecho con esto, el joven empresario lanzó contra su adversario una agresiva campaña de precios y publicidad que en algunos medios llegó a tacharse de desleal, en especial por aquel eslogan que durante un tiempo lucieron sus vitrinas: “¡Deja ya de cojear! Con Tarascani andarás derecho.” Las finanzas de Estanislao, a pesar de un draconiano plan de austeridad tutelado por Salustiano Redondo, no pudieron soportar el envite y en dos años su situación era casi desesperada. Al final, agobiado por los acreedores y por la repentina enfermedad de su mujer, se vio obligado a malvender la cadena de tiendas a Tarascani. Meses después moría la bella Belinda.
Hay que decir que el comportamiento de Livio Tarascani tras la compra de “Zapatos Margüenda” y, sobre todo, tras la muerte de Belinda Hermosilla fue ejemplar. Llenó de coronas de flores la residencia de los Margüenda, financió grandes esquelas en los principales periódicos y asistió en primera fila y de riguroso luto al funeral y al entierro de la joven fallecida. Pudo verse a los dos empresarios solemne y llorosamente abrazados junto a la tumba, gesto que a todos conmovió, porque mostraba con insuperable elocuencia que los asuntos humanos están muy por encima de los avatares de los negocios.
Con el tiempo, además, don Estanislao pudo recuperarse anímica y económicamente. En entrañable homenaje a su gran amor, empleó el dinero de la venta de “Zapatos Margüenda” en la creación de la ahora mundialmente conocida cadena de tiendas de ropa interior femenina “Belinda”. Eran precisamente los años de la revolución de la lencería, cuando las mujeres abandonaban los usos espartanos de las décadas precedentes y descubrían todo un nuevo universo de fantasía en sus prendas más íntimas. A esa fantasía —y de eso dan fe sus monumentales memorias— se entregó visionariamente en cuerpo y alma don Estanislao que, de nuevo en veinte años, volvió a escalar hasta la cúspide empresarial, vistiendo por dentro a mujeres de medio mundo y convirtiéndose en el Estanislao triunfante de todos conocido.
Esta vez parecía que su éxito era definitivo, sobre todo cuando se supo de su sorprendente relación con la bellísima Liliana, mito erótico casi cuarenta años más joven que él, a la que conoció en una fiesta en casa de Tarascani. Y más definitivo aún, si cabe, cuando se anunció la inminente boda entre ambos, cuyo tristísimo epílogo nadie podía haber imaginado.
Como ni siquiera los más allegados a la pareja podían imaginar la conversación que un día después del trágico desenlace mantuvieron dos de los agentes a cargo de las pruebas del presunto homicidio y que el abogado defensor de un apático Estanislao relataría vehementemente en el juicio ante la estremecida mirada de todo el país. Sostenía uno de los policías en las manos enguantadas, con el ceño arrugado, el precioso sujetador de fino encaje blanco con el que la modelo, Liliana, había sido estrangulada. Tras varios segundos consultó a su compañero:
—Esto… —se detuvo otra vez, con la mirada en la etiqueta y una ceja muy arqueada— ...¿no era una marca de zapatos?
—¿A ver? —se acercó el otro a la prueba—. “Tarascani”... ¡Habría jurado que sí!
Antonio Zamora
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jeudi, 06 novembre 2008
Laurent Moonens
Deux éléments surgissent lorsqu'on ausculte le Docteur Moonens : la mathématique et le vibraphone, cet instrument merveilleux.
Musique de l'esprit et musique de l'âme, il les poursuit depuis longtemps.
Liens :
Voici un reportage sur la soutenance de thèse de Laurent Moonens
La Page du chercheur de l'Université catholique de Louvain La Neuve
Laurent Moonens apparaît furtivement dans certains romans VillaBar :
"La vie n'est bonne qu'à étudier et à enseigner les mathématiques".
Blaise Pascal
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