lundi, 11 novembre 2013
La paix du jour
Phot Edith
Un jour férié, indécis, au cours duquel alternent des rayons de soleil jaunes et des halos de blancheur. L'asphalte parisien accueille mes chaussures usées de l'arpenter, un air de piano britannique trotte en mon esprit. Je n'en reviens pas d'être vivante aujourd'hui, pour un temps si court, dans lequel pourtant s'immisce quelquefois l'ennui. Construire ma vie, une grande difficulté à mes yeux incertains. Tant qu'on est là, pourquoi ne pas essayer ? Entre deux souffles, entre deux morts, entre deux eaux, suivre le fil des saisons en tâchant de respirer à leur rythme.
phot Lau
Publié dans La place | Lien permanent | Commentaires (3) | | Facebook | Imprimer |
vendredi, 08 novembre 2013
SDF (Sans Domicile Fixe)
Photographie prise vers sept heures du soir, en octobre 2013, sur le boulevard Edgar Quinet.
Un passant me regarde appuyer sur mon téléphone et me dit :
- Les Français tombent comme des mouches.
Publié dans La place, Super flumina babylonis | Lien permanent | Commentaires (2) | | Facebook | Imprimer |
lundi, 28 octobre 2013
La grande cohorte des âmes qui attendent
Ce billet est dédié à la mémoire d'une dame qui s'appelait Anne et que les enfants appelaient Mamé. Lorsqu'elle descendait les escaliers de la vieille maison glacée, les soirs d'hiver, apeurée par la tempête qui faisait claquer les volets, elle entendait des voix lointaines gémir : "priez pour nous... priez pour nous". C'étaient les âmes du Purgatoire, pour lesquelles elle égrenait des chapelets jusque très tard dans la nuit, à la lueur vacillante d'une lampe à pétrole.
Dans cette maison, il reste, poussiéreux sur une bibliothèque mangée par les mulots, un livre qui donne la clef de ce fait mystérieux.
Ce livre s'appelle Le Grand Moyen de la Prière.
Un extrait de l'ouvrage Le grand moyen de la prière,
de Saint Alphonse de Liguori (XVII° siècle)
Autre sujet de controverse : Y a-t-il lieu de se recommander aux âmes du Purgatoire ?
Certains répondent qu'elles ne peuvent pas prier pour nous. Ils s' appuient sur l'autorité de saint Thomas pour qui ces âmes, se purifiant au milieu des souffrances, nous sont inférieures et, de ce fait, elles ne sont point « intercesseurs, mais bien plutôt des gens pour qui l'on prie ». Cependant beaucoup d'autres docteurs, tels que Bellarmin, Sylvius, le Cardinal Gotti, etc... affirment le contraire comme très probable : on doit pieusement croire que Dieu leur fait connaître nos prières afin que ces saintes âmes prient pour nous, en sorte qu'il se fasse entre elles et nous un bel échange de charité : nous prions pour elles et elles prient pour nous. Ce qu'a écrit le Docteur Angélique, à savoir qu'elles ne sont pas en situation de prier, n'est pas absolument contraire à cette dernière opinion, comme le font remarquer Sylvius et Gotti : autre chose, en effet, est de ne pas être à même de prier par situation et autre chose de ne pas pouvoir prier. Ces saintes âmes ne sont pas habilitées à prier de par leur situation, c'est vrai, parce que, comme dit saint Thomas, elles sont là en train de souffrir, elles sont inférieures à nous et elles ont besoin au plus vite de nos prières. Elles peuvent pourtant fort bien prier pour nous parce que ce sont des âmes amies de Dieu. Si un père qui aime tendrement son fils le tient enfermé pour le punir de quelque faute, ce fils n'est plus alors en situation de prier pour lui-même, mais pourquoi ne pourrait-il pas prier pour les autres et espérer obtenir ce qu'il demande en vertu de l'affection que lui porte son père ? De même les âmes du Purgatoire sont très aimées de Dieu et confirmées en grâce. Rien ne peut leur interdire de prier pour nous. L'Église, c'est vrai, n'a pas coutume de les invoquer et d'implorer leur intercession, parce qu'ordinairement elles ne connaissent pas nos demandes. Mais l'on peut croire pieusement (comme on l'a dit) que le Seigneur leur fait connaître nos prières. Alors, elles qui sont remplies de charité, ne manquent certainement pas de prier pour nous. Quand sainte Catherine de Bologne désirait quelque grâce, elle recourait aux âmes du Purgatoire, et elle se voyait vite exaucée. Elle certifiait que beaucoup de grâces qu'elle n'avait pas obtenues par l'intercession des saints, elle les avait ensuite reçues par l'intercession des âmes du Purgatoire. Que l'on me permette de faire une digression au bénéfice de ces saintes âmes. Si nous voulons obtenir le secours de leurs prières, il est bon que nous-mêmes nous nous efforcions de les secourir par nos prières et nos œuvres. J'ai dit : Il est bon, mais il faut ajouter que c'est là une obligation chrétienne : la charité nous demande, en effet, de secourir le prochain chaque fois qu' il a besoin d' être aidé et que nous pouvons le faire sans que cela nous pèse beaucoup.
Or, il est certain que les âmes du Purgatoire sont aussi notre prochain. Bien qu'elles ne soient plus en ce monde, elles continuent pourtant de faire partie de la communion des Saints. « Car les âmes des justes à la mort, dit saint Augustin, ne sont pas séparées de l'Église ». Saint Thomas le déclare encore plus clairement : la charité qui est due aux défunts passés à l'autre vie en état de grâce est une extension de cette charité que nous devons à notre prochain d'ici-bas : « Le lien de la charité qui unit entre eux les membres de l’Église, n'embrasse pas seulement les vivants, mais aussi les morts qui ont quitté ce monde en état de charité ». Nous devons donc secourir, dans toute la mesure du possible, ces saintes âmes : elles sont aussi notre prochain : et même leurs besoins étant encore plus grands que ceux de notre prochain d'ici-bas, il semble donc que, sous ce rapport, soit encore plus grand notre devoir de leur venir en aide. Or, en quelle nécessité se retrouvent ces saintes prisonnières ? Il est certain que leurs peines sont immenses. Le feu qui les consume, dit saint Augustin, est plus douloureux que toutes les souffrances qui nous puissent affliger en cette vie. « Plus douloureux est ce feu que tout ce que l'on peut avoir à souffrir en cette vie ». Saint Thomas est du même avis et il ajoute que ce feu est identique à celui de l' Enfer. « C' est par le même feu qu' est tourmenté le damné et purifié l'élu ».
Ceci concerne la peine du sens, mais beaucoup plus grande encore est la peine du dam, c'est-à-dire la privation de la vue de Dieu pour ses saintes épouses. Non seulement l'amour naturel mais aussi l'amour surnaturel, dont elles brûlent pour Dieu, poussent ces âmes avec une grande force à vouloir s'unir à leur souverain bien. S'en voyant empêchées par leurs fautes, elles en éprouvent une douleur très amère. Si elles pouvaient mourir, elles en mourraient à chaque instant. Selon saint Jean Chrysostome, cette privation de Dieu les fait souffrir infiniment plus que la peine du sens : « Mille feux de l'enfer réunis ne feraient pas autant souffrir que la seule peine du dam ». Ces saintes épouses préféreraient donc endurer tout autre supplice plutôt que d'être privées, un seul instant, de cette union tant désirée avec Dieu. C'est pourquoi , dit le Docteur Angélique, la souffrance du Purgatoire surpasse toutes les douleurs de cette vie : « Il faut que la peine du Purgatoire excède toute peine de cette vie ». Denis le Chartreux rapporte qu'un défunt, ressuscité par l'intercession de saint Jérôme, dit à saint Cyrille de Jérusalem que tous les tourments de cette terre ne sont que soulagement et délices à côté de la plus petite peine du Purgatoire : « Si l'on compare tous les tourments du monde à la plus petite peine du Purgatoire, ce sont des consolations ». Et il ajoute : « Si quelqu'un avait éprouvé ces souffrances, il préférerait endurer plutôt toutes les peines du monde, subies ou à subir par les hommes jusqu'au jugement dernier, que d'être soumis un seul jour à la plus petite des peines du Purgatoire. Ce qui fait dire à saint Cyrille que ces peines sont les mêmes que celles de l'Enfer quant à leur intensité, la seule différence étant qu'elles ne sont pas éternelles. Les douleurs de ces âmes sont donc très grandes. D'autre part, elles ne peuvent pas se soulager elles-mêmes. Comme le dit Job : « Il les lie avec des chaînes, ils sont pris dans les liens de l'affliction » (Jb 36, 8). Ces saintes Reines sont déjà destinées à entrer dans le Royaume mais leur prise de possession est différée jusqu'au terme de leur purification. Elles ne peuvent pas réussir par elles-mêmes (au moins pleinement, si l'on veut accorder crédit à certains docteurs, selon qui ces âmes peuvent tout de même par leurs prières obtenir quelque soulagement) à se libérer de leurs chaînes, tant qu'elles n'ont pas pleinement satisfait à la justice divine. Un moine cistercien dit un jour, depuis le Purgatoire, au sacristain de son monastère : « Aidez-moi par vos prières, je vous en supplie, parce que de moi-même je ne peux rien obtenir ». Cela est conforme au mot de saint Bonaventure : « Leur état de mendicité les empêche de se libérer », c'est-à-dire que ces âmes sont si pauvres qu'elles n'ont pas de quoi acquitter leurs dettes. Par contre, il est certain et même de foi que nous pouvons soulager ces saintes âmes par nos suffrages personnels et surtout par les prières recommandées dans l'Eglise.. Je ne sais donc pas comment on peut excuser de péché celui qui néglige de les secourir tout au moins par ses prières. Si nous ne nous y décidons pas par devoir, que ce soit au moins à cause du plaisir que nous procurons à Jésus Christ : c'est avec joie qu'il nous voit nous appliquer à libérer ces chères âmes pour qu' il les ait avec lui en Paradis. Faisons-le aussi à cause des grands mérites que nous pouvons acquérir par notre acte de charité à leur égard ; en retour, elles nous sont très reconnaissantes et apprécient le grand bienfait que nous leur accordons, en les soulageant de leurs peines et en leur obtenant d'anticiper leur entrée dans la Gloire. Lorsqu'elles y seront parvenues, elles ne manqueront pas de prier pour nous. Si le Seigneur promet sa miséricorde à ceux qui se montrent miséricordieux envers leur prochain : « Heureux les miséricordieux car ils obtiendront miséricorde » (Mt 5, 7).Ils ont bonne raison d'espérer leur salut ceux qui s'appliquent à aider ces saintes âmes si affligées et si chères à Dieu. Jonathan, après avoir sauvé les Hébreux par sa victoire sur les ennemis fut condamné à mort par son père Saül pour avoir goûté du miel malgré sa défense, le peuple se présenta devant le roi et cria : « Est-ce que Jonathan va mourir, lui qui a opéré cette grande victoire en Israël ? » (1 S 14, 45). Ainsi devons-nous justement espérer que, si l'un d'entre nous obtient par ses prières qu'une âme sorte du Purgatoire et entre au Paradis, cette âme dira à Dieu : Seigneur, ne permettez pas que se perde celui qui m'a délivrée des tourments ! Et si Saül accorda la vie à Jonathan à cause des supplications du peuple, Dieu ne refusera pas le salut éternel à ce fidèle à cause des prières d'une âme, qui est son épouse. Bien plus, selon saint Augustin : Ceux qui auront, en cette vie, le plus secouru ces saintes âmes, Dieu fera en sorte, s'ils vont au Purgatoire, qu'ils soient davantage secourus par d'autres. Observons ici qu'en pratique c'est un puissant suffrage en faveur des âmes du Purgatoire que d'entendre la messe pour elles et de les y recommander à Dieu par les mérites de la passion de Jésus Christ : « Père éternel, je vous offre ce sacrifice du Corps et du Sang de Jésus Christ, avec toutes les souffrances qu'il a endurées durant sa vie et à sa mort ; et par les mérites de sa Passion, je vous recommande les âmes du Purgatoire, particulièrement etc... » Et c'est aussi un acte de grande charité que de recommander aussi en même temps les âmes de tous les agonisants.
Saint Alphonse de Liguori, IN Le grand moyen de la prière
Publié dans Fragments, L'oiseau, La place, Sleipnir, Super flumina babylonis | Lien permanent | Commentaires (2) | | Facebook | Imprimer |
dimanche, 20 octobre 2013
Cosima au jour le jour
Le journal que tint Cosima Wagner est riche d'enseignement sur la vie de son époux, traversée de crises d'exaltation et de désespoir.
Âgé de 58 ans, il décide soudain de renoncer à écrire sa biographie (cette décision ne durera pas plus de quelques jours), car, s'effondre-t-il, "Je crois qu'il s'en dégagera une horrible monotonie pour le lecteur : toujours des projets qui ne mènent à rien !"
Ô Richard Wagner, tu apparais parfois dans nos humbles sentiers almasororiens :
Dignité de l'artiste et du public
Sur la confrérie de Baude Fastoul
(J'avais encore noté cette phrase de Cosima Wagner : « c'est le rêve de la vie ; on est dévoré de nostalgie dans l'attente de quelque chose, et, quand ce quelque chose est atteint, on ne peut plus en jouir »).
Publié dans Chronos, La place | Lien permanent | Commentaires (0) | | Facebook | Imprimer |
vendredi, 18 octobre 2013
mille et une grues
Sur le blog 1000 grues aujourd'hui ou hier, cette photo de Mavra :
Publié dans La place, Ὄνειροι | Lien permanent | Commentaires (1) | | Facebook | Imprimer |
jeudi, 17 octobre 2013
Mémoires d’une voyouse
Une histoire d'Edith de CL, photo-illustrée par Sara
Avertissement
Enfants, ne lisez pas ce qui va suivre.
C’est une histoire avec des salauds, des délits, des remords.
C’est une histoire pour les filous, pour les méchants, pour les gueux.
Hors-la-loi
Je suis une malfrate, une hors-la-loi. Si vous connaissiez tous les crimes que j’ai commis, vous fermeriez cette webpage et vous vous enfuiriez en courant vers des sites moins terribles. Ah ! ah ! ah ! Je fais peur aux bonnes gens, aux honnêtes gens, aux petites gens et même aux gens qui ont de l’entregent.
Toutes les histoires que j’ai vécues dans ma vie ont fini comme dans un film noir : course poursuite avec la police, batailles, hurlements, prison. Mais l’histoire que je veux vous raconter tourne différemment.
Adieu Johnnie Walker
En ce temps là, j’avais arrêté de boire. Quand une hors-la-loi arrête de boire, c’est TRES dangereux.
Pourtant, il le fallait. Le docteur m’avait dit : « c’est Johnnie Walker ou vous ». Johnnie Walker, c’est le type qui est dessiné sur les bouteilles de whisky.
-En êtes-vous sûre, docteur ? Lui demandai-je effrayée.
-Sûr.
-Dis-moi la vérité, minable ! Lui hurlai-je en pointant Coco sur son cœur. (coco, c’est mon flingue. Coco était mon meilleur ami).
-Hélas oui, répondit courageusement le docteur.
J’ai donc dit : Adieu Johnnie Walker. J’ai rempli mon frigo de jus de fruits, de Coca-Cola et de yaourts. J’ai pleuré tous les soirs, mais j’ai tenu le coup.
Bon anniversaire, pauvre idiote !
J’avais une longue vie de voyouse derrière moi.
Grâce à mes cachettes et à mon intelligence, les policiers ne me trouvaient jamais. Les gens qui savaient où j’étais n’osaient pas me dénoncer de peur que je les butte avec Coco.
Le soir de mon anniversaire, je m’apprêtais à déguster un immense gâteau à la fraise quand je me rendis compte que je n’avais aucun ami. Mon âme éclata en sanglot (mais mon visage resta très dur).
Je me regardai dans la glace et murmurai :
- Bon anniversaire, pauvre idiote !
Je pointai Coco vers mon cœur, mais il refusa de me planter.
- Que ferai-je sans toi ? Me demanda-t-il.
Alors je rangeai Coco dans un tiroir et j’allai me coucher.
Ce soir là, je décidai de transformer ma vie.
Le procès
J’étais en train de me demander comment devenir honnête quand les journalistes, les juges et les policiers me tombèrent dessus. Cela arriva par un soir de septembre. C’était l’automne et Paris était beau.
On m’arrêta alors que je marchais tranquillement sur le boulevard Raspail.
Mon procès fut rapide. Le juge parla avec éloquence.
Il relata mes crimes:
-
17 pompiers remplis d’hématomes, tous malmenés par l’accusée à la fin d’une rixe dans le terrible quartier de Pigalle.
-
4 hommes et 5 femmes séduits et manipulés par l’accusée pour lui donner de l’argent.
-
480 tonnes de chocolat, bonbons et yaourts à la fraise volés par l’accusée dans 140 magasins.
-
Une vieille femme effrayée et contrainte de laisser l’accusée jouer avec son chien yorkshire.
A la fin du procès, le juge cria : « qu’on jette l’accusée en prison ! » Des applaudissements s’élevèrent dans la salle. On me menotta, on m’emmena.
Au trou !
Au trou (c'est-à-dire en taule, en cabane, au violon, au placard, en prison), je réfléchis beaucoup.
Trois religieux vinrent me parler de Dieu. Cela m’intéressa mais je n’arrivai pas à choisir entre les trois religions, alors je laissai tomber.
Les mois passaient. Peu à peu, j’arrêtai de ricaner en pensant aux coups que j’avais faits.
Au bout d'un moment, je commençai même à lire des livres.
Enfin, je décidai d’arrêter cette vie de perdition et d’écrire l'histoire de ma vie.
Ma rédemption
J’étais respectée dans toute la prison. Les autres filles me craignaient. Elles me donnaient leur dessert.
L’une d’elle s’appelait Stella. Elle m’apprit à parler avec mon cœur. Nous rêvions de marcher ensemble dans la ville, en liberté.
- Tu sortiras d’ici avant moi, me disait-elle.
- Je préparerai tout pour notre vie, répondais-je. On aura notre frigo, des fenêtres sans barreaux, un chat.
La veille de ma sortie de prison, elle me prit la main. « Je sais que tu m’oublieras, me dit-elle, mais sache que tes yeux ont transformé ma vie ».
« Je ne t’oublierai pas », pensai-je dans ma tête.
L’amitié
Quand je sortis de prison, la lumière de la vie me stupéfia. Lors de mon procès, la société m’avait confisqué sans vergogne mes biens durement volés. Dépitée, je décidai de gagner ma vie honnêtement. Je trouvai un boulot dans un bar.
Le jour, je servais dans un restaurant des assiettes de fromage et des chocolats chauds à d’honnêtes gens.
La nuit, je me réfugiais dans ma piaule, au septième étage d’un immeuble. Par la fenêtre, les toits de la plus belle ville du monde m’apparaissaient éclairés par la lune. J’écrivais ma vie palpitante sur mon ordinateur. Je racontais tous mes coups, toutes mes planques, tous mes secrets, pour publier mes mémoires à titre posthume. Mon œuvre s’appelait : les Mémoires d'une voyouse.
Parfois je regrettais Coco. La vie est si facile quand on peut pointer son flingue sur les gens énervants ! Mais je pensais à Stella. Elle et moi, nous nous étions promis de devenir sages comme des images. Un jour, elle sortirait de prison… Alors la vie serait douce comme l'amitié.
FIN
…………………………………………………………………………………………………………………………………………………….
Publié dans La place, Ὄνειροι | Lien permanent | Commentaires (3) | | Facebook | Imprimer |
lundi, 14 octobre 2013
Occident
Ma patrie se réveille au matin des amours,
Les jambes brisées par le cerveau ;
Nos luttes sans sommeil nous ont parés d'atours
Aigus comme des ciseaux
Par la vitre du train, les sapins s'émerveillent
De nos cohortes d'animaux ;
L'étranger s'est enfui à force de nos veilles
Et nous retrouvons nos hameaux.
Il a pourri nos villes et sali nos enceintes,
Les couvrant de ses oripeaux ;
Sur les routes du monde, il laisse, ceintes et enceintes,
Ses femmes voguer sans matelot.
A force de nous vaincre, lui-même il s'est vaincu -
Et nous voilà, pauvres héros,
Pleurant sur notre terre à nouveau nue
Nos psychomorts et nos blessés mentaux.
L'âme bardée d'armes blanches au fond des trêves,
La patrie s'est levée comme on sort d'un tombeau ;
Notre sommeil sans lutte avait fécondé trop de rêves
Tranchants comme des couteaux.
Par la vitre du train qui fend la France,
Le coq chanta trois fois comme un godelureau :
Le voilà qui remonte sur les clochers en déshérence,
Pour l'Angélus du Renouveau.
Jean Bouchenoire jeudi matin 21 juin 2012
De Jean Bouchenoire, sur l'Âme-Soeur :
Vieilles fringues, vieux clodos
Vanité des arts, vides esthétiques, vacuité des audiences
Autarchie : au-delà de l'ordre et du désordre
Le style immense et plein de pensée de Benoist-Méchin
La poésie sur l'Âme-Soeur :
Publié dans L'oiseau, La place | Lien permanent | Commentaires (2) | | Facebook | Imprimer |
mercredi, 09 octobre 2013
La voilà soeur de la Pologne et de l'Irlande
«Alors que toutes les provinces sont devenues des départements, la Vendée est le seul département qui soit devenu une province. D'un coup de reins vigoureux, elle a bousculé le cadastre officiel, brisant les limites trop étroites qu'on lui avait imposées. Elle est venue border la Loire, s'est emparée du coin des Deux-Sèvres qui lui plaisait, s'est offert en apanage une partie de l'Anjou, et tout cela au pas de charge, en quelques journées et pour toujours. Pour le monde entier, la voilà sœur de la Pologne et de l'Irlande».
Jean Yole
à lire aussi sur AlmaSoror :
Publié dans Chronos, Fragments, La place, Sleipnir | Lien permanent | Commentaires (0) | | Facebook | Imprimer |
mardi, 01 octobre 2013
L’Olonnois
Le capitaine Barbier se rappela le jour d’anniversaire de ses quatre ans : en trois coups de poing, Joe Ragondin, qui n’avait alors que trois ans et demi, l’avait étalé sur les pavés de la cour de récréation. Il avait saigné et la maîtresse avait grondé Joe. Mais cela ne l’avait pas consolé. Il était rentré chez lui avec une grande tristesse au fond du cœur.
Aujourd’hui, le capitaine Barbier avait cinquante-quatre ans. Il regardait la mer scintiller sous un ciel bleu étincelant. Il ne lui restait plus qu’une seule année pour attraper le vieux filou. Après, il serait mis dans les bureaux. A cinquante cinq ans, l’administration estime que vous êtes trop vieux pour faire le zouave avec un flingue et des bottes. Le capitaine Barbier, il est vrai, se sentait fatigué. Mais il ne voulait pas partir à la retraite sans avoir capturé le hors la loi, que les polices du monde entier surnommaient « l’Olonnois ». Le baroudeur qu’aucune police du monde n’avait pu attraper, lui, il l’aurait. Il le fallait. Ce serait sa vengeance. Cinquante ans plus tard, les trois coups de poing qui le faisaient toujours souffrir lui seraient enfin payés.
La mer des Sables d’Olonne était d’huile. Calme et sage, elle roucoulait doucement sous le scintillement bleu qui la traversait. Seules quelques vaguelettes crachouillaient sur le sable. Le Capitaine Barbier s’avança sur la jetée. Ses gars étaient postés un peu partout autour de lui.
La lutte avait été rude. Mais aujourd’hui, il n’y avait plus aucune chance pour que l’ennemi de toutes les polices du monde échappe au piège. Jugez plutôt : quatre sous marins planqués de chaque côté de la rade.
- Capitaine, vous croyez qu’on va vraiment l’avoir, ce Ragondin ?
- Aussi vrai que je m’appelle Barbier et que je suis capitaine de la gendarmerie maritime des Sables d’Olonne, on l’aura.
- Vous êtes un as, capitaine. Vous n’aimez pas les pirates, vous.
- Tu ne crois pas si bien dire.
Si Joe Ragondin avait trois ans et demi quand il avait dégommé le capitaine Barbier dans la cour de l’école, aujourd’hui, il avait donc cinquante-trois ans et demi. Après avoir terrifié les gendarmeries maritimes de toute l’Europe, il allait finir sa carrière au port où il avait grandi. Le capitaine Barbier tourna le regard vers le Nord ; le Palais de Justice faisait face à la mer. Il se demandait dans quelle prison les juges enverraient son pire ennemi. Il y avait des prisons partout en France, et Barbier au fond s’en fichait. Ce qui lui importait, c’était d’être enfin vengé de la plus grande humiliation de sa vie. « La vengeance est un plat qui se mange froid », se répétait-il. Quelle patience il avait fallu pour en arriver là !
Son second s’approcha de lui.
- Où en est-on ? demanda Barbier.
- Capitaine, le voilier de Ragondin est en vue. Les quatre sous marins sont prêts à ouvrir le feu.
Soudain, le voilier du bandit s'offrit à tous les regards. Il s'approchait à bonne vitesse, ses jolies voiles vertes dansaient dans le vent. Aussitôt, surgirent du fond de l'océan quatre énormes cheminées d'acier : c'étaient les sous-marins qui remontaient lentement à la surface, les armes braqués vers le petit bateau du grand braqueur des mers.
Il n'y eut pas de combat. Face aux tanks marins, Joe Ragondin avait hissé le drapeau blanc pour annoncer qu'il se rendait.
- Je ne vais quand même pas vous suicider, les gars, dit-il à ses deux acolytes, deux jeunes garçons de la DDASS que le hors-la-loi avait pris sous son aile. Vous direz que je vous ai menacé de mort et je ne vous contredirai pas. Ainsi, vous ne ferez pas trop de prison et vous aurez une seconde chance.
Les deux gars n'eurent pas le temps de le remercier. Une centaine de gendarmes prenait le voilier d'abordage. Ils faillirent couler tant ils étaient nombreux sur ce léger bateau.
Lorsque Joe Ragondin mit le pied sur la terre, il était entouré d'une volée de gendarmes qui l'avaient menotté aux poignets et aux chevilles et qui devaient maintenant le soutenir pour le faire avancer.
Le capitaine Barbier souriait de bonheur et de fierté. Sa poitrine se gonflait d'orgueil. Il avait atteint l'apothéose de sa carrière de justicier. Il s'avança lentement vers son ennemi.
- Tu as fini de rire, Ragondin ! S'écria-t-il afin que les journalistes puissent l'entendre.
Mais Joe Ragondin, qui l'avait regardé s'approcher, lui répondit à voix basse :
- Crapule ! Tu m’as eu… Allez… Tu es content, hein… Tu n’as jamais oublié la honte de tes quatre ans, pas vrai ?
Barbier baissa les yeux. Soudain, il eut honte de cette histoire. Vrai, il avait couru derrière le plus grand pirate du monde pour une baston d’enfance ?
Ragondin cracha, puis il sourit.
- Tu veux savoir pourquoi je t’ai asséné ces coups, ce jour là ? C’était, il y a, attends… Je calcule les années qui nous séparent.
- Cinquante ans, prononça Gilles Barbier dans un murmure.
Ragondin siffla d’étonnement.
- Cinquante, déjà. On se fait moins jeunes, dis.
Barbier osait à peine le regarder.
- Tiens, je te le dis. Je t’avais donné ces coups de poing parce que je t’aimais bien. C’est comme ça que je faisais pour me faire remarquer. Parce que je ne savais pas faire autrement. On m’avait appris ça, chez moi. Allez, excuse-moi, vieux. Excuse ces coups.
Barbier avait la tête baissée, toujours. Tout d’un coup, il était écrasé par les années qui avaient passé, par l’amitié qui n’était jamais venue, par la fragilité du grand filou menotté.
- Pardon, je te traite comme un vieil ami. Mais tu es le capitaine Barbier. Pardonnez-moi, Capitaine. Je vous ai tutoyé.
Les gars le tirèrent et le firent monter dans le fourgon. Barbier entendit les sirènes.
- Vous venez, Capitaine ? Lui dit un des gars, lui montrant du doigt la deuxième voiture, prête à partir.
- Un instant, murmura Barbier.
Il voulut regarder la mer un instant. Elle était belle, comme elle avait toujours été et comme elle serait toujours. Et lui, il se sentait le cœur lourd. Cinquante ans pour se rendre compte que la vengeance a un goût de cendre.
- Capitaine ! appelaient ses gars.
Alors le capitaine Barbier inspira un grand coup d’air, se détourna de la mer palpitante et suivit ses gars.
Edith de CL
Publié dans Chronos, La place | Lien permanent | Commentaires (4) | | Facebook | Imprimer |
mercredi, 25 septembre 2013
Sur Chatterton, sur l'écrivain maudit, sur l'écrivain subventionné
Le professeur Henri Maugis, dans son introduction au drame Chatterton, d'Alfred de Vigny (Classiques Larousse, 1937), commente la profession de poète...
Le poète, d'après Vigny, demande à la société le droit à la vie en même temps que le droit de rêver, il réclame le pain et les loisirs. Mais la vocation du poète ou de l'écrivain est, comme les autres, une chance à courir et ne saurait constituer un droit, à plus forte raison un privilège pour les protections gouvernementales.
L'art même, sous peine de dégénérer, peut, mais ne doit pas être une source de profit. Comment la société pourrait-elle distinguer à l'avance l'être de génie du médiocre et du parasite ? Ne risquerait-elle pas le plus souvent de faire un marché de dupe, en encourageant des vocations incertaines quand elles sont sincères, intéressées quand elles sont hypocrites et mensongères ? On se plaint aujourd'hui de l'abus des concours et des prix littéraires qui n'avantagent pas toujours les plus méritants et dont les lauriers sont le bénéfice des relations et de l'intrigue au moins autant que la récompense du vrai talent. Qu'adviendrait-il si, avec tous les aléas de la politique, la distribution de cette manne officielle était confiée à quelque ministère des loisirs, voire au chef de cabinet d'un ministère d’Éducation nationale ? Ce serait un nouvel empiètement de la "République des camarades" avec ses abus si souvent dénoncés. L'Etat-Providence peut être considéré comme parfaitement incompétent pour deviner, prospecter et subventionner les vocations littéraires et artistiques. L'exemple au XVII° siècle du médiocre et plat Chapelain, distributeur des grâces et des pensions royales, sorte de sous-secrétaire d'Etat des beaux-arts in partibus ne prouve-t-il pas suffisamment le danger et l'injustice qu'il peut y avoir à confier à quelque Directeur des lettres la charge de juger les écrivains, de reconnaître les talents et de répartir les récompenses et les faveurs "du Prince" ?
Nul mieux que Sainte-Beuve, à propos précisément du drame de Chatterton, n'a souligné les périls d'une pareille revendication : "le danger est trop grand, écrivait-il en1864, en voulant favoriser le talent, de fomenter ou d'exciter du même coup la médiocrité ou la sottise. Prenez garde qu'elles ne s'élèvent par essaims, et que la nuée des moucherons et des frelons n'évince et n'étouffe encore une fois les abeilles. Et puis, pour parer au mal, il faudrait, à la tête de cet ordre de la société et dans les premiers rangs du pouvoir, je ne sais quel personnage de tact, de goût à la fois et de bonté, qui choisît, qui devinât, qui sût, qui fût comme s'il était du métier et qui n'en fût pas, qui aimât les belles choses pour elles-mêmes, qui discernât les talents, qui les protégeât sans leur rien demander en retour, ni flatterie, ni éloge, ni dépendance... un Mécène comme il ne s'en est jamais vu..."
Plus loin :
Vigny possède cette foi romantique dans l'apostolat social du poète. Les espérances de réforme sociale et d'émancipation intellectuelle, déçues dès le lendemain de 1830 par la monarchie très positive et matérialiste de Louis-Philippe, trouvèrent en Vigny un défenseur indigné, dont la grande voix de missionnaire, du fond de sa noble solitude, jette un cri d'alarme et fait entendre une véhémente protestation où il y a moins de colère que de pitié. Car ce dont au fond il s'agit, c'est de sauvegarder les élites, de sauver les droits de l'intelligence, écrasés par la seule discipline du nombre, étouffés par une civilisation sans idéal, toute aux jouissances matérielles ou aux rivalités sans grandeur. Vigny, comme Lamartine, ne croit pas au progrès fondé uniquement sur l'amélioration du bien-être et l'assouvissement de la bête humaine. Le mal qu'il dénonce n'est donc pas simplement une révolte passagère, une attitude romantique, mais il y voit le conflit éternel qui sépare le monde, soumis aux intérêts prosaïques, du penseur idéaliste et du philosophe désintéressé. Les peuples ont besoin de pain, mais aussi d'idées pour se conduire, d'idéal pour s'élever sur le plan vraiment humain. Le progrès n'est pas dans la mécanisation de l'existence, mais dans les consciences et dans les cœurs. L'économique n'est pas tout : la vie de l'esprit est un besoin, une jouissance, en même temps qu'une dignité. Qui pourrait nier l'actualité d'un si noble point de vue, dans une heure aussi tourmentée que la nôtre, où le poète, c'est-à-dire le penseur, est, comme le souhaitait injustement Platon, chassé de la chose publique en proie aux professionnels de la politique ? Le monde, ayant perdu la notion des valeurs spirituelles, semble reconnaître amèrement que les seuls perfectionnements dus aux applications pratiques de la science n'ont apporté aux hommes ni la bonté ni même le bonheur. Et voilà pourquoi la plainte si chimérique de Chatterton nous trouble pourtant et nous émeut. Entre les deux camps, celui des êtres grossiers, des habiles et des profiteurs, à qui vont le plus souvent les honneurs et l'argent, et celui des êtres délicats et fragiles qui vivent pour le rêve, pour la justice et pour l'amour, et que meurtrit ou brise la loi moderne d'airain, Vigny, avec tout l'élan d'une pitié attendrie et frémissante, a pris délibérément parti. Et son exhortation a gardé, à travers quelques outrances, de tels accents de sincérité et de grandeur que, nous aussi, ne pouvons pas, dans ce drame du suicide et de la mort, ne pas être pour les faibles contre les forts et ne pas préférer à l'égoïsme des puissants, à la dureté des bourreaux, le malheur pitoyable et fier des victimes et des vaincus.
(Henri Maugis, 1937)
Sur l'éventuelle profession d'écrivain, AlmaSoror a déjà commis :
Et sur Alfred de Vigny :
Fin d'un amour, rue de Bourgogne à Paris
Le temps de Vigny : Chatterton
Sur la littérature :
Littérateurs décadents du XIX°siècle vus par Romain Rolland
Calme du coeur. Les vents suspendus... L'air immobile (Jean-Christophe, de Romain Rolland)
Et enfin, le croiriez-vous ? L'abbé Prévost osait comparer....................................................
Publié dans Fragments, La place | Lien permanent | Commentaires (2) | | Facebook | Imprimer |
samedi, 21 septembre 2013
La vie de bureau - le guêpier
Une vidéo de Mavra VN
Publié dans Chronos, La place | Lien permanent | Commentaires (0) | | Facebook | Imprimer |
lundi, 16 septembre 2013
Profession : auteur
« Dat veniam corvis, vexat censura columbas »
Juvénal
La censure pardonne aux corbeaux et tourmente les colombes
Le plus ancien écrivain du monde traça le premier une ligne d'écriture fictionnelle sur un support quelconque ; il se perd dans la nuit des temps.
Le premier auteur du monde apposa sa signature au bas de sa composition. Il s'agit peut-être de la prêtresse Enheduanna. Elle vivait dans l'empire mésopotamien d'Akkad, il y a quarante-quatre siècles.
Bâtisseurs anonymes de cathédrales littéraires, auteurs auréolés à jamais de la gloire qui entoure leur œuvre, tels furent les deux types d'écrivains qui nous précédèrent.
En ce début du deuxième millénaire, l'auteur, de façon paradoxale, emprunte deux voies qu'il subit plutôt qu'il ne les choisit. Il professionnalise son statut dans ses relations avec ses employeurs (grâce à une normalisation des types de contrats) et avec l'administration française (qui peaufine son statut social), en même temps qu'assailli par les vagues de fragilisation du droit d'auteur, il se dissout à la fois dans l'industrialisation de la production et dans la gratuité et l'anonymat qui ont émergé sur Internet.
L'étymologie d'auteur évoque l'autorité. L'auteur est le maître de son œuvre ; il répond d'elle, elle témoigne de lui. L'étymologie de profession signifie «déclaration publique », la profession est ce que l'on est publiquement, vis-à-vis de l’État.
L'écrivain peut être méconnu ; l'auteur est reconnu, au moins administrativement. De même qu'un médiateur social employé par la mairie est un agent officiel, tandis qu'un habitant du quartier jouant un grand rôle de cohésion par son charisme et sa présence attentive à chacun, n'est pas un professionnel, quand bien même il est plus efficace. Ce qui les distingue, c'est leur statut – et les droits et les devoirs qu'il impose.
Ce statut, qui l'a souhaité ? On peut dire qu'il est né de l'emprise administrative. Il n'existe pas de zones hors d'elle : dès lors, l'auteur attrapé dans les mailles du filet s'est engagé pour participer à la définition de son propre statut.
Face à la définition flottante de l'auteur, l'administration française a failli échapper à sa propre règle qui stipule qu'un devoir est corrélé par un droit. Ponctionné à la source, au même titre qu'un salarié, l'auteur tout d'abord a voulu faire cesser cette ponction - sans succès. Il a donc réclamé les droits qui y sont associés, comme pour toutes les autres professions.
Mais comment distinguer l'auteur amateur de l'auteur professionnel ?
Sur le plan contractuel, on n'observe aucune différence. Le contrat d'édition traite chaque auteur sur un plan professionnel : tout auteur publié à compte d'éditeur a franchi le pas de la professionnalité.
Sur le plan administratif, c'est la somme d'argent gagnée qui les départit. À partir d'une certaine somme annuelle (un peu moins de 8500 euros en 2013), l'auteur est perçu comme un professionnel. En deçà, il est assujetti certes à des cotisations, sans pour autant qu'elles lui ouvrent tous les droits personnels. Au-delà, il est supposé s'affilier à l'Agessa et dépend donc de la Sécurité sociale des auteurs et artistes. Le voilà professionnel, qu'il le veuille ou non. Dès lors, il peut cotiser à une retraite complémentaire, qui répond du doux nom de RAAP (Régime des Artistes et Auteurs Professionnels, financé en partie par le droit de prêt en bibliothèque, géré par la SOFIA).
Aux portes de la profession, l'auteur assujetti partage certains droits : s'il a gagné au moins 9000 euros de droits d'auteur au cours des trois dernières années, il bénéficie comme ses confrères d'une formation continue.
L'actualité brûlante de l'édification de notre statut risque de faire bouger les lignes de distinction entre l'auteur assujetti et l'auteur affilié, entre l'amateur et le professionnel.
En ce moment même, plusieurs dossiers retiennent l'attention. Parmi eux, évoquons la fusion administrative en cours, entre le régime des artistes et celui des auteurs. Soulignons aussi les négociations autour de la caisse de retraite : parce qu'un prélèvement à la source qui n'aboutit pas à une ouverture de droits s'apparenterait à du racket, les auteurs ont mené un combat pour que la cotisation vieillesse soit universelle, et pas seulement réservée aux auteurs affiliés.
Sur le plan social, cette professionnalisation constitue un progrès. L'auteur n'erre plus dans les zones de non-droit tel un vagabond administratif, un extra-terrestre juridique, un déshérité de la redistribution.
Doit-on louer le progrès en tant que tel, sans songer aux prolongements lointains qu'il implique ?
Si l'auteur est un professionnel, ne va-t-on pas exiger de lui un travail professionnel ? Ce professionnalisme mesurable irait à l'encontre de la vue traditionnelle que nous avons des créateurs de l'esprit.
L'écriture « industrielle » – celle qui propose des produits littéraires ou audiovisuels de consommation massive – nécessite le recours à d'habiles artisans du récit, malléables par le commanditaire. Style et inspiration personnelle n'ont d'intérêt que s'ils servent le produit final - et ne constituent pas une valeur en soi.
Quelle que soit la valeur littéraire de l’œuvre qu'il édifie ou à laquelle il contribue, l'auteur interchangeable, qui écrit sur commande selon des canons qu'il ne maîtrise pas, qui élabore les corrections qu'on lui demande sans pouvoir y redire, perd l'autorité sur son écrit. Son droit moral prend une teinte vaguement surannée...
Les scénaristes ne peuvent l'ignorer, qui voient désormais les producteurs et directeurs d'écriture inscrire leur nom conjointement avec celui de l'auteur. Il n'est pas étonnant que ces derniers désirent une part des droits d'auteur et de la gloire liés à cette œuvre qu'il commanditent, supervisent, corrigent, ajustent, et dont ils subiront, solidairement avec les auteurs réels, les éventuelles conséquences juridiques.
Veillez avec vigilance, vigiles de l'esprit, car tout atteint à notre liberté d'auteur. Nos misères au fond de nos chambres de bonnes sans fenêtres entravent sa réalisation ; nos richesses dans nos villas autour du parc Montsouris étouffent l'énergie qui la nourrissait. L'absence de normes nous laissait sans défense ; les droits et les devoirs liés à la professionnalisation quadrillent notre liberté. Tout se ligue pour asservir l'esprit humain et affadir ou empêcher sa libre expression.
Souvenons-nous aussi que cette liberté de créateur que nous croyons pouvoir étreindre, ne fut jamais qu'un rêve. La censure morale, le pouvoir du mécène (privé ou public), le goût du public, le privilège d'exercice (aucun musicien extérieur à la famille Bach n'avait le droit d'être payé pour sa musique dans toute la ville) se sont toujours dressés entre l'auteur et l’œuvre qu'il rêvait d'accomplir. Entre le crève-la-faim et le bouffon du roi, l'auteur qui veut vivre de son clavier danse sur une corde au-dessus du vide.
Édith de Cornulier-Lucinière
Publié dans Chronos, La place | Lien permanent | Commentaires (0) | | Facebook | Imprimer |
lundi, 09 septembre 2013
La jalousie
Nous avions bu beaucoup trop de rhum et tu m'interrogeais sur la jalousie professionnelle alors que le soleil tombait sur la ville de Saint-Brieuc. Depuis les larges fenêtres de ton sixième étage néo-breton, nous pouvions voir les toits et là-bas le viaduc qui surplombe le port. Le soleil se couchait sur la zone industrielle. Dans le centre-ville, on savait que la musique (néo-bretonne, bien sûr) naissait dans les bars. Et je ne savais que répondre, je l'ai éprouvée un peu, celle que tu éprouves, je l'ai éprouvée comme toi un certain temps. Pour ne pas mourir étouffée sous la haine, la douleur et la honte, on peut apprendre à nager dans les lacs de montagne de spiritualité ou bien apprendre à se battre dans la fosse aux lions. La prière m'était étrangère, à cette époque, reléguée aux sous-sols de mon âme, et je suis descendue dans la fosse aux lions, prête à gagner ou à mourir. Mais bientôt les combats, qui parfois me laissaient KO, parfois m'apportaient quelques points, me parurent sans ivresse. Les gains n'augmentaient pas le bonheur de mon cœur. Je n'étais pas moins sèche après avoir gagné qu'après avoir perdu. Et la fréquentation des meilleurs, des vainqueurs, m'a déçue. Alors je me suis demandée à nouveau qui j'étais et ce que je voulais. Je suis Moi et je ne veux pas être comme eux. Je veux suivre la route que mon rêve dessine quand j'oublie le trouble du panier de crabes. Aussi ai-je quitté les rings, leurs vestiaires où l'on pleure de chagrin, leurs podiums où l'on pleure de joie. J'ai voulu tracer une route personnelle au milieu d'arbres et de ruines, là où me trouvais ; bâtir en terrain non convoité. Mais les cailloux décourageaient mes coups de pioche, les autres ne comprenaient pas ce que je faisais, difficultés, dénigrements m'enserraient de leur souffle souillé, de leurs exhalaisons malsaines. Il n'y avait plus ni douleur, ni bonheur, ni rien d'autre qu'un découragement dénué de sentiments. La confiance, je ne me souvenais plus de sa saveur. Aucune émotion ne me soutenait. Je voyais les anciens amis, perdus de vue, arrivés en haut des échelles, goûter leur dû. Je voyais certains assis tristement au bord des caniveaux, tristes et déçus d'eux-mêmes. Je me disais que tant que je vivrais, il ne faudrait pas toucher à ce plat vénéneux : l'acceptation subie. C'est la mort des vivants.
Je t'écoutais parler et ne parvenais pas à t'expliquer tout cela. Combattre et agoniser, tel est notre destinée. Tu crois que ceux que tu regardes d'en bas méprisent ton être, tu crois qu'ils ont obtenu ce que tu as échoué à atteindre. Tu te trompes, car personne n'obtient rien d'autre que l'état de son cœur. Partout, nulle part, muni de tout, pourvu de rien, tu n'atteindras jamais autre chose que toi-même, horizon indépassable tant que tu n'as pas dompté la bête interne.
Ton visage crispé me disait au revoir à la gare, car nous n'avions pas su nous comprendre. Aucun de nous deux n'arrivait à bien respirer. Tu me disais au revoir en t'impatientant parce que le train n'arrivait pas et je souhaitais que tu repartes sans attendre que je montre les marches de la portière. Ta souffrance augmente avec le temps, car tu touilles sans cesse la grande casserole de tes plaies. Moi, je ne suis pas mieux mais je marche sur une autre route, et pour ne pas crever dans le fossé du désespoir, je bois souvent à la source qui étanche toutes les soifs et apaise tous les maux. Tu dis que le réel est partout et que la prière est fantasme. Je crois que tout n'est qu'illusion sauf la prière.
Ce soir d'automne de l'année 2011 s'éloigne et j'oublie certains aspects de ton visage et de ta voix. Je tente parfois d'imaginer le manque de confort dans lequel tu zones, et n'as-tu pas peur que tes traits reflètent un jour les émotions sinueuses et rampantes qui augmentent tandis que la jeunesse s'éteint ? Moi, le confort je crois que je le privilégie et qu'il me fait, tantôt me battre, tantôt renoncer. Je ne parle pas d'un confort cotonneux, mais d'espace intérieur pour que la respiration physique et imaginaire puisse se déployer en mon sein. Nous sommes enserrés dans des camisoles psychiques contre lesquelles il est dur de se battre, chaque geste peut les resserrer et dramatiser l'étouffement. Je me demande si les évangiles ne doivent pas se lire au présent ; si au cours du temps que nous passons sur cette terre, chaque péché nous plonge dans l'enfer, chaque résurrection, chaque redressement nous offre le paradis. Tant que nous avons besoin d'autre chose que de l'odeur du jour, nous sommes bons pour la casse.
Publié dans La place | Lien permanent | Commentaires (10) | | Facebook | Imprimer |
dimanche, 08 septembre 2013
Ban public
Le sommeil ne vient pas.
J'arpente dans ma tête
Cette salle des Pas
Perdus où je m'entête
À t'attendre, Geoffroy.
Quand ont sonné cinq heures
Au clocher du beffroi
J'ai senti que mon cœur
Se brisait. Le gardien
A fermé après moi.
Je suis partie sans rien,
Sans souvenir de toi.
Maintenant c'est la nuit.
Tu ne reviendras pas.
J'écoute tous les bruits,
Le sommeil ne vient pas.
Anne de La Roche Saint-André
(écrit dans le laps entre 1975 et 1978)
Pères et mères, amants, frères et sœurs, amis enfants, voisins, si quelqu'un alentour a été emmené, menotté dans nos camps de Fleury, de la Centrale de Châteauroux ou de Rennes, ou dans tout autre prison de France et de Navarre, visitez Ban Public et vous trouverez peut-être de l'aide, une réponse, une adresse utile. Ou bien quelqu'un qui a besoin de vous.
Publié dans Clair-obscur, La place, Super flumina babylonis | Lien permanent | Commentaires (0) | | Facebook | Imprimer |
jeudi, 05 septembre 2013
17 septembre : rendez-vous à la SGDL pour une soirée radiophonique
écoutez-vous parfois, en conduisant, en dormant, en sirotant un café, des fictions radiophoniques ? Moi, j'ai commencé à les écouter après la lecture de La tia Julia y el escribidor (La tante Julia et le scribouillard), de Vargas Llosa : nous étions dans un train nord-péruvien, elle dormait, je lui ai pris son livre et l'ai lu... Quelque temps plus tard, j'écoutais mes premières radionovelas.
La fiction radiophonique existe, bien que cette existence soit discrète ; elle procure parfois du plaisir, de la stimulation intellectuelle et auditive, elle est une autre façon d'aborder l'imaginaire. Non, ce n'est pas du théâtre. Non, ce n'est pas du conte. Cela ne ressemble à rien d'autre qu'à la fiction radiophonique, et la Société des Gens de Lettres, au sein de laquelle sévit la tenancière du blog AlmaSoror, vous invite à écouter Débruitage, de Christophe Deleu et François Teste, puis à poser des questions aux deux auteurs ensuite, si le cœur vous en dit.
Pour être certains que vous aurez une chaise, il faut envoyer un mail à la fée communicatrice de la SGDL, en lui disant que vous assisterez à cette soirée. Son mail est au bas du document ci-dessus.
N'hésitez pas : osez, venez, écoutez et savourez !
Edith
Publié dans La place | Lien permanent | Commentaires (0) | | Facebook | Imprimer |