La jalousie (lundi, 09 septembre 2013)
Nous avions bu beaucoup trop de rhum et tu m'interrogeais sur la jalousie professionnelle alors que le soleil tombait sur la ville de Saint-Brieuc. Depuis les larges fenêtres de ton sixième étage néo-breton, nous pouvions voir les toits et là-bas le viaduc qui surplombe le port. Le soleil se couchait sur la zone industrielle. Dans le centre-ville, on savait que la musique (néo-bretonne, bien sûr) naissait dans les bars. Et je ne savais que répondre, je l'ai éprouvée un peu, celle que tu éprouves, je l'ai éprouvée comme toi un certain temps. Pour ne pas mourir étouffée sous la haine, la douleur et la honte, on peut apprendre à nager dans les lacs de montagne de spiritualité ou bien apprendre à se battre dans la fosse aux lions. La prière m'était étrangère, à cette époque, reléguée aux sous-sols de mon âme, et je suis descendue dans la fosse aux lions, prête à gagner ou à mourir. Mais bientôt les combats, qui parfois me laissaient KO, parfois m'apportaient quelques points, me parurent sans ivresse. Les gains n'augmentaient pas le bonheur de mon cœur. Je n'étais pas moins sèche après avoir gagné qu'après avoir perdu. Et la fréquentation des meilleurs, des vainqueurs, m'a déçue. Alors je me suis demandée à nouveau qui j'étais et ce que je voulais. Je suis Moi et je ne veux pas être comme eux. Je veux suivre la route que mon rêve dessine quand j'oublie le trouble du panier de crabes. Aussi ai-je quitté les rings, leurs vestiaires où l'on pleure de chagrin, leurs podiums où l'on pleure de joie. J'ai voulu tracer une route personnelle au milieu d'arbres et de ruines, là où me trouvais ; bâtir en terrain non convoité. Mais les cailloux décourageaient mes coups de pioche, les autres ne comprenaient pas ce que je faisais, difficultés, dénigrements m'enserraient de leur souffle souillé, de leurs exhalaisons malsaines. Il n'y avait plus ni douleur, ni bonheur, ni rien d'autre qu'un découragement dénué de sentiments. La confiance, je ne me souvenais plus de sa saveur. Aucune émotion ne me soutenait. Je voyais les anciens amis, perdus de vue, arrivés en haut des échelles, goûter leur dû. Je voyais certains assis tristement au bord des caniveaux, tristes et déçus d'eux-mêmes. Je me disais que tant que je vivrais, il ne faudrait pas toucher à ce plat vénéneux : l'acceptation subie. C'est la mort des vivants.
Je t'écoutais parler et ne parvenais pas à t'expliquer tout cela. Combattre et agoniser, tel est notre destinée. Tu crois que ceux que tu regardes d'en bas méprisent ton être, tu crois qu'ils ont obtenu ce que tu as échoué à atteindre. Tu te trompes, car personne n'obtient rien d'autre que l'état de son cœur. Partout, nulle part, muni de tout, pourvu de rien, tu n'atteindras jamais autre chose que toi-même, horizon indépassable tant que tu n'as pas dompté la bête interne.
Ton visage crispé me disait au revoir à la gare, car nous n'avions pas su nous comprendre. Aucun de nous deux n'arrivait à bien respirer. Tu me disais au revoir en t'impatientant parce que le train n'arrivait pas et je souhaitais que tu repartes sans attendre que je montre les marches de la portière. Ta souffrance augmente avec le temps, car tu touilles sans cesse la grande casserole de tes plaies. Moi, je ne suis pas mieux mais je marche sur une autre route, et pour ne pas crever dans le fossé du désespoir, je bois souvent à la source qui étanche toutes les soifs et apaise tous les maux. Tu dis que le réel est partout et que la prière est fantasme. Je crois que tout n'est qu'illusion sauf la prière.
Ce soir d'automne de l'année 2011 s'éloigne et j'oublie certains aspects de ton visage et de ta voix. Je tente parfois d'imaginer le manque de confort dans lequel tu zones, et n'as-tu pas peur que tes traits reflètent un jour les émotions sinueuses et rampantes qui augmentent tandis que la jeunesse s'éteint ? Moi, le confort je crois que je le privilégie et qu'il me fait, tantôt me battre, tantôt renoncer. Je ne parle pas d'un confort cotonneux, mais d'espace intérieur pour que la respiration physique et imaginaire puisse se déployer en mon sein. Nous sommes enserrés dans des camisoles psychiques contre lesquelles il est dur de se battre, chaque geste peut les resserrer et dramatiser l'étouffement. Je me demande si les évangiles ne doivent pas se lire au présent ; si au cours du temps que nous passons sur cette terre, chaque péché nous plonge dans l'enfer, chaque résurrection, chaque redressement nous offre le paradis. Tant que nous avons besoin d'autre chose que de l'odeur du jour, nous sommes bons pour la casse.
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Commentaires
Saint-Brieuc pourtant n'était qu'une nuance, une subtile nuance au milieu des événements de cette vie, une couleur indistincte caché dans un chromatisme banal. C'est ce que j'en ai retenu
Écrit par : HL | jeudi, 19 septembre 2013
Une nuance infime et tout est transformé, tu ne crois pas ?
Écrit par : Edith | jeudi, 19 septembre 2013
Le sentiment évoqué ici ne ressemble a nulle jalousie
Écrit par : Experimental Rage | jeudi, 19 septembre 2013
Axel, que connais-tu de la jalousie ?
Écrit par : AlmaSoror | jeudi, 19 septembre 2013
Tu m'as dévoilé, traitresse. Je ne connais rien de la jalousie mais je sais les travers de l envie, du désir mimétique, et c est ce dont il s agit dans ce billet en depit de son titre
Écrit par : Axel Randers | vendredi, 20 septembre 2013
Tu y crois, à la théorise mimétique ?
Écrit par : AlmaSoror | vendredi, 20 septembre 2013
Il n'y a pas à y croire ou ne pas y croire. La theorie mimétique n'est pas Dieu, ce n'est qu'une explication du monde, une explication honete, peut-être un peu psychotique ou monomaniaque, mais utile. Voir ici : http://www.philolog.fr/le-desir-mimetique-rene-girard/
Écrit par : Les calcinés | vendredi, 20 septembre 2013
Je reprends mon casque expérimental pour m avancer en terrain inconnu. Si l on suit René Girard, le désir ne concerne pas l'objet désiré lui même mais le sujet mediateur, c est a dire celui que je veux imiter.
Si je desire telle femme c est parce que l homme auquel je me compare la desire. S il ne la desirait pas elle ne m interesserait pas.
De meme pour les professions, pour la renommee par exemple. C est parce que la celebrite est le but a atteindre par beaucoup de nos pairs, le but atteint par ceux qui sortent des lors du lot des hommes pour devenir des idoles, que nous voulons a notre tour la reconnaissance. Qu elle devienne une marque de vulgarite, d infamie ou d indifference, et nous ne la desirerions plus.
Des lors pour atteindre le bonheur rien ne sert d obtenir l objet de nos desirs. Car il y aura toujours d autres mediateurs a qui se comparer et qui auront plus que nous. Les tentacules du desir ne se coupent jamais.
Rien ne sert de se retenir de desirer car nous manquons ainsi la part positive du desir - l emulation -, nous refoulons une emotion en outre, ce qui nous prive d une part de nous memes.
Rien ne sert de faire comme certains - priere du para, attitude pseudo-christique-, et de desirer ce que tout un chacun repousse : la douleur, la honte, l infamie, la misere, le rejet. Ce desir n est que le miroir inverse du desir positif, ce desir en reste un, et les tentacules seront toujours la. Nous n aurons jamais assez de choses indesirables pour satisfaire notre desir transforme en non desir.
Il reste une solution qui est de desirer le non désiré, l indesiré. Ce que le reste des hommes oublie ou ne voit pas. Ce desir la nous conserve toute la force d emulation des desirs, nous delivre de toute concurrence et de toute comparaison avec des êtres reels, et peut finir par nous apporter le bonheur. Par exemple, il pourrait s agir de desirer l exigence morale personnelle, la lecture complete de tous les auteurs grecs parvenus jusqu a nous, la contemplation quotidienne des nuages, comme notre amie Siobhan, l amitie au long cours, rire beaucoup... Tous ces desirs qui ne nous mettent en competition avec personne et qui cependant peuvent être source de grande emulation.
Écrit par : Experimental Rage | vendredi, 20 septembre 2013
Mettons alors que le titre de ce billet n'est pas judicieusement choisi. Il aurait dû s'appeler, non La jalousie, mais L'envie.
Je lis avec plaisir cet article : http://sophia-cholet.over-blog.com/article-le-desir-mimetique-un-concept-cle-de-la-pensee-de-rene-girard-par-jean-michel-logeais-112275702.html
Écrit par : AlmaSoror | vendredi, 20 septembre 2013
Et ça ? Vous avez lu cela ? http://www.mondialisation.ca/la-fin-de-la-propri-t-de-soi/26413
ça me rappelle Max F......
Écrit par : Axel Randers | dimanche, 22 septembre 2013