mardi, 30 avril 2013
Sables d'Eau lonesome cowboy
Je te parlerai donc des Sables d'Olonne, une ville banale, dont la lumière est étrange, blanche, poussiéreuse, enivrante, où les serments intérieurs se prononcent au banc secret de Cayola.
C'est la ville de la joie et de la douleur pour une fratrie que je connais et qui célébra, en l'église de Notre-Dame de Bon Port, la messe de requiem d'un frère de quatorze ans emporté par une leucémie, celle d'une sœur de dix-neuf ans trouvée pendue à un arbre.
C'est la ville où j'ai couru sur le remblai qui semblait immense à quatre, cinq, six ans. Vingt ans plus tard, quand j'y suis retournée, tout m'a paru si petit. J'ai compris alors à quel point les regards d'enfants sont généreux.
C'est la ville où j'ai décidé de m'exiler, quand partout où je me tournais le paradoxe me faisait face, tirant sa langue cruelle.
J'y suis partie en quête de moi-même, et je ne m'y suis pas trouvée. Je dois être (si j'existe vraiment) bien cachée. J'y ai rencontré en revanche le silence et la solitude, et je les ai apprivoisés. Désormais, ils ne me font plus peur. Ils peuvent venir s'asseoir à côté de moi, m'entourer de leurs bras, étendre leurs ailes sur mon périmètre et même pénétrer comme le vent à l'intérieur de mon corps, de mon cœur, de mon âme : ils ne me dérangent plus.
Comme toute la côte vendéenne, qui était si belle antan, la ville des Sables d'Olonne achève de troquer ses murets de pierre contre des parapets de béton, ses dunes et ses landes contre des immeubles qui rivalisent de laideur, ses jolis casinos qui ressemblaient à des chalets contre des CENTRE DE CONGRES sans accent grave, dans la lumière nocturne desquels, parfois, depuis la piscine d'en face, on croit apercevoir un congre exilé qui nage, désolé, à travers les colonnes plastifiées de son palais triste.
Mais la piscine fume esthétiquement sa chaleur artificielle, figée au pied d'un bar entre la plage et la promenade, appréciant les nageurs courageux qui la parcourent et les buveurs langoureux qui la contemplent. Elle a de la chance, car aucun toit ne la sépare de la lune.
Les jours d'été, tous ces bateaux blancs et ces jolis noms de rue ont émerveillé des générations de « congés payés », comme les Sablais les appelaient.
Mais les soirs d'hiver, la ville s'éteint tôt. Le vent souffle. Les bateaux n'osent plus rentrer par le chenal traitre. Au fond du studio, allongée sur son lit dans le noir, une rêveuse en apnée envoie des textos mystérieux en écoutant les hurlements des mouettes.
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jeudi, 18 avril 2013
Les dictatures douces
Voici quelques signes qui peuvent démontrer que vous subissez une dictature douce, dans votre couple, dans votre famille, votre religion, votre société, votre pays.
Certains de ces points concernent aussi les dictatures dures.
Il va de soi qu'éprouver quelques uns de ces ressentis ne transforme pas votre société en dictature douce ! Nous devons tous nous interroger sur notre propre responsabilité. Mais nous devons aussi refuser de porter toute la charge de notre échec lorsque toutes les portes de la société nous sont fermées de façon insidieuse.
Vous avez mauvaise conscience de vos pensées.
Vous avez honte de votre origine, de vos parents.
Vous manquez de volonté à agir dans le domaine professionnel.
Vous éprouvez un sentiment d'échec personnel face à un monde qui semble parfait mais vous est mystérieusement inaccessible.
Vous avez peur de dire des bêtises, de vous laisser aller à parler, d'aller trop loin quand vous vous exprimez avec d'autres.
Vous êtes habité par le sentiment diffus que les places au soleil vous sont inaccessibles, alors que « sur le papier » tout n'est que justice et raison.
Vous n'avez aucune prise sur votre quartier, votre environnement, votre ville.
Vous n'avez aucune maîtrise de l'évolution du monde.
Vous êtes en désaccord avec la majorité des lois, décisions prises, mais n'osez pas trop le montrer.
Vous avez envie que tout s'écroule, vous n'éprouvez aucun respect pour les institutions de la société (école, justice, police, santé...)
Vous n'avez pas bonne conscience de faire des enfants.
Vous idéalisez un passé où les possibles semblent avoir existé ; vous subissez votre propre absence de capacité à imaginer l'avenir. L'avenir paraît sans saveur.
Vous ne voyez aucun signe extérieur de censure mais vous n'avez aucune place pour vous exprimer.
Vous avez le sentiment que l'héroïsme n'est plus possible (« c'est d'un autre temps »).
(Dans le cas d'une dictature dure, en général l'apathie et la dépression sont remplacées, soit par une trouille mortelle de lever le petit doigt, soit par une exultation imprudente qui pousse à agir radicalement)
Aucun énorme barrage ne se dresse face à vous, mais vous faites face à de successives petites entraves.
Le « citoyen lambda » a une image détérioré, il ne présente aucun intérêt pour personne. Il est vu comme n'ayant rien à apporter d'autre au monde qu'un fonctionnement normal, non problématique.
Vous rêvez à des temps de guerre, de famine, de « vrais problèmes ».
(Dans une dictature dure, vous rêveriez à un monde normal, où tout roule)
Vous ressentez la désintégration de l'individu au quotidien (queues aux inscriptions à la faculté, à l'ANPE, queues dans les magasins).
Vous passez par des mini-actions dégradantes pour obtenir votre dû (remplissage de papiers administratifs, déplacements répétés sans but réel, queues).
Vous faites face à l'impossibilité légale de mener votre barque seul, de vous en sortir financièrement seul (entraves administratives et légales, taxes, interdictions d'exercer sans conditions contraignantes, interdiction de faire commerce hors des clous...)
Vous assistez à la multiplication des taxes.
Vous assistez à la multiplication des lois, règlements, etc.
Vous assistez à la multiplication des fonctionnaires et personnes payées par l’État.
Vous assistez à la multiplication des subventions.
(Ces multiplications se vérifient aussi dans beaucoup de dictatures dures)
Des programmes scolaires, que vous avez suivi docilement, vous n'avez retenu aucune connaissance précise (faits, chronologie raisonnée...)
Vous constatez la dégradation de la langue commune (appauvrissement de la syntaxe, réduction du vocabulaire).
Toute plainte de votre part sur ces ressentis est niée, ou ridiculisée par les autres au nom des vraies souffrances que vous avez bien de la chance de n'avoir jamais connues.
La moralisation des opinions augmente : s'opposer au fonctionnement des choses (administratives, scolaires, etc) revient, dans l'esprit général, à vouloir le mal d'autrui : c'est égoïste, inconscient.
à lire aussi : Comment s'effectue la traversée d'une époque troublée ?
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samedi, 06 avril 2013
La belle vie
La gare du RER de Chamallow-sur-Noise l'accueillit : ferraille des rails et des poteaux, béton des quais et des murs, nappes de soleil blanc sur les verrières.
Un garçon de douze ans, châtain aux taches de rousseur, courait, blême. La peur sur son visage, il se retournait, essoufflé. Il repartait de plus belle. La bouche tordue d'angoisse, il luttait pour accélérer.
Derrière lui, riant, une dizaine de garçons noirs le rattrapaient.
-
Ils jouent ? Demanda Pégase à un vieux monsieur qui avançait avec peine, s’appuyant sur une béquille.
L'homme lui sourit sans répondre.
Il lui donnèrent quelques coups de pieds. Il mit la main à sa poche, rapidement, et sortit son téléphone portable qu'il tendit. L'un des assaillants prit le téléphone, les autres lui donnèrent de grandes baffes et des coups de pieds dans les fesses. Il repartit à toute bombe mais les autres ne le suivaient plus.
-
Petite merde ! Petite merde ! Lui criaient-ils.
L'enfant courait.
Pégase dévalait l'escalator. Il attrapa un des grands garçons :
- Comment osez vous, à quinze jeunes hommes, attaquer un enfant ?
Les yeux rieurs se firent ternes. Les bouches se fermèrent. Les joues se durcirent. Les gars se mirent, en silence, autour de Pégase. Soudain, il ne fut plus certain d'avoir eu la bonne réaction.
Son regard chercha un recours.
Les gens entraient et sortaient de la station de RER, sans jeter le moindre regard à leur attroupement.
-
Donnez-moi ce téléphone. Vous l'avez volé.
-
Il nous l'a donné.
-
Quinze contre un !
-
Tu veux passer quelques jours à l'hôpital ? Demanda l'un des hommes.
-
Non. Mais je vous ai vus agresser un enfant et lui voler son portable.
Après un nouveau silence, pesant comme une chape de plomb, le même jeune homme reposa sa question.
-
Tu veux passer quelques jours à l'hôpital ?
-
Non, dit Pégase.
L'indifférence apprêtée des gens qui passaient, le calme impeccable de ces gars le convainquirent que la seule chose à faire était d'éviter l'hôpital, par l’attitude la plus conciliante possible. Il demeura donc debout, calmement, face aux garçons, qu'il compta précisément. Ils étaient quatorze.
Un vieil homme arabe entrait dans la station. Contrairement aux autres passants à qui le petit groupe semblait transparent, il s'arrêta quelques secondes et embrassa la scène du regard.
-
Baisse les yeux, dit-il.
Pégase le regarda ; c'était bien à lui qu'il s'adressait.
Le monsieur mit la main sur son cœur, s'inclina avec un geste d'une dignité infinie :
-
Baissez les yeux, monsieur. Ces jeunes vous laisseront tranquilles si vous cessez de les regarder dans les yeux.
L'homme s'inclina de nouveau et entra dans la station sans plus se retourner.
Pégase furieux observa les adolescents. En demi-cercle face à lui, ils attendaient, pleins de patience et de vigilance.
Pégase baissa les yeux.
Après quelques instants, ils s'en allèrent.
Il garda les yeux vers le bas de longues secondes, releva les yeux et balaya son regard sur la rue. Il suffoquait de rage, de honte, d'indignation. Comme l'enfant, il s'était humilié devant cette bande de brutes.
Il courut vers la rue dans laquelle avait disparu le petit, le chercha à travers les trois énormes tours qui formaient un bloc, autour duquel passaient les voitures. Des milliers d'appartement étaient entreposés là sur des dizaines d'étages. En haut, une femme contemplait le monde depuis sa fenêtre, son bébé dans ses bras. En bas, un vieil homme marchait avec son chien.
Il fit demi-tour et chercha son chemin.
Un texte de M.D
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mercredi, 03 avril 2013
...pour y entasser un nombre maximal d’êtres humains
A quoi pensaient les architectes des villes nouvelles et des banlieues ? N’habitaient-ils pas dans de magnifiques maisons anciennes, réaménagées de façon contemporaine, avec goût ? N’élevaient-ils pas leurs enfants dans de beaux quartiers où les ruelles anciennes s’ouvrent sur des places élégantes bordées d’églises et de boulangeries aux odeurs frémissantes, où les gens qui marchent dans la rue ne craignent pas les crachats d’individus plantés debout sur le pas des immeubles, où les femmes libres marchent à côté des hommes et conversent, sur des thèmes variés, sans censure ni contrainte, en toute égalité ?
Pourquoi construisaient-ils des halls d’immeubles voués à devenir pissotières ?
Comment imaginaient-ils, confortablement lovés dans leurs beaux fauteuils, ces blocs de béton qui ressemblent à des prisons, ces barres de fer qui rappellent les camps de concentration, ces longs couloirs qui évoquent les abattoirs pour y entasser un nombre maximal d’êtres humains qui ne se ressemblent ni dans leur mode de vie, ni dans leurs aspirations ?
Il y a un mystère des architectes du XXème siècle, un grand mystère qu’il faudra éclaircir un jour. De qui sont-ils les messagers ? Quel art les inspire, quelles écoles les formèrent, quelles politiques les missionnèrent ?
DN Steene
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jeudi, 28 mars 2013
Nuits du XVII°siècle
La nuit du 23 novembre 1654, Blaise Pascal, traversé d’extase, écrivit : «Certitude, certitude, sentiment, joie, paix. Joie, joie, joie, pleurs de joie !»
La nuit du 10 au 11 novembre 1619, René Descartes méditait, assis auprès d’un poêle ; soudain il eut trois songes, vit sa chambre remplie d’étincelles, se repentit de ses péchés et ouvrit la porte de sa nouvelle vie.
Ce siècle avait vu d'autre nuits de mystérieuse exaltation. La vie de Johannes Keppler fut une suite de nuits assaillies par la soif d’étoiles et de musique. « Je me dois de comprendre, quitte à ne plus dormir », écrivit celui qui ressemblait dès l’enfance à un chien galeux, qui dut se battre pour tirer sa mère d’un procès de sorcellerie, qui écrivit lui-même l’épitaphe qu’il méritait : «Je mesurais les cieux, je mesure à présent les ombres de la Terre. L’esprit était céleste, ci-gît l’ombre du corps».
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mardi, 19 mars 2013
Mon pays, ma patrie, ma nation, mon peuple, ma terre
« Le départ hors des frontières de ma patrie équivaudrait pour moi à la mort, et c’est pourquoi je vous prie de ne pas prendre à mon égard cette mesure extrême. »
Boris Pasternak, écrivain russe
« Pour ma part, durant ma vie entière, en tout lieu, en tout temps et de toute façon, je veux servir une seule cause, celle du bien de la patrie et de la nation hongroise ».
Bela Bartok, musicien hongrois
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mercredi, 13 mars 2013
14-18 - Le chemin des Dames
Mickaël imaginait le dernier voyage de ces hommes qui marchaient au milieu du triangle mystique que forment Soissons, Reims et Laon. Il échafaudait des théories.
C’est à Soissons que Clovis, d'un coup de francisque, renonça à la pitié pour fonder un royaume puissant ; à Reims ses successeurs, les rois de France, étaient sacrés ; pour cette occasion le vin était amené de Laon. Les trois villes et les fiefs alentour furent le berceau de la France mérovingienne comme de la France carolingienne ; c’est le tombeau de celle qui naquit après la Révolution. Les rois y ont créé la France, les présidents y ont abattu sa jeunesse. Dans un paysage craquelé par la guerre, où l’on ne pouvait passer qu’à certains moments, quand les tirs ennemis s'étaient tus, les hommes couraient sur une terre meuble qui les faisait trébucher à chaque pas. Les soldats venus du Sénégal, effrayés par la neige et le froid, tombaient comme des mouches ; les autres aussi tombaient, tous mouraient. Parcourant l’ancienne voie gauloise, les soldats apercevaient la cathédrale gothique de Notre-Dame de Laon. C’était leur dernière vision avant l’enfer. L’histoire de la France, ses fondations, saluaient chaque poilu qui marchait à la mort. La France remerciait ses enfants d’être si grands, même s’ils allaient mourir pour rien, pour faire de l’engrais aux cultures stériles des hommes de banque, de média et de finance.
Marin D
Gange, par Sara
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mercredi, 20 février 2013
Développons nos compétences
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samedi, 16 février 2013
Souviens-toi de l'été dernier
«C'était une de ces soirées d'été où l'air manque dans Paris. La ville, chaude comme une étuve, paraissait suer dans la nuit étouffante. Les égouts soufflaient par leurs bouches de granit leurs haleines empestées, et les cuisines souterraines jetaient à la rue, par leurs fenêters basses, les miasmes infâmes des eaux de vaisselle et des vieilles sauces.
Les concierges, en manches de chemise, à cheval sur des chaises en paille, fumaient la pipe sous des portes cochères, et les passants allaient d'un pas accapblé, le front nu, le chapeau à la main.»
Guy de Maupassant - Bel-Ami
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vendredi, 15 février 2013
David Nathanaël blues
Je ne supporte plus certaines relations, les coups au cœur que je reçois (et, peut-être, envoie).
En fait, je ne veux plus souffrir.
Et pourtant, souffrir, c'est vivre et mourir. Ne pas souffrir, c'est comme ne pas éprouver de plaisir. C'est vivre à l'écart de la vie.
Je crois chercher des relations dans lesquelles je ne souffre pas, mais précisément ces relations ne m'apportent pas plus de joie qu'elles ne me causent de souffrances.
Je cherche... Et je ne trouve pas.
David Nathanaël Steene
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mercredi, 13 février 2013
Le dogme littéraire de Max Farmsen
Où comment accéder à une écriture somptueuse, ancrée dans le monde qui l'enfante et capable d'intemporalité.
Par Max Farmsen
1 Page après page, la vie des cinq + 1 sens est présente
Les images, les sons, la vie kinéstésique, les saveurs, les odeurs et l'intuition baigne l'histoire, qui reste ancrée à ces moyens d'être au monde utilisés par les hommes.
2 La Disparition de l'auteur
De toi, auteur, de ta vie, de ton nom, de ton histoire, de tes idées, de tes sentiments, de ton milieu, tout doit disparaitre. Personne ne doit pouvoir deviner des pans de ton histoire d'après ton roman.
3 Le narrateur suspend tout jugement de valeur
L'auteur a disparu. Le narrateur est présent dans les phrases, c'est lui qui raconte. S'il est omniscient, il doit s'interdire tout jugement de valeur, même d'allure innocente.
« Par une belle journée de printemps» contient un jugement de valeur. Ce n'est pas au narrateur de décréter si la journée est belle. Peut-être la journée est-elle ensoleillée, ou fraîche ?
4 Tout jugement de valeur implique sa contradiction
Si un des personnage (et parfois le narrateur est un des personnages), émet un jugement de valeur, celui-ci doit être contré quelque part dans le roman, soit par un fait, soit par un jugement contradictoire émanant de lui-même ou d'un autre.
Un roman n'est pas un tract, ni un manifeste, ni une confession personnelle.
5 Le paragraphe contient l'essence littéraire du roman
Extrait de l'ensemble, chaque paragraphe doit pouvoir paraître littéraire et chargé de sens à un néophyte à qui il serait présenté hors contexte.
6 Le roman appartient au peuple dans son ensemble
Il doit être accessible et respectable pour l'ensemble de la population, du peuple : le moins lettré doit y avoir accès, le plus lettré doit en reconnaître l'intelligence.
7 Tout chapitre est organique et capable d'autonomie
Il peut se lire, se comprendre et s'apprécier en lui-même, sans le reste du livre.
8 La langue vise l'intemporel
L'ensemble des phrases et du roman doit être accessible à un lecteur du passé (70 ans avant son écriture) et du furur (70 ans après). C'est un roman à la fois durable et connecté au passé.
9 Présence des mondes végétal, animal, enfantin, psychique et architectural
Monde végéral, monde animal, enfance ; psychisme humain ; bâti et éléments de civilisation, se côtoient et sont équilibrés en proportions.
Si l'un de ces éléments est absent du roman, par exemple le monde végétal si l'histoire se passe entre quatre murs de béton, il doit briller par son absence.
10 La puissante vérité recréée la spontanéïté
La spontanéïté de la vie (sa puissance suggestive) se reflète dans le roman grâce à la limpidité de la forme et à l'authenticité intérieure des expériences racontées.
Le travail élaboré pour respecter les 9 points précédents du Dogme, et particulièrement les points 5, 6 et 8, émousse une certaine spontanéïté de la fugacité, du pris sur le vif. Mais l'épure et la limpidité du style, allié au fait que l'auteur s'interdise d'inventer des émotions qu'il ne connaît pas, corrigent cette patine comme un pilote réoriente son bateau ou son avion en fonction de la réalité, après avoir choisi sa direction d'après ses calculs.
Max Farmsen, le 13 février 2013 avant 10h, au lit
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mardi, 12 février 2013
Le polar enfantin
Séries noires, souris noires
Où comment les grands noms du polar français ont tenté d'effrayer les enfants...
Histoire de la Série noire
Inspirés par les auteurs de roman policier américains (Dashiell Hammett, etc), des écrivains français créent, en 1947 au lendemain de la seconde guerre mondiale, une collection destinée au roman noir, au sein des editions Gallimard. C'est la première fois qu'une telle collection existe en France.
C'est Jacques Prévert qui trouve l'expression "série noire".
Autour de cette série une nébuleuse d'écrivains se forme. Si les institutions littéraires conservatrices continuent de mépriser le polar, ce genre obtient un succès d'estime, comme une forme à la fois plaisante et rebelle d'art (comme le cinéma, le rock...)
Histoire de la Souris noire
Un de ces écrivains de Série noire, Joseph Périgot, est appelé par les éditions Syros, pour créer une collection de romans policiers pour les enfants.
Joseph Périgot a toute latitude pour inventer cette série, il use de cette liberté en décidant qu'il n'ira pas chercher les auteurs de la collection dans le monde de la littérature enfantine, mais dans le monde du polar. Ainsi, ce sera du vrai polar, brut.
Périgot choisit le titre de Souris noire pour la collection, en référence à la série noire des adultes.
Les graphistes et illustrateurs sont choisis avec soin, là encore pas forcément dans le monde de l'illustration enfantine.
Le but est de conserver l'aspect sombre et puissant du polar. Un directeur artistique est nommé : Gérard Lo Monaco.
Ce type de collection pour enfants en choque certains. Ne plongeons pas nos chérubins dans le monde perverti des rues de nuit, des hommes troubles, des femmes perdues ! Le public enfantin des débuts de la Souris Noire restait un public d'initiés, dont les familles et le milieu sont particulièrement ouverts. Mais, la dégradation des moeurs, ma bonne dame, alliée à la déflagration de la liberté de pensée, chers concitoyens, ont quelque peu amolli l'aspect polardesque du polar pour chiards en couches-culottes.
Il n'empêche que l'émergence de Souris noire fait date dans l'édition jeunesse : c'est une expérience de mariage entre deux paralittératures (enfantine et polar), qui a contribué à démontrer aux écrivains de littérature générale qu'écrire pour le public enfantin peut être une expérience littéraire passionnante et artistique.
Par ailleurs, Souris noire a contribué à prouver que les enfants pouvaient lire autre chose que des contes ou des albums illustrés "sages".
Esthétique
La collection souris noire accorde beaucoup d'importance à l'esthétique de ses livres et à l'unité graphique des illustrations.
Depuis sa création, Souris noire a subi deux évolutions.
Evolution du graphisme de la Souris noire
Première période :
Deuxième période :
Troisième période :
Les titres
Sèvres-Babylone
Yacoub le fou
La nuit du voleur
L'assassin habite à côté
Albums illustrés
Nous présentons des albums des années 1990, qui, dans le domaine de "l'édition jeunesse", font déjà figure de classiques.
La reine des fourmis, de Fred Bernard et François Roca
DUO
Le duo Bernard-Roca a réalisé de nombreux albums illustrés.
Fred Bernard et François Roca
QUELQUES ALBUMS
STYLES
Le style, très littéraire, de Bernard, met une belle langue française au service des enfants.
Des trois niveaux de langues que j'appris à distinguer en cours de français, le langage soutenu, le langage courant, le langage familier, Fred Bernard reste toujours dans le langage soutenu.
STYLE OU PLAGIAT ?
François Roca est passionné par la peinture américaine du XX°siècle, qu'il a contribué à faire connaître auprès d'un large public en France, car ses propres images contiennent souvent des citations de peintures américaines.
Les peintres dont il fait des citations : Hopper, Remington, Waterhouse, Wyeth.
D'où l'accusation de plagiat. Je n'ai pas bien suivi l'histoire, et demeure partagé. Je ne comprends pas qu'une oeuvre soit aussi remplie de citations, cela me parait louche. En même temps, je ris (ah ah ah ah ah !) devant l'inculture totale des accusateurs, qui ont vu passer, placidement, durant de nombreuses années, les albums de Roca en y voyant que du feu. Il a fallu leur mettre le pot aux roses sous ne nez pour qu'ils tombent des nues !
LA REINE DES FOURMIS
Je n'ai quoi qu'il en soit pas trouvé de copie dans la Reine des fourmis. Cet album intéressant propose une enquête policière, mais l'univers de noirceur du polar n'est pas là.
L'histoire est la suivant : la reine des fourmis a disparu. Deux fourmis sont mandatées pour mener l'enquête. Elles partent de leur forêt tropicale et entament un long voyage qui les mènera jusqu'au Muséum d'Histoire naturelle de Paris, où elle pourront libérer leur reine et la ramener dans leur lointain pays.
Le Muséum d'histoire naturelle est admirablement décrit ! Le dessinateur y a passé des heures, et tous les lieux et les animaux empaillés sont parfaitement représentés.
Cette description réaliste du Muséum participe du genre du roman policier, souvent soucieux de détails, décrivant des lieux des villes avec précision.
Quelques images :
Yvan Pommaux :
une nuit, un chat et la série des Chatterton
Une nuit, un chat : le polar au biberon
Les Chatterton, d'Yvan Pommaux
Yvan Pommaux a la particularité de s'adresser aux très jeunes enfants. "Dès 3 ans", indique l'éditeur. Pommaux relève le défi incroyable de faire une oeuvre d'art, pleine de recul et d'humour, tout en y instaurant assez de poésie et de douceur pour faire rêver les petits enfants.
Le style graphique
Pommaux opère une stylisation à l'extrême de tout l'univers du polar. Description visuelle de la ville, de ses trottoirs sales, de ses bas-fonds. Pour montrer la foule bigarrée des villes, les différences d'univers, il utilise l'anthropomorphisme : ses personnages sont des animaux et des hommes mélangés.
Quant au personnage du détective, il est lui aussi stylisé à l'extrême : un condensé de clichés fait exprès.
Les citations
La série des Chatterton fait appel aux vieux contes de Perrault. Pommaux réutilise les contes du XVII°siècle, mais les transforme en polar.
Pommaux fait passer également, à travers les dialogues et les images, des références au roman policier américain des années 40-50, au cinéma, à l'art classique et moderne (peintures, sculptures)
L'atmosphère des mégalopoles de nuit, leurs grands squares qui se transforment en terrains de jeu pour une faune bien différente de celle des nourrices et des zenfants qui les hante le jour...
Tout cela procure aux enfants une initiation à la sombreur du monde parallèle. Les contes de fées reprennent leur force vitale de prévention contre le crime, parfois, peut-être, d'incitation dissimulée à la transgression.
Lilas
Yvan Pommaux s'attache à décrire les aspects oubliés de la ville Gouttières, poubelles, les portes du monde des déchets se révèlent à nos yeux qui cherchent d'habitude à les éviter. Cela permet au lecteur de petite taille ou promené dans une poussette de voir dans son livre le monde tel qu'il le voit, lui qui a encore les yeux au ras du sol.
Notons la foule bigarrée qui hante les albums chattertoniens. Chiens, chats, humains, tigres hantent la même ville, s'observent, se confrontent, et, parfois, oublient les convenances pour vivre une belle histoire d'amour...
Maestria
Pommaux a réalisé une oeuvre aussi exceptionnelle qu'elle a l'air facile d'accès. Tout est facile, très lisible, les images semblent lisses... Derrière cette simplicité, un immense travail est dissimulé.
Son plus grand succès est de faire cohabiter l'univers très noir du polar et du suspense, et l'illustration pour les tout-petits.
Sarah Moon et le chaperon rouge
Née en 1941 en France et exilée en Angleterre à cause de la guerre, la photographe Sarah Moon mène une carrière franco-anglo-américaine.
Elle a publié aux éditions Grasset, en 1986, Le petit chaperon rouge, une illustration photographique du Conte de Perrault.
CONTE CRUEL
Loin de l'aseptisation du texte à laquelle nous avait habitué Walt Disney, Sarah Moon illustre l'histoire à la lumière de la psychanalyse et de l'étude des contes.
Si elle garde le texte de Perrault tel quel, Sarah Moon photographie dans la ville. Ainsi, on lit "elle se promenait dans les bois" et on la voit marcher dans les rues d'une ville, longeant les immeubles.
Ce n'est pas un loup que la fillette rencontre, mais un homme...qui se transforme en loup dans une chambre à coucher.
POLAR
Toute l'atmosphère est celle d'un polar, d'un film noir.
CLASSEMENT IMPOSSIBLE
Le petit chaperon rouge de Sarah Moon n'a pas de place dans les librairies. On le trouve parfois en "littérature enfantine", parfois en "bande dessinée", parfois dans les rayons d'art photographique.
QUELQUES IMAGES
Le petit chaperon rouge :
La rencontre avec le loup :
L'agression :
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mercredi, 30 janvier 2013
Roule ta bille, Gaston le roux ! (Mais qui aime Ivana ?)
Gaston Leroux
(1868-1927)
Normand, il fit ses études dans la ville d'Eu... qui voudrait aujourd'hui changer de nom pour avoir une visibilité web plus grande ! Les .eu en effet pullulent en Europe. Eu veut donc devenir Ville d'Eu.
Le château d'Eu - Photo trouvée ici
Comme son contemporain Paul d'Ivoi, Gaston Leroux mena une double carrière de journaliste et d'écrivain.
N'est-il pas véritablement le pionnier du polar français ? Il créa le personnage de Rouletabille, qui évolue à travers plusieurs romans.
Il créa également la série des Chéri Bibi.
Enfin, il est le père du célèbre Fantôme de l'opéra.
La série Rouletabille est souvent donnée à lire aux adolescents à l'école (au collège). Chéri-Bibi et Le fantôme de l'opéra sont trop proches de l'horreur. On les lit seuls, lors des longs mois d'été, pour oublier la déception des vacances tant attendues.
AUTOUR DE ROULETABILLE
Le personnage de Rouletabille possède la particularité d'être émouvant, mais pas sympathique. C'est un cas assez rare dans la littérature. On ne peut vraiment l'aimer parce qu'il est trop parfait et trop fermé, peut-être en veut-il un peu à la société, y compris à la société des lecteurs. Peut-être est-il trop fier de son intelligence.
Derrière cette intelligence froide et ce petit sentiment de supériorité, des failles affectives très grandes (Rouletabille n'a pas été élevé par sa mère, ce qu'on découvre au fil de ses enquetes) et l'excuse d'une enfance pauvre et malaimée, nourrissent l'émotion que procure un personnage au physique un peu ridicule, avec une grosse tête toute ronde et des yeux d'enfant seul.
Génial, Rouletabille n'en est pas moins laid, timide, renfrogné. Ce paradoxe du héros imparfait, qui n'est pas non plus un antihéros, existe dans le monde réel depuis toujours, mais cela ne fait pas si longtemps qu'il est entré en littérature. De ce point de vue, Leroux est très réaliste même s'il est par ailleurs un maître du fantastique !
Le génie de Rouletabille ne le rend pas heureux. S'il débrouille toutes les énigmes, c'est pour mieux comprendre qu'il est le fils d'un grand criminel et que sa mère n'a pas voulu de lui.
Les deux meilleurs épisodes de la série, sont les premiers : Le mystère de la chambre jaune et La parfum de la dame en noir. Dans les épisodes suivants, Joseph Rouletabille se marie avec Ivana. Et je n'aime pas Ivana. (Qui aime Ivana ?)
AUTOUR DE CHERI-BIBI
Chéri-Bibi met en scène un forçat innocent.
Un forçat, c'est un prisonnier que l'on envoie au bagne, en Guyane, à Cayenne, après l'avoir embarqué à l'île de Ré, enchaîné avec ses compagnons de grand malheur, sous les rires et les pleurs des foules mêlées. Les derniers bagnards sont rentrés en France métropolitaine en 1953... (mais depuis la France s'est dotée de la plus grande prison d'Europe : Fleury Mérogis !)
Outre Chéri Bibi, un autre forçat de la littérature est resté célèbre : Jean Valjean, l'ami de Gavroche et de Cosette.
Le poème «au forçat innocent», de Jules Supervielle.
Solitude au grand coeur encombré par des glaces,
Comment me pourrais-tu donner cette chaleur
Qui te manque et dont le regret nous embarrasse
Et vient nous faire peur?
Va-t'en, nous ne saurions rien faire l'un de l'autre,
Nous pourrions tout au plus échanger nos glaçons
Et rester un moment à les regarder fondre
Sous la sombre chaleur qui consume nos fronts.
Jules Supervielle, 1930
AUTOUR DU FANTÔME DE L'OPERA
Insipré de faits réels, Le fantôme de l'opéra met en scène le bel opéra Garnier de Paris. Des événements extraordinaires et effrayants y ont lieu.
Avez-vous vu toutes les adaptations cinématographiques du Fantôme de l'opéra ?
On en trouve, sur Internet, des extraits, gentiment mis à disposition par les internautes vidéomanes :
La première adaptation, c'est celle de 1925, par Rupert Julian.
1925 - Le fantome de l'Opera - Rupert Julian par Altanisetta
La seconde adaptation date 1943. Elle est due à Arthur Lubin
Bande-annonce Le Fantome de l'opéra - Arthur Lubin par Altanisetta
La troisième adaptation : 1962, Terence Fisher
Adaptation de 1989 : Dwight H Little
Il y a aussi la version de 1989, de Dario Argento. Je n'ai pas trouvé, sur les plateformes vidéotes d'échanges, d'extrait où il n'y a pas de scène d'horreur ou de sexe. Mes lecteurs iront s'abreuver tout seuls à ces sources obscures.
Quant à la version de 2004, de Joel Schumacher, on peut en voir le clip à cette e-adresse.
(c'est la version cinéma de la comédie musicale écrite par Andrew Lloyd Weber).
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lundi, 07 janvier 2013
Lumière du Sud, sang du monde
Peinture d'Alphonse Osbert
Venant de Suisse, Jean-Christophe passe la frontière italienne. "Lorsque au sortir de la barrière alpestre, Christophe, assoupi dans un coin de son wagon, aperçut le ciel immaculé et la lumière qui coulait sur les pentes des monts, il lui sembla rêver".
"Sur la mer lumineuse, dans la nuit lumineuse, il se laissait bercer, longeant les promontoires bordés de cyprès enfantins. Il s'installa dans le village, il y passa cinq jours dans une joie perpétuelle. Il était comme un homme qui sort d'un long jeûne, et qui dévore. De tous ses sens affamés, il mangeait la splendide lumière... Lumière, sang du monde, fleuve de vie, qui, par nos yeux, nos narines, nos lèvres, tous les pores de la peau, t'infiltres dans la chair, lumière plus nécessaire à la vie que le pain, - qui te voit dévêtue de tes voiles du Nord, pure, brûlante, et nue, se demande comment il a jamais pu te vivre sans te posséder, et sait qu'il ne pourra plus jamais vivre sans te désirer".
Romain Rolland, in Jean-Christophe
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vendredi, 28 décembre 2012
J'ai erré sur Internet,
sans but, mais aux aguets, et j'ai cherché à travers ses labyrinthes où nourrir mon coeur, en ces jours de défaite entre deux fêtes, en cette trêve des confiseurs.
Et j'ai trouvé la France sauvage, film d'Augustin Viatte et de Frédéric Fèbvre (2012), et Les Vendéens, de Jacques Dupont (1993).
Deux épopées, celle de la vie animale au creux des terriers et dans les hautes branches, sous les eaux et à l'intérieur des fleurs, dont les caméras cachées volent des instants magiques.
Et celle de la Révolution et de sa contre-révolution, dont les archéologues de l'INRAP retrouvent des traces sous les villes de l'Ouest.
Les voici :
I
II
Un texte, "L'homme des mégalopoles ou le rêve de liberté", avait été publié sur l'ancien site d'AlmaSoror en décembre 2006, et repris sur ce blog par ici...
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