dimanche, 21 février 2010
Oui !
Dire oui en finnois, par M.G.
Chère lectrice, cher lecteur,
Saviez-vous qu’en finnois il existait différentes manières de dire « oui »? Je ne parle pas ici de transformations dérivées de « oui » et de « non » telles que « ouais » ou «ouaip ». En finnois, il existe des mots vraiment différents. Des « oui » plus ou moins sûrs, des « oui » d’écoute ou de compréhension, des « oui » de surprise ou d’assentiment.
1) L’interlocuteur est sûr de ce qu’il dit. Il reprend seulement le verbe et le conjugue, ou ajoute joo/ kyllä (plus littéraire que joo) en début de phrase
A :Oletko Mika ? (Es-tu Mika ?)
B: Olen. (Je suis)
A) Oletko Mika ?(Es-tu Mika?)
B) Joo, olen. (Oui, je suis)
A) Oletko Mika ? (Es-tu Mika?)
B) Kyllä, olen. (Oui, je suis)
2) L’interlocuteur écoute et le montre en disant ”niin”, sans forcément être d’accord avec ce qu’il entend
A: Mika on mies. (Mika est un homme)
B: Niin. (oui)
A: Marja on näinen. (Marja est une femme)
B: Niin. (oui)
A : Mika ja Marja ovat hyviä ystäviä. (Mika et Marja sont bons amis)
B: Niin. (oui)
3) L’interlocuteur est tout à fait d’accord
A:Mika ja Marja ovat hyviä ystäviä
B: Aivan ! (oui, tout à fait)
4) L’interlocuteur est surpris
A. Mika ja Marja ovat hyviä ystäviä
B. Aivan? (Ah oui ?)
Voilà, pour cette petite explication sur les différentes manières de dire « oui » en finnois. Pouvoir jouer avec ces différents « oui » peut être un véritable régal pour le Français qui ne connaît que oui et si. A bientôt !
Manuel Gerber
Bruxelles
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vendredi, 19 février 2010
Les sacrifiés
Marin Dupondt nous envoie cette réflexion étrange, écrite sur son I-Phone
sous un bigaradier portugais.
Les monarchies européennes actuelles ne respectent pas la dignité de certaines personnes : les rois.
Les rois ont un pouvoir symbolique qui les prive de leur pouvoir citoyen (la plupart n'ont pas le droit de vote) sans leur donner de pouvoir monarchique. Ils n'ont donc aucune voix ! Mieux vaut donc être un citoyen dans le plein exercice et dans la jouissance de ses pouvoirs qu'un monarque castré, privé des biens et des pouvoirs du monarque et du citoyen !
Les honneurs ne relèveront jamais personne d'un déshonneur.
NB : Dieudonné Beanclair me fait part d'une idée : ce sont des sacrifiés, qui représentent l'ancien monde. Ils jouent le rôle du poids mort de l'horloge dont parlait Bernadette Soubirous.
Marin Dupondt
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lundi, 15 février 2010
Chutes et créations des civilisations
Texte & photo par Sara
La Gaule, au VI° siècle.
Cela fait un siècle que les francs ont déferlé sur la Gaule avant et après d'autres peuples barbares, venus du nord et de l'est. L'empire romain d'occident s'est écroulé doucement. Les structures anciennes tiennent tant bien que mal : les sénateurs restent les personnages importants du pays.
Le christianisme s'installe. Les évêques sont souvent choisis dans les vieilles familles gallo-romaines. C'est le cas de Grégoire de Tours, l'auteur de "L'histoire des francs".
Cependant, le faste, la haute culture romaine, elle-même héritée des grecs, s'effondre. Les gens, issus de famille autrefois cultivées, le savent : cela les inquiète, ils s'en plaignent. Conscient de l'insuffisance de sa propre instruction, Grégoire de Tours décide cependant d'écrire ce qu'il voit, ce qu'il vit. C'est grâce à lui que les historiens connaissent cette période mieux que celles qui vont suivre.
"Le culte des belles lettres est en décadence et même il se meurt dans les villes de Gaule. Aussi tandis que de bonnes et mauvaises actions s'accomplissaient, que la barbarie des peuples se déchaînait, que les violences des rois redoublaient, que les églises étaient attaquées par les hérétiques et protégées par les catholiques ;(…) on ne pouvait trouver un seul lettré assez versé dans l'art de la dialectique pour décrire tout cela en prose ou en vers métriques. Souvent beaucoup se lamentaient en disant : "Malheur à notre époque parce que l'étude des lettres est morte chez nous et qu'on ne trouve dans le peuple personne qui soit capable de consigner par écrit les événements présents". Or comme je ne cessais d'entendre ces réflexions et d'autres semblables, je me suis dit que pour que le souvenir du passé se conservât, il devait parvenir à la connaissance des hommes à venir même sous une forme grossière. (…) Mais tout d'abord je prie les lecteurs de m'excuser si dans les lettres et les syllabes, il m'arrive de transgresser les règles de l'art de la grammaire que je ne possède pas pleinement."
Un millénaire auparavant, Thucydide, l'historien grec, écrit une œuvre inachevée sur les guerres qui ont provoqué la chute d'Athènes. Toute la différence est là, dans le style. A travers les traductions, on sait que Thucydide est un auteur d'une civilisation accomplie, qu'il bénéficie d'une haute culture. Pourtant lui aussi raconte la détresse des hommes de son pays :
"Il est clair que le pays appelé aujourd'hui Hellade n'était pas autrefois habité de façon stable. Il fut à l'origine le théâtre de migrations et les populations abandonnaient sans résistance les terres qu'elles occupaient, sous la pression des nouveaux arrivants qui se trouvaient être chaque fois plus nombreux. Le commerce était inexistant. Par terre comme par mer, les communications étaient peu sûres. On ne tirait du sol que ce qui était strictement nécessaire pour subsister et il n'y avait pas d'excédent qui permit de capitaliser. On ne faisait pas de plantations, car on se demandait toujours s'il n'allait pas survenir à un moment ou à un autre quelque intrus qui s'en approprierait le produit et cela d'autant plus facilement qu'il n'y avait pas de murailles. Comme on pensait pouvoir trouver n'importe où la subsistance journalière, on décampait sans difficulté."
Seulement, pour lui c'est du passé. Il vit dans la plus ville la plus célèbre et la plus enviée de son temps. Il ne sait pas qu'il décrit le début de la chute de sa civilisation. De même que Grégoire ne sait pas qu'il raconte les débuts d'une grande civilisation, en croyant décrire la fin de celle dont il est issu.
Deux livres pour inciter à méditer sur notre civilisation.
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samedi, 06 février 2010
Entrevue avec Lola Rasmussen-Luche, présidente de la CEAMD
La montagne de l'Ange bleu, où les amoureux de Marlène Dietrich se réunissent chaque année, au solstice d'été. Phot. Sara
AlmaSoror a obtenu une entrevue avec Lola Rasmussen-Luche, présidente de la Confraternité Européenne des Amoureux de Marlene Dietrich.
Edith de CL : Lola, merci d’avoir accepté cette entrevue . Depuis un an, vous présidez la Confraternité européenne des Amoureux de Marlène Dietrich. Vous êtes la première femme à assumer cette responsabilité. Pouvez-vous nous parler de cela ?
Lola Rasmussen-Luche : Pendant longtemps, on n’a pas reconnu à une femme la possibilité d’être folle amoureuse de Marlene Dietrich. C’était une erreur affligeante et je souhaite rappeler les nombreuses femmes qui ont été éperdument amoureuse de Marlène, sans que jamais cet état de fait dans leur cœur soit officiellement reconnu. Mais depuis un an, la Confraternité a prononcé des excuses pour cette erreur et de plus en plus de femmes rejoignent nos rangs. Je vous rappelle que notre emblème est le blason représentant le baiser que Marlène échangea avec Edith Piaf.
Edith de CL : Comment vous êtes-vous rendue compte que vous étiez amoureuse de Marlène Dietrich ?
Lola Rasmussen-Luche : Contrairement à beaucoup d’autres amoureux de Marlène, je n’ai pas eu à proprement parler un coup de foudre. Je l’ai vu dans plusieurs films lors de mon adolescence, sans éprouver de grand amour. Simplement, je l’aimais bien. La révélation est venue peu à peu. On peut dire que mon sentiment s’est exhalé au fil des années, si bien que j’ai bien été, à un moment, obligée de reconnaître ma situation amoureuse.
Edith de CL : Votre Confédération, européenne dans ses statuts et son intitulé, est ouverte aux non européens.
Lola Rasmussen-Luche : L’amour n’a pas de frontière dans le temps. La preuve en est que Marlène est morte depuis longtemps et continue à avoir des histoires d’amour avec nous. L’amour n’a pas non plus de frontière dans l’espace. Nous ne pouvons priver un Chinois ou un Inca de vivre publiquement son histoire d’amour avec Marlène, qui elle-même était philanthrope et n’aurait jamais fait de ségrégations nationalistes ou civilisationnelles. Je vous rappelle une phrase d’Arletty, actrice du XXème siècle : « mon cœur est français, mon cul est international ». Je crois que Marlène aurait pu dire – je sais qu’elle ne l’a pas dit, je ne veux pas lui faire dire ce qu’elle n’a pas dit, je dis juste que je crois qu’elle aurait pu le dire – « mes jambes sont allemandes, mon cœur est international ». Ces deux phrases sont belles et reflètent des personnalités distinctes, mais ressemblantes. Je ferme cette parenthèse délicate.
Edith de CL : Fermons-la, en effet. Comment se passe une histoire d’amour avec Marlène Dietrich ?
Lola Rasmussen-Luche : C’est une question à laquelle personne ne pourra jamais répondre. Parce que toute histoire d’amour est unique. La rencontre, les premières caresses, les mots qui s’échangent… Comment pourrait-on généraliser tout cela ?
Je ne vous raconterais pas mon histoire particulière, parce qu’elle ne concerne que moi. Ma vie intime n’intéresse personne, n’est-ce pas ?
Edith de CL : À propos de la relation physique qui vous unit à Marlène Dietrich, comment vivez vous cette inexistence physique ?
Lola Rasmussen-Luche : Je suis gênée par le mot inexistence. Marlène a existé. Elle a eu un corps. Le fait que ce corps soit mort est différent du fait qu’il n’aurait pas existé. Nous avons des images de son corps, des intuitions personnelles sur ce qu’auraient pu être ses gestes envers nous. Mais cet aspect délicat et compliqué des choses n’est pas simple. En effet, il faut inventer, composer avec cette situation d’amour entre un être vivant et un être mort. Rien n’est simple, mais la foi en l’amour arrange tout. Ne jamais perdre espoir, c’est notre leitmotiv.
Edith de CL : Que pensez-vous des avancées que votre confédération a obtenues récemment ?
Lola Rasmussen-Luche : Je me réjouis de la reconnaissance de notre vie commune avec Marlène ait pu aboutir à un mariage de type CK-22. J’encourage tous ceux qui veulent épouser Marlène à suivre cette solution. Mais je ne peux que déplorer la frilosité des pouvoirs, et notamment ce refus qu’on nous oppose constamment de reconnaître à Marlène la maternité de nos enfants. Quand donc la société sortira de cette ornière poussive, intolérante ?
Edith de CL : Vous arrive-t-il de tromper Marlène Dietrich ?
Lola Rasmussen-Luche : Tromper Marlène ?! Je ne le pourrai jamais. Mais j’ai connu des infidélités. L’absence est triste, hélas, et j’ai vu tous les films.
Propos recueillis par Edith de Cornulier Lucinière, le 37 ventôse 2031, à Sucy en Brie.
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mardi, 26 janvier 2010
Colonisation, par Sara
Le donjuanisme, ressort caché de la colonisation
Le site de l'auteur : http://universdesara.org/
"On est partagé entre le ciel et la fragrance du trop plein végétal. Deux sources de révélations, de tristesses et des joies les plus secrètes : des sources vives qui offrent pour la première fois la joie de vivre, d'être vivant, de se mouvoir et de respirer librement, sans souci, sans règle, sans restriction... Comment apaiser la soif de ses yeux, de ses bras - une soif de sensations vertigineuses et fortes, une soif de se consumer, une soif de mort ?" Ce texte est extrait de l'Inde de Mircea Eliade, écrit à partir des notes qu'il a prises lors de son séjour en Inde entre 1928 et 1932.
Mircea Eliade est en train de nous dire qu'il habite un corps mort, un corps qui ne ressent plus rien. Il est donc obligé de partir loin, très loin pour que des sensations nouvelles excitent son corps, ses émotions, ses sensations et lui donnent le sentiment qu'il vit, ou qu'il meurt d'extase ("une soif de mort").
Les champs, les cieux, les bêtes de sa Roumanie natale ne le touchent pas. Les beaux paysages de France où il a vécu également ne peuvent émouvoir ses sens épuisés. Ce ne sont pas les lieux qui sont en cause. De nombreux peintres ou écrivains ont vibré de toutes les fibres de leur sensibilité à la beauté des paysages de France ou de Roumanie. Les sens engourdis de Mircea Eliade ne lui permettent plus de ressentir.
Cette propension à chercher toujours plus loin la sensation, le désir de vivre "sans règle, sans restriction" - pourtant l'Inde est une vieille civilisation à la religion millénaire remplie de codes et d'obligations - rappelle un personnage de notre littérature : Don Juan qui s'épuise dans une quête vaine d'un "autre" qui soit capable de le faire vibrer. Mais la rencontre échoue toujours. Toujours, il est déçu. Il part de nouveau à la recherche d'autres émotions. En vain.
Le livre de Mircea Eliade est rempli de mortification, de haine de sa civilisation, de sa culture, de lui-même enfin. Il croit trouver ailleurs l'extase. Il est atteint de ce qu'on pourrait appeler le "donjuanisme ethnologique". Comme Don Juan, il ne regarde que lui-même. Il ne sait s'il se hait ou s'il s'adore.
Deux livres parmi les plus beaux albums de la littérature jeunesse contemporaine abordent ce thème : les Don Juan de la colonisation. Seulement les auteurs y apportent un esprit critique, une analyse subtile une dénonciation efficace des ressorts cachés de la colonisation par la fiction, par le style, par les images superbes. Ils mettent en scène cette recherche de terres ou d'êtres nouveaux, inconnus.
Dans "Les derniers géants", François Place imagine la prise de conscience de l'explorateur. Ce scientifique du XIX° siècle part, seul, à la recherche de géants dont il découvre la civilisation cachée. Quand il revient dans son pays, il se taille un immense succès avec sa découverte qu'il clame dans des conférences, des articles de journaux… Il trouve facilement de l'argent pour monter une expédition scientifique jusqu'à ce pays mystérieux et inaccessible des Géants. Mais c'est la mort de ceux-ci qu'il découvre en arrivant : "Soudain un silence vertigineux de révolte, d'horreur et de douleur m'enveloppa. Et j'entendis, du fond de cet abîme de chagrin, une voix mélodieuse - oh ! comme je la reconnaissais ! - me reprocher dans sa belle langue musicale : Ne pouvais-tu garder le silence ?".
Dans "Jeanne et le Mokélé", Fred Bernard, accompagné des illustrations de François Roca, choisit une héroïne qui refuse les découvertes de son père :
"Sur le navire qui nous ramène en France, je veux jeter les films à la mer.
Le désaccord. Avec mon père et la science. Avec Eugène et l'argent.
La tempête.
Le destin en ma faveur : le naufrage. Le bateau sombre. Les bobines coulent."
Son journal de bord ressemble à des litanies comme si c'était leur récitation qui avait le pouvoir de contrecarrer les expéditions des "découvreurs".
L'histoire du monde est remplie de ces batailles de domination de peuples par d'autres. Ce sont des histoires de guerriers et de pouvoirs. La caractéristique de notre décolonisation est dans la mauvaise conscience du colonisateur et la transformation de son désir de domination en une recherche affectée de la nature de l'autre civilisation. Il faut se diriger vers le rayon "enfants" d'une librairie pour trouver des livres qui disent quelque chose de juste sur le sujet.
Sara
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lundi, 25 janvier 2010
Plongez dans la langue italienne et traduisez une lettre
Langue magique ! Langue d’une douceur incroyable et tellement accessible pour nous francophones ! Nous devrions tous la parler car elle offre la possibilité d’un voyage linguistique facile et d’une grande beauté. Je crois que vous pourriez la lire sans lexique. Peut-être vous faudra-t-il cependant deviner certains mots.
par Manuel Gerber
Laura cara,
Sono così triste.
I miei amici sono partiti e la bellezza invernale di questo paesaggio toscano rende la mia solitudine ancora più grande.
Tra qualche giorno, partirò a Roma dove Giancomo mi attenderà.
Questo figlio è così dolce con me.
Dalla morte di Ricardo, egli è il mio solo sostegno.
Baci,
Paula
Notons :
La construction article + adjectif possessif :
I miei amici (les mes amis)
La mia solitudine (la ma solitude)
Il mio figlio (le mon fils)
L’absence des pronoms personnels sujet:
Sono : suis –« io sono » (je suis) existe mais est rarement utilisé
Partirò : partirai - et non « io partirò »
Egli :
En italien, il y a différentes manières de dire « il » ou elle. Même si « lui » (il) et « lei » (elle) existent, « egli » et « ella » sont des formes littéraires qui se réfèrent aux humains. « Essi » et « essa » ne concernent, quant à eux, que les choses et les animaux.
Remarquons la volonté linguistique de souvent vouloir distinguer l’homme de l’animal que ce soit en italien, anglais, finnois, néerlandais etc…
Manuel Gerber
Bruxelles
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jeudi, 21 janvier 2010
"J'ai replongé"
Il m’arrive de temps en temps une plongée en eaux Renaissance et période classique, que je ne parviens pas à m’expliquer et qui me fait me sentir très coupable.
J’adore le rock, le jazz, les musiques du monde, etc.
Mais quand je replonge dans la musique classique, entre Shütz et Monterverdi et Mozart et Schubert, je me demande comment on a pu faire des choses aussi belles et si cela reviendra un jour.
J’ai honte, mais j’avoue : Michel Ange me transporte bien plus haut que les horreurs qu’on voit à la Fiac. L’architecture antique, renaissante, baroque me frappe d’admiration tandis que le Bauhaus et Le Corbusier me glacent le sang et me font penser que l’enfer est terrestre.
Quant aux langues, que j’aime tant, auxquelles, même si très peu de gens les parlent, j’ai pu consacré des mois et des années de ma vie, une récente, harassante discussion avec des Bretons m’a convaincu : s’il faut aimer son clocher - les galettes de sarrazin, la très belle langue bretonne et ses littératures, sa musique - à leur juste valeur, l’amour totalitaire que certains portent à leurs traditions culinaires, à leur instrument de musique traditionnel mal dégrossi et à leurs chansons et légendes, m’interrogent : ont-il déjà visité le musée du Louvre, où le spectacle témoigne que les vents de l’amour et de la violence, dans une aventure épique, ont rassemblé des splendeurs des régions et des cultures, donnant naissance à la civilisation ?
Voilà. Ce texte a été écrit au terme d’une terrible replongée dans mon amour psychédélique des chefs d’oeuvre qui ont fait l’histoire de l’art (j’avoue ! je Crois en l’Histoire de l’art), et j’ai émis un doute sur les réalisations qui m’entourent... Je dois réciter un confiteor moderne pour m’en laver et être réintégré dans le monde progressiste des hommes modernes.
Axel Randers
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lundi, 04 janvier 2010
Le courage et l'amour
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dimanche, 20 décembre 2009
Violence
"Nous sommes tous au bord de la tombe et l'aventure nous tend les bras".
(photo vendéenne)
Il y a quelques années, à Bruxelles, en Belgique, j'ai passé quelques jours et une immense publicité recouvrait la façade d'un immeuble en réparation. C'était une publicité pour l'entreprise de ravalement, et elle montrait un visage extrêmement ridé, pétri de vieillesse. L'objet de la publicité était donc qu'on allait ravaler un immeuble trop vieux pour lui donner une nouvelle jeunesse.
Je marchais, sonnée, choquée par un tel message. Je regardais autour de moi les autres êtres humains marcher dans la ville. Nous étions tous de petits êtres minuscules dominés par une immense image qui nous surplombait et qui était d'une grande violence pour les vieux.
J'étais jeune et je le suis toujours - pas une ride. À l'époque je n'avais pas réussi à parler sur cette image et l'atroce publicité sur le ravalement qui l'accompagnait, qui en anéantissait la beauté ; ce qui m'assommait le plus était que nous la voyions tous, tous les jours, à cet endroit fréquenté de la ville, et que, quoi que nous en pensions, il n'y avait rien à faire, rien d'autre que d'écrire une petite lettre de protestation à une grande entreprise de ravalement.
Nous étions tous dominés par une violence faite à ces beaux visages de nos aînés, qui ressemblent à des couchers du soleil. Il ne faut pas ravaler, ni nos larmes, ni nos maisons, ni surtout nos visages. Nos visages sont le témoignage fragile de notre existence présente. Ils passeront vite, et aucun ravalement ne les maintiendra en vie.
Le ravalement de la peau, c'est la mort de l'âme. La teinture des cheveux, c'est la corruption des crinières.
La publicité, c'est le péché contre l'esprit.
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jeudi, 03 décembre 2009
Engels et le dépérissement de l'Etat
Etrange de savoir à quel point Engels croyait à l'abolition de l'Etat quand le communisme nous a réalisé le contraire...
"Le prolétariat s'empare de la puissance de l'Etat et transforme les moyens de production tout d'abord en propriété de l'Etat. Mais par là il s'abolit lui-même en tant que prolétariat ; par là, il abolit toutes les différences et tous les antagonismes de classe, et par là aussi, l'Etat en tant qu'Etat. L'ancienne société qui se mouvait dans les antagonismes de classes, avait absolument besoin de l'Etat, c'est à dire d'une organisation de la classe exploitrice de l'époque, faite pour assurer la persistance de ses conditions extérieures de production, notamment, en conséquence pour maintenir par la force la classe exploitée dans des conditions d'oppression exigées par le mode de production existant (esclavage, servage, travail salarié). L'Etat était le représentant officiel de la société toute entière, sa synthèse en un corps visible, mais il ne l'était que dans la mesure où il était l'Etat de la classe qui elle-même représentait pour son époque la société toute entière : dans l'Antiquité, Etat des citoyens propriétaires d'esclaves ; au moyen âge, Etat de la noblesse féodale ; de nos jours, Etat de la bourgeoisie. Mais, du fait qu'il devient enfin le représentant effectif de la société toute entière, lui-même se rend superflu. Dès qu'il n'y a plus de classe sociale à maintenir dans l'oppression ; dès qu'avec la domination de la classe et la lutte pour l'existence individuelle antérieurement fondée sur l'anarchie de la production, disparaissent aussi les collisions et les excès qui en résultaient, il n'y a plus à réprimer rien de ce qui rendait nécessaire un pouvoir spécial de répression, un Etat. Le premier acte par lequel l'Etat se manifeste réellement comme représentant de la société toute entière, la prise de possession des moyens de production au nom de la société, est en même temps son dernier acte caractéristique d'Etat. L'intervention d'un pouvoir d'Etat dans les rapports sociaux devient superflue dans un domaine après l'autre, et entre ensuite d'elle-même en sommeil. Le gouvernement des personnes fait place à l'administration des choses et à la direction d'opérations de production. L'Etat n'est pas aboli ; il meurt".
Engels, in Anti-Dühring
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lundi, 07 septembre 2009
Mouvantes fictions de la société européenne
Identité, vérité et liberté
Phot Sara
Demain, quelle Europe ? L’Europe tentera d’éviter les deux risques, les monstres égalitaires et ultralibéraux. Il faut aussi qu’elle évite de devenir une juxtaposition de cultures et d’identités qui se réservent le droit de discourir sur elles-mêmes, avec une cour de Justice qui tranche sur les vérités. Cela serait la mort de la liberté et de la démocratie. Cela serait totalitaire.
Partie I - Ne pas figer le passé : la vérité est une fiction
"En tant qu'historiens et citoyens, nous pensons qu'il n'y a pas
de vérité d'Etat" - Jean-Pierre Azéma
La quête juridique de la vérité
Plusieurs lois prescrivent des jugements de valeur et donnent des codes de conduite lors de l’enseignement de l’histoire dans les écoles françaises. Ces lois tentent de réparer des violences subies en exigeant une parole de compassion et la reconnaissance de souffrances infligées.
Est-il réellement efficace d’établir une vérité historique officielle pour promouvoir les valeurs humanistes ? Est-ce qu’une quête si absolue de la justice historique, un contrôle si total du discours sur l’histoire passée ne risque pas de détruire, précisément, la libre expression de la démocratie et des droits de l’homme ? Devons-nous tenter d’élaborer un enseignement qui convienne à toutes les entités qui forment la société – toutes les entités reconnues – et particulièrement celles dont la valeur a été niée par le passé ? La prescription de l’histoire doit-elle se faire par l’Etat, et selon le critère de la souffrance ?
A trop se concentrer sur la « réception » d’une parole par des groupes, on perd la notion du « besoin d’expression » des individus. Et, de même que la négation des souffrances crée des frustrations dangereuses, passer la muselière aux citoyens sur un thème, une période passée, peut mener à ces mêmes dérèglements.
L’histoire n’est jamais close. On ne refermera jamais le livre. On n’aura jamais fini de bâtir la maison du passé du monde. Souvenons-nous que les interprétations, sans forcément se renier les unes les autres, bougent avec le temps, car la société relit sans cesse l’histoire en fonction de ce qu’elle est en train de devenir. L’emprisonnement de la pensée dans des cadres ne peut constituer un projet de société viable. Les idées brimées ne peuvent être qu’exaltées.
La légalisation d’une idée ne la rend pas plus vraie. Le droit est une fiction, l’histoire est une interprétation. Cela fait leur force ; cela fait leur nécessité ; cela fait leur incertitude.
L’un des effets néfastes de ces lois fixant l’histoire est la construction de coupables et de victimes de naissance. Il y a un danger et une malhonnêteté à établir ainsi des martyrologues.
De la reconnaissance officielle de vraies victimes découle nécessairement la reconnaissance officielle de vrais méchants. Aux victimes héréditaires correspondent donc des coupables héréditaires.
Or, pour obtenir la reconnaissance de sévices subis, encore faut-il que cette reconnaissance corresponde à la morale actuelle du pouvoir ; ce n’est pas le cas, entre autres exemples, du génocide vendéen, qui demeure presque oublié. (« Il n’y a plus de Vendée, citoyens républicains. Elle est morte sous notre sabre libre, avec ses femmes et ses enfants. (…) J’ai tout exterminé », affirme en 1793 Westermann aux Révolutionnaires). Une victime officielle est donc forcément une émanation du système dominant.
Enfin, souvent nous luttons contre un pouvoir selon ses propres valeurs, par nécessité - sinon, nous n’aurions aucun effet sur lui. Nous dévoyons alors autant notre identité brimée que nos « dominateurs » eux-mêmes l’ont fait. Dès lors, quelle est la réalité de cette entité victimaire, dont l’identité s’est modifiée à travers la quête de la reconnaissance ?
Les identités multiples et le demos
Le demos – le peuple – étant un corps, un tout, notre société peut-t-elle souffrir d’être divisée en parties dont certaines assumeraient une culpabilité ou une victimisation de naissance ? De même que la démocratie ne supporte aucune prérogative natale (noblesse, roture, …) dont émaneraient des droits, il me semble qu’elle ne saurait mieux s’accommoder de l’hérédité coupable et victimaire.
La question dès lors est cruciale. Un Français d’origine finlandaise ou sénégalaise est citoyen d’un pays qui a colonisé l’Afrique, même s’il est arrivé après la décolonisation. Une telle situation pose l’immense problème de la nationalité. Peut-on être français pour la vie civique et étranger pour l’Histoire ? Quand on prend la nationalité d’un pays, choisit-on des valeurs, des grandeurs et des crimes ? Cela ne pose pas trop de problème tant que le peuple accepte d’être « indivisible », comme la Constitution le prône. Mais si une différence est faite entre les coupables et les victimes, la raison s’affole. Peut-on exiger la solidarité positive et se dédouaner de la solidarité négative, en réclamant à la fois l’intégration à la République française à part entière, et le droit de n’en refléter qu’une partie ? Dans ce cas, quelles sont les conditions d’exemption ? Est-ce qu’une démocratie survit sans demos uni, mais simplement avec des morceaux d’ochlos revendiquant des parcelles de droits ? La France se pose la question à travers des débats profonds et intenses. A l’échelle de l’Europe aussi, un jour, il faudra décider.
Partie II - Ne pas figer le présent: l’identité est une fiction
" « Le monde entier est un théâtre »
William Shakespeare
Les paradoxes de l’identité
Le premier paradoxe de l’identité est qu’elle dépend de la personne que nous avons en face de nous. Le jeu de rôle fait une grande partie de notre identité. Les identités se font à travers la relation à l’autre, et ne sont pas statiques. Une attitude néo-coloniale force la personne d’en face à se comporter d’une certaine façon, opprimée ou vindicative. De même, une attitude néo colonisée crée en partie les réactions condescendantes ou culpabilisées de l’interlocuteur. En créant son identité, on force celle de l’autre.
Le second paradoxe de l’identité est que toute tentative de la définir la fonde, mais aussi la fige. Quand on crée les frontières identitaires et idéologiques autour d’un groupe, on crée des camps, on impose de choisir son camp. Cela revient à empêcher les transversalités, à annihiler les tentatives de penser différemment : on nie tous les points de vue pour officialiser la croyance majoritaire, qui a tendance à être la moins complexe, et donc la moins complète. Ainsi, la militance homosexuelle rend difficile à certains homosexuels d’affirmer leurs divergences par rapport à la pensée majoritaire de « leur groupe », qui s’arroge l’identité homosexuelle – un exemple à l’évidence déclinable à toutes les communautés.
Le troisième paradoxe de l’identité, c’est que nous sommes peut-être plus la somme de nos oublis, que celle de nos caractéristiques conscientes. Dès lors, définir son identité, ce n’est pas seulement s’affirmer : c’est nier une immense partie de soi, sans doute bien plus grande que celle qu’on affirme. L’identité définie annihile beaucoup notre liberté d’être et d’imaginer ce que nous pourrions être. Spirituellement, philosophiquement, nous sommes contraints par une appartenance presque forcée.
L’individu, le collectif et la parole
Nous remettons en cause, avec beaucoup de raison et de retard, l’extrême individualisme qui nous a poussé à détruire les liens sociaux et familiaux, et le liant qui gardait toute la société unie et se dressait en barrage entre l’individu et son désir immédiat et égoïste. Pourtant, il faut se souvenir aussi que ce que nous aimons dans nos libertés, provient précisément de la place accordée à l’individu en tant que tel, et non seulement au groupe. C’est l’attention à l’humain individuel, à sa vie personnelle, au contrôle qu’il peut avoir sur son parcours dans la société, qui donne tout son sens à l’humanisme universel. A quoi sert une idée d’humanité qui vivrait pour elle, et non pour servir chaque être unique qui la compose ?
Qui peut dire ce que nous sommes ? Le cœur d’un homme est-il réductible au sous groupe dont il fait partie, ou bien est-il immense et entier devant l’univers ?
L’habilitation à penser, à parler, qu’elle soit identitaire - je suis métis donc je peux parler des métis, je suis une femme donc je peux parler de la condition féminine, je suis lesbienne donc je peux parler des homosexuels - ou sanctionnée par un diplôme, est une confiscation absurde de la parole d’autrui. La parole, la pensée, mais aussi l’action devraient être ouvertes à tous. Il devrait toujours y avoir présomption de capacité dans les rapports entre les êtres humains d’une société. De capacité politique, intellectuelle, sociale.
On doit pouvoir tout penser. On ne peut certes pas tout exprimer. Il nous faut un espace mental infini, il nous faut un espace d’expression vaste.
Possibilité d’être mauvais, possibilité d’être fou
Il paraît curieux de se battre pour la possibilité d’être un méchant. Il paraît curieux de se battre pour le droit au déséquilibre mental. Pourtant, la question n’est pas anodine : laisser les gens penser des choses méchantes, délirantes ou désagréables, est une garantie de la liberté de penser, de la liberté d’être : c’est un espace mental et intellectuel libre.
Ce n’est pas parce que nous refusons l’intolérance et la discrimination que nous devons exiger une gentillesse agréée et généralisée. Les méchants et les fous jouent leur rôle, eux aussi, et contribuent au débat. D’ailleurs, si ces catégories des bons et des méchants existent dans toutes les sociétés, ceux qui les constituent changent régulièrement de camp, en fonction des modes intellectuelles et du pouvoir politique. La reconnaissance de la diversité, ce n’est pas seulement de la diversité des identités, mais aussi de la multitude des idées sur le monde.
Les identités de groupes, prescriptives, entament les aspirations de la personne, et nient l’existence d’un champ intime irréductible aux autres. Si je décide que je suis, au fond, de la même espèce que ma chienne et que nous sommes venues d’une planète lointaine pour visiter les conditions humaine et canine, est-il bon de me laisser vivre cette croyance en liberté ? C’est une grave question de société, historique, philosophique, mais aussi politique, à laquelle je ne trouve pas de réponse.
• La compassion et la violence
Les plus belles idées possèdent leur monstre ; toute tentative de perfection risque de tourner à l’horreur, parce que le systématisme n’est pas capable d’embrasser la complexité de nos relations humaines.
L’envers de la reconnaissance systématique de l’oppression, c’est l’oppression intellectuelle généralisée. Faut-il, alors, baisser les bras et cesser d’espérer améliorer le monde? Non.
Il est dur de renoncer à la quête du remède idéal face au spectacle extrêmement violent du monde. Mais peut-être peut-on renoncer à la perfection comme but matériel, et s’en servir comme étoile du berger. Si la recherche de la perfection, économique, politique et intellectuelle, représente le totalitarisme égalitaire, l’acceptation de la fatalité correspond à la barbarie ultralibérale. Ces deux récifs sont des causes de naufrages tragiques. Il nous faut naviguer avec justesse pour les éviter. L’imperfection universelle s’oppose ainsi aux perfections totalitaire et ultralibérale. Il me semble qu’elle laisse à l’esprit plus d’espace mental que le totalitarisme, et au corps, plus de possibilité matérielle de vivre que l’ultralibéralisme.
Partie III - Ne pas figer le futur: que la citoyenneté soit une réalité
« Suivant que nous aurons la liberté démocratique ou la tyrannie démocratique, la destinée du monde sera différente. »
Alexis de Tocqueville
Les droits de l’homme et du consommateur
Nous ne devrions pas agréer la carte identitaire et les droits auquel elle donne accès. Avec les réductions identitaires, le petit-fils de paysans qui ne comprenaient que le patois et n’étaient jamais sortis de leur village ardéchois serait un coupable de la colonisation.
Quiconque a connu quelques temps, pour quelque raison, ce que c’est d’être différent, ce que c’est d’être minoritaire, sait la cruauté du regard des autres. Mais la constitution de groupes d’intérêts identitaires communs ne peut constituer le moindre début de solution à ce problème vieux comme les sociétés humaines. Ne laissons pas l’Etat de droit devenir l’hypermarché des droits. Soyons, tous ensemble et chacun séparément, citoyens dans un Etat de droit et non consommateurs dans un Etat des droits. Car la République (Res Publica, chose publique) n’est pas un grand marché aux droits et les citoyens ne sont pas, face à ces droits, des associations de consommateurs. Si notre attitude de consommateurs forge notre attitude de citoyens, le monde peut devenir un procès géant et sans fin…
Nous ne devrions pas agréer la carte identitaire et les droits auquel elle donne accès. Avec les réductions identitaires, le petit-fils de paysans qui ne comprenaient que le patois et n’étaient jamais sortis de leur village ardéchois serait un coupable de la colonisation. Quiconque a connu quelques temps, pour quelque raison, ce que c’est d’être différent, ce que c’est d’être minoritaire, sait la cruauté du regard des autres. Mais la constitution de groupes d’intérêts identitaires communs ne peut constituer le moindre début de solution à ce problème vieux comme les sociétés humaines. Ne laissons pas l’Etat de droit devenir l’hypermarché des droits. Soyons, tous ensemble et chacun séparément, citoyens dans un Etat de droit et non consommateurs dans un Etat des droits. Car la République (, chose publique) n’est pas un grand marché aux droits et les citoyens ne sont pas, face à ces droits, des associations de consommateurs. Si notre attitude de consommateurs forge notre attitude de citoyens, le monde peut devenir un procès géant et sans fin…
• Un monde irréparable
Ce débat autour de la vérité historique et des identités relève d’une exigence néfaste de perfection. Certes, elles sont compréhensibles, ces tentatives de réparer un monde humain brisé, meurtri, révolté par sa propre « inhumanité ». La frontière est floue, qui distingue deuil et réparation - mais les morts ne se réparent pas. Croire à la réparation, c’est croire à un futur proche, parfait et éternel. C’est rétrécir le passé, c’est confondre le présent et l’éternité : nous n’acceptons plus l’histoire, nous voulons la figer à jamais dans le procès final de l’Histoire, et consommer la Justice éternelle pour des siècles et des siècles. Jusqu’où fouille-t-on l’histoire ? Au grand procès du monde, qui juge et qui est jugé ? Sur quels faits fermerons-nous nos yeux, sur quels morts dirigerons-nous nos projecteurs ?
La navigation européenne
Demain, quelle Europe ? L’Europe tentera d’éviter les deux risques, les monstres égalitaires et ultralibéraux.
Il faut aussi qu’elle évite de devenir une juxtaposition de cultures et d’identités qui se réservent le droit de discourir sur elles-mêmes, avec une cour de Justice qui tranche sur les vérités. Cela serait la mort de la liberté et de la démocratie. Cela serait totalitaire.
Dans quel monde intellectuel voulons-nous vivre ?
Accepter l’imperfection du monde et refuser la fatalité : tels pourraient être les points de repère de la navigation européenne…
Accepter l’imperfection nous évite l’écrasante et infinie tâche de satisfaire théoriquement chaque groupe, chaque entité de notre société, par des prescriptions intellectuelles qui, sans libérer ceux qu’elles croient préserver, méprisent et ôtent la parole aux autres.
Refuser la fatalité nous garde d’un faux pragmatisme qui consiste à considérer que rien ne sera jamais parfait et qu’il est par conséquent stupide et idéaliste de vouloir changer quoi que ce soit à l’ordre naturellement cruel du monde.
La démocratie, n’est-ce pas l’acceptation de l’incertitude qui frappe sans cesse à notre porte ? N’est-ce pas l’acceptation de l’inconfort intellectuel ?
Edith de Cornulier-Lucinière in Newropeans Magazine, 2006
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dimanche, 06 septembre 2009
Lettre d’un Suisse à une amie allemande qui étudie la colonisation française
phot Sara
Kathia,
J’ai lu tes réflexions sur la colonisation française et les dégâts qu’elle a causés sur les populations d’Afrique. J’ai lu tes propos sur l’intolérable comportement de la France qui refuse d’assumer entièrement ses méfaits en ne prenant pas en charge le développement économique de l’Afrique. J’ai lu que tu voulais étudier la façon dont les Africains ont « reconstitué » leur identité après la décolonisation.
Je me pose quelques questions, que je te pose ci-dessous.
Pourquoi ne t'intéresserais-tu pas à l'identité française (ou allemande) après la colonisation ? Il me semble que c'est toujours un peu difficile d'étudier les Africains si on ne connaît pas leur langue, leur culture et leur histoire sur le bout des doigts. Alors que tu peux sans problème étudier comment la mentalité des coloniaux a évolué, comment ils ont fait pour changer leur perception de leurs anciennes colonies, de leur propre puissance et de leur propre culture en passant par la décolonisation, l'aide au Tiers-Monde, puis une collaboration de plus en plus égalitaire.
On veut toujours étudier les Africains et leur identité, comme si nous, Européens, nous n'avions pas de problème d'identité. Pourtant, les coloniaux comme les anticolonialistes d'aujourd'hui, en France, s'appuient sur les mêmes idées : la libération de tous les peuples. A l'époque on les colonisait pour les libérer d'eux mêmes, ensuite on les a décolonisé pour les libérer de nous-mêmes.
Et puis à considérer les coloniaux comme méchants et les colonisés comme victimes, on n'étudie jamais les ambiguïtés du rapport entre le coupable et la victime.
Par exemple, certains auteurs africains se demandent s'il ne faudrait pas remettre en question la mentalité africaine précoloniale : la haine du plus noir, l'esclavage intertribal et même intratribal, l'impossibilité de créer des sociétés construites qui durent, tout cela a préexisté à la colonisation, et l'a rendue plus facile. As-tu lu l'Histoire de l'Afrique par Joseph Ki-Zerbo, un des premiers historiens africains à avoir écrit une histoire entière de l'Afrique ? C'est passionnant. On se rend compte de la splendeur des cultures africaines, une splendeur dont on n'entend jamais parler dans nos livres d'histoire. D'un autre côté, on voit à quel point beaucoup de ces problèmes que l'on croit entièrement amenés par les Blancs étaient en fait déjà largement présents en Afrique.
Enfin, j'ai lu plusieurs textes (notamment d'auteurs arabes) que j'ai trouvés très intéressants sur les Blancs "culpabilisés" par la colonisation et l'esclavage. Leur envie de puissance sur les autres ne pouvant plus s'exprimer par l'esclavage et la colonisation, ils auraient trouvé cette solution psychologique : en se rendant entièrement coupables de tous les maux vécus par l'Afrique et les Africains, en victimisant ceux-ci à outrance, ils récupèrent cette toute-puissance du Blanc sur le Noir : "je suis très méchant et j'ai anéanti l'Afrique", c'est une façon de dire "les Africains n'ont aucune culture par eux-mêmes, ils n'ont aucune responsabilité sur leur passé ni sur leur présent car c'est moi qui domine". Le sentiment de culpabilité vis à vis des autres est une autre façon de se sentir tout puissant. C'est aussi une autre façon de mépriser les autres : "je me sens coupable car vous êtes tellement cons que j'aurais dû mieux vous traiter".
Voilà mes quelques questionnements sur la question.
Je t’embrasse de toutes mes forces (qui déclinent jour après jour),
AXEL RANDERS
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vendredi, 04 septembre 2009
La formation de la société européenne
L’Europe peut être une société traditionnelle d’avenir
photo Sara
EDITO - L’Europe peut être une société traditionnelle d’avenir, dont le peuple est l’élite, et dans laquelle la ociété repose sur un socle commun. L’Europe peut être une société traditionnelle d’avenir dont les citoyens connaissent, comprennent, ont l’intelligence de toute la société au niveau de sa complexité. Mais la formation qu’une telle exigence requiert est un défi presque impossible...
Les sociétés traditionnelles et les sociétés modernes
Dans une société traditionnelle, chacun connaît les rouages de toutes les activités, la composition de tous les objets. L’être humain sait de quoi est constitué chaque pan de sa maison, il sait comment chaque chose a été fabriquée.
Dans une société moderne, l’environnement matériel est si complexe que l’individu ne connaît que l’apparence des choses. Il ne sait pas précisément de quoi est composé la sauce qu’il met dans son plat ; il ne comprend pas comment le conservateur a été inséré dans les pâtes, ni de quoi est fait le plastic du paquet. S’il allume son ordinateur et peut faire jouer de la musique ou jouer en ligne à un jeu vidéo, il est hors d’état de décrire tant l’objet ordinateur lui-même que le système de la Toile ou encore quelle est la matérialité de la musique qu’il entend et qu’il ne voit que sous forme de signe sur l’écran.
Ces sociétés reflètent donc deux sortes d’intelligence. D’une part l’intelligence globale, qui est celle de la société traditionnelle, et qui fait de chacun de ses membres un être complet et autonome, habité de toute sa culture et capable de la transmettre entièrement. D’un autre côté, l’intelligence éclatée, disséminée parmi les humains qui composent la société et qui seraient incapables de recréer leur monde ailleurs. Bien entendu, entre les deux modèles il y a sans doute un milieu, qui allie les deux intelligences sans épouser leurs limites.
Le défi européen
Le défi, justement, pour l’Europe, est de créer des citoyens qui connaissent, comprennent, ont l’intelligence de toute leur société au niveau de sa complexité. Mais la formation qu’une telle exigence requiert est un défi presque impossible.
Nous devons pourtant relever ce défi : nous le devons absolument, car c’est ainsi seulement que nous pourrons faire cohabiter les deux créations occidentales : la technique et la démocratie.
La dérive, c’est la réduction de ces deux créations à la troisième, néfaste : le consumérisme. Le citoyen qui ne connaît que les manettes extérieures des machines, les slogans pré mâchés des idées, n’est qu’un consommateur. Il consomme sa citoyenneté, et par là même il l’annihile.
Celui qui connaît le fonctionnement intrinsèque des choses, physiques et intellectuelles, de son environnement, celui-là créée et recrée le monde, le nourrit et s’en nourrit, à chaque acte, à chaque parole. Celui-là est le créateur conscient de la société dans laquelle il vit. En cela il lui permet de durer plus longtemps. Il l’a intégrée dans ses fondements, ce qui ne l’empêche pas – au contraire – de la critiquer.
Le peuple peut être l’élite...
Les élites et les peuples
Une éducation citoyenne réussie donne à chacun une confiance dans sa valeur et dans celle de l’autre. La société démocratique est réussie si elle donne à chacun, à tous les gens d’Europe, les moyens de vivre, d’être heureux, de jouer un rôle positif dans la société et d’y inscrire le parcours individuel de leur choix.
Cette exigence fait que les Grecs, et Rousseau après eux, estimaient qu’une démocratie ne fonctionne bien que lorsqu’elle concerne des communautés petites et homogènes. Là seulement tous sont citoyens, tous sont capables de l’être. Pourtant, il faudra relever le défi dans une société immense et hétérogène, la société européenne.
Si nous ne faisons pas cela, nous aurons deux peuples d’Europe : une aristocratie transeuropéenne, et le peuple, composé des peuples d’Europe… Outre le fait que cette situation ne satisfait a priori pas nos valeurs, il est fort douteux qu’une telle société puisse pérenniser : en effet, si le sentiment qu’il n’y a pas de place au soleil pour tout le monde domine, alors la société ne sera pas défendue par la majorité, et elle ne perdurera pas. Une fracture sociale, c’est la mort. Grâce à une éducation gratuite d’excellence pour une société sans caste, l’Europe sera digne de ses citoyens, et ses citoyens seront à même de la rendre paisible et riche. Seules les sociétés qui échouent à former leurs citoyens ont besoin d’une élite.
Education et responsabilité pour un projet commun
Plus nous sommes éduqués, plus nous avons de libertés, et plus sommes en mesure de les conserver. Nous devenons responsables. Sans responsabilité intrinsèque à chaque citoyen et aux relations qui les unissent, alors, d’une part le public détruira le privé (hyperprésence des acteurs sociaux, réglementation à outrance pour pallier aux aberrations et aux plaintes), et d’autre part, les replis communautaires, qui s’installent forcément dans un espace vidé du principe d’universalité, figeront les identités, et par là, détruiront la liberté d’expression et de développement. Alors la démocratie tournera à l’ochlocratie. L’ochlocratie (le pouvoir de la foule) s'oppose à la démocratie (le pouvoir du peuple), en privilégiant la somme des intérêts les plus individuels et les plus grossiers aux dépens de l’intérêt général et du développement de chacun. C’est, comme l’écrivit John Macintosh en 1791, « le despotisme de la cohue et non le gouvernement du peuple ».
C’est pourquoi l’éducation ne doit pas tirer vers les particularités, vers le bas, mais bien vers le haut. L’Europe doit être culturelle. Elle ne peut se satisfaire d’être constituée d’une population hallucinée par la télévision, avide de droits sur mesure pour les « communautés », de viandes de milliards d’animaux sacrifiés à l’autel de l’hyperconsommation, et de jeux et divertissements de masse. A cet égard il est urgent de réagir ; il est urgent de naviguer selon un rêve commun, celui de la formation de tous les citoyens à la technique, à la culture, et au projet européen.
Le socle commun à la Cité européenne
L’avenir repose sur le passé
Nous vivons, comme la plupart des sociétés du monde d’aujourd’hui, dans une société de la connaissance, c'est-à-dire une société dans laquelle information et moyens techniques sont entremêlés et indissociables. Pour vivre en phase avec une telle société, nous avons besoin d’un bagage technique solide. Mais que peut on attendre, à long terme, d’une société de la connaissance si cette connaissance n’est que fonctionnelle ? La connaissance profonde des idées, des arts et de leur histoire, est essentielle, pour que notre société soit aussi culturelle, chargée de sens, de desseins.
C’est pourquoi il faudrait que la formation des Européens repose sur un socle commun à tous les pays, axé autour de deux angles : la formation technique et la formation culturelle. Ce serait une erreur de privilégier l’un de ces angles en dévalorisant l’autre. Les techniques, les langues, le droit et l’histoire sont des disciplines qui existent depuis toujours en Europe, et correspondent à la fois à la connaissance du passé, aux nécessités du présent et à la possibilité de l’avenir.
Techniques, informatiques
La formation technique est une condition de la survie individuelle et collective.
Dans une société de la connaissance, une personne dénuée de connaissances techniques, incapable de se mettre à jour, est hors d’état de tenir un rôle valorisant. La formation aux techniques informatiques, aux possibilités multiples de communication par la Toile, y est dès lors nécessaire à l’autonomie du citoyen.
Dans une société très développée techniquement, une connaissance adéquate, bien que non spécialisée, des fonctionnements industriels et des enjeux énergétiques, paraît nécessaire pour que le citoyen puisse réfléchir aux sujets qui concernent l’avenir de la planète et de l’humanité. Le domaine réservé des spécialistes est donc une catastrophe démocratique. En démocratie, c’est le peuple qui mène la barque par son vote. S’il a méconnaissance des enjeux qui émanent de son vote, n’est-il pas hors d’état d’exercer son pouvoir ?
Langues
La formation linguistique doit consister en deux choses. La première nécessité linguistique de tout Européen est de connaître sa langue parfaitement – ce qui passe souvent par des études littéraires classiques. On oublie que ce fait n’est pas si évident, et qu’une connaissance aléatoire et non culturelle de sa propre langue est un frein à une insertion épanouissante dans la société : l’inégalité face à la langue et à l’expression, difficile à mesurer, se constate cruellement dans les rapports sociaux.
La seconde formation linguistique nécessaire consiste à être en mesure d’utiliser plusieurs langues avec aisance. Dans un monde multilingue, le monolinguisme est également un barrage à l’insertion et à un engagement entier dans la société. La possession de deux langues dès l’enfance me paraît être un minimum.
Droit
Le système du droit est celui sur lequel l’Europe est fondé, et qu’elle a fortement contribué à implanter dans le monde et les relations internationales.
Notre société est bâtie sur le droit, et régie par le droit au jour le jour. Pourtant, ces deux aspects du droit, théorique et pragmatique, ne sont pas enseignés à l’école. Le droit ne fait pas même l’objet d’une initiation.
Il faudrait instaurer cette double formation au droit, théorique et pratique, dès le secondaire.
L’étude de la théorie du droit (les fondations du droit, les aspects et enjeux d’un Etat de droit) donnerait aux citoyens européens une culture sur les piliers même de leur société. Tandis qu’une formation sur son utilisation concrète dans la société donnerait à chacun les connaissances pratiques qui lui permettent de diriger sa vie dans un monde entièrement régi par le droit, et comblerait le gouffre tragique qui sépare « ceux qui savent » de ceux qui ne sont pas initiés.
Histoire européenne
N’est-il pas essentiel, pour la cohésion de la société, de recevoir une formation géographique, historique et culturelle sur toute l’Europe ?
La compréhension intellectuelle et culturelle du monde dans lequel nous vivons permet de consommer mais aussi de créer, de savoir mais aussi de penser. Sans la connaissance de l’histoire, le citoyen est stupide, malmené par les miasmes et illusions du présent, tellement forts qu’ils annihilent tout. Un bagage solide concernant le passé permet de n’être pas (trop) entraîné par les flux de l’immédiateté, et de garder le cap de l’avenir.
C’est essentiel aussi pour l’avenir lointain de l’Europe.
Il semble illusoire de penser que l’on peut développer une vision commune si le sens d’un passé ne nous lie pas, même si les interprétations de ce passé demeurent variées et conflictuelles. Nous avons besoin de quelque chose de commun qui accompagne les Institutions, qui leur insuffle vie et sens, et les rende ainsi durables. Ne pas ancrer l’Europe dans son vieux passé, aussi éclaté qu’il soit, c’est vouloir construire autre chose que l’Europe.
Nous franchirons la muraille !
L’Europe véritablement démocratique exige des citoyens égaux en droits, mais aussi en formation. C’est ainsi que l’Europe sera digne de ses citoyens ; c’est ainsi que ses citoyens seront au niveau de l’Europe, et préviendront l’oligarchie.
Le défi est immense. Il semble impossible. Que l’Europe estime cela impossible, et elle ne vivra pas longtemps comme une démocratie. Qu’elle prouve que c’est possible, et elle vivra son rêve européen et démocratique. “L'épaisseur d'une muraille compte moins que la volonté de la franchir “ - Thucydide, Histoire de la guerre du Péloponnèse
Edith de CL in Newropeans Magazine, 2006
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lundi, 31 août 2009
Les enfermés
La question de la réparation du crime et de la dignité corporelle
phot Sara
Condamnation et enfermement
La Justice envoie beaucoup en prison. Il est frappant de penser que l’enfermement n’est pas réservé à ceux qui portent atteinte à la vie et à la dignité d’autrui ; des gens qui ne représentent aucun danger pour les autres croupissent de longues années en prison.
S’agit-il de faire payer à quelqu’un sa dette envers la société ou de protéger les membres de la société d’un individu violent ? Ces deux actions se confondent-elles ?
Les citoyens, au nom desquels on enferme, sont-ils seulement en mesure de répondre à ces questions ?
Réparation, dépossession
Les moyens de réparer un tort – travaux, amendes - ne manquent pas.
Pourquoi la société ne demande-t-elle pas plus souvent au « coupable » de réparer son tort, au lieu de lui faire subir une exclusion et de porter atteinte à sa dignité pendant un certain nombre d’années ?
Enfermer, c’est prendre possession du corps de l’autre. Dès lors, la prison ne devrait-elle pas être réservée aux gens dont la liberté de mouvement constitue une menace pour les corps, la vie, la santé des autres ? Peut-elle servir à autre chose qu’à protéger la société du meurtre et du viol ?
Respect et protection
Si nous admettons que la peine de prison n’est ni une punition – une société humaniste ne punit pas en enfermant les corps et en annihilant l’intimité -, ni une réparation – est-ce réparer, que de subir un enfermement ?-, alors elle ne constitue rien d’autre qu’une « solution » extrême et désespérée de protéger les gens. Dès lors, nous devrions faire en sorte que les criminels dangereux soient traités au mieux. Assurer à la personne que l’on enferme pendant plusieurs années, plusieurs dizaines d’années, un confort qui traduise le respect que nous accordons à la vie humaine et permette au prisonnier de vivre, au sens entier du terme : penser, se déployer dans l’espace, contempler la vie.
Espace vital
La question du (statut du) corps, animal ou spécifiquement humain, est centrale dans beaucoup de nos activités. On s’approprie le corps des animaux. On enferme de force les « malades mentaux ». On prive les prisonniers de leur liberté de mouvement.
Jusqu’à quel point la société peut elle prendre possession du corps et de l’intimité du criminel ou du déviant ?
Devrait-on définir le droit à un espace vital minimal, inaliénable ? Quel serait-il ?
Cette question, nous nous la posons de plus en plus au sujet des animaux. Mais nous devrions aussi considérer la prison sous cet angle corporel : quelle étendue spatiale et quelle possibilité d’intimité laissons-nous à ceux que nous enfermons ?
La question de la prison devrait tous nous préoccuper.
L’utilisation de la prison révèle notre rapport au corps humain, au corps d’autrui, et notre vision de la justice.
Edith de Cornulier-Lucinière
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mercredi, 26 août 2009
Ave Imperator ! Morituri te salutant !
« S'il faut donner son sang, Allez donner le vôtre, Vous êtes bon apôtre, Monsieur le président »
Boris Vian
« Du combat, seuls les lâches s'écartent »
Homère
Dans l’Antiquité, puis au Moyen-Âge, les chefs étaient au premier rang dans les batailles. Peu à peu, les dirigeants apprirent à faire la guerre sans risquer leur vie.
Lors de la campagne française en Russie, le prince russe, Bagration, finissait certaines batailles au corps à corps… Dans le camp d’en face, l’empereur Napoléon restait en retrait du champ de bataille. Il risquait beaucoup moins sa vie que ses prédécesseurs ; mais les canons sifflaient sur sa tête et il pouvait à tout moment exploser avec sa longue-vue. Pourtant, il fuit en cachette la Russie, pour rejoindre Paris, où il reprit sa vie de palais pendant que ses soldats mouraient de faim, de froid et de fatigue dans la neige russe. Il ouvrait ainsi une ère très agréable aux chefs : celle où leurs décisions ne les engageaient plus à mourir.
Certaines scènes appartiennent à nos époques, comme celle d’un chef des armées qui dirige les opérations depuis sa maison de campagne, n’ayant aucune expérience matérielle, physique et psychologique de ce qu’il prône. Il nous paraîtrait aberrant que Messieurs les présidents de la république des Etats-Unis d’Amérique, d’Israël, du Liban, soient en train de se battre aux côtés de leurs soldats, de lâcher eux-mêmes les bombes sur les villes et sur les populations.
Saint-Exupéry écrivait : « La guerre, ce n’est pas l’acceptation du risque. Ce n’est pas l’acceptation du combat. C’est, à certaines heures, pour le combattant, l’acceptation pure et simple de la mort ». Cette parole est vraie pour ceux qui font la guerre ; elle ne l’est pas pour ceux qui la décident, ni pour ceux qui la votent à l’Assemblée, ni pour le chef des armées. Pour eux, il ne s’agit pas de l’acceptation de leur propre mort, mais de celle des autres.
La répartition des rôles et des métiers a ses utilités, ses justifications, certes.
Mais le sacrifice de la vie des autres n’exige pas le même engagement personnel que l’acceptation de sa propre mort… L’observation des hommes et des animaux nous rappelle assez comme l’horreur de la mort et l’amour irrationnel de la vie sont répandus ; la gloire de ceux qui décident la guerre, et la mort de ceux qui la font, laissent rêveur.
Comme les chefs d’Etat, la plupart des citoyens ne connaissent pas la guerre réelle, directe, celle qui fait irruption dans la vie pour balayer toutes les choses aimées. Que signifie « intervenir en Afghanistan, en Irak, en Serbie », pour un citoyen dont le rapport à la guerre se réduit à regarder une télévision ? La perte de soldats français en Afghanistan ne faisait pas même l’objet d’une ligne dans les grands journaux français. Le peuple français ne s’intéressait pas aux conséquences des décisions prises en son nom, puisqu’il n’était pas en danger.
« Se faire tuer » est le métier du soldat ; les citoyens des nombreux Etats engagés en Serbie pouvaient approuver de concert les interventions meurtrières sans réfléchir outre mesure. S’ils avaient été concernés par la mort, sans doute la défense guerrière des droits de l’homme aurait paru moins alléchante, plus discutable.
A la barbarie des chefs sanguinaires des despotismes d’antan, succède l’indifférence des technocrates décisionnaires. Dès lors, comment penser la guerre ? Faut-il la refuser complètement ? Ou, considérant qu’elle est inéluctable, faut-il l’organiser ?
Lorsqu’on compte les morts au combat, comment accepter que le chef des armées ne déplore pas la moindre foulure, ni même une tâche de boue sur ses costumes ?
Quelle est la valeur d’une décision qui met la mort en jeu, quand le décisionnaire sait que lui et les gens qu’il aime seront totalement épargnés ? Dans quelle mesure des chefs d’Etat et des ministres, désolidarisés, dans les faits, de ceux qui mourront d’appliquer leurs décisions, peuvent-il les représenter officiellement ?
Quelle considération donner à des décisions prises par des hommes protégés, sacrifiant, au nom des droits de l’homme ou au nom d’autres idéaux paisibles, la vie d’autres hommes ? Y a-t-il une légitimité à voter la mort des autres, même au nom des idéaux les plus élevés, quand soi-même on ne s’engage pas dans la bataille ? La réponse à ces questions abyssales oscille entre la vie et la mort.
Edith de Cornulier-Lucinière, Paris
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