jeudi, 20 février 2020
Les sirènes (du port) d'Alexandrie
Encore un extrait de Bonaparte en Egypte ou le rêve inassouvi, de Jacques Benoist-Méchin.
« Lorsque Bonaparte jeta les yeux autour de lui, ce qu'il aperçut le déçut profondément. Nourri de Suétone et de Plutarque, il s'attendait à trouver une cité gréco-romaine mirant dans la mer le marbre de ses palais. Or, ce qu'il voyait ne répondait en rien à son attente.
La ville dont Alexandre avait tracé le plan en répandant sur son sol des traînées de farine blanche que des nuées d'oiseaux étaient venus picorer, et où Antoine et Cléopâtre avaient mené, trois cents ans plus tard, leur « vie inimitable », avait, hélas ! beaucoup déchu depuis l'arrivée des Arabes et, plus encore, depuis 1518, date à laquelle le Sultan Sélim l'avait rattachée à l'Empire ottoman. Son phare célèbre s'était écroulé ; son port s'était ensablé ; ses palais avaient disparu. Le nombre de ses habitants, qui dépassait le million au temps des Ptolémées, était tombé à huit mille et la ville s'éait encore rétrécie à l'intérieur de ses remparts. Comparée à la métropole antique dont elle perpétuait le souvenir, l'Iskanderyeh des Turcs n'était plus qu'une misérable bourgade.
Bien que les descriptions de Volney et de Savary eussent mis Bonaparte en garde contre l'incurie musulmane et les ravages du temps, il ne s'attendait pas à une transformation aussi radicale. Pourtant, malgré son état de délabrement et d'abandon, Alexandrie dégageait encore un charme prenant. Ses rues étroites bordées de murs d'une blancheur éclatante, ses maisons à terrasses qui semblaient dépourvues de toits, les touffes de palmiers qui dressaient de loin en loin leurs panaches vers le ciel, les flêches grêles des minarets qui portaient une balustrade dans les airs, tout avertissait Bonaparte qu'il était dans un autre monde.
Cette impression était encore renforcée quand ses regards descendaient à terre pour contempler la foule qui animait les places et les marchés. À mesure qu'il avançait à travers les rues, il croisait une multitude d'êtres à la silhouette étrange. Leur langage chantant et guttural, leurs visages basanés, leurs longs vêtements flottants, leurs têtes coiffées de turbans et leurs cafetans multicolores formaient un tableau pittoresque dont les moindres détails se gravaient dans son esprit. Là, une file de chameaux s'avançaient, chargés de fardeaux énormes ; plus loin, un petit âne sellé et bridé transportait légèrement un cavalier en babouches ; ailleurs encore, un homme accroupi sur une natte faisait griller des brochettes sur un petit lit de braises. La ville entière semblait s'adonner à une turbulente oisiveté. Et sur le tout planait une odeur indéfinissable d'huile rance et de cuir, de menthe et d'aromates. Oui, c'était bien l'Orient, cet Orient dont il avait rêvé sur la jetée d'Ancône et dont Malte ne lui avait apporté qu'un simple avant-goût.
Mais dès qu'on quittait l'enceinte sarrasine on se trouvait devant un immense champ de ruines où reparaissait le visage de l'Antique Alexandrie. La colonne de Pompée et les obélisques de Cléopâtre témoignaient encore de sa grandeur passée. Mais ils n'étaient pas les seuls. Vers la porte de Rosette, cinq colonnes en marbre blanc signalaient l'emplacement d'un temple romain. Aux abords du môle, des fûts granitiques couverts d'hiéroglyphes servaient d'assises aux maisons consulaires et des mosquées arabes s'exhaussaient sur un péristyle égyptien. À chaque pas, l'on rencontrait des murailles pendantes, des chapiteaux mutilés, des statues tombées de leur piédestal et renversées dans le sable. Car le désert, dont rien ne retenait les envahissements, s'était jeté sur Alexandrie comme sur une proie. Il avait enterré les pilastres, recouvert les colonnades, rongé les chapiteaux, comblé les aqueducs et stérilisé la campagne, jadis si verdoyante. Ces débris grandioses d'une époque révolue dégageaient, nous dit Volney, une mélancolie si poignante que ceux qui les voyaient pour la première fois en éprouvaient une émotion qui passait souvent aux larmes ».
Jacques Benoist-Méchin, Bonaparte en Égypte ou le rêve inassouvi.
Sur AlmaSoror :
Mon frère, je contemple ton visage
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mardi, 18 août 2015
La méditation de Baalbek
Au milieu des années 1950, Jacques Benoist-Méchin, en voyage au Moyen-Orient, visite le temple de Baalbek, au Liban. Il y médite sur l'arbre, sur l'homme et sur la pierre, et cela forme ce fragment d'un chapitre de son ouvrage Un printemps arabe, sorti en 1959 aux éditions Albin Michel en France.
photo Sara
« Il y a, dans tous les lieux du monde, un rapport intime entre les arbres et les colonnes, car c'est en regardant les uns que les hommes ont façonné les autres. Les piliers et les nervures qui soutiennent les voûtes de nos cathédrales sont à l'image des tilleuls et des hêtres de chez nous. Les colonnettes élancées des mosquées irakiennes s'inspirent des troncs sveltes des palmiers-dattiers. Les colonnes de Baalbek, quant à elles, n'ont pu naître que dans le voisinage d'arbres puissants et majestueux. Ils sont là, en effet, plus puissants et plus majestueux qu'on ne s'y serait attendu. Leur beauté ne surpasse pas seulement celle des colonnes : elle est d'un autre « ordre ». Un degré les distingue de leurs frères de pierre, mais ce degré est celui qui sépare l'inerte du vivant.
Car les arbres vivent. Ils croissent. Ils respirent. Ils dorment. Ils font l'amour. Pour qui sait les regarder, ils sont des êtres animés, constamment occupés à transformer la lumière en vie.
Comment s'opère cette transformation ? C'est un des mystères les plus profonds de la nature, un mystère que l'homme n'a élucidé que tout récemment. Cette découverte devrait le remplir d'une stupeur sans bornes et renouveler de fond en comble sa conception du monde. Mais il n'en est rien. Toujours en quête de miracles impossibles, il reste indifférent à ceux qui s'accomplissent sous ses yeux. Et parce qu'ils se déroulent au sein d'un silence qui est la signature de leur perfection, il passe à côté d'eux, sans même y prendre garde.
Je contemple ces troncs robustes où la sève monte lentement à la rencontre du soleil. À travers mille opérations fulgurantes, mais invisibles, des cataractes de lumière y sont transformées, chaque seconde, en torrents d'énergie. Chaque aiguille, chaque bourgeon, est le siège d'une activité qui laisse loin derrière elle le travail de toute une ville. Et pourtant ces arbres dégagent une sensation de calme et de sérénité. Rien ne trahit l’œuvre prodigieuse qui s'accomplit en eux. On pourrait vivre auprès d'eux pendant toute une existence sans s'en apercevoir.
Ils ne sont pas accordés au temps de la même façon que nous. La vie et la mort n'y sont pas répartis de la même manière. Quel âge ont-ils ? Sectionner leurs troncs pour compter leurs anneaux n'est pas seulement une opération grossière. C'est un leurre. Ces arbres sont incessamment occupés à naître et à mourir. Leurs troncs sont plusieurs fois centenaires. Mais à la pointe de leurs ramures, des myriades de petits bourgeons ont la verdeur innocente des choses qui viennent d'éclore. Ce sont des ancêtres dont le front se pare d'une jeunesse toujours nouvelle.
En réalité, un arbre ne meurt jamais. Il faudrait brûler jusqu'à ses dernières racines, pour tuer le courant de vie dont il est le réceptacle. Car même déraciné, terrassé, abattu, on ne peut empêcher qu'un surgeon n'en jaillisse, et ce surgeon est aussi frais et aussi jeune qu'au premier jour.
À la question : « Quel est leur âge exact ? » il est impossible de répondre. Les cèdres que j'ai en ce moment sous les yeux, ne sont que des instants dans l'existence de leur espèce. Chacun d'eux est entouré d'une forêt invisible : celle que constituerait, si on pouvait la voir, la longue lignée d'ascendants à travers lesquels il rejoint le premier cèdre du monde. Ses origines remontent à des millions d'années, à une époque où l'homme n'avait pas encore fait son apparition sur la terre, et l'expérience qui s'est accumulée depuis lors dans ses ramures, constitue une somme incalculable de sagesse.
Cette sagesse, il ne la dispense qu'à ceux qui en sont dignes. Aux autres, il n'offre que son silence et sa fraîcheur. Il faut avoir scruté ses mystères et les plus intimes pour savoir qu'il est surgi de la lumière elle-même, qu'il est, à proprement parler, une masse de lumière stabilisée. La plupart du temps, on passe à côté de cette révélation. Lorsque debout à son pied, on tend le regard vers la frondaison immense qu'il déploie dans l'azur, on n'entend que le murmure de la brise qui l'agite et, de temps à autre, le craquement de son écorce qui expulse ses éléments morts.
Nous connaissons aujourd'hui une grande partie des phénomènes qui se déroulent au fond de ses milliards de cellules, et nous les traduisons en langage scientifique. Les Anciens les ignoraient. Mais ils n'en sentaient pas moins que ces arbres contenaient un mystère insondable – le mystère même de la vie – dont la présence les remplissait d'une ivresse poétique. C'est pourquoi ils les ont entourés, à travers les siècles, d'un flot ininterrompu d'invocations et de prières. Les Psaumes et le Cantique des Cantiques font constamment allusion à leur puissance et à leur splendeur. « Ma fiancée est plus belle que l'aurore sur les neiges, mon fiancé est plus fort que les cèdres sur le Liban... Je chanterai Ta gloire comme la chantent les arbres ; mes vêtements auront l'odeur des cèdres du Liban ».
Prophètes et patriarches n'ont cessé de célébrer leur louange. Et sans doute ont-ils eu raison. Car si les colonnes de Baalbek nous donnent une idée exaltée de la grandeur de l'homme, les cèdres nous apportent un avant-goût de la majesté de Dieu ».
Jacques Benoist-Méchin
In Un printemps arabe, 1959
Du même auteur, à la si belle plume, sur AlmaSoror :
Epuration : l'auteur raconte sa condamnation à mort à la Libération
Trois esthètes du XX°siècle : Romain Rolland, Jacques Benoist-Méchin, Raoul Vaneigem
Le style immense et plein de pensée de Jacques Benoist-Méchin
L'invasion de l'Europe dans les années 700
Plume d'or sous un manteau d'étoiles
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dimanche, 10 août 2014
Plume d'or sous un manteau d'étoiles
Voici quelques lignes pleines du charme subtil, sensuel et retenu, de la plume d'or de Jacques Benoist-Méchin. Elles sont tirées de son ouvrage intitulé Le roi Saud ou l'Orient à l'heure des relèves (1960), consacré au roi Saud, fils d'Ibn Séoud, à qui il avait aussi consacré un sublime ouvrage (Ibn Séoud ou la naissance d'un royaume).
« Joignant tous les avantages du confort occidental à un luxe qui semble emprunté au siècle des Califes, ce « Victorial des Arabes » est un palais de rêves où tout – depuis la forêt de lustres et les girandoles de cristal, jusqu'aux massifs de roses et aux fontaines lumineuses – conspire à donner à ceux qui le visitent un sentiment exalté du pouvoir et de la richesse du roi.
Comme il y fait bon vivre, et comme on y oublie volontiers les problèmes angoissants qui tourmentent notre époque ! Pourtant, trop de préoccupations y assaillent encore le souverain. Celui-ci ne se sent vraiment heureux que lorsqu'il peut partir à la chasse, escorté de ses Emirs, de sa Garde du corps et de ses fauconniers. Ce sont alors des randonnées fougueuses à travers le Nedjd et l'Azir, sans souci de l'heure qui passe ni même du lendemain. Ici, aucune contrainte. Les repas sont servis sous des tentes de soie, et le bruissement des Cadillacs cède la place aux hennissements des étalons arabes. Tout s'efface devant la grandeur incommensurable du désert et les soucis du pouvoir se dissolvent dans un sentiment de liberté illimité.
Après une halte à l'ombre d'une palmeraie, ou au pied d'un château fort médiéval dont les donjons crénelés découpent leur masse fauve sur un ciel transparent comme une aigue-marine, la cavalcade reprend au cri aigu des faucons. Elle se poursuit jusqu'à la tombée du jour, quand le soleil décline et remplit tout l'espace d'une lueur safranée. Vidons, jusqu'à l'épuisement cette coupe de délices, qui ne se représentera plus ! Voici un des derniers lieux du monde où l'homme puisse s'abandonner aux mêmes instincts que ses ancêtres et connaître cette dilatation de l'âme qui rend insignifiants tous les autres bonheurs.
Mais ne nous y trompons pas : pour enivrant qu'il soit, ce spectacle n'en est pas moins celui d'un crépuscule – le crépuscule d'une féodalité. Il a quelque chose de poignant comme la fin d'un beau rêve et son charme a la fragilité des choses qui vont périr...
Oui, cette coupe de délices ne se représentera plus. Un autre monde, dur et impitoyable, engloutira celui-ci et n'en laissera subsister qu'un regret ébloui.
Mais la féerie se prolonge encore un peu, lorsqu'au retour d'une de ces cavalcades, mille fuseaux opalescents s'allument au fond du parc de Nasrya. Les allées bordées de lauriers-roses, de térébinthes et de grenadiers s'enfoncent dans la nuit, au milieu d'un silence qu'approfondit encore le murmure des fontaines. Tout au loin, une voix psalmodie le verset sacré :
- « O vous qui allez dormir, remettez votre âme en garde à Celui qui ne dort jamais... »
Alors, une paix merveilleuse descend sur ces jardins où la grandeur et la solitude vous ouvrent leurs trésors et où les heures glissent, sans laisser de traces, tandis que l'Arabie s'endort sous un manteau d'étoiles ».
Le roi Saud où l'Orient à l'heure des relèves, par Jacques Benoist-Méchin, 1960, Albin Michel
Les visiteurs d'AlmaSoror avaient déjà pu rencontré cet auteur maudit, à la si belle plume, à la vie impressionnante de contradictions et de rebondissements :
Il est cité dans Le désillusionné
Il est mentionné et cité dans La fabuleuse plume de Jacques Benoist-Méchin
Il est cité et mentionné dans Le style immense et plein de pensée de Jacques Benoist-Méchin
Il est mentionné et cité dans Trois esthètes du XX°siècle : Rolland, Benoist-Méchin, Vaneigem
Il est cité dans Épuration.
Il est cité dans Fragment d'un printemps arabe
Il est cité dans Invasion de l'Europe - Année 700
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mercredi, 11 juin 2014
Index nominum, : la lettre B
En huit ans d'existence, AlmaSoror a égrené de nombreux noms propres dans ses pages electro-poussiéreuses. Le chantier de l'index est entamé, mais bien loin d'être achevé. C'est donc une lettre B en construction que nous vous livrons ici et qui permettra à ceux qui viennent depuis longtemps de retrouver, peut-être, de vieux articles qu'ils avaient oubliés.
B
Babx
Il est cité (sans que son nom soit mentionné) dans Deuil d'une illusion
Jean-Sébastien Bach
Il est mentionné dans Auto(?)censure
Gaston Bachelard
Il est cité dans Sanctuaire
Normand Baillargeon
Il est cité dans Québec : l'accent d'une pensée
Honoré de Balzac
Il est mentionné dans Auto(?)censure
Arturo Bandini
Il est mentionné dans Mémoires de nos lectures
Alexina (Herculine Abel) Barbin
Alexina est mentionné(e) dans Vigny aux temps électros
Barynsflook
Il est l'auteur de Dangereuse beauté
Il est l'auteur de L'incompréhension notoire de l'homme
Charles Baudelaire
Il est mentionné dans Auto(?)censure
Il est mentionné dans Au confessionnal du cœur
Béja
Il est mentionné dans La musique de Nadège
Il est mentionné dans Moineville : la ville des écrivains
Il est mentionné dans Le sexe des anges
Ota Benga
Il est mentionné dans Ota Benga
Jacques Benoist-Méchin
Il est cité dans Le désillusionné
Il est mentionné et cité dans La fabuleuse plume de Jacques Benoist-Méchin
Il est cité et mentionné dans Le style immense et plein de pensée de Jacques Benoist-Méchin
Il est mentionné et cité dans Trois esthètes du XX°siècle : Rolland, Benoist-Méchin, Vaneigem
Il est cité dans Épuration.
Il est cité dans Fragment d'un printemps arabe
Il est cité dans Invasion de l'Europe - Année 700
Cyrano de Bergerac (personnage)
Il est mentionné dans Militants radicaux des deux extrémités du centre
Cyrano de Bergerac (auteur)
Ingmar Bergman
Il est cité en exergue d'Alcool, liberté, littérature
Il est cité dans Dialogues du septième sceau
Il est cité en exergue d'Intemporalité
Claude Bernard
Il est mentionné dans La faculté de médecine au XIX°siècle
Paul Bert
Il est cité dans Mélange de paternités
Aloysius Bertrand
Il est mentionné dans Au confessionnal du cœur
Pierre Bez(h)oukov
Il est cité dans Où il y a jugement, il y a injustice
Patrick Biau
Il est cité dans Paysage
Il est cité dans Soleil noir foncé
Black Agnès
Les deux noires Agnès sont mentionnées dans Black Agnès
William Blake
Il est mentionné dans Auto(?)censure
Marc Bloch
Il est cité dans La bibliothèque éparpillée : une histoire symbolique du moyen âge
Enid Blyton
Elle est mentionnée et citée dans Auto(?)censure
Jules Boissière (Voir à Khou Mi)
Laurence Bordenave
Elle est l'auteur de Eau de Coco
Elle est citée dans Palette
Elle est l'auteur de A tâtons N°2
Elle est citée dans La duplication de Mari
Elle est mentionnée dans Passage de Baude Fastoul (extrait des 29 et 30 mai)
Elle est citée dans Auto(?)censure
Saint Jean Bosco
Il est mentionné dans Ecclesia
Jean Bouchenoire
Il est dédicataire de Ignis Fatuus
Il est cité dans Le flot urbain
Il est cité dans La trace de l'archange
Il est cité dans Le soldat inconnu
Alain Bouissière
Il est mentionné dans Quatuor d'un monde en chantier
Nicolas Bourbaki
Il est mentionné dans Nécrologie de Nicolas Bourbaki (1968)
Anouar Brahem
Il est mentionné dans La vie tranquille de Dylan-Sébastien M-T
Tieri Briet
Il est cité dans Capitaine Corbeau Noir
Il est mentionné dans Te revoilà Tieri !
Il est mentionné dans La naissance des ours
Il est mentionné dans Réponse à une question de Tieri Briet
Il est mentionné dans Beauté des affiches des deux bouts de la politique
Il est mentionné dans La carte du Tendre
Il est mentionné dans Les commentaires de Tieri sur AlmaSoror
Il est cité dans Orso dort encore
Il est cité dans Malgré l'hiver des sentiments
Il est mentionné dans A quoi ressemblent tes amoureux ?
Il est mentionné dans Petite brouette de survie, album de route et de mer
Il est cité dans Sens et Mystique des Sens : épisode 9
Il est le photographe de Qui a peur des hamacs ?
Brunehaut
Elle est mentionnée dans Brunehaut, la perdante
Hanno Buddenbrook
Il est l'auteur d'Amour d'un homme pour son petit garçon
Luis Buñuel
Il est cité dans l’Éloge de la Mémoire
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mardi, 01 octobre 2013
Premier octobre : billet anniversaire
AlmaSoror, qu'as-tu fait le premier octobre 2012 ?
J'ai loué la fabuleuse plume de Jacques Benoist-Méchin.
2011 ?
Je dormais.
2010 ?
Écoutez la musique de Nadège...
2009 ?
Lisez le journal de Mavra...
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lundi, 31 décembre 2012
Fragment d'un printemps arabe
Jacques Benoist-Méchin écrit comme un dieu de l'esthétique, un metteur en scène littéraire. Voici des lambeaux de son Printemps arabe, publié en 1959 aux éditions Albin Michel.
« Passe devant nous, semblable à une citadelle resplendissante de blancheur, l'Olympic Cloud, un pétrolier de 30 000 tonnes... Ce château de rêve glisse lentement devant nos yeux. Sa gloire immaculée domine de haut le désert, les dunes et le faîte des palmiers.
Ce palais majestueux a l'inconsistence d'un mirage. Il semble sur le point de se dissoudre dans la nuit.
...
Les réservoirs de pétrole semblent des cratères d'acier portés à l'incandescence où les damnés se tordraient dans un bouillonnement de bitume. Tout au loin, à moitié masquées par un écran de dunes, des nappes de lumière blanche, d'une lividité spectrale, semblent indiquer les points où le désastre est consommé. Sont-ce des météores tombés au-delà des horizons, des satellites qui achèvent de se désagréger dans un halo de sodium ? Non. Ce sont les raffinements de Ras-Tanura et de Bahrein. De jour, la distance ne permet pas de les apercevoir. Mais la nuit, par temps voilé comme c'est le cas ce soir, leur clarté blafarde, rétractée par les nuages, teint le ciel d'une lueur qui n'est pas de ce monde. Je reste pétrifié devant ce spectacle hallucinant, que Dante lui-même aurait hésité à décrire. Quel sens faut-il donner à ce décor luciférien, où l'orgueil de l'homme moderne rejointe celui de l'archange déchu ?
...
Si le désert est le règne du silence et de l'immensité, ici c'est le règne de la sérénité et du calme. Pas un souffle dans l'air, pas une ride sur l'eau. La mer est si paisible que ses bords ne sont même pas ourlés d'une frange d'écume. Détachées du rivage, des lagunes flottent paresseusement à sa surface. On les croirait suspendus à mi-chemin entre deux ciels, car tout est imprégné de la même pâleur nacrée. Pas de ligne d'horizon. Là où cesse la terre, commence simplement un vide au sein duquel les éléments se dissolvent en fumée. On se croirait arrivé aux confins du monde.
...
Je regarde Daraya la morte. La ville paraît ensevelie dans un linceul de lumière. »
Nous parlâmes de Benoist-Méchin déjà sur AlmaSoror :
Trois esthètes du XX°siècle : Romain Rolland, Jacques Benoist-Méchin, Raoul Vaneigem
Le style immense et plein de pensée de J B-M
L'invasion de l'Europe - années 700
Et encore un extrait du Printemps arabe :
"Les Grecs n'étaient pas les contemporains de leurs adversaires. Ils avaient mille ans d'avance sur eux. Devant cette pensée lucide, expérimentale et spéculative, que pouvait l'Orient encore tout empêtré dans ses philtres et ses incantations ?
Pour Darius, Babylone était le centre de l'univers alors qu'Alexandre était déjà au seuil de l'héliocentrisme. Ses victoires n'étaient pas seulement celles de la mobilité sur la stagnation, de l'individu sur la masse, de l'intelligence sur le rêve ; c'étaient celles de la forme sur l'informe, de l'ordre sur le chaos. C'étaient celles d'un Europa-Korps sur les foules asiatiques".
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lundi, 01 octobre 2012
La fabuleuse plume de Jacques Benoist-Méchin
N'est-ce pas l'un des plus grands écrivains du XX°siècle - n'est-ce pas le plus grand styliste ?
Un extrait de son Printemps arabe, publié par Albin Michel en 1959 :
"Nous passerons donc cette dernière nuit à l' « Oriental Palace ».
Mais avant de me rendre à l'hôtel, où j'ai fait déposer mes valises, je veux profiter de cette soirée pour faire un tour en voiture et flâner un peu au bord de la mer, au-delà de Shuwaik.
Depuis mon arrivée à Damman, où je l'ai aperçu pour la première fois, le golfe Persique m'est apparu comme une des régions les plus prenantes du monde. Je l'ai revu à Dahran, à Ras-Tanura, à Mina-el-Achmadi, et chaque fois mon bonheur n'a cessé de grandir. Cette étendue de sables et d'eaux entremêlés possède un pouvoir d'envoûtement auquel il est impossible de se soustraire. Je me représentais le golfe comme un bloc d'outremer, enchâssé dans des récifs cuivrés où les vagues viendraient battre sous un soleil implacable. Il n'en est rien. La terre est si lisse qu'on n'en voit pas la fin. Elle glisse sous l'eau par une pente insensible pour renaître quelques centaines de mètres plus loin sous formes d'écharpes de moire, comme si elle ne se résignait pas à mourir.
Le paysage est d'une douceur vraiment édénique. La mer est immobile. La côte a la pâleur du verre dépoli et le ciel répand sur elle un rayonnement diffus. Ce n'est pas par hasard si l'on trouvait ici, jadis, les plus belles perles du monde. Toute la nacre du ciel, de la terre et des eaux venait se condenser au fond des coquilles. Aujourd'hui, les pêcheries ont disparu. Mais le décor n'a pas changé. Il semble toujours prêt à engendrer ces petites sphères irisées, grandies au fond d'une mer caressante et laiteuse.
Le crépuscule descend. L'auto glisse sans bruit le long de la route qui épouse la courbe de la grève. Une plage à peine inclinée, d'une couleur indéfinissable, sépare la chaussée de la mer. Au loin, les palais des princes disséminés dans la plaine allument leurs girandoles roses. On dirait des cuirassés parés pour une fête. Le chauffeur abaisse une touche de son poste de radio. Une voix s'élève comme un sanglot au milieu de toute cette douceur. C'est une chanson française retransmise par Damas.
Oh, je voudrais tant que tu te souviennes
Des jours heureux où nous étions amis
En ce temps-là, la vie était plus belle
Et le soleil plus brûlant qu'aujourd'hui...
L'auto poursuit sa course. Des formes indistinctes sont accroupies devant leurs maisons pour jouir du calme du soir. De loin en loin, des filets de pêche que l'on a mit à sécher tendent leur écran transparent, comme une offrande à la nuit.
Tu vois, je n'ai pas oublié
La chanson que tu me chantais
Oh non ! Je ne l'ai pas oubliée ! Que de fois ne l'ai-je pas entendue quand j'étais en prison ! De l'autre côté d'un mur d'enceinte qui le rendait invisible, un prisonnier la chantait à la tombée du jour et je l'écoutais, le cœur battant, à travers les barreaux de ma cellule. Ses accents nostalgiques éveillaient en moi les regrets de ma jeunesse écoulée, de visages aimés que je ne reverrais plus... Et voici que ce refrain vient me relancer jusque sur les bords du golfe Persique, au fond de ce crépuscule grandissant, pour me rappeler mes illusions enfuies et me faire monter les larmes aux yeux. Que la vie est étrange ! Qui m'eût dit qu'un jour j'entendrais s'élever au plus profond de l'Orient cet écho lointain de ma captivité !
C'est une chanson
Qui me ressemble
Toi qui m'aimais
Et je t'aimais
Et nous allions
Tous deux ensemble
Toi qui m'aimais
Moi qui t'aimais
L'un après l'autre, une couronne de feux rouges s'allume au sommet des châteaux d'eau qui dominent la ville. Leur partie haute est opaque. Mais leur base à claire-voie laisse filtrer les derniers rayons du soleil, de sorte qu'ils semblent flotter à la surface du jour.
Mais la vie sépare ceux qui s'aiment
Tout doucement, sans faire de bruit...
Tout cesse et pourtant tout continue, comme ce paysage suspendu au bord de l'évanouissement. Malgré la tristesse qui m'envahit, je veux savourer pleinement l'enchantement de cette heure. Une vieille carène de felouque dresse vers le ciel ses côtes dénudées. Nous approchons du cimetière de bateaux. Sur la plage, qui semble à présent plus lumineuse que la mer, des jeunes gens dansent en se tenant par la main. Leur ronde tourne sur elle-même, lentement, comme les étoiles. Sentent-ils la mélancolie poignante de cet instant ? Ou n'est-il triste que pour moi ? Pourquoi faut-il toujours s'en aller, s'arracher à ce qu'on aime ?
Déjà les ombres gagnent. Elles dissolvent les formes immobiles accroupies sur le seuil de leurs portes, le profil des maisons, les étraves des navires. Tout cela aussi ne sera bientôt qu'un souvenir... je dis au chauffeur de faire demi-tour.
Et la mer efface sur le sable
Les pas des amants désunis
Au loin, indifférente à l'heure qui passe, Koweit scintille de tous ses feux".
Jacques Benoist-Méchin, Un printemps arabe, fin de la troisième partie
Sur AlmaSoror nous avions déjà mentionné cet écrivain :
Epuration : l'auteur raconte sa condamnation à mort à la Libération
Trois esthètes du XX°siècle : Romain Rolland, Jacques Benoist-Méchin, Raoul Vaneigem
Le style immense et plein de pensée de Jacques Benoist-Méchin
L'invasion de l'Europe dans les années 700
Les photographies qui accompagnent ce billet sont de Mavra Nicolaïevna Novogrochneïeva
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samedi, 24 décembre 2011
épuration
Jacques Benoist-Méchin, dans ses mémoires, raconte sa condamnation à mort.
"... Par ces motifs,
Condamne Benoist-Méchin à la peine de mort, le condamne à la dégradation nationale à vie, le condamne à tous les dépens,
Ordonne que le présent arrêt sera exécuté à la diligence de M. le procureur général,
Fait et prononcé au palais de Versailles, salle des Congrès, le 6 juin 1947, à 18h30.
Selon les dires d'un témoin (J-B Derosne, dans le journal l'Epoque, du 7 juin 1947), je n'ai pas bronché durant la lecture de l'arrêt. Comment pourrait-il en être autrement puisque d'être condamné à mort me laisse indifférent ? Mais je sens monter en moi une grande vague de commisération.
Au terme des débats, le président m'a demandé "si j'avais quelque chose à ajouter pour ma défense". J'ai répondu par la négative, sachant que ma cause était jugée d'avance et qu'aucune de mes paroles ne parviendrait à combler l'abîme qui me sépare de mes accusateurs. Ceux-ci ont voulu me retrancher du monde ; mais moi, de par ma propre volonté, je me suis déjà retranché d'eux.
Pourtant, je n'en ai pas encore fini avec le public qui a suivi pendant bientôt huit jours les audiences de mon procès. Je ne peux lui laisser croire que j'accepte les termes de l'arrêt. Je me tourne vers la salle et m'écrie en guise de protestation :
- Tout cela n'est qu'un tissu de mensonges ! C'est comme s'il n'y avait pas eu de procès...
Je n'ai pas eu besoin de réfléchir pour trouver ces mots. Ils ont jailli spontanément de ma poitrine. En les proférant, j'ai tendu les bras vers l'assistance en geste d'adieu. Et voilà que l'assistance me répond en me tendant les siens. Dans les tribunes, des femmes pleurent ; des hommes me saluent d'un geste de la main ; d'autres applaudissent. Des cris fusent de toutes parts. Dans la loge réservée au président de l'Assemblée nationale, une jeune femme très belle, que je ne connais pas, se dresse et prononce avec indignation des mots dont le sens m'échappe car ils sont recouverts par le brouhaha général (c'est seulement beaucoup plus tard que j'apprendrai qu'elle s'appelle Anne de La Houssaye). Le tumulte augmente. Les jurés qui se dirigeaient vers la sortie se retournent et pâlissent. Le président Noguères s'écrie d'une voix dramatique : "Gardes ! Faites évacuer la salle !" Je ne vois pas la fin de la scène, car un lieutenant de la gendarmerie me reconduit, encadré de deux gendarmes, au petit salon qui m'est réservé.
Tandis que je m'éloigne de la salle des congrès, un vers que j'avais oublié remonte à ma mémoire :
Ô vous dont la barque est petite, retournez
à vos rivages...
C'est celui par lequel Dante a voulu signifier leur congé aux détracteurs de la Divine Comédie. Je n'en connais point qui reflète un dédain plus hautain. C'est à peu près ce que je ressens, en cet instant où, tournant le dos à mes juges que je ne reverrai jamais et laissant derrière moi un monde qui ne m'est plus rien, je m'engage dans un voyage sans retour sur une mer sans rivages. Comme si un fardeau pesant était tombé de mes épaules, tout me paraît soudain plus léger et plus lumineux.
Cependant mon attente se prolonge dans le salon où je suis enfermé avec le lieutenant de gendarmerie et un de ses hommes. A travers la porte j'entends des clameurs, des ordres brefs, un bruit de pas précipités. Soudain un de ses battants s'ouvre pour laisser pénétrer mon avocat, le bâtonnier Marcel Héraud. Bien que son visage reste impassible, je sens qu'il est plus ému qu'il ne veut le laisser paraître. Jamais je n'oserai lui avouer que je n'ai pas entendu sa plaidoirie, ni celle de Maître Aujol. Pas plus, d'ailleurs, que le réquisitoire de monsieur Frette-Damicourt, car ayant achevé de répondre aux questions des magistrats, je me suis senti enveloppé par une nuée si profonde qu'elle m'a rendu quasi insensible à ce qui se passait autour de moi.
- Je viens d'effectuer une démarche auprès du président Noguères, me dit le bâtonnier. Je lui ai demandé d'autoriser votre mère à vous embrasser une dernière fois. Il s'y est refusé.
- Ah ? Bien...
(...)
- La foule, poursuit le bâtonnier, a voulu se masser dans la galerie pour vous saluer lorsque vous l'emprunterez pour aller à la sortie. Votre mère était au premier rang. Quelqu'un lui a apporté une chaise, de crainte que l'émotion... Vous comprenez... Son grand âge... Elle a refusé en disant : "Si mon fils passe devant moi en ce moment, je veux qu'il me voit debout !"
Chère maman ! C'est bien elle...
- Mais le président Noguères a fait évacuer la galerie. La manifestation de tout à l'heure l'a mis très en colère. Vous ne la verrez donc pas... (...)
Marcel Héraud se retire. J'entends de nouveau un bruit de voix. Et soudain éclate un tumulte indescrptible. Cette fois-ci, c'est à l'extérieur. Je marche vers la fenêtre et me penche sur l'appui pour voir ce qui se passe. Mon salon donne sur la rue des Réservoirs qui borde l'aile gauche du palais et rejoint la place d'Armes. Une foule d'au moins trois mille personnes s'est massée devant la grille d'entrée. Elle crie, elle hurle et secoue les barreaux de la grille comme si elle voulait les arracher. J'entends clamer en cadence : "Jurés, assassins ! Jurés, assassins !""
Jacques Benoist-Méchin, in A l'épeuve du temps (1983)
La photo est tirée d'un site dédié à Benoist-Méchin par son fils adoptif Ifrène Benoist-Méchin
Il est intéressant de lire le dossier "L'Épuration, un dossier controversé", sur le site du Centre National de Documentation pédagogique (ce dossier concerne la Marne).
Et dans AlmaSoror, nous parlons de Jacques Benost-Méchin par ici :
Trois esthètes du XX° siècle : Romain Rolland, Jacques Benoist-Méchin, Raoul Vaneigem
Le style immense et plein de pensée de Jacques Benoist-Méchin
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vendredi, 02 décembre 2011
Trois esthètes du XX ème siècle : Romain Rolland, Jacques Benoist-Méchin, Raoul Vaneigem
Trois grands stylistes de la langue française, dont je n'ai pas entendu parler à l'école.
Romain Rolland - pourquoi cet homme n'est plus lu en France aujourd'hui ? Il l'est, ailleurs. Disciple de Tolstoï, c'est lui qui a fait connaître Gandhi en France, c'est lui qui a donné à son ami Sigmund Freud l'idée du sentiment océanique.
Son roman Jean-Christophe est un chef d'oeuvre, un arc en ciel où se mêlent en un même scintillement les couleurs du style littéraire, de la structure et du scénario, de la philosophie et de la vision mystique. Un arc en ciel ancré dans l'histoire européenne de l'aube du XX° siècle.
"Le corps et l'âme s'écoulent comme un flot. Les ans s'inscrivent sur la chair de l'arbre qui vieillit. Le monde entier des formes s'use et se renouvelle. Toi seule ne passes pas, immortelle musique. Tu es la mer intérieure. Tu es l'âme profonde."
in Jean-Christophe, 1912
Jacques Benoist-Méchin, on sait pourquoi cet homme n'est lu que dans les arrières salles, les boudoirs, les bureaux cachés. C'est parce qu'il subit le sort de ceux qui se sont "trompés de camp" lors de la seconde guerre mondiale. Condamné à mort à la Libération, grâcié par le président Auriol et enfin embauché en sous main par les gouvernements français pour des missions dans les pays arabes qu'il adorait, il a toujours écrit, que sa vie se déroule dans les salons mondains et les ministères, en prison, en voyage... Plus qu'un historien, c'est un chroniqueur de son temps, qui rappelle Thucydide et Joinville, une des plus belles langues de notre langue du XXème siècle.
"Passe devant nous, semblable à une citadelle resplendissante de blancheur, l'Olympic Cloud, un pétrolier de 30 000 tonnes... Ce château de rêve glisse lentement devant nos yeux. Sa gloire immaculée domine de haut le désert, les dunes et le faîte des palmiers.
Ce palais majestueux a l'inconsistence d'un mirage. Il semble sur le point de se dissoudre dans la nuit."
In Un printemps arabe, 1959
Raoul Vaneigem vit encore, lui, l'anarchiste, ex-ami de Debord et situationniste. Je ne sais trop qu'en dire, sinon que son écriture a du souffle et qu'elle m'a revivifiée lorsque j'étais salariée et travaillais dans un bureau.
"Ils croient mener une existence et l'existence les mène par les interminables travées d'une usine universelle. Qu'ils lisent, bricolent, dorment, voyagent, méditent ou baisent, ils obéissent le plus souvent au vieux réflexe qui les commande à longueur de jours ouvrables.
Pouvoir et crédit tirent les ficelles. Ont-ils les nerfs tendus à droite ? Ils se détendent à gauche et la machine repart. N'importe quoi les console de l'inconsolable. Ce n'est pas sans raison qu'ils ont, des siècles durant, adoré sous le nom de Dieu un marchand d'esclaves qui, n'octroyant au repos qu'un seul jour sur sept, exigeait encore qu'il fût consacré à chanter ses louanges.
Pourtant, le dimance, vers les quatre heures de l'après-midi, ils sentent, ils savent qu'ils sont perdus, qu'ils ont, comme en semaine, laissé à l'aube le meilleur d'eux-mêmes. Qu'ils n'ont pas arrêté de travailler".
In Adresse aux vivants sur la mort qui les gouverne et l'opportunité de s'en défaire, 1990
J'ai des rêves, des quêtes. Je n'ai pas tout lu de ces trois hommes. Je voudrais entendre l'oeuvre musicale composée par Benoist-Méchin, Equateur.
J'ai des réserves. Je n'aime pas la passion de Benoist-Méchin pour les sociétés complètement mysogines, tels le nazisme ou l'islam ; je n'aime pas la passion de Vaneigem pour les sociétés complètement machistes, celles des nomades qu'il décrit en déployant son style avec fougue. Ces réserves ne sont pas d'ordre litttéraire. Elles n'ont donc aucune espèce d'importance puisque la littérature est libre et flotte bien plus haut que les idées ou les actions.
J'ai une admiration pour ces trois plumes, bien que Benoist-Méchin ait pu taper à la machine, et Vaneigem sur un ordinateur, au moins pour la partie récente de son oeuvre.
Dans ces trois styles, une sensorialité démultipliée, la sensualité de la vie transmuée dans la sensualité des mots, un grand amour des expériences concrètes et la capacité de s'élever très haut dans l'abstraction.
Ils sont je crois parmi les trois plus grands écrivains du XX°siècle, en langue française. Il y en a d'autres, mais ceux-cis sont bien peu cités.
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mercredi, 30 mars 2011
Le désillusionné
Photo de Sara
Lorsque mourut Abderrahman III, qui détint le pouvoir en Espagne pendant un demi-siècle (Xème siècle) et construisit l'admirable palais d'Az-Zahra, on trouva parmi ses papiers, une note portant ses mots : "Cinquante ans se sont écoulés depuis que je suis Calife. Trésors, honneurs, plaisirs, j'ai joui de tout, j'ai tout épuisé. Les rois mes rivaux m'estiment, me redoutent et m'envient. Tout ce que les hommes désirent m'a été accordé par le ciel. Dans ce long espace d'apparente félicité, j'ai calculé le nombre de jours où je me suis trouvé heureux : ce nombre se monte à quatorze. Mortels, appréciez par là, la grandeur, le monde et la vie..."
Cité par J Benoist-Méchin, dans sa biographie d'Ibn Séoud
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lundi, 21 mars 2011
L’invasion de l’Europe (années 700)
Jacques Benoist-Méchin conte l'invasion islamique des années 700, épopée spectaculaire qui s'arrêta par une débâcle en plein Poitou,
en 732.
« Le successeur de Hassan, Mousa-Ibn-Noseïr, fut une des plus grandes figures de l’épopée islamique. Rompant avec la politique de son prédécesseur, il se rallia les Maures vaincus, et sut leur inspirer confiance par ses mesures de clémence. Il les attira auprès de lui, les incorpora à ses troupes et les invita « à le suivre où il les conduirait » (709).
En agissant ainsi, Mousa travaillait à la réalisation d’un plan qui mûrissait depuis longtemps dans son esprit. Face à la côte africaine, il voyait se déployer à l’horizon un autre littoral qui exerçait sur lui une fascination étrange. C’était l’Espagne. Comme les voyageurs ne cessaient de lui vanter l’opulence de ses villes, l’enchantement de ses jardins et la fertilité de ses plaines, il résolut de s’en emparer.
Ayant obtenu l’autorisation de Walid, Mousa accéléra ses préparatifs. Mais le fils de Noseïr était un homme prudent. Ne voulant pas engager ses meilleures troupes dans une entreprise qui comportait beaucoup d’aléas, il décida d’envoyer en avant-garde ses régiments maures, sous le commandement de leur chef, Tarik. Celui-ci franchit le détroit de Calpé, débarqua sur la côte espagnole et dressa son camp au pied d’une falaise abrupte qu’il baptisa Djebel-al-Tarik (Gibraltar). Puis, ayant passé une dernière fois ses hommes en revue, il brûla ses embarcations pour leur montrer que l’aventure dans laquelle il s’engageait était sans retour, et s’enfonça vers l’intérieur du pays (710).
Les Wisigoths, qui occupaient à cette époque la péninsule ibérique avaient beaucoup perdu de leur vigueur primitive. Leur roi Roderic était un prince raffiné, d’une grande élévation d’esprit, mais émasculé par la mollesse et le luxe de sa cour. « Ses vêtements couverts d’or, son char d’ivoire, sa selle tout incrustée de pierreries cachaient sous leur éclat le fer, qui seul, en ce moment, avait de la valeur. Les nobles qui l’entouraient, équipés magnifiquement, se fiaient bien moins à leur courage qu’au nombre de leurs soldats, esclaves embrigadés de force qui ne combattaient qu’à contre-cœur. En face d’eux, les Berbères, commandés par un chef intelligent et prêts à accepter la mort comme un bienfait, puisqu’elle devait leur assurer le ciel, semblaient avoir oublié leur infériorité numérique. » (Sédillot)
Le choc décisif eut lieu dans la plaine de Guadalete, non loin de Xérès. Pendant sept jours, les deux armées s’épuisèrent en escarmouches et en combats singuliers. Enfin Tarik, voulant forcer le destin, chargea impétueusement les Wisigoths à la tête de sa cavalerie et réussit à couper les forces ennemies en plusieurs tronçons. Aussitôt, les Wisigoths commencèrent à perdre pied. Les voyant se débander, l’évêque de Séville et les troupes qu’il commandait, se rangèrent du côté de l’envahisseur. Roderic, trahi, chercha en vain à rallier ses escadrons qui fuyaient de tous côtés. Il fut entraîné dans la déroute générale et périt dans les eaux du Guadalquivir (711).
Tarik sut exploiter à fond cette éclatante victoire. Il fonça sur Tolède, la capitale du royaume, après s’être emparé d’Ecija, de Malaga, d’Elvira, de Grenade et de Cordoue. Tolède, privée de défenseurs, capitula. Tarik poursuivit sa marche vers le nord et parvint, par Saragosse et Pampelune, jusqu’à Giron, sur le golfe de Biscaye.
Mousa, ne voulant pas laisser à son lieutenant tout le bénéfice de cette campagne, se hâta de traverser à son tour le détroit de Gibraltar et pénétra en Andalousie, qui n’était pas encore entièrement subjuguée. Ayant pris Mérida, Carmona et Séville, il alla rejoindre Tarik à Tolède, tandis que son jeune fils Abdelaziz, qui avait amené d’Afrique un renfort de 7000 hommes, se rendait maître de la Lusitanie et de l’Estrémature.
Toute l’Espagne était aux mains de l’Islam. Cette proie splendide fut partagée entre les légions victorieuses. La légion de Damas s’établit à Cordoue ; celle d’Emèse, à Séville ; celle de Kinnesrin (Chalcis), à Jaen ; celle de Palestine, à Médina-Sidonia et à Algéziras ; celle de Perse, à Xérès de la Frontera ; celle de l’Yémèn, à Tolède ; celle de l’Irak, à Grenade ; celle d’Egypte, à Murcie et à Lisbonne. Enfin, 10 000 cavaliers du Nedjed et du Hedjaz se virent attribuer les plaines les plus fertiles de l’intérieur. On eût dit qu’une « Arabie nouvelle », avec toutes ses provinces, s’était constituée derrière les colonnes d’Hercule, à cette pointe extrême du Ponant.
Mais pour Mousa, la conquête de l’Espagne n’était qu’un commencement. Remettant à son fils Abdelaziz le soin d’administrer le pays et laissant en arrière des garnisons suffisantes pour y assurer l’ordre, il partit pour le nord avec le reste de ses troupes. Lorsqu’il fut parvenu au sommet des Pyrénées et qu’il vit se déployer à ses pieds les riches plaines de la Narbonnaise, Mousa « suspendu sur l’Europe » conçut un plan grandiose : il décida de rejoindre le Bosphore par la voie de terre et de prendre Constantinople de revers, en subjuguant tous les peuples qu’il rencontrerait sur sa route. Ce projet lui était inspiré « par un orgueil démesuré et par son vieil instinct nomade, pour qui les distances ne comptent pas ».
Il détacha une avant-garde, sous le commandement de l’Emir Alsamah, et lui enjoignit de conquérir la Septimanie. Narbonne fut occupée en 719. Alsamah ayant été tué au cours d’un combat, son successeur Ambizah s’empara de Carcassonne, d’Adge, de Béziers et de Nîmes, mais se heurta à une résistance vigoureuse d’Eudes, duc d’Aquitaine, qui lui interdit l’accès de Toulouse (721). Ambizah et ses cavaliers s’infléchirent alors vers la vallée du Rhône, qu’ils remontèrent pas étapes. L’Albigeois, le Rouergue, le Gévaudan, le Velay subirent leurs déprédations. Poursuivant leur avance le long de la Saône, les forces musulmanes parvinrent en Bourgogne. Beaune fut prise et ravagée. Sens se racheta par un tribut. Autun fut enlevé d’assaut et pillé (725). Auxerre faillit connaître le même sort. Les Arabes campèrent dans les vallées de l’Aube et de l’Absinthe à peu près là où devait s’élever plus tard l’abbaye de Clairvaux. Troyes barricada ses portes, en prévision d’un siège.
Ces opérations coïncidèrent avec un débarquement effectué par la flotte sarrazine dans la région de Fréjus (Fraxinet). Les escadrons musulmans s’installèrent en force dans le massif dit des Maures. De là, ils rayonnèrent jusqu’en Provence, où ils occupèrent Arles et Avignon (730).
Enhardi par ces succès, Mousa ordonna à un autre de ses généraux, l’Emir Abderrahman, de conquérir le reste de la Gaule. A la tête d’une armée nombreuse, Abderrahman franchit le col de Puygcerda. Cette fois-ci, le duc d’Aquitaine ne put résister à l’envahisseur. Battu sur les bords de la Garonne, Eudes dut se replier en toute hâte vers le nord-est, ouvrant aux Arabes la route de Bordeaux, qui fut emportée d’assaut. Abderrahman, vainqueur de nouveau au passage de la Dordogne, se dirigea vers Tours, dans l’intention de s’emparer de l’Abbaye de Saint-Martin, qui était, à cette époque, le sanctuaire national des Francs.
La nouvelle de l’arrivée des Arabes sur les bords de la Loire, souleva, dans toute la Gaule, une émotion indescriptible. L’Europe allait-elle devenir musulmane ? Charles, fils de Pépin d’Héristal, que soutenait la fortune ascendante de sa famille, résolut de sauver la Chrétienté menacée. Il appela les Leudes aux armes, convoqua le ban et l’arrière-ban des guerriers francs et meusiens. Tous les hommes en état de se battre répondirent à son appel. Abderrahman décrocha de la Loire et attendit son ennemi à Vouillé, entre Tours et Poitiers. C’est là qu’allait se décider le sort de l’Occident (732).
« Les Arabes comptaient sur une seconde bataille de Xérès, et furent déçus dans leurs espérances. Les Francs austrasiens ne ressemblaient pas aux Wisigoths dégénérés. Ils ne portaient point d’or sur leurs vêtements et se présentaient au combat tout bardés de fer. Là, point d’esclaves combattant pour un maître détesté, mais des compagnons entourant un chef qui se disait leur égal. Pendant les six premiers jours, il n’y eut que des engagements partiels, où les musulmans eurent l’avantage. Le septième, l’action devint générale ; elle fut sanglante et solennelle. Les Arabes, accablés par la force et la stature des Francs, furent mis en déroute par l’impétuosité de Charles, qui gagne dans cette batille le nom de Martel » (Sédillot).
Abderrahman fut tué au cours de la mêlée. Dans la nuit qui suivit, les Arabes, privés de leur chef, perdus dans un pays qu’ils ne connaissaient pas, furent pris de panique et se querellèrent entre eux. On vit alors, dans les clairières du Poitou, les tribus du Hedjaz, de l’Yémen et du Nedjd tourner leurs armes les uns contre les autres et s’entredéchirer avec fureur. L’armée se volatilisa sous l’effet du désastre. Ses débris se replièrent péniblement vers la Septimanie, harcelés par Charles Martel et son frère Childebrand. Ils ne se retrouvèrent en sûreté que derrière les remparts de Narbonne et de Carcassonne.
Stoppée en Occident par la victoire de Charles Martel, bloquée devant Byzance par la résistance de Léon III et de Justinien II, l’expansion arabe avait atteint en 743, des limites qu’elle ne dépasserait plus. Grâce à la force des Francs et à la ténacité des Grecs, l’Europe devait rester en dehors de son emprise. Mais la domination musulmane ne s’en étendait pas moins de Narbonne à Kashgar ; et le Calife, « cette image de la divinité sur terre » se trouvait à la tête d’un empire plus vaste que ceux de Darius ou d’Alexandre le Grand.
Jamais entreprise aussi considérable n’avait été réalisée en un aussi petit laps de temps, et les chroniqueurs de l’époque n’eurent pas tort de la comparer à une tempête. Plus de douze mille kilomètres séparaient les positions extrêmes occupées par les Arabes en Orient et en Occident. Pourtant il ne s’était écoulé que cent vingt-deux ans depuis le serment d’Akaba, c’est-à-dire depuis le jour où, rassemblant autour de lui une quarantaine de guerriers, Mahomet avait constitué le noyau initial des armées islamiques ».
Jacques Benoist-Méchin, Ibn Séoud ou la naissance d’un royaume.
Beaune floue depuis un téléphone androïde, par une fin d'après-midi en 2010
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jeudi, 03 mars 2011
Le style immense et plein de pensée de Benoist-Méchin
Phot Europe, par L.N Lammermoor
Un billet de Jean Bouchenoire
Lire l'oeuvre de Jacques Benoist-Méchin redonne confiance dans la langue française, pleine de puissance et de beauté, de retenue et d'expression, d'images et d'idées, de rythme et de force, de poésie et de légèreté. Lire l'oeuvre de Benoist-Méchin ouvre les portes de l'histoire et des épopées qu'elle contient. Voici le début de son livre Ibn Séoud ou la naissance d'un royaume.
"On a peine à se représenter l'Arabie autrement que comme une masse désertique de pierres et de sables, comme un brasier qui se consume lentement sous un soleil dévorant. Contrairement à beaucoup d'autres contrées du monde, c'est un pays où le rôle primordial de la terre a été confisqué au profit de la lumière et du ciel. Il semble avoir été façonné dans une substance immatérielle et ses horizons ressemblent moins à des paysages qu'à ces images incandescentes qui naissent au coeur du feu.
Pourtant, il n'en fut pas toujours ainsi. Car les historiens nous assurent qu'en des temps immémoriaux, quand l'Europe gisait ensevelie sous le linceul blanc de l'époque glacière, l'Arabie était une contrée verdoyante et fertile, irriguée par plusieurs fleuves, un pays souriant où les pâturages alternaient avec les forêts.
Quelle fut la vie de cette Arabie fraîche et boisée, où les sources bruissaient au fond des clairières ? Nous n'en savons rien, car aucun témoignage n'en est parvenu jusqu'à nous. Sans doute sa faune était-elle semblable à celle de l'Afrique et des Indes, entre lesquelles elle servait de trait d'union. On devait y rencontrer des mammouths et des aurochs, des buffles et des gazelles, des aigles et des léopards. Mais tout cela n'est plus".
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