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mercredi, 15 mai 2013

Le châtiment - par Hanno Buddenbrook

 hanno buddenbrook

«La plus grande gloire n'est pas de ne jamais tomber, mais de se relever à chaque chute».

Une horde de hérauts sauvages descendait l'avenue du rire. La ville n'était alors qu'à son ébauche. Nous n'étions alors qu'à nos commencements. Ta main n'avait qu'à peine frôlé la mienne. Je ne portais pas encore en moi le renardeau qui devint peu à peu l'homme qui te traque ; aucun cheveu gris ne teignait ma blondeur ; aucune ride ne plissait mon visage. Et nous descendions l'avenue du rire en compagnie des amis de longue date et de passage, certains que l'avenir éclaterait de joie, prescients de l'importance du jour. Il fallait refaire les lacets de nos chaussures, voler des boites de gâteaux dans les magasins délaissés. Il fallait arracher les panneaux des constructeurs et danser sur la loi inique.

Et personne ne songeait à filmer ce moment. Personne n'a pris de photographies. Aucune archive n'explique notre destin. Parmi nous, combien d'anges sont morts ? Combien de faux rebelles sont partis ?

Ton bras ne pesait pas sur mon épaule, tes yeux ne connaissaient pas ce reflet sombre. Il fallait partager l'amour et la nourriture, l'écot et le vêtement. Les guitares frottées aux tombées du soir grésillaient auprès des feux de camp, et personne n'imaginait qu'un jour, le lieu des tentes de fortune serait une école.

Nous n'avions rien à regretter, nos parents nous semblaient des ennemis. Nous n'avions rien à craindre, même la prison nous faisait hausser les épaules. Et personne ne venait nous chercher, nous menotter, nous emporter, car nous avions pour nous le nombre, la lassitude des vieux et la faiblesse des enfants. Parmi les algues et les boues, tu m'appris à connaître ton corps, à enjoliver d'un baiser le décor, à accepter les vents contraires, j'apprenais à vivre dans la tendresse.

La violence n'était point absente de nos longues embardées ; la faim et le froid nous tenaillèrent durant les deux ou trois premiers hivers. Et puis le renardeau fut conçu, oisillon que tu prenais entre tes mains ; pour lui et pour sa génération, nous déclinâmes les airs de guitare vers des modes moins majeurs. Ils grandissaient ces petits sous nos mains insouciantes, quel autre parent a craint moins que nous ? Toute confiance était naturelle, tout défiance criminelle. Il était le charme de nos aubes, la joie de nos après-midi, et pour le bercer le soir nous inventions les plus belles mélodies.

Et puis le renardeau a grandi, le poisson s'est éloigné de sa mère, l'ourson s'est confronté à son père et nous ne comprenions pas.

Quel interdit avait-il à braver, au creux de nos bras libertaires ? Quelle révolte avait-il à couver contre notre amour sagittaire ? Il est bientôt minuit, tu es caché derrière le lit. Moi, j'attends au bord de la fenêtre aux volets fermés. Les sirènes des bateaux annoncent la police du port et dans l'école d'en face la discipline claque comme un fouet. Quand des pas résonnent dans la route nocturne, de l'autre côté du garage, nos cœurs battent sourdement et nos tempes se mouillent. Que lui avons-nous donné qui l'a privé de lui-même ? Est-ce de nous avoir vu nous aimer dans les flammes de la nuit, est-ce de ne l'avoir pas empêché de jouer avec le totem des gitans du sentier des étangs ? Nous savons qu'il a un fusil, acheté dans les villes des bords d'autoroute, et qu'il reviendra, tôt ou tard, tuer son père, violer sa mère et sangloter tout seul au milieu des ruines de son enfance, jusqu'à ce que la police l'enferme ou le tue ou l'absolve et qu'il meurt à son tour, désespéré. Tu le hais, je lui ai déjà pardonné et nous le savons tous deux. Tout au bout de nos rêves de jeunesse, il y avait donc la punition qui attend ceux qui s'affranchissent des règles. Le châtiment qu'aucun salut ne rattrapera.

Hanno Buddenbrook

Traduit par Edith de CL et H. Lammermoor

 

mardi, 14 mai 2013

vestiges textuels d'un lundi noyé

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Combien d'instants (senti)mentaux abandonnés dans les espaces du vide ?
Ce ciel mental m'a accompagnée quelque temps ; au bout du jour je l'ai éclaté dans le néant.
 
En voici des lambeaux.
 
Edith CL

edith de cornulier lucinière, blogspot, blogger

Levée à six heures et tenté de me ressouvenir des cloches de l'église de Saint-Christophe du Ligneron, des avions qui passent au-dessus du Pont-Hus. Recouchée avec un café noir et rêvé au lit. Puis, écouté le Miserere d'Allegri, interprété de façon très priante par un chœur anglais au sein duquel un ange soprano luit. Que faut-il vivre pour laisser le temps passer sans se consumer de rage ? Faut-il se brûler à nos plaisirs, faut-il apprendre à renoncer aux tentacules du Désir ?
Il est huit heures lorsque je sors de la salle de bains, prête à affronter le jour qui commence. Les petits bruits qui émanent de mon téléphone portable annoncent les premières communications, mais je ne les regarde pas encore. Je vais marcher à travers le septième arrondissement sans croiser personne, sans regarder au-dehors, juste pour me fatiguer déjà avant de m'atteler à mon bureau. Une énorme dépression flotte autour de moi comme un nuage, elle me harcèle mais je détourne sans cesse les yeux pour ne pas qu'elle m’attrape.
Au bout de la rue de l'université, retour en fanfare de la joie de vivre.
 
10h. Depuis ce matin déjà, combien de fois ai-je écouté le Miserere ? Je n'ai encore parlé à personne du monachisme secret que je conçois et qui m'aide à mener ma barque dans le couloir bourbeux du monde apparent.
Mais voilà que j'arrache au temps quelques lignes pour un mail, quelques pages pour un rapport que je dois rendre bientôt, quelques coups de fil pour des rendez-vous à venir. Et j'ai sauvé le jour : les cases sont cochées.
Souvenirs récurrents des vins d'Alsace d'hier soir, goûtés dans un bar de la rue du Jour, à l'instigation de Frédéric-Etienne, qui connaît l'organisateur de ces vinicôteries. Je suis revenue avec un pinot blanc, un Gewurtztraminer et un Riesling Kanzlerberg.
Un dîner à préparer : ce soir, nous serons huit autour de deux tables rassemblées en une. Et nous reparlerons de ces gentilshommes de fortune ?
 
En attendant, fête de petits légumes grillés à l'italienne, absence de vins.
 
Après le déjeuner, une sieste dans les bras de Sainte Thérèse d'Avila. Merci à la grande doctoresse de l'extase, celle qu'il faut lire, et relire, pour comprendre cette phrase d'un homme qui a souffert et joui comme elle, quelques siècles après elle :

"Nous, êtres limités à l'esprit infini, sommes uniquement nés pour la joie et la souffrance. Et on pourrait presque dire que les plus éminents s'emparent de la joie par la souffrance".
Ludwig van Beethoven

Par la souffrance et par l'étreinte fantôme, ils atteignent la joie suprême.

Assoupissement, qu'une rêverie trouble : il me reste de cette unique nuit, ta voix, ton souffle, tes reins, les gestes de tes mains. Et me reviennent, quand je plisse les yeux dans les moments d'oubli du monde, la peur en ombre sur ton visage, le scintillement des lumières sur ton corps.
 
Après-midi bercée par les merles, qui piaillent ! Grand amour de la vie : promenade, et travail à nouveau : encore des lignes, des mails, des appels, des confirmations et des circonvolutions qui ne seront plus à l'ordre du jour d'un jour à venir. Baisse de tension, désir de mort : toute la beauté du monde se défend de m'aimer. Toutes les passions du monde se meuvent au creux de moi. Toutes les morts du monde surgissent en renaissance.
 
Chute de l'après-midi. Un vent frais nous appelle. Quelqu'un, dehors, quête une présence.

Ragots dans la cour de l'immeuble, alternativement ensoleillée ou menaçant d'un orage. Nous cancanons comme les merles, avec moins de musicalité.

Flics, assistants sociaux, inspecteurs des impôts, chefs, sous-chefs de bureaux et tous vos acolytes, nos cerveaux ne sont pas à vos ordres. Mécontents, vous nous donnez des formulaires ou des médicaments. à quoi ressemble le ciel mental d'un sbire de l'Etat ? N'ayez pas peur. Le ciel amental est infini.
 
Premières taches du soir sur la cour. Encore une promenade pour saluer la ville. Coups de téléphone d'amitié - et un dernier, professionnel (mon Dieu quelle efficacité !)
 
Dîner de huit voisins, dîner rapide. Visite et présence expresses d'amis rares.
 
Conversation chuchotée entre deux fenêtres : que recherches-tu à travers tes histoires d'amour ? (Réponse de mon bel ami : la douceur chaude et enivrante des caresses, la profondeur des rencontres du coeur, la jouissance physique extrêmement agréable, le charme du partage quotidien, l'impression de vivre intensément, l'admiration mutuelle, le charme des jours qui passent tranquilles, l'honnêteté, l'élégance au bout de la rue, le flou d'un visage humide. Et toi ?).
Moi ? Je ne sais pas. De toute façon, tu n'écoutes plus, tu repars de ton côté de la rue.
 
Il y eut enfin quelques textos avec l'insaisissable (in)connue de l'autre bout de la ville, et Axel est venu me chercher pour faire un tour en voiture. On a tourné deux heures dans la nuit, cette fois j'ai payé l'essence.
 
E.


Décorps publicitaire

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Visite nocturne

 Edith de CL

Où va l’enfance quand un adolescent grandit et devient un adulte ? Quand il dit à son miroir, en le regardant dans les yeux : va-t’en, enfant, désormais je suis un adulte. Sait-on où le pauvre petit trouve refuge ?

Grâce aux licornes, qui chevauchent des millions de nuages pour venir les chercher, tous ces enfants vont vivre sur une île perdue. Gracieuses comme de petits chevaux, les licornes ont une corne sur le front ; certaines ont des ailes. Elles sont invisibles, sauf lorsqu’elles désirent qu’on les voit. Chaque fois qu’un adolescent ne veut plus de l’enfant qui est en lui, l’une d’elle chevauche des milliers de kilomètres, dans les airs, pour venir le chercher. La licorne prend l’enfant sur son dos, et pendant des jours et des nuits, elle chevauche les nuages, au-dessus des villes, des forêts et des océans, pour l’emmener sur l’île de l’enfance oubliée.

Très peu de gens connaissent l’existence de cette île d’exil. Gabrielle ignorait son existence, jusqu’au soir où on frappa à sa fenêtre alors qu’elle réfléchissait à sa table de travail.

Le travail de Gabrielle consiste à écrire, sur son ordinateur, des articles pour des journaux. Elle écrit presque tout le temps. Quand elle n’écrit pas, elle boit beaucoup d’alcool ; elle ne peut pas s’en empêcher. Avec ses vieux amis au restaurant, elle boit. Seule dans son petit appartement du dix-septième étage, elle boit. Du cognac et de l’armagnac, du vin, de la bière, et du whisky. Elle n’arrive pas à s’arrêter. De temps en temps, elle se sert un petit verre, et décide que ce sera le dernier verre d’alcool de sa vie. Une journée passe. Le soir suivant, avec un soupir, elle se ressert un petit verre en murmurant : c’est raté pour cette fois. Je n’ai pas arrêté.

Ce soir-là, elle travaillait à sa petite table de bois, en sirotant de l’armagnac, lorsqu’on frappa à sa fenêtre. Comme elle habitait au dix-septième étage d’un immeuble en béton, elle sursauta. Comment avait-on pu grimper si haut ? Apeurée, elle releva les yeux. Quelle ne fut pas sa surprise lorsqu’elle vit, en suspension devant la vitre, une petite fille qui la regardait, assise sur une licorne volante.

Elle demeura quelques instants hébétée. Son regard oscillait entre les yeux de la fillette et ceux de la licorne. Elle crut qu’elle rêvait. La licorne voletait autour de la vitre, avec de très beaux mouvements d’ailes, chevauchée par l’enfant aux grands yeux. Gabrielle renonça à comprendre. Elle alla ouvrir la fenêtre.

- Je suis folle, pensa-t-elle. Je le savais déjà, d’ailleurs.

Lorsque la fenêtre fut grande ouverte, la licorne vint poser ses pattes sur le rebord. L’enfant tenait sa crinière d’une main.

- Bonjour Gabi, fit l’enfant.

- Bonjour, répondit Gabrielle.

- Hhmmmouahw, dit doucement la licorne.

- Bonjour… Lui dit Gabrielle en lui passant la main sur son museau. La licorne ferma les yeux de contentement.

« Je pensais que les licornes n’existaient pas », songeait Gabrielle en frissonnant ; elle contemplait le vide qui s’étendait au-dessous de la licorne et de sa petite cavalière. Dix-sept étages ! En bas, la ville paraissait minuscule, comme une miniature.

- Entrez, dit Gabrielle en ouvrant grand la fenêtre.

La licorne donna un coup d’aile, et bientôt elle posait délicatement ses pattes sur le carrelage de la pièce. La petite fille se laissa glisser à terre.

- Merci Licorne, dit-elle à l’étrange animal en lui pinçant la barbiche.

La licorne frotta sa tête contre l’épaule de la fillette et alla s’allonger sur le canapé. Elle prenait toute la place du canapé. Elle se blottit contre les coussins, se gratta les pattes avec sa corne, et ferma les yeux. Elle s’endormit.

- Si mes amis voyaient cela ! pensait Gabrielle. Mais elle parvint à surmonter sa stupéfaction et se dit que l’enfant devait avoir soif. Elle regarda dans sa cuisine.

- Ma pauvre enfant, je ne peux t’offrir que de l’eau. Car tu ne bois pas d’alcool, je suppose ? Non, bien sûr ! Cette petite a beau traverser la nuit à dos de licorne, elle doit boire du jus d’orange comme tous les enfants. Il n’y a que les vieilles alcooliques comme moi pour s’enfiler de l’armagnac toute la soirée…

Elle parlait tout haut, comme d’habitude, sans s’en rendre compte. La fillette l’écoutait. Elle vint se planter devant Gabrielle, et la contempla de ses grands yeux candides.

- Mais Gabi, dit la petite. Tu n’aimes pas l’alcool !

Gabrielle la considéra un instant, ne sachant que penser.

- Petite fille, comment sais-tu mon nom ? Et qui te dit que je n’aime pas l’alcool ?

- Tu ne me reconnais pas ? demanda la fillette, les larmes aux yeux. Pourquoi ne me reconnais-tu pas ? Je t’aime tant ! Tu m’as donc oubliée…

Sur les joues de la petite fille les larmes coulaient en cascade. Gabrielle, très émue, oublia l’étrangeté de la situation. Oui, bien sûr, elle connaissait cette petite fille. Mais elle ne parvenait plus à se souvenir de son nom, ni de l’endroit de leur rencontre. Elle la regardait pleurer avec une grande tristesse. Les yeux de la petite fille demeuraient grand-ouverts, dégoulinants de larmes. Soudain, Gabrielle sut qui était l’enfant. Elle faillit tomber ; elle vacilla, s’accrocha à une chaise et bégaya :

- Mais… Gabi ! Tu es Gabi ! Tu es… Tu es… L’enfant que j’étais il y a longtemps… Oh, Gabi ! Tu n’es donc pas morte ? Tu es revenue me voir ?

Elle prit la petite fille dans ses bras. Maintenant, c’était Gabrielle la grande qui sanglotait à chaudes larmes.

La petite fille lui essuyait les larmes en lui caressant les cheveux.

- Alors, tu es devenue alcoolique ? demanda-t-elle.

- Oui… Tu m’en veux ?

- Non, mais comment peux-tu boire de l’armagnac ? Je détestais l’odeur quand les grands en buvaient ! ! ! Tu manges toujours du chocolat, au moins ?

- Heu… Je… Je t’avoue que non. J’oublie d’en acheter.

- Mais enfin, j’adorais le chocolat ! Et les croissants ? Tu ne manges plus de croissants ?

- Ah, si, ça, je continue. En plus, maintenant je peux m’en acheter tous les matins avec mon argent. Tu sais que je suis journaliste ?

- Je voulais être écrivain !

- Si tu crois que c’est facile ! Et puis, quand on est journaliste, on écrit tous les jours, tu sais… Tiens, au moment où tu es arrivée, j’écrivais justement un papier sur cette stupide guerre qui commence et qui va tuer plein de gens.

- Je suis contente que tu n’aimes pas les guerres… Mais je voulais être écrivain, moi…

- Désolée Gabi. J’ai essayé… J’ai vraiment essayé…

La fillette baissa la tête. Elle avait l’air déçu et mécontent.

- Gabi, tu crois que c’est facile, la vie d’adulte ?

- …

- Je t’assure que rien n’est comme tu l’imaginais.

- Je sais… Je devine. C’est pour ça que tu bois, n’est-ce pas ?

- Peut-être…

- J’avais promis que je serais écrivain.

- Je me souviens… Je suis désolée, Gabi.

- Tu me fais rater ma promesse.

Et la petite fille cacha son visage entre ses mains pour ne pas montrer sa peine.

Gabrielle la serrait contre elle pour la consoler, mais elle sentait confusément que rien ne pouvait apaiser l’enfant qu’elle avait été.

Elle lui murmura :

- Cela fait si longtemps, si longtemps que tu n’étais plus là. Je ne t’ai jamais oublié, tu sais. Pendant toutes ces années, il n’y a pas une soirée où je n’ai pensé à toi.

La fillette releva la tête.

- C’est vrai ? Tu me le jures ?

- Je te le jure, répondit Gabrielle.

- Alors, écris-moi une histoire. Je veux que tu sois écrivain ; je l’avais promis.

- C’est vrai, tu l’avais promis.

- Tu dois tenir mes promesses. Si tu m’aimes.

- J’écrirai, Gabi, c’est sûr. Tu peux me croire.

Le visage de la fillette s’éclaira d’un sourire. La femme et la petite fille avaient presque le même sourire. Mais celui de la femme était plus doux, et celui de la fillette plus triste.

- Tu m’en veux ? murmura Gabrielle. Dis, Gabi, tu m’en veux ? De n’avoir pas écrit…

La fillette secoua la tête pour montrer qu’elle ne lui reprochait plus rien

- Tu vas le faire maintenant. Je suis contente d’être venue.

Gabrielle se sentit soulagée. La toute petite fille qu’elle avait été il y a bien longtemps, et dont elle ne se souvenait plus très bien, elle venait de la retrouver et de lui faire une promesse.

Maintenant, Gabi, l’enfant, se faufilait hors des bras de Gabrielle.

- Fais-moi visiter ta maison.

- D’accord, dit Gabrielle.

La licorne dormait toujours sur le canapé. Gabrielle prit la main de la petite fille dans la sienne. Elle lui montra sa chambre.

- Oh, c’est drôle ! dit l’enfant dans un éclat de rire. Elle est aussi en désordre que la mienne !

- Et oui, dit Gabrielle. Je ne range pas mieux que toi.

Elles riaient toutes les deux. L’enfant voulut voir la salle de bains, qu’elle trouva très jolie, avec son carrelage bleu et blanc.

- Je suis contente que tu aies une maison comme ça. J’en rêvais.

Gabrielle fut très heureuse de ce compliment. Elle avait eu peur que la fillette lui reproche sa façon d’arranger son appartement.

- Veux-tu dîner avec moi ce soir ? Je cuisine très mal, mais…

- Gabi, voyons ! je ne mange plus depuis longtemps, s’écria la petite Gabi, et elle éclata d’un rire cristallin. Je suis ton enfance ! C’est toi qui manges.

- Ah, oui, c’est vrai, marmonna Gabrielle, qui ne comprenait pas très bien.

- Moi, je vis sur l’île des enfants oubliés et je t’envoie des rêves, la nuit, pour te faire un beau sommeil. Malheureusement, parfois tu ne comprends pas mes rêves, et ça te fait des cauchemars. Depuis longtemps, je sentais que cela n’allait pas très bien dans ta vie. Alors j’ai demandé à la licorne de m’amener jusqu’à toi. Elle est belle ma licorne, n’est-ce pas ?

- Elle est magnifique. Elle est à toi ?

- Bien sûr. Tous les enfants ont une licorne et toutes les licornes ont un enfant. Elle est ma meilleure amie et nous sommes toujours ensemble sur l’île.

A ce moment, la licorne s’éveilla Elle étira ses quatre pattes sur le canapé, ses griffes déchirèrent les coussins. Quand elle fut bien éveillée elle sauta à terre. Ses pattes glissèrent sur le carrelage et elle faillit tomber. Elle se posta devant les deux Gabi, comme pour dire :

- Je suis prête !

Alors Gabi la petite caressa sa douce corne bleutée.

- Oui, ma licorne, dit-elle à la licorne. Je vais monter sur ton dos, nous chevaucherons les océans de nuages au milieu des oiseaux, et tu me ramèneras sur l’île de l’enfance oubliée. Et toi, Gabi, dit-elle à la grande Gabi, Tu vas tenir tes promesses ?

- Je ne sais pas si je vais réussir à arrêter de boire, répondit Gabi. Mais je te jure de manger plein de chocolat, et d’écrire une histoire.

Comme la licorne s’impatientait, la petite sauta sur son dos. La licorne sauta par la fenêtre. Au fond de la nuit, la lune souriait. La petite fille s’exclama :

- Oh ! Regarde la lune, elle sourit ! Licorne, emmène-moi dire bonjour à la lune.

La licorne balança sa tête pour dire oui, et s’élança dans le ciel.

- Je reviendrai lire ton histoire ! cria Gabi à Gabrielle.

Gabrielle lui fit de grands signes de la main, tandis que le vent de la nuit faisait danser ses cheveux.

- Si un jour tu reviens, je te lirai mon histoire, murmura-t-elle en fermant la fenêtre. Mais ne sois pas étonnée si cela parled’une petite enfant d’il y a très longtemps et d’une licorne qui chevauche les nuages.

 

Edith de CL - 2006

 

lundi, 13 mai 2013

Hymnes de sable et de sel

hymnes de sable et de sel

Quelle fortification de poussière et de sable

Réponse à une question de Tieri Briet

Traversées du bitume

No man's land

Jour de Sleipnir

Qu'est-ce qu'AlmaSoror ?

Le dernier rêve (du dernier jour)

Prière pour la ville atlante (par Hanno B)

Noire est la nuit dépsychisée (par Esther M)

Vous reveniez le soir en longeant les remparts

Leurs visages, leurs nuques

L'homme des mégalopoles

Désir du soir

Contes d'outre-monde

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L'incendie de Mars

Estelle au mois d'avril

Dans l'avenue Desbordes-Valmore

Contes de notre monde

petite fille d'honneur

Le benêt de Saint-Vivien

Adélaïde

Mascara

Lorenzo

Aranjuez

Contes du Purgatoire

VillaBar

Toute la poussière du monde

Au Confessionnal du coeur

La dernière auberge

dimanche, 12 mai 2013

Mode réceptif

nadège steene,ivresse des possibles,révolution intérieure

 

Billet de Nadège S.

Je n'écoute plus seulement ce que les gens disent, j'écoute tout ce qu'ils ne disent pas. J'entends leur silence, je sonde leur regard, j'écoute sans contredire leur mensonge. J'essaie de pointer les étendues vides.

Je veux découvrir tous les aspects du monde, des gens, des relations, tout ce que je n'ai pas encore compris, tout ce qui m'a échappé, faute d'accès initiatique. À n'écouter que les mots, à croire aux idées, à ressasser les faits, les actes, on connaît une bonne part du réel mesurable. Mais il reste un monde obscur qui ne s'appréhende pas de même. Il reste un monde non-dit, un monde vécu de façon trop intérieure ou secrète pour éclater sur la scène. Il y a un monde obscur, impalpable, où se passent des phénomènes qui, sans que nous le sachions, nous touchent, nous blessent, nous sauvent, nous métamorphosent. Quelles sont les dimensions de cette réalité, cette réalité dont je n'ai pas les clefs et dans laquelle se vit une partie de ma vie ?

Je me tais de plus en plus, afin de créer un espace d'écoute dans lequel autrui peut se laisser aller à s'exprimer. Je limite tant que je peux mes réactions, je vainc mon envie de débattre ou de convaincre, pour enfin laisser cette place à l'expression de l'autre.

Peu à peu, j'entrevois des idées, des images, des opinions qui auparavant n'auraient pas frayé leur chemin jusqu'à moi. Ce n'est pas facile d'entendre tout. Où cela va-t-il me mener ?

J'ai peur de la transformation intérieure. J'ai peur de l'ivresse des possibles. Je suis prête.

Nadège Steene

 

Autres textes de Nadège St. sur AlmaSoror :

Amour fantôme de Nadège

Le diamant et la poussière du temps

5 règles de comportement relationnel

5 à 7 début mars

La musique de Nadège

Où est la folie ? (dédié à Esther)

samedi, 11 mai 2013

Mémoire de nos lectures

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Le premier et le dernier paragraphes de Bandini, de John Fante

Dédicace :

Ce livre est dédié à ma mère, Mary Fante, avec amour et dévotion ;
et à mon père, Nick Fante, avec amour et admiration.

«Il avançait en donnant des coups de pied dans la neige épaisse. Un homme dégoûté. Il s'appelait Svevo Bandini et habitait à trois blocs de là. Il avait froid, ses chaussures étaient trouées. Ce matin-là, il avait bouché les trous avec des bouts de carton déchirés dans une boite de macaroni. Les macaroni de la boite n'étaient pas payés. Il y avait pensé en plaçant les bouts de carton dans ses chaussures ».

«Jumbo bondit des fourrés. Il tenait un oiseau mort dans sa gueule, une charogne vieille de plusieurs jours.

- Saleté de chien ! tonna Bandini.

- C'est un bon chien, papa. Certainement un bon chien de chasse.

Bandini leva les yeux vers un pan de ciel bleu à l'est.

- Le printemps ne va pas tarder, dit-il.

- Et comment !

Alors qu'il parlait, un minuscule objet froid toucha le dos de sa main. Il le regarda fondre, car c'était un petit flocon de neige étoilé... »

Bandini, de John Fante

Dans la traduction de Brice Matthieussent


La quatrième de couv de l'édition 10/18 de 1985 :

Un sacré bonhomme sans doute que ce Fante-Bandini. Un sacré écrivain aussi. L'Arturo Bandini de Bandini est un gamin criblé de taches de son et couronné d'une tignasse en colère. Un râleur, désolé d'être fils d'une mère passivement amoureuse et bigote et d'un père maçon, violent, incertain et cavaleur. Amoureux d'une étoile filante et indifférente, sa petite camarade de classe à la santé fragile, haï par ses maîtres et pairs, Arturo passe son temps à détruire d'une main ce qu'il a construit de l'autre. Bon et méchant, généreux et voleur, il est à la fois la glace et le feu, la tendresse et la rancoeur.

Michèle Grazier, Télérama

vendredi, 10 mai 2013

Mur

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«Se plaindre est une honte et soupirer un crime».
Pierre Corneille
(In Horace)

 

Je ne vous avais pas demandé de me tirer du néant, je ne vous avais rien demandé puisque je n'étais pas. Mais vous pensiez sans doute avoir le droit de poursuivre vos errances et vos malheurs à travers d'autres que vous. Me voilà donc, en apparence assez réussie, dans le fond complètement ratée, sujet de droits et de devoirs qui me dépassent. Il suffit de jeter un regard sur l'horreur du monde pour me mettre à genoux et me répandre en actions de grâces pour toutes les chances qui pleuvent sur ma vie. Mais aujourd'hui je ne le ferai pas : je serai plus franche. Je dirai que le monde dans lequel, par ennui, par dépit ou par inconscience, vous m'avez invitée, ne me plait pas. Je ne m'y sens pas mieux que vous, et force est de constater que je m'y débrouille moins bien. Le Christ cloué à la croix des points cardinaux m'a peut-être sauvée, la vie n'en est pas moins une crucifixion dont je suis presque sûre, en dépit de certains efforts que j'ai pu faire, de tirer plus de damnation que de salut. La fête païenne m'attire, mais je n'ai pas assez de force dans les bras et dans mon coeur pour y tenir un rôle digne plus de quelques quarts d'heure. Bien vite il me faut rentrer me cacher pour panser les plaies béantes. Chaque jour apporte son cortège de mauvaises nouvelles, tortures d'enfants et d'animaux, destruction de la nature sauvage et des trésors de la culture. La course aux places est longue, ardue, il y a beaucoup de coureurs acharnés et peu de vrais gagnants. La vie simple et tranquille nécessite des capacités d'adaptation dont je n'ai pas encore fait preuve, en dépit de fréquentes tentatives. J'ai même trouvé trop dur de posséder et de conduire une voiture. L'amitié est belle, mais intermittente ; les amis sont tout aussi blessés que moi et qui sait quelle rencontre apportera une caresse ou un coup de poignard ? La famille est l'unique source du mal et la seule source de réconfort : paradoxe quelque peu lassant à vivre. Les chants des oiseaux, peut-être, bercent nos pleurs et sèchent nos chagrins de l'aurore. Mais bientôt, le bruit machinal des autoroutes les recouvre. Il faut donner sa vie, ne rien chercher pour soi, soit. J'essaie de temps en temps. J'essaie encore de temps en temps de partir sur cette belle route de rêve qu'on nous décrit dans les films, dans les chansons et dans les livres qui se vendent à des millions d'exemplaires : le mauvais conducteur se retrouve assez vite dans le fossé. Je vais sortir dans la rue tout à l'heure, et chaque présence étrangère, corps allongé à même le sol, infirme, travailleur fatigué ou lobotomisé, homme battu, femme trompée, coeur solitaire, chien volé, me criera à la figure toute l'abondance de joie, de paix et d'amour qui m'assaille. Ce qui achèvera de me miner le moral.

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mercredi, 08 mai 2013

Mélancolie

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Instance au milieu d'une journée, quand le vent chasse les rayons pâles du soleil. Une fenêtre dans un quartier où les déménagements se succèdent. Un immeuble à moitié vide, dans lequel Dylan, âgé de sept ans et demi, joue du piano sans que personne l'écoute. Sa composition étonne un peu le chat qui crâne sur le radiateur.

Aux étages identiques, des silhouettes restent immobiles. Chacun espère une autre vie, ou une autre lumière sur celle-ci ; mais le temps présent se fait pesant pour les déçus des grandes rêveries. Ainsi s'accumulent mille souvenirs, mille images sans couleurs vives, dans les mémoires mortelles des solitudes qui passent ici.

On se croise quelque fois, on se croit les uns les autres et des enfants naissent à la veille d'une rupture mitigée. C'est la vie des temps modernes qui berce nos âmes mortes-nées. Dans la pièce où le linge sèche, au piano désaccordé, l'enfant joue sans public sa chanson désenchantée.

 

Edith de CL

mardi, 07 mai 2013

à contre-réel

lundi, 06 mai 2013

Oracle

 

Il pleut des cordes dans la cour arrière, dans la cour « pot bouille » et sur le jardin. L'averse inonde le boulevard. Grande eau pour un lavage de printemps dont ne restera nulle trace de scorie.

Je prends le pouvoir. D'où que je vienne, c'est moi qui décide qui je suis et où je vais. Vous n'avez plus aucune prise sur ma vie, je suis dorénavant maîtresse de mon destin et n'abdiquerai jamais.

Je n'ai plus besoin de sauf-conduits, de passe-droits, de protecteurs : ma volonté suffit. Je n'ai plus besoin de remèdes, d'aides, de soignants : je m'offre la santé.

Il faudra s'habituer à mes nouveaux atours : autorité, puissance, gloire. Il faudra s'habituer au nouveau timbre de ma voix : le timbre du sceptre qui se dresse sur le monde.

Mon royaume ? L'empire autarchique. Mon trésor ? La perpétuelle abondance. Mon pouvoir ? La création.

Entre mes mains palpite le monde que je suis venue vous offrir. Que je souffle sur ces graines frêles et le miracle surgira.

Édith

 

Biographie officielle (merci à katharina)

Inspiration :

Dédicace de Lawrence à S.A.

Plaidoyer de Cagliostro

 Sit tibi copia,
sit sapientia,
formaque detur ;
Inquinat omnia
sola superbia,
si comitetur.

dimanche, 05 mai 2013

Lignes de fuite

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à Hanno, fraternellement, en souvenir de l'invécu

I Frontière

Nous allons faire la fête. Prenez ces verres qui se tordent de n'être pas bus au bord des tables penchées sur l'herbe. Laissez là vos manteaux et vos cravates, nous n'en aurons plus besoin de l'autre côté de la rivière, sur la butte où les pas ne laissent pas de trace.

Pluie et rayons du soleil dansent dans l'après-midi du parc et les vins tournés dégoulinent sur les nappes de papier.

Jazz, jazz, tu n'es pas mort, tu coules commercialement des hauts-parleurs et tu emportes le petit groupe vers son errance. Déni des livrets A et des clés de voiture, oubli de tout ce qui nous distingue en ville.

Avançons sur les chemins à moitié balisés sans écraser les fleurs printanières écloses hier.

Vous retournerez sur vos pas peut-être, ce soir ou demain quand nous en aurons fini avec la fête émerveillée. Moi, je crois que je ne reviendrai pas. Je chercherai plus loin sur la rive une maison sous un ciel qui promet la vue des étoiles chaque soir de la vie.

Car désormais, chaque soir je veux voir, dans un ciel d'un noir pur, scintiller des étoiles.

  

II Vertige

Là-bas, caresses fondantes, délices au fond des baisers qui se fondent en ondulations nuageuses vers les sphères éreintées des étreintes trop puissantes. Ici, à genoux sur les prie-dieu, chapelets monocordes jusqu'au Salut par l'Esprit qui souffle où il veut.

Ne jugez pas, car toute voie qui peut être tracée n'est pas la voie. Si vous riez de ci ou de ça, vous êtes cuit.

 

III Infusion

Une vie qui serait un long dimanche après-midi ; le soleil coulerait en lampée de miel sur la partie sud des maisons. Les arbres frissonneraient au léger vent de l'Ouest. Et les vieilles chansons de la forêt, chantées là-bas par des dames vieilles, berceraient nos langueurs. Une guitare ? Peut-être. Mais surtout, la douceur vagabonde de l'oubli.

Edith

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