Le châtiment - par Hanno Buddenbrook (mercredi, 15 mai 2013)

 hanno buddenbrook

«La plus grande gloire n'est pas de ne jamais tomber, mais de se relever à chaque chute».

Une horde de hérauts sauvages descendait l'avenue du rire. La ville n'était alors qu'à son ébauche. Nous n'étions alors qu'à nos commencements. Ta main n'avait qu'à peine frôlé la mienne. Je ne portais pas encore en moi le renardeau qui devint peu à peu l'homme qui te traque ; aucun cheveu gris ne teignait ma blondeur ; aucune ride ne plissait mon visage. Et nous descendions l'avenue du rire en compagnie des amis de longue date et de passage, certains que l'avenir éclaterait de joie, prescients de l'importance du jour. Il fallait refaire les lacets de nos chaussures, voler des boites de gâteaux dans les magasins délaissés. Il fallait arracher les panneaux des constructeurs et danser sur la loi inique.

Et personne ne songeait à filmer ce moment. Personne n'a pris de photographies. Aucune archive n'explique notre destin. Parmi nous, combien d'anges sont morts ? Combien de faux rebelles sont partis ?

Ton bras ne pesait pas sur mon épaule, tes yeux ne connaissaient pas ce reflet sombre. Il fallait partager l'amour et la nourriture, l'écot et le vêtement. Les guitares frottées aux tombées du soir grésillaient auprès des feux de camp, et personne n'imaginait qu'un jour, le lieu des tentes de fortune serait une école.

Nous n'avions rien à regretter, nos parents nous semblaient des ennemis. Nous n'avions rien à craindre, même la prison nous faisait hausser les épaules. Et personne ne venait nous chercher, nous menotter, nous emporter, car nous avions pour nous le nombre, la lassitude des vieux et la faiblesse des enfants. Parmi les algues et les boues, tu m'appris à connaître ton corps, à enjoliver d'un baiser le décor, à accepter les vents contraires, j'apprenais à vivre dans la tendresse.

La violence n'était point absente de nos longues embardées ; la faim et le froid nous tenaillèrent durant les deux ou trois premiers hivers. Et puis le renardeau fut conçu, oisillon que tu prenais entre tes mains ; pour lui et pour sa génération, nous déclinâmes les airs de guitare vers des modes moins majeurs. Ils grandissaient ces petits sous nos mains insouciantes, quel autre parent a craint moins que nous ? Toute confiance était naturelle, tout défiance criminelle. Il était le charme de nos aubes, la joie de nos après-midi, et pour le bercer le soir nous inventions les plus belles mélodies.

Et puis le renardeau a grandi, le poisson s'est éloigné de sa mère, l'ourson s'est confronté à son père et nous ne comprenions pas.

Quel interdit avait-il à braver, au creux de nos bras libertaires ? Quelle révolte avait-il à couver contre notre amour sagittaire ? Il est bientôt minuit, tu es caché derrière le lit. Moi, j'attends au bord de la fenêtre aux volets fermés. Les sirènes des bateaux annoncent la police du port et dans l'école d'en face la discipline claque comme un fouet. Quand des pas résonnent dans la route nocturne, de l'autre côté du garage, nos cœurs battent sourdement et nos tempes se mouillent. Que lui avons-nous donné qui l'a privé de lui-même ? Est-ce de nous avoir vu nous aimer dans les flammes de la nuit, est-ce de ne l'avoir pas empêché de jouer avec le totem des gitans du sentier des étangs ? Nous savons qu'il a un fusil, acheté dans les villes des bords d'autoroute, et qu'il reviendra, tôt ou tard, tuer son père, violer sa mère et sangloter tout seul au milieu des ruines de son enfance, jusqu'à ce que la police l'enferme ou le tue ou l'absolve et qu'il meurt à son tour, désespéré. Tu le hais, je lui ai déjà pardonné et nous le savons tous deux. Tout au bout de nos rêves de jeunesse, il y avait donc la punition qui attend ceux qui s'affranchissent des règles. Le châtiment qu'aucun salut ne rattrapera.

Hanno Buddenbrook

Traduit par Edith de CL et H. Lammermoor

 

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