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mardi, 14 avril 2020

Le primat

La politique est sans issue. Elle sépare les amis qui s'aiment. Il faudrait toujours se rappeler que l'amitié est beaucoup plus belle, même quand elle nécessite des silences et des diplomaties.

Certes, tout est politique, ou tout peut l'être.

Alors il faut choisir si l'amour ou la politique vient en premier dans une existence.

Et malgré mes passions politiques, ou peut-être parce qu'elles sont déchirées entre plusieurs écoles qui se haïssent, je choisis l'amour.

L'amitié est belle quand elle se ressemble, elle est belle aussi quand elle dissemble au point d'exiger renoncements et efforts pour marcher l'un vers l'autre.

Et pourtant, certaines circonstances sont terribles, elles exigent une sorte de position publique, alors même qu'on ne souhaiterait pas la fournir - peut-être même qu'on n'a pas d'opinion tranchée. Ces moments sont difficiles pour les amis qui se retrouvent écartelés dans des camps adverses ou entre un gouffre et un marécage. On redouble d'efforts, d'humour ou de délicatesse, on tient le plus longtemps possible.

Je rêve d'être celle qui tient au-delà de toutes les digues, pour le plaisir de l'amitié éternelle.

Mais j'ai déjà chuté plusieurs fois.

 

(Et pour s'enfuir : L'enfance, la civilisation et le monde sauvage)

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lundi, 13 avril 2020

Calculs bilieux

Nous calculerons sans doute un jour que le nombre de morts dû au confinement lui-même (enfermement des gens, chute de l'économie, désespoir des isolés) fut beaucoup plus grand que celui provoqué par le coronavirus. Sans doute les gouverneurs de la cité ne le font-ils pas exprès. La lourdeur contradictoire de l'administration, l'incapacité personnelle des gens en place, les fils à la patte qui les guident et que nous n'apercevons pas expliquent mieux qu'aucun complot l'indigence de notre situation. Les soupçons de conspiration ne sont que la manière populaire de croire encore à l'intelligence du sommet de l’État.

Donc, la France et l'Union européenne organisent un désespoir de grande ampleur, celui des vieilles personnes enfermées dans les Ephad qui se sont vues abandonnées du jour au lendemain et vont mourir d'abandon et de désespoir, dans l'incrédule incompréhension de ce qu'on leur fait subir. Comme des chiens abandonnés qui gémissent leur douleur nue derrières les chenils. Face à la conjuration de la politique économique et sanitaire et de son bras armé, la police, nous assistons médusés à notre propre enfermement et à la torture morale de nos proches sans pouvoir rien faire, car le peuple n'existe pas. Il y a des individus isolés qui souffrent et une classe qui dirige mais le peuple est le mythe qui s'effondre dès qu'il faudrait réagir. Et chaque fois qu'on croit voir le peuple (liesse des matchs de football, défilés militaires acclamés, toutes sortes de scènes collectives), c'est que les gouverneurs souhaitent le voir ainsi constitué en peuple, mais le peuple par lui-même et pour lui-même n'existe pas et n'existera jamais. Les révolutions et renversements ne sont que le moment où la majorité des gouverneurs est passée de l'autre côté. C'est loin d'être le cas en ce moment.

 

Ailleurs :

Un beau texte de Mathieu Yon

 

Pour écrire des lettres à ceux qui demeurent enfermés dans des ephads, sans visites, et à qui des gens déguisés en cosmonautes apportent leurs repas :

Une lettre, un sourire

 

Et puis Ultra Violence

Son ultra-violence est douce comme une pluie de chlore dans des millions de poumons humains.

 

dimanche, 12 avril 2020

Dîner près de la cheminée

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Souhaitez-vous souper d'un chou braisé de la Grossetière ? Rien de plus simple, voyons. Faites donc revenir échalotes et ail, tandis que vous faites blanchir le chou puis le coupez en lamelles. Ajoutez le chou aux échalotes et à l'ail, ajoutez ensuite une carotte et deux pommes de terre coupées en morceaux, cela dans un faitout suffisamment grand pour recouvrir le tout d'eau. Laissez cuire une heure ou deux, plutôt deux qu'une, à petit feu, puis, d'un côté prenez le jus et mettez le dans une carafe pour le boire froid, quant au reste, mettez le dans un plat avec un tout petit peu de bouillon et saupoudrez toute la surface de fromage rappé, puis enfournez. Laissez dans le four une demi-heure.

Boire vin rouge et bouillon de chou froid.

Puis biscottes et vache qui rit.

Entre ceci et l’entremets, réciter ou lire le mot et la chose.

Puis tarte aux figues et fromage blanc. 

samedi, 11 avril 2020

Samedi saint

D'ici et là...

D'ici :

« Être un bon chrétien en ce temps de pandémie, c’est être un « citoyen responsable » qui obéit aux diktats sanitaires, qui « reste chez soi », « se confine », « s’isole », « se lave les mains », « se tient à distance » de son prochain, consent « pour son bien » à ne plus visiter ses vieux parents, malades, handicapés, prisonniers « confinés » de force dans leurs institutions, etc. Qu’importe s’ils meurent d’abandon : ils ne seront pas morts de ce fameux coronavirus ! Mais bigre, pourquoi soudainement tant de prévenance pour nos vieux et handicapés, dans une société qui plaide pour leur euthanasie ?

Les cloches sonnent, et les mains applaudissent, pour le personnel soignant mais elles ne sonnent pas, et le dimanche des Rameaux nos mains n’applaudissent pas, pour Celui qui vient soigner nos âmes et peut éradiquer cette épidémie par une seule parole. Si du moins nous L’en implorons « dans les larmes, la prière et le jeûne ».

(Extrait du blog des laïcs belges)

 

et de là :

 

« Silence autour du tombeau. Avons-nous été trompés ? Était-ce un songe, cet Évangile que nous avons entendu de sa bouche ? Faut-il espérer contre toute espérance ? Seule l’obstination des femmes peut vaincre la réponse muette de la pierre tombale. La pierre dit : tout est fini... Les femmes devant la pierre, le regard dur, les dents serrées, répondent : non, notre amour, lui, continue !

Il en est une en particulier, qui ne laisse pas son cœur envahir par l’obscurité du désespoir : Marie. Elle se souvient de la prophétie de Syméon : « un glaive de douleur transpercera ton cœur ». Son cœur de mère fut percé en voyant son fils sur la croix. La douleur est entrée, mais non pas le doute. La force de la prophétie soutient sa foi. Marie, seule, croit ».

(Extrait du site des frères de Chéméré)

 

mercredi, 08 avril 2020

D'un village aquitain

D'un village aquitain, LB nous envoie deux images et ces lignes entre les lignes :

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« … en cette période dont on ne saisit pas les contours temporels notamment, les pensées parfois malmenées par les angoisses trouvent des sentiers inexplorés peut-être

 

… la violence politique était déjà difficilement supportable, mais aujourd'hui on la vit de plein fouet, sans les armes du quotidien, les relations sociales, les réconforts habituels, les échappatoires conditionnées, nous-même donc sans plus de gants, ni de masques

… je n'échappe pas toujours aux médias de masse ici, ce qui me montre la réalité des informations mises en scène pour la majorité, c'est l'apogée du manichéisme médiatique, de l'écrasement des graines de la pensée dans un terreau d'images en décomposition conceptuelle, politique et esthétique. Et j'en mesure l'impact sur les cerveaux que je côtoie

… à la longue, j'ai peur que ce terme RECLUSION SANITAIRE prenne tout son sens car je vois que nous avons affaire à un gouvernement motivé par l'économie à tout va, et que le sanitaire soit le leitmotiv pour justifier la purge de tout ce qui n'ira pas dans sa folle direction autorito-financière. Protégeons nos fêlures par ailleurs, elles sont aussi notre soi. »

 

L.B.

lb

mardi, 07 avril 2020

L'algocratie échouera face à la douceur des patios

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lundi, 06 avril 2020

Mythéréel

Je ne dois pas me laisser aller à craindre l'horreur de l'intelligence artificielle, du biopouvoir, de la technodictature, parce que ce sont des mythes, autant que la révolution, la non-violence ou l'égalité.

Or, adorer ou craindre un mirage équivaut à une perte de lucidité.

J'aurai toujours - et mes neveux aussi - des marges de manœuvre, des zones libres, des pans entiers de mon être, de mes relations, de mon mode de vie et de mon corps qui échapperont entièrement aux Pouvoirs et auxquels ils ne s'intéresseront même pas.

Je m'offre le droit de croire que je mourrai dans un monde devenu meilleur, plus beau, plus doux, plus intelligent que celui dans lequel j'ai grandi.

dimanche, 05 avril 2020

La vie exposée

« Ce que nous avons sous les yeux aujourd'hui, c'est en effet une vie exposée comme telle à une violence sans précédent, mais précisément dans les formes les plus profanes et les plus triviales. Notre époque est celle où un week-end produit plus de victimes sur les autoroutes d'Europe qu'une campagne militaire ; mais, parler, à ce propos, d'un « caractère sacré des glissières de sécurité » n'est, bien sûr, qu'une antiphrase.

De ce point de vue, la volonté de donner à l'extermination des juifs une aura sacrificielle à travers le terme d'« holocauste » relève d'une démarche historiographique aussi aveugle qu'irresponsable.

Le juif, sous le nazisme, est le référent négatif privilégié de la nouvelle souveraineté biopolitique et, comme tel, un cas flagrant d'homo sacer, au sens où il représente la vie qu'on peut ôter impunément mais non sacrifier. Son meurtre, comme on le verra, ne constitue ni une exécution ni un sacrifice, mais seulement l'actualisation d'une simple « tuabilité » inhérente à la condition de juif comme tel. La vérité, difficilement acceptable pour les victimes elles-mêmes mais que nous devons pourtant avoir le courage de ne pas recouvrir d'un voile sacrificiel, est que les juifs ne furent pas exterminés au cours d'un holocauste délirant et démesuré, mais littéralement, selon les mots mêmes de Hitler, « comme des poux », c'est-à-dire en tant que vie nue. La dimension dans laquelle l'extermination a eu lieu n'est ni la religion, ni le droit, mais la biopolitique ».

 

Giorgio Agamben, IN Homo sacer, Seuil entre la deuxième et la troisième partie

Un article intéressant sur Homo sacer et particulièrement sur ce passage : Retour sur le camp

dimanche, 22 mars 2020

cella mihi caelum

La cellule est pour le religieux le lieu de l’étude, de la prière et d’un saint repos. Il est seul à y pénétrer. Selon l’adage ancien, « cella mihi caelum », « la cellule est pour moi un ciel ». Ce lieu solitaire et silencieux, ce petit désert, est le lieu de la présence de l’âme à elle-même, « la cellule de la connaissance de soi » (Sainte Catherine de Sienne), car il n’est rien pour la distraire.

 

Un article de la fraternité Saint-Vincent Ferrier, à lire ici dans sa belle complétude

samedi, 21 mars 2020

قسنطينة poème du printemps 2020

Tu disais des poèmes aux quatre saisons. Tu n'es plus. Il faut bien que quelqu'un te succède à cette valse de mots.

voici, Le vieux majordome, le poème de l'hiver 2017 ;
voici Fazil, le poème du printemps 2017 ; 
voici Dans la chambrée, le poème de l'été 2017 ; 
voici Silentium, le poème de l'automne 2017, ; 
voici Héroïne, le poème de l'hiver 2018 ; 
voici Tbilissi, le poème du printemps 2018 ; 
voici Portrait d'été, le poème de l'été 2018
voici Pluie d'étoiles, le poème de l'automne 2018 ;
voici Spectre, le poème de l'hiver 2019 ;
voici Les champs de persil, poème du printemps 2019 ;
voici Antigua, poème de l'été 2019,
Voici Humus, poème de l'automne 2019.
Voici Je descends l'escalier du temps, poème de l'hiver 2020

 

Constantine

 

Sur tes ponts suspendus, Constantine,

Les soleils se couchaient en murmurant à l'âme

Les arcanes d'un présent perpétuel,

Et dans tes rues et dans tes ruelles,

Le silence descendait en menace constante.

 

Au fond des maisons et des cours,

A travers les feuillages fragiles,

Se glissait un secret que nous n'entendions pas.

Il se faufilait par tes toits,

Ville de l'attente, Constantine !

 

vendredi, 20 mars 2020

Maraï, persona non grata en pays communiste

« J'ai l'impression que les communistes s'imaginent que je devrais me couper la tête, étant donné que la culture à laquelle j'appartiens et que, dans une modeste mesure, je représente peut-être dans le champ littéraire, est pernicieuse ; ensuite, il faudrait que j'attrape une bonne touffe de cheveux pour soulever très haut ma tête coupée et qu'ainsi, je prononce un grand réquisitoire contre ma classe et moi-même, en insistant sur la légitimité exclusive de la culture ouvrière. Après m'être exécuté, je pourrais me débarrasser de ma tête sur le tas d'ordures.

Un projet intéressant mais un peu difficile à mener sur le plan technique ».

Sandor Maraï, Journal, années 1943-48, traduction de Catherine Fay

jeudi, 19 mars 2020

Étranges jours d'Europe

(Étranges jours d'Europe, dont le mystère est absent)

Premier jour

... chut !

Second jour

Seigneur, Ô maître des moissons, créateur du temps. Dans le silence qui s'installe, je me souviens que des vieilles personnes m'avaient parlé de vous.

J'étais enfant, je les croyais. Mais leurs paroles punitives et menaçantes m'ont révoltée. J'ai rejeté ce vin amer.

Je vous ai relégué dans ce pays imaginaire de l'inexistence.

 

Troisième jour

Voici que le silence des hommes avance à chaque seconde, voici que leurs machines se taisent. Les oiseaux soudain recommencent à chanter.

Désœuvrée, je me tourne vers vous.

Vous qui n'existiez plus.

 

Quatrième jour

Vous ?

Dieu.

Que me direz-vous ? Je vous attends.

« Ne crains pas le silence ». La réalité finit de s'enfuir. Nous sommes assis. Nous attendons le dernier rêve.

 

Cinquième jour

Les paupières se closent imperceptiblement. Monte un air de guitare espagnol, et soudain, palpite à nouveau le temps présent.

Quel est ce souffle qui gronde à quelques mètres de moi ? Peu importe que ce soit la bonté puissante de l'océan ou la rage désordonnée des machines roulantes.

Ferme les yeux, que revienne à la conscience, comme une vague lente et bleue perlée d'écume, le paradis perdu.

 

Sixième jour

Une à une, lentement, je descends les grandes marches du port de Port Saint-Rêve des Morts. Des fanions fanent aux persiennes fermées ; d'une maison de calcaire, s'évapore un fumet délicieux, de thym, de poisson frit, de légumes d'entre deux saisons.

Au loin, à peine visible, de l'autre côté de la mer sans autre bateau que le dragueur éternel du soir, scintille la baie ovale de Saint-Jean, où les réverbères de Saint-Jean en Ville viennent de s'allumer, tous ensemble, à l'instant.

 

Septième jour

Et dans ces jours brûlants, sans négoce, sans agitation, sans activité, où l'ennui s'étire comme un gros chat sur la pierre chaude, l'âme s'interroge sur sa propre innocence, dont elle pressent qu'elle est factice. Ô souffrance ! Tu ne donnes aucun passe-droit vers l'absolution.

Des petits enfants ramassaient des cailloux et les rangeaient dans leurs poches il y a quelques mois, quand il n'étaient pas tous enfermés à l'intérieur des maisons.

 

Huitième jour

Et sous ces nuits glacées, que le sommeil visite en amant infidèle, où l'angoisse s'étend comme un empire antique sur des friches d'enfance, le corps visite sa propre chair, dont il entend l'appel de mort. Ô vacance de la joie ! Tu fais de l'être un linceul pensant.

Noix, pommes, œufs, en rémission d'une fête de cuisine, frissonnent dans le vent léger de la porte entrouverte, trésors précieux au renouvellement inassuré.

 

Neuvième jour

Mendiant de l'aurore, tu cueilles l'ozone et le bouton d'or des prés, tu déambules à travers les zones désertées par la foule. Mendiant de la douleur, tu ramasses les fardeaux oubliés.

 

Dixième jour

Le dixième jour est celui de l'espérance. Nous quittons l'ère de la déploration. Surgissent les vagues de l'amour. Rayonnent les astres du lendemain. C'est parce que nous avons renoncé à marcher et accepté de mourir que la mort a quitté son masque de menace.

Elle n'est plus qu'une compagne de vie, comme la vie est compagne de mort, elles ne sont plus que les deux faces de notre sourire raffermi dans la joie éphémère.

 

Onzième jour

Je tourne autour du polynome sans discerner sa trace, je glisse sur des vagues d'algèbre, surf aux écumes poétiques, en quête de Dieu.

Maître, seigneur des empires, père des individus. Dans le chant des pinsons, je crois me souvenir qu'on entend un peu de Vous.

 

Douzième jour

Ulysse navigue autour de la galaxie en son vaisseau de plexiglas.

Le jour a éventré la nuit, la nuit se casse.

 

Treizième jour

Et nous nous enfonçons dans le temps arrêté, arrêté dans l'espace.

 

Quatorzième jour

L'espace a mangé toute la place ! Le temps devient une toute petite bille, un point, une particule, et hop ! Disparaît.

Il n'y a plus d'heures pour flotter dans la poussière, il n'y a que la lumière et l'absence de lumière, il n'y a que les ténèbres et l'absence de ténèbres.

 

Quinzième jour

Fils de Dieu, assis à la droite du maître de maison, dans la salle du banquet, donne-nous ta leçon de ténèbres. Immobiles, nous marchons vers Pâques, qui n'est ni un lieu, ni un jour, mais le redressement du monde.

Silencieux, au milieu du silence, nous écoutons les éperviers interrompre le silence.

 

Seizième jour

Comme une biche essoufflée recueille la rosée, ainsi ma vie te cherche, toi, la Joie.

À l'ombre de la croix des bras de la fenêtre, je lis ce même livre, vieux comme Adam peut-être.

 

Dix-septième jour

Fils de l'homme, ou fille, debout face aux toits de la ville, sur la courte terrasse fleurie, regarde les hirondelles nicher sur les cheminées ! Constate que les maisons les plus douces aux humains le sont aussi pour le duvet de l'animal sauvage.

Immobiles, au milieu des latences, nous contemplons l’œuvre du vent sur les feuillages.

 

Dix-huitième jour

On ne sort plus dehors.

Dehors, les uniformes détruisent les vies fragiles par abus de pouvoir, ils jouissent et chaque passant doit faire profil bas. Il n'y a plus de foule, ni de groupe, des humains isolés comme des loups omégas cherchent à passer entre les mailles du filet.

Le filet de la dictature policière.

 

Dix-neuvième jour

Les grosses bouches des ministres vomissent des phrases malformées dans les écrans des maisons.

La langue française a fui la bassesse du pouvoir, elle chuchote en secret dans les greniers.

 

Vingtième jour

À travers tes yeux plissés, accoudé au pan de la fenêtre, vois la procession des enfants qui portent le buis en chantant : Bénis soit Celui qui vient, hosanna dans les hauteurs !

 

Vingt-et-unième jour

Vogue, vaisseau de l'oubli, dans les célestes corridors de l'invisible.


Vingt-deuxième jour

Plane, éternel enfant, parmi les nuées roses et grises.

 

Vingt-troisième jour

Tu es reine pestilentielle, ô bacille de la délation, qui ne meurs ni ne disparais jamais, attendant patiemment dans les armoires etc, mais lorsque tu reviens ce n'est pas l'entraille du rat que tu colonises, mais le cœur de l'homme.

Olfactive ? Si peu... Ta pestilence est absconde.

 

Vingt-quatrième jour

De l'autre côté des façades, dans les patios cachés, fraîchement repeints, les écrans meurent, les lois d'exception s'oublient, l'état d'urgence se ridiculise, les verres s'emplissent à demi et se sirotent dans la lenteur. La douceur des patios vaincra l'algocratie.

 

Vingt-cinquième jour

Résipiscences, vous n'êtes qu'hypocrisie.

 

Vingt-sixième jour

Voix bretonnes, voix tchèques, voix albanaises, voix germaniques, voix qui s'intriquent en une plainte contrapuntique, et mon ouïe française qui flanche d'angoisse.

 

Vingt-septième jour

Et mon cœur français, qui bat la cadence de la honte.

 

Vingt-huitième jour

Mon cœur ? Il pompe le sang.

Ma honte ? Elle prééxiste. C'est elle qui prépare les êtres à toute soumission à venir.

 

Vingt-neuvième jour

Il est midi depuis quelques heures dans cette ville atlantique silencieuse.

 

Trentième jour

Soudain minuit sonne. L'ombre nous voile. La lune rit.

Les antennes frissonnent sous la nuit en impulsion.

 

Trente-et-unième jour

Quand le jour reviendra, nous serons en prison.

Incarcérés à domicile, entre fascination et répulsion.

 

Trente-deuxième jour

Attendez-moi, houlques laineuses qui valsez dans les champs ! Je viendrai mourir libre au milieu de vos froufrous !

 

Trente-troisième jour

Tilleuls, vous exhalerez vos parfums du soir.

 

Trente-quatrième jour

Je courrai à en perdre haleine dans les hautes herbes vierges.

 

Trente-cinquième jour

Je mourrai en riant.

 

Trente-sixième jour

Les psaumes me suivront.

Chantés par des hommes aux voix graves, les psaumes m'absoudront.

 

Trente-septième jour

Mon cerveau, confiture d'oublis.

 

Trente-huitième jour

Mon corps, rouille aux articulations.

 

Trente-neuvième jour

Mon sternum bisexuel désire et la dame de pique et le valet de cœur.

 

Quarantième jour

Au quarantième jour, la quarantaine s'achève. S'ouvre l'ère du combat, pas encore perceptible.

Il était une fois, dissimulés dans des corps flasques, toutes les grandeurs des hommes qui s'éveillaient secrètement à l'évolution qui vient.

 

Quarante-et-unième jour

Léthargie, léthargique essence de l'être en dissolution, noyade dans les couleurs de Schoenberg.

 

Quarante-deuxième jour

Endormissement, éblouissement, droguée par la fête des belles eaux de Messiaen.

 

Quarante-troisième jour

Non. Non... Non ! Nooooon ! Noooon ! Non !

 

Quarante-quatrième jour

Éclats d'obus sur mon cortex, je vacille, je ressuscite.

 

Quarante-cinquième jour

Voici venir le soir et l'espérance du salut.

 

Quarante-sixième jour

Douce grâce, stupéfiant Amour. Nous tournons les yeux vers vous, nous, serviteurs de l'invisible. Armée de solitudes, dans nos uniformes de la banalité. Touchez notre mutisme, regardez notre attente. Nos bras levés vers vous, union inaccessible.

 

Quarante-septième jour

Marcher après l'immobile terreur, tomber dans la pluie sur le béton sale.

 

Quarante-huitième jour

Le sol se troue, la rue tombe, le fleuve surgit.

 

Quarante-neuvième jour

La ville vogue sur les trombes d'eau réjouie.

 

Cinquantième jour

Les vers n'éclosent plus depuis que la matrice a prononcé en silence le jugement sur mon œuvre.

 

Cinquante-et-unième jour

En mai, fais semblant de ne pas faire ce qu'il te plaît. Ainsi tu plairas aux policiers et ta liberté, intacte, s'éveillera en secret.

 

Cinquante-deuxième jour

Sursis du végetal, tandis que Cassandre raconte les horreurs qui s'avancent vers nous, je contemple à travers mon rêve ces feuilles de diffenbachia qui dilatent leur verdure au-dessus des fougères, le béton est mort, vive la chlorophylle !

 

Cinquante-troisième jour

Se frapper soi-même pour ne pas tuer les gens qu'on aime et ainsi les faire souffrir un simili-martyr sans hématome.

 

Cinquante-quatrième jour

Noirceur incolore, blancheur élégante, arc-en-ciel fugitif, tout vacille aux dernières secondes de l'entendement.

 

Cinquante-cinquième jour

Étranges jours d'Europe !

 

Cinquante-sixième jour

Étranges jour d'Europe, dont le mystère est absent. Vous défilerez comme des fenêtres sous nos yeux souffrants. Étranges jours d'Europe aux mystères immanents. Vous transformerez nos malêtres en perpétuel changement.

 

 

dimanche, 01 mars 2020

Le rêve marocain

Voici un fragment de Lyautey l'Africain, sorte de biographie de Lyautey par Jacques Benoist-Méchin, publiée en 1978

 

« Cette plage extrême de l'Occident sur laquelle ont déferlé Oqba el Nafi et ses cavaliers venus de la lointaine Arabie est d'une richesse insoupçonnée. C'est un pays de montagnes, de pâturages et de plaines qui semble né du mariage de la neige et du feu. Il contient des espaces désertiques, dévorés par le soleil ; des palmeraies profondes, pleines d'ombres et de fraîcheur, mais aussi des villes où l'on perçoit, d'une façon presque physique, la densité des siècles.

Il y a d'abord Fès, « demeure de la foi, de la science et de la sagesse », dont l'université a attiré depuis sa fondation les plus grands penseurs de l'Islam : Ibn Khaldoun, Aben-Zohar, Averroès, d'autres encore... Orfèvrerie de pierre, d'albâtre et de faïence, ivre de musiques et de parfums, c'est une ville savante et pieuse dont le visage a la pâleur d'une passion trop ardente, brusquement refoulée.

Il y a Meknès, la capitale de Moulay Ismaïl, avec ses quinze minarets carrés dressés comme des tours de guet au sommet d'une colline, son palais cyclopéen et son jardin abandonné, que hantent les fantômes de la majesté et de la mélancolie.

Il y a Rabat et Chella, aux portes massives ; Salé, repaire de corsaires audacieux ; Mogador, où somnolent sur une terrasse crénelée de gros canons portugais braqués sur l'Océan.

Et puis il y a Marrakech, cette ville couleur de miel, de cuivre et de flamme, d'une sauvagerie raffinée, où l'art arabe semble avoir voulu rivaliser avec la grandeur romaine ; Marrakech, ceinturée d'une immense palmeraie, dont les panaches de bronze se découpent sur la blancheur des neiges et qui enclôt, dans ses seize kilomètres de remparts, la Koutoubia, sœur jumelle de la Giralda de Séville, et des palais plus vastes que les thermes de Caracalla.

Mais il n'y a pas que les villes. Il y a les plaines du Sous, de la Chaouïa, du Gharb et de la Moulouya, d'une incroyable fertilité, pour peu qu'on les irrigue. Il y a les forêts de chênes-lièges, de cèdres et d'eucalyptus. Il y a des phosphates et du fer, du plomb et du manganèse. Enfin, il y a les hauts plateaux et les pentes de l'Atlas, réserves quasi inépuisables de guerriers et de cavaliers superbes, chez qui le chant et la danse sont un prolongement du combat. »

 

Le Maroc d'AlmaSoror :

France, Maroc, Mali, XVII ème siècle

Pierre Loti par René Lalou

Aziza Brahim du Sahara

 

Jacques Benoist-Méchin sur AlmaSoror :

Jacques Benoist-Méchin sur AlmaSoror :

Il est cité dans Le désillusionné

Il est mentionné et cité dans La fabuleuse plume de Jacques Benoist-Méchin

Il est cité et mentionné dans Le style immense et plein de pensée de Jacques Benoist-Méchin

Il est mentionné et cité dans Trois esthètes du XX°siècle : Rolland, Benoist-Méchin, Vaneigem

Il est cité dans Épuration.

Il est cité dans Fragment d'un printemps arabe

Il est cité dans Invasion de l'Europe - Année 700

Il est cité dans Isteamar de l'intérieur

Il est cité dans Plume d'or sous un manteau d'étoiles

Il est cité dans Une longue mélopée

Il est cité dans Les sirènes du port d'Alexandrie

Entre deux pluies

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mardi, 25 février 2020

Gérer sa vie privée pour rendre son enterrement supportable

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Quand les gens baisent avec n'importe qui dans des bas-fonds (ou dans les hauts-fonds) et que leurs amis font comme eux, tout va bien. Leurs enterrements ressemblent à des messes du contre-pouvoir, pleines de fraternités et de signes inconnus dans les appartements des bourgeoisies calmes.

Quand ils respectent des codes sociaux et moraux précis, plus ou moins contraignants, tout au long de leur vie, et qu'ils disent comment il faut vivre et vivent à peu près comme ils disent, il n'y a pas de problèmes. Leurs enterrements sont calibrés par le rite social et les larmes ont leur place, les rires aussi pour la brioche qui suit la cérémonie.

Quand les gens détruisent ce qu'ils construisent et s'accrochent à la fois à l'apparence de la civilisation officielle et à la vérité basse de leurs pulsions, alors rien ne va plus. Leurs enterrements sont des cauchemars pour les familles officielles qui découvrent ou font face à la face cachée. Momentsde drame pour les relations interdites, pour ceux dont personne ne connaît l'existence et qui se retrouvent seuls, inconnus aux yeux de tous alors qu'ils ont partagé les heures intimes du disparu.

Quand certains construisent puis délaissent puis reconstruisent et ainsi polygament et poly-procréent tout en faisant toujours comme si ils étaient monogames et bien sous tout rapport, croyant qu'on peut épouser plusieurs personnes ici-bas au lieu de vaquer librement de l'un à l'autre ou d'être fidèle à un engagement, ils compliquent tout pour les familles décomposées-recomposées, ainsi réunies autour de celui qui n'est plus là pour faire tenir l'ensemble debout.

C'est pourquoi, je vous le dis, soyez francs du collier dans la norme comme dans l'anorme, amusez-vous ou respectez les règles mais ne vous amusez pas, soit à avoir une double-vie, dont l'une est cachée, soit à empiler les constructions de couple, de familles, de relations, d'achats, car tout votre édifice s'écroulera autour du cercueil ou pendant la brioche.