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Santa-Venexiana

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Derrière l'église de Port-Saint-Rêve des morts, dans la maison de la vieille femme, l'adolescent humait ses rêves en avalant des séries audiovisuelles.

Santa-Venexiana avait été partiellement détruite par les prêtres neufs qui souhaitaient que le surréalisme remplace la religion catholique ; mais il restait une âme à cette église, et il restait une chance au jeune homme.

Je marchais, je marchais toute la journée. Les mois passaient, et même les années. Je marchais, les yeux dans le vide, emportée par une rêverie détachée du réel, comme un bloc de glace qui erre sur un océan lointain, détaché de l'iceberg-père.

 

Sur nos poussièreuses terres almasororiennes :

Port Saint-Rêve des Morts

Sur un élément de la lettre d'Hélène

Sommaire de La dernière messe

Algues séchées

Ecclesia

Hommage à Miles, par Joan Yufitran

Vous reveniez le soir en longeant les remparts

Les basaltiques, critique d'un album musical

Prières pour la ville atlante

La croix du Sud

Le groove dans le blog

Souffle et drogues autogénérées

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mercredi, 07 octobre 2020 | Lien permanent

Calme, calme, calme à Zurich

 

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Un extrait de MARS, de Fritz Zorn, déchirant pamphlet datant des années 1970

"Dans ma maison de la Krongasse, à Zurich, tandis que je prends des notes pour cet essai, on crie par les fenêtres des maisons voisines : Du calme ! La Krongasse est un séjour privilégié de Zurich car la rue est si étroite que c'est à peine si les autos peuvent l'emprunter et quand par hasard il en passe une, elle glisse sans un bruit jusqu'au bas de la rue. C'est aussi un quartier convenable où il n'y a ni bistrots ni bars et où on n'entend jamais, la nuit, les braillements des ivrognes. Mais ce n'est pas encore assez calme pour les gens. Parfois en effet, à midi, de petits enfants jouent dans la rue, ce qui est commode pour eux justement parce qu'il n'y a pas de circulation. Ces enfants crient parfois en jouant et alors les vieilles femmes de la Krongasse se sentent en droit de crier par les fenêtres : « Du calme ! » Pourtat c'est déjà calme ici, mais il faut que ce soit encore plus calme et c'est pourquoi on crie par la fenêtre « Du calme ! ». Le soir, quand quelques jeunes gens chantent des chansons sur la terrasse, on appelle la police car chanter des chansons constitue un tapage nocturne. À Zurich, quand quelqu'un joue de la guitare après midi près d'une fontaine dans la vieille ville, on appelle aussi la police car c'est une violation de la sieste. Chaque heure du jour a son calme particulier et quand ce calme n'est pas respecté et que quelqu'un chante des chansons, alors la police arrive car, pour le bourgeois, le calme n'est pas seulement son premier devoir, c'est aussi son premier droit. Chacun s'abrutit dans le calme de ses quatre murs et lorsqu'il est dérangé dans son abrutissement par un bruit étranger, il se sent lésé dans son droit à s'abrutir et appelle la police".

 

Extrait de Mars, de Fritz Zorn

Traduit de l'allemand par Gilberte Lambrichs

1977

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lundi, 10 septembre 2012 | Lien permanent

Lignes de fuite

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à Hanno, fraternellement, en souvenir de l'invécu

I Frontière

Nous allons faire la fête. Prenez ces verres qui se tordent de n'être pas bus au bord des tables penchées sur l'herbe. Laissez là vos manteaux et vos cravates, nous n'en aurons plus besoin de l'autre côté de la rivière, sur la butte où les pas ne laissent pas de trace.

Pluie et rayons du soleil dansent dans l'après-midi du parc et les vins tournés dégoulinent sur les nappes de papier.

Jazz, jazz, tu n'es pas mort, tu coules commercialement des hauts-parleurs et tu emportes le petit groupe vers son errance. Déni des livrets A et des clés de voiture, oubli de tout ce qui nous distingue en ville.

Avançons sur les chemins à moitié balisés sans écraser les fleurs printanières écloses hier.

Vous retournerez sur vos pas peut-être, ce soir ou demain quand nous en aurons fini avec la fête émerveillée. Moi, je crois que je ne reviendrai pas. Je chercherai plus loin sur la rive une maison sous un ciel qui promet la vue des étoiles chaque soir de la vie.

Car désormais, chaque soir je veux voir, dans un ciel d'un noir pur, scintiller des étoiles.

  

II Vertige

Là-bas, caresses fondantes, délices au fond des baisers qui se fondent en ondulations nuageuses vers les sphères éreintées des étreintes trop puissantes. Ici, à genoux sur les prie-dieu, chapelets monocordes jusqu'au Salut par l'Esprit qui souffle où il veut.

Ne jugez pas, car toute voie qui peut être tracée n'est pas la voie. Si vous riez de ci ou de ça, vous êtes cuit.

 

III Infusion

Une vie qui serait un long dimanche après-midi ; le soleil coulerait en lampée de miel sur la partie sud des maisons. Les arbres frissonneraient au léger vent de l'Ouest. Et les vieilles chansons de la forêt, chantées là-bas par des dames vieilles, berceraient nos langueurs. Une guitare ? Peut-être. Mais surtout, la douceur vagabonde de l'oubli.

Edith

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dimanche, 05 mai 2013 | Lien permanent | Commentaires (4)

Tristesse balnéaire, béton désarmé, stations essence, séniors en culottes courtes

Je parcours ces longues allées de béton. Ni rues, ni routes. Entre les deux. Elles portent les noms d'obscurs anciens responsables politiques qui n'ont rien apporté au monde mais à qui la ville servile, la nation obséquieuse, rend hommage.

Je croise des personnes âgées de soixante ans et plus, marchant deux par deux, la plupart vêtus de shorts. L'expression « en culotte courte », jusque dans les années 1980, désignait les enfants, seuls à porter ces courtes tenues. Point d'enfant ici, ou si peu. Les familles emplies d'enfants ne connaissent pas les moyens financiers de vivre dans une ville qui borde l'Atlantique ! La ville appartient aux retraités, qui se promènent en culottes courtes, exhibant leurs jambes vieilles et bronzées. Ils marchent par deux mais une étude approfondie de la société de cette petite ville me permet de dire que la plupart ne sont pas de vieux couples, mariés depuis leur jeunesse. Ces couples qui peuplent notre ville se sont rencontrés il y a deux ou trois ans, dix ans tout au plus, sur des sites internet de rencontres amoureuses. Chacun des partenaires a connu auparavant au moins un premier mariage, eu des enfants devenus grands aujourd'hui.

Je marche le long des voitures incessantes, je marche le long des maisons laides. L'urbanisme de ce coin de Vendée ne suit aucune ligne esthétique, aucun point de vue solidaire, aucune cohérence historique : l'amas informe de maisons individuelles ou de résidences collectives se prolonge durant des kilomètres. Les points névralgiques de ces entrelacs de béton sans queue ni tête sont les stations essence et les centres commerciaux. Il y a un bourg animé au cœur de la ville, qui fut un port de pêche sémillant, antan. On s'y retrouve pour flâner l'après-midi, on dépense de l'argent dans des restaurants qui refusent les handicapés mentaux, et puis on rentre chez soi regarder la télévision. En short. À soixante-cinq ou soixante-dix ans. Avec son conjoint récent.

 

Saillies urbanistiques d'AlmaSoror :

La première porte de garage

Couple

La ville qui vient

Les stations service

Les multinationales de la Mort

Errants des mégapoles d'Europe

Le règne de la pluie

Une cabane au fond de la forêt

Entasser un maximum d'êtres humains

L'absence de valeurs chrétiennes

Nos papas les états-uniens

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lundi, 17 juillet 2017 | Lien permanent | Commentaires (3)

Quelques févriers d'AlmaSoror

2017

Je m'asphyxie avec de la poudre anesthésiante. Des sons dans mon oreille ressemblent à des cloaques.

Comme un dimanche

2016

Aux lupercales un centaure a fécondé les troupeaux de ratons laveurs.

Extrait d'un rêve

2015

Mes paupières, oui.

Paupières

2014

Comme me le fait remarquer un ennemi qui m'est sympathique, le mariage a été vidé en plusieurs temps ; au moment de son ouverture aux couples homosexuels (2013), il n'était déjà plus qu'un flonflon, une épée fleurie honorifique et n'engageant à rien.

Pink n'est pas punk

2013

Mais toi, État américain, tu aurais dû imposer, par une loi, que les familles restent dans ces maisons qu'on n'aurait jamais dû leur vendre puisqu'elles n'avaient pas les moyens de les payer. Au lieu de cela tu as aidé les banques et tu as laissé les familles partir sur les routes et tomber dans la misère. Tu es l'un des pays les plus riches du monde et tu es l'un des plus cruels, comme ton épouse ignare et indigne, l'Arabie Saoudite.

Dernier voyage en Amérique

2012

Pleurez aujourd'hui puisque personne n'a pleuré quand le dernier berger a été emmené à la maison de retraite, quand la dernière brodeuse a dû quitter le village mort.

Ô France, comme il est violent de t'aimer !

Hameaux-tombeaux, quelles tristesses ont clos tes derniers yeux-fenêtres ?

2011

L'aristocratie de l'Ancien Régime et le soviétisme ont mieux réussi à soutenir un art somptueux, parce que les artistes ne faisaient pas partie de la classe mécène.

Vanité des arts, vides esthétiques, vacuité des audiences

2010

Puiqu'il y a blasphème lorsqu'on remet en question une certaine idée de l'homme, de l'humanité, cet humanisme ne peut pas être considéré comme une pensée athée, bien qu'elle ne croit pas en Dieu. Car l'athéisme ne reconnait pas de blasphème.

La nouvelle religion

2009

Les Carthaginois ne touchent pas à l'or, tant qu'il ne leur paraît pas payer leurs marchandises, et les Indigènes ne touchent pas aux marchandises avant que les Carthaginois n'aient pris l'or.

Le trafic à la muette

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dimanche, 25 février 2018 | Lien permanent

Vivre nos métarêves

Contenter suffisamment les gens ou les pousser à la révolte ? Si une société, ou des parents, imposent un modèle de réussite, invitent les gens à s'y conformer, les jugent en fonction de leurs résultats, mais que dans les faits, ils ne leur donnent pas les moyens de parvenir à ces résultats malgré leurs efforts, la situation devient tendue.

En tant que parent, ami, groupe, patron, si l'on veut que dure son pouvoir et plus largement sa puissance, il faut que la grande majorité des personnes sous notre houlette soit capable de s'insérer dans le système d'une manière satisfaisante tant sur le plan des moyens que des résultats. Sinon, c'est la pagaille, puis la révolte, sire, et bientôt la révolution. 

Mais quand on est l'individu qui subit une incapacité d'accomplir à la fois ce qu'il voudrait et qui est attendu de lui ?

L'homme qui voulait s'adapter et réussir dans ce monde se voit contrecarré malgré ses efforts, et considéré comme inférieur de ce fait. Dès lors, il n'a plus que des choix sombres ou éthérés : fuir dans le rêve en fournissant le minimum syndical du quotidien ; brûler sa vie dans la révolte individuelle ; fomenter une révolte collective avec des camarades pour renverser le système qui les a trompés ; ou se réfugier dans la morale, une morale au sein de laquelle il a un beau rôle, noble bien que non reconnu par la société (une morale teintée d'aigreur).

Face à une société dans laquelle d'autres semblent se déployer à merveille alors que soi-même, on rame, que faire ?

Se sacrifier est dommage... Même si ce peut être romantique, esthétique et fulgurant, l'individu qui grille sa vie par désespoir souffre tant que ce n'est pas vraiment une « solution ».

Fomenter une révolte collective demande à ce qu'on trouve un groupe adapté dans lequel on a une place qui nous convient. Dès lors, on peut gagner ou perdre, au moins la punition et la récompense seront collectives, et même s'il y a opprobre de la part de la majorité, le rebelle reste un homme intégré au sein de la rébellion.

Fuir dans le rêve en assurant le minimum syndical de l'adaptation ressemblerait à un suicide doux (alors que la brûlure de sa vie en serait un violent)... 

Se réfugier dans une morale sclérosante, mais rassurante, qui permette d'excuser ses échecs et de les justifier, est une solution qui fait mener à l'individu une vie de seconde zone, de moindre importance, puisqu'il renonce à ses rêves sociétaux mais aussi à ses rêves intérieurs ; en quelque sorte il renonce à sa puissance personnelle.

Si l'on ne choisit pas la voix rebelle collective, que l'on ne veut pas détruire sa vie que ce soit lentement ou en la grillant en un temps record, que peut-on faire ?

D'une part, définir ses métabuts, c'est à dire se demander ce qu'apportent les résultats qu'on aimerait (et ne parvient pas à) obtenir, en extraire l'essence au delà de la forme et trouver d'autres moyens d'y parvenir.

Ce n'est pas la richesse qu'on cherche réellement, car si on vivait dans un monde où un compte en banque n'a aucune valeur, mais posséder un maximum de vers de terre et avoir de gros piercings ouvrent toutes les portes, on serait prêt à échanger tous nos millions pour obtenir des vers et se percer la peau. Que cherche-t-on alors à travers la richesse ?

Il faut creuser de même pour tous les buts.

Dans notre société, qu'est-ce que les gens cherchent à tout prix à atteindre ?

De l'argent, une maison, passer des vacances ailleurs que dans cette maison, un entourage, dont des enfants, et une reconnaissance sociale, c'est à dire que les inconnus comme nos proches nous voient et se disent : ah ! Celui-là a assurément de la valeur !

Mais si notre argent nous fait passer toute notre vie en prison, ou que notre maison reste vide car ceux avec qui on voulait la partager n'y viennent pas, ou que nous passons des vacances sur une île de rêve en crevant de mal quelque part dans notre corps ou notre âme toute la journée, ou que notre entourage nous hait, ou que nos enfants nous font regretter de les avoir mis au monde dans notre for intérieur, ou que face à tous ces inconnus ou ces proches qui nous croient au sommet, nous n'avons qu'une seule peur, c'est qu'ils se rendent compte que ce n'est pas le cas, alors dans ce cas, ni l'argent, ni les vacances, ni l'entourage, ni les enfants, ni la reconnaissance d'autrui de ne nous est du moindre secours, et on serait prêt à échanger de vie avec quelqu'un qui n'a pas cet argent, ni ces vacances, ni ces enfants, ni cet entourage, ni cette reconnaissance.

Ce n'est donc pas l'argent que l'on cherche dans l'argent, ni la maison que l'on cherche dans la maison, ni les vacances que l'on cherche dans les vacances, ni la p/maternité que l'on cherche dans les enfants, ni la reconnaissance que l'on cherche chez autrui.

Dans l'argent on cherche à ne plus éprouver le manque la frustration, mais au contraire à ressentir la complétude, l'abondance, la satisfaction.

Dans la maison, on fuit la peur de la rue, du froid, de l'insécurité, des agresseurs violents, et on cherche une sentiment de sécurité, un confort de vivre, un repos du corps et du cœur.

Dans les vacances, on cherche à sortir de l'horreur du quotidien, à sentir son corps vivre, mais aussi à montrer aux autres que l'on n'est pas attaché à son étable et que s'ouvre à nos pas alertes le vaste monde accueillant.

Nous souhaitons un entourage pour pouvoir être aidé dans les choses nécessaires pour lesquelles nous sommes nuls, pour avoir quelqu'un à qui parler, avec qui partager les bonnes nouvelles et le poids des fardeaux de la vie.

Nos enfants sont là pour nous montrer que notre vie ne passe pas pour rien, que si nous vieillissons, eux au moins sont jeunes et nous donnent un peu de leur jeunesse, que lorsque nous achetons un meuble ou une maison, cela ne sera pas jeté aux ordures ou vendu par des inconnus après notre décès, mais que cette trace de notre vie, de nos choix, restera parmi ceux que nous avons mis au monde et qui y seront toujours.

La reconnaissance d'autrui, elle est là pour nous rassurer : nous ne sommes pas le paria sur lequel on crache en passant, ni l'infime avorton dont personne ne pense rien, dont personne ne dit rien, et dont l'existence n'a aucun impact. Dans cette reconnaissance extérieure nous cherchons donc la preuve de l'importance de notre existence.

Nous cherchons donc, pour la plupart d'entre nous, à ressentir au tréfonds de notre être un sentiment de complétude, d'abondance et de satisfaction. Nous désirons nous sentir en sécurité, et pouvoir reposer en paix notre corps et notre cœur. Nous voulons évoluer en liberté dans l'espace comme dans la pensée, et partager nos joies et nos peines en confiance avec nos semblables. Nous voudrions que nos actes quotidiens ne soient pas vains ; que la graine que l'on sème ait un avenir en dehors de notre infime passage terrestre. Nous désirons sentir que notre vie ici et maintenant est importante, autant que celle d'une étoile ou d'un chêne magnifique.

 

Et bien souvent, au lendemain de nos batailles, qu'on les gagne ou qu'on les perde, on se retrouve assis sur les marches de l'incrédulité, encore instable, encore étonné que tous ces efforts et toutes ces pensées n'aient mené qu'à un renouvellement de la peur et de la frustration. 

Il suffirait peut-être de descendre souffle par souffle au lieu où dort la paix.

 

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jeudi, 12 mars 2015 | Lien permanent

De la lettre de cachet de l'Ancien régime à l'internement abusif du Nouveau

D'Un martyre dans une maison de fous, de Karl-des-Monts, nous avions déjà publié un extrait sur la Province.

Nous disions :

Karl-des-Monts écrivit en 1863 son "Martyre dans une maison de fous", après plusieurs internements psychiatriques dus à ses opinions ultramontaines exacerbées. Ces internements abusifs ne lui ont pas fait perdre sa verve, dont il a alors usé pour expliquer au monde comment on fabrique les fous, et comment on les traite, en France, au XIX°siècle.

Le Martyre dans une maison de fous est essentiellement composé de lettres à une femme qu'il aime.

Voici maintenant deux fragments sur les asiles et les médecins psychiatres. Il y conspue le diplôme de médecin-psychiatre, qui met le diplômé dans un statut de toute-puissance face au "patient", et émet l'idée que l'internement abusif a remplacé la lettre de cachet de l'ancien régime.

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"Ce que je ne puis comprendre, ma chérie, c'est qu'il ait jamais pu venir à la pensée  de ces eunuques de la science qu'on nomme les médecins, qu'ils pourraient rendre la maison aux pauvres diables qui en ont encore moins qu'eux, en les ensevelissant sous ces formidables murailles noirâtres, où tout est sombre, les lieux et les hommes, où tout est sinistre, l'espace et les physionomies. Rien qu'à voir ces cages de pierre toutes salies, toutes souillées, toutes tachées, qu'éclaire à peine la lumière tremblante et indécise d'un soupirail ; rien qu'à entendre, au fond de ces bouges, ce troupeau de brutes grotesquement habillées, égarées, débraillées, hébétées, abruties, on est frappé de terreur et de dégoût ; mais qu'est-ce, mon Dieu ! quand on se voit incrusté dans ce ramassis d'êtres ignobles, jeté dans cette tourbe hideuse, repoussante, où la férocité, le cynisme et la grossièreté crapuleuse grimacent sur toutes les figures ? Non ; quiconque n'a pas, au fond d'un cabanon de fous, senti rouler dans ses veines les lames du désespoir, ne sait ce que c'est que la douleur... On souffre là ce que fois souffrir un pauvre chien vivant dont un médecin charcute les nerfs sous le peu galant prétexte d'arracher aux tortures de cet animal le secret des vapeurs d'une jolie femme. - Le désespoir vous y tenaille le cœur".
(Lettre VII)

"Oui, mon amour, il est monstrueux que, dans une société bien organisée, il se trouve une profession dont chaque membre puisse se transformer, à toute heure, en un magistrat anonyme, et, qui pis est, en un magistrat clandestin, ou plutôt former à lui seul, un tribunal, et un tribunal sans appel ! Oui, il est monstrueux qu'à un moment donné un individu quelconque n'ait besoin que d'un trait de plume pour en rayer un autre de la liste de ses semblables ! Oui, c'est une bien criante énormité qu'il suffise au premier venu, parce qu'il sera pourvu d'un morceau de parchemin, obtenu Dieu sait comme, de tracer au bas d'une feuille de papier les quelques lettres de son nom pour ouvrir ou sceller une tombe sur la tête d'un être vivant ! Mais ce que je trouve bien plus renversant encore, c'est qu'un aussi incompréhensible abus se renouvelle quatre ou cinq fois l'an chez une nation qui dépense idiotement des millions, chaque année, pour allumer des lampions en l'honneur de la prétendue destruction de l'arbitraire sur le sol béni des dieux ! Je te le demande : pouvons-nous sérieusement nous vanter de nous être affranchis du régime du bon plaisir et des lettres de cachet, alors qu'on arrache impunément de sa demeure, en plein jour et au su de tous, un individu dont le seul crime est de déplaire à sa famille ou au gouvernement, et cela, non pas seulement pour le précipiter, comme autrefois, dans un cachot, mais bien, ô comble de l'horreur, pour le métamorphoser, après d'indescriptibles tortures, en une bête fauve ou une bête brute, en un fou furieux ou un idiot ? Que de pièges, que de chaînes, que d'embûches machiavéliquement cachées sous ces mesures d'exception qui semblent seulement faites pour soulager l'aliéné ! Qu'est-ce que cet acte d'accusation rédigé sous le manteau de la cheminée, et donné, de la main à la main, à un tiers officieux, sans preuves vérifiées, sans pièces communiquées, sans allégation discutée ? Qu'est-ce que cet accusateur qui reste toujours invisible, inaccessible, insaisissable pour l'accusé ? Que dire de ce prévenu qui, distrait de ses juges naturels, muré, bâillonné, étouffé par la sauvage théorie médicale de l'isolement absolu, se trouve, comme les victimes cloîtrées que défendit le grand Pascal, sans oreille pour ouïr, sans bouche pour répondre, sans avocat pour le protéger, sans public pour le soutenir et le venger ? Que sont devenues toutes ces formes protectrices de l'inviolabilité individuelle dont le législateur a si sagement hérissé les préliminaires de l'instruction judiciaire ?"
(Lettre VIII)

Karl-des-Monts, Un Martyre dans une maison de fou, Bruxelles, 1863

Sur AlmaSoror :

L'ouverture de Métrodore

La faculté de médecine au XIX°siècle

Autre extrait de Karl-des-Monts

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jeudi, 05 décembre 2013 | Lien permanent

Mathilde et ses mitaines

Voici un extrait de Mathilde et ses mitaines, de Tristan Bernard (1921. Très agréablement illustré par J.G. Daragnès). Nous partageons le début du palpitant premier chapitre.

I

Il était un peu plus de minuit quand Firmin Remongel descendit du Métro à la station de "Couronnes", et prit la rue mal éclairée qui le menait à son domicile.

Pourquoi était-il venu habiter à Belleville, lui qui faisait son droit de l'autre côté des ponts ?
C'est que Belleville n'était pas loin du faubourg du Temple. Or, c'était dans ce faubourg que le père de Firmin, fabricant de chapeaux de paille à Vesoul, avait l'habitude de descendre, depuis vingt-cinq ans, chaque fois qu'il venait à Paris. De sorte que, pour toute la famille Remongel, le faubourg du Temple était devenu une espèce de centre exploré, et à peu près sûr au milieu de ce vaste Paris mal connu et suspect. Il n'était pas prudent du tout de s'aventurer dans les autres quartiers.

Cette conception un peu spéciale de la géographie parisienne avait trompé le jeune Firmin. Il avait cru innocemment qu'en traversant le boulevard extérieur, pour aller louer à quelques centaines de mètres, il ne s'égarerait pas trop loin de la zone tutélaire.

Décidé par la modicité du prix, bien qu'il ne fût pas avare, il avait loué une petite chambre très confortable dans une maison meublée, d'ailleurs fort convenablement habitée, mais qu'on ne pouvait atteindre qu'après avoir traversé deux ou trois rues inquiétantes où l'on voyait se glisser, passé onze heures du soir, trop d'ombres précautionneuses. Une fois la maison choisie, et son adresse envoyée à sa famille, il n'osa donner congé, car il eût fallu s'avouer à lui même qu'il n'était pas rassuré, et son courage traditionnel s'y refusait.

Il se fit la promesse tacite de ne pas rentrer trop tard le soir.

"Il vaut mieux, se dit-il avec sagesse, que je travaille à la maison plutôt que d'aller perdre mon temps dans les cafés."

Il devint donc, par peur de rentrer tard, l'étudiant austère et laborieux qui refuse systématiquement toutes les invitations.

Mais ce soir-là, il n'avait pu couper à un dîner trimestriel d'une société d'étudiants franc-comtois.

Après le dîner, qui fut suivi d'un concert d'amateurs, les étudiants de Franche-Comté se dispersèrent. Un certain nombre d'entre eux cependant restèrent agglomérés et se dirigèrent vers les lieux de plaisir.
Firmin, exceptionnellement, eût accepté de les accompagner, quitte à ne rentrer chez lui qu'au petit jour...
Mais ses camarades jugèrent qu'ils avaient déjà trop détourné de son travail ce vertueux garçon. Firmin s'en alla seul et prit le Métro qui l'amenait à dix minutes de chez lui.

Pendant son trajet dans le Métro, il s'efforçait de songer à son actuel sujet d'études. C'était les testaments... Alors il pensa à un autre chapitre du Code.

Malgré lui, il revenait toujours à un souvenir impressionnant de la nuit précédente. Dans son premier sommeil il avait été réveillé par un cri qui venait de la rue.
C'était un cri assez effrayant, un de ces cris "vrais" qui ne ressemblent pas du tout à ceux qu'on entend au théâtre, ni à des cris d'enfant qui pleure. Ce n'était pas non plus le cri d'un malade qui veut se faire plaindre et que sa painte même soulage. C'était certainement un cri arraché à la douleur, un cri d'être humain en détresse et qui n'a pas de recours.

Firmin s'était réveillé et avait couru à sa fenêtre, qui donnait sur un petit carrefour. Il avait vu fuir deux ombres qui lui semblèrent être deux hommes et qui disparurent tout de suite au tournant de la rue. Et cette fuite était aussi effrayante que le bruit entendu. Elle avait, comme lui, quelque chose d'éperdu et de soudain.

Etait-ce une attaque nocturne ? Etait-ce une bataille d'apaches ?

 

Tristan Bernard

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mercredi, 12 janvier 2011 | Lien permanent | Commentaires (3)

Cher Hanno

 

J’ai rencontré Hanno Buddenbrook : ma vie est entrain de changer. Il marche à mes côtés depuis quelques jours et j’ai confiance que cette fois, c’est quelqu’un qui ne me quittera pas. Il est plus jeune que moi : qu’importe. Nous nous sommes trouvés outre-monde, là où ni l’âge, ni rien de mesquin ne se manifeste. Il a peur de son père, qu’il aime, en dépit de son indifférence apparente. Je publie ci-dessous quelques phrases de son père, et pendant que vous lisez je rejoins Hanno, mon ami, mon frère.

 

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"J’ai l’impression qu’autrefois rien de semblable n’aurait pu m’arriver. J’ai l’impression d’une chose qui m’échappe et que je ne peux pas retenir aussi fermement que jadis… Qu’est-ce que le succès ? Une force secrète, indéfinissable, faite de prudence, de la certitude d’être toujours d’attaque… la conscience de diriger, par le seul fait d’exister, les mouvements de la vie ambiante ; la foi en sa docilité à nous servir… Fortune et succès sont en nous. A nous de les retenir solidement, par leur racine. Dès qu’en nous quelque chose commence à céder, à se détendre, à trahir la fatigue, aussitôt tout s’affranchit autour de nous, tout résiste, se rebelle, se dérobe à notre influence… Puis une chose en appelle une autre, les défaillances se succèdent, et vous voilà fini. J’ai souvent pensé, ces derniers temps, à un proverbe turc qu’il me souvient d’avoir lu : « Une fois la maison finie, la mort s’approche ». Oh ! pour l’instant, la mort, c’est beaucoup dire. Mais le recul, la descente… le commencement de la fin… Vois-tu, Tony, poursuivit-il, passant son bras sous celui de sa sœur et assourdissant encore sa voix, lorsque nous avons baptisé Hanno, te rappelles-tu, tu m’as dit : « Il me semble qu’une ère toute nouvelle va s’ouvrir ! »  C’est comme si je t’entendais encore, et les événements ont paru te donner raison, car aux élections au Sénat la fortune m’a souri, et, ici, la maison s’élevait à vue d’œil. Mais la dignité de sénateur et la maison ne sont qu’apparences, et je sais, moi, une chose laquelle tu n’as pas encore songé ; je la tiens de la vie et de l’histoire. Je sais que, souvent, au moment même où éclatent les signes extérieurs, visibles et tangibles, les symptômes du bonheur et de l’essor, tout déjà s’achemine en réalité vers son déclin. L’apparition de ces signes extérieurs demande du temps, comme la clarté d’une de ces étoiles dont nous ne savons pas si elle n’est pas déjà sur le point de s’éteindre, si elle n’est pas déjà éteinte, alors qu’elle rayonne avec le plus de splendeur. »

 

 

Ils se tut et ils marchèrent un moment sans mot dire, tandis que le jet d’eau clapotait dans le silence et qu’un chuchotement passait dans la ramure du noyer.

 

 

Thomas Mann, Les Buddenbrook, trad Geneviève Bianquis

 

 

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Pauvre Hanno, dont le père, dans un reniement intérieur, rêve d'un autre enfant que toi :

 

« Quelque part grandit un enfant bien doué, accompli, capable de développer toutes ses facultés, un enfant qui a poussé droit, sans tristesse, pur, cruel et gai, un de ces humains dont le seul aspect augmente le bonheur des heureux et pousse au désespoir les malheureux”.

 

 

Photos de Sara

 

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dimanche, 11 avril 2010 | Lien permanent

Une jeunesse dunkerquoise

jacques bertin, jean-pierre liénard

Extrait de la lettre de Jean-Pierre Liénard à Jacques Bertin


«Il reste heureusement toujours quelques chanteurs-citoyens - bien qu'épiés par les sirènes de la renommée - suffisamment âpres pour que leur épice surnage au dessus du brouet des radios commerciales.

La nostalgie, la tristesse sont parties prenantes de la beauté. Les chants les plus beaux sont-ils désespérés ou de revendication comme le clamait Léo Ferré ?»

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Lisible ici, cette lettre retrace l'atmosphère étudiante provinciale et studieuse des années 70, emplie de chansons, de rêveries politiques et amoureuses.

Elle a été écrite par Jean-Pierre Liénard (un ancien condisciple de la tenancière d'AlmaSoror au cours de langue amharique des Langues O) au chanteur Jacques Bertin, en 2004, et ce dernier en a dévoilé de longs extraits sur son site.

Je conseille la lecture de la lettre entière, sur le site où elle nous attend. Elle nous plonge dans une jeunesse de beauté et de tristesse, de rêves fous et de sagesses, à Dunkerque, dans les années 70. Cette lettre elle-même est un chant.

«Je suis revenu dans ma ville natale fin 78. Me voilà en charge de la maison familiale, et d'un frère fragilisé par les événements liés à la perte de nos parents. La maison est grande. Vide, la villa "Le Cygne", pour deux frères et un chien. Alors nous allons créer petit à petit une sorte de communauté, un phalanstère où je suis seul à travailler. Les autres, lycéens, jeunes gens en rupture, jeunes filles en fleur, viennent là réviser leurs cours, boire le thé, jouer au tarot, oublier leurs soucis familiaux, et écouter les disques d'une collection qui s'enrichit peu à peu. A chacun son favori. Cathy préfère Harmonium, José ne jure que par Béranger, Florian bouscule toute la maison avec Trust et AC-DC, Patrick, joueur de trombone, opère de façon systématique en commençant par les Léo Ferré, puis en continuant par les Ferrat, au rythme d'un achat par mois. La chaîne Hi-Fi et le magnétocassette Nakamichi tournent en continu au long des longues parties de tarot. Au hit-parade de ces "années-sandwich" figurent en bonne place les deux premiers Dick Annegarn, les Béranger, les Beau Dommage, un Brua ("Dis-moi le feu") et les Bertin. J'entends encore votre voix nue monter au dessus des rumeurs de la salle en ouverture du récital en public… "Indien". J'entends cette même voix emplir le salon de la villa : il y a au moins deux chiens, une jeune fille toute à sa lecture, un autre qui bricole une moto dans la rue, moi qui corrige des copies peut-être, et le temps suspendu qui se fracassera au prochain coup de sonnette. "Le bonheur est l'algèbre intime des sourciers". Voilà notre "Domaine de joie", entre les échappées belles en vélo vers la Belgique et les parties de foot sur la plage à marée basse. L'ambiance est bon enfant, les cœurs et les corps sont pudiques, les amours platoniques, les lettres de l'époque sont drôles et rédigées en commun à l'adresse des déserteurs, partis garder une colo, ou expédiés dans un collège privé au fond de la Bretagne. Avec des instants magiques, tous devoirs faits, vaisselle et copies, certains soirs à Dunkerque. Volets baissés, écho de la corne de brume. Mon frère étudie sa philo (il est plongé dans Nietzsche, qui lui parle de thermodynamique) et moi j'écris à un ami. Régulièrement l'un de nous se lève et change de face sur la platine le disque Alvarès C 470 "Si je savais les mots" »…

Jean-Pierre Liénard, lettre à Jacques Bertin

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mercredi, 27 février 2013 | Lien permanent | Commentaires (1)

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