mercredi, 15 juillet 2009
Une cabane au fond de la forêt...
Costards cravate et tailleurs : les habits de la castration. Ils ne sont pas faits à notre image et à notre mouvance : c'est nous qui nous faisons à leurs formes fixes et raides. Ils ne nous structurent pas ; ils nous rigidifient. Ils nous éloignent de notre animalité mais ne nous rapprochent pas de notre humanité. Le vêtement social actuel n'accompagne pas le corps dans ses mouvements : il les limite, les contient, les empêche.
Oserais-je ?
J'oserais aller vivre en Chine ; j'oserais changer ma vie parisienne pour partir au sein d'une association qui construit des écoles en Afrique ; j'oserais vivre une histoire d'amour avec une femme ; j'oserais vivre avec un homme : j'oserais vivre tout cela devant les autres, quel que soit leur regard... Car nous serions tous dans la même prison.
J'aimerais vivre dans une cabane, au creux d'un arbre, dans une forêt, mais je n'ose pas. J'ai peur.
Mort sociale
J'ai peur des bruits et du silence.
Peur du face à face avec l'être animal, l'autre animal – l'animal muet qui, lui, n'a pas perdu son être au monde et sait vivre entre la liberté et l'inquiétude, entre le désir et le manque, sans tout construire pour oublier la fragilité de son être.
Par-dessus tout, j'ai peur de la fermeture des coeurs des autres. Si je dis : je pars vivre dans une cabane, on rit. Si je pars vivre dans une cabane, combien de gens voudront encore me considérer comme un être humain fréquentable ?
Je ne sais pas si je me sentirais vivre en vivant réellement : peut-être au bout d'un certain temps, je me sentirais à nouveau vivre. Mais au début, je sentirais trop la mort sociale. La mort sociale est-elle une mort complète ? Les clochards qui hantent nos rues, les pisseuses d'Afrique mises au rebut du Monde, sont-ils autant vivants que nous ?
Je désapprendrais trop vite toutes les complications administratives, toutes les formalités que nous devons accomplir pour subvenir à nos besoins et prendre la moindre initiative. Je penserais plus librement et ne parviendrais plus ensuite à penser dans le moule. Je quitterais le zoo pour redevenir un animal sauvage et libre. Mais alors ensuite je n'aurais plus accès à la communauté humaine.
Comme ce clochard qui ne s'est pas assis sur le banc à mes côtés, mais au bord du caniveau, sur le béton, parce qu'il savait qu'il était mort socialement. Aux yeux hypocrites des citoyens humanistes, il n'est plus de notre race.
Les animaux sont-ils aussi vivants que nous ? Leurs individualités sont elles aussi importantes et profondes que les nôtres ?
Sommes-nous quelqu'un en dehors des autres ? Serais-je quelqu'un d'autre au fond de la forêt ? Sommes-nous vraiment des êtres humains ?
Communion
Oserais-je vivre dans une forêt ?
Oserais-je :
Le silence qui étreint ;
Le lien direct avec la fragilité de la vie, avec la puissance de la mort ;
Le temps sans horloge, le temps qui s'étire presque infiniment ;
La présence menaçante, incompréhensible des autres espèces animales, celle des végétaux
Le noir sans pitié de la nuit
Le feu, son invitation au songe, à la transe
Ces « choses » me permettraient de développer mon intuition, de vivre en communion avec les éléments qui m'entourent, peu à peu mes sens reprendraient leur déploiement animal – la vue, l'ouïe, le toucher, l'orientation, l'odorat, ...
Le courage ne vient pas. Malgré la liberté qui crève au fond de mon corps... Malgré la force et le courage qui s'éveillent par instants. Malgré la promesse d'un lieu sans pollution. Malgré le rêve... Malgré la mort délivreuse qui sonnera et effacera tout, les meurtrissures et les glorioles sociales.
Quel est le sens, quelle est l'essence de notre vie ? Se jeter dans la mêlée ou s'en retirer, ou encore hésiter toute une vie au milieu des hommes ?
Oser vivre, c'est trop difficile parce que c'est accepter de mourir dans le coeur des autres.
Où trouve-ton le courage d'oser vivre ? En soi ? En quelqu'un d'autre ? En une idée, un idéal ? En un rêve ? Y a-t-il un appel, de la forêt, de la mer, de l'art ou de Dieu ? Peut-on décider de son destin, un jour, comme ça, parce qu'on y pense ?
De l'autre côté
On n’est jamais seul dans une forêt puisqu’elle est toujours peuplée d’arbres.
J'aimerais faire connaissance avec l'autre moi, l'autre substance : la puissance, l'immensité, l'étrangeté, l'Esprit.
Vertige de tout quitter. Et pourtant, dans cent ans, tout cela n'aura plus aucune importance : nous serons morts...
Les lambeaux de mon être : tous ces silences, tous ces espaces arides et non civilisés de mon être m'étranglent parfois, dans la ville, au milieu des voitures.
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Commentaires
Oserais-tu vivre dans une forêt ?
Oui, sûrement, à condition peut-être de commencer par le plus difficile : apprendre à dire oui.
Écrit par : T. | mercredi, 15 juillet 2009
Dire oui, comme la Sainte Vierge ?
Écrit par : édith | jeudi, 16 juillet 2009
Justement, Marie est censée être la seule à avoir su dire OUI, sans mesurer auparavant les conséquences de ce oui.
Cordialement
Écrit par : Philippe RMO | mardi, 21 juillet 2009
Non.
Dire oui comme le zarathoustra de F. Nietzsche.
Écrit par : T. | vendredi, 24 juillet 2009
O mon âme, je t'ai appris à dire "aujourd'hui", comme "autrefois" et "jadis", et à danser ta ronde par-dessus tout ce qui était ici, là et là-bas.
O mon âme, je t'ai délivrée de tous les recoins, j'ai éloigné de toi la poussière, les araignées et le demi-jour.
O mon âme, j'ai lavé de toit toute petite pudeur et la vertu des recoins et je t'ai persuadé d'être nue devant les yeux du soleil.
Avec la tempête qui s'appelle "esprit", j'ai soufflé sur ta mer houleuse ; j'en ai chassé tous les nuages et j'ai même étranglé l'egorgeur qui s'appelle "péché".
O mon âme, je t'ai donné le droit de dire "non", comme la tempête, et de dire "oui" comme dit "oui" le ciel ouvert : tu es maintenant calme comme la lumière et tu passes à travers les tempêtes négatrices.
O mon âme, je t'ai rendu la liberté sur ce qui est créé et sur ce qui est incréé : et qui connaît comme toi la volupté de l'avenir ?
Écrit par : édith | vendredi, 24 juillet 2009
le texte de nietzsche est beau comme l' eau qui coule dans les rivieres de riz.
Écrit par : Teckel du nord | lundi, 15 juillet 2013
Merci Teckel de votre visite et pour cette pertinente appréciation.
Écrit par : AS du nord | lundi, 15 juillet 2013
Les commentaires sont fermés.