mercredi, 02 juin 2010
Combattre et vivre libre
2082. Il est tard, ce siècle. Le froid tombe. Stella Mar interroge la diva Venexiana Atlantica :
Stella Mar : Venexiana Atlantica, tu as parcouru tant de routes et cueilli tant de fleurs qu’aujourd’hui, la jeunesse ouvre les yeux et se dit : « cette femme, est-ce une déesse » ?
VA : je n’ai pas cueilli de fleurs. J’ai semé des graines.
SM : et ces graines ont donné des fruits ?
VA : et ces graines ont donné des fruits. Et si le grain n’a pas lâché la vie il n’a pu se poursuivre. Tout est évangélique.
SM : Tes chansons parlent d’amour et de profondeur, d’espoir et de combats. Pourquoi ?
VA : mes chansons ne parlent pas d’espoir, mais d’espérance.
SM : tu as eu de nombreux amours et de nombreux amis. Que sont ces êtres devenus ?
VA : tous les amours sont des amis. Il n’y a ni père, ni mère, ni frère, ni sœur, ni amant, ni amante s’il n’y a pas d’amitié. Ces êtres ont muté et nos chemins se sont éloignés, nos liens se sont brisés ou distendus. Il reste Stacyo, mon père adoptif, un chien husky, et un homme dont je ne veux pas parler.
SM : Il ne reste plus de femme ?
VA : non, depuis que la femme qui m’était chère est devenue l’homme dont je ne veux pas parler.
SM : avez-vous souffert de cet épisode ?
VA : Quand elle a changé de sexe, j’ai cru devenir folle. Puis nous réécoutâmes Bartok et tout redevint clair.
SM : Bartok ?
VA : Bartok.
SM : Bela Bartok, le pianiste ?
VA : Bela Bartok. Le pianiste.
SM : ta musique lancine dans toutes les oreilles du monde. Mais toi, quelle musique écoutes-tu ?
VA : celle du silence, quand elle se fait entendre. Et celle de Miles Yufitran, le trompettiste. J’aime réécouter ses disques. Alors je repense à celui qui me fut proche, un temps.
SM : Miles aussi s’est éloigné de toi ?
VA : nos déprimes se repoussaient mutuellement. Nos joies se faisaient mal. Nous nous aimions à l’envers. Mais j’ai pleuré le 7 ventôse de l’an 2078, quand j’ai appris sa mort, à l’aube. J’ai songé à sa sœur qu’il avait tant aimé et dont il s’était éloigné. J’ai prié pour eux.
SM : nous allons parler maintenant de cette période de ta vie qui suit l’ère éphémère, où tu dansais et chantais à New York II, et qui précède ta rencontre, dans le pôle Nord de la terre, avec le chien Stacyo, qui t’adopta.
VA : nous ne parlerons pas de cette période.
SM : que pourrais-tu nous dire, belle Venexiana ?
VA : j'ai toujours accepté de combattre, dans la solitude et dans l'échec, dans le rêve et la douleur, dans la joie et la réussite. J'ai toujours choisi de combattre et vivre libre. Il s'agissait de sauver ma tête, sauver mon coeur, sauver mon corps, sauver mon âme. J'ai fui le salariat au risque de devenir la lèpre de la société. Car, comme le servage et l'esclavage, le salariat n'est point digne de l'homme. J'ai repoussé avec violence les médias qui prostituaient leurs espaces à la publicité ; je me suis tenue éloignée de tout supermarché, de toute multinationale, de toute usure. J'ai chômé le dimanche, et parfois j'ai prié. J'ai combattu. Je ne dirai plus rien. J'ai tout dit.
SM : Comme tu le veux, Venexiana Atlantica. Tu es notre idole ; notre rêve ; notre double ; et nous t’adorons ad vitam aeternam.
VA : ne cessez jamais de m’adorer, mes frères. Adieu.
SM : Adieu, déesse.
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